Le droit pénitentiaire face à la lutte contre la pauvreté : comment placer la dignité au service du reclassement social ?
Depuis un peu plus d’une décennie, les politiques de lutte contre la pauvreté en détention se sont développées dans le but de renforcer la mission confiée à l’administration pénitentiaire. Pourtant, malgré ces efforts, le phénomène carcéral ne cesse d’être un facteur croissant de paupérisation. Analysé sous l’angle des droits fondamentaux, ce constat met en évidence la place encore insuffisante des droits sociaux octroyés aux personnes détenues au soutien du principe de dignité.
Par Julien Marguin, Maître de conférences à l’université de Reims, Centre de Recherches en Droit et Territoire (C.R.D.T)
Ces dernières années, l’exposition du monde carcéral dans le débat public a suscité une prise de conscience sur un malaise sociétal autrefois dissimulé et qui aujourd’hui ravive les initiatives du pouvoir politique. D’une part, le problème de la surpopulation carcérale, dont la Cour EDH s’est saisie dans la retentissante affaire J.M.B et autres c. France[1] en 2020, ne cesse de croître[2] et de mettre en échec les réformes de la justice. D’autre part, le tournant sécuritaire récemment impulsé par le Garde des Sceaux semble avoir déporté les priorités vers d’autres horizons[3]. Derrière l’inconfort symptomatique des politiques carcérales, se dissimule encore un problème plus profond, une facette plus insidieuse, qu’est le rapport entre la prison et la pauvreté.
Il s’agit là, en effet, d’un phénomène structurel qui s’articule autour d’un triptyque déterminant une partie des relations entre les personnes détenues et le service public pénitentiaire : la pauvreté touchant une partie de la population carcérale, l’appauvrissement généré par la détention et la mission de réinsertion incombant à l’administration pénitentiaire. Une circulaire du 7 mars 2022 relative à la lutte contre la pauvreté des personnes détenues et sortant de détention[4] mentionne qu’au 1er janvier 2021, 21,5 % de cette population carcérale était identifiée comme « sans ressources suffisantes » contre 14 % au 1er janvier 2014. Cette première vision d’ensemble peut être agrémentée par une étude de la Fondation de France publiée la même année[5]. Selon les chiffres communiqués, 16 % des personnes détenues n’ont aucune ressource, 31 % perçoivent l’aide légale de 30 euros versée par l’administration, 60 % indiquent être en situation d’endettement, une personne sur cinq n’a ni emploi, ni formation professionnelle, ni enseignement scolaire au cours de sa détention, 40 % déclarent ne recevoir aucune visite pendant leur incarcération, 8 % sont sans domicile au moment de leur incarcération et 26 % confient n’avoir aucune solution de logement en prévision de leur sortie. L’ensemble de ces données conduisent la Fondation à présenter la prison comme « un accélérateur de pauvreté »[6], « un mode de gestion de la pauvreté situé à l’abri des regards », ou encore une « fabrique du sans-abrisme »[7]. Le constat est donc amer. Néanmoins, pour être traitée avec un discernement suffisant, la question de la lutte contre la pauvreté en prison nécessite à la fois de revenir sur le statut de la personne détenue comme sujet de droits fondamentaux et sur la fonction du système carcéral en tant que service public.
Préalablement, le statut de la personne détenue peut se résumer à l’ensemble des droits et libertés fondamentaux, ainsi que les devoirs des personnes écrouées et privées de libertés en établissement pénitentiaire en vertu d’une décision de justice[8]. La situation de « dépendance vis-à-vis de l’administration »[9] qui en découle les place de ce fait, et par principe, dans une situation de « vulnérabilité renforcée »[10]. Quant au phénomène de pauvreté, son appropriation par le droit manifeste une certaine complexité. Comme l’a bien démontré la professeure Diane Roman, celle-ci pose une double interrogation en termes d’imputation et d’obligation. D’un côté, « qui, de l’organisation sociale ou de l’individu lui-même, en porte la responsabilité ? » et, d’un autre côté, « quel devoir pèse sur la société ? »[11]. Le droit s’en est alors saisi par le biais de l’exclusion sociale pour interpréter la pauvreté à travers le prisme des droits fondamentaux. L’article 1er de la loi du 29 juillet 1998 en résume parfaitement la teneur : « la lutte contre les exclusions sociales constitue un impératif national, fondé sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains. Les citoyens, les collectivités territoriales, les organismes de sécurité sociale et de protection sociale et les associations concourent avec l’État à la réalisation de cet objectif »[12]. Cette lutte est ainsi un moyen au service d’une fin supérieure visant à intégrer la pauvreté dans la théorie générale de la démocratie et des droits fondamentaux[13]. Elle prend appui sur le principe « matriciel » de dignité humaine[14] en s’accompagnant d’un ensemble de droits-créances. La pauvreté s’appréhende, autrement dit, comme la « dénégation de la dignité humaine et des droits fondamentaux, parmi lesquels notamment le droit à des ressources suffisantes et à une protection sociale permettant la jouissance effective des droits à la santé, au logement, à l’emploi et à la formation »[15]. Cette logique d’inclusivité, tirant son origine du droit international[16], défendue et médiatisée par la Commission Nationale Consultative des droits de l’homme (CNCDH), conditionne l’existence des droits fondamentaux à leur universalité, leur l’indivisibilité et leur effectivité[17]. En résumé, en parallèle du législateur de 1998, le droit international et européen semble former un consensus autour de critères caractérisant la pauvreté : la dénégation de la dignité, la privation durable et chronique de ressources, de moyens, de choix, ainsi que l’impossibilité manifeste de jouir pleinement de droits civils, culturels, économiques et sociaux[18].
Partant de là, identifier et protéger une personne en situation de pauvreté dans un lieu de privation de liberté exige de prendre en compte deux prérequis. Le premier est de reconnaître la personne détenue comme un véritable sujet de droit dont la dignité doit être respectée ; ce qui ne fut introduit qu’à partir de la loi pénitentiaire de 2009[19]. Le second est le principe selon lequel, excepté la liberté d’aller et de venir, les personnes détenues conservent toutes leurs autres libertés, dans les limites des exigences liées à la détention[20]. Désormais, le Code pénitentiaire prévoit ces garanties générales dans son l’article L. 2, énonçant que « le service public pénitentiaire s’acquitte de ses missions dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution et les conventions internationales ratifiées par la France », et réitère à l’article L. 6 que « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits [dans la limite] des contraintes inhérentes à la détention […] ». En raison de la précarité de principe que génère la détention en termes de droits fondamentaux[21], le droit pénitentiaire identifie alors la situation de pauvreté au regard de critères essentiellement économiques en ciblant les personnes « sans ressources suffisantes ». Il en découle, par exemple, une prise en charge spécifique prévoyant une aide d’urgence de 30 euros pour les personnes ne disposant que de 20 euros sur leur compte nominatif à l’arrivée en détention, accompagnée d’une fourniture de vêtements[22]. Hormis cette hypothèse, l’insuffisance de ressources est fixée à 50 euros de part disponible sur le compte nominatif en 2013[23], puis rehaussée en 2022 à 100 euros[24]. Soit dit en passant, ce nouveau palier augmente de facto le nombre de personnes répertoriées en situation d’indigence, d’autant plus que la directive de 2022 a développé les réunions des commissions pluriannuelles uniques (CPU) dites « pauvreté », sur quatre intervalles temporels : à l’entrée, pendant, à la sortie de la détention ainsi qu’après la libération. La politique de lutte contre la pauvreté dessine alors ses contours. Dans la continuité du régime de 2013, deux lignes directrices sont mises en œuvre : à titre principal, privilégier l’accès des personnes concernées aux activités rémunérées ; à titre subsidiaire, élargir et simplifier le système d’allocation des aides en numéraire[25].
Cette politique, directement associée à la mission de réinsertion, n’est pourtant pas récente (au regard, tout du moins, de la temporalité du droit pénitentiaire…). Elle renvoie à la fonction du système carcéral et plus largement au sens de la peine. Selon l’article 130-1 du Code pénal, cette dernière a pour fonction de « sanctionner l’auteur d’infraction » et « de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ». Elle assigne par-là même un objectif d’amendement et de « reclassement social » de la personne qui a plusieurs fois été rappelé par le droit supranational à travers les Règles pénitentiaires européennes de 2006[26] ou encore par la Cour EDH dans son arrêt Dickson c. Royaume-Uni du 4 décembre 2007[27]. Si l’accent mis sur la réinsertion sociale par la loi pénitentiaire de 2009 a été un premier (mais timide) élan[28], il faut attendre 2013 pour constater une véritable prise de conscience politique. Par le plan pluriannuel de lutte pour la pauvreté et pour l’inclusion sociale du 12 janvier 2013, qui trouve l’année suivante une déclinaison législative dans la loi « ALUR »[29], les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ont vu leurs missions diversifiées. Concomitamment, une politique partenariale avec les Services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) a été mise en place afin de développer une approche décloisonnée et orientée vers des mesures d’accompagnement social, d’accès à l’emploi, de formation professionnelle et de suivi post-libération. La circulaire du 7 mars 2022, dernière en date, est venue poursuivre ces efforts en élargissant le panel des personnes détenues bénéficiaires des aides en nature, en rehaussant le montant de l’aide en numéraire allouée aux personnes détenues dans le besoin de 20 à 30 euros, en simplifiant la procédure d’allocation des aides aux personnes concernées pour identifier les personnes appelant à une vigilance particulière, en favorisant la continuité de prise en charge à la libération et, enfin, en clarifiant le rôle respectif des services pénitentiaires, de leurs partenaires[30] et des services de droit commun. En outre, par-delà cette prise en charge spécifique, c’est aussi l’environnement juridique de la détention et le statut des personnes détenues qui doivent être enrichis en réunissant le statut d’indigence, au-delà, du critère économique, à un ensemble de droits-créances. Cette entreprise, récemment entamée, se fait par le biais d’une « normalisation » du droit pénitentiaire. La réforme du travail pénitentiaire instituée par la loi de 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire[31], complétée par l’ordonnance du 19 octobre 2022 visant à renforcer substantiellement la protection sociale des personnes détenues[32], a contribué à rattraper un retard significatif[33] en termes de garantie des droits sociaux des personnes détenues. Le rapprochement opéré avec le régime de droit commun des travailleurs, prévoyant une consolidation du droit à la protection de la santé dans de nombreux domaines (réparation des accidents de travail, prestation d’assurance maladie, maternité, invalidité, retraite, etc.), ainsi qu’une protection renforcée contre les discriminations et le harcèlement, participent à lutter contre le phénomène de paupérisation induit par la détention[34].
