La réforme du recours d’amparo en Espagne : évolution ou révolution ? Réflexions en guise de bilan
La réforme du recours d’amparo en Espagne : évolution ou révolution ? Réflexions en guise de bilan
Par François Barque
En 2007, le recours d’amparo a fait l’objet d’une réforme. Annoncée comme révolutionnaire par les pouvoirs publics, celle-ci devait permettre d’alléger la charge de travail du Tribunal constitutionnel espagnol. La pratique montre cependant que la révolution n’a pas eu lieu et que la mise en œuvre de la réforme a généré une évolution du recours direct.
Dès l’origine, le recours d’amparo a été configuré avec une double facette, objective et subjective (STC 1/81). D’un côté, il devait apparaître comme un précieux moyen de faire respecter la suprématie de la Constitution et d’en parfaire l’interprétation ; de l’autre, il offrait aux citoyens une voie de recours appréciable pour faire valoir leurs libertés et droits fondamentaux. Selon l’article 53 alinéa 2 de la Constitution espagnole (CE ci-après), en effet, « tout citoyen pourra obtenir la protection des libertés et droits reconnus dans l’article 14 et dans la Section première du Chapitre second, devant les Tribunaux ordinaires […] et, le cas échéant, au moyen du recours d’amparo, devant le Tribunal constitutionnel ». La violation devra provenir d’actes juridiques ou de comportements des pouvoirs publics tels que l’Etat ou encore les Communautés autonomes (cf l’article 41 alinéa 2 de la loi organique relative au Tribunal constitutionnel, LOTC ci-après ; v. également Pierre BON, « Présentation du Tribunal constitutionnel espagnol », CCC, n°2, 1997, pp.38 s.).
La réforme de la LOTC opérée par la loi organique 6/2007 du 24 mai 2007 a été présentée comme une façon de revenir sur cette nature si particulière de l’amparo, en exacerbant sa dimension objective au détriment de sa dimension subjective. A priori, vouloir revenir sur ce que d’aucuns considéraient comme un acquis procédural et démocratique relèverait de l’impossible et serait un combat voué d’emblée à l’échec, comme le fut celui entrepris par le plus célèbre des hidalgos contre des moulins à vent. Pourtant, la réforme est entrée en vigueur. Quelques années ont passé depuis et un bilan critique mérite d’être proposé.
Il est tout d’abord indéniable que les pouvoirs publics poursuivaient un but précis : opérer une révolution procédurale en modifiant radicalement la nature de l’amparo et diminuer dès lors le nombre de recours (I). Force est de remarquer néanmoins qu’en pratique, la situation est plus complexe. Les changements notables apportés par la réforme ne sauraient en effet être surestimés en ce qu’ils caractérisent moins une révolution qu’une évolution du recours d’amparo (II).
I-Une révolution recherchée
Victime de son succès, le Tribunal constitutionnel a rapidement vu le nombre de requêtes le saisissant augmenter de façon prodigieuse. Cette hausse fulgurante étant due presque exclusivement aux recours d’amparo, des propositions de réforme de ce fleuron de la démocratie espagnole ont rapidement été suggérées. Certaines d’entre elles ont pu être adoptées… sans pour autant résoudre la surcharge de travail de la Haute juridiction constitutionnelle (v. spéc., sur ces réformes, deux travaux de Séverine NICOT : La sélection des recours par la juridiction constitutionnelle -Allemagne, Espagne, Etats-Unis-, Paris, Fondation Varenne-LGDJ, 2006 ; « Il a fallu sauver le Tribunal constitutionnel… La fin de l’illusion de l’accès universel au juge de l’amparo constitutionnel ? », L’Europe des libertés, p.9, www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr). Les chiffres fournis dans les bilans d’activité (les Memorias, disponibles sur www.tribunalconstitucional.es) du Tribunal sont assez éloquents. En 1981, on dénombrait 218 recours d’amparo, 6 762 en 2000, 7814 en 2004 et, un record, 11 471 en 2006 (pour de plus amples analyses statistiques, v. Jorge PÁEZ MAÑA, « El requisito de la especial trascendencia constitucional en los recursos de amparo interpuestos ante el Tribunal constitucional español », in Estudios en homenaje a V. Carrascosa López, Madrid, Federación iberoamericana de derecho e informática, 2012, pp.514-519). Le juge madrilène est d’ailleurs en partie responsable de cette situation. Alors que les textes lui donnaient la possibilité de rendre plus sévères les conditions d’admission des recours (on pense spécialement à l’ancienne rédaction de l’article 50 LOTC aux termes duquel ne sont pas recevables les demandes « manquant manifestement de contenu »), le Tribunal n’a pas saisi cette opportunité.
