Refus de reconnaître un lien de filiation (art. 8) : Arrêt C.E. c/ France du 24 mars 2022, n° 29775/18 29693/19
Par Nadia Kribeche, Avocate au barreau de Paris
Nous avons tous en mémoire le retentissant arrêt Mennesson et Labassee rendu en Grande Chambre par la Cour européenne des droits de l’homme le 26 juin 2014, qui a conclu à la condamnation de la France pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans son volet vie privée en raison du refus de reconnaître la filiation des enfants nés d’une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger.
Dans l’arrêt qui nous intéresse ici, C.E et autres c/France, rendu le 5 septembre 2022, la Cour est à nouveau appelée à se prononcer sur le rapport entre filiation, lien génétique, identité individuelle, vie privée et familiale. Cependant, dans cette affaire les enfants sont nés d’une assistance médicale à la procréation (AMP) pour l’un à l’étranger, et pour l’autre par donneur amical en France.
Dans cette affaire, deux couples de femmes avaient saisi séparément la Cour contre d’une part, pour le couple A.E et C.B un arrêt de la Cour de cassation qui avait confirmé l’arrêt de la Cour d’appel qui avait rejeté la demande d’adoption plénière de l’enfant issu de l’AMP en France. D’autre part, le Tribunal de Grande Instance de Rennes avait rejeté en dernier recours une demande d’acte de notoriété de la possession d’état de mère de l’enfant né par AMP à l’étranger.
La Cour européenne a décidé de statuer sur ces deux affaires dans un même arrêt même si dans le corps de sa décision, elle prend le soin de distinguer les faits propres à chaque affaire.
Ce qui est en jeu dans ces deux affaires, c’est la reconnaissance juridique d’un lien de filiation de deux couples de femmes non mariés et séparés, avec un enfant issu d’une AMP (dont l’un à l’étranger et l’autre en France). Cet arrêt marque une rupture dans l’attitude progressiste de la Cour européenne, au prix d’une illisibilité de ses méthodes d’interprétation.
Pourtant, la Cour a pris soin de décrire et d’établir un état des lieux de la législation nationale, et de la pratique juridique en matière de filiation((La loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a modifié l’article 342-10 et suivants du code civil. Désormais, l’article 342-10 du code civil précise que : « Les couples ou la femme non mariée qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur doivent donner préalablement leur consentement à un notaire, qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation ainsi que des conditions dans lesquelles l’enfant pourra, s’il le souhaite, accéder à sa majorité aux données non identifiantes et à l’identité de ce tiers donneur. Le consentement donné à une assistance médicale à la procréation interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation, à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de l’assistance médicale à la procréation ou que le consentement a été privé d’effet. Le consentement est privé d’effet en cas de décès, d’introduction d’une demande en divorce ou en séparation de corps, de signature d’une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel selon les modalités prévues à l’article 229-1 ou de cessation de la communauté de vie, survenant avant la réalisation de l’insémination ou du transfert d’embryon. Il est également privé d’effet lorsque l’un des membres du couple le révoque, par écrit et avant la réalisation de l’assistance médicale à la procréation, auprès du médecin chargé de mettre en œuvre cette insémination ou ce transfert ou du notaire qui l’a reçu »)), en évoquant notamment loi du 2 août 2021 qui permet désormais aux couples de femmes et à leurs enfants nés par AMP d’établir leur filiation.
I. Le réel possible de la filiation : une absence d’ingérence dans la vie familiale et privée
La Cour reconnaît tout d’abord à la mère légale qui est également la mère biologique la qualité de victime au regard de l’article 34 de la Convention européenne. Elle rejette ainsi l’argument du gouvernement qui consistait à nier la qualité de victime, dans la première affaire, au motif que le lien de filiation était déjà établi en France à l’égard de l’enfant dont elle avait accouché. La Cour explique au contraire très justement que la requérante C.B subi directement les effets de la mesure litigieuse en étant partie prenante de la communauté de vie dans le cadre du lien familial.
Cependant, aucune atteinte à la vie familiale et à la vie privée de l’ensemble des requérants n’a été retenue par la Cour. Alors que la loi française est devenue libérale au moment où la Cour statue, et que le consensus français est inattaquable sur ce point, elle va juger comme s’il ne s’était rien passé en droit interne et dans les esprits français.
Il semble que la Cour admette que le fait constitue le droit, le virtuel un réel juridique. En effet, elle confond le vécu de la famille avec l’établissement de la filiation pour ne pas répondre clairement sur ce dernier point (A). En conséquence, elle admet implicitement une inégalité de traitement entre les enfants selon les circonstances de leur naissance (B).
A. La confusion volontaire faite par la Cour entre l’exercice de la parentalité et l’établissement de la filiation.
Cette confusion volontaire faite par la Cour entre l’exercice de la parentalité et l’établissement de la filiation traverse le droit au respect de la vie familiale, ce qui pour l’examen de la vie familiale fait naître une simple obligation négative de l’État. Pour l’examen du respect du droit à la vie privée des enfants (1), cette confusion sert à la Cour, après avoir pourtant retenu une obligation positive pesant sur l’État contractant, de la vider de sa substance (2).
1-L’examen de la vie familiale au regard de l’obligation négative : une ligne de partage entre filiation biologique et génétique, d’une part, et filiation « artificielle » d’autre part.