La tâche n’est donc pas aisée, car l’intégration sociale, qu’elle concerne l’insertion de personnes ne l’ayant jamais été réellement, ou leur resocialisation[35], reste multifactorielle et parfois difficilement saisissable dans ces résultats. La confrontation entre les moyens mis en œuvre pour lutter contre la pauvreté et l’augmentation des chiffres liés à la pauvreté à l’entrée, pendant et à la sortie de détention mettent en évidence un paradoxe. Comme a pu l’exposer l’ancien Contrôleur général des lieux de privation de libertés, Jean-Marie Delarue, c’est la mission de réinsertion qui est interrogée dans ses fondements : « toute perspective juridique (en l’espèce, la mission confiée à la prison de réinsérer) doit être questionnée non seulement du point de vue du droit (quelle fin ? quels moyens assignés ?), mais aussi, si l’on veut, d’un point de vue ontologique, afin de savoir si elle peut prendre corps et, pour cela, si elle est pourvue de sens »[36]. Si l’administration pénitentiaire doit se conformer au respect du droit national et supranational, encore faut-il, premièrement, qu’elle en ait les moyens et, secondement, que l’ensemble des droits octroyés aux personnes détenues soient pleinement effectifs. L’enjeu est d’autant plus important que la situation de vulnérabilité induite par la détention est encore accentuée en situation de pauvreté. Pour ce faire, le principe de dignité de la personne humaine ne doit pas être seulement mobilisé pour garantir un niveau acceptable de conditions matérielles de détention. Il doit également servir à garantir l’effectivité d’un ensemble de droits sociaux.
Appréhender le développement d’une approche sociale du droit pénitentiaire appelle donc à prendre en considération la pluralité des mesures mises en place tout en s’interrogeant sur leur effectivité et leurs potentialités d’amélioration. Afin de souscrire à cette réflexion, trois enjeux majeurs peuvent être déclinés. Premièrement, il s’agit de faire état de l’émergence des dispositifs de lutte contre la pauvreté des personnes détenues (I). Deuxièmement, il convient de constater que le régime juridique qui en découle se confronte à un problème plus général relatif à l’insuffisance de la justiciabilité des droits fondamentaux en détention (II). Ces considérations permettent, troisièmement, d’identifier l’angle mort de la réinsertion (III).
I. L’émergence de dispositifs de lutte contre la pauvreté des personnes détenues
Le régime de protection des droits fondamentaux des personnes détenues s’est progressivement développé sous l’égide du principe de dignité des conditions de détention en tant que standard minimum acceptable en adéquation avec les spécificités du service public pénitentiaire. Ce prérequis, certes indispensable, n’est cependant pas suffisant : d’abord, au regard des chiffres montrant le phénomène de paupérisation induit par la détention ; ensuite, en ce qu’il ne peut se détacher des exigences de bon ordre et de sécurité en détention qui demeurent, quoiqu’il en soit, des limitations légitimes d’un point de vue légal aux droits fondamentaux[37]. Le paradoxe difficilement surmontable concernant la lutte contre la pauvreté est qu’elle se heurte à un obstacle de taille qu’est la nature répressive de la peine. Autrement dit, « notre regard sur la prison reste trop exclusivement pénal, et trop peu social »[38] ; de même que cette vision sociale fait encore défaut aux droits fondamentaux des personnes détenues. L’idée est en effet que, conformément à cette vision sociale, se traduit celle d’un système de protection tourné vers la normalisation qui, dit simplement, fournit les moyens d’un retour à une « vie normale »[39] en adéquation avec l’objectif de reclassement social. Si la pauvreté se définit aujourd’hui par les droits fondamentaux, c’est alors par ces derniers que des correctifs sont envisageables. Néanmoins, le principe de dignité humaine, bien que fondant lui-même un ensemble de droits fondamentaux dérivés, ne permet toujours pas de saisir l’ensemble des problèmes relatifs à la pauvreté en détention. Pour être pleinement opératoire, il doit être associé à une approche sociale des droits régissant la détention (A). Les réformes récentes semblent avoir entamé un tournant en ce sens avec un certain nombre de garanties. Parmi ces dernières, il en est une qui mérite d’être pointée au regard de la rupture qu’elle a initiée. La réforme du travail pénitentiaire, par son entreprise de normalisation en fonction des standards du droit commun, a en effet permis de poser les fondements d’un « droit social pénitentiaire » (B).
A. Le développement récent d’une approche sociale de la dignité
Comme cela a été énoncé précédemment, il faut attendre la loi pénitentiaire de 2009 pour que la personne détenue se voie reconnaître un véritable statut de sujet titulaire d’un droit à la dignité. Dans la foulée, le Conseil constitutionnel en a profité pour officialiser cette avancée dans sa décision du 19 novembre 2009. En prenant appui sur le Préambule de la Constitution de 1946, il confirme en effet qu’il revient au législateur « de déterminer les conditions et modalités d’exécution des peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la personne »[40]. En raison de son caractère intangible et intransgressible[41], le principe de dignité incarne ainsi le noyau dur de la garantie des droits. Mobilisé dans la lutte contre la pauvreté, il est au centre d’un schéma de cercles concentriques de droits, notamment sociaux, pour devenir a minima une garantie de non-dégradation de conditions de vie par rapport à la société civile et, dans le meilleur des cas, d’amélioration de ces conditions pour une réintégration dans la société en conformité avec les standards de droit commun. Cette logique ressort expressément des textes. Là où la circulaire du 7 mars 2022 réitère le fait que la lutte contre la pauvreté s’inscrit dans un « souci de garantir à la population pénale des conditions dignes de détention »[42], celle de 2013 en identifie déjà les principaux facteurs de dégradation. Au-delà de l’absence de ressources suffisantes figurent également la perte de minima sociaux, la rupture des liens familiaux, l’absence ou la perte d’un emploi[43]. Pour mener à bien ses objectifs, la lutte contre la pauvreté ne peut se passer d’une vision sociale de la dignité contribuant à réduire cette fracture avec la société civile. Cette approche signifie que les droits sociaux viennent eux-mêmes garantir des conditions de vie conformes à la dignité et soutenir une réhabilitation à la vie en société[44].
Considérer la dignité dans sa dimension sociale nécessite de revenir sur certains présupposés, afin de voir comment cette dernière sert ou pourrait servir de fondement à la lutte contre la pauvreté en détention. Tout d’abord, il s’agit d’aborder le concept de dignité à travers une double signification : dans une dimension négative, il protège contre la dégradation de l’intégrité de la personne ; dans une dimension plus positive, il garantit un ensemble de moyens d’existence en société et par la société, en prévenant contre toute forme d’exclusion. Cette seconde acception conduit à considérer l’exclusion sociale comme une atteinte à la dignité et, par extension, aux droits fondamentaux. À ce titre, sur le plan historique, cette dimension de la dignité a servi de matrice conceptuelle à la formulation des droits sociaux d’après-guerre dans les textes internationaux en l’insérant dans un contexte économique et social[45]. Elle embrasse, autrement dit, l’homme dans son existence en renvoyant « à la personne en acte, à son agir, à son épanouissement autonome, à ses capacités [ainsi que] dans des actes humains, grâce en particulier à des conditions extérieures »[46]. Ce lien entre dignité et droits sociaux trouve par exemple une consécration explicite à l’article 22 de la DUDH[47]. Dans cette lignée, le Comité des ministres au Conseil de l’Europe, le 19 janvier 2000, invite les États à reconnaître au sein de leur législation un droit à la satisfaction des besoins matériels élémentaires des personnes en situation d’extrême pauvreté, considérant que de tels besoins répondent à un devoir d’humanité de la société, découlent de la dignité inhérente à tout être humain et constituent la condition d’existence de l’homme, ainsi que de son épanouissement[48]. De son côté, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne énonce en son article 34, avec des termes rappelant familièrement le Code pénitentiaire, qu’« afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à toute personne ne disposant pas de ressources suffisantes ». L’indivisibilité des droits prônée par le droit international invoque par la même occasion la dignité pour fonder une obligation de solidarité[49]. Dès lors, « il s’agit bien de l’accès au droit commun de tous et non de droits minimums, le droit à un hébergement n’est pas un droit au logement digne ; le droit à la subsistance, ou à un revenu ou à un emploi précaire qui ne permet pas de couvrir les besoins essentiels, ne garantissent pas l’accès à l’ensemble des droits reconnus comme fondamentaux »[50]. Soit dit en passant, si cette logique peut se déduire des textes nationaux, elle en demeure en revanche moins explicite. Le Préambule de 1946 fonde bien le principe de dignité tout en renvoyant, en son alinéa 11, au devoir pour la Nation de garantir « à tous », notamment en raison de sa situation économique, le « droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
Ensuite, l’appropriation et le respect de ces prescriptions par le droit pénitentiaire, en vertu du principe énoncé à l’article L. 2 du Code[51], permettent de décliner la dignité d’une part, dans un sens matériel, comme un ensemble d’exigences standards liées aux conditions de vie en détention et tendant à répondre principalement au problème de surpopulation carcérale (surface minimum par personne détenue, accès aux promenades ou aux activités, etc.[52]). D’autre part, elle sert de support à des droits sociaux participants non seulement à garantir « l’humanité » de la peine, mais surtout à pallier le phénomène d’exclusion sociale constaté avant, accentué pendant, ou encore menaçant à la sortie de détention. Plus large et diversifiée dans son champ d’action, elle est aussi plus difficile à mettre en pratique et demeure moins tangible dans ses résultats. Dans les textes, l’administration est soumise à des obligations légales et réglementaires imposant un certain niveau de prestations pour les personnes identifiées comme ne disposant pas de « ressources suffisantes ». Différentes mesures sont alors prévues. De manière générale, l’administration doit informer et accompagner les personnes concernées de sorte que ne soient pas affectées leurs conditions d’éligibilité à certaines prestations sociales[53]. À côté de l’aide en numéraire énoncée précédemment, des aides en nature sont imposées afin de « préserver la dignité »[54] : les kits d’hygiène mensuels distribués aux arrivants et renouvelés sur demande tous les mois[55] ou encore la remise sur demande ou sur constat des agents de vêtements adaptés au genre, à la taille ou à la saison[56]. Concernant l’accès à la santé, le principe est que les personnes détenues ont droit à des soins équivalents à ceux de la population libre. En effet, toute personne écrouée est affiliée au régime d’assurance maladie général et voit ses frais pris en charge intégralement aux tarifs de la Sécurité sociale en tiers payant intégral. Pour des besoins spécifiques (prothèses auditives, dentaires ou équipements optiques), le SPIP assiste les personnes dans leurs démarches pour ouvrir ou renouveler une couverture complémentaire santé[57]. Si la personne détenue ne peut supporter les frais supplémentaires, l’établissement pénitentiaire peut également intervenir et s’y substituer[58]. Concernant ensuite l’accès à l’éducation, l’article L411-1 du Code pénitentiaire dispose que « toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui sont proposées » au regard de son profil avec priorité faite aux enseignements fondamentaux si ces derniers ne sont pas maîtrisés. L’exemple est intéressant, car malgré ces obligations, il semble que l’effectivité du dispositif se heurte à un manque de moyens face à l’ampleur du phénomène d’exclusion et eu égard à l’obstacle significatif qu’il constitue pour le reclassement social. Selon l’Observatoire International des Prisons (OIP), 90 % des détenus ont un niveau inférieur au baccalauréat et 44 % sont sans diplôme[59] ; de même que, selon les chiffres du ministère de la Justice, l’illettrisme touchait en 2022 près de 10,5 % de la population pénale. Dans une autre perspective, le droit à une vie familiale, lui aussi, souffre des réalités. Si, par principe, l’accès aux unités de vie familiale (UVF) ne peut faire l’objet de discrimination en raison des ressources, et si l’établissement peut prendre en charge les frais de cantine à hauteur de 12 euros par personne, les chiffres de la Fondation de France[60] montrent que plus de la moitié des personnes en situation d’indigence sont en proie à l’isolement social et ne reçoivent pas de visites. À noter, par ailleurs, qu’il appartient néanmoins aux communes de prendre en charge les frais d’obsèques d’une personne détenue si sa famille se trouve dans une situation financière similaire[61].
Ces quelques illustrations montrent l’intégration de l’approche sociale dans le régime de détention. Indispensable, elle a le mérite d’assouplir le caractère dérogatoire du droit pénitentiaire et limiter l’effet de marginalisation. Confrontée au phénomène de pauvreté, elle vient s’agréger et compléter un panel de prestations inhérentes à une vie décente et digne, mais peine encore à inverser le processus de précarisation.
B. La normalisation du travail pénitentiaire comme fondement d’un « droit social pénitentiaire »
Parmi les facteurs majeurs de réinsertion figure le travail pénitentiaire. Il incarne en ce sens la formation à un habitus socio-économique indispensable au reclassement social[62]. Comme le mentionne expressément l’article L. 412-2 du Code pénitentiaire, « il vise à préparer l’insertion ou la réinsertion professionnelle et sociale de la personne détenue en créant les conditions de son employabilité et concourt à la mission de prévention de la commission de nouvelles infractions confiée au service public pénitentiaire ». Plus largement, il est « un vecteur de dignité, permettant l’entretien de l’autonomie, de la vie personnelle et sociale de la personne en détention »[63]. Il participe en ce sens à une démarche volontaire de réinsertion de la part de la personne détenue qui doit en faire la demande auprès de l’établissement ; ce dernier devant alors prendre toutes les dispositions pour lui garantir l’exercice d’une activité professionnelle[64]. Le travail pénitentiaire a cependant souffert d’une forte précarité jusqu’à la réforme instituée par la loi de réforme de la justice du 22 décembre 2021[65] avec l’instauration du contrat d’emploi pénitentiaire. Cette entreprise de normalisation, par un alignement sur le droit du travail de droit commun, a longtemps été attendue[66] en réaction à un travail jugé jusqu’alors « sans droit ni contrat »[67]. Malgré les recours[68], elle demeurait effectivement en inadéquation avec le principe de dignité, autant qu’avec les Règles pénitentiaires européennes, notamment celle prescrivant que « l’organisation et les méthodes de travail dans les prisons doivent se rapprocher autant que possible de celles régissant un travail analogue hors de la prison, afin de préparer les détenus aux conditions de la vie professionnelle normale »[69]. L’ancien régime applicable illustrait de manière opportune l’absence d’un véritable « droit social pénitentiaire »[70]. Plus encore, il s’agissait d’une contradiction fondamentale avec le principe de réinsertion : comment aborder le monde du travail en détention selon des règles différentes de celles des travailleurs libres ? La création de ce contrat est ainsi justifiée par une volonté de « préparer la réinsertion des personnes détenues en créant les conditions de leur employabilité à l’issue de la détention »[71]. Un décret du 25 avril 2022 est venu préciser le cadre d’une relation contractuelle entre les personnes détenues et les entreprises, les structures d’insertion et l’administration pénitentiaire[72]. En complément, le gouvernement a reçu l’habilitation à légiférer par voie d’ordonnance dans la perspective « d’ouvrir ou de faciliter l’ouverture des droits sociaux aux personnes détenues afin de favoriser leur réinsertion »[73].
Sans revenir sur les détails de la réforme[74], cette entreprise de normalisation vient, bien que tardivement, opérer deux évolutions indispensables. Concernant les droits sociaux, tout d’abord, des progrès se constatent en termes d’accidents du travail, de maladie professionnelle et d’assurance vieillesse. La protection sociale est globalement étendue pour les cas de maladie, maternité, invalidité, décès ou encore de retraite. Pour les accidents du travail, par exemple, une personne détenue peut désormais bénéficier, durant sa détention, d’indemnités journalières perçues antérieurement à son incarcération[75], ou bien directement le jour qui suit l’arrêt de travail si l’accident survient en détention[76]. Néanmoins, ces nouvelles dispositions ne demeurent pas applicables aux étrangers en situation irrégulière qui représentent, en tout état de cause, une part significative des personnes en situation d’indigence. En outre, au sujet de l’assurance vieillesse, l’ordonnance prévoit l’application d’une assiette minimale de cotisations pour l’acquisition de droits à l’assurance vieillesse, ainsi qu’au régime de retraite complémentaire[77]. Concomitamment, l’alignement sur le droit commun conduit à une protection mieux définie et encadrée contre les discriminations au travail. Rappelant les mises en garde de la CEDH une décennie auparavant[78], le Code pénitentiaire se fait désormais le miroir du Code du travail en préservant les personnes détenues de « toute discrimination directe ou indirecte »[79], sauf à répondre d’« une exigence de l’activité de travail essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée »[80]. À l’exception de cette condition, le principe de non-discrimination vient protéger les personnes les plus vulnérables, en raison de l’âge[81] ou encore de l’inaptitude constatée par le médecin au regard de l’état de santé ou du handicap[82]. Sont aussi instaurées des règles de discriminations positives visant à favoriser l’égalité de traitement envers les personnes handicapées[83] et les « personnes vulnérables en raison de leur situation économique »[84] qui bénéficient d’un « accès prioritaire aux activités rémunérées » (à capacité et compétences égales)[85]. Il paraît ainsi bienvenu que l’ordonnance vienne, encore une fois un peu tardivement, agrémenter le droit pénitentiaire de dispositions plus protectrices et plus respectueuses du droit conventionnel, notamment au regard des prescriptions de l’article 14 de la Convention EDH interdisant, entre autres, toute discrimination fondée sur « l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » ou, dans des dispositions relativement similaires, celles de l’article 21 de la Charte DFUE. Soit dit en passant, dans cette continuité, le Code pénitentiaire intègre également à son article L. 142-36 des dispositions quasi-identiques à celles de l’article L. 1152-1 du Code du travail protégeant contre les agissements de harcèlement moral ayant « pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale ». À noter que l’effet ou l’objet de « compromettre l’avenir professionnel » présent dans la Code du travail n’a en revanche pas été repris dans le Code pénitentiaire.
Cette valorisation du statut de travailleur détenu est une valeur ajoutée à celui de sujet de droit octroyé aux personnes détenues. En tant que facteur de renforcement de la dignité et par extension de démarginalisation, elle participe de ce fait à consolider le parcours d’insertion. À l’instar du régime de droit commun en matière de discrimination[86], il convient d’espérer un développement du contentieux renforçant la titularité et l’effectivité de ces droits. Il appartient dès lors à la personne détenue de présenter devant le juge administratif tous les « éléments de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte », alors qu’il incombe à l’administration en défense d’opposer tout élément de contradiction[87]. Il revient au juge, de surcroît, de solliciter toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles à la formation de sa conviction[88].
Le déploiement des droits sociaux pour les personnes détenues est bien une nécessité et une valeur ajoutée au principe de dignité. L’atténuation des inégalités entre personnes libres et incarcérées, ou entre personnes détenues au regard de leur vulnérabilité, ne fait que renforcer la mission d’intérêt général confiée au service public pénitentiaire[89]. Elle participe en cela à sa mission d’insertion ou de réinsertion en contribuant à lutter contre le phénomène de rupture de lien social, conséquence dommageable inhérente à la détention, afin d’assurer une certaine égalité des chances[90]. « C’est donc une tension entre la discontinuité sociale nécessairement induite par l’isolement carcéral et la continuité juridique voulue par la loi que réside le paradoxe des droits fondamentaux. Pour y remédier, le processus de normalisation juridique tente de combler l’écart inévitable entre la reconnaissance des droits et leur exercice en détention »[91]. Or, de cette tension découle un autre problème, qui naît notamment de la confrontation entre la diversification des dispositifs progressivement mis en place et les chiffres relatifs à la pauvreté en détention. Il s’agit alors d’interroger l’effectivité des droits sociaux liés à la lutte contre la pauvreté.
II. L’insuffisance de la justiciabilité des droits fondamentaux en détention
La caractérisation et la proclamation de droits fondamentaux visant à protéger la dignité des personnes détenues ont participé à l’actualisation du droit pénitentiaire au regard des obligations conventionnelles qui pèsent sur la France. La consécration progressive de leur justiciabilité permet alors de mesurer l’effectivité de ces droits. Pour ce faire, le concept de justiciabilité comprend la réunion de trois éléments indispensables : des droits fondamentaux assimilés à des permissions d’agir, des sujets titulaires de droits et l’existence de procédures juridictionnelles. En tant que standard en matière de droits de procédure, elle permet dès lors de déterminer la structure du contentieux, son degré de subjectivisation, l’articulation des contentieux de fondamentalité (principalement entre contrôle abstrait et concret, contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité), l’accessibilité au juge ainsi que l’incorporation et la réception des normes de droit supranational. Elle présume, en somme, une vision fonctionnelle des droits fondamentaux[92]. D’ailleurs, ces réflexions sont d’une importance cruciale dans le domaine pénitentiaire qui, au regard de son histoire, est un des exemples idoines relatifs aux implications pratiques d’une telle théorie depuis son ouverture tardive aux prétoires dans les années 90[93]. De surcroît, les enjeux contemporains accompagnant la lutte contre la pauvreté en démontrent une fois de plus l’intérêt et permettent en partie d’en expliquer les difficultés. L’accroissement des requêtes en témoigne : que cela soit de la part des personnes détenues que de celle des associations, comme la section française de l’OIP, le mouvement de juridicisation du monde carcéral a généré une « rupture avec l’a priori anti-juridique du militantisme anticarcéral des années 1970 », au profit, aujourd’hui, de « l’arme du droit »[94]. Le contentieux des conditions indignes de détention se présente en tant qu’étalon de mesure du degré d’effectivité d’accès au juge. Il dévoile en ce sens le potentiel et les limites du contentieux des droits sociaux (A). Ceci considéré, malgré les progrès, il est possible de constater la persistance de réticences à garantir l’effectivité des droits liés à la réinsertion (B).
A. L’effectivité relative des procédures juridictionnelles à l’aune du modèle des conditions indignes de détention
La justiciabilité, formalisée à travers le droit à un recours juridictionnel, est aujourd’hui appréhendée comme un « droit matriciel »[95] et un « instrument d’effectivité »[96]. Elle suppose, autrement dit, la mesure d’« écarts éventuels entre le droit et sa réalisation, entre les comportements prescrits par le droit et les comportements réels des acteurs »[97]. En outre, elle est d’autant plus importante qu’elle impose des obligations constitutionnelles[98] et conventionnelles[99] à l’administration pénitentiaire[100]. C’est alors par le biais du contentieux des conditions indignes de détention que cette justiciabilité des droits fondamentaux des personnes détenues a dessiné son champ d’action et, par la même occasion, ses limites[101].
Tout d’abord, il s’agit de s’intéresser à la marge d’appréciation octroyée aux organes de concrétisation que sont le législateur et l’administration depuis la loi pénitentiaire de 2009. Si le projet de loi initial ne mentionne aucune obligation positive envers l’administration pour garantir l’effectivité des droits de la personne détenue[102], l’introduction de « respect de la dignité de la personne »[103] a constitué une première entreprise de responsabilisation. Cette proclamation de principe trouve néanmoins un obstacle a priori difficilement surmontable[104] ayant trait aux « contraintes inhérentes à la détention »[105]. Fatalité du régime de la privation de liberté, l’impératif sécuritaire, « ambigu et indéterminé, et même redondant, constitue une sorte de zone grise, de sas pénitentiaire, à travers lequel les droits fondamentaux de la personne détenue ressortent relativisés et renversés »[106]. Même devant la Cour EDH, l’application de l’article 3 de la Convention impose que les modalités de la détention ne soumettent pas la personne « à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure »[107]. Les juges de Strasbourg opèrent leur contrôle au regard de cet impératif concret de sécurité lié aux mesures prises par l’administration. Autrement dit, celui-ci participe à l’appréciation dite « relative » des faits et se présente en référentiel de contrôle, en sorte que l’extension de son champ d’action est susceptible de réduire celui des atteintes conventionnellement proscrites[108]. Plus récemment, dans sa décision QPC du 6 octobre 2023[109], le Conseil constitutionnel a manifesté sa volonté de généraliser l’obligation de protection de la dignité à tous les régimes de privation de liberté en imposant aux autorités une obligation de prévention, de répression et de réparation des atteintes portées aux personnes[110]. Esquissant ainsi les bases d’un « droit constitutionnel de l’enfermement »[111], le juge constitutionnel précise à son tour les garanties minimales et acceptables propres à la dignité. En réalité, cependant, rien ne présage un contrôle plus poussé de la justification sécuritaire des mesures prises par les autorités administratives. Ces limites inhérentes à la détention, en étant soutenues par l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public tout comme les finalités qui sont assignées à l’exécution des peines privatives de liberté, donnent encore une marge d’appréciation large et confortable au législateur[112]. Elles influent inévitablement sur le degré d’objectivation du contentieux. Il en résulte principalement un effet neutralisant sur la titularité des droits des personnes détenues qui se répercute de facto sur l’effectivité des voies de recours[113].
Ensuite, le traitement contentieux de la dignité en détention est un indicateur fort instructif sur les potentialités qu’offre (ou n’offre pas) le recours aux juges. C’est cette question, pour le moins décisive face au phénomène de surpopulation carcérale, que la Cour EDH examine à l’occasion de l’arrêt J.M.B c. France, en se demandant « si l’évolution favorable de la jurisprudence administrative […] permet de mettre réellement fin à des conditions de détention contraires à la Convention »[114]. Deux facteurs déterminants sont ici pris en compte. D’une part, la Cour précise qu’une personne détenue bénéficiant d’une décision favorable à son égard ne saurait se voir contrainte de multiplier les recours afin d’obtenir la reconnaissance de ses droits fondamentaux par l’administration[115]. D’autre part, en référence à l’affaire Yengo c. France, elle opte pour une violation de l’article 13 de la Convention au motif que le droit français n’offrait pas, à l’époque des faits, de recours susceptibles « d’empêcher la continuation de conditions de détention indignes ou leur amélioration »[116]. C’est alors ce qui l’amène à conclure que le référé-liberté « semble offrir un cadre juridique théorique solide », à l’instar du référé mesures-utiles, sans pour autant qu’il soit considéré comme suffisant[117]. La création de l’article 803-8 du Code de procédure pénale par la loi du 8 avril 2021[118] a tiré les conséquences des arrêts de la Cour EDH en instaurant un recours préventif devant le juge judiciaire[119]. Si la réaction en droit national était nécessaire et l’intention louable, il semble malheureusement que cette voie de recours n’ait pas non plus satisfait les ambitions qui lui étaient prêtées[120].
En définitive, le degré de concrétisation du contrôle des conditions indignes, autant que ces effets en pratique sur la situation des personnes détenues, pointent les limites inhérentes à l’effectivité des voies de recours prévues. Plus encore, ce contentieux permet d’avoir une vision globale des obstacles à surmonter pour l’introduction d’une dimension sociale de la dignité, notamment s’agissant du juge dans ses rapports avec les personnes détenues justiciables.
B. Les obstacles liés au statut de personne détenue justiciable
Ceci considéré, il est indispensable de se placer du côté de la personne détenue pour constater les entraves qui l’écartent du statut de justiciable « ordinaire ». Il s’agit, en effet, d’apprécier comment les différents dispositifs juridiques sont concrètement perçus, abordés et mobilisés en fonction des contraintes corrélatives au statut de la personne détenue. Cette situation pose une double interrogation, d’une part, quant à la connaissance et l’accès à ses droits et, d’autre part, au regard de l’égalité des armes dont elle dispose vis-à-vis de l’administration.
Premièrement, l’accès au droit est un droit de la personne détenue qui se matérialise par l’obligation pour chaque établissement pénitentiaire de mettre en place un dispositif de consultations juridiques gratuites[121]. Par ailleurs, tous les détenus arrivants sont informés des procédés de lutte contre la pauvreté prévus par l’établissement, en lien avec les SPIP. Ces informations sont couramment accessibles par le biais d’entretiens, d’affichages ou de canaux vidéo. En parallèle, dans le cadre du travail pénitentiaire, le donneur d’ordre a également un devoir d’information concernant les actions contentieuses ouvertes en cas de harcèlement moral ou sexuel[122]. Ensuite, les personnes détenues peuvent consulter, au greffe de l’établissement, le tableau des avocats inscrits au barreau du département afin d’opérer le choix de leur défenseur[123]. Néanmoins, cette médiatisation se heurte toujours aux effets de la pauvreté, que le CGLPL a par exemple mis en avant en évoquant les problèmes de barrière de la langue et d’illettrisme[124]. Il reste parfois, comme solution de dernier recours, la possibilité pour toute personne détenue de solliciter un entretien avec les délégués du Défenseur des droits au sein des permanences présentes dans les établissements[125].
Secondement, en cas d’action contentieuse, se pose la question de la place et des armes à la disposition du justiciable dans le procès. Un des points sensibles réside à ce propos dans la charge de la preuve. Au préalable, il est utile de rappeler que le contentieux pénitentiaire, touchant à l’organisation du service public, relève de la compétence du juge administratif[126] et renvoie à un mécanisme qui obligeait autrefois le requérant à établir la preuve de la faute causée par l’administration et susceptible de porter atteinte à sa dignité[127]. Dans un arrêt du 21 mars 2022, la Haute juridiction est ensuite venue apporter un assouplissement en exigeant de la personne détenue, ou anciennement détenue, de présenter une description de ses conditions de détention « suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne ». Il incombe alors à l’administration pénitentiaire « d’apporter les éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur »[128]. Cet assouplissement engendre un rééquilibrage non négligeable dans les relations entre les justiciables détenus et l’administration en tant que parties au procès administratif. Il s’ajoute à cela un mécanisme présomptif concernant le préjudice moral causé par des conditions indignes de détention[129]. L’entreprise du Conseil d’État résulte vraisemblablement d’une tentative d’harmonisation avec les conditions du recours préventif devant le juge judiciaire posées par l’article 803-8 du Code de procédure pénale exigeant la présentation « d’éléments circonstanciés, personnels et actuels et constituants un commencement de preuve que les conditions de détention de la personne ne respectent pas la dignité de la personne ». Néanmoins, la position de la personne détenue reste désavantagée, et ce à plusieurs égards, en fonction des profils et situations personnelles (handicap, illettrisme, langue, etc.). Les répercussions sont diverses et peuvent se matérialiser, notamment, par l’identification précise des manquements commis par l’administration et susceptibles d’engager sa responsabilité, ou encore par les difficultés à fournir des éléments probatoires fiables pour les personnes sorties de prison. De son côté, l’administration dispose de toutes les informations relatives à la vie en détention et aux infrastructures mises en place, ainsi qu’aux aménagements en projet. La personne détenue peut quant à elle solliciter le juge à différentes occasions pour recourir à des expertises[130]. Cependant, la pratique du contentieux se révèle moins évidente[131]. Rarement prononcées, car jugées non utiles, voire systématiquement rejetées en cas de transfert dans un autre établissement ou de sortie[132], celles-ci peuvent devoir être supportées financièrement par le requérant dans l’éventualité d’annulation ultérieure ou de constat pour défaut d’utilité[133].
Ces quelques remarques montrent les limites de ce contentieux et renvoient la personne détenue à sa position de vulnérabilité voire de pauvreté. Malgré ces efforts jurisprudentiels, ce contentieux souffre encore d’une effectivité insuffisante, considérant en outre un certain habitus des juges administratifs à accueillir avec plus de sérieux et d’intérêt les éléments communiqués par l’administration. En conséquence, il en découle une différence de force de conviction mettant à mal les garanties relatives au procès[134]. La doctrine a ainsi pu noter le « caractère illusoire » de l’allègement de la preuve opéré par la jurisprudence du 21 mars 2022, allant même jusqu’à supposer un effet presque contre-productif : « exiger moins du demandeur revient assez naturellement, par une sorte de jeu de vases communicants, à exiger davantage du défendeur et/ou à mieux déployer le pouvoir d’instruction du juge. L’allègement de la charge de la preuve pour le demandeur — qui n’a plus qu’à produire des allégations suffisamment détaillées — porte en lui un rehaussement du niveau de précision des éléments fournis par l’administration pénitentiaire. C’est ainsi plus largement l’office du juge dans l’administration de la preuve de l’indignité des conditions de détention qui est appelé à se développer »[135]. Une autre difficulté, enfin, peut être prise en compte dans l’appréciation du caractère fautif de l’administration. Si effectivement l’atteinte aux conditions indignes de détention est générée et (ou) aggravée par la surpopulation carcérale, l’administration elle-même se heurte à un problème structurel plus général qui lui échappe faute de moyens humains et budgétaires. Le Conseil d’État est parfois amené à retenir le fait que l’illégalité de l’atteinte à la dignité de la personne détenue « doit s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente »[136].
Les règles et pratiques contentieuses relatives aux conditions indignes, malgré leur perfectibilité, forment aujourd’hui le standard le plus abouti de protection des droits fondamentaux en détention. Elles constituent en cela un référentiel utile à l’identification des limites propres à la lutte contre la pauvreté en tant qu’atteinte aux droits fondamentaux d’une certaine catégorie de la population pénale. Le lien intrinsèque entre la dignité et les droits sociaux pourrait laisser présager la possibilité de rattacher les deux problématiques. Mais les limites relatives à l’office du juge demeurent : comment une personne détenue pourrait-elle faire valoir (et surtout prouver) un manquement par l’administration à ces obligations au regard des moyens mis en œuvre pour faciliter son parcours d’insertion/réinsertion ? Là encore, le versant « social » de la dignité se heurte à son tour à d’autres obstacles et dévoile la persistance de zones d’ombre entachant la réinsertion.
III. L’angle mort de la réinsertion
La garantie de la dignité des conditions de détention s’impose comme une lourde charge pour l’administration. Affectant par ricochet l’exercice de ses missions de service public, elle se répercute sur la préparation à la sortie, la réinsertion et le reclassement social. De plus, si la détention n’est pas en mesure d’offrir des conditions de vie dignes, meilleures qu’à l’extérieur ou identiques, le risque est qu’elle contribue, malgré elle, à l’échec des politiques de réinsertion. Il s’ensuit une forme de réaction en chaîne mettant à mal les objectifs fixés par les politiques de lutte contre la pauvreté. Les chiffres relatifs à la récidive en sont un bon exemple[137], surtout lorsqu’ils qu’ils sont confrontés à « l’objectif général de lutte contre la récidive par une meilleure préparation à l’insertion des personnes détenues » figurant parmi les finalités de l’ordonnance du 19 octobre 2022 relative aux droits sociaux des personnes détenues[138]. En ce sens, la dignité des conditions de détention est bien le socle et une condition indispensable à la réussite du reclassement social. Mais alors, c’est à son tour la garantie des droits sociaux qui pose question (A). De prime abord, ces droits ont depuis longtemps suscité des interrogations liées à leur nature et à leur traitement jurisprudentiel. De plus, mise à part la consultation des chiffres, si l’insertion et la réinsertion font partie des missions allouées à l’administration pénitentiaire, l’appréciation de leur bonne mise en œuvre devrait être également mesurée par le biais des droits subjectifs dont seraient titulaires les personnes détenues. À ce titre, consacrer un véritable droit à la réinsertion (B) permettrait d’ouvrir la voie vers une meilleure garantie des droits sociaux en englobant la lutte contre la pauvreté dans un corpus juridique plus large et mieux défini.
A. Des difficultés inhérentes à la garantie des droits sociaux
Depuis leur intégration dans le corpus des droits de l’homme avec le préambule de 1946, les droits sociaux ont fait l’objet d’une garantie incertaine et tardive[139]. Leur analyse au regard de la réunion de trois critères « à la fois d’ordre formel (sources et textes proclamatoires), matériel (champ d’application) et téléologique (objet et finalités de leurs proclamations) » a contribué à mettre en lumière leur « vulnérabilité normative »[140].
La question de leur juridictionnalisation renvoie à des débats qui ne sont pas nouveaux[141] et au sujet desquels il ne s’agit ici que de rappeler les grandes lignes. Comme l’a très bien résumé Jean Rivero, leur manque d’effectivité s’explique par des considérations à la fois juridiques et politiques. « La satisfaction des droits de créance laisse […] à l’État un pouvoir d’appréciation discrétionnaire extrêmement large, de telle sorte que l’objet du droit reste pratiquement indéfini jusqu’à ce que le législateur ait procédé aux choix nécessaires. […] Beaucoup plus que la mise en œuvre des libertés, elle est étroitement dépendante des ressources dont l’État peut disposer, ce qui accuse encore le caractère virtuel et relatif de ces droits. Ainsi, libertés et créances ne relèvent pas, en ce qui concerne leur mise en œuvre, des mêmes techniques juridiques »[142]. Considérés comme n’ayant pas un caractère absolu et n’étant pas d’application directe, car nécessitant l’intervention du législateur, ils imposent de ce fait plus une obligation de moyen que de résultats. Leur justiciabilité est donc compromise par la difficulté d’en faire des droits subjectifs. À ce titre, la jurisprudence constitutionnelle semble effectivement aller dans ce sens. Ces derniers sont souvent tributaires de volontés politiques et de considérations budgétaires changeantes qui empêchent d’en figer une portée et une signification constitutionnelle précises. Selon les mots de Pierre Mazeaud, ce souci de « réalisme » fait que « le niveau des prestations servies par l’“État Providence” étant conditionné par la situation économique, il ne serait pas raisonnable de le fixer de façon rigide au niveau constitutionnel »[143]. Soumis à une forme de self-restraint juridictionnel, ils laissent plus d’autonomie aux pouvoirs publics, là où un contrôle de libertés négatives, centré sur l’abstention d’agir, est plus évident à déterminer. « Certainement par crainte compréhensible de protéger les juges contre des revendications exigeant des politiques sociales d’envergure qui dépassent les compétences juridictionnelles, le Conseil a, en décidant de la sorte, fermé les ressorts argumentatifs de certains de “droits” »[144]. Ensuite, leur formulation, basée sur les dispositions du préambule de 1946, aboutit à des obligations relativement indéterminées, vagues, ou mobilisant des notions à contenu variable[145]. Enfin, les réticences à reconnaître un effet direct aux normes internationales, qui sont en la matière en générales plus précises et protectrices (pensons, par exemple, à la Charte sociale européenne[146] ou au Pacte relatifs aux droits économiques et sociaux[147]), entravent l’évolution de la protection des droits fondamentaux relatifs à la pauvreté. En d’autres termes, du fait de ces différents caractères, la garantie des droits sociaux met en évidence les difficultés que soulève leur transposition dans le domaine pénitentiaire.
En contentieux constitutionnel, l’exemple de la décision n° 2015-485 QPC est assez éloquent[148]. Le requérant invoquait le grief d’incompétence négative du législateur selon lequel la loi pénitentiaire de 2009 n’organisait pas le cadre légal du travail des personnes incarcérées et privait ces dernières, par extension, de l’ensemble des garanties d’exercice des droits et libertés dans le Préambule de la Constitution de 1946. Face à une requête plaidant en somme pour une normalisation du statut de travail détenu, qui interviendra des années plus tard avec la création du contrat d’emploi pénitentiaire, le juge constitutionnel a écarté l’application du préambule en raison de la non-qualification de contrat de travail assimilable à celui de droit commun eu égard à l’absence de relation contractuelle entre les détenus et l’administration. Refusant une telle qualification, il considérait ainsi loisible pour le législateur « de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées afin de renforcer la protection de leurs droits », rappelant que les dispositions contestées ne privaient pas « de garanties légales les droits et libertés énoncés par les cinquième à huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 dont sont susceptibles de bénéficier les détenus dans les limites inhérentes à la détention »[149]. Le raisonnement est donc peu surprenant.
B. La nécessité de consacrer un véritable droit à la réinsertion
Fonder et garantir les droits sociaux des personnes détenues reste problématique, car ils sont encore trop éclipsés par le principe de dignité des conditions matérielles de détention. Cependant, en changeant de perspective, les droits sociaux pourraient faire la liaison avec la consécration d’un droit à la réinsertion en associant la garantie de conditions dignes de détention avec l’objectif de réhabilitation sociale. En présupposant à la fois que la lutte contre la pauvreté ne peut être effective que par une titularité de droits fondamentaux garantie et que les dispositifs de réinsertion mis en œuvre par l’administration pénitentiaire sont les moyens concrets pour y parvenir, il apparaît alors opportun d’envisager la réinsertion en tant que véritable droit. Dans la logique des développements précédents, rendre justiciable le droit à la réinsertion permettrait ainsi de mesurer plus concrètement l’effectivité de l’action administrative. L’intérêt d’une telle consécration est d’autant plus louable dans un domaine où l’écart entre le droit et les faits demeure encore très confus ; les chiffres présentés précédemment en témoignent.
La doctrine s’est déjà emparée du problème il y a quelques décennies. Préalablement, l’on doit notamment à la Professeure Diane Roman une réflexion globale sur les possibilités d’un droit à l’insertion en droit commun. Ce droit, en tant que droit fondamental, rassemble l’esprit des politiques sociales élaborées à la fin des années 80[150]. Malgré une proclamation non explicite et une certaine imprécision normative, il fait office de standard. « Précédant et fondant les droits sociaux », sa fondamentalité découle de son caractère de principe fondateur d’une nouvelle conception de la citoyenneté, dite « sociale », mais surtout comme un « droit au fondement d’autres droits »[151]. Concernant ensuite l’existence d’un droit à la réinsertion en droit pénitentiaire, Raymond Gassin a posé certaines bases de réflexion en 1996, en développant une vision dichotomique[152]. D’un côté, il propose un droit positif à la réinsertion, appréhendé en tant que droit subjectif, invocable en justice et donc opposable à l’État. D’un autre côté, il présente un droit négatif à la réinsertion qui génère à l’encontre des pouvoirs publics une obligation de ne pas entraver les politiques de réinsertion. Les alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 en constitueraient par exemple un fondement constitutionnel opportun.
Mais pour l’heure, les progrès sont encore peu satisfaisants, car la réinsertion reste « une notion ambiguë, intégrée dans un dispositif pénal et carcéral complexe »[153]. Incarnant une finalité d’intérêt général aux yeux de la loi, elle reprend à son tour l’apparat d’un standard de « droit à avoir des droits ». À l’instar du droit à l’insertion en droit commun, elle s’articule avec les autres objectifs alloués à la peine et soutient un certain nombre de droits dérivés, sans être en elle-même un droit subjectif autonome et opposable[154]. Selon la formule de principe mobilisée par le Conseil constitutionnel, « l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais également pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion »[155]. Il revient alors au législateur de concrétiser et concilier ces objectifs, notamment au regard de l’impératif de sécurité en détention, dans le respect de la dignité. La Cour EDH se garde elle aussi d’être trop directive. Lui reconnaissant la nature de droit à caractère civil[156], elle s’attache surtout à rappeler que la réinsertion est une finalité décisive de la détention[157] en ce qu’une « resocialisation est capitale pour la protection du droit du requérant de mener une vie privée sociale et de développer son identité sociale »[158]. De son côté, le Conseil d’État s’est montré réticent à reconnaître la réinsertion comme une liberté fondamentale[159]. La réinsertion demeure ainsi un objectif soutenu par des droits dérivés, qui permet également d’en identifier les limites. Précisons que, dans un même temps, la loi de réforme de la justice de 2021 entend faciliter « l’ouverture des droits sociaux aux personnes détenues afin de favoriser leur réinsertion »[160]. À rebours, le problème renvoie à celui de la justiciabilité des droits sociaux évoqué précédemment. Ensuite, la réinsertion est appréhendée à l’aune des efforts et de la volonté de la personne de prouver son amendement (travail, activités, comportement en détention, profil pénal, etc.), ce qui pourrait être pris en compte dans les aménagements de peine au service de la réinsertion. Comme l’énonce Julia Schmitz, « le parcours d’exécution de la peine pourrait toutefois conférer à la personne détenue un droit de réinsertion, lui permettant de faire valoir sa capacité à se réintégrer et de demander un aménagement ou une réduction de peine. Mais, dernière contradiction, ce droit de réinsertion relève plus d’un effort de réinsertion de la part de la personne détenue que d’un véritable droit »[161]. D’un droit-créance, celui-ci s’apparente plutôt à un droit rétributif. Plus généralement, enfin, en raison de sa nature, la réinsertion capte peu ou prou les mêmes hésitations que Jean Rivero voyait dans les droits sociaux : une dépendance forte à des volontés politiques circonstancielles et avec les ressources de l’État. Les difficultés budgétaires que connaît l’administration pénitentiaire, parmi tant d’autres, ne semblent malheureusement pas aller en faveur du progrès. Rendre justiciable un droit à la réinsertion ne ferait, selon cette logique, que mettre en lumière l’aveu d’échec d’une politique qui, faute de moyens, mélangerait ambitions et prétentions.
Finalement, le développement de certaines alternatives par l’approche partenariale développée entre l’administration pénitentiaire et les institutions publiques permettront peut-être de compenser certaines de ces difficultés. Si les chiffres ne semblent pas pour l’instant en témoigner, il est raisonnable de penser que l’administration ne peut, à elle seule, et au vu de l’ampleur du phénomène, répondre pertinemment aux objectifs qui lui sont assignés. La réduction de la surpopulation carcérale reste, quoiqu’il en soit, un préalable nécessaire afin de lui redonner la pleine maîtrise de l’ensemble de ses missions. Comme souvent en droit pénitentiaire, il reviendra peut-être aux juges, à l’avenir, de nous surprendre et faire évoluer les choses. Le temps long des réformes semble pour l’instant réclamer la patience… Dans cette attente, reprenons les mots du Doyen Hauriou qui, avec son sens de la formule, nous rappelle les fondements de l’État social : « Le devoir d’assister est pour la société la contrepartie et la rançon du droit qu’elle a de punir. La société a le droit de punir parce que l’État social est en partie volontaire et que le délinquant, en s’insurgeant contre lui, mérite une punition ; mais elle a le devoir d’assister le malheureux parce que ce même État social est en partie imposé par la force et qu’elle a le devoir de le rendre tolérable »[162].
[1] CEDH, 30 janv. 2020, J.M.B et autres c. France, n° 9671/15 et autres, § 217 ; AJ pénal 2020. 122, chron. J-P. Céré ; D. 2020. 753, obs. J-F. Renucci ; AJDA 2020. 263, obs. J-M. Pastor.
[2] CGLPL, Rapport d’activité 2024, Paris, Dalloz, 2025.
[3] Loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, JORF n° 0137 du 14 juin 2025.
[4] Circ. JUSK2204097C du 7 mars 2022 relative à la lutte contre la pauvreté des personnes détenues et sortant de détention, BOMJ n° 2022-03 du 25 mars 2022.
[5] Fondation de France, Au dernier barreaux de l’échelle sociale : la prison. 25 recommandations pour sortir du cercle vicieux prison-pauvreté, 17 fév. 2022 ; disponible à l’adresse : https://www.fondationdefrance.org/images/pdf/2021SYNTHESERAPPORTPRISON.pdf. Concernant le champ de cette étude, un questionnaire visant à recueillir des données sur les profils socio-économiques des personnes détenues et leurs propositions de lutte contre la pauvreté a été diffusé dans 71 établissements pénitentiaires, et a recueilli 1119 réponses.
[6] Fondation de France, « Prison : la pauvreté pour seul horizon », 3 mars 2022 ; disponible à l’adresse : https://www.fondationdefrance.org/fr/cat-prisons-pour-une-reinsertion-durable/prison-la-pauvrete-pour-seul-horizon.
[7] Fondation de France, Au dernier barreaux de l’échelle sociale, op. cit., p. 5 et 11.
[8] Voir en ce sens, F. Charlent, Le statut des personnes détenues, thèse dactyl., Université d’Aix-Marseille, 2021, p. 7.
[9] CE, 6 déc. 2013, Thévenot, n° 363290,; AJDA 2014. 237, concl. D. Hedary ; AJ pénal 2014. 143, note É. Péchillon.
[10] CE, 17 déc. 2008, Section française de l’OIP, n° 305594 ; AJDA 2008. 2364, obs. M.-C. Montecler ; AJ penal 2009. 86, obs. É. Péchillon ; JCP G 2009. 10049, note S. Merenne ; Gaz. Pal. 2009, concl. M. Guyomar.
[11] D. Roman, Le droit public face à la pauvreté, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, 2002, p. 23.
[12] Loi n° 98-657 du 29 juil. 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, JORF n° 175 du 31 juil. 1998.
[13] D. Roman, « commentaire », CNCDH, « Avis sur l’indivisibilité des droits face aux situations de précarisation et d’exclusion », 23 juin 2005, in Ch. Lazerges (dir.), Les grands avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Paris, Dalloz, 2016, p. 70.
[14] B. Mathieu, « Pour une reconnaissance de “principes matriciels” en matière de protection constitutionnelle des droits de l’homme », D., 1995, pp. 211-212.
[15] D. Roman, Le droit public face à la pauvreté, op. cit., p. 372.
[16] Voir, G. Koubi, « La pauvreté comme violation des droits humains », Revue internationale des sciences sociales, 2004, n° 2, pp. 361-371.
[17] CNCDH, « Avis sur l’indivisibilité des droits face aux situations de précarisation et d’exclusion », op. cit., p. 63.
[18] Voir, par exemple : Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « Questions de fond concernant la mise en œuvre du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : la pauvreté et le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels », Déclaration adoptée le 4 mai 2001, E/C.12/2001/10 ; Commission européenne, Rapport conjoint sur l’inclusion sociale, 12 déc. 2003, COM (2003)773 (final 2004) ; Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, « Principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme », 18 juil. 2012, A/HRC/21/39, § 2.
[19] Loi n° 2009-1436 du 24 nov. 2009, préc., art. 22.
[20] Voir, G. Canivet, Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, Rapport officiel au Garde des Sceaux, Paris, La Documentation française, coll. des rapports officiels, 2000, p. 65.
[21] Comme a pu le souligner la Cour EDH dans son arrêt Frérot c. France : « […] les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation ». CEDH, 12 juin 2007, Frérot c. France, n° 70204/01, § 37.
[22] Art. R. 321-6 du Code pénitentiaire.
[23] Art. D. 347-1 du Code de procédure pénale (abrogé).
[24] Art. D. 333-1 du Code pénitentiaire.
[25] Circ. JUSK2204097C du 7 mars 2022, préc.
[26] Conseil de l’Europe, Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes, 11 janvier 2006 : « chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté » (§ 6). Sur ce point, voir : J.-P. Céré, « La mise en conformité du droit pénitentiaire français avec les règles pénitentiaires européennes : réalité ou illusion », Rev. pénit., 2009, p. 111.
[27] CEDH, Gr. ch., 4 déc. 2007, Dickson c. RU, n° 44362/04, § 28.
[28] Loi n° 2009-1436 du 24 nov. 2009 pénitentiaire, JORF n° 0273 du 25 nov. 2009.
[29] Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, JORF n° 0072 du 26 mars 2014, art. 30.
[30] Au nombre des services cités dans la directive figurent les partenaires institutionnels (préfectures, organismes de sécurité sociale, collectivités locales, Caf, France travail, etc.) comme associatifs.
[31] Loi n° 2021-1729 du 22 déc. 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, JORF n° 0298 du 23 déc. 2021.
[32] Ord. n° 2022-1336 du 19 oct. 2022 visant à renforcer substantiellement la protection sociale des personnes détenues, JORF n° 0244 du 20 oct. 2022.
[33] CE, avis, 22 déc. 2022, Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2022-1336 du 19 octobre 2022 relative aux droits sociaux des personnes détenues, n° 406.466.
[34] Voir, E. Maupin, « Les droits sociaux des détenues renforcés », AJDA, 2022, n° 36, p. 2041 ; E. Paillisé, « L’ouverture des droits sociaux des personnes détenues : un appui majeur à la préparation de sortie de détention », D. actu., 26 oct. 2022.
[35] L’article L. 1 du Code pénitentiaire énonce en ce sens que le service public pénitentiaire « contribue à l’insertion ou à la réinsertion des personnes ».
[36] J.-M. Delarue, « Les obstacles à la réinsertion », Actes du colloque au titre de la formation continue des magistrats, organisé par l’ENAP et le Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux (CREDOF), 28 et 29 janvier 2016 à l’université de Toulouse I Capitole, p. 117.
[37] Pour une réflexion de fond sur ce sujet, avant les réformes récentes, voir : É. Péchillon, Sécurité et droit du service public pénitentiaire, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, 1998, 627 p.
[38] J.-M. Delarue, « Les obstacles à la réinsertion », op. cit., p. 117.
[39] R. Lafore, « Droit et pauvreté : les métamorphoses du modèle assistanciel français », RDSS, 2008, p. 111.
[40] Cons. const., n° 2009-593 DC, 19 nov. 2009, Loi pénitentiaire, cons. 3.
[41] B. Mathieu, « La dignité de la personne humaine : quel droit ? Quel titulaire ? », D., 1996, n° 33, p. 282.
[42] Circ. JUSK2204097C du 7 mars 2022, préc., p. 13.
[43] Circ. JUSK1340023C du 17 mai 2013 relative à la lutte contre la pauvreté en détention, BOMJ n° 2013-05 du 31 mai 2013, p. 1.