La loi organique de 2007 ne s’inscrit pas totalement dans le prolongement des réformes précédentes qui étaient exclusivement d’ordre organisationnel et procédural (que l’on songe à la loi organique du 9 juin 1988 dont l’un des objectifs était de faciliter l’adoption des décisions refusant l’admission des recours). Au contraire, elle vient en rupture avec ce qui a été fait au préalable, sont but étant de changer la nature de l’amparo. L’exposé des motifs est très clair sur ce point : il s’agit d’instaurer une nouvelle « régulation » de la procédure d’admission des recours directs afin de garantir « un plus grand épanouissement de la fonction de garantie des droits fondamentaux en relation avec les autres fonctions du Tribunal constitutionnel ». Premier signe révolutionnaire donné par le législateur : l’inversion de la logique sur laquelle repose la procédure d’admission des recours. Les juges devront s´assurer que les conditions organiques d´admission sont satisfaites, et non plus que les causes d’inadmission ne sont pas réunies. Surtout, l’essentiel de la réforme repose sur les nouveaux critères d’admission instaurés par la loi, et notamment sur celui figurant à l’article 50. 1 b), à l’origine d’un véritable changement culturel. Désormais, le requérant devra convaincre les juges d’admettre sa requête en démontrant que celle-ci revêt une « importance constitutionnelle spéciale » (la trascendencia constitucional). La trascendencia constitucional s’appréciera en prenant en compte « l’importance du recours pour l’interprétation de la Constitution, pour son application ou pour son efficacité générale et pour la détermination du contenu et de la portée des droits fondamentaux ». En dépit de son caractère manifestement « ouvert et indéterminé » (F.J. SOSPEDRA NAVAS, Justicia constitucional y procesos constitucionales, Madrid, Civitas, 2011, p.312), la trascendencia a rapidement été perçue comme un outil au service de l’objectivation de l’amparo. Selon cette analyse, le recours direct, pourtant doté dès l’origine d’une double nature subjective (protéger les droits et libertés) et objective (faire évoluer le droit constitutionnel), serait désormais régi par le critère de la trascendencia qui ne porterait aucunement sur l’atteinte aux droits et libertés du citoyen, mais qui serait pétri de considérations plus objectives.
Cependant, la « définition » organique de la trascendencia restant (volontairement ?) des plus sibyllines dans le texte, il est revenu fort logiquement au Tribunal constitutionnel le soin de préciser les contours de cette incontournable expression. Dans une importante décision du 25 juin 2009 (STC 155/2009), le juge fournit une liste, susceptible d’évolutions, de situations constitutives de trascendencia constitucional. Six situations sont ainsi dégagées :
« a) le recours doit évoquer un problème ou un droit fondamental susceptible d’amparo au sujet duquel il n’existe pas de doctrine du Tribunal constitutionnel ;
b) [le recours] doit donner l’occasion au Tribunal d’éclaircir ou de modifier sa doctrine, suite à un processus de réflexion interne […] ;
c) la violation du droit fondamental alléguée doit être le fait de la loi ou d’une autre disposition à caractère général ;
d) la violation du droit fondamental résulte d’une interprétation jurisprudentielle de la loi réitérée et jugée nuisible à un droit fondamental par le Tribunal constitutionnel ; [ce dernier] estimera nécessaire de proclamer une autre interprétation conforme à la Constitution ;
e) la doctrine du Tribunal constitutionnel, rendue au sujet d’un droit fondamental invoqué dans le cadre du recours, n’est pas suivie de façon générale et réitérée par la juridiction ordinaire […]
f) un organe judiciaire refuse manifestement de respecter la doctrine du Tribunal constitutionnel ;
g) enfin, […] le sujet abordé, sans correspondre à aucune des situations antérieures, [doit transcender] l’affaire concrète en posant une question juridique ayant une répercussion remarquable et générale au niveau social ou économique, ou emportant des conséquences politiques générales, conséquences qui pourront essentiellement […] se trouver dans les amparos électoraux ou parlementaires » (STC 155/2009, FJ 2).