Il est de jurisprudence constante que l’applicabilité de l’article 8 de la Convention européenne volet « vie familiale » présuppose l’existence d’une famille. La question du lien entre l’établissement d’un lien de filiation et l’article 8 volet « vie familiale » résulte de l’examen des conditions concrètes de la vie familiale, de la possibilité d’exercer une vie familiale dans l’intérêt de l’enfant : « ce qui importe à cette fin dans ce type, c’est la réalité concrète de la relation entre les intéressés » (Menesson c/ France préc.) . La Cour rappelle souvent que l’existence « de liens familiaux de facto » depuis la naissance des enfants suffit à conclure à l’applicabilité de l’article 8 de la Convention, dans son volet vie familiale.
Il semble que depuis l’arrêt Mennesson et l’avis consultatif de la Cour rendus sur cette même problématique(Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre en enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention, CEDH, grande chambre, 10 avril 2019)à la demande de la Cour de cassation, une ligne de partage entre filiation naturelle -où la nature c’est la biologie- et la filiation non biologique ou génétique, ait été dressée pour l’examen du droit au respect de la vie familiale.
En effet, par exemple, dans l’arrêt du 24 octobre 1994 Kroon et autres c/ Pays-Bas, la Cour, après avoir rappelé que la notion de « vie familiale » visée par l’article 8 ne se bornait pas aux seules relations fondées sur le mariage et peut englober d’autres « liens familiaux » de facto lorsque les personnes cohabitent en dehors du mariage, affirme l’existence d’une obligation positive qui pèse sur les États contractants. Cette dernière exige que la réalité biologique et sociale prévale sur une présomption légale heurtant de front tant les faits établis, que les vœux des personnes concernées.
Pour condamner les Pays-Bas, la Cour avait ainsi jugé qu’une solution qui n’autorise un père à créer un lien légal avec un enfant que s’il épouse la mère de son enfant, ne peut passer pour compatible avec la notion de respect de la vie familiale. La seconde solution, une autorité parentale conjointe n’était pas davantage acceptable. Elle considérait que « à supposer que la législation en préparation entre en vigueur, l’autorité parentale conjointe laissera intacts les liens légaux entre l’enfant et l’ex-époux de la requérante et continuera d’empêcher la formation de semblables liens entre l’enfant et son beau-père ».
Ainsi, la Cour ne faisait pas du lien biologique ou génétique un indice exclusif de la vie familiale. L’expérience familiale est en principe tout aussi déterminante. Cependant, le droit au respect effectif à une vie familiale dans le cadre de la filiation doit être examiné sous le prisme de l’examen de l’ingérence par l’État français. En l’espèce, dans l’affaire C.E examinée, les mères d’intention n’ayant pas de lien ni biologique ni génétique avec l’enfant, le droit à la vie familiale doit être examiné sous l’angle des obligations négatives de l’État défendeur. Or juge la Cour, il ne peut y avoir d’ingérence de l’État, les couples et les enfants vivant sans obstacle leur vie familiale, organisant même les effets de leur séparation sans que la législation ne les en empêche.
En transposant sa jurisprudence Mennesson dans laquelle elle a largement exposé les motifs de sa décision de manière très circonstanciée, pour écarter toute violation de l’article 8 de la Convention européenne, la Cour examine l’atteinte à la vie familiale de façon succincte, et rejette toute violation de celle-ci. Elle considère en effet que le lien de famille est maintenu et protégé à travers l’existence d’une situation de fait : l’existence de liens personnels effectifs qui tiennent de facto du lien parent -enfant.
Par conséquent, les obligations positives en matières familiales n’intéressent que l’établissement d’un lien de filiation biologique ou génétique, et sont exclues du champ lorsqu’il s’agit d’un couple homosexuel. La Cour considère que la question de l’établissement de la filiation non biologique relève davantage de la vie privée que de la vie familiale. Dès lors, elle conclut au rejet d’une atteinte au respect de l’article 8 sur ce point.
Dans cette perspective, l’État doit prendre des mesures positives pour permettre l’exercice paisible du droit au respect de la vie privée. Encore faut-il qu’elle ne soit pas vidé de sa substance
2. La reconnaissance d’une obligation positive du respect de la vie privée vidée de sa substance : la confusion volontaire entre identité personnelle et identification de la parentalité.
C’est à la lumière de l’arrêt Mennesson que la Cour rappelle dans les deux affaires qui nous intéressent ici que pèsent sur les États une obligation positive au regard de l’art 8 de la Convention européenne des droits de l’homme volet vie privée des enfants : « le droit au respect de la vie privée ( des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui) qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité y compris sa filiation, se trouvait significativement affecté par la non -reconnaissance en droit français du lien de filiation entre ces enfants et les parents d’intention » (§99).
