Le juge et les référés administratifs en Espagne. Réflexions de l’autre côté des Pyrénées
Réformés en 1998, les référés administratifs espagnols restent globalement très liés à l’article 24 de la Constitution espagnole qui consacre le droit à une protection juridictionnelle effective. Il en ressort un bilan mitigé, qui contraste de façon saisissante avec le franc succès remporté par les procédures d’urgence en contentieux administratif français.
François Barque est Maître de conférences à l’Université Grenoble-Alpes (CRJ EA 1965)
«La garantía de efectividad del fallo final es la médula misma de la institución cautelar; sin esa garantía, no hay tutela judicial, simplemente» (E. García de Enterría, «Reflexión sobre la constitucionalización de las medidas cautelares en el contencioso-administrativo», in La batalla por las medidas cautelares, Madrid, Civitas-Thomson, 2006, 3° édition, p.295) 1.
« Le contentieux administratif, moyen […] de protection de la légalité face à l’Administration, est en passe de devenir […] dans plusieurs Etats de l’Union européenne […] un système de […] protection des droits et des intérêts légitimes des citoyens. […] Le siècle qui s’annonce permettra de voir si cette tendance, clairement identifiable […], se confirme définitivement » (E. García de Enterría, « Contencioso-administativo objetivo y contencioso-administrativo subjetivo a finales del siglo XX. Una visión histórica y comparatista», Pensamiento constitucional, n°7, 2000, p. 58). Cette réflexion du professeur García de Enterría souligne le « changement de paradigme » (E. García de Enterría, op. cit., p.58) qui affecte la plupart des contentieux administratifs européens, au sein desquels le citoyen-requérant se voit octroyer davantage de garanties et de droits procéduraux.
Si la tendance est particulièrement notable en France -ce qui est bien connu-, elle l’est également en Espagne où la Constitution du 27 décembre 1978 (ci-après « CE »), le législateur, la jurisprudence du Tribunal constitutionnel et du Tribunal suprême ont puissamment conforté les outils juridictionnels disponibles pour lutter contre l’arbitraire administratif. Ce mouvement de subjectivisation repose notamment sur le renforcement des pouvoirs du juge de l’administration. A cet égard, la loi 29/1998 du 13 juillet 1998 régulant la juridiction du contentieux administratif (ley reguladora de la jurisdicción contencioso-administrativa, ci-après « LJCA ») vient jouer un rôle majeur. Abrogeant la loi du 27 décembre 1956, qui, déjà, apportait quelques garanties en faveur des administrés, la LJCA constitue une réelle avancée pour l’Etat de droit, renforçant à maints égards les prérogatives du juge à l’égard de l’administration.
A ce sujet, la réforme des référés administratifs est annoncée par l’exposé des motifs comme un des points-clés de la loi de 1998, le législateur ayant eu l’intention d’« actualiser considérablement la régulation » des référés, en déterminant de nouveaux critères. Deux grandes catégories de référés existent désormais. La première, dite de droit commun et figurant à l’article 130 LJCA, permet à tout requérant de demander une mesure en référé « lorsque l’exécution de l’acte ou l’application de la disposition [en cause] pourront faire perdre sa finalité légitime au recours [au fond] ». Vient alors la seconde catégorie, d’usage moins courant, qui sera sollicitée en cas de voie de fait ou d’inertie administrative. L’article 136 LJCA dispose alors que « la mesure en référé sera adoptée sauf s’il est manifeste [qu’il n’y a pas de voie de fait ou d’inertie] ou que la mesure occasionne une grave perturbation de l’intérêt général ou des intérêts de tiers ». Bien évidemment, des règles procédurales particulières sont prévues par les textes (voir G. PELLISSIER, « Espagne », in D. Le PRADO (dir.), Les procédures d’urgence devant les juges de l’administration, Paris, Société française de législation comparée, 2015, p.66) ; tout au plus peut-on relever, par exemple, la possibilité qu’a le juge, en cas d’extrême urgence, de statuer (sur le fondement de l’article 130 LJCA) dans un délai de deux jours, et sans entendre la partie adverse, pour octroyer ou non une mesure en référé (article 135 LJCA).
La pratique des référés relevant avant tout de la casuistique, le rôle du juge s’avère évidemment décisif. Décisif dans l’appréciation de l’urgence et des intérêts en présence. Décisif, aussi, dans les précisions que sa jurisprudence peut apporter sur les textes régissant les procédures de référé. Alors qu’en France, la loi du 30 juin 2000 a été l’occasion de développer et de « libérer » les pouvoirs du juge des référés, permettant à la doctrine de dresser très rapidement un bilan positif de la réforme (pour une analyse dithyrambique récente, cf D. Le PRADO, « Avant-propos », in D. Le PRADO (dir.), op. cit., p.12), en Espagne, la situation est quelque peu mitigée. En effet, ni la loi du 13 juillet 1998, ni le juge ne sont parvenus à assouplir les conditions d’octroi du référé, le cantonnant à une fonction particulièrement restrictive. Se fondant sur l’article 130 LJCA, le Tribunal suprême a forgé une définition de l’urgence qui permet aux référés d’être un outil inexorablement tourné vers l’utilité du jugement au fond. Entendue strictement, l’urgence est établie lorsqu’une mesure en référé est nécessaire pour éviter de faire perdre son efficacité audit jugement (I). Ce manque d’audace en ferait oublier la marge de manœuvre octroyée au juge à d’autres égards, notamment en ce qui concerne le choix des mesures prononçables ou encore la prise en compte des différents intérêts en cause (II).
I-La limitation de l’office du juge des référés
« Urgence d’un côté des Pyrénées, pas d’urgence au-delà ». Telle pourrait être la maxime résumant les différences entre les systèmes de référés espagnols et français.
En Espagne, le terme d’« urgence » n’est, certes, pas utilisé, le juge lui préférant l’expression latine de periculum in mora, mais il n’en demeure pas moins que cette dernière sous-tend l’idée d’urgence. Jusqu’en 1998, le législateur retenait expressément une définition stricte de l’urgence, interdisant au juge des référés d’octroyer une mesure lorsque l’acte en cause n’était pas susceptible de causer des dommages « d’impossible ou difficile réparation ». La formulation n’était pas sans rappeler celle qui gouvernait l’octroi de l’ancien sursis à exécution français, remplacé avec profit par le référé-suspension suite à l’entrée en vigueur de la loi de juin 2000. Autant dire qu’un requérant n’obtenait que très rarement une mesure en référé… Aussi, beaucoup d’espoir avait été placé dans le projet de réforme législative de 1998, la doctrine espagnole y voyant une possibilité d’atténuer ce rigoureux critère. Sur ce point, l’article 130 LJCA, formulé de manière moins avantageuse que dans la première version du texte, a particulièrement déçu. Une mesure en référé ordinaire ne pourra être octroyée que si « l’exécution de l’acte ou l’application de la disposition [en cause] pourront faire perdre sa finalité légitime au recours [au fond] ». De sorte que la jurisprudence n’a pas vraiment évolué, le Tribunal suprême considérant toujours que « la raison d’être des référés [réside] dans la nécessité de préserver l’effet utile du futur jugement au fond, devant la possibilité que la durée du procès puisse le mettre en danger, le cours du temps pouvant créer des situations irréversibles ou de difficile ou coûteuse réversibilité » (considérant de principe, notamment repris dans la décision du 18 novembre 2003 ; voir également C. Chinchilla Marín, « Las medidas cautelares en el proceso contencioso-administrativo en España », in I.-A. Damsky et alii, Las medidas cautelares en el proceso administrativo en Iberoamérica, México, 2009, p.138). Rien n’a donc changé, et il arrive que le juge ne fasse référence qu’à l’exigence d’une situation irréversible, sans faire mention des situations de difficile ou coûteuse réversibilité, soulignant par-là sa grande sévérité (STS du 30 juin 2014).
Il est, on s’en doute, très difficile pour un requérant de démontrer que le recours au fond exercé risque de perdre sa finalité légitime en raison du temps qui s’écoule (en ce sens, et très critique : E. García de Enterría et T. Fernández Rodríguez, Curso de derecho administrativo, Madrid, Civitas, 15° édition, 2011, tome II, p.664). De tels préjudices ne sont pas fréquents (on peut citer, par exemple, le cas relatif à la démolition d’une construction immobilière ; voir en sens J. González Pérez, Comentarios a la ley de la jurisdicción contencioso-administrativa, Madrid, Civitas, 5° édition, 2013, tome I, p.2331). Dès lors, invoquer le risque de subir un préjudice financier n’est, souvent, pas de nature à satisfaire cet exigeant critère, « plaie d’argent n’[étant] pas mortelle ». Tout au plus la jurisprudence admet-elle le préjudice financier lorsque ce dernier est de nature à entraver le développement économique normal du requérant ; à l’inverse, le juge a refusé une mesure provisoire à un requérant qui alléguait un préjudice de près de deux millions d’euros, estimant que ce dernier n’était pas irréversible (ATS du 17 avril 2013).
On peut s’interroger sur les raisons qui ont conduit le Tribunal suprême à maintenir cet exigeant critère. En France, la jurisprudence est devenue plus favorable à l’administré, tout du moins en ce qui concerne le référé-conservatoire et le référé-suspension. Concernant ce dernier référé, il suffit d’évoquer la jurisprudence Confédération nationale des radios libres pour s’en convaincre, le Conseil d’Etat ayant défini l’urgence comme impliquant « seulement » l’existence d’un préjudice « grave et immédiat » causé par une décision administrative (CE, Ass., 19 janvier 2001, Rec. p.29). Inutile de dire que cet assouplissement prétorien a renforcé l’attractivité de ce référé qui est devenu un outil incontournable pour défendre les droits des requérants.
En Espagne, cette sévère position s’explique par des raisons claires et précises. Le référé (de l’article 130 LJCA) demeure étroitement lié à l’effectivité du recours au fond : le Tribunal suprême, appuyé par le Tribunal constitutionnel, fonde sa jurisprudence sur l’article 24 CE qui consacre le droit à une protection juridictionnelle effective (voir en ce sens la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, spécialement la STC 14/1992 du 10 février 1992). La mesure en référé doit permettre de conserver l’intérêt du recours au fond en évitant que l’acte administratif en cause ne produise des effets irréversibles, auquel cas ledit recours deviendrait inutile. Relevons néanmoins que, en matière de référé, si la jurisprudence se fonde sur le principe de l’article 24 CE, le contentieux administratif, par d’autres aspects, n’apporte pas forcément les garanties nécessaires pour permettre aux référés de jouer pleinement ce rôle de garantie. Le droit à une protection juridictionnelle effective n’est donc pas intangible dès lors qu’il faut le combiner avec d’autres droits et principes, à l’instar de l’obligation d’exercer un recours administratif préalable (recurso de alzada) ou encore du principe d’efficacité de l’action publique (article 103§1 CE) qui emporte l’effet non-suspensif de la demande de référé (ce qui a été critiqué par certains auteurs : outre les nombreux travaux de C. Chinchilla Marín, voir par exemple E. García de Enterría et T. Fernández Rodríguez, op. cit., p.667).
Ce couplage entre le référé et l’effectivité du recours au fond ne se retrouve cependant pas pour le régime particulier –et marginal- de l’article 136 LJCA, applicable en cas de voie de fait ou d’inaction administrative. Dans un tel cas, la demande du requérant est automatiquement satisfaite, sauf s’il est manifeste que les situations requises par la loi ne sont pas présentes (voie de fait/inaction). Critiqué par la doctrine (par exemple C. Chinchilla Marín, « La tutela cautelar », in J. Leguina Villa et M. Sánchez Morón, Comentarios a la ley de la jurisdiccion contencioso-administrativa, Valladolid, Lex Nova, 2001, 2° édition, p.614), ce régime automatique n’est, en pratique, guère utilisé. Son existence ne permet pas de se départir du sentiment que, dans l’ensemble, les référés administratifs espagnols sont régis par une interprétation stricte de l’urgence/periculum in mora.
Pourtant, par d’autres aspects, la loi a permis de conserver, voire de conférer au juge une marge de manœuvre importante, tant dans le choix de la mesure en référé que dans la prise en compte des intérêts en présence.
II-L’octroi d’une certaine marge de manœuvre au juge des référés
« Hormis la suspension, point de salut ». Ainsi pouvait se résumer l’état du droit avant les mutations de la jurisprudence. En effet, la loi de 1956 ne reconnaissait que le pouvoir de suspension au juge des référés. Cependant, ce dernier n’a pas hésité à outrepasser les textes pour adopter d’autres mesures, en invoquant l’article 24 CE (protection juridictionnelle effective), ce qui avait été souhaité par la doctrine (C. Chinchilla Marín, La tutela cautelar en la nueva justicia administrativa, Madrid, Civitas, 1991, pp.180 et suivantes), puis appelé de ses vœux par le Tribunal suprême (on songe à l’ATS du 20 décembre 1990) et, surtout, validé par le Tribunal constitutionnel dans plusieurs décisions (par exemple SSTC 14/1992, précitée, et 148/1993 du 29 avril 1993, FJ 6). La première mesure dite « positive » a été adoptée par le Tribunal supérieur de justice du Pays basque qui a ordonné à l’administration partie au procès d’adopter, dans un délai de trente jours, un nouvel acte administratif plus explicite et contenant, entre autres, de vrais motifs de fond (Auto du 21 mars 1991 ; voir spécialement E. García de Enterría, « Medidas cautelares positivas y disociadas en el tiempo : el auto del 21 de marzo de 1991 de la sala de lo contencioso-administrativo del Tribunal superior de justicia del País vasco », in La batalla por las medidas cautelares, Madrid, Civitas-Thomson, 2006, 3° édition, pp.251 et suivantes ; voir également, du même auteur : « Nuevas medidas cautelares positivas », op.cit., pp. 279 et suivantes). La nouvelle LJCA vient consacrer cette audace jurisprudentielle pour les deux régimes de référés, son article 129 alinéa 1er disposant notamment que les « personnes intéressées pourront demander, à n’importe quel moment du procès, l’adoption de toute mesure visant à garantir l’effectivité de la décision [au fond] » (nous soulignons). Dès lors, à côté de la suspension possible d’un acte, le juge peut-il recourir à d’autres mesures -ce qu’il justifie en invoquant toujours l’article 24 CE et le principe de l’effectivité des recours (par exemple STS 2880/1999)- comme des injonctions de faire ou de ne pas faire. Tout au plus doit-on souligner l’existence d’une étonnante –et discutable- limite législative à cette palette indéfinie de pouvoirs : seule la suspension est possible pour les actes règlementaires (article 129 alinéa 2 LJCA)…
Dans la pratique, la suspension demeure la mesure la plus couramment prononcée par le juge, ce dernier faisant parfois montre d’audace, en n’hésitant pas à faire produire à la suspension des conséquences non provisoires. Ce fut le cas lors d’un contentieux relatif à une grève, où le juge des référés avait suspendu des réquisitions établies par l’administration, ce qui avait permis aux agents intéressés de participer à la grève, bien avant que le juge du fond ne se prononce sur cette affaire (le Tribunal constitutionnel ayant été saisi par le biais d’un recours d’amparo, voir la STC 148/1993 précitée)… En outre, relevons que le législateur (article 133 LJCA) a accordé au juge la possibilité de prononcer des mesures de « contre-référé » (medidas de contracautela), destinées à éviter ou effacer des préjudices causés par une mesure en référé qu’il a prononcée (en pratique, le juge accorde une caution).
Une marge de manœuvre appréciable réside également dans le choix du juge de prononcer ou pas des mesures en référé. L’article 130 LJCA est formel : ladite mesure « pourra » être accordée quand le juge estimera être en présence d’un periculum in mora, comme indiqué supra. Cette faculté, qui rappelle celle consacrée par la loi du 30 juin 2000 (cf les articles L. 521-1 à 521-3 du code de justice administrative ainsi que CE, Ass., 13 février 1976, Association de sauvegarde du quartier Notre-Dame, Rec. p.100), conduit donc le juge à opérer, au préalable, une « évaluation circonstanciée de tous les intérêts en conflit ». Dès lors, le juge peut, pour faire prévaloir d’autres intérêts qu’il estime plus important de protéger, outrepasser les critères prévus par la loi et refuser d’octroyer une mesure en référé alors même que le requérant avait satisfait le critère du periculum in mora. La jurisprudence du Tribunal ne dit pas autre chose : « quand les exigences d’exécution que présente l’intérêt général sont limitées, invoquer des préjudices de faible intensité suffira pour provoquer la suspension ; au contraire, quand cette exigence est de grande intensité, les seuls préjudices d’une importance certaine pourront déterminer la suspension de l’acte » (par exemple ATS 1832/2014). Pratique casuistique omniprésente en matière de référé, la mise en balance des intérêts ne conduit pas systématiquement à une solution favorable à l’intérêt général, comme l’illustre un contentieux fiscal où le contribuable a obtenu la suspension de l’imposition et des sanctions fiscales, compte tenu de sa « situation économique délicate » et de l’inexistence de dommages pour l’intérêt général (STS du 24 février 2014). Au cours de ce travail d’appréciation des intérêts, il paraît évident que le juge doit prendre également en considération les « chances » qu’a le requérant d’obtenir gain de cause au fond. Dès lors, même si l’article 130 LJCA n’y fait pas expressément référence, le « doute sérieux quant à la légalité de la décision administrative » ou, plus globalement le doute sur la légalité de l’action ou de l’inaction administrative est, en pratique, un critère à prendre en compte par le juge (ce critère est appelé, en Espagne, le fumus boni iuris ; la jurisprudence du Tribunal suprême autorise néanmoins le juge des référés à ne prendre en compte que ce dernier critère, sur le fondement de l’article 130 LJCA, et pas le critère du periculum in mora, dans des cas bien déterminés. Cf notamment l’ATS du 12 mars 2014).
L’article 136 LJCA, relatif au régime particulier de référé (inaction et voie de fait), va dans le même sens, et dispose que le juge n’aura pas à accorder automatiquement la mesure demandée si cette dernière « occasionne une perturbation grave de l’intérêt général ou de l’intérêt de tiers », intérêts qui devront être « pondérés de manière circonstanciée ».
*
* *
« Les référés n’ont pas pour finalité propre et directe de protéger provisoirement la position juridique de la partie qui, apparemment, a raison. Ils visent à préserver le droit à la protection juridictionnelle effective » (STS du 29 septembre 2008). L’article 24 CE, qui consacre ce droit, est donc la raison d’être des référés en Espagne, tout du moins pour ce qui est du référé de l’article 130 LJCA. Alors même que le juge dispose d’une grande liberté pour le choix des mesures et peut mettre en balance les intérêts en présence, il apparaît enfermé dans un carcan bien trop étroit. Une comparaison avec le système français des référés le révèle de manière éclatante. En France, le juge administratif des référés n’a pas à s’intéresser à l’effectivité de la décision au fond attendant le requérant qui l’a saisi ; ce qui compte, c’est, outre la question de la légalité de l’acte ou du comportement administratif en cause, l’appréciation de l’urgence qui n’est pas définie de façon aussi stricte qu’en Espagne. C’est spécialement vrai pour le référé-suspension et le référé-conservatoire, le juge pouvant accorder une mesure sans que le préjudice allégué ne soit considéré comme irréversible. Les référés administratifs français doivent être considérés comme un système de protection des administrés autonome vis-à-vis de la question relative à l’efficacité du recours au fond. Vérité d’un côté des Pyrénées, erreur au-delà (pour rependre, cette fois-ci sans l’altérer, le fameux dicton) ? Rien n’est moins sûr. Le système espagnol gagnerait assurément à opter pour davantage de souplesse, ce qui renforcerait l’attrait intrinsèque des référés, traduisant ainsi une nouvelle avancée du processus de subjectivisation du contentieux administratif. Le système français de référés constituerait alors une source d’inspiration intéressante, permettant d’atténuer quelque peu « le temps du doute » et le déclin de l’influence juridique française (F. Melleray, « Les trois âges du droit administratif comparé ou comment l’argument de droit comparé a changé de sens en droit administratif français », in F. Melleray (dir.), L’argument de droit comparé en droit administratif français, Bruxelles, Bruylant, 2007, p.20)…
Notes:
- « La garantie de l’effectivité du jugement au fond est la raison d’être des référés ; sans cette garantie, il n’y a tout simplement pas de protection juridictionnelle ». ↩