Un examen attentif de cet inventaire à la Prévert permet d’isoler une absence de taille : l’existence d’une atteinte portée à un droit ou à une liberté fondamentale n’est plus reconnue comme un critère de sélection des recours. La plupart de ces situations dépeintes sont directement liées à la fonction d’interprète du texte suprême assurée par le juge constitutionnel. Ainsi, les affaires ne lui seront transmises pour un jugement au fond qu’à la condition qu’elles lui permettent de créer du droit constitutionnel ou de faire évoluer le droit préexistant. De même, d’autres critères exposent très clairement la nécessaire subordination des juridictions ordinaires à l’égard de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, ces dernières devant impérativement respecter sa doctrine conformément à la Constitution et surtout à l’article 1er LOTC : l’amparo permettra au juge constitutionnel de faire œuvre de pédagogie en rappelant solennellement sa doctrine. Dès lors pour l’essentiel, ces critères reposent sur un fondement objectif et participent de l’objectivation de l’amparo.
Cependant, de là à conclure à la suppression de toute dimension subjective, il y a un pas qu’il ne faudrait franchir pour trois raisons. Tout d’abord, le Tribunal constitutionnel, après avoir admis un recours sur le fondement d’un critère objectif, peut rendre une décision au fond favorable au requérant, qui bénéficiera d’une protection subjective. Ensuite, le juge a élaboré, dans la STC 155/2009, d’autres critères teintés de considérations éminemment subjectives, sans pour autant que ne réapparaisse le critère de la violation d’un droit ou d’une liberté fondamentale. Tel est le cas des situations invoquées dans le paragraphe g). Celles-ci font référence à des affaires suscitant une forte attente de la part d’un nombre important de personnes ou pouvant avoir des répercussions sociales étendues. Cela serait spécialement le cas des contentieux d’ordre fiscal, électoral ou encore social (Jorge PÁEZ MAÑA, op. cit., p.538). Enfin, si les critères de sélection élaborés par le Tribunal constitutionnel ne sont, certes, pas en lien avec les violations subies par le requérant, ils vont néanmoins permettre au juge de compléter, revoir ou rappeler solennellement la jurisprudence constitutionnelle en la matière. Dès lors, par cette fonction prétorienne essentiellement objective, le juge de l’amparo contribuera, à moyen ou à long terme, au renforcement de la protection des droits et libertés (en ce sens : Pablo PÉREZ TREMPS, El recurso de amparo, Valencia, Tirant lo Blanch, 2004, p.29 ; Séverine NICOT, « Il a fallu sauver le Tribunal constitutionnel… », op.cit.). Cette dernière passe, bien entendu, par des décisions concrètes d’annulation d’actes liberticides ou de condamnation pécuniaire, mais aussi par une veille et un dynamisme jurisprudentiels restreignant le pouvoir des autorités publiques.
La loi organique, telle qu’interprétée par le Tribunal constitutionnel, n’aboutit donc pas à la disparition du volet subjectif de l’amparo mais à son affaiblissement considérable, ce qui affecte fortement sa nature. En théorie, cet affaiblissement recherché n’en demeure pas moins révolutionnaire : les requérants doivent savoir que leur requête ne saurait être fondée sur la violation d’un droit ou liberté constitutionnellement garantis (articles 14 à 30 CE). La réforme repose sur un principe compréhensible : il n’existe qu’un seul Tribunal constitutionnel en Espagne et celui-ci ne saurait avoir les mêmes compétences que les juridictions ordinaires, y compris en matière de protection des droits fondamentaux (v. I. BORRAJO INIESTA, « Mitos y realidades de la jurisdicción constitucional de amparo: hechos, derecho, pronunciamientos, admisión, costes », Teoría y derecho, 3/2008, p.198). L’article 53 de la Constitution, qui, rappelons-le, dispose que « n’importe quel citoyen pourra obtenir la protection de ses libertés et de ses droits […] devant les tribunaux ordinaires […] et, le cas échéant, au moyen du recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel », apparaît alors sous un angle nouveau : l’expression « le cas échéant » traduit désormais fort bien cette absence de systématicité de l’admission du recours, donnant une base constitutionnelle à la réforme et renforçant le caractère subsidiaire de l’intervention du Tribunal.