[44] N. Aliprantis, « Les droits sociaux sont justiciables », Dr. Soc., 2006, n° 2, p. 158.
[45] D. Roman, Le droit public face à la pauvreté, op. cit., p. 428.
[46] B. Maurer, Le principe de respect de la dignité humaine et la Convention européenne des droits de l’homme, Paris, La documentation française, 1999, p. 482.
[47] Art. 22 DUDH : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité […] ».
[48] Rec(2000)3, cité in P. Lambert, « Le droit de l’homme à un niveau de vie décent », RTDH, 2000, n° 44, p. 683.
[49] D. Roman, Le droit public face à la pauvreté, op. cit., p. 380.
[50] CNCDH, « Avis sur l’indivisibilité des droits face aux situations de précarisation et d’exclusion », op. cit., p. 63.
[51] Voir, supra.
[52] Nous renvoyons ici aux prescriptions posées par la Cour EDH dans sa jurisprudence Mursic c. Croatie, reprenant notamment les critères énoncés par les arrêts pilotes Ananyev et Neshkov. Voir, CEDH, 10 janv. 2012, Ananyev et autres c. Russie, n° 42525/07 et 60800/08, §§ 153-159 ; D. 2013. 201, obs. J-F Renucci, N. Fricero et Y. Strickler ; CEDH, Gr. Ch., 27 janv. 2015, Neshkov et autres c. Bulgarie, n° 36925/10 et autres, §§ 237-244 ; AJDA 2020. 263, obs. J-M. Pastor.
[53] Comme le mentionne la circulaire du 7 mars 2022, (préc.), « en milieu libre, l’État propose des prestations sociales aux personnes en situation de pauvreté. La détention peut affecter les conditions d’éligibilité à ces prestations, impacter les ressources dont disposent une personne et menacer sa dignité » (p. 3).
[54] Ibid., p. 8
[55] Art. R. 321-5 du Code pénitentiaire. À titre d’exemple, le Conseil d’État a déjà sanctionné la maison d’arrêt de Fresnes pour défaut de distribution desdits « kits » comme constituant, parmi d’autres, un critère d’atteinte à la dignité des conditions de détention. Voir, CE, ord., 24 déc. 2021, n° 435622.
[56] Art. R. 321-6 du Code pénitentiaire.
[57] Décr. n° 2019-21 du 11 janv. 2019 visant à garantir un accès sans reste à charge à certains équipements d’optique, aides auditives et soins prothétiques dentaires, JORF n° 0010 du 12 janv. 2019.
[58] Art. D. 324-2 du Code pénitentiaire.
[59] Disponible à l’adresse : https://oip.org/decrypter/thematiques/droits-sociaux-et-economiques/education/#:~:text=44%25%20des%20personnes%20incarcérées%20n,sont%20en%20situation%20d’illettrisme.
[60] Voir, infra.
[61] Art. L. 2213-7 et L. 2223-27 du Code général des collectivités territoriales.
[62] Voir en ce sens : CEDH, Gr. Ch., 7 juil. 2011 Stummer c. Autriche, n° 37452/02, § 92.
[63] Ph. Auvergnon, « À quelles conditions le travail en détention pourrait-il contribuer à la réinsertion ? », Actes du colloque au titre de la formation continue des magistrats, op. cit., p. 79.
[64] Art. L. 412-1 et L. 412-5 du Code pénitentiaire.
[65] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, préc.
[66] Voir notamment, Ph. Auvergnon (dir.), Droit du travail en prison : d’un déni à une reconnaissance ?, Presses Universitaires de Bordeaux, 2015 p. 71 ; CGLPL, 22 déc. 2016, Avis relatif au travail et à la formation professionnelle dans les établissements pénitentiaires, JORF n° 0034 du 9 févr. 2017 ; M.-C. Amauger-Lattes, J. Schmitz (dir.), Quelle normalisation de la relation de travail en prison ? Enjeux et perspectives d’une réforme, IFJD – Louis Joinet, coll. Colloques & Essais, 2022.
[67] P. Loridant, Prisons : le travail à la peine, Rapport d’information n° 330 (2001-2002) fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 juin 2002, p. 95.
[68] Voir, par exemple : CEDH, 21 avr. 2015, S. S. c. Royaume-Uni, n° 40356/10 et 54466/10 ; Cons. const., n° 2015-485 QPC, 25 sept. 2015, M. Johny M. [Acte d’engagement des personnes détenues participant aux activités professionnelles dans les établissements pénitentiaires].
[69] Recommandation REC(2006)2, préc., § 26.7.
[70] Selon l’expression employée in Ph. Auvergnon, « À quelles conditions le travail en détention pourrait-il contribuer à la réinsertion ? », op. cit., p. 77.
[71] CE, 8 avr. 2021, Avis sur un projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, n° 402569.
[72] Décr. n° 2022-655 du 25 avr. 2022 relatif au travail des personnes détenues et modifiant le code pénitentiaire, JORF n° 0097 du 26 avr. 2022
[73] Loi n° 2021-1729, préc., art. 22 ; Ord. n° 2022-1336 du 19 oct. 2022, préc.
[74] Pour une synthèse, voir : Ph. Auvergnon, « Droits sociaux des personnes détenues : une ordonnance de rapprochement des travailleurs libres », Droits social, 2023, n° 2, p. 179.
[75] Art. L. 433-4 al. 1 du Code de la Sécurité sociale.
[76] Art. L. 433-4 al. 2 et 3 du Code de la Sécurité sociale.
[77] Art. L. 382-40 al. 2 et L. 382-49 du Code de la Sécurité sociale.
[78] CEDH, 7 juil. 2011, Stummer c. Autriche, préc., § 99.
[79] Art. L. 412-24 du Code pénitentiaire.
[80] Art. L. 412-29 du Code pénitentiaire. Il s’agit ici d’une reprise de critères généraux déjà consacrés par la jurisprudence du Conseil d’État en matière de discriminations en conformité aux dispositions de la Convention EDH. Voir, par exemple, CE, 10 avril 2015, Société Red Bull on Premise et autres, n° 377207.
[81] Art. L. 412-30 du Code pénitentiaire.
[82] Art. L. 412-31 du Code pénitentiaire.
[83] Art. L. 412-32 du Code pénitentiaire.
[84] Art. L. 412-33 du Code pénitentiaire.
[85] Circ. JUSK2204097C du 7 mars 2022, préc., p. 3.
[86] Voir à ce titre, B. Stirn, « Le juge administratif et les discriminations », Intervention lors du Colloque « 10 ans de droit de la non-discrimination » organisé par le Défenseur des droits à la Cour de cassation le 5 octobre 2015 (www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-interventions/le-juge-administratif-et-les-discriminations).
[87] Art. L. 412-36 du Code pénitentiaire.
[88] Voir, infra.
[89] Voir, G. Koubi, « Vers l’égalité des chances, quelles chances en droit ? », in G. Koubi, G. Guglielmi (dir.), L’égalité des chances. Analyses, évolutions, perspectives, Paris, La Découverte, 2000, p. 72.
[90] Conseil d’État, L’intérêt général, Rapport public, Paris, La Documentation française, coll. EDCE, 1999, n° 50, p. 256.
[91] J. Schmitz, « Les paradoxes de l’approche du travail carcéral par les droits fondamentaux », in M.-C. Amauger-Lattes, J. Schmitz (dir.), Quelle normalisation de la relation de travail en prison ? Enjeux et perspectives d’une réforme, op. cit., p. 71.
[92] Sur ce point, qu’il nous soit permis de renvoyer à notre thèse : J. Marguin, La justiciabilité. Essai critique sur un critère de la démocratie constitutionnelle, Mare & Martin, coll. Bibliothèque des thèses, 2024, pp. 41-50.
[93] Nous renvoyons ici à l’ouverture des mesures d’ordre intérieur au juge administratif à la suite du célèbre arrêt Marie, qui fait encore aujourd’hui office de cas d’école. CE ass. 17 févr. 1995, Marie ; AJDA 1995. 379, chron. L. Touvet et J.-H. Stahl ; RFDA 1995. 353, concl. P. Frydman. Pour une synthèse sur cette question, voir : M. Guyomar, « La justiciabilité des mesures pénitentiaires devant le juge administratif », AJDA, 2009, n° 8, p. 413.
[94] Cl. de Galembert, C. Rostaing, « Ce que les droits fondamentaux changent à la prison », Droit & Société, 2012, n° 87, p. 292.
[95] Voir, J. Schmitz, « Garanties juridictionnelles et non juridictionnelles au défi de l’effectivité », RDFL, 2025, chron. n° 57.
[96] M.-A. Frison-Roche, « La procédure et l’effectivité des droits substantiels », in F. Benoît-Rohmer, D. D’Ambra, C. Grewe (dir.), Procédure(s) et effectivité des droits, pp. 4 et 5.
[97] V. Champeil-Desplats, « Effectivité et droits de l’homme : approche théorique », in V. Champeil-Desplats, D. Lochak (dir.), À la recherche de l’effectivité des droits de l’homme, Journée d’études du 24 novembre 2006 organisée par le Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux, Paris, Presses universitaires de Paris X, 2008, p. 29.
[98] Depuis 1986, le juge constitutionnel a développé le droit à un recours juridictionnel effectif, tiré des dispositions de l’article 16 de la DDHC de 1789, comme la « garantie effective des droits des intéressés ». Voir, Cons. const., n° 86-207 DC, 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social, cons. 23.
[99] Depuis son arrêt Golder c. Royaume-Uni, la Cour EDH déduit des articles 6 et 13 de la Convention le principe selon lequel « la prééminence du droit ne se conçoit guère sans la possibilité d’accéder aux tribunaux » (CEDH, 21 fév.1975, n° 4451/70, § 34). En droit de l’Union européenne, une logique similaire se retrouve dans la jurisprudence de la Cour de Justice depuis son arrêt Parti écologiste Les Verts (CJCE, 23 avr. 1986, aff. 294/83), désormais reformulée à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
[100] Art. L. 2 du Code pénitentiaire, préc.
[101] Voir, P. Parinet-Hodimont, « Le référé-liberté face aux conditions de détention : la France doit revoir sa copie ! », RDLF, 2020, chron. n° 25.
[102] M. Guyomar, « commentaire », CNCDH, « Avis sur le projet de loi pénitentiaire du 6 novembre 2008 », in Ch. Lazerges (dir.), Les grands avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, op. cit., 2016, p. 111.
[103] Cons. const., n° 2009-593 DC, préc., cons. 3.
[104] V. Tchen, « Les droits fondamentaux du détenu à l’épreuve des exigences du service public pénitentiaire », RFDA, 1997, n° 3, p. 597.
[105] Cons. const., n° 2014-393 QPC, 25 avr. 2014, M. Angelo R. [Organisation et régime intérieur des établissements pénitentiaires], cons. 5 ; CE, 13 mars 2025, Avis relatif à la prise en charge des personnes détenues membres de la criminalité organisée et sur l’usage accru des moyens de télécommunication audiovisuelle, n° 309422.
[106] J. Schmitz, « Les paradoxes de l’approche du travail carcéral par les droits fondamentaux », op. cit., p. 83.
[107] CEDH, 12 juin 2007, Frerot c. France, préc., § 37 ; CEDH, 20 avr. 2011, El Shennawy c. France, n° 51246/08, § 34.
[108] B. Belda, Les droits de l’homme des personnes privées de liberté. Contribution à l’étude du pouvoir normatif de la Cour européenne des droits de l’homme, Bruylant, Bruxelles, 2010, p. 259 ; B. Pastre-Belda, « L’effectivité contextualisée du référé-liberté. Le cas des fouilles de personnes détenues. À propos de l’affaire CourEDH, 6 juillet 2023, B. M. et autres c. France, n° 84187/17 », RDLF, 2024, chron. n° 50.
[109] Cons. const., n° 2023-1064 QPC, 6 oct. 2023, Association des avocats pénalistes [Conditions d’exécution des mesures de garde à vue].
[110] Ces garanties seront réitérées dans une QPC l’année suivante : Cons. const., n° 2024-1090 QPC, 28 mai 2024, M. Mohamed K. [Effectivité du droit de s’alimenter d’un étranger retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour].
[111] É. Péchillon, S. Renard, « L’émergence du droit constitutionnel de l’enfermement », RDLF, 2025, chron. n° 03.
[112] Comme le rappelle notamment la décision : Cons. const., n° 2025-885 DC, 12 juin 2025, Loi visant à sortir la France du piège du narcotraffic, cons. 532.
[113] Nous renvoyons à l’étude détaillée proposée par Anne Jennequin sur le sujet, expliquant notamment que « les impératifs d’ordre public et de sécurité inspirent l’immense majorité des décisions pénitentiaires, qu’il s’agisse de mesures de prévention des risques d’évasion ou de mutinerie, de mesures de protection du détenu lui-même ou des autres personnes (codétenus, personnel pénitentiaire, visiteurs, etc.) contre des actes de violence ou encore de mesures de sanctions disciplinaires. La prise en compte de ces impératifs par le juge va neutraliser les conditions d’octroi des référés, soit de manière individualisée, soit de manière plus globale ». A. Jennequin, « Les référés administratifs d’urgence à l’épreuve des décisions pénitentiaires », RDLF, 2017, chron. n° 37.
[114] CEDH, 30 janv. 2020, J.M.B et autres c. France, préc., § 216.
[115] CEDH, 8 janv. 2013, Torregiani et autres c. Italie, n° 43517/09 et autres, § 53.
[116] CEDH, 21 mai 2015, Yengo c. France, n° 50494/12, § 69 ;
[117] CEDH, 30 janv. 2020, J.M.B et autres c. France, préc., § 220. À noter que ce même raisonnement a été remobilisé par la Cour trois ans plus tard concernant une situation de fait et de droit similaire. Voir, CEDH, 6 juil. 2023, B. M. et a. c. France, n° 84187/17, § 77 ; RDLF 2023, chron. C. Maillefait, C. Tzutzuiano.
[118] Loi n° 2021-403 du 7 avr. 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, JORF n° 0084 du 9 avr. 2021.
[119] Cons. const., n° 2020-858/859 QPC, 2 oct. 2020, M. Geoffrey F. et autre [Conditions d’incarcération des détenus], cons. 14 et 15. Pour plus précisions : É. Senna, « Indignité des conditions de détention ; fin de la saison 1 : le Recours préventif légalisé », Gaz. Pal., 2021, n° 38, p. 11.
[120] Voir, à ce propos, J. Falxa, « Jouer sur les mots, se jouer des maux. De l’effectivité des voies de recours contre les conditions de détention indignes. Note sous Crim. 20 octobre 2021, n° 21-84.498 », AJ pénal, 2021, p. 583.
[121] Art. L. 312-1 du Code pénitentiaire.
[122] Art. L. 412-41 du Code pénitentiaire.
[123] Art. D. 313-9 du Code pénitentiaire.
[124] CGLPL, L’arrivée dans les lieux de privation de liberté, Paris, Dalloz, 2021, p. 16 ; voir, supra.
[125] Art. D. 133-2 du Code pénitentiaire.
[126] CE, ord., 11 juill. 2007, n° 305595 ; CE, 13 juill. 2023, n° 461605.
[127] CE, 23 oct. 2013, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux c/ Borlet, n° 360961, AJDA 2013. 2118, obs. D. Poupeau ; JCP A 2013. actu. 890, obs. L. Erstein.
[128] CE, 21 mars 2022, n° 443986 ; AJDA 2002. 1636, note Tzutzuiano et Maillafet ; AJ pénal 2022. 331 ; D. 2022. 1061, panorama Céré, Falxa et Herzog-Evans.
[129] CE 5 juin 2015, n° 370896 ; CE, 3 déc. 2018, n° 412010.
[130] Aux termes du Code de justice administrative, sont notamment concernés les cas d’action en responsabilité au fond (article R.621-1), de référé-instruction (art. R. 532-1) ou de référé-constat (art. R. 531-1).
[131] Pour plus de précisions, voir : A. Jennequin, « Prouver l’indignité des conditions de détention dans le contentieux de la responsabilité : une gageure ? », RDLF, 2022, chron. n° 24.
[132] Dans ce cas, le juge considère que la demande se base sur des « faits révolus dont les conséquences ne peuvent plus être constatées à la date à laquelle il est statué sur la demande ». Voir, CE, 13 mars 2019, n° 418101 et 418102 ; AJDA 2019. 608, obs. C. Biget ; JCP A 2019. actu. 182, obs. F. Tesson et chron. O. Le Bot.
[133] CE, 2 déc. 2015, n° 371960, AJ pénal 2016. 280, obs. J. Falxa.
[134] A. Jennequin, « Prouver l’indignité des conditions de détention dans le contentieux de la responsabilité : une gageure ? », op. cit.
[135] Ibid.
[136] CE, ord., 30 juil. 2015, Section française de l’OIP, n° 392043.
[137] Selon les chiffres communiqués par la Fondation de France, 63% des détenus libérés de prison en « sortie sèche », sans accompagnement, récidivent dans les 5 ans. Voir, Fondation de France, « Prison : la pauvreté pour seul horizon », op. cit.
[138] ATIGIP, Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2022-1336 du 19 oct. 2022 relative aux droits sociaux des personnes détenues, JORF n° 0244 du 20 oct. 2022.
[139] D. Roman, « La justiciabilité des droits sociaux ou les enjeux de l’édification d’un État de droit social », La Revue des droits de l’homme, 2012, n° 1, [En ligne].
[140] Ibid., pp. 3-4.
[141] Pour une vue d’ensemble, voir : D. Roman, « La justiciabilité des droits sociaux ou les enjeux de l’édification d’un État de droit social », op. cit.
[142] J. Rivero, Libertés publiques, Paris, PUF, 9e éd., 2003, pp. 90-91.
[143] P. Mazeaud, « La place des considérations extra-juridiques dans l’exercice du contrôle de constitutionnalité », conférence prononcée à Erevan, 29 sept. et 2 oct. 2005 ; https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/pdf/Conseil/20051001erevan.pdf.
[144] V. Champeil-Desplats, « Note sous CC, 2004-505 DC », RTD eur., 2005, n° 2, p. 557.
[145] P. de Montalivet, « Les objectifs de valeur constitutionnelle », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 2006, n° 20 [en ligne].
[146] Par exemple, CE, 7 juin 2006, Association Aides et autres, n° 285576 ; AJDA 2006. 2233, note H. Rihal ; RDSS 2006. 1047, note L. Gay ; CE, 4 juil. 2012, Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes (CFPSAA), n° 341533. Voir aussi, C. Nivard, « L’effet direct de la Charte sociale européenne devant les juridictions suprêmes françaises », RDLF, 2012, chron. 28.
[147] CE, 5 mars 1999, Rouquette et Lipietz, n° 194658 ; RFDA 1999. 357, concl. Ch. Maugüé.
[148] Cons. const., n° 2015-485 QPC, 25 sept. 2015, M. Johny M. [Acte d’engagement des personnes détenues participant aux activités professionnelles dans les établissements pénitentiaires].
[149] Ibid., cons. 11.
[150] Sur ce point, voir : X. Prétot, « Le droit à l’insertion », RDSS, 1989, p. 635 ; R. Lafore, « Le droit aux droits », Informations sociales, 2000, n° 81, p. 84
[151] D. Roman, Le droit public face à la pauvreté, op. cit., pp. 399-408.
[152] R. Gassin, « Les fondements juridiques de la réinsertion des délinquants en droit positif français », Revue de science criminelle, 1996, n° 1, p. 155.
[153] J. Schmitz, « Définir le droit à la réinsertion. Les contradictions de la loi pénitentiaire de 2009 », Actes du colloque au titre de la formation continue des magistrats, op. cit., p. 7.
[154] J.-P. Céré, Fr. Février, « Rapport conclusif. Le droit à la réinsertion des personnes détenues », Actes du colloque au titre de la formation continue des magistrats, op. cit., p. 163.
[155] Cons. const, n° 93-334 DC, 20 janv. 1994, Loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale, cons. 12 ; Cons. const., n° 2009-593 DC, 19 nov. 2009, préc., cons. 3 ; Cons. const., n° 2014-393 QPC, 25 avr. 2014, préc., cons. 4.
[156] CEDH 3 avril 2012, Boulois c. Luxembourg, n° 37575/04, §§ 86-89.
[157] C’est par exemple ce qui conduit la Cour à considérer les peines perpétuelles contraires avec l’article 3 de la Convention EDH sauf à ce que ces dernières puissent offrir une chance d’élargissement et une possibilité de réexamen. CEDH, Gr. Ch. 9 juil. 2013, Vinter et autres c. Royaume-Uni, n° 66069/09 et autres, § 112.
[158] CEDH, 14 déc. 2010, Boulois c. Luxembourg, n° 37575/04, § 64.
[159] CE, 15 juil. 2010, Puci, n° 340313 ; CE, 13 nov. 2013, M. A., n° 338720.
[160] Loi n° 2021-1729 du 22 déc. 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, préc., art. 22.
[161] J. Schmitz, « Définir le droit à la réinsertion. Les contradictions de la loi pénitentiaire de 2009 », Actes du colloque au titre de la formation continue des magistrats, op. cit., p. 17.
[162] M. Hauriou, « Des services d’assistance », Revue d’économie politique, 1891, p. 616.