Les habits neufs du juge administratif
Les habits neufs du juge administratif
Par Blondin, dit « Le Bon »
Variations autour d’une controverse relative au port de la robe d’audience par les magistrats administratifs.
Tandis que le dernier pugilat électoral faisait rage, le bon peuple de France ayant eu à élire son roi, une revue juridique en robe écarlate a ouvert un débat vestimentaire que l’on voudrait apaiser avant que les esprits ne s’échauffent.
L’objet du litige tournait, en substance, autour du plumage dans ses rapports avec le ramage juridictionnel : la justice administrative a-t-elle ou non vocation à « s’enrober » – i. e., à porter la robe – dans l’âge mûr ? Un magistrat administratif aux importantes responsabilités syndicales s’est fait le défenseur (sinon l’avocat) de la robe d’audience, confessant son attirance pour la vêture de ses homologues judiciaires (A. Barlerin : Le dilemme de la robe et de l’épée : AJDA 2012, p. 121). L’emprunt au droit privé – un de plus – permettrait de marquer aux yeux du commun des mortels le caractère indubitablement juridictionnel de cette justice, pour ceux (mais s’en trouve-t-il ?) qui en douteraient encore. Évidemment, l’on ne saurait exclure que l’adoption de ce signe d’indépendance ostensible par rapport à l’Administration aboutisse également à renforcer le corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel face au conseil d’Etat.
Le Français, c’est connu, n’est jamais content. Alors que dans certaines corporations portant robe, on se verrait bien jeter la défroque aux orties, voici que l’on se prend à rêver d’en porter une là où il n’y en avait point jusqu’à présent. Cette proposition laisse toutefois ouvertes maintes interrogations. Il n’est pas sûr par exemple que l’uniforme doive uniformiser à tout crin (l’égalité n’excluant pas, selon une jurisprudence constante, les différences de traitement). On n’équipe pas à l’identique le juge chargé de dossiers sensibles dans une cité méridionale où le justiciable a la sulfateuse facile (une robe en kevlar semble appropriée), le magistrat de campagne – juge en robe des champs – et le robin des bois.
En face, un membre du corps (de robe…) professoral, fin connaisseur de la justice administrative, a répliqué par une défense et illustration de la tenue de ville, proposant même de l’étendre à toutes les juridictions en arguant qu’il existe d’autres manières pour un juge de prouver ce qu’il est que de s’accoutrer comme dans l’ancien temps (P. Cassia : Pour des magistrats administratifs en tenue civile : AJDA 2012, p. 849). Les arguments déployés sont massifs (tout ayant d’ailleurs été écrit sur les accessoires des gens de justice depuis un certain Jean de la Fontaine, que de modernes épigones ont remis au goût du jour : A. Garapon, L’âne portant des reliques. Essai sur le rituel judiciaire : Le Centurion, 1985) ; ils se ramènent en bref à ceci, que l’habit ne fait ni le moine ni le juge et que c’est finalement par sa capacité à mettre les parties sur le même pied que la justice administrative sera un peu plus une justice et un peu moins administrative. Voilà les tenants de la robe habillés pour le prochain hiver.
On n’alimentera la controverse, ni pro ni contra : à quoi bon tailler un costume à l’une des deux parties ? Mais, à défaut de concilier la chèvre et le chou (mission impossible, la robe excluant le costume civil et réciproquement), il paraît envisageable de couper la poire en deux pour mettre tout le monde d’accord. Les meilleures idées sont les plus simples : s’il n’y a entente ni sur la robe d’audience ni sur la tenue de ville, il faut (demi-mesure, qui est le bon sens même) que les juges administratifs portent une jupe.
En résulterait un nouveau principe, exprimé sous forme d’adage (« Un juge, une jupe »), à graver dare-dare dans le marbre du Code de justice administrative. Une telle suggestion, qui ne soulèvera d’objections que de la part des grincheux, réalise le meilleur équilibre entre distance seyant à la fonction de juger et proximité avec le justiciable. Elle prend en compte un légitime souci des formes, si typique de notre justice administrative, sans sacrifier pour cela les intérêts de l’industrie textile.
Si le principe devrait faire consensus, on n’ignore pas que le diable est dans les détails et que le délicat résidera (comme toujours) dans la mise en œuvre. Celle-ci appelle, pour bien faire, un ajustement aux différentes situations (non à la jupe unique !). Situations hiérarchiques : proposons que la jupe descende – ou, plutôt, s’allonge – à mesure que le juge gravit les échelons (à petit juge, minijupe ; à super juge, maxi jupe) et que le vêtement se pare de peau de lapin (l’hermine se faisant rare). Mais parler de fourrure, c’est aborder les problèmes de thermomètre et, par là, de géographie. Il importe d’adapter la tenue aux lieux et au climat : jupes en grosse laine vers le Septentrion (TA Lille, CAA Douai…) ; pagnes, tuniques ou sarongs en coton, là où le soleil cogne plus dur (TA Montpellier, CAA Marseille, etc.) ; paréo de rigueur, naturellement, outre-mer (que le juge des antipodes soit en bas ou en haut du cocotier).
Et le sexe, dans tout cela ? L’on y vient, précisément. La féminisation des corps de justice est une réalité (qui ne connaît les gazelles du palais ?) ; cependant, il y a encore quelques porteurs de bacchantes ou de barbe – du côté de laquelle fut, longtemps, la toute-puissance – qui exercent l’imperium dans le prétoire. Pour ces messieurs, la clef se trouve accross the Channel, où l’on ne badine pas avec les apparences : elle réside dans le port du kilt (éventuellement réinterprété par Jean-Paul Gaultier ou Vivienne Westwood).
On ne brodera pas davantage sur les jupes, car comme icelles, les exposés les plus courts sont à privilégier. Ce sont juste de premières réflexions, qu’une commission ad hoc – composée à parts égales de représentants des grands corps de l’Etat et du reste du monde – devrait bientôt creuser. Il faudra, entre autres, trancher entre les styles et les couleurs (des jupes bouffantes noir corbeau aux jupettes d’un rouge ardent, tout est possible) ; choisir l’étoffe adéquate ainsi que l’étole assortie ; concilier le port d’une jupe d’audience avec les exigences du principe de transparence ; ou encore, plancher sur quelques mesures d’accompagnement propres à vaincre les résistances (on peut imaginer, pour rendre les choses festives, l’instauration d’une « Journée de la jupe », qui serait à la justice administrative ce qu’est la Saint-Yves pour le Barreau).
Achevons ce rapide éloge de la « jupstice administrative » en formant le vœu que la réflexion sur ce grave sujet s’élève à un niveau de généralité suffisant pour appréhender le problème dans sa globalité. Jusqu’alors la controverse, quelque peu étriquée, est demeurée cantonnée aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d’appel. Les membres du conseil d’Etat, dit-on, ne sont pas statutairement des magistrats et font aussi autre chose que juger (il s’agit de leur fonction consultative, laquelle se traduit par des activités de conseil) : qu’ils gardent donc leur bicorne et leur épée ! Ces objections sont fortes ; elles ne sont pas définitives. Qu’importe le statut, c’est la fonction qui compte. On a assez écrit que si les membres de ce corps de prestige ne sont pas magistrats, c’est vraiment tout comme, pour qu’il soit impensable de n’en pas tirer toutes les conséquences. Dès lors que le costume d’audience manifeste le caractère juridictionnel de l’instance, le justiciable comprendrait mal son absence et risquerait d’en déduire – horresco referens – que la haute assemblée n’est pas une vraie juridiction. La conclusion coule de source : pas de jupes du fond sans jupe de cassation ! C’est la meilleure façon de rendre tangible la profonde unité de la justice administrative.
Pour aller plus loin. – Bruno Neveu : V° Costumes des juristes (Dictionnaire de la culture juridique, dir. D. Alland et S. Rials : PUF/ Lamy, Quadrige, 2003). – Christine Bard : Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances (Autrement, 2010).
Pour citer cet article : Blondin dit « le Bon », « Les habits neufs du juge administratif », RDLF 2012, chron. n°13 (www.revuedlf.com)
Tout simplement…magistral!
Humour et esprit, que demander de plus?
Merci