Pourtant, alors qu’une mutation révolutionnaire de l’amparo était recherchée, il semble qu’en pratique la modestie doive être de mise. Moins qu’une révolution, c’est une évolution que la réforme organique semble avoir générée.
II-Une évolution obtenue
La logique de la réforme pouvait pourtant paraître claire : il s’agissait d’opérer une nouvelle répartition des compétences entre le Tribunal constitutionnel et les juges ordinaires. Au premier reviendrait la tâche, essentiellement objective, d’établir la jurisprudence constitutionnelle en matière de droits et libertés fondamentaux cependant que les seconds étaient désignés comme les protecteurs naturels de ces mêmes droits et libertés, en s’appuyant le cas échéant sur la jurisprudence rendue par le Tribunal constitutionnel. Il n’est pas étonnant que le législateur organique ait, parallèlement à la réforme de l’amparo, modifié la procédure de la nulidad de actuaciones pour conforter le juge ordinaire dans cette fonction de protection subjective (en ce sens : Álvaro RODRÍGUEZ BEREIJO, « La reforma del recurso de amparo », Revista española de derecho financiero, n°151, 2011, p.706).
Un premier bilan plutôt positif peut être dressé au sujet de l’application de la réforme par le juge constitutionnel. Ce dernier semble s’être approprié la réforme de façon satisfaisante, en appliquant expressément les critères au fondement de la trascendencia constitucional pour combler des lacunes de sa jurisprudence (par exemple : STC 36/2011, SSTC 162 à 165/2011) ou encore pour la faire évoluer (cf entre autres : STC 155/2009, STC 24/2011). En outre, cette application, a priori rigoureuse, des critères de sélection commencerait à porter ses fruits, en dissuadant les potentiels requérants à déposer un recours d’amparo. Les statistiques sont éloquentes, le nombre de recours ayant considérablement diminué à compter de la mise en œuvre de la réforme : 8948 en 2010, 7098 en 2011, mais 7205 en 2012 (chiffres fournis dans la Memoria 2012).
Pourtant, la summa divisio ainsi établie se trouve brouillée par une pratique fort discrète du Tribunal constitutionnel. A côté des critères essentiellement objectifs de sélection, le juge a implicitement (et on le comprend, l’inverse eût été un très mauvais signal envoyé aux potentiels requérants…) laissé perdurer un critère exclusivement subjectif fondé sur la gravité de l’atteinte portée aux droits et libertés du requérant. En effet, nombreuses sont les décisions d’admission ne pouvant pas être expliquées par l’un des critères dégagés dans la STC 155/2009 (par exemple en matière pénitentiaire : STC 14/2011 ; cf également STC 40/2010, STC 143/2010, STC 4/2001, STC 7/2011 ou, plus récemment et à propos de la protection de la vie privée, STC 72/2013). Compte tenu de l’argumentation du Tribunal, on peut raisonnablement en déduire que c’est la gravité de la situation du requérant qui l’a conduit à admettre le recours de ce dernier (v. spécialement : Mario HERNÁNDEZ RAMOS, «La especial trascendencia constitucional del recurso de amparo y su aplicación en la jurisprudencia del Tribunal constitucional. Luces y sombras de cuatro años de actividad », Revista Aranzadi doctrinal, 2011, pp.111et 112).
