Négationnisme du génocide arménien : défauts et qualités de l’arrêt Perinçek contre Suisse
En condamnant un ressortissant turc qui avait, sur son sol, nié le génocide arménien, la Suisse a violé la liberté d’expression. Ainsi juge la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt qui restera fameux : Perinçek contre Suisse. L’appréciation de l’arrêt variera selon les conceptions de chacun quant à l’opportunité d’incriminer la négation du génocide arménien. Le présent commentaire s’efforce de se placer en dehors de ce débat politique pour évaluer l’arrêt.
Thomas Hochmann est Professeur de droit public à l’Université de Reims Champagne-Ardenne 1
Rendu par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme le 15 octobre 2015, cent ans après le génocide arménien, l’arrêt Perinçek contre Suisse demeurera sans doute célèbre 2. La Grande Chambre confirme qu’en condamnant un ressortissant turc qui, sur son sol, avait nié le génocide arménien, la Suisse a violé l’article 10 de la Convention. Cet arrêt est appelé à être souvent mobilisé dans l’interminable débat qui s’organise autour de la liberté d’expression, du négationnisme ou des lois dites « mémorielles ». Cette controverse est néanmoins dominée par des considérations politiques ou morales 3, et les arguments juridiques sont en général tributaires d’une opinion préétablie sur l’opportunité d’incriminer ou non certains discours. Aussi voudrait-on ici s’efforcer d’examiner de manière neutre le raisonnement suivi par la Cour. On épargnera cependant au lecteur la sempiternelle méthode d’analyse des arrêts de Strasbourg, où l’auteur examine avec les juges si l’ingérence était « prévue par la loi », si elle poursuivait un but légitime et si elle était nécessaire dans une société démocratique. On voudrait plutôt s’arrêter sur les points qui semblent importants, et les examiner de manière critique. En dépit de quelques défauts (I), l’arrêt est digne d’éloge sur un point essentiel. Que l’on partage ou non la solution retenue par la Cour, il faut lui reconnaître d’avoir abordé de front la question cruciale, qui touche à l’évaluation des conséquences préjudiciables de la négation du génocide arménien (II). Récemment confronté à une question similaire, le Conseil constitutionnel français avait au contraire contourné le problème. Alors qu’une question voisine revient devant lui dans quelques jours, il faut souhaiter que la motivation choisie par la Cour le dissuade d’opter à nouveau pour une stratégie d’esquive.
En résumé on peut, à l’égard de l’arrêt Perinçek, comme cela a pu être fait récemment à propos d’autres décisions controversées, séparer le bon grain de l’ivraie 4, puis espérer que le Conseil constitutionnel en prenne de la graine.
I Le point noir et les fausses pistes
La composition de la Grande Chambre est regrettable (A). Par ailleurs, la Cour consacre un certain nombre de développements à des questions inutiles, qui risquent de détourner le regard du problème essentiel (B et C).
A La présence de la juge Keller
Le principal défaut de l’arrêt Perinçek ne touche pas au raisonnement suivi par la Cour mais à sa composition. Comme on le sait, lorsque la Grande Chambre est saisie d’un renvoi, « aucun juge de la Chambre qui a rendu l’arrêt ne peut y siéger, à l’exception du président de la Chambre et du juge ayant siégé au titre de la Haute Partie contractante intéressée » 5. Cette disposition n’a pas manquée d’être critiquée 6, mais peut-être pas suffisamment. C’est surtout la présence de droit du juge « national » dans les principales formations de jugement de la Cour qui a retenu l’attention 7. Or, si l’on est volontiers prêt à accepter que le juge élu au titre d’un État ne se conçoit pas comme le défenseur de celui-ci, et que sa seule présence n’est pas de nature à faire naître des doutes raisonnables sur son impartialité 8, il en va autrement de sa double participation à une même affaire, dans la chambre puis la Grande Chambre. Il ne fait aucun doute que la présence, dans la formation de Grande Chambre, de deux juges qui se sont déjà prononcés sur l’affaire dans un arrêt de chambre pose un grave problème : ce « dispositif méconnaît grossièrement la règle de l’impartialité objective telle qu’elle a été valorisée au travers de la théorie des apparences par la jurisprudence de la Cour » 9. On se saurait mieux dire que Corneliu-Liviu Popescu :
« Il ne fait aucun doute que cette situation est en contradiction manifeste avec la règle de l’impartialité du juge. Dans une seule et même affaire, le même juge siège successivement en première instance et en dernière instance […]. C’est la Cour même qui, à de nombreuses reprises, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter un défaut d’impartialité d’un juge, a décidé que l’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de l’intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées, ce qui est certainement le cas ici. […] Pour tout connaisseur (même sans profondeur) de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, il est évident que si une telle situation existait au niveau national, la Cour n’aurait aucune réticence à statuer sur la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention, pour défaut d’impartialité du tribunal d’appel » 10.
Aucun argument contraire n’emporte la conviction. On ne saurait considérer le renvoi devant la Grande Chambre autrement que comme un recours juridictionnel, « un appel qui n’ose pas dire son nom » 11. Le rapport explicatif du Protocole n° 11 assure pour sa part que la présence de tous les présidents de chambre est nécessaire pour « assurer l’harmonie de la jurisprudence », et celle du juge national pour « empêcher la désignation de juges ad hoc » 12. On voit mal en quoi le premier argument ferait obstacle à ce que le président de la chambre soit remplacé par un vice-président. Quant au second argument, il ne porte plus depuis que le Protocole n° 14 a modifié la procédure de nomination des juges ad hoc. Les soupçons objectifs qui pouvaient s’attacher à ces juges nommés par l’État en toute connaissance de la procédure qui leur était intentée 13 ont été largement diminués, dès lors que le président de la Cour choisit désormais le juge ad hoc au sein d’une liste soumise au préalable par l’État 14. La double participation du juge national ne peut donc plus être considérée comme un moindre mal. Enfin, certes, « le juge national peut changer d’avis » 15. Mais, en dehors du fait qu’« il faut reconnaître que c’est rare » 16, cela ne change rien au caractère raisonnable des doutes quant à l’impartialité du juge que fait naître ce mécanisme.
Il n’est donc guère contestable qu’un tel système, s’il sévissait au sein d’un ordre juridictionnel national, serait dénoncé par la Cour comme une violation de l’article 6 de la Convention 17. Devant la Grande Chambre, le président de la chambre qui a siégé devrait être remplacé par le vice-président, et, si l’on tient à la présence d’un juge national, celui qui s’est déjà prononcé devrait être remplacé par un juge ad hoc. En pratique, le président de chambre pose moins de problème que le juge national, car il se déporte presque systématiquement 18. On a pu très justement voir dans cette habitude « une preuve parfaite de l’hypocrisie juridique, car ce n’est qu’une demi-mesure. Elle ne s’applique pas à l’autre juge en situation identique, à savoir au juge national ». Plutôt que de résoudre le problème, ajoutait Popescu, cette pratique consiste à « l’avouer implicitement » 19.
L’arrêt Perinçek, décidé à une majorité très étroite, illustre très bien cette difficulté. Dans l’arrêt rendu par la formation de chambre (deuxième section), son président, Guido Raimondi, ainsi que la juge siégeant au titre de la Suisse, Helen Keller, avaient voté en faveur d’une violation de l’article 10. Le juge Raimondi, qu’il se soit déporté ou qu’il ne fût plus président de la chambre à la date de la procédure devant la Grande Chambre, ne siégea pas dans cette formation. La juge Keller, en revanche, participa aux deux jugements. Que faire face à un juge national qui, comme la juge Keller, ne semble pas décider à se déporter spontanément ? Il était sans doute délicat à la Suisse de suggérer à sa ressortissante de ne pas prendre part à la procédure devant la Grande Chambre, d’autant plus que la juge avait voté contre la Suisse. Ce fut donc l’Arménie, admise à intervenir, qui se chargea de placer la juge Keller face à ses responsabilités. Suite à son refus de se déporter, le gouvernement arménien demanda sans succès au président de Grande Chambre de récuser la juge suisse 20.
Il est remarquable que le président de la Grande Chambre ait accepté d’examiner une demande de récusation, qui n’est prévue ni dans la Convention ni dans le règlement de la Cour. On rappellera que, dans une affaire qui concernait également l’incrimination de la négation du génocide arménien, le Tribunal des Conflits français a récemment procédé de la même manière, et a accepté de récuser son président, Jacques Arrighi de Casanova, qui s’était déjà prononcé sur le recours au sein du Conseil d’État 21. Au contraire du Tribunal des Conflits, néanmoins, le président de la Grande Chambre, Dean Spielmann, ne fit pas droit à la demande de récusation. Ce choix ne saurait surprendre, puisque le juge Spielmann ne voit aucun inconvénient à la double participation du juge national 22. On ne saurait en outre guère lui reprocher sa décision, dès lors que la double participation du juge national est explicitement prévue par la Convention 23. Le comportement le plus regrettable dans cette affaire est celui de la juge Keller. Bien entendu, ses deux votes contre la Suisse démontrent s’il était besoin toute son indépendance par rapport à l’État. Mais son refus de se déporter l’a conduit à se prononcer deux fois sur la même affaire, en violation de tous les principes d’impartialité objective si souvent promus par la Cour.
La solution de l’arrêt Perinçek de la Grande Chambre aurait-elle été différente sans la juge Keller ? Nul ne peut bien entendu l’affirmer, mais nul ne peut non plus l’écarter avec assurance. En 2007, Jean-Paul Costa notait que jamais le vote d’un juge déjà présent dans la formation de chambre n’avait fait basculer un arrêt de la Grande Chambre 24. L’arrêt Perinçek n’est peut-être pas loin de présenter un tel cas. Sur les dix-sept juges que comptait la Grande Chambre, neuf considèrent que la Suisse ne pouvait condamner Perinçek pour ses propos, tandis que sept juges dissidents écartent toute violation de l’article 10. Si le juge ad hoc suisse avait voté contre une violation, l’issue de la procédure aurait été entre les mains de la juge Nussberger. Celle-ci, dans une opinion partiellement concordante et partiellement dissidente, considère qu’il était possible de sanctionner les propos, mais condamne la Suisse en raison du caractère trop imprévisible de la loi. Dès lors, plusieurs scénarios peuvent être imaginés. Puisque la juge Nussberger considère qu’une « législation exprimant une solidarité avec les victimes de génocide et de crimes contre l’humanité doit être possible partout » 25, peut-être aurait-elle hésité à assumer la responsabilité d’un swing vote en faveur d’une violation. Surtout, si le rôle essentiel du juge national est d’éclairer ses collègues sur la société mais aussi sur le droit positif de son État 26, un autre juge qu’Helen Keller aurait peut-être pu faire comprendre à la juge Nussberger que sa compréhension de la disposition litigieuse suisse était erronée. La juge Nussberger reproche à loi suisse ne pas indiquer « si les juridictions censées l’appliquer doivent décider elles-mêmes si tel ou tel événement historique mérite le qualificatif de « génocide » et, dans l’affirmative, sur quel fondement » 27. Mais l’article 261 bis du code pénal suisse est en réalité très clair à cet égard : dès lors qu’il interdit de « nier un génocide », il exige simplement d’interpréter les propos litigieux pour établir leur signification. L’affirmation selon laquelle « Jamais n’a été organisée une extermination systématique des savoyards » consiste à nier le génocide savoyard, quand bien même il n’y a jamais eu de génocide savoyard 28.
On ne saura jamais si la solution adoptée par la Grande Chambre aurait été différente en l’absence de la juge Keller. Mais sa participation entache l’arrêt Perinçek. Cela est d’autant plus regrettable que les autres critiques que l’on peut formuler sont beaucoup moins fondamentales.
B Les catégories de discours
Dans son arrêt de chambre, la Cour avait décrit les propos de Perinçek comme un discours juridique, historique et politique. Ces caractéristiques de l’expression auraient pour conséquence qu’une restriction serait moins aisément justifiable 29. La Grande Chambre ne s’écarte pas complètement de ce raisonnement. Si elle affirme que Perinçek s’est exprimé « en tant qu’homme politique et non en tant qu’historien ou juriste » 30, elle assure tenir compte du caractère historique des propos 31, et examiner leur lien avec une question d’intérêt public 32, afin de savoir s’ils doivent recevoir une protection « forte » ou « renforcée » 33.
Ce type de réflexion est aisément compréhensible. Il donne un aspect systématique, objectif, presque mathématique à la décision de la Cour. On aurait d’un côté la liberté d’expression et de l’autre les intérêts auxquels son exercice porte atteinte, et l’on effectuerait une balance entre les deux. Pour ce faire, la Cour évaluerait « le poids de l’intérêt que représentait pour le requérant l’exercice de son droit à la liberté d’expression » 34. Un tel raisonnement est certainement suivi par certaines juridictions. Lorsque la Cour européenne des droits de l’homme examine des propos diffamatoires, l’intérêt public des propos joue un rôle indéniable. Aux États-Unis, une expression, même si elle blesse profondément ses auditeurs, ne peut pas faire l’objet d’une sanction si elle touche à un problème d’intérêt général. Aussi est-il essentiel pour les juges de décider si les propos litigieux sont d’intérêt purement privé ou non 35.
Mais la référence aux catégories plus ou moins protégées est inopérante dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme lorsque l’affaire concerne le discours de haine. « Tous les arabes sont des voleurs » est un discours juridique, et « Les nazis ont bien fait de tuer les Juifs » est sans doute un discours historique. Ces deux affirmations touchent à des questions d’intérêt public. Pourtant, la Cour ne considérerait certainement pas que ces propos appellent une protection renforcée.
La seule question qui intéresse véritablement la Cour porte donc sur l’interprétation des déclarations litigieuses et l’estimation de leurs conséquences préjudiciables. Il s’agit de savoir si les propos insultent, dénigrent un groupe de population, ou s’ils incitent à la haine ou à la violence contre lui. La manière dont la Cour explique examiner le caractère historique ou d’intérêt général de l’expression laisse transparaître le véritable objet de son examen. À l’égard des débats d’ordre historique, elle explique clairement s’intéresser à « la manière dont les propos dénoncés étaient libellés et pouvaient être interprétés » 36. Elle rappelle un certain nombre d’arrêts relatifs à des affirmations historiques, où la question était de savoir si les propos justifiaient le nazisme ou la torture. Un autre facteur à prendre en compte, explique-t-elle, touche aux conséquences préjudiciables des propos 37. Bref, résume la Cour, « comme dans le cas des « discours de haine », l’appréciation par la Cour de la nécessité d’ingérences dans l’expression de propos concernant des événements historiques s’opère aussi dans une large mesure au cas par cas et est fonction des effets combinés de la nature et des répercussions potentielles des propos » 38. Mais l’ensemble des affaires mentionnées par la Cour sont des cas de discours de haine. Le lien avec le passé historique n’entraîne nulle méthode de contrôle spécifique.
La fausse piste des catégories de discours est encore plus flagrante à l’égard des propos d’intérêt général. « [L]es propos se rapportant à des questions d’intérêt public appellent une forte protection », assure la Cour, « au contraire de ceux défendant ou justifiant la violence, la haine, la xénophobie ou d’autres formes d’intolérance, qui ne sont normalement pas protégés » 39. Mais assurer que les juifs détiennent tous les pouvoirs en France, ou que tous les musulmans sont des terroristes en puissance sont à la fois des appels à la haine et des affirmations qui se rapportent à des questions d’intérêt public 40. La Cour semble défendre une position inverse, et exclure le discours de haine des propos d’intérêt général : le discours politique, explique-t-elle, est « d’intérêt public, sauf bien sûr s’il franchit une limite et dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance 41.
Mais que l’on considère que le discours de haine porte toujours ou jamais sur un sujet d’intérêt général, ce qui importe pour la Cour est de savoir si les propos poursuivis s’analysent comme un discours de haine. Des propos inoffensifs ne peuvent faire l’objet d’une sanction, qu’ils soient ou non d’intérêt général, tandis que le discours de haine peut être réprimé, qu’il porte ou non sur une question d’intérêt public. Les longs développements sur le caractère historique ou politique des déclarations de Perinçek ne font donc que détourner l’attention de la question essentielle : l’interprétation des propos et l’estimation de leurs conséquences préjudiciables. Il en va de même d’un autre point sur lequel s’attarde inutilement la Cour.
C L’insistance sur le contexte géographique
Sur toute affaire relative à la négation du génocide arménien plane une ombre qui menace de fausser le raisonnement : la répression du négationnisme de la Shoah. Cette restriction peut être mobilisée à mauvais escient tant par les adversaires que les partisans d’une interdiction de contester le génocide arménien. Devant la Grande Chambre, le gouvernement arménien affirmait en substance que l’incrimination du négationnisme de la Shoah devait entraîner ipso facto l’incrimination de la négation du génocide arménien : « Tout comme la négation de l’Holocauste [est] le principal moteur de l’antisémitisme, la négation du génocide arménien [est] le principal moteur de l’anti-arménianisme. C’est ainsi que fonctionn[e] la négation du génocide » 42. Au contraire, pour distinguer les deux expressions, la chambre s’était empêtrée dans une argumentation fort maladroite, selon laquelle la Shoah était clairement établie, tandis qu’il n’existait aucun consensus sur le génocide arménien :
il est même douteux qu’il puisse y avoir un « consensus général », en particulier scientifique, sur des événements tels que ceux qui sont en cause ici, étant donné que la recherche historique est par définition controversée et discutable et ne se prête guère à des conclusions définitives ou à des vérités objectives et absolues […]. À cet égard, la présente espèce se distingue clairement des affaires qui portaient sur la négation des crimes de l’Holocauste […]. Premièrement, les requérants dans ces affaires avaient non pas contesté la simple qualification juridique d’un crime, mais nié des faits historiques, parfois très concrets, par exemple l’existence des chambres à gaz. Deuxièmement, les condamnations pour les crimes commis par le régime nazi, dont ces personnes niaient l’existence, avaient une base juridique claire, à savoir l’article 6, alinéa c), du Statut du Tribunal militaire international (de Nuremberg), annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945 (paragraphe 19 ci-dessus). Troisièmement, les faits historiques remis en cause par les intéressés avaient été jugés clairement établis par une juridiction internationale 43.
Comme le souligne la juge Nussberger dans son opinion jointe à l’arrêt de Grande Chambre, cette démarche « semble reposer sur l’idée d’une différence dans le degré de certitude sur ce qui s’est passé en Turquie en 1915 et en Allemagne sous le régime nazi. Pareille approche risque d’être (mal) interprétée comme un jugement sur la validité de la connaissance de faits historiques » 44. Le gouvernement arménien ajoute que le « véritable défaut de l’arrêt de la chambre [est] que les négateurs du génocide y verr[o]nt un précédent sur lequel s’appuyer pour dire qu’il y a un doute quant à la réalité du génocide arménien. Qu’une cour des droits de l’homme envoie un tel message [est] on ne peut plus blessant et injuste » 45. On peut ajouter qu’il n’est pas pertinent de distinguer la négation du génocide des arméniens en ce qu’elle ne porterait que sur la « qualification juridique du crime », là où les négationnistes de la Shoah contesteraient des faits 46. Dans la décision Witzsch contre Allemagne, la Cour avait déclaré irrecevable la requête d’un individu qui ne contestait ni les massacres de juifs ni les chambres à gaz, mais le fait que Hitler et le NSDAP aient planifié un génocide 47.
La Grande Chambre écarte le raisonnement de la chambre : la pénalisation de la négation de la Shoah « ne se justifie pas tant parce qu’[elle] constitue un fait historique clairement établi » 48. Si la Cour demeure « timide », au grand regret des juges dissidents, en refusant de reconnaître l’évidence du génocide arménien 49, au moins ne jette-t-elle pas le doute sur ces évènements. Pour distinguer les deux négationnismes, elle a néanmoins en partie recours à un raisonnement qui n’est guère satisfaisant. La Cour rappelle que les affaires de négation de la Shoah qu’elle a eu à trancher concernaient l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et la France, des territoires qui avaient été le théâtre des crimes nazis. Or, « nul ne soutient qu’il existe un lien direct entre la Suisse et les événements survenus en 1915 et les années suivantes dans l’Empire ottoman » 50.
Mais en quoi ce critère géographique serait-il pertinent ? Une première justification donnée par la Cour ne doit pas être prise au sérieux : « les États qui ont connu les horreurs nazies […] ont une responsabilité morale particulière : se distancer des atrocités de masse commises par eux ou avec leur complicité, notamment en en prohibant la négation » 51. On est fondé à douter que la Cour accepterait de justifier une restriction de la liberté d’expression simplement par la « responsabilité morale particulière d’un État ».
En réalité, la Cour mentionne le contexte géographique au sein de son analyse de la véritable question posée par l’arrêt : les propos litigieux constituent-ils un discours de haine ? En raison de l’histoire de ces États, la négation de la Shoah sur leur territoire « traduit invariablement une idéologie antidémocratique et antisémite » 52. Le négationnisme de la Shoah est toujours, dans ces États, un discours de haine. Il ne peut en aller ainsi pour le génocide arménien en Suisse parce que les crimes ne se sont pas déroulés sur le sol helvète. Mais cet argument ne convainc pas. Une expression peut avoir des conséquences néfastes pour de nombreuses raisons indépendantes de l’histoire du pays où elle est prononcée. Une antisémite virulente a pu être condamnée pour avoir distribué ses tracts négationnistes en Tasmanie, territoire duquel peu de juifs ont été déportés dans les années 40 53.
Il ne s’agit pas non plus d’affirmer que le critère géographique n’a aucune importance. De nombreux survivants de la Shoah ont trouvé refuge en Tasmanie. Lorsqu’une restriction de la liberté d’expression interdit de provoquer des violences ou d’insulter des groupes de personne, la composition de la population entre en ligne de compte. De même, l’histoire du pays peut jouer un rôle dans l’interprétation des propos et l’estimation des dangers qu’ils font naître. Mais le fait que les massacres d’arméniens n’aient pas eu lieu en Suisse est complètement indifférent.
Cet argument de la Cour est néanmoins plus une maladresse qu’un véritable défaut. La Cour ne fonde pas son arrêt sur cet aspect, mais se concentre bien sur la question essentielle.
II Le bon point : aborder de front la question du préjudice
L’article 10 alinéa 2 de la Convention permet de limiter la liberté d’expression lorsque son exercice est susceptible de provoquer certaines conséquences néfastes. La question essentielle est donc toujours de savoir si les propos litigieux étaient susceptibles de produire ces effets. En l’espèce, il s’agissait d’établir si les déclarations de Perinçek blessaient les « droits d’autrui ». Bien entendu, pour évaluer les conséquences d’une expression, il est nécessaire d’identifier le message qu’elle communique. L’interprétation des propos litigieux est une étape essentielle du contrôle des ingérences dans la liberté d’expression. Le contrôle peut même s’arrêter à ce stade : l’article 17 prive en effet de la protection de la Convention les expressions qui « visent à la destruction des droits et libertés » qu’elle reconnaît. Si une déclaration transmet un tel message, sa répression est conforme à la Convention, sans que la Cour ait besoin de s’interroger sur les conséquences préjudiciables qui justifient une restriction en vertu de l’article 10 alinéa 2.
En raison de l’aspect « guillotine » de l’article 17 54, la Cour est parfois assez réticente à appliquer cette disposition. Elle tend à exiger des conditions supplémentaires, telle que la particulière virulence des propos 55. En outre, la Cour a pour habitude de ne se référer à l’article 17 que lorsqu’elle examine la nécessité de l’ingérence dans le cadre de l’article 10 56. Il ne s’agit pas ici de revenir en détail sur ces éléments bien connus. Il convient simplement de rappeler un point : qu’elle se fonde sur l’article 10 ou l’article 17, la Cour européenne accepte sans guère de difficulté la répression du discours de haine. Les propos qui attaquent un groupe de population peuvent être interdits conformément à la Convention.
L’usage établi qualifie de « négationnisme qualifié » une expression qui nie un crime contre l’humanité et attaque simultanément un groupe de personnes. Le négationnisme qualifié est donc un type de discours de haine. Lorsque le second élément fait défaut et que l’expression « se contente » de contester l’existence du crime, on parle de « négationnisme simple » 57. La première question d’importance que se pose la Cour dans l’affaire Perinçek consiste donc à savoir si les déclarations du requérant s’en prenaient aux arméniens. La Cour répond par la négative (A), ce qui la conduit à examiner si le négationnisme simple du génocide arménien produit des conséquences qui justifient sa répression (B).
A L’interprétation des propos : un négationnisme simple, et non pas qualifié
La Cour a parfois la mauvaise habitude de n’indiquer dans ses arrêts qu’un fragment des propos poursuivis. Tel était le cas de la chambre dans l’arrêt Perinçek. Cette pratique est regrettable car elle ne permet pas de comprendre le raisonnement des juges 58. Il faut donc se réjouir que la Grande Chambre cite de larges extraits des déclarations de Perinçek 59. L’arrêt de chambre se contentait d’indiquer qu’« il nia publiquement l’existence de tout génocide perpétré par l’Empire ottoman contre le peuple arménien en 1915 et dans les années suivantes. Il qualifia notamment de « mensonge international » l’idée d’un génocide arménien » 60. Cette accusation de mensonge est un point important : l’accusation selon laquelle « les juifs » auraient inventé le mythe de la Shoah pour en tirer un profit financier est un exemple classique de négationnisme qualifié. Quiconque s’intéresse un peu au négationnisme pense à ce type de thèse lorsque le génocide arménien est qualifié de « mensonge international ». Le gouvernement suisse avance pareille lecture : Perinçek aurait accusé les descendants des arméniens de 1915 d’avoir « falsifié l’histoire ». Or, « reprocher aux victimes de falsifier l’histoire [est] l’une des formes les plus aiguës de diffamation raciale » 61.
La Grande Chambre retient une interprétation différente qui est parfaitement compréhensible à la lecture des mots de Perinçek : le « mensonge » est attribué aux « impérialistes des États-Unis et de l’UE », aux « impérialistes anglais, français et de la Russie tsariste », mais à aucun moment aux arméniens. La Cour le constate clairement : l’« accusation qualifiant de « mensonge international » l’idée d’un génocide arménien » n’était pas dirigée « contre les victimes ou leurs descendants » 62. Les propos de Perinçek, néanmoins, ne se limitaient pas à cela. Il assurait également qu’en 1915, les arméniens avaient été « les instruments » des puissances impérialistes, que des massacres avaient eu lieu des deux côtés et donc, notamment, que « les troupes arméniennes s’étaient livrées à des massacres de Turcs et de musulmans » 63. La Cour, si elle concède que ces affirmations « pourraient d’une certaine manière passer pour offensantes aux yeux des Arméniens », considère néanmoins que « le requérant n’en tire pas la conclusion que les Arméniens méritaient de subir ces atrocités ou d’être anéantis : ce sont plutôt les « impérialistes » qu’il accuse d’avoir attisé la violence entre Turcs et Arméniens » 64.
Pour la Cour, donc, les propos se contentent de contester l’existence du génocide, mais ne sont pas dirigés contre les arméniens. Il ne s’agit pas d’« une forme d’incitation à la haine ou à l’intolérance. Le requérant n’a pas fait preuve de mépris ou de haine à l’égard des victimes des événements survenus en 1915 et les années suivantes […]. Il n’a pas traité les Arméniens de menteurs, usé de termes injurieux à leur égard ni cherché à les caricaturer » 65. Bref, résume la Cour, « les propos du requérant, appréciés comme un tout ainsi que dans leur contexte immédiat et plus général, ne peuvent pas être assimilés à des appels à la haine, à la violence ou à l’intolérance envers les Arméniens » 66. Il s’agit donc d’un négationnisme simple, et non pas qualifié.
Le désaccord des juges dissidents porte sur ce point crucial 67. Comme souvent dans les affaires qui touchent à la liberté d’expression, c’est l’interprétation des propos litigieux qui constitue la question essentielle. Pour Dean Spielmann et ses collègues, l’expression poursuivie « va bien au-delà d’une simple négation du génocide arménien […]. [Elle contient] l’animus d’insulter un peuple. Il s’agit d’un véritable détournement qui vise les Arméniens en tant que groupe, tente de justifier les agissements des autorités ottomanes en les présentant presque comme défensifs et revêt une connotation raciste dénigrant la mémoire des victimes […]. [Le discours] peut même être assimilé à un appel sinon à la haine et à la violence, du moins à l’intolérance envers les Arméniens » 68.
Pour la majorité des juges, cependant, Perinçek niait le génocide sans attaquer les arméniens. C’est là, et non ailleurs, que réside la différence essentielle, dans le raisonnement de la Cour, entre la négation de la Shoah et celle du génocide arménien. En effet, la Grande Chambre considère que la contestation du génocide nazi communique toujours un message de haine contre les Juifs. Autrement dit, il s’agit systématiquement d’un négationnisme qualifié, jamais d’un négationnisme simple : la « négation [de la Shoah], même habillée en recherche historique impartiale, traduit invariablement une idéologie antidémocratique et antisémite » 69. Une chambre de la Cour l’a répété dans une décision d’irrecevabilité publiée cinq jours après l’arrêt Perinçek 70.
La concomitance de l’arrêt Perinçek et de la décision Dieudonné risque de faciliter un malentendu qui doit être à nouveau dénoncé. Le raisonnement de la Cour ne se fonde nullement sur une différence entre la « gravité » des deux génocides. La question pertinente touche à l’interprétation des propos poursuivis et à l’estimation de leurs conséquences. Il s’agit de savoir si l’expression communique un discours de haine. La Cour considère que dans le contexte contemporain, la négation de la Shoah transmet toujours un message antisémite. Le discours négationnistes est codé, connu, installé : il suggère toujours que « les juifs » profitent du « mythe » de la Shoah. C’est pour cette raison que l’article 17 a systématiquement été utilisé contre les négationnistes de la Shoah : leurs propos ont à chaque fois été interprétés comme un discours de haine 71.
Devant la Cour, le gouvernement arménien suggérait qu’il en allait de même à l’égard de la négation du génocide arménien : « Tout comme la négation de l’Holocauste [est] le principal moteur de l’antisémitisme, la négation du génocide arménien [est] le principal moteur de l’anti-arménianisme. C’est ainsi que fonctionn[e] la négation du génocide » 72. La Cour ne suit pas ce raisonnement : « Si l’on ne peut pas exclure que des propos se rapportant à ces événements puissent de même avoir des visées racistes et antidémocratiques et poursuivre celles-ci par allusions plutôt qu’ouvertement, le contexte ne le fait pas présumer automatiquement, et il n’y a pas suffisamment d’éléments pour prouver l’existence de telles visées en l’espèce » 73. La Cour considère donc que les discours de Perinçek se contentent de nier le génocide, sans inciter à la haine contre les arméniens. Il s’agit alors de savoir si la « simple » négation du génocide provoque des conséquences qui justifient sa restriction.
B Le préjudice provoqué par le négationnisme simple
La Cour s’interroge sur les conséquences néfastes du négationnisme simples en deux points de son raisonnement : lorsqu’elle s’efforce d’identifier les « buts légitimes » poursuivis par l’ingérence, et lorsqu’elle examine la « nécessité dans une société démocratique » de cette ingérence. Il n’y a là rien d’étonnant. En effet, examiner la proportionnalité d’une restriction implique d’abord d’identifier son but, et donc de se demander quel intérêt cette mesure peut être apte à protéger. La même question d’aptitude se pose à nouveau lorsque la Cour aborde l’examen de la proportionnalité 74. En théorie, cependant, l’examen de la Cour devrait différer sensiblement entre les deux étapes. L’intérêt légitime invoqué par l’État ne devrait être écarté que s’il est complètement farfelu. Ce n’est qu’au stade de l’examen de la proportionnalité que l’aptitude de l’ingérence à protéger cet intérêt devrait être examinée d’un peu plus près.
Dès le stade de l’identification du but de l’ingérence, la Cour écarte la menace de l’ordre public matériel, c’est-à-dire le risque de violence : « rien ne prouve que, à la date des événements publics au cours desquels le requérant a tenu les propos en cause, les autorités suisses aient vu en ceux-ci un risque de troubles à l’ordre et qu’elles aient cherché à les contrôler sur ce fondement. Rien ne prouve non plus que, malgré la présence d’une communauté arménienne comme d’une communauté turque en Suisse, ce type de propos risquait de susciter de graves tensions et de se solder par des affrontements » 75. Dès lors que la Cour n’identifie pas cet intérêt comme le but poursuivi par la condamnation de Perinçek, il est quelque peu illogique qu’elle le mentionne à nouveau lorsqu’elle examine la proportionnalité de l’ingérence 76.
Pour ne pas interrompre son examen dès l’étape de l’identification de l’intérêt protégé, la Cour accepte de considérer que la condamnation de Perinçek visait à protéger les « droits d’autrui » : « bon nombre des descendants des victimes et des rescapés des événements survenus en 1915 et les années suivantes – surtout ceux appartenant à la diaspora arménienne – bâtissent [leur] identité autour de l’idée que leur communauté a été victime d’un génocide […]. Dans ces conditions, la Cour reconnaît que l’ingérence dirigée contre les propos du requérant, dans lesquels il niait que les Arméniens eussent été victimes d’un génocide, visait à protéger cette identité, et donc la dignité des Arméniens d’aujourd’hui » 77.
Néanmoins les juges sont impatients et indiquent immédiatement quelle sera l’issue de leur réflexion : ils ne considèrent pas que les propos de Perinçek infligeaient ce préjudice. « En revanche, en contestant la qualification juridique des événements, le requérant ne peut guère passer pour avoir dénigré ces personnes, privé celles-ci de leur dignité ou diminué leur humanité » 78. L’essentiel est donc dit très tôt dans l’arrêt : la Cour considère que le négationnisme simple du génocide arménien ne provoque pas un préjudice qui justifie sa sanction 79. Les juges le répèteront plus loin, là où cette réflexion avait vraiment sa place, dans le cadre de l’examen de la « nécessité dans une société démocratique » de l’ingérence, et donc de son aptitude à remplir son but. La Cour ne saurait « admettre que les discours du requérant ici en cause aient attenté à la dignité des Arméniens qui ont souffert et péri au cours de ces événements ainsi qu’à la dignité et à l’identité de leurs descendants au point de nécessiter des mesures d’ordre pénal en Suisse » 80.
D’autres tribunaux ont apprécié différemment les conséquences du négationnisme simple, que celui-ci concerne la Shoah ou le génocide arménien 81. Le Tribunal de Grande Instance de Paris a pu estimer que la contestation du génocide arménien était « susceptibl[e] de raviver injustement la douleur de la communauté arménienne » 82, ou encore qu’elle causait « incontestablement aux proches et aux héritiers de cette communauté, ainsi qu’aux groupements qui ont pour objet de maintenir la mémoire de ces évènements, un trouble et une douleur morale d’autant plus vifs que le souvenir et l’attention historique venaient à peine de triompher de décennies de silence » 83. Dans l’affaire Perinçek, le Tribunal fédéral suisse avait considéré que « la négation du génocide arménien […] constitue […] une atteinte à l’identité des membres de cette communauté » « qui se reconnaît en particulier dans son histoire marquée par les événements de 1915 » 84.
Si elle reconnaît « l’importance considérable » que la communauté arménienne attache au génocide et « l’extrême sensibilité » qui l’anime à cet égard 85, la majorité des juges de la Grande Chambre écarte, de manière il est vrai assez lapidaire, le préjudice provoqué par sa négation. Chacun, selon sa propre estimation, partagera ou critiquera cette opinion de la Cour 86. Il faut en revanche se réjouir que l’arrêt Perinçek pose le débat dans les bons termes. La Convention européenne des droits de l’homme, comme une Constitution, ne tranche pas toutes les questions, mais contribue à fixer le cadre juridique de la discussion politique. Si l’arrêt Perinçek n’est pas exempt de critiques, il a le grand mérite d’affronter la question délicate du préjudice provoqué par la négation du génocide arménien, et de ne pas fuir ce problème. On ne peut pas en dire autant de tous les juges récemment confrontés à ce sujet.
Conclusion : Une leçon pour le Conseil constitutionnel ?
Au début de l’année 2012, le parlement français adoptait une loi qui incriminait la contestation du génocide arménien. Plutôt que d’exprimer clairement cette mesure, les députés français avaient cru malin d’interdire de manière alambiquée « la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi », le seul génocide reconnu par la loi française étant le génocide arménien. Le Conseil constitutionnel utilisa cette formulation pour censurer la loi par une décision dont l’illogisme était camouflé par une obscure motivation 87. Il est inutile de revenir ici sur le « raisonnement » suivi par le Conseil 88. Il suffit de rappeler que le Conseil n’aborda pas du tout la question de savoir si la négation du génocide arménien provoquait un préjudice qui justifiait de limiter la liberté d’expression 89.
Dans quelques semaines, pour la première fois, l’incrimination de la négation de la Shoah va être examinée par le Conseil constitutionnel, suite au renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de cassation 90. On peut penser que le Conseil, comme à son habitude, se gardera de soulever d’autres problèmes de conformité à la Constitution que celui qui lui est indiqué par la juridiction de renvoi. Aussi, c’est au regard du principe d’égalité que sera examiné l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881. Cette fois, c’est donc l’ombre de la négation du génocide arménien qui planera sur une affaire relative au négationnisme de la Shoah.
Bien entendu, le législateur peut traiter de manière différente des situations différentes. Le Conseil ne manquera pas de rappeler une nouvelle fois cette évidence. Mais il sera alors confronté à un choix. La première possibilité est d’assumer le fait que la Constitution permet de limiter la liberté d’expression lorsque son exercice est préjudiciable. Il faudra alors expliquer que le législateur a pu considérer que la négation de la Shoah provoquait certaines conséquences néfastes, qui ne s’attachent pas forcément à la négation de tout génocide. Bien sûr, un tel raisonnement rendra plus difficile d’éviter la question du préjudice si le Conseil devait être à l’avenir saisi d’une nouvelle loi relative à la négation du génocide arménien. La seconde possibilité est d’inventer un stratagème pour éviter d’aborder la question que pose la Constitution. Il y a alors fort à parier que le Conseil fera mine de percevoir dans le renvoi par l’article 24 bis au statut du Tribunal militaire de Nuremberg une différence essentielle qui justifie un traitement différencié du négationnisme de la Shoah.
L’arrêt Perinçek, s’il offre quelques fausses pistes similaires, affronte pour l’essentiel la question du préjudice provoqué par la négation du génocide arménien. La réponse qu’il donne peut sembler insuffisamment justifiée, elle peut décevoir, et même provoquer le courroux de ceux qui évaluent autrement les conséquences de cette expression. Mais au moins l’arrêt porte-t-il sur le problème posé par le droit applicable. Espérons qu’on pourra bientôt en dire autant de la décision du Conseil constitutionnel.
Notes:
- L’auteur appartenait au « groupe d’universitaires français et belges » autorisé à intervenir dans l’affaire Perinçek. ↩
- Cour européenne des droits de l’homme, Grande Chambre, Perinçek c. Suisse, 15 octobre 2015 (ci-après : « Perinçek c. Suisse (GC) »). ↩
- Cf. Thomas Hochmann, Le négationnisme face aux limites de la liberté d’expression, Étude de droit comparé, Paris, Pedone, 2013, pp. 23 ss. ↩
- Cf. Jacques Petit, « Les ordonnances Dieudonné : séparer le bon grain de l’ivraie », AJDA 2014, pp. 866 ss. ↩
- Article 26.5 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : « la Convention »). ↩
- Notamment par des juges. Cf. CEDH (GC), 4 décembre 2007, Dickson c. Royaume-Uni, Bratza conc. : « une disposition bien peu satisfaisante » ; Lucius Caflisch, « Voyage autour de la Grande Chambre – Propos sur la Grande Chambre de la Cour de Strasbourg », in Mélanges en l’honneur de J.-P. Puissochet, L’État souverain dans le monde d’aujourd’hui, Paris, Pedone, 2008, p. 44. ↩
- Article 26.4 de la Convention : « Le juge élu au titre d’une Haute Partie contractante partie au litige est membre de droit de la Chambre et de la Grande Chambre. […] ». Dans les développements qui suivent, ce juge sera appelé le « juge national ». ↩
- Cf. Françoise Tulkens, « Brèves réflexions sur le juge national », in La conscience des droits, Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Costa, Paris, Dalloz, pp. 650 s. F. Tulkens considère néanmoins que le juge national pourrait n’avoir qu’une voix consultative (ibid., p. 654). Cf., beaucoup plus critique, Jean-Pierre Marguénaud, « L’opinion séparée du juge siégeant à la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’État défendeur », in Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Costa, op. cit., p. 421 : « la Cour [est] résolument organisée de manière à violer, en apparence et en permanence, les principes d’indépendances, d’impartialité objective et d’égalité des armes que, d’arrêt Borgers en arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd, d’arrêt Kress en arrêt Martinie, elle oppose avec tant d’intransigeance aux juridictions internes ». ↩
- Jean-François Flauss, cité par Corneliu-Liviu Popescu, « La Cour européenne des droits de l’homme », in Hélène Ruiz Fabri et Jean-Marc Sorel (dir.), Indépendance et impartialité des juges internationaux, Paris, Pedone, 2010, p. 129. La citation est extraite d’un ouvrage qui n’a pu être consulté : Patrick Wachsmann et al., Le Protocole n° 11 à la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1995. Cf. aussi L. Caflisch, art. cit., p. 46 : « Il est en effet embarrassant d’avoir à constater que la Cour ne se conforme pas aux préceptes qu’elle impose aux autres ». ↩
- C.-L. Popescu, art. cit., p. 129. ↩
- Jean-Nicolas Clément, « L’audience de plaidoirie, l’arrêt de la chambre et la saisine de la Grande chambre », in Vincent Berger et al., La procédure devant la nouvelle Cour européenne des droits de l’homme après le Protocole n° 11, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 91. Cf. aussi, par exemple, Robert Badinter, « Du Protocole n° 11 au Protocole n° 12 », in Mélanges en hommage à Louis Edmond Pettiti, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 108 ; Carlo Santulli, intervention lors du débat, in H. Ruiz Fabri et J.-M. Sorel, op. cit., p. 148 ; et la réponse implacable de Corneliu-Liviu Popescu à Bruno Genevois in ibid., p. 150. ↩
- Protocole n° 11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et rapport explicatif, Strasbourg, Les éditions du Conseil de l’Europe, 1994, p. 40. ↩
- Cf. Pierre Lambert, « Les juges ad hoc à la Cour européenne des droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 1999, p. 484. ↩
- Article 26.4 de la Convention. ↩
- Dean Spielmann, intervention lors du débat, in H. Ruiz Fabri et J.-M. Sorel, op. cit., p. 144. ↩
- Jean-Paul Costa, « Les arrêts de la Grande Chambre rendus après renvoi (article 43 de la CEDH) », in Lucius Caflisch et al. (dir.), Liber Amicorum Luzius Wildhaber, Human Rights – Strasbourg Views, Droits de l’homme – Regards de Strasbourg, Kehl, Engel, 2007, p. 141. ↩
- Cf. en ce sens également Frédéric Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, 12ème éd., Paris, P.U.F., 2015, p. 278. ↩
- Luzius Wildhaber, « La grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme », in Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Costa, op. cit., p. 698 ; Dean Spielmann, intervention lors du débat, in H. Ruiz Fabri et J.-M. Sorel, op. cit., p. 144. ↩
- C.-L. Popescu, art. cit., p. 131. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 5. ↩
- Tribunal des Conflits, 18 mai 2015, Krikorian, n° 3995. ↩
- Cf. Dean Spielmann, intervention lors du débat, in H. Ruiz Fabri et J.-M. Sorel, op. cit., p. 144 : « le juge national peut changer d’avis. Donc, c’est tout à fait concevable qu’un juge change d’avis après réexamen de l’affaire sur renvoi. Je pense que c’est là une preuve de son impartialité et de son indépendance ». ↩
- C.-L. Popescu a cependant pu avancer que la Cour devrait écarter l’application de cette règle dès lors qu’elle était contraire au jus cogens. « Bien sûr, pour une telle décision, il faut faire preuve d’imagination juridique, mais aussi de courage », ajoutait-il. Il est intéressant de souligner que le juge Spielmann, qui présidait la Grande Chambre dans l’affaire Perinçek, devait avoir connaissance du raisonnement de Popescu, puisqu’il en publia un commentaire dans le même ouvrage. Cf. C.-L. Popescu, art. cit., p. 130 ; Dean Spielmann, « Commentaire », in H. Ruiz Fabri et J.-M. Sorel, op. cit., pp. 137-139. (Le juge Spielmann précise néanmoins que « Ce commentaire a été fait sur la base de la communication orale beaucoup plus brève que la communication écrite reproduite supra » (ibid., p. 137)). ↩
- Jean-Paul Costa, art. cit., pp. 141 s. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), Nussberger conc. et diss. ↩
- Cf. F. Tulkens, art. cit., pp. 653 s. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), Nussberger conc. et diss. ↩
- L’article 261 bis ne se satisfait pas de cette seule interprétation. Il exige en outre que les propos aient été tenus dans un but haineux : l’expression doit intervenir « en raison de [la] race, de [l’] appartenance ethnique ou de [la] religion » d’une personne ou d’un groupe de personnes. Cf. Th. Hochmann, op. cit., pp. 651 s. ↩
- CEDH (deuxième section), Perinçek c. Suisse, 17 décembre 2013, par. 112. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 231. ↩
- Ibid., par. 216. ↩
- Ibid., par. 231. ↩
- Ibid., par. 229 s. ↩
- Ibid., par. 229. ↩
- Cf. Cour suprême des États-Unis, Snyder v Phelps, 562 U.S. 443 (2011) ; et sur cet arrêt Th. Hochmann, « Chronique des arrêts de la Cour suprême des États-Unis en matière de droits fondamentaux (octobre 2010-juin 2012) », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2013, pp. 85 s. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 216. ↩
- Ibid., par. 217 s. ↩
- Ibid., par. 220. ↩
- Ibid., par. 230. ↩
- Cf. James Weinstein, « Extreme Speech, Public Order, and Democracy: Lessons from The Masses », in Ivan Hare et J. Weinstein (dir.), Extreme Speech and Democracy, Oxford University Press, New York, 2009, p. 59. (La Cour mentionne cet ouvrage dans l’arrêt, Perinçek c. Suisse (GC), par. 99). ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 231. ↩
- Ibid., par. 177. ↩
- Perinçek c. Suisse (chambre), par. 117. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), Nussberger conc. et diss. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 178. ↩
- Cf. en particulier la position du gouvernement turc, cité dans ibid., par. 174 : « Loin de mettre en cause l’existence des massacres et déportations, il n’aurait fait que s’opposer à leur qualification de génocide. La présente affaire ne serait donc pas comparable à une affaire de négation de l’Holocauste, où les tenants de celle-ci récusent la matérialité de faits historiques ». ↩
- Witzsch c. Allemagne (déc.), 13 décembre 2005. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 243. ↩
- Cf. ibid., par. 102 : « la Cour […] n’est pas tenue de dire si les massacres et déportations massives subis par le peuple arménien aux mains de l’Empire ottoman à partir de 1915 peuvent être qualifiés de génocide au sens que revêt ce terme en droit international » ; et ibid., Spielmann et al. diss., par. 2 : « Notons d’emblée que la Cour a fait preuve d’une timidité certaine en réaffirmant la position de la chambre dans le sens qu’elle n’est pas tenue de dire si les massacres et déportations subis par le peuple arménien aux mains de l’Empire ottoman peuvent être qualifiés de génocide au sens que revêt ce terme en droit international, […]. Que les massacres et déportations subis par le peuple arménien étaient constitutifs d’un génocide relève de l’« évident ». Le génocide arménien est un fait historique clairement établi. Le nier revient à nier l’évidence ». ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 244. ↩
- Ibid., par. 243. ↩
- Ibid. ↩
- Jones v. Scully [2002] FCA 1080 (2 septembre 2002). Cf. Th. Hochmann, op. cit., pp. 403 ss. ↩
- Jean-François Flauss, « L’abus de droit dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme », Revue universelle des droits de l’homme, 1992, p. 464. ↩
- Cf. Th. Hochmann, op. cit., pp. 277 ss. ↩
- Cf. Patrick Wachsmann, « La jurisprudence récente de la Commission européenne des droits de l’Homme en matière de négationnisme », in Jean-François Flauss et Michel de Salvia (dir.), La Convention européenne des droits de l’Homme. Développements récents et nouveaux défis, Bruxelles, Bruyant, 1997, p. 107. Dans l’affaire Perinçek, la Cour décide ainsi de « joindre » la question de l’application de l’article 17 à celle de la nécessité de l’ingérence au sens de l’article 10. Perinçek c. Suisse (GC), par. 115. Quatre juges auraient souhaité appliquer l’article 17 en l’espèce. Cf. Perinçek c. Suisse (GC), Silvis diss. (joint par Casadevall, Berro et Küris). ↩
- Cf. par exemple Thomas Wandres, Die Strafbarkeit des Auschwitz-Leugnens, Berlin, Duncker & Humblot, 2000, pp. 96 s. ; Robert A. Kahn, « Holocaust Denial and Hate Speech », in Ludovic Hennebel et Th. Hochmann (dir.), Genocide Denials and the Law, New York, Oxford University Press, 2011, pp. 77 s. ; Th. Hochmann, op. cit., pp. 24 s. ↩
- Cf. Th. Hochmann, « Discours de haine et préjugés », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2013, p. 187. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 13 et 16. ↩
- Perinçek c. Suisse (chambre), par. 7. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 169 et 171. ↩
- Ibid., par. 156. Cette analyse apparaissait également dans l’opinion concordante des juges Raimondi et Sajó jointe à l’arrêt de la chambre. Perinçek c. Suisse (chambre), Raimondi et Sajó conc. : « plus qu’un sentiment anti-arménien, le requérant a exprimé des sentiments anti-impérialistes conformes à ses opinions politiques : il attribue ce qu’il appelle le « mensonge du génocide » à l’impérialisme international plutôt qu’aux Arméniens eux-mêmes ». Le requérant également insiste sur ce point. Cf. Perinçek c. Suisse (GC), par. 161 : « Ses convictions en tant qu’homme politique socialiste l’auraient conduit à accuser ce qu’il considère être des puissances impérialistes, plutôt que les Arméniens, d’avoir diffusé un « mensonge international ». Il aurait donc non pas accusé les victimes d’avoir falsifié l’histoire mais seulement souligné que la « question arménienne » au sein de l’Empire ottoman demeurait un élément important du discours hégémonique ». ↩
- Cf. Perinçek c. Suisse (GC), par. 16. ↩
- Ibid., par. 252. ↩
- Ibid., par. 233. ↩
- Ibid., par. 239. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), Spielmann et al. diss., par. 4 : « Notre désaccord concerne pour l’essentiel la façon dont la majorité a compris les déclarations du requérant ». ↩
- Ibid. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 243. Non souligné dans l’original. ↩
- CEDH (déc.), 20 octobre 2015, Dieudonné M’Bala M’Bala contre France, par. 39. La communication d’un message antisémite en l’espèce est d’autant plus évidente que l’invitation sur scène de Robert Faurisson était accompagnée d’une « mise en position avilissante des victimes juives des déportations face à celui qui nie leur extermination ». ↩
- Cf. par exemple ComEDH, 24 juin 1996, Marais c. France ; CEDH (déc.), 24 juin 2003, Garaudy c. France. Cf. aussi Perinçek c. Suisse (GC), par. 234 : « Dans les affaires portées devant l’ancienne Commission et devant la Cour concernant des propos relatifs à l’Holocauste, pour des raisons tenant à l’histoire et au contexte, ces propos ont invariablement été présumés pouvoir » « être regardés comme une forme d’incitation à la haine ou à l’intolérance ». ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 177. ↩
- Ibid., par. 234. ↩
- Cf. Th. Hochmann, op. cit., pp. 490 s. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 153. ↩
- Ibid., par. 344 : « rien ne prouve qu’à l’époque où le requérant a tenu ses propos le climat en Suisse était tendu et risquait de générer de graves frictions entre les Turcs et les Arméniens qui y vivaient ». ↩
- Ibid., par. 156. ↩
- Ibid. ↩
- Ce paragraphe 156 de l’arrêt est très étrangement construit. La Cour examine si l’ingérence visait à protéger les droits d’autrui. Comme les deux citations données dans le texte le montrent, elle l’accepte d’abord, puis ajoute que les propos du requérant ne portaient pas atteinte aux droit d’autrui. La Cour se réfère alors aux passages où Perinçek accuse les arméniens de 1915 d’avoir massacré des musulmans. « Dans ces conditions », ajoute-t-elle, « la Cour peut admettre » ce qu’elle a déjà admis cinq lignes plus haut, à savoir que l’ingérence visait à protéger la dignité des arméniens d’aujourd’hui. Une interprétation de ce raisonnement sinueux pourrait être que la Cour considère que les arméniens d’aujourd’hui ne sont pas atteints directement par les propos, mais uniquement par l’intermédiaire de l’atteinte à la dignité des arméniens de 1915. Le paragraphe précédent va dans ce sens : « Pour ce qui est de ce but légitime, il faut établir une distinction entre, d’une part, la dignité des victimes et des rescapés des événements survenus en 1915 et les années suivantes et, d’autre part, la dignité, y compris l’identité, de leurs descendants, les Arméniens d’aujourd’hui » (ibid., par. 155). Mais la Cour ne donne aucun rôle à cette distinction dès lors qu’elle fait découler automatiquement l’atteinte à la dignité des arméniens d’aujourd’hui de l’atteinte à la dignité de leurs ancêtres : « l’ingérence tendait aussi à protéger la dignité de ces personnes et, partant, celle de leurs descendants » (ibid., par. 156, non souligné dans l’original). ↩
- Ibid., par. 252. Cf. aussi ibid., par. 253 : « La Cour n’est pas non plus convaincue que les propos dans lesquels le requérant refusait aux événements survenus en 1915 et les années suivantes le caractère de génocide, mais sans nier la réalité des massacres et des déportations massives, aient pu avoir de graves conséquences sur l’identité des Arméniens en tant que groupe ». ↩
- Cf. de nombreux exemples dans Th. Hochmann, op. cit., pp. 396 ss. ↩
- TGI Paris, 21 juin 1995, LPA, 29 septembre 1995, n°117, p. 17, note O. Roumelian. ↩
- TGI Paris, 17e ch., 6 juillet 2005, cité dans Jean-Baptiste Racine, Le génocide des Arméniens. Origine et permanence du crime contre l’humanité, Paris, Dalloz, 2006, p. 140. ↩
- Cité dans Perinçek c. Suisse (GC), par. 26. Sur cette idée du rôle que peut jouer un génocide même lointain dans « l’identité », dans la manière dont se conçoivent certaines personnes, la jurisprudence allemande est particulièrement riche. Cf. Th. Hochmann, op. cit., pp. 397 ss. ↩
- Perinçek c. Suisse (GC), par. 252. ↩
- On ne peut pas, en revanche, comme un auteur, vouloir à la fois que la Cour protège la liberté d’expression de Perinçek et qu’elle insiste sur le caractère blessant de ses propos. La comparaison avec la Cour suprême des États-Unis est ici malvenue : dans le système américain, le préjudice provoqué par l’expression ne justifie pas une restriction. Il est donc parfaitement possible au juge de reconnaître l’aspect préjudiciable d’une expression tout en la protégeant. Il n’en va pas de même sous l’empire de la Convention européenne des droits de l’homme, où l’atteinte aux droits d’autrui justifie une restriction. Cf. Uladzislau Belavusau, « Perinçek v. Switzerland: Between Freedom of Speech and Collective Dignity », Verfassungsblog, 5 novembre 2015. ↩
- Conseil constitutionnel, n° 2012-647 DC, 28 février 2012, Loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi. ↩
- Cf. Th. Hochmann, « La question mémorielle de constitutionnalité (à propos de la décision du 28 février 2012 du Conseil constitutionnel », Droit & Philosophie, Annuaire de l’Institut Michel Villey, 2013, pp. 133-146. ↩
- On est en profond désaccord avec l’idée qu’entre la décision du Conseil constitutionnel et l’arrêt de la Grande Chambre dans l’affaire Perinçek, « le raisonnement est absolument identique ». Cf. Roseline Letteron, « Négation du génocide arménien et liberté d’expression », Libertés, Libertés chéries, 20 octobre 2015. ↩
- Cass. crim., 6 octobre 2015, n° 4632. ↩
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