En l’espèce, la Cour reconnaît que les enfants M.B et T.G ont été durablement privés de la possibilité d’obtenir la reconnaissance en droit de la relation de nature filiale : « La Cour relève tout d’abord, ainsi que cela ressort des éléments fournis par le Gouvernement, qu’au moment où les requérants ont saisi les juridictions internes puis la Cour de leurs prétentions, le droit français ne permettait pas d’établir juridiquement un lien de filiation entre un enfant mineur et l’ancienne compagne de sa mère biologique sans que ne soit affectée la situation juridique de cette dernière. Quelle qu’ait été la relation que l’un et l’autre avaient développée, les intéressés ne pouvaient, pour ce faire, recourir ni à l’adoption plénière, ni à l’adoption simple, ni à l’action en possession d’état. Il convient de plus de noter que le Gouvernement ne prétend pas qu’une autre voie aurait été ouverte à cette fin » (§48).
C’est au regard des effets de la mesure de privation de tout lien juridique de filiation que la Cour avait dans l’arrêt Mennesson procédé à un contrôle rigoureux de l’obligation positive. Elle déclarait, en effet, que la privation de lien successoral avec un des parents porte atteinte à l’identité de l’enfant et donc à son intérêt, que « l’enfant né à l’étranger par gestation pour autrui ne peut hériter d’elle que si elle l’a institué légataire, les droits successoraux étant alors calculés comme s’il était un tiers, c’est-à-dire moins favorablement (…). Il s’agit là aussi d’un élément lié à l’identité filiale dont les enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger se trouvent privés » ( §98).
Toutefois, elle va reprendre la même argumentation que celle utilisée pour la vie familiale et confondre exercice de la parentalité et vie privée. Cela a pour conséquence de ne pas s’attarder sur l’incertitude juridique prolongée dans laquelle se trouvent pourtant les enfants requérants résultant notamment de la longueur des procédures internes et des trois années écoulées. Or, la Cour avait fait de l’incertitude prolongée un élément de l’atteinte à l’identité personnelle de l’enfant. En effet, elle avait par exemple, jugé que « l’inefficacité des tribunaux a laissé la requérante dans un état d’incertitude prolongée quant à son identité personnelle et ne lui a pas garanti le respect de sa vie privée » (arrêt Mikulic c/ Croatie du 7 février 2002).
Dans le cadre de l’arrêt commenté, entre la saisine de la Cour européenne et le prononcé de son arrêt, la France a fait sa révolution copernicienne. Il résulte des travaux très appuyés du Conseil d’État publiés en 2018((Révision de la loi bioéthique : quelles options pour demain ? Les études du Conseil d’État, la documentation française, 28 juin 2018)) qui s’était prononcé en faveur de la reconnaissance conjointe par un couple de femmes non mariés (peu importe qu’elles soient séparées), des décisions jurisprudentielles françaises, comme les deux arrêts de la Cour de cassation de 2019((Cour de Cassation n°10-19.053, assemblée plénière, 4 octobre 2019))et de la loi du 2 août 2021, que l’esprit français, l’éthique française, et enfin la loi ne posaient plus d’obstacle aux requêtes présentées par les couples de femmes et leurs enfants.
Ce faisant, la Cour pour écarter la violation de la Convention use d’une ruse rhétorique puisqu’elle glisse d’une demande de reconnaissance d’un lien juridique de filiation à une demande de reconnaissance d’un lien de parentalité, et rend ainsi son discours postérieur à l’arrêt Mennesson, instable. En effet, pour elle l’apparence d’une parentalité de fait agit de la même manière qu’une reconnaissance juridique : « s’apparente dans une certaine mesure, à une reconnaissance en droit de leur relation » (§107). A nouveau, il n’y a plus de distinction entre le fait et le droit.
Il en résulte que les enfants issus d’une AMP (avant la loi 2021) n’ont pas un droit à l’établissement d’un lien de filiation avec la mère d’intention, mais seulement un droit d’identifier ceux qui les élèvent. La possibilité de l’exercice de l’autorité parentale vaut le respect de l’identité personnelle.
Il convient donc de constater que pour la Cour, le critère génétique et biologique est toujours un facteur prédominant dans l’examen de la violation de la vie privée des enfants. La distinction entre vie familiale et vie privée est dès lors, dans cet arrêt, artificielle et de pure rhétorique. Dans l’affaire Mennesson, elle avait déclaré que « au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun, on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance » (§100). Il est décevant qu’après son travail de fond contraignant la France à modifier sa législation en matière de filiation pour la rendre plus progressiste, la Cour procède à une sorte de dédit. Le contournement de la Cour a été possible grâce à une seconde ruse : requalifier la demande de reconnaissance de la filiation en une demande de condamnation de la France de ne pas avoir légiférer plus tôt.
L’obligation positive est donc limitée, comme dans le cas de l’arrêt de 1997 concernant le père transsexuel, à une obligation négative de non-ingérence dans la vie familiale parentale.
B. L’acceptation d’une discrimination à l’encontre des enfants issus d’une AMP
Sur la question de la violation de la vie privée des enfants issus d’une AMP, la Cour va suivre un raisonnement confus et inductif qui caractérise une prudence et une satisfaction à l’égard des standards français. La Cour salue l’évolution de la législation sur la filiation dans le cadre des PMA et GPA depuis les arrêts Mennesson et Labassée, au risque d’écarter le principe cardinal de l’intérêt supérieur de l’enfant.
1. Le droit de ne pas dépendre des circonstances de sa naissance : une jurisprudence reniée.
Dans l’arrêt Mennesson, la Cour avait mis en lumière le droit de l’enfant à ne pas dépendre des circonstances de sa naissance et du choix de ses parents d’intention : « les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur les enfants eux-mêmes» (§99).
Or cet arrêt C.E. contre France marque une rupture évidente dans la jurisprudence relative à l’intérêt de l’enfant qui interdit les différences de traitement selon les circonstances de leur naissance. On pense immédiatement à l’arrêt Mazurek c/ France du 1er février 2000 qui avait rendu leur dignité aux enfants adultérins en les considérant à égalité avec les enfants légitimes en matière successorale. Elle déclarait à l’occasion que « l’enfant adultérin ne saurait se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables ». L’inégalité de traitement n’avait pas de lieu d’accroche dans le cadre d’un litige dans lequel un enfant y était partie. L’intérêt de l’enfant était remis à sa juste place, celle de l’intérêt supérieure de l’enfant, supérieure à tout autre mis en balance avec celui-ci. Seuls les parents pouvaient souffrir une inégalité de traitement lorsque l’intérêt de l’enfant le commandait.
Ainsi dans l’arrêt Rasmussen c/ Danemark du 28 novembre 1984, la Cour avait reconnu que le Danemark opérait une différence de traitement, la loi n’imposant un délai dans le cadre d’une action en désaveu, qu’au mari. Et ce n’est que dans le cadre de l’examen de l’existence d’une justification objective et raisonnable que la Cour introduisait la marge d’appréciation fondée sur les intérêts légitimes et le but poursuivi par le Danemark : l’intérêt supérieur de l’enfant. Par conséquent, lorsque l’intérêt de l’enfant se confond avec la marge d’appréciation, c’est dans le seul intérêt de l’enfant. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Par ailleurs, la Cour n’a eu de cesse de rappeler que l’incertitude de l’état de la filiation et l’absence de sécurité effective posaient un problème grave au regard de l’intérêt de l’enfant. Par exemple, dans l’arrêt Mennesson elle déclarait que la privation de lien successoral avec un des parents porte atteinte à l’identité de l’enfant et donc à son intérêt, rappelant que « les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur les enfants eux-mêmes dont les respect de la vie privée qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité y compris sa filiation », ce qui pose « une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêts supérieur de l’enfant dont le respect doit guider toute décision le concernant » (§99).
De plus, elle avait jugé que la durée d’une procédure de recherche de paternité, avait porté atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant en estimant que « que la procédure applicable ne ménageait pas un juste équilibre entre le droit pour la requérante à voir mettre fin, sans délai inutile, à l’incertitude concernant son identité personnelle et celui de son père supposée à ne pas subir de test ADN » (arrêt Mikulic, préc.). On peut s’étonner donc que la Cour n’ait pas cru devoir relever que depuis la loi du 2 août 2021, l’incertitude prolongée qui entache l’identité personnelle des enfants en raison des procédures françaises antérieures constitue une atteinte manifeste et ontologiquement infondée au moment du prononcé de sa décision. On aurait pu espérer un tel raisonnement dans l’arrêt C.E c/ France. Malheureusement et contrairement à son habitude, la Cour va faire de l’intérêt supérieur de l’enfant non un principe, mais un critère d’évaluation du consensus européen. Il est décevant que la Cour ait décidé de renverser la hiérarchie des valeurs en matière de droits de l’homme en gardant une place en haut de la pyramide à la marge d’appréciation de l’État français, dans un domaine où pourtant elle avait fait évoluer sa propre législation. En réalité, ce raisonnement est guidé par un autre principe cher à la Cour en matière de filiation selon lequel la reconnaissance juridique d’un lien de filiation est primordiale lorsque des bornes suivantes sont posées : la mère légale est celle qui accouche ou celle qui a lien génétique avec l’enfant ou celle qui est mariée avec le père génétique de l’enfant. Une discrimination entre les requérants selon qu’ils réclament une filiation génétique (ou biologique) ou une filiation de type contractuelle serait donc objectivement justifiée et raisonnable et poursuivrait un intérêt légitime. Si la Cour ne se prononce pas sur ce point, l’examen de l’arrêt ne fait pas de doute sur le principe selon lequel l’intérêt de l’enfant est supérieur dans les bornes précitées. Dans tout autre cas, il est dégradé. Ici, le raisonnement de la Cour rappelle en tout point celui qu’elle avait suivi dans une affaire de reconnaissance à l’état civil de la filiation entre un père transsexuel et un enfant né d’une insémination artificielle d’un donneur tiers à sa compagne((CEDH, 22 avr. 1997, X, Y et Z c. Royaume-Uni, n° 21830/93)). Dans l’arrêt rendu dans cette affaire la Cour avait renvoyé la question de la filiation à l’exercice de l’autorité parentale. Le père ayant le choix de se comporter en père en usant des possibilités que la loi lui offrait, il ne pouvait au regard de l’absence de consensus sur ce sujet, se plaindre d’une violation de la vie familiale. Elle en avait déduit exactement dans la même veine que dans l’arrêt à l’étude « le transsexualisme soulevant des questions complexes de nature scientifique, juridique, morale et sociale, qui ne font pas l’objet d’une approche généralement suivie dans les Etats contractants l’article 8 ne saurait passer pour impliquer que le Royaume-Uni est dans l’obligation de reconnaître officiellement comme le père de l’enfant une personne qui n’en est pas le père biologique » (§52).
Pour appliquer ce raisonnement aux affaires C.E et autres c/ France, la Cour va devoir substituer la vie familiale à la vie privée. Le point commun entre les deux affaires réside dans l’absence de lien génétique ou biologique entre les parents et l’enfant. Dès lors, la Cour semble déborder du cadre de la logique juridique dans l’arrêt, car elle omet de décrire que son principe directeur en matière de filiation, c’est la filiation biologique. Ni le temps entre l’arrêt X,Y et Z c/ Royaume-Uni du 22 avril 1997 et celui qui nous intéresse, 2021, soit 24 ans, ni l’évolution dans les deux cas des législations françaises et anglaises et en Europe ne sont pertinents pour reconnaître que l’identité personnelle de l’enfant issue d’une AMP est manifestement incertaine lorsqu’il lui est refusé un lien de filiation avec des parents d’intention.
On comprend que le raisonnement par induction de la Cour a eu pour effet de rendre un arrêt contradictoire, parfois tautologique, et déséquilibré. Dépasser la contradiction aurait nécessité de la part de la Cour de mettre en perspective les revendications légitimes des requérants au regard de l’évolution des mentalités de la société française et de l’adoption d’une loi qui permet à des couples de femmes mariés ayant donné naissance à un enfant par le biais de l’ AMP d’établir leur lien de filiation, à partir du moment où elles désirent s’occuper et éduquer l’enfant. Dans ces conditions, la Cour abaisse ses standards européens pour être compatible avec les pratiques d’autres Etats du Conseil de l’Europe en abandonnant un principe d’interprétation majeure : celui de l’interprétation évolutive qui lui permettait d’examiner le respect des articles de la Convention « à la lumière des conditions de vie d’aujourd’hui ».
2. Grande et petite marge d’appréciation, dénominateur commun et consensus : l’intérêt de l’enfant, grand perdant du raisonnement
Déjà dans l’arrêt Paradiso et Campanelli c/ Italie du 34 janvier 2017, la Cour a esquissé un premier geste en faveur des Etats contractants dans une affaire de filiation par GPA. Dans cette affaire, elle avait laissé une grande marge d’appréciation à l’Italie où les services sociaux avaient retiré un enfant né d’une GPA en Russie de ses parents d’intention dépourvus de lien biologique avec lui.
Il apparaît que le principe qui se dégage des jurisprudences françaises et européennes est que le lien de filiation d’un enfant pour être légalement établi, doit être biologique ou génétique pour l’un des parents au moins et ce, quel que soit la technique de procréation. Par conséquent, le refus de transcrire les actes d’état civil étranger qui mentionneraient en qualité de mère une femme qui n’a pas accouché ou un second lien de filiation paternelle lorsque l’enfant a déjà un père sur le fondement de l’article 47 du code civil apparaît à première vue non discriminatoire. De même le refus de la reconnaissance par une mère d’intention d’un enfant issu d’une AMP lorsque l’enfant a déjà sa filiation établie à l’égard de sa mère biologique, ne parait pas créer une différence de traitement entre les parents. Cependant, elle constitue immanquablement une différence de traitement entre les enfants selon les circonstances de leur naissance lorsque le projet parental est antérieur à sa naissance et a permis la conception. En l’espèce, pour écarter la violation de la vie privée et la discrimination subie, la Cour va emprunter un chemin sinueux, s’écartant de l’interprétation évolutive en privilégiant l’interprétation consensuelle dans lequel marge d’appréciation, intérêt général sont eux-mêmes des outils non convaincants. La lecture de l’arrêt de la Cour est éloquente en ce qu’il apparait assez vite qu’elle tourne en rond autour du principe de subsidiarité. C’est ainsi que si elle semble réduire la marge d’appréciation de l’État au regard de l’intérêt de l’enfant, c’est pour mieux l’élargir par la suite. Dans l’avis consultatif précité, la Cour avait expliqué que si « il était concevable que la France puisse décourager ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire », les effets de la non -reconnaissance affectent tout de même les enfants et leur vie privée. Le but légitime poursuivi par la France n’était pas suffisant pour priver les enfants de leur identité. En l’espèce cependant, son cadre de référence est le pouvoir discrétionnaire de l’État français : « La Cour a précisé que l’intérêt supérieur de l’enfant requiert que ce lien, légalement établi à l’étranger, puisse être reconnu au plus tard lorsqu’il s’est concrétisé, étant entendu qu’il appartient en principe en premier lieu aux autorités nationales d’évaluer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, si tel est le cas et quand » (§101). Elle renvoie, donc, à nouveau à la marge d’appréciation, au principe de subsidiarité. Ici, les outils juridiques comme l’équilibre à ménager entre l’intérêt supérieur de l’enfant et l’intérêt général, l’absence de consensus en Europe, le respect par la France des effets de l’arrêt Mennesson et Labassée, l’adoption d’une législation nouvelle et libérale, seront donc mobilisés tout au long de l’enquête. Or, ce qui frappe c’est le silence dans son raisonnement des autres principes juridiques nécessaire à son interprétation comme par exemple la nécessité dans une société démocratique, l’interprétation évolutive, le contrôle du respect des droits effectifs et concrets.
Dans l’affaire Mennesson, si la Cour avait déclaré que le refus de la France de permettre la transcription des actes d’état civil étranger d’un enfant issu d’une GPA (en l’espèce californien) qui était une mesure prévue par la loi en vertu des principes d’indisponibilité du corps humain et de l’indisponibilité de l’état des personnes, et qui poursuit des buts légitimes visés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention « la protection de la santé et la protection des droits et liberté d’autrui » et nécessaire dans une société démocratique, elle avait pourtant conclut que la marge d’appréciation serait en l’espèce réduite au regard de l’intérêt de l’enfant. Dans l’affaire C.E. contre France, les retours incessants tout au long de l’arrêt entre l’intérêt de l’enfant et le principe de subsidiarité ont pour effet de priver les requérants du raisonnement de l’arrêt Mennesson et sa jurisprudence traditionnelle concernant l’intérêt de l’enfant. Le principe de subsidiarité est évoqué de manière importante par la Cour européenne, comme il l’avait été dans l’avis consultatif. Alors qu’elle constatait dans l’arrêt Mennesson l’absence de consensus en Europe sur la reconnaissance juridique d’un lien de filiation entre les parents d’intention et les enfants légalement conçus à l’étranger en raison de la nature éthique des questions que posait la GPA à l’étranger, la Cour dans son arrêt mettait sur un piédestal l’intérêt supérieur de l’enfant. Il peut, donc, être affirmé que la France ayant voté une loi permissive, la marge d’appréciation devait être favorable ipso facto aux requérants. Le principe de subsidiarité n’avait, donc, à priori, pas à être un obstacle puisqu’elle constatait elle-même que l’État français avait modifié sa législation. Or, c’est l’existence même d’une législation nouvelle permettant à un couple de femmes de reconnaître ensemble l’enfant issue d’une AMP – dès lors qu’une filiation génétique avec la mère légale est établie – qui va priver les requérants d’un constat de violation de l’article 8 de la Convention. Qui peut le plus, ne peut pas le moins. Peut-on en déduire que dès lors que l’État contractant a voté une loi progressiste après la saisine de la Cour européenne, les requérants seraient nécessairement privés des mesures positives pourtant prises pour eux, et alors même qu’ils sont toujours et actuellement victimes d’une impossibilité de reconnaître juridiquement un lien de filiation au moment où la Cour statue ?
La Cour se trouve devant une aporie ce qui rend l’arrêt difficilement défendable. Ainsi, si la Cour distingue la marge d’appréciation dans le respect de la vie familiale et de la vie privée, en reprenant les arguments de l’ancien avis de la Cour de cassation datant de 2018, c’est pour ensuite les confondre en expliquant que le droit français intègre l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’intérêt général à travers l’adoption et la possession d’état. L’intérêt de l’enfant qui guide en principe le respect du principe de l’identité individuelle est devenu un élément de la marge d’appréciation au profit de l’État. En outre, la Cour justifie la marge d’appréciation élargie par la nécessité d’une cohérence des règles en droit de la famille, ce qui au regard de l’évolution législative française ne manque pas de saveur. N’est-ce pas elle, par son arrêt, qui rend les règles françaises incohérentes ? Si elle ne peut que constater la mise en vigueur de la loi du 2 août 2021, elle en déduit qu’il ne saurait être reproché à l’Etat français d’avoir tardé à consentir à cette évolution. L’obligation positive de garantir le respect effectif de leur vie privée va donc perdre de sa force devant la raison d’Etat. En effet, la Cour constate une variation de la notion de « respect » en ce qui concerne les obligations positives du fait de la variation des pratiques suivies et des conditions qui prévalent dans les différents pays. On comprend assez vite que cette obligation positive va se réduire comme peau de chagrin devant la balance entre les intérêts de l’individu et l’intérêt général, qui est supérieur dans les deux affaires qui lui sont soumises.
L’obligation positive de prendre des mesures tendant à permettre l’établissement de la filiation se définit donc ici comme une non-obligation de prendre des mesures avant de voter une loi, dès lors que la parentalité est possible même en apparence. Puis, sans définir le contenu de l’obligation positive, elle se range à la marge d’appréciation. La Cour ne manque pas d’évoquer le débat de société qui a agité la France durant des années notamment à travers des Etats généraux et les travaux du Conseil d’Etat rendus en 2018 et qui ont conduit à l’adoption de la loi du 2 août 2021 précitée. Le rappel de ce cadre de référence laisse à penser logiquement que la Cour considère que la France a résolu les difficultés qui s’opposaient à la reconnaissance de la seconde mère d’intention comme seconde mère légale. C’est ici que sa méthode d’interprétation qui lui permet d’appliquer les droits concrets et effectifs à la lumière des conditions de vie d’aujourd’hui aurait dû être appliquée. Elle n’en fera rien. La Cour va insister sur les interrogations d’ordre éthique que suscitent la question de la filiation de parents qui n’ont pas de lien biologique avec l’enfant (§ 86) et l’absence de consensus en Europe en matière d’établissement d’un lien juridique de filiation entre une mère d’intention et l’enfant. Cela renvoi à son avis consultatif et à sa jurisprudence où elle déclare que le droit pour l’enfant de connaître ses origines biologiques est un droit fondamental contenu dans le respect de sa vie privée. Cela suffit à agrandir la marge d’appréciation de l’État français. En effet pour elle, l’enjeu en cause, à savoir l’identité de l’individu dans le lien enfant-parent, commande de réduire cette marge d’appréciation. C’est donc la question de l’identité et non de la filiation qui tempère la marge d’appréciation. Ce faisant, la Cour poursuit l’examen du respect par l’État d’un juste équilibre entre l’intérêt général et les intérêts des requérants. La mise en balance des intérêts en cause a un double usage, comme raisonnement propre de la Cour et comme contrôle de l’équilibre par l’État. La neutralité axiologique de la Cour sur un sujet sur lequel elle s’est prononcée à plusieurs reprises est vraiment étonnante. Le prix de cette résistance est élevé pour la cohérence et la sécurité juridique. Sans se poser la question de l’application d’une norme plus favorable au jour de la saisine de la Cour, cette dernière semble refuser d’étudier la question de la discrimination qui se pose. En conséquence, la Cour crée inévitablement un morcellement de la filiation selon la technique de procréation.
II – Le morcellement de la filiation selon la technique de procréation ou l’usage de la double dénégation par la Cour européenne pour écarter la violation de la vie privée.
Il résulte de ce qui précède et des arrêts précités que selon que l’enfant est né d’une GPA ou d’une AMP, son droit à un lien juridique de filiation varie selon que le parent est homosexuel ou hétérosexuel. De cette étude, il peut être possible de dégager un corpus juridique européen d’où se dégage un standard européen en matière de droit à la filiation.
A. L’enfant issu d’un projet parental d’un couple hétérosexuel.
Il apparaît que dès lors qu’il y a un couple hétérosexuel, peu importe que la technique de procréation soit interdite ou autorisée, l’établissement d’une filiation d’un père génétique ou de la mère d’intention avec l’enfant est donc de droit (1). Le cas des couples homosexuels dépend en revanche de la question du consensus européen peu importe que la législation nationale soit permissive. Il n’y a pas de droit européen de l’enfant à l’établissement de sa filiation dans ce cadre parental (2).
1. Le droit à la reconnaissance d’un lien de filiation entre le père géniteur et l’enfant dans le cadre d’une GPA.
La Cour rappelle ses principes dégagés dans l’arrêt Mennesson et Labassée contre France en 2014 selon lesquels d’une part, la filiation dans laquelle s’inscrit chaque individu constitue un aspect essentiel de son identité et d’autre part, que « le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation (…) qu’un aspect de l’identité des individus est en jeu dès lors qu’on touche à la filiation » (§46).
Pour la Cour, l’impossibilité générale et absolue d’obtenir un lien entre un enfant né d’une GPA pratiquée à l’étranger avec le père d’intention qui est également le père biologique de l’enfant, est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans l’arrêt Mennesson, la Cour avait mis en perspective le rapport entre l’identité de l’enfant et la demande de transcription dès lors que l’un au moins des parents était le parent génétique, « au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun ». Elle avait donc conclu à la condamnation de la France en vertu de l’article 8 de la Convention. A la suite de cet arrêt, la France modifiait sa législation d’abord de manière limitée. Elle déclarait, en effet, en premier lieu, que « dans l’hypothèse où il n’est pas constaté par les Juges que l’acte de naissance d’un enfant né par GPA « est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité », la demande ne doit pas être rejetée.
Dans un second temps, elle adaptait entièrement sa jurisprudence à celle de la Cour en reconnaissant le droit pour un père d’intention d’inscrire sa filiation à l’égard d’un enfant né d’une GPA seulement si c’est le géniteur. Le lien génétique était donc un critère de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans un troisième temps, elle a ouvert le droit à l’adoption pour le conjoint ou la conjointe du père((Cass.civ, 5 juillet 2017, n°16-16.455)).
2. La reconnaissance d’un droit fondamental à la transcription des actes juridiques étranger qui identifie la mère d’intention comme mère légale dans le cadre d’une GPA à l’étranger.
La Cour européenne avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur le droit à la reconnaissance d’une mère d’intention comme mère légale d’un enfant né d’une GPA à l’étranger. La Cour de Cassation avait, en effet, saisi la Cour d’une question préjudicielle, à la suite de l’affaire Mennesson et Labassée par laquelle elle demandait si le refus de transcrire sur l’état civil l’acte de naissance d’un enfant issu d’une GPA en ce qu’il désigne la mère d’intention comme la mère légale étant entendu que le père géniteur est reconnu comme père légal alors qu’est possible la reconnaissance par l’adoption de la mère d’intention, constituait une violation de l’article 8 de la Convention. Rappelons que dans cette affaire, la mère d’intention, mariée avec le père géniteur avait été déclarée à l’étranger comme la mère légale de l’enfant issu de la GPA. La Cour rappelait dans son avis consultatif que « sa jurisprudence met un certain accent sur l’existence d’un lien biologique entre l’enfant et l’un au moins des parents d’intention ». Dans l’affaire Mennesson et Labassée, elle avait considéré que « l’absence de reconnaissance d’un lien de filiation entre un enfant né d’une GPA pratiquée à l’étranger et la mère d’intention a ainsi des conséquences négatives sur plusieurs aspects du droit de l’enfant au respect de la vie privée » en ce qu’il place l’enfant dans une « forme d’incertitude juridique quant à son identité dans la société ». Dans son avis consultatif, elle déclarait à nouveau que « l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise » et que « ce qui est en jeu dans le contexte de la reconnaissance d’un lien de filiation entre des enfants nés à l’issue d’une GPA et les parents d’intention dépasse en réalité la question de l’identité de ces enfants ». Ici il convient donc de comprendre l’intérêt supérieur de l’enfant comme distinct de l’identité entendue comme identification.