La survivance latente de cette facette très subjective que l’on croyait abandonnée par la réforme n’est finalement guère surprenante en raison de la grande difficulté pour le juge à faire table rase sur le passé, certaines voix s’étant d’ailleurs élevées pour réclamer le maintien de ce volet subjectif du recours d’amparo (on pense spécialement aux positions adoptées par le juge Eugeni GAY MONTALVO, publiées à la suite de l’auto 289/2008 du 22 septembre 2008 et de la STC 155/2009 précitée ; cf également M.A. MONTAÑES PARDO, « La especial trascendencia constitucional como presupuesto del recurso de amparo », Otrosí, 2010, pp.35 et 36). Ce discret maintien ne saurait néanmoins être interprété démesurément. La protection subjective et directe, par le biais d’une mesure juridictionnelle prise par le Tribunal constitutionnel, n’est plus une fonction officielle, et donc exigible du recours d’amparo. Cette protection ne peut être que la conséquence fortuite d’une sélection des recours basée sur des critères figurant dans la STC 155/2009, essentiellement objectifs, du moins déconnectés de la gravité de la violation des droits et libertés alléguée par le requérant. Quant à la sélection opérée sur le fondement du moyen subjectif officieux (i.e. en raison de la gravité des atteintes que le requérant prétend subir), elle ne saurait, selon nous, donner droit au requérant de fonder sa requête sur ce fondement. En effet, le juge madrilène n’a plus un pouvoir discrétionnaire de sélection des recours : en donnant une liste d’hypothèses constitutives de trascendencia constitucional, le Tribunal constitutionnel a décidé de procéder à une « autolimitation » de son pouvoir de sélection (Marc CARRILLO et Roberto ROMBOLLI, La reforma del recurso de amparo, Madrid, Fundación coloquio jurídico europeo, 2012, p.124). Les requérants ne peuvent donc fonder leur requête que sur l’une des hypothèses prévues dans ladite décision. A l’inverse, le critère officieux doit être appréhendé comme un véritable pouvoir de certiorari masqué sur lequel les requérants n’ont aucune emprise et aucun droit. Preuve en est de l’absence de considérant de principe qui lui serait consacré : aucune précision n’a été donnée sur les éventuelles attentes du juge, ses critères de sélection. Les décisions rendues sur ce critère subjectif n’ont pu être identifiées par la doctrine que par déduction et il n’est pas possible d’affirmer que toutes les violations graves ont donné lieu à décision au fond. En outre, la gravité relève du standard juridique, ce qui octroie au juge une marge de manœuvre telle qu’elle s’assimile sans difficulté au pouvoir discrétionnaire. Il est donc impossible pour un requérant d’exiger un droit d’accès au juge en se fondant sur la gravité de la violation qu’il subit.
L’application de la réforme de 2007 a généré une évolution de l’amparo plus complexe que prévu, très certainement dans le but stratégique d’éviter un affaiblissement de la légitimité du Tribunal constitutionnel. Cette évolution est-elle pour autant soutenable ? Si une réponse optimiste peut-être osée, la situation dans laquelle se trouve la Haute juridiction reste très fragile, le nombre de recours d’amparo, bien qu’en diminution, demeurant toujours très élevé. A ce sujet, on ne peut que regretter que les providencias rejetant les requêtes pour défaut de transcendencia constitucional ne soient pas abondamment motivées ni publiées. Une telle argumentation présenterait des vertus pédagogiques en ce qu’elle permettrait au Tribunal d’expliquer de manière plus pratique la définition qu’il a retenu pour ce critère. Surtout, le maintien du certiorari à l’état officieux est tout sauf satisfaisant. Il présenterait l’inconvénient de laisser espérer en vain les requérants qui auraient formé leur recours en pensant à la bienveillance du juge. Un considérant de principe serait bienvenu. Le Tribunal pourrait y expliquer qu’à côté des hypothèses de sélection élaborées par sa propre jurisprudence, et le liant, il se réserve la possibilité de sélectionner en toute discrétion un recours en raison notamment de la gravité de l’atteinte porté à un droit ou à une liberté.
Cependant, pour respecter la philosophie de la réforme, le juge devra relever un défi : celui de résister à la tentation de « germaniser » l’amparo. En effet, « en Allemagne, une partie de la doctrine a pu constater, malgré la mise en place d’une nouvelle procédure d’admission des recours constitutionnels, une continuité dans la pratique de la Cour constitutionnelle fédérale qui, au lieu d’appliquer les critères d’admission introduits par la loi du 2 août 1993, a persisté à se fonder sur les critères d’admission posés par les législations antérieures » (Séverine NICOT, « Il a fallu sauver le Tribunal constitutionnel… », op. cit., p.17). Dans le cas contraire, la réforme de 2007 serait neutralisée si le juