Chronique de droit constitutionnel comparé – 2019 – Le mariage entre personnes de même sexe devant le juge
La RDLF a décidé de publier, au moins une fois par an, une Chronique de droit constitutionnel comparé en matière de Droits et libertés fondamentaux. En décloisonnant les frontières de la réflexion juridique, cette Chronique entend, par la comparaison, révéler les problématiques constitutionnelles que soulève la consécration, l’interprétation, la protection ou l’exercice des droits et libertés ; elle a également vocation à faire émerger les dynamiques que les droits et libertés suscitent dans les systèmes constitutionnels nationaux. Privilégiant donc l’analyse comparée à l’exhaustivité, chaque numéro de la présente Chronique s’organisera autour d’une thématique ayant récemment occupé le débat politique ainsi que le contentieux constitutionnel dans un certain nombre d’Etats.
Jordane Arlettaz (Professeur de droit public, Université de Montpellier, CERCOP) ; Augustin Berthout (Doctorant contractuel, Université de Montpellier, CERCOP) ; Gohar Galustian (Doctorante vacataire, Université de Montpellier, CERCOP) ; Alice Mauras (Doctorante contractuelle, Université de Montpellier, CERCOP)
Un rapide tour d’horizon de l’actualité ayant agité les années 2017 et 2018 conduit sans difficulté à observer que les juges constitutionnels comme suprêmes ne cessent d’être saisis de requêtes plaçant le combat contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle dans le champ constitutionnel. Aux Etats-Unis[1] comme au Royaume-Uni[2], c’est la question inédite de « l’objection de conscience » des boulangers qui a occupé le contentieux, dans des affaires ayant vu d’un côté un boulanger américain refuser de réaliser un gâteau destiné à célébrer un mariage homosexuel et, de l’autre, son collègue nord-irlandais s’opposer à faire figurer, sur une pâtisserie, un slogan soutenant le mariage gay. Les deux Cours suprêmes ont en 2018 confirmé le refus des boulangers qui arguaient devant les juges, la défense de leur conviction religieuse. En Inde, c’est la constitutionnalité du Code pénal criminalisant les relations sexuelles qualifiées de relations « contre l’ordre de la nature » qui a été une nouvelle fois contrôlée par la Cour suprême ; déclarant l’inconstitutionnalité de l’article contesté, la Cour suprême indienne a opposé la notion de moralité constitutionnelle à celle de morale sociale[3].
Ailleurs, c’est plus précisément à la problématique de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe que furent confrontés les systèmes constitutionnels. De fait, dans cet ensemble hétérogène de combats contre les discriminations, celui revendiquant le droit au mariage pour les couples entre personnes de même sexe demeure singulier sur le plan juridique. La première de ces singularités tient notamment au fait que cette revendication soulève parfois une bataille sur ou par les mots. L’opposition à la reconnaissance du mariage homosexuel peut en effet prendre une voie originale qui, n’exprimant aucune interdiction, se limite en réalité à donner au mariage la définition d’une union entre un homme et une femme. Dans ce cas, nul droit explicitement nié, nulle exclusion pleinement assumée : l’opération juridique prend la figure d’une simple précision sémantique, faisant de la norme constitutionnelle sur le mariage, un texte qui pourrait tout aussi bien figurer dans un dictionnaire à l’entrée « mariage (n. m.) : union d’un homme et d’une femme ». Cette bataille de mots est celle qui a notamment conduit le pouvoir cubain, en décembre 2018, à renoncer, après consultation populaire, à inscrire dans le projet de nouvelle Constitution, une définition sexuellement neutre du mariage – l’union entre deux personnes – contrairement à la Constitution en vigueur qui décrit aujourd’hui le mariage comme l’« union entre un homme et une femme »[4]. Le pouvoir constituant géorgien a souhaité préciser dans la nouvelle Constitution de 2017 que « le mariage est l’union d’un homme et d’une femme dans le but de créer une famille »[5]. Le 7 octobre 2018, les Roumains se sont prononcés à l’occasion d’un référendum visant à définir le mariage mentionné dans la Constitution comme étant l’union « entre un homme et une femme »[6] ; de même en Autriche, la coalition actuellement au pouvoir et regroupant l’ÖVP et le FPÖ a envisagé de modifier la Constitution afin d’introduire une définition hétérosexuelle du mariage dans la Constitution avant d’y renoncer, faute de soutien politique suffisant[7].
Cette bataille sur les mots peut pourtant paraître vaine tant il est vrai que les juges savent s’émanciper de formules précises ou, au contraire, affirmer ce que le texte ne dit pas expressément ; c’est là la seconde des singularités du débat juridique portant sur le droit au mariage pour les couples homosexuels. Les précédents espagnol et italien le démontrent[8] : alors que la Constitution espagnole reconnaît que « l’homme et la femme ont le droit de contracter mariage » et la Constitution italienne, plus neutre, que « le mariage repose sur l’égalité morale et juridique des époux », le Tribunal constitutionnel espagnol a confirmé la constitutionnalité du mariage homosexuel[9] quand la Cour constitutionnelle italienne[10] consacrait l’hétérosexualité du mariage inscrit dans la Norme fondamentale. L’exemple français illustre pour sa part que, lorsque la Constitution ne dit rien, le juge constitutionnel peut décider d’en faire autant, validant d’abord l’interdiction du mariage homosexuel[11], confirmant ensuite sa reconnaissance par la loi[12]. L’attention des juristes et tout particulièrement des constitutionnalistes doit donc nécessairement porter sur le raisonnement jurisprudentiel, bien au-delà du verbe. En ce domaine justement, le mariage entre personnes de même sexe a récemment fait l’objet de riches jurisprudences en Australie, en Autriche, en Roumanie, devant la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme ainsi qu’au Costa Rica.
Une rapide présentation s’impose. Alors que le Parlement australien a, en 2004, inséré une définition hétérosexuelle du mariage dans la loi, la Haute Cour a jugé en 2013 que la Constitution donnait compétence au législateur fédéral pour consacrer le mariage homosexuel[13] ; de fait, la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe a, après consultation postale, été adoptée en Australie le 9 décembre 2017. Quelques jours plus tôt, le 4 décembre 2017, la Cour constitutionnelle autrichienne censurait tout à la fois le mariage exclusivement hétérosexuel et le partenariat enregistré strictement homosexuel ; selon les juges en effet, cette double restriction organisée par le législateur conduisait à ce que la mention, inscrite à l’état civil, de la situation de « marié(e) » ou « en partenariat enregistré » emportait de facto la révélation de l’orientation soit hétérosexuelle – mariage – soit homosexuelle – partenariat enregistré – de la personne[14]. En Roumanie, une association luttant contre la reconnaissance du mariage homosexuel fut à l’origine d’une proposition de révision constitutionnelle tendant à préciser dans la Constitution que le mariage demeure l’union « entre un homme et une femme » ; la Cour constitutionnelle a en juillet 2016[15] reconnu la constitutionnalité de cette proposition qui a donc pu faire l’objet d’un référendum en octobre 2018. Faute de participation suffisante, le référendum a néanmoins été reconnu comme non valide[16]. Parallèlement, la Cour constitutionnelle roumaine a saisi la Cour de Justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle dans une affaire concernant la reconnaissance d’un mariage homosexuel célébré en Belgique entre un ressortissant américain et un citoyen roumain. En juin 2018, le juge du Luxembourg a précisé que le droit européen imposait aux Etats membres d’accorder tous les effets juridiques découlant de ce type d’unions, même lorsque le droit national ne reconnaît pas ces unions[17]. En septembre 2018, la Cour constitutionnelle a fidèlement appliqué la jurisprudence européenne[18]. Enfin, en novembre 2017, la Cour interaméricaine des droits de l’homme rendait, à la demande du Costa Rica, une opinion consultative relativement à la question du mariage homosexuel[19] : se distinguant très nettement de la Cour européenne des droits de l’Homme tout en la citant longuement, elle a invité les Etats parties, au nom du principe de non-discrimination, à ouvrir leurs institutions existantes, y compris le mariage, aux couples homosexuels. Suivant l’opinion consultative de la Cour interaméricaine qu’elle avait sollicitée, la Cour suprême de Justice du Costa Rica a, par une résolution en date du 8 août 2018, enjoint le législateur à modifier le cadre juridique en vigueur afin de reconnaître le mariage entre personnes de même sexe[20].
Sans doute est-il d’abord nécessaire de relever que les contentieux ici analysés se présentent comme fort divers : l’Australie a abordé le mariage à travers la seule question fédérale, la Cour interaméricaine a rendu une opinion consultative exclusivement fondée sur les droits, les juges autrichiens ont exercé un « classique » contrôle de constitutionnalité de la loi quand la Cour roumaine a apprécié la conformité d’une proposition citoyenne de référendum constitutionnel. Pourtant, une telle diversité n’empêche nullement de faire émerger quelques enseignements qu’offre la comparaison : le premier informe de ce que le juge appréhende le mariage certes dans sa spécificité mais en soulignant néanmoins la réalité sociale et juridique d’une pluralité des formes d’union (I). Le second éclaire sur le fait que le juge est par ailleurs contraint de s’appréhender lui-même dans une pluralité des lieux de pouvoir, devant composer en matière de mariage homosexuel, avec un législateur issu du processus démocratique ou avec un peuple souhaitant s’exprimer démocratiquement (II).
J. Arlettaz
I. Le juge face à la pluralité des formes d’union
L’étude des jurisprudences relatives au mariage témoigne de la difficulté devant laquelle se trouvent les juges à l’heure d’exercer leur office. Au sein des Tribunaux, le débat sur les droits comprend en effet celui interrogeant la fonction sociale du mariage, très largement discutée par le juge (A). Une autre réalité sociale s’impose : celle de l’existence, de fait ou de droit, des unions homosexuelles qui participe alors devant le juge au questionnement sur l’ouverture et la définition du mariage (B).
A. La fonction sociale du mariage discutée par le juge
Mariage et société – La lecture des jurisprudences récentes et relatives au mariage homosexuel, révèle que le forum juridictionnel n’est pas épargné par les débats qui agitent régulièrement l’arène politique autour de la fonction sociale du mariage ; sous la plume des juges, se dessine en effet un mariage qui, loin d’être réduit à un simple engagement juridique entre deux personnes, est majoritairement appréhendé à travers la notion d’institution, intégré dans celle de tradition ou de religion, incorporé dans celle de famille ou associé à celle de procréation. Certes, le juge peut soit confirmer cette fonction sociale – voire la juridiciser – soit au contraire rejeter une interprétation cristallisée du mariage, pareille alternative révélant sans surprise une diversité de solutions jurisprudentielles. Les décisions diffèrent donc entre les Cours mais ne remettent nullement en cause un premier enseignement issu de l’analyse comparée des jurisprudences : les juges ne semblent pouvoir faire l’économie, sur le plan argumentatif, de la fonction singulière conférée au mariage dans l’histoire de nos sociétés. La Cour européenne des droits de l’Homme ne fait pas exception lorsqu’elle s’évertue à relever que « l’institution mariage »[21] possède « des connotations sociales et culturelles profondément enracinées »[22]. En matière de reconnaissance juridique du mariage homosexuel donc, le combat pour les droits ainsi que la bataille sur les mots se présentent de manière spécifique devant le juge, comme si le mariage était plus qu’une union, comme si les époux formaient plus qu’un couple.
Il est vrai que les juges composent avec des textes constitutionnels qui, dans certains des Etats ici étudiés, appréhendent le mariage dans sa fonction sociale. Ainsi, liant mariage et famille, l’article 48 de la Constitution roumaine dispose que « la famille est fondée sur le mariage librement consenti entre les époux »[23] quand la Constitution du Costa Rica consacre solennellement que « le mariage est la base fondamentale de la famille »[24]. La Constitution australienne, qui se présente plus comme une Norme sur les pouvoirs que comme une Déclaration de droits, n’envisage le mariage qu’en tant que matière relevant de la compétence fédérale[25] ; c’est donc en convoquant des précédents britanniques, sans fondement constitutionnel, que la Haute Cour a souligné tout au long du XXe siècle – avant de s’en émanciper récemment – l’importance du mariage dans le Christianisme, ce dernier ayant grandement participé selon les juges à faire du mariage une « institution sociale […] fondamentale et universelle »[26]. Enfin, si de son côté la Constitution autrichienne ne définit ni le mariage ni la famille, la Cour constitutionnelle a néanmoins jugé en 2003 que le mariage était « orienté vers la possibilité fondamentale de la parentalité »[27]. Cette position jurisprudentielle, que les juges autrichiens ont renversé par leur arrêt en date du 4 décembre 2017[28], tendait dès lors à placer la procréation au cœur du projet marital. Le silence du texte constitutionnel autrichien explique d’ailleurs pour partie que le revirement de jurisprudence récemment opéré par la Cour ait contourné le débat institutionnel pour privilégier le terrain du principe de non-discrimination.
Que le mariage soit donc qualifié d’institution sociale – Australie – ou qu’il soit considéré comme étant au fondement d’une autre institution sociale qu’est la famille – Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, n’importe cependant guère tant il est vrai que l’une comme l’autre de ces acceptions conduit tout naturellement à faire de la définition du mariage un enjeu tout à la fois juridique et social. Sans doute est-ce là l’explication de quelques prudences argumentatives dont ont fait preuve les juges sans que ces précautions langagières n’affectent la réalité de solutions souvent ambitieuses. La Cour interaméricaine en est une illustration lorsqu’elle aborde la problématique des convictions religieuses ou philosophiques qui animent parfois, selon elle, les oppositions au mariage entre personnes de même sexe. A ce sujet, elle tient certes à préciser « l’importance du rôle de ces convictions dans la vie et la dignité des personnes » mais refuse de les élever au rang de paramètre de conventionnalité : « ces convictions ne peuvent conditionner ce qui est établi par la Convention »[29]. Les juges de la Salle constitutionnelle de la Cour suprême de Justice du Costa Rica, à l’origine de la saisine consultative de la Cour interaméricaine, emprunteront la même voie ; dans leur résolution du 18 août 2018, les juges ont entendu disserter sur la distinction qu’il conviendrait d’opérer entre mariage religieux et institution civile, le premier reposant sur les croyances spirituelles de chacun quand la seconde demeure un cadre juridique fixé par les représentants démocratiques du peuple[30]. Ce cadre juridique, justement, est bien celui qu’a construit en décembre 2017 le Parlement australien en votant la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe ; dans un même élan législatif cependant, qui se saisit entièrement de la fonction sociale du mariage, furent également adoptées des dispositions visant à protéger la liberté religieuse[31]. L’amendement à la Loi australienne sur le mariage s’est en effet accompagné de la reconnaissance du droit des ministres du culte de refuser de célébrer un mariage au nom de leur doctrine religieuse.
La définition – sexuelle – du mariage présente donc bien un enjeu tant juridique que social que la jurisprudence ne fait que refléter. Devant une Cour, cet enjeu devient par ailleurs juridictionnel en contraignant le juge à choisir entre une interprétation évolutive du mariage ou, à l’inverse, une lecture originaliste des textes qui enferme les mots dans le sens qui était le leur au moment de leur adoption. Ce triple enjeu social, juridique et juridictionnel se dévoile sans difficulté dans l’avis rendu par la Cour interaméricaine quand celle-ci précise que « ce n’est pas parce que la Cour considère que les couples homosexuels forment une famille qu’elle méconnaît l’importance de cette institution »[32]. Tout est dit : comment interpréter une norme qui a fait société ?
Mariage et interprétation – En réponse à cet enjeu essentiel qui est incontestablement d’ordre herméneutique, les juges australiens, interaméricains et, sous l’impulsion de ces derniers, les juges costaricains, ont opté pour une interprétation évolutive du mariage sans pour autant nier la spécificité de cette union au regard de sa fonction sociale ; à l’inverse, la Cour constitutionnelle roumaine a pour sa part défendu une approche originaliste de la Constitution et, avec elle, une définition strictement hétérosexuelle du mariage.
Une comparaison plus fine permet néanmoins de distinguer la Haute Cour d’Australie, défendant le strict raisonnement juridique, de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme aux accents bien plus sociologiques. Pour la première en effet, le mariage est certes une institution sociale[33], mais devient en droit et plus prosaïquement, une catégorie ou un régime juridique. Cette approche est cependant récente : en 1962 en effet, le mariage est encore reconnu par les juges australiens comme cette « institution sociale […] fondamentale et universelle »[34] et ne devient qu’en 2013 et à l’unanimité de la Haute Cour, un « statut, reflet d’une institution sociale, auquel sont rattachées des conséquences juridiques ». De « l’institution » au « reflet d’une institution », le mariage est désormais appréhendé en Australie par ses (seuls) effets en droit. Il faut néanmoins concéder que la jurisprudence de 2013 doit beaucoup à celle de 1962 et notamment au juge Windeyer qui y affirmait déjà que « l’interprétation constitutionnelle [étant affectée] par les usages construits dans le langage juridique », « le terme « mariage » inscrit dans la Constitution se réfère [certes] au mariage en tant qu’institution mais comme le comprend un juriste et non au sens d’un anthropologue ou d’un sociologue ». Se trouve ainsi acquis en 2013, ce que le juge Windeyer défendait quarante ans plus tôt : le droit n’étant pas fidèle traduction de faits sociaux ni le juge simple traducteur des usages en cours dans une société, le mariage est un « élément reconnu dans la classification juridique »[35]. Il est vrai que comme l’affirme désormais la Haute Cour : la question « quelle est la nature de [l’]institution [du mariage] au sens de la Chrétienté ? » n’équivaut pas à celle qui interroge pour savoir « quelle est la nature […] du mariage dans la Constitution australienne ? ».
Pour la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, l’interprétation évolutive du mariage doit, comme en Australie, l’emporter sur toute lecture originaliste des textes mais l’argumentation déployée par les juges de San José s’agrémente largement d’observations sociologiques dont les juges australiens ont usé avec parcimonie. Selon la Cour interaméricaine en effet, la famille est une institution sociale dont le mariage et les autres formes d’union sont au fondement ; si donc le mariage peut aujourd’hui être juridiquement ouvert aux couples homosexuels, c’est parce que la famille, en tant qu’institution sociale, « n’est pas restée en marge du développement des sociétés. Sa conceptualisation a [au contraire] varié et évolué en fonction des époques ». Plus généralement constate la Cour, « à plusieurs reprises, l’évolution [des] notions dans les sociétés a eu lieu bien avant que la législation d’un Etat ne s’adapte à celles-ci »[36]. De fait poursuit-elle, « il existe plusieurs formes de famille qui ne se limitent pas aux relations fondées sur le mariage », concluant que « la famille peut être composée de personnes ayant différentes identités de genres et/ou orientations sexuelles »[37]. Le juge de la Cour interaméricaine a donc, sans sourciller, revêtu les habits de ce sociologue que la Haute Cour d’Australie a refusé d’être. Certes, le juge australien ne fut pas indifférent aux grandes mutations de nos sociétés mais lorsqu’il s’en est saisi, c’est pour les appréhender dans leur seule traduction juridique. Ainsi, si toute interprétation originaliste de la Constitution doit être rejetée, c’est aussi parce que cette interprétation n’a déjà plus de raison d’être selon la Haute Cour : en 1901, date d’adoption de la Constitution australienne, le mariage s’entendait ainsi « pour la vie » quand le législateur a depuis organisé les modalités de sa dissolution. C’est reconnaître que « les droits et obligations qui s’attachent au statut du mariage n’ont jamais été et ne sont toujours pas immuables »[38]. Les deux visages offerts par les juges interaméricain et australien pour une même interprétation s’expliquent certainement en ce que les premiers remplissent la fonction de juges des droits de l’Homme quand les seconds jouent les arbitres du fédéralisme. La Cour interaméricaine peut ainsi défendre l’idée selon laquelle une « interprétation restrictive du concept de famille irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par la Convention, c’est-à-dire protéger les droits de l’Homme »[39] ; la Haute Cour d’Australie se contentera pour sa part de conclure que le mariage entre personnes de même sexe ne peut être consacré que par une loi fédérale, les Etats fédérés ne disposant pas d’une telle compétence.
La décision rendue par la Cour constitutionnelle roumaine se démarque très nettement de la jurisprudence issue des contrées américaine ou australienne. Il est vrai que les juges roumains ont été saisis d’un contentieux fort singulier : nulle législation mais un projet de révision constitutionnelle, pas de contrôle de l’œuvre politique d’un Parlement mais celui d’une initiative citoyenne, pas de question de constitutionnalité portant sur l’interdiction du mariage homosexuel mais celle relative au contraire à l’affirmation du mariage hétérosexuel. Alors que l’article 48 de la Constitution roumaine reconnaît la famille comme « fondée sur le mariage librement consenti entre les époux », les juges vont néanmoins articuler leur raisonnement autour d’une dissociation minutieuse entre le droit au mariage d’un côté et le droit à la vie familiale de l’autre. La proposition citoyenne de révision constitutionnelle tendant à inscrire à l’article 48 que le mariage est librement consenti « entre un homme et une femme » en lieu et place de la référence asexuée des actuels « époux », la Cour roumaine juge dans sa décision du 20 juillet 2016 que la proposition ne vise ni à supprimer ni à affecter le droit au mariage ; la modification constitutionnelle opèrerait plus justement une « précision sur l’exercice de ce droit ». Or une telle précision, selon les juges constitutionnels, correspond « à la signification originaire du texte »[40]. En 1991 en effet, le constituant roumain entendait le mariage dans sa conception traditionnelle, soit l’union entre un homme et une femme ; en ce sens, inscrire le mariage hétérosexuel dans la Constitution ne serait qu’expliciter aujourd’hui l’œuvre constituante implicite de 1991. Si, pour d’aucuns, la Cour constitutionnelle roumaine a, à travers une interprétation originaliste, réalisé une « palissade apte à cacher les préférences des juges »[41], il demeure que l’interprétation strictement hétérosexuelle du mariage effectuée par la Cour ne se comprend qu’associée à la reconnaissance par celle-ci de l’absence de toute « différence affective, juridique et morale entre les conjoints mariés et ceux vivant dans une union consensuelle »[42]. Car une autre problématique juridique apparaît en matière de reconnaissance de l’égalité des droits pour les couples homosexuels : le juge peut-il demeurer – totalement – indifférent à la réalité sociale des autres formes d’union ?
J. Arlettaz
B. La réalité sociale de l’union homosexuelle soumise au juge
C’est un lieu commun de rappeler que le droit se modifie selon l’évolution de la société. Particulièrement à l’égard du droit de la famille, Jean Carbonnier constatait déjà en 1979 que « la loi reconnaît aux familles constituées selon la nature le pouvoir extraordinaire de se créer leur propre droit en le vivant »[43]. Par là, le Doyen civiliste faisait observer que le législateur tendait de plus en plus à consacrer en droit les nouvelles réalités sociales familiales. Aussi résumait-il ainsi la politique législative française en la matière : « En France, nous disons à la famille : “vous affirmerez votre droit en vous aimant” – et au voisinage : “vous les aiderez à affirmer leur droit en les regardant s’aimer”. Du moins est-ce à peu près cela »[44]. Ce phénomène d’adaptation des règles du droit de la famille aux évolutions sociales perdure bel et bien, même hors de France, car il s’agit d’un phénomène observable dans les récentes actualités des jurisprudences ici étudiées. Saisis particulièrement de la demande de reconnaissance du mariage homosexuel, les juges se trouvent toutefois dans des environnements juridiques différents qu’ils ne peuvent ignorer. Alors que certains États, tout en réservant le mariage aux seuls couples hétérosexuels, ont consacré un régime juridique parallèle pour sécuriser les unions homosexuelles, d’autres laissent ces unions dans un vide juridique qui les condamne à demeurer des unions de fait. L’un comme l’autre de ces environnements juridiques influe nécessairement sur le contrôle de constitutionnalité ou de conventionnalité effectué par les juges.
Les juges face à l’existence des unions homosexuelles de fait – L’existence de couples homosexuels dans nos sociétés a récemment entrainé les juges à s’interroger sur la reconnaissance juridique de telles unions de fait. Excluant la possibilité d’ignorer le réel, les juges n’ont guère que deux possibilités afin de conférer en droit un régime stabilisant les unions homosexuelles. Ou bien ils déclarent inconstitutionnel ou inconventionnel le caractère hétérosexuel du mariage afin de permettre à deux hommes ou à deux femmes de conclure un mariage. Ou bien ils incitent le législateur à créer une institution parallèle ouverte aux couples homosexuels. Certaines décisions récentes ont choisi la première option ; celle de la déclaration d’inconstitutionnalité ou d’inconventionnalité du caractère hétérosexuel du mariage et donc de son ouverture subséquente aux couples homosexuels. Que cela soit l’opinion consultative de la Cour IDH du 24 novembre 2017 ou l’arrêt de la Cour Suprême de Justice du Costa Rica du 8 août 2018, ces deux interventions jurisprudentielles ont ouvert la voie à l’élargissement du mariage aux couples homosexuels. De façon peu surprenante, elles se sont toutes les deux basées sur le principe de non discrimination pour justifier de l’inconventionnalité ou de l’inconstitutionnalité du caractère hétérosexuel du mariage.
C’est d’abord la Cour IDH qui a estimé qu’il convenait d’ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe. Quand bien même l’article 17.2 de la CADH dispose que « le droit de se marier, et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme […] », le juge a estimé qu’il ne fallait pas restreindre le mariage aux seuls couples hétérosexuels. A la différence de la Cour EDH qui n’avait pas reconnu l’obligation pour les États membres du Conseil de l’Europe d’ouvrir le mariage entre personnes de même sexe[45], mais seulement de créer un cadre légal en vue de reconnaître juridiquement les unions homosexuelles stables et établies[46], la Cour IDH a considéré quant à elle que la création d’une institution parallèle spécialement ouverte aux couples de personnes de même sexe serait contraire au principe d’égalité et de non discrimination en ce qu’une telle distinction n’aurait aucune finalité conventionnellement acceptable pour être considérée comme nécessaire et proportionnée[47]. Aussi, le juge américain préconise-t-il d’étendre les figures juridiques existantes, y compris le mariage, aux couples homosexuels[48] dans la mesure où il s’agit, selon lui, du « moyen le plus efficace et le plus simple pour assurer leurs droits »[49]. Sur ce point, la comparaison avec la Cour EDH est particulièrement intéressante car, précisément, les juges strasbourgeois ont considéré à l’inverse que la création d’une institution parallèle au mariage comme une union civile ou un partenariat enregistré pour reconnaitre juridiquement les relations homosexuelles stables et établies « constituerait le moyen le plus approprié pour les couples homosexuels tels que ceux des requérants de voir leur relation reconnue par la loi »[50]. A la suite et dans le sens de l’opinion de la Cour IDH, la Cour Suprême de Justice costaricaine considéra que l’article 14 alinéa 6 du Code de la famille costaricain rendant « légalement impossible le mariage entre des personnes du même sexe »[51] était inconstitutionnel et inconventionnel au motif qu’il était contraire au droit à l’égalité garanti par l’article 33 de la Constitution costaricaine[52] et par l’article 24 de la CADH[53]. Au soutien de cette affirmation, le juge estimait qu’une telle disposition interdisait l’accès au mariage sur le seul fondement de l’orientation sexuelle[54].
Les juges face à l’existence des unions homosexuelles de droit – Parallèlement à la question de la reconnaissance juridique des unions homosexuelles de fait, les juges ont également été confrontés à l’existence d’unions homosexuelles de droit dans deux situations assez différentes. D’une part, dans le cas autrichien, la Cour constitutionnelle a été amenée à se prononcer sur le caractère uniquement hétérosexuel du mariage alors même que le droit autrichien prévoyait une union de droit, le partenariat enregistré, exclusivement ouverte aux couples homosexuels. D’autre part, le juge constitutionnel roumain a, lui, été soumis à l’épineuse question de la reconnaissance des unions homosexuelles de droit légalement conclues à l’étranger.
Par son arrêt en date du 4 décembre 2017, la Cour constitutionnelle autrichienne a censuré le caractère uniquement hétérosexuel du mariage[55] et l’accès exclusif des couples homosexuels au partenariat enregistré[56]. Ce dernier avait été institué en 2010 afin de permettre aux couples homosexuels une reconnaissance juridique possible de leur relation, sans toutefois modifier le caractère hétérosexuel du mariage, « conformément à une certaine interprétation traditionnelle du mariage »[57]. En décembre 2017, le juge constitutionnel autrichien a considéré que l’existence de deux institutions juridiques, chacune spécialement ouverte aux couples hétérosexuels (mariage) ou aux couples homosexuels (partenariat enregistré), ne pouvait plus être maintenue sans discriminer les couples homosexuels, et ce quand bien même les régimes juridiques des deux institutions étaient globalement équivalents[58]. C’est sur le fondement de l’article 7 de la Constitution autrichienne, qui pose le principe d’égalité devant la loi[59], que le juge constitutionnel estima que l’existence de deux institutions distinctes pour l’encadrement juridique des relations stables hétérosexuelles et homosexuelles était contraire à la Constitution[60]. Plus précisément, la Cour constitutionnelle a considéré que la législation autrichienne, en réservant le mariage uniquement aux couples hétérosexuels et le partenariat enregistré exclusivement aux couples homosexuels, exprimait l’idée que « les personnes ayant une orientation homosexuelle ne sont pas pareilles [gleich] que les personnes ayant une orientation hétérosexuelle »[61]. La Cour a poursuivi en expliquant que l’existence d’une telle séparation a une répercussion pratique importante, à savoir que l’inscription à l’état civil des personnes ayant conclu un partenariat enregistré dévoile de facto leur orientation sexuelle dans des situations où cette dernière « ne joue et ne doit jouer aucun rôle »[62]. En révélant indirectement leur orientation sexuelle, la législation exposait donc les personnes en partenariat enregistré à des discriminations[63]. Il est par ailleurs à noter que la situation autrichienne antérieure à cette décision est très similaire à l’état du droit italien en vigueur aujourd’hui, lequel ne réserve aussi le mariage qu’aux couples hétérosexuels[64] et l’union civile qu’aux couples homosexuels[65]. Mais plus fondamentalement, il convient de souligner que la position de la Cour constitutionnelle autrichienne est non seulement bien plus protectrice que celle de la Cour EDH mais qu’en outre elle affaiblit le raisonnement des juges de Strasbourg considérant implicitement que la jurisprudence européenne entraine une rupture du principe d’égalité.
Du côté de la Roumanie, c’est la problématique de la reconnaissance des unions homosexuelles de droit légalement conclues à l’étranger qui s’est posée au juge constitutionnel. Plus précisément, la Cour constitutionnelle roumaine et la Cour de Justice de l’Union européenne se sont prononcées sur le droit au regroupement familial des couples homosexuels mariés dans le cadre de la liberté de circulation et de séjour des citoyens européens. A l’origine de l’affaire, il s’agit d’un couple homosexuel marié en 2010 en Belgique et composé de deux hommes dont l’un est de nationalité états-unienne, M. Hamilton, et l’autre de nationalité roumaine, M. Coman. En vue de s’installer en Roumanie, le couple a effectué une demande relative aux conditions d’octroi d’un droit de séjour de plus de trois mois en Roumanie pour M. Hamilton. L’administration roumaine leur ayant notifié que ce dernier ne pouvait obtenir un droit de séjour de plus de trois mois dès lors que la Roumanie ne reconnaissait pas les mariages homosexuels légalement conclus à l’étranger, le couple forma un recours devant les juridictions roumaines visant notamment « à faire constater l’existence d’une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’exercice du droit de libre circulation dans l’Union »[66]. A l’occasion du litige, les requérants ont soulevé une exception d’inconstitutionnalité contre les alinéas 2 et 4 de l’article 277 du Code civil roumain qui énoncent respectivement que « 2. Les mariages entre personnes de même sexe conclus ou contractés à l’étranger par des citoyens roumains ou par des étrangers ne sont pas reconnus en Roumanie » et « 4. Les dispositions légales relatives à la libre circulation sur le territoire roumain des citoyens des États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen sont d’application ». L’affaire touchant à la liberté de circulation garantie aux citoyens européens par l’article 21 du TFUE et « aux membres de leur famille » au sens de l’article 2 de la directive 2004/38 du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leur familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, la Cour constitutionnelle décida de poser une question préjudicielle à la CJUE le 29 février 2016. La question principale posée par le juge roumain était de savoir si la notion de « conjoint », au sens de l’article 2 de la directive 2004/38, s’appliquait à un ressortissant d’un État non membre de l’Union européenne, légalement marié dans un État membre de l’Union autre que l’État d’accueil, avec un citoyen européen de même sexe que lui[67].
Par son arrêt en date du 5 juin 2018[68], la CJUE a répondu que la notion de « conjoint » désignait « une personne unie à une autre personne par les liens du mariage »[69] et précisa en outre que « la notion de “conjoint”, au sens de la directive 2004/38, est neutre du point de vue du genre et est donc susceptible d’englober le conjoint de même sexe du citoyen de l’Union concerné »[70]. Aussi, si elle rappelle que les États demeurent compétents pour régir l’état des personnes et particulièrement les conditions du mariage[71], elle conclut néanmoins qu’un État membre ne saurait invoquer son droit national pour s’opposer à l’entrée et au séjour sur son territoire d’un ressortissant d’un État tiers, marié dans un État membre avec un citoyen de l’Union du même sexe que lui[72]. Suivant le raisonnement de la Cour de Justice de l’Union, le juge constitutionnel roumain, par son arrêt du 18 juillet 2018, déclara les alinéas 2 et 4 de l’article 277 du Code civil conforme à la Constitution roumaine sous réserve qu’ils permettent de garantir le droit de résider en Roumanie, dans les conditions posées par le droit de l’Union, pour un couple homosexuel marié dans un État membre de l’Union et dont au moins un des époux est citoyen européen[73].
Cette affaire illustre « la loi du libéralisme maximum » que Hughes Fulchiron concevait déjà en 2005 et qu’il résumait ainsi : « dans un ensemble de systèmes coordonnés où la liberté des individus constitue une valeur essentielle, le système le plus libéral tend “naturellement” à s’imposer aux autres, soit directement, soit indirectement »[74]. Particulièrement dans le cadre de l’Union européenne, la reconnaissance du mariage homosexuel dans un État donné n’est pas sans conséquence sur le droit des États voisins. Les unions homosexuelles de droit tendent ainsi à s’imposer indirectement même aux États et aux sociétés qui refusent une telle conception du mariage, ce qui pourrait bien aboutir à terme à une « sorte de standard commun » européen[75]. C’est dire que la dynamique décrite par Jean Carbonnier à propos du droit de la famille en 1979 reste éminemment la même aujourd’hui. La différence, du moins dans les cas ici étudiés, réside dans le fait que ce n’est plus le législateur qui discute ou consacre les différentes formes d’unions mais le juge, lequel reste néanmoins contraint de faire face à la pluralité des autres lieux de pouvoir.
A. Berthout
II. Le juge face à la pluralité des lieux de pouvoir
Par-delà la question des droits, l’ouverture du mariage aux couples homosexuels présente une autre difficulté pour le juge ; ce dernier doit en effet non seulement décider mais également imposer. Dans ce cadre, il a soit contraint le législateur (A) soit validé le vote populaire (B), plaçant la thématique du mariage dans la problématique plus générale des rapports entre les pouvoirs au sein d’une démocratie.
A. L’intervention du législateur imposée par le juge
La comparaison des jurisprudences autrichienne[76] et costaricaine[77] enseigne que le juge constitutionnel interfère avec l’activité normative future du législateur en exerçant une activité positive, au sens kelsénien[78] du terme. En censurant le caractère uniquement hétérosexuel du mariage et en couplant sa déclaration d’inconstitutionnalité d’un effet différé, la Cour constitutionnelle autrichienne invite le législateur à venir clarifier la situation lorsque la Cour Suprême de Justice du Costa Rica use directement de son pouvoir d’injonction. Il en ressort que le surplus d’activisme des juges constitutionnels se manifeste de deux façons différentes. Le juge latino-américain oblige le législateur à intervenir alors que le juge européen adopte – à première vue – une attitude moins offensive vis-à-vis du pouvoir législatif en ayant recours à une interférence non obligatoire. L’intensité de l’interférence peut alors s’analyser à travers la dichotomie élaborée par Christian Behrendt. Par interférence, l’auteur désigne « l’habilitation qui confère à son destinataire le pouvoir de produire à l’avenir, des normes dotées d’un certain contenu, étant entendu que (…) l’auteur de la norme d’habilitation est le juge constitutionnel et que son destinataire est le législateur »[79]. Il dégage, par la suite, la distinction relative aux interférences non obligatoires – lesquelles sont appelées lignes directrices – et aux interférences obligatoires – qui se manifestent sous la forme d’injonction. La jurisprudence autrichienne appartient donc à la catégorie des lignes directrices – puisque le juge suggère l’intervention du législateur en prononçant une abrogation différée de la disposition législative – et la jurisprudence costaricaine rentre dans la deuxième catégorie relative aux injonctions. Une lecture sommaire de cette dichotomie donne à penser que l’intensité des pouvoirs du juge s’amplifie dans le cadre de l’injonction et s’amoindrit lorsqu’il se contente d’énoncer des lignes directrices. Paradoxalement l’observation inverse se dégage de l’analyse comparée des deux décisions. Autrement dit, l’intensité de la contrainte qui pèse sur le législateur témoigne de l’autolimitation du juge constitutionnel. En prononçant une injonction, le juge entend obliger le législateur à adopter une réglementation conforme à la Constitution et force, dans le même temps, une assemblée élue à endosser la responsabilité politique. En ce sens, l’injonction vise à empêcher l’érosion du pouvoir législatif et à redonner sa compétence au législateur. Pourtant la critique concernant l’atteinte à la séparation des pouvoirs n’a pas épargné le juge costaricain. De manière moins surprenante, celle-ci a également été formulée à l’égard du juge autrichien. Finalement ces deux décisions se rejoignent sur ce point.
Sur l’atteinte à la séparation des pouvoirs – La Cour constitutionnelle autrichienne a gagné la bataille sur les mots en empruntant les habits du législateur. C’est en rayant d’un trait de plume les expressions « de sexe différent » (verschiedenen Geschlechtes) de l’article 44 du Code civil et « couples homosexuels » (gleichgeschlechtlicher Paare) et « de même sexe » (gleichen Geschlechts) des articles 1 et 2 de la loi fédérale sur le partenariat enregistré, qu’elle a ouvert de facto l’accès aux deux figures juridiques. C’est ainsi que depuis le 1er janvier 2019, l’article 44 du Code civil autrichien dispose que « le contrat de mariage constitue la base des relations familiales. En vertu de pareil contrat, deux personnes de sexe différent déclarent leur intention légitime de vivre ensemble et d’être unies par les liens indissolubles du mariage, de procréer et d’élever des enfants et de se porter aide et assistance mutuelles ». Cette nouvelle formulation révèle que la Cour constitutionnelle a décidé de mettre un point final au débat sur le mariage en supprimant la condition d’hétérosexualité. C’est la raison pour laquelle le Professeur Khakzadeh-Leiler rappelle que « la Cour constitutionnelle pourrait être accusée d’avoir méconnu la marge de manœuvre du législateur en matière de politique juridique »[80]. Partant, la frontière entre décision audacieuse et atteinte à la séparation des pouvoirs s’avère poreuse. Un juge non élu[81] a effectivement fait le choix de régler un problème de société politiquement controversé. C’est justement pour éviter de tomber dans cet écueil que le juge costaricain a prononcé une « sentence exhortative d’inconstitutionnalité simple » par laquelle il a enjoint l’Assemblée législative d’exercer sa compétence. Nestor Pedro Saguës définit ce type de sentences de la manière suivante : « le tribunal constitutionnel constate qu’une norme est inconstitutionnelle mais ne l’invalide pas (en raison des effets désastreux que l’annulation pourrait produire). Il impose au Pouvoir législatif de supprimer la situation d’inconstitutionnalité et de modifier le régime légal en vigueur pour l’adapter à la Constitution. La loi réputée inconstitutionnelle continue à s’appliquer jusqu’à ce qu’une nouvelle norme conforme à la Constitution soit adoptée »[82]. Face à la prudence de cette solution, la doctrine costaricaine a déversé son flot de critiques, notamment en qualifiant la sentence émise par la Cour Suprême de Justice de « blandengue » [83], c’est-à-dire de « molle ». Au lieu de clore le débat sur l’ouverture du mariage homosexuel, le juge constitutionnel l’a, en effet, prolongé dans le temps en fixant à dix-huit mois le délai dans lequel le législateur devait intervenir. Ce choix peut sembler surprenant dans la mesure où le juge costaricain disposait de l’assentiment de la Cour interaméricaine[84] pour régler directement la question.
Par ailleurs, la doctrine n’a pas oublié de mentionner les imperfections du mécanisme de l’injonction, classiquement considéré comme un empiètement du juge sur le domaine conféré au législateur. Alex Solís Fallas estime, à ce titre, que le magistrat constitutionnel a violé l’article 9 de la Constitution costaricaine[85] qui garantit la séparation et l’indépendance des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. C’est probablement en vue d’anticiper de telles observations que la Cour Suprême de Justice s’est engagée dans une motivation particulièrement élaborée. C’est ainsi que le juge latino-américain a commencé par citer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[86], notamment l’affaire Chapin et Charpentier contre France[87], dans laquelle la Cour soutient qu’il appartient au législateur de régler la question du mariage. Il a continué sa démonstration en qualifiant la discrimination dont font l’objet les couples homosexuels de problème systémique : « ce problème se convertit en un modèle discriminatoire qui se configure de manière systémique »[88]. Autrement dit, les magistrats constitutionnels envisagent la situation des couples homosexuels à travers le prisme des violations structurelles – pour reprendre l’expression dégagée par le docteur Jack Geiger. Celles-ci se caractérisent par des « actions et politiques personnelles et institutionnelles omniprésentes qui, intentionnellement ou par omission, entrainent des préjudices prévisibles pour des groupes importants de la population et la violation de leurs droits » [89]. C’est la raison pour laquelle les juges constitutionnels ont estimé que « l’annulation de la norme législative ne restaure pas de manière automatique l’ordre constitutionnel puisqu’il s’agit d’un problème de nature structurelle et polyédrique qui s’étend par-delà les frontières de l’acte ou de la norme individuelle »[90]. Dans ce cadre, l’injonction adressée au législateur fait sens. Le changement de paradigme – visant à garantir les droits des couples homosexuels – entraîne une révision générale de l’ordonnancement juridique qui ne peut être réalisée que par la voie législative.
Ainsi l’analyse comparée des deux décisions informe que le juge autrichien agit là où le juge costaricain s’engage dans une rhétorique habile en vue de restituer son pouvoir de décision au législateur. Finalement l’atteinte à la séparation des pouvoirs n’est qu’une question de perspective conditionnée par la position du curseur. D’ailleurs, si des excès peuvent apparaître dans la jurisprudence constitutionnelle, il n’en reste pas moins que le juge constitutionnel n’a pas le dernier mot. Le constituant peut à tout moment intervenir pour modifier la Constitution et désamorcer sa jurisprudence même s’il n’est pas nécessaire d’attendre que le souverain se manifeste. L’inertie du législateur peut, dans une certaine mesure, suffire à neutraliser la jurisprudence constitutionnelle, spécialement dans le cas où le juge prononce une sentence exhortative d’inconstitutionnalité simple.
Sur la réalité de la contrainte – Les cas costaricain et autrichien sont particulièrement intéressants lorsqu’il s’agit de mesurer la réalité de la contrainte qui pèse sur le législateur. L’affaire autrichienne démontre que le législateur n’est aucunement obligé d’intervenir pour réparer la discrimination puisque le juge ouvre directement le mariage aux couples homosexuels. Néanmoins le choix d’une déclaration d’inconstitutionnalité assortie d’un effet différé[91] encourage le législateur à s’emparer de la question. Cette possibilité n’a pourtant pas été saisie par ce dernier qui se caractérise davantage par son inaction. Le contexte politique rend finalement compte de la complexité de la situation. La coalition regroupant l’ÖVP[92] et le FPÖ[93] a obtenu 62 sièges pour le premier et 51 pour le second au Conseil National, lors des élections législatives du 15 octobre 2017. Cette coalition conservatrice occupe 113 sièges sur 183 à la Chambre basse. La configuration politique éclaire davantage sur les raisons ayant animé la Cour constitutionnelle à résoudre elle-même le conflit. Consciente que la réforme n’aboutirait pas, elle a pris le soin de clôturer le débat tout en considérant l’intérêt des parties. Même si aucun couple homosexuel ne pouvait se marier avant le 1er janvier 2019 et aucun couple hétérosexuel ne pouvait accéder au partenariat enregistré, la Cour a posé une exception à l’égard des parties[94] ayant saisi la juridiction constitutionnelle. En effet, dans une seconde décision en date du 4 décembre 2017, elle a précisé que les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité étaient directement applicables aux deux personnes du couple à l’origine du recours[95]. En d’autres termes, seul ce couple homosexuel a été autorisé à se marier avant le 1er janvier 2019[96].
Ainsi, le constat émis par le Professeur Khakzadeh-Leiler a le mérite de synthétiser la logique institutionnelle autrichienne : « à la différence de la plupart des autres États, ce n’est pas le législateur qui a pris directement en charge cette tâche, laquelle a nécessité au contraire une décision de la Cour constitutionnelle » [97]. Le législateur se voit donc épargné de quelque contrainte que ce soit puisqu’il est évincé du débat.
C’est probablement pour se prémunir de cette critique que la Cour Suprême de Justice a prononcé une injonction. Mais qu’en est-il de la réalité de la contrainte ? Il ne serait pas absurde d’envisager que le législateur puisse laisser la situation inconstitutionnelle prospérer. D’autant plus que – tout comme en Autriche – le contexte politique n’est pas propice à la consécration juridique du mariage homosexuel. Suite à la décision rendue par le juge constitutionnel, le gouvernement du Président Carlos Alvaro, a certes déposé un projet de loi[98] sur le bureau de l’Assemblée législative, cependant il faut désormais que celui-ci soit soumis à la discussion et au vote des députés. Or ce passage n’est pas chose simple étant donné la composition de l’Assemblée législative qui se caractérise par une tendance fortement conservatrice[99]. En effet, 29 assembléistes sur 57 – élus au scrutin proportionnel plurinominal[100] – se déclarent fermement opposés au mariage homosexuel. Alors pourquoi le juge a t-il déplacé le débat dans l’arène politique ? La réponse tient surement à l’idéologie des juges constitutionnels qui motivent cette décision en déployant largement l’argument démocratique[101]. Néanmoins la date à laquelle la décision a été rendue fournit quelques indices. En été 2018, l’Assemblée législative était majoritairement composée d’élus émanant de partis progressistes[102]. Le projet avait donc ses chances d’aboutir.
En outre, il convient d’avoir à l’esprit que la question du mariage homosexuel n’est pas récente[103] et provoque encore, à ce jour, une division au sein de la société, notamment en raison du fait que le Costa-Rica soit un État confessionnel. Ce thème a toujours animé les débats présidentiels, et les plus hauts responsables étatiques se prononcent régulièrement sur la question[104]. Par exemple, en 2003, le Procureur Général de la République déclarait publiquement que si le changement de nature de l’institution maritale devait avoir lieu, elle devrait se faire au moyen d’une réforme législative et non par le biais d’un critère de constitutionnalité[105]. Le Procureur a, sans aucun doute, été inspiré dans la première partie de sa réflexion, étant entendu qu’il ne pouvait pas, à cette époque, deviner quel serait le contenu de la jurisprudence future. Et pourtant le raisonnement du juge se rapproche de celui formulé par le Procureur, du moins à une chose près. Le juge ne considère pas qu’il faille régler la question du mariage sous le prisme de l’alternative juge-législateur, mais au regard de sa jurisprudence, il apparaît clairement que c’est l’intervention des deux organes qui permet de résoudre le problème. Ainsi le juge costaricain appréhende sa relation avec le législateur de la manière suivante : c’est parce qu’il constate l’inconstitutionnalité de la loi que le législateur doit intervenir. Néanmoins l’injonction ne sera réellement contraignante que si le législateur l’envisage comme tel.
En définitive, la comparaison révèle que le caractère contraignant de l’interférence importe peu. L’intervention du législateur est davantage conditionnée par le contexte politique du moment que par la décision du juge. Il y a certes une interférence normative entre l’action du juge et celle du législateur mais loin de contraindre réellement le législateur, le juge endosse davantage le rôle de guide dans la confection des lois. Le législateur reste libre de suivre la voie recommandée par le juge. Ce constat s’applique également lorsque les représentants du peuple doivent composer avec la décision populaire.
A. Mauras
B – L’intervention du Peuple autorisée par le juge
La question du mariage homosexuel a été tranchée dans certains Etats par le recours au vote populaire qui s’est interféré dans le jeu des compétences institutionnelles. Les exemples australien et roumain ont montré récemment de quelle manière le peuple a pu intervenir dans la définition du droit au mariage homosexuel qui fait débat depuis plusieurs années dans les pays concernés. En Australie, où l’opinion publique était majoritairement favorable à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, le vote populaire a joué un rôle crucial dans la résolution du blocage politique sur la question et a permis à l’Etat australien de s’aligner en la matière sur les autres pays occidentaux. En Roumanie, le blocage par le peuple du référendum d’initiative populaire largement soutenu par les institutions publiques a infligé un revers au gouvernement roumain qui mène une politique à rebours de l’évolution des droits des homosexuels.
A l’origine de la consultation populaire dans ces deux Etats, se trouve la volonté politique de reconnaître légalement, en Australie, ou au contraire d’interdire constitutionnellement[106], en Roumanie, le mariage entre les personnes de même sexe. Paradoxalement au regard de la dichotomie classique des idées politiques, c’est le gouvernement conservateur australien qui s’est efforcé de soutenir l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, alors que le gouvernement social-démocrate roumain a pris fait et cause pour les défenseurs de la famille traditionnelle et a cherché à mettre un verrou constitutionnel sur la possibilité d’une telle ouverture.
Si le recours à la consultation populaire sur cette question était inévitable en Roumanie, tel n’était pas du tout le cas en Australie où l’instrument mis en place par le gouvernement a été qualifié d’« inédit »[107]. En effet, le remplacement dans la Constitution roumaine de l’expression sexuellement neutre de « l’union entre les conjoints»[108] par celle de « l’union entre un homme et une femme » supposait nécessairement une révision de la Norme suprême ; cette dernière exige le recours au référendum qui est donc obligatoire et décisionnel[109]. Le référendum peut être d’initiative populaire ou organisé sous l’impulsion des pouvoirs publics. En l’occurrence, c’est la Coalition pour la famille, une association défendant la famille traditionnelle, qui a lancé le recueil de signatures en faveur de la tenue du référendum visant à inscrire le mariage exclusivement hétérosexuel dans la Constitution. En Australie au contraire, la question de la définition du mariage et de son régime juridique relève du domaine législatif et donc de la compétence exclusive du Parlement, ce qui a été rappelé d’ailleurs par la Haute Cour en 2013[110]. Mais soumettre au vote parlementaire un projet de loi légalisant le mariage homosexuel était voué à l’échec dans la mesure où la coalition nationale-libérale – alors majoritaire à la Chambre basse – ainsi que le Sénat y étaient très hostiles. Le Premier ministre, Malcolm Turnbull, n’avait que le soutien de quelques députés frondeurs de son propre camp. Dans ce contexte politicien et afin de respecter sa promesse de campagne électorale, il propose un plébiscite sur la question de l’ouverture du mariage aux couples homosexuels.
Une précision sémantique s’impose dès lors. Si les Roumains ont été consultés par la voie référendaire, en Australie, le référendum ne peut être organisé que pour les questions qui relèvent de la matière constitutionnelle. Le régime juridique du mariage, appartenant au domaine législatif, y échappait donc mais pouvait être traité dans le cadre du plébiscite. Alors que ce terme est souvent utilisé comme synonyme du référendum, en Australie ces deux formes de consultation populaire sont bien distinctes. Si sa tenue, comme celle du référendum est autorisée par le Parlement, le plébiscite peut être organisé sur toute question d’importance significative à l’échelle locale ou nationale. Par ailleurs, son résultat, contrairement à celui d’un référendum, n’est pas juridiquement contraignant, il n’acquiert valeur normative qu’une fois validé par le vote du Parlement.
Le projet gouvernemental visant à organiser un plébiscite sur la question du mariage homosexuel a été rejeté à deux reprises par le Sénat[111], ce qui rendait juridiquement impossible sa tenue. Face à cette « obstruction parlementaire » le Premier ministre australien lance cette idée originale d’une consultation postale. Il s’agit pour les Australiens de s’exprimer sur la question de savoir s’ils sont pour ou contre l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, par le retour postal d’un bulletin de vote reçu également par courrier. La consultation se passe sur la base du volontariat, alors que le vote référendaire et plébiscitaire est obligatoire. La plupart des critiques, même venant de la part des associations défendant les droits des homosexuels, tenaient à ce caractère volontaire du vote. Il semblait discutable de soumettre une question liée aux droits fondamentaux à un vote d’opinions où une partie de la population seulement allait s’exprimer. Cette consultation n’est donc pas un référendum faute de question constitutionnelle, n’est pas un plébiscite faute d’autorisation parlementaire, et n’est pas non plus un sondage faute de viser un échantillon représentatif. Si l’origine purement politique de cette consultation lui permet d’échapper à l’intervention parlementaire en amont, il prive en même temps son résultat de tout caractère juridiquement contraignant, ce qui permet – en apparence en tous cas – de ne pas perturber la répartition institutionnelle des compétences.
Avant que le Peuple ne puisse s’exprimer, les juges ont dû se prononcer quant à la validité de ces deux consultations respectives. D’une part, la Norme suprême roumaine soumet toute initiative populaire de référendum à un contrôle ex officio par la Cour constitutionnelle. D’autre part, la Haute Cour australienne a été saisie pour contrôler la validité du projet soumis à la consultation vis-à-vis des exigences budgétaires prévues par la Constitution. En effet, au regard du caractère hybride de la consultation, confier son organisation au Bureau australien électoral était impossible, c’est donc le Bureau australien des statistiques qui en a été chargé, ce qui a provoqué des dépenses supplémentaires non prévues dans le budget fédéral initial. Les juges avaient donc à ce stade le pouvoir de bloquer le processus d’élaboration normative. Mais par les décisions du 20 juillet 2016[112] et du 28 septembre 2017[113], la Cour constitutionnelle roumaine et la Haute Cour australienne ont validé ces projets, ce qui a rendu possible le vote populaire.
Quant à la première décision, après avoir contrôlé le respect des exigences formelles, et notamment la régularité des signatures, ainsi que le respect des limites temporelles de la réforme constitutionnelle, la Cour constitutionnelle roumaine procède au contrôle substantiel du projet de révision proposé. Ainsi, elle apprécie le respect par ce dernier des limites matérielles énoncées dans les articles 152.1 et 152.2 de la Constitution, et notamment du principe de l’interdiction pour le pouvoir constituant dérivé de supprimer ou d’abolir un droit ou une liberté fondamentale, ainsi que les garanties qui en découlent. La Cour en conclut que le projet de réforme n’enfreint pas une « clause d’éternité » et est donc constitutionnel. La Haute Cour australienne, quant à elle, valide le projet de la consultation postale en concentrant son raisonnement sur la problématique budgétaire sans se prononcer sur toute autre question de constitutionnalité.
Les juges ont ainsi évité de s’immiscer dans le dialogue entre le gouvernement et le peuple mais aussi et surtout se sont déchargés de la responsabilité de bloquer le vote populaire et donc d’empêcher l’expression souveraine du Peuple. La consultation populaire a ainsi pu avoir lieu aussi bien en Roumanie qu’en Australie mais avec des conséquences différentes.
Le référendum constitutionnel roumain s’est tenu les 6 et 7 octobre 2018, mais son résultat a été invalidé faute de quorum. Alors même que le vote était organisé sur deux journées pour inciter à une participation électorale forte, en méconnaissance de l’interdiction législative de procéder ainsi[114], seuls 21% des électeurs inscrits se sont mobilisés sans atteindre le seuil de participation de 30% exigé par la Constitution. Dès lors, quand bien même 90% des votes exprimés se sont prononcés pour cette modification constitutionnelle, cette dernière n’a pas pu être validée.
Cette forte abstention peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Tout d’abord, la réforme étant soutenue par le Parti social-démocrate, le vote se présentait alors comme un test de popularité de ce dernier. Boycotter le scrutin revenait à exprimer son mécontentement vis-à-vis de la politique nationale en général. Ensuite, un certain désintérêt s’observait auprès de la population quant à la question posée. Le mariage homosexuel étant très éloigné des problématiques quotidiennes des Roumains, ces derniers semblent ne pas y attacher beaucoup d’importance. Enfin, la société roumaine majoritairement traditionnelle et conservatrice[115] semble tout simplement rejeter l’idée de l’homosexualité, le mariage entre les personnes de même sexe étant alors une question sans objet qui ne mérite pas d’être posée ni débattue. Le paradoxe de l’exemple roumain consiste dans le fait que le Peuple a réussi à mettre en échec la volonté politique en s’abstenant, il a tranché sans s’exprimer et s’est tu en décidant.
Quant à la consultation postale australienne, 61,6% des voix se sont exprimées en faveur de la reconnaissance du mariage homosexuel. Même si, sur le plan strictement juridique, la consultation demeurait non-contraignante, elle était symbolique sur le plan politique, et le Parlement ne pouvait pas ignorer ce résultat. D’autant plus que le gouvernement s’était engagé à introduire un projet de loi de légalisation du mariage homosexuel au cas où le « oui » l’emporterait. Le Parlement n’a pas pu s’opposer ouvertement à l’opinion exprimée par les Australiens, et la loi autorisant le mariage entre personnes de même sexe a alors été adoptée. Le juge australien ne trouva donc rien à redire à cet usage politique d’un outil de démocratie participative. Le coup politique monté et réussi par le gouvernement australien est d’autant plus remarquable qu’il a permis d’outrepasser le blocage parlementaire dans un Etat fortement marqué par la culture politique britannique dont le cœur se situe dans la souveraineté parlementaire.
Ces deux exemples montrent les vertus de la démocratie participative capable, en cas d’usage raisonnable, de discipliner la démocratie représentative. Ils sont également révélateurs d’une inévitable interaction entre différentes sources du pouvoir. L’intervention du peuple voulue par les pouvoirs publics aurait pu être empêchée par les décisions prétoriennes. C’est grâce au self-restraint dont les juges ont fait preuve, que l’expression populaire a pu s’insérer dans le jeu institutionnel et encadrer la volonté politique en lui donnant raison ou au contraire allant à son encontre.
L’actualité 2017-2018 autour de la reconnaissance du mariage homosexuel, après étude, ne surprend guère. Cette question tout à la fois sociale que juridique, soulève en effet des problématiques qui irriguent l’ensemble du champ constitutionnel : la conception de la norme juridique à travers le départ entre société et droit, l’appréhension de la notion d’institution, la consécration ou l’interdiction d’un régime juridique particulier pour des unions nouvelles, l’interprétation des silences constitutionnels ou l’insertion dans la Constitution de mots excluant, le pouvoir créateur du juge, la légitimité de ce dernier à l’égard d’un Parlement élu ou de la volonté populaire. Questionner le mariage est donc questionner l’ensemble du système constitutionnel et laisse augurer de nouveaux soubresauts jurisprudentiels.
G. Galustian
[1] Cour suprême des Etats-Unis, Masterpiece Cakeshop, ltd. v. Colorado Civil Rights Commission [584 U.S. _ 2018], 4 juin 2018. [https://www.scotusblog.com/case-files/cases/masterpiece-cakeshop-ltd-v-colorado-civil-rights-commn/]
[2] Cour suprême du Royaume-Uni, Lee v. Ashers Baking Company Ltd [2018 UKSC 49], 10 octobre 2018. [https://www.supremecourt.uk/cases/uksc-2017-0020.html]
[3] Cour suprême indienne, Navtej Singh Johar et Ors v. union of India, 6 septembre 2018 [https://www.sci.gov.in/supremecourt/2016/14961/14961_2016_Judgement_06-Sep-2018.pdf]
Cf. H. ROUSSE, « Légalisation de l’homosexualité en Inde, illustration de l’activisme de la Cour Suprême indienne », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 03 octobre 2018, consulté le 10 février 2019. [http://journals.openedition.org/revdh/4791]
[4] https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/19/cuba-renonce-a-inscrire-le-mariage-homosexuel-dans-sa-nouvelle-constitution_5399519_3210.html
[5] https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2017)013-f
[6] https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/10/07/roumanie-echec-d-un-referendum-anti-mariage-gay-en-raison-d-une-abstention-massive_5366042_3214.html
[7] « Ehe für alle: Erstes homosexuelles Paar hat geheiratet », Kurier, 12 octobre 2018, disponible en ligne : https://kurier.at/chronik/wien/ehe-fuer-alle-erstes-homosexuelles-paar-traute-sich/400144034 (consulté le 20 janvier 2019).
[8] La Cour européenne des droits de l’Homme a également jugé que « l’article 12 consacrait le concept traditionnel du mariage, à savoir l’union d’un homme et d’une femme et que, s’il était vrai qu’un certain nombre d’États membres avaient ouvert le mariage aux partenaires de même sexe, cet article ne pouvait être compris comme imposant pareille obligation aux États contractants » tout en validant, bien entendu, la consécration du mariage homosexuel par les Etats. Cf. CEDH, Chapin et Charpentier c. France, 9 juin 2016 (Requête n° 40183/07) https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-163436%22]}
[9] Tribunal constitutionnel espagnol, STC 198/2012, 6 novembre 2012 [http://hj.tribunalconstitucional.es/es/Resolucion/Show/23106]. Cf. H. ALCARAZ, « La Constitution et le mariage gay en Espagne. A propos de l’arrêt STC 198/2012 du Tribunal constitutionnel », RDLF, 2014, Chron. n° 01 [https://i91h9azrmj.preview.infomaniak.website/droit-constitutionnel/la-constitution-et-le-mariage-gay-en-espagne-a-propos-de-larret-stc-1982012-du-tribunal-constitutionnel-article/]
[10] Cour constitutionnelle italienne, arrêt 138/2010, 14 avril 2010 [https://www.cortecostituzionale.it/actionSchedaPronuncia.do?anno=2010&numero=138]. Cf. F. LAFFAILLE, « Les droits des couples de même sexe dans la jurisprudence italienne : du refus de consacrer le droit au mariage à la protection de droits fondamentaux (à propos de l’application de la pénible doctrine « separate but equal ») », RDLF 2013, chron. n° 28 (https://i91h9azrmj.preview.infomaniak.website/droit-constitutionnel/les-droits-des-couples-de-meme-sexe-dans-la-jurisprudence-italienne-article/)
[11] Conseil constitutionnel, Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011, Mme Corinne C. et autre [Interdiction du mariage entre personnes de même sexe].
[https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2011/201092QPC.htm]
[12] Conseil constitutionnel, Décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. [https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2013/2013669DC.htm]
[13] The Commonwealth v Australian Capital Territory [2013] HCA 55, 12 December 2013. http://eresources.hcourt.gov.au/downloadPdf/2013/HCA/55
[14] VfGH G 258/2017, 4 décembre 2017.
https://www.vfgh.gv.at/downloads/VfGH_Entscheidung_G_258-2017_ua_Ehe_gleichgeschlechtl_Paare.pdf
[15] Cour constitutionnelle de Roumanie, décision n.580/2016 du 20 juillet 2016 [https://www.ccr.ro/files/products/Decizie_580_2016.pdf].
[16] https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/10/07/roumanie-echec-d-un-referendum-anti-mariage-gay-en-raison-d-une-abstention-massive_5366042_3214.html
[17] CJUE, arrêt de grande chambre dans l’affaire C-673/16, 5 juin 2018. [http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=202542&doclang=FR]
[18] https://www.liberation.fr/direct/element/roumanie-la-cour-constitutionnelle-appelle-a-reconnaitre-les-couples-gays_87940/
[19] Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Opinion consultative, OC-24/17 du 24 novembre 2017 [http://www.corteidh.or.cr/docs/opiniones/seriea_24_esp.pdf]
[20] Cour suprême de Justice du Costa Rica, salle constitutionnelle, Sentence n° 12782, 8 août 2018. [https://nexuspj.poder-judicial.go.cr/document/sen-1-0007-875801]
[21] CEDH, Schalk et Kopf c. Autriche, 24 juin 2010, (Requête n° 30141/04).
https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22dmdocnumber%22:[%22870457%22],%22itemid%22:[%22001-99605%22]}
[22] CEDH, Chapin et Charpentier c. France, 9 juin 2016 (Requête n° 40183/07).
https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-163436%22]}
[23] L’article 48 de la Constitution roumaine de 1991, relatif à « La famille », est ainsi rédigé : « (1) La famille est fondée sur le mariage librement consenti entre les époux, sur leur égalité et sur le droit et le devoir des parents d’assurer la croissance, l’éducation et l’instruction des enfants. (2) Les conditions de conclusion, dissolution et annulation du mariage sont fixées par la loi. Le mariage religieux ne peut être célébré qu’après le mariage civil. (3) Les enfants sont égaux devant la loi, qu’ils soient nés d’un mariage ou hors mariage ».
[24] L’article 52 de la Constitution du Costa Rica de 1949 dispose que « Le mariage est la base fondamentale de la famille et repose sur l’égalité de droits des conjoints ».
[25] Constitution australienne de 1901, s. 51 (xxi).
[26] Attorney-General (Vic) v Commonwealth (« Marriage Act case ») [1962] HCA 37, 1er août 1962.
https://jade.io/article/65638
[27] VfSlg 17.098/2003, 12 décembre 2003, II. Cette jurisprudence s’appuyait alors sur l’article 44 du Code civil général autrichien (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch) de 1812, dans sa version antérieure au 1er janvier 2019 et qui disposait que « le contrat de mariage constitue la base des relations familiales. En vertu de pareil contrat, deux personnes de sexe différent déclarent leur intention légitime de vivre ensemble et d’être unies par les liens indissolubles du mariage, de procréer et d’élever des enfants et de se porter aide et assistance mutuelles ».
https://www.ris.bka.gv.at/Dokument.wxe?Abfrage=Vfgh&Dokumentnummer=JFT_09968788_03B00777_00
[28] VfGH G 258/2017, 4 décembre 2017.
[29] Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Opinion consultative, OC-24/17 du 24 novembre 2017§ 223.
[30] Cour suprême de Justice du Costa Rica, salle constitutionnelle, Sentence n° 12782, 8 août 2018, Point VI.
[31] Marriage amendment (Definition and Religious Freedoms) Bill 2007.
[32] Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Opinion consultative, OC-24/17 du 24 novembre 2017§ 192.
[33] L’exemple australien, en associant institution et interprétation évolutive, rappelle la contrainte argumentative qui fut celle du Tribunal constitutionnel espagnol dans sa décision du STC 198/2012. Cf. H. ALCARAZ, « La Constitution et le mariage gay en Espagne. A propos de l’arrêt STC 198/2012 du Tribunal constitutionnel », RDLF, 2014, Chron. n° 01 (https://i91h9azrmj.preview.infomaniak.website/droit-constitutionnel/la-constitution-et-le-mariage-gay-en-espagne-a-propos-de-larret-stc-1982012-du-tribunal-constitutionnel-article/)
[34] Attorney-General (Vic) v Commonwealth (« Marriage Act case ») [1962] HCA 37, 1er août 1962.
[35] C. J. DOWSON, « Beyond juristic classification: the High Court’s decision in Commonwealth v. Australian Capital Territory (Same-sex marriage case) », The Western Australian Jurist 2014, vol. 5, p. 293.
[36] Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Opinion consultative, OC-24/17 du 24 novembre 2017, § 177.
[37] Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Opinion consultative, OC-24/17 du 24 novembre 2017, § 179.
[38] The Commonwealth v Australian Capital Territory [2013] HCA 55, 12 December 2013.
[39] Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Opinion consultative, OC-24/17 du 24 novembre 2017, § 187.
[40] Cour constitutionnelle de Roumanie, décision n.580/2016 du 20 juillet 2016.
[41] E. S. TĂNĂSESCU, « La Roumanie : chronique d’un référendum échoué », International Association of Constitution Law (IACL) blog, post 2018 [https://blog-iacl-aidc.org/blog/2018/10/17/partie-i-la-roumanie-chronique-dun-rfrendum-chou].
[42] Cour constitutionnelle de Roumanie, décision n.580/2016 du 20 juillet 2016.
[43] J. CARBONNIER, « A chacun sa famille, à chacun son droit », in Essais sur les lois, Répertoire du notariat Defrénois, 1979, p. 167-180, p. 180.
[44] Ibid.
[45] CEDH, Schalk et Kopf c. Autriche, 24 juin 2010, (Requête n° 30141/04), §61.
https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22dmdocnumber%22:[%22870457%22],%22itemid%22:[%22001-99605%22]}
[46] CEDH, Oliari et autres c. Italie, 21 juillet 2015, (Requêtes n° 18766/11 et 36030/11), §185 : « l’Italie n’a pas respecté l’obligation qui lui incombe de veiller à ce que les requérants disposent d’un cadre juridique spécifique apte à reconnaître et protéger leurs unions ».
http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-156265
[47] Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Opinion consultative, OC-24/17 du 24 novembre 2017, § 220.
[48] Idem, § 228.
[49] Idem, § 218.
[50] CEDH, Oliari et autres c. Italie, 21 juillet 2015, (Requêtes n° 18766/11 et 36030/11), § 174.
[51]Article 14 du Code civil costaricain : « Es legalmente imposible el matrimonio: […] 6) Entre personas del mismo sexo. […] ».
[52] L’article 33 de la Constitution costaricaine énonce que : « Tous les hommes sont égaux devant la loi et ne pourront être victimes d’une discrimination quelconque contraire à la dignité humaine ».
[53] Cour suprême de Justice du Costa Rica, salle constitutionnelle, Sentence n° 12782, 8 août 2018, Point VII.
[54] Ibid : « la norma cuestionada se traduce por sí misma en una prohibición para el matrimonio entre personas del mismo sexo, negándoseles con base en su orientación sexual el acceso a tal instituto ». Il est à noter que l’interdiction faite aux couples homosexuels emporte une seconde conséquence en vertu de l’article 242 du Code de la famille qui pose la condition de « l’aptitude légale pour contracter le mariage » pour accéder au régime de l’union de fait. Aussi, l’interdiction du mariage aux couples de même sexe impliquait en outre l’impossibilité de reconnaître leur relation en tant qu’union de fait.
[55] Article 44 du Code civil autrichien dans sa version antérieure au 1er janvier 2019, voir note 27.
[56] La loi sur le « partenariat enregistré » (Eingetragene Partnerschaft-Gesetz), adoptée le 30 décembre 2009 et entrée en vigueur le 1er janvier 2010, permettait seulement aux couples homosexuels de contracter un tel partenariat. Ainsi l’article 2 disposait notamment qu’« un partenariat enregistré ne peut être conclu que par deux personnes de même sexe (partenaires enregistrés). […] ».
[57] VfGH G 258/2017, 4 décembre 2017, III, 2.3.
[58] Idem, III, 2.4. Sur le rapprochement matériel entre le mariage et le partenariat enregistré voir L. KHAKZADEH-LEILER, « Öffnung der Ehe für gleichgeschlechtliche Paare », Zeitschrift für Familien und Erbrecht, 2018/2, p. 52 et s.
[59] L’article 7 al. 1 de la Constitution autrichienne dispose que : « Tous les citoyens de la Fédération sont égaux devant la loi. Les privilèges tenant à la naissance, au sexe, à l’état, à la classe et à la religion sont exclus. Nul ne peut être défavorisé en raison de son handicap. La République (la Fédération, les Laender, les communes) s’engage à assurer, dans tous les domaines de la vie quotidienne, l’égalité de traitement entre les personnes handicapées et celles qui ne le sont pas ».
[60] VfGH G 258/2017, 4 décembre 2017, III, 2.5.
[61] Ibid : « Die Trennung in zwei Rechtsinstitute bringt somit – auch bei gleicher rechtlicher Ausgestaltung – zum Ausdruck, dass Personen mit gleichgeschlechtlicher sexueller Orientierung nicht gleich den Personen mit verschieden- geschlechtlicher Orientierung sind ».
[62] Ibid.
[63] Ibid. « Die damit verursachte diskriminierende Wirkung zeigt sich darin, dass durch die unterschiedliche Bezeichnung des Familienstandes (« verheiratet » versus « in eingetragener Partnerschaft lebend ») Personen in einer gleichgeschlechtlichen Partnerschaft auch in Zusammenhängen, in denen die sexuelle Orientierung keinerlei Rolle spielt und spielen darf, diese offen legen müssen und, insbesondere auch vor dem historischen Hintergrund, Gefahr laufen, diskriminiert zu werden ».
[64] Voir note 10.
[65] Legge 20 maggio 2016, n. 76, disponible sur http://www.gazzettaufficiale.it/eli/id/2016/05/21/16G00082/sg.
[66] CJUE, arrêt de grande chambre dans l’affaire C-673/16, 5 juin 2018, § 13.
[http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=202542&doclang=FR]
[67] Idem, § 17.
[68] Pour une analyse détaillée de l’arrêt voir G. WILLEMS, « Le droit au regroupement familial des époux homosexuels consacré par la Cour de justice de l’Union européenne », JCP G, n° 30-35, 23 Juillet 2018, p. 874 ; G. KESSLER, « Mariage entre personnes de même sexe – La consécration par la CJUE du droit de séjour du conjoint de même sexe du citoyen européen : un pas supplémentaire vers la libre circulation des situations familiales au sein de l’Union européenne ? », Journal du droit international (Clunet), n° 1, Janvier 2019, doctr. 2.
[69] Idem, § 34.
[70] Idem, § 35.
[71] Idem, § 37.
[72] Idem, § 39.
[73] Cour constitutionnelle roumaine, 18 juillet 2018, N° 534. Version anglaise de la décision : https://www.ccr.ro/files/products/Decizia_534_EN.pdf
[74] H. FULCHIRON, « Existe-t-il un modèle familial européen? », Defrénois, n° 19, 2005, p. 1461 et s.
[75] G. KESSLER, « Mariage entre personnes de même sexe … », op. cit..
[76] VfGH G 258/2017, 4 décembre 2017.
[77] Cour suprême de Justice du Costa Rica, salle constitutionnelle, Sentence n° 12782, 8 août 2018.
[78] H. KELSEN, Théorie pure du droit, 2ème éd., trad. Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962.
[79] C. BEHRENDT, « Quelques réflexions sur l’activité du juge constitutionnel comme législateur-cadre », Les Cahiers du Conseil Constitutionnel n°20, 2006, p.7.
[80] L. KHAKZADEH-LEILER, « Öffnung der Ehe für gleichgeschlechtliche Paare »…, op.cit., p. 56.
[81] L’article 86 de la Constitution autrichienne dispose que : « (1) Sauf disposition contraire de la présente loi, les juges sont nommés, sur proposition du gouvernement fédéral, par le président fédéral ou, sur délégation de celui-ci, par le premier-ministre fédéral compétent ; le gouvernement fédéral ou le ministre fédéral compétent doivent inviter les chambres, prévues à cet effet par la loi sur l’organisation judiciaire, à soumettre des propositions de nominations. (2) Les propositions de nomination, soumises au ministre fédéral compétent et transmises par celui-ci au gouvernement fédéral, comprendront, si le nombre de candidats est suffisant, au moins trois noms et, si plus d’un poste est à pourvoir, au moins deux fois autant de noms que de juges à nommer ».
[82]N. P. SAGUËS, Las sentencias constitucionales exhortativas. Estudios Constitucionales [en linea] 2006, 4 (noviembre), p.194: Disponible en:<http://www.redalyc.org/articulo.oa?id=82040109> ISSN 0718-0195
[83]A. SOLÍS FALLAS, “Una sentencia blandengue y arbitraria”, Delfino, 17 de agosto 2018.
[84] Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Opinion consultative, OC-24/17 du 24 novembre 2017.
[85] L’article 9 de la Constitution costaricaine dispose que : « Le gouvernement de la République est populaire, représentatif, alternatif et responsable. Il est exercé par les trois pouvoirs distincts et indépendants qui sont : le Législatif, l’Exécutif et le Judiciaire. Aucun de ces trois pouvoirs ne peut déléguer l’exercice de ses fonctions qui lui sont propres (…)»
[86] CEDH, Oliari et autres c. Italie, 21 juillet 2015, (Requêtes n° 18766/11 et 36030/11).
[87] CEDH, Chapin et Charpentier c. France, 9 juin 2016, (Requêtes n°40183/07).
[88] Cour suprême de Justice du Costa Rica, salle constitutionnelle, Sentence n° 12782, 8 août 2018, Point VII.
[89] Voir en ce sens les écrits du juge à la Cour européenne Peter Jambrek, faisant référence au Docteur Jack Geiger. P. JAMBREK, « Violation structurelles ou massives des droits de l’homme : prévention et réponses », in Conseil de l’Europe, Tous concernés. L’effectivité de la protection des droits de l’homme 50ans après la Déclaration universelle, Éditions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1998, pp. 83-91, p. 83.
[90] Cour suprême de Justice du Costa Rica, salle constitutionnelle, Sentence n° 12782, 8 août 2018, Point VII.
[91] La cour précise que : « Die Aufhebung tritt mit Ablauf des 31. Dezember 2018 in Kraft. » (« L’abrogation entre en vigueur au terme du 31 décembre 2018. »)
[92] L’ÖVP est le parti populaire autrichien, d’orientation chrétien-démocrate-conservateur.
[93] Le FPÖ est le parti politique nationaliste autrichien
[94] Pour information, à l’origine du recours il y avait trois personnes : deux personnes homosexuelles en couple et leur enfant.
[95] VfGH E230/2016 ua, 4 décembre 2017, 1-3, spéc. §3.
[96] Il convient néanmoins de souligner que le communiqué de presse de la Cour précise qu’il y a quatre autres affaires pendantes relatives à ce problème au 4 décembre 2017. Voir en ce sens : VfGH G 258/2017 Press release, 5 décembre 2017, p. 3.
[97] L. KHAKZADEH-LEILER, « Öffnung der Ehe für gleichgeschlechtliche Paare »…, op.cit., p. 52.
[98] Ce projet tend à modifier une série d’articles du Code de la famille et du Code civil pour éliminer les références hétérosexuelles caractérisant le mariage et les unions de fait. L’objectif poursuivi par le gouvernement consiste donc à réparer les violations structurelles.
[99] Quatorze membres sur 57 sont issus du « Partido Restauración Nacional » diffusant des valeurs évangéliques et clairement défavorable à l’adoption de ce projet. Le « Partido Integración Nacional », porteur d’une idéologie très conservatrice a obtenu quatre sièges lors des élections législatives du 4 février 2018, lorsque le « Partido Unidad Social cristiana » occupe désormais neuf sièges et le « Partido Republicano Social Cristiano » a remporté deux sièges.
[100] L’article 106 de la Constitution costaricaine prévoit que : « (..) les députés sont élus par province. L’Assemblée est composée de cinquante-sept députés. À chaque recensement de la population, le Tribunal Suprême Électoral assignera aux provinces, les députés proportionnellement à la population. »
[101] Cour suprême de Justice du Costa Rica, salle constitutionnelle, Sentence n° 12782, 8 août 2018, Point IX.
[102] Dix-huit sièges étaient attribués aux membres du « Partido de la liberación nacional », treize sièges aux membres du « Partido Acción ciudadana » et 9 sièges aux membres du « Frente Amplio », qui défendent tous une idéologie sociale-démocrate.
[103] Pour creuser ce sillon, se référer à J. JIMÉNEZ BOLAÑOS, Matrimonio igualitario en Costa-Rica : los orígenes del debate 1994-2006. Revista de Ciencias Sociales (Cr) [en linea] 2017, I (Sin mes): Disponible en:<http://www.redalyc.org/articulo.oa?id=15352346010> ISSN 0482-5276
[104] Idem, p.162. En 2001, Ana Virginia Calzada Miranda, magistrate de la Salle Constitutionnelle, affirmait lors d’une interview que « dans notre législation, les droits des couples homosexuels ne pourront jamais être consacrés, en raison de notre concept culturel et religieux du mariage, lequel doit se réaliser entre un homme et une femme, condition nécessaire à l’adoption d’enfants ».
[105] Idem, p.166.
[106] Le mariage strictement hétérosexuel est déjà inscrit dans la Constitution en Pologne, en Bulgarie, en Lettonie, en Lituanie.
[107] L’interview de l’ancien juge à la Haute Cour, Mickael Kirby
https://www.abc.net.au/news/2017-08-22/fact-check-same-sex-marriage-postal-survey/8826300
[108] L’article 48 de la Constitution de la Roumanie de 1991
[109] L’article 151, alinéa 3 de la Constitution de la Roumanie de 1991
[110] Haute Cour d’Australie, décision du 12 décembre 2013, The Commonwealth of Australia v. the Australien Capital Territory, [2013] HCA 55 [www.austlii.edu.au/au/cases/cth/HCA/2013/55.html].
[111] P. KILDEA, « The Constitutional and Regulatory Dimensions of Plebiscites in Australia », Public Law Review 290, [2017].
[112] Cour constitutionnelle de Roumanie, décision n.580/2016 du 20 juillet 2016
[https://www.ccr.ro/files/products/Decizie_580_2016.pdf].
[113] Wilkie v The Commonwealth et Australian Marriage Equality Ltd v Cormann [2017] HCA 40, 28 septembre 2017
[https://static1.squarespace.com/static/580025f66b8f5b2dabbe4291/t/59cc4994d2b857c0e1628b21/1506560408589/High+Court+Judgment+marriage+equality+postal+survey+challenge.pdf].
[114] En 2003, le gouvernement a fait recours à la législation déléguée pour organiser le référendum qui se déroule sur deux jours. En 2018, la loi relative au référendum a été modifiée, en faisant mention dans la loi organique que le jour du référendum serait le dernier dimanche existant à l’intérieur d’un délai de 30 jours à partir de la date de l’adoption de la loi de révision constitutionnelle. Cette modification rendait a priori impossible le déroulement du référendum sur plusieurs jours
[115] La dépénalisation de l’homosexualité en Roumanie date de 1996 seulement