Conséquentialiste, la Cour évoquait la séparation des parents d’intention et la souffrance future de l’enfant que crée l’absence de reconnaissance juridique d’un lien de filiation. En cause, une attitude irresponsable possible de la mère que contient en virtualité l’absence de mère légale, juridique. Elle ajoutait que si le droit de connaître ses origines fait partie de la vie privée, l’absence de lien de filiation prime sur la protection de l’identité de l’enfant. L’identité d’un individu étant le cœur de la vie privée, l’identification des parents de soin (les parents d’intention) comme celui des parents biologiques est insuffisante à favoriser la construction du sujet. L’être et l’étant doivent se confondre pour que la vie privée soit pleinement protégée. Elle en concluait donc que les Etats ont une obligation positive relative à l’article 8 de la Convention d’offrir une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, qu’elle soit génitrice ou pas, afin d’effacer l’incertitude juridique de leur lien de filiation pour les enfants. Si la Cour reconnaît que la France offre bien une mesure positive par l’adoption d’un enfant issu de la GPA à l’étranger, si les conditions sont réunies et que l’intérêt de l’enfant le commande, elle fait, cependant, le constat que cette mesure se limite aux couples mariés. Par ailleurs, le Défenseur des droits avait pointé du doigt la difficulté de l’adoption en France puisqu’elle nécessite l’accord de la mère porteuse. La Cour ne se départit donc pas de sa jurisprudence dans laquelle le lien biologique et génétique prime sur l’intérêt de l’enfant. L’égalité de traitement entre les enfants ne vaut qu’au regard du critère du lien génétique et biologique quel que soit la technique de leur procréation.
En l’espèce, la Cour rappelle l’impossibilité au moment de la saisine de la Cour du couple de femmes d’établir juridiquement un lien de filiation entre enfant mineur et l’ancienne compagne de sa mère biologique. Pourtant, elle n’en tire aucune conséquence logique.
On peut y voir une régression par rapport à l’arrêt Mennesson/ France.
B.L’enfant issu d’un projet parental d’un couple homosexuel
Dans la foulée de l’arrêt Mennesson, la Cour de cassation a dans un arrêt de 2019 autorisé la transcription d’un acte de naissance d’un enfant issu d’une GPA à l’étranger reconnaissant le second père d’intention. En refusant la filiation de la seconde mère d’intention dans l’arrêt C.E, alors que la France l’acceptait au moment du prononcé de son arrêt, la Cour européenne semble refuser que le droit de l’enfant issu d’un couple homosexuel bénéficie du même contenu que celui issu d’un couple hétérosexuel. L’usage excessif de l’interprétation in abstracto dans ce cadre devient un moyen de respecter un consensus européen qui permet à la Cour d’interpréter la Convention à la lumière des conceptions prévalant de nos jours dans les Etats démocratiques. Or, l’interprétation de la Cour a pour cadre de référence d’autres conventions internationales comme la Convention de New York sur les droits de l’enfant, d’ailleurs invoquée par les requérants. En l’espèce, il semble que la Cour ait donné plus de vigueur à une absence de consensus européen sur la question de la filiation dans le cadre d’une d’AMP, qu’au droit national et à la tendance française et internationale où la discrimination des couples homosexuels est interdite. Il apparaît que le critère du consensus ait été instrumentalisé au profit d’un arrêt d’opportunité politique. Le consensus européen ne peut, sans contredire son usage, venir masquer un consensus national ce qui revient à reprendre à l’État sa marge d’appréciation. Cette contradiction interne de l’arrêt semble s’expliquer par le problème d’ordre éthique au niveau européen que pose la filiation des enfants des couples homosexuels. Cependant, la Cour ne pose pas le problème en ces termes explicites et préfère rendre un arrêt d’opportunité diplomatique.
Si l’intérêt de l’enfant a été évoqué à plusieurs reprises, il a été mis en balance avec l’absence de consensus en Europe et la marge d’appréciation de l’État français et ce, alors même que la norme française s’était libéralisée pour ces couples de femmes depuis la saisine de la Cour. L’interprétation in concreto a été le maillon faible de son raisonnement. On comprend ici que la Cour a examiné l’intérêt supérieur de l’enfant à l’aune de la nature homosexuelle du couple et de la double maternité. Sans doute pour ménager la France et saluer les efforts d’adaptation de sa législation à l’évolution de sa société par le vote de cette loi du 2 août 2021, la Cour a préféré ne pas condamner un État qui apparaît comme un des plus évolué en Europe en matière de questions sociétales telle que celle-ci. Cependant en jouant la prudence, la Cour a pris le risque de rendre incohérent son raisonnement, et de préjudicier à la construction du sujet juridique, en l’espèce un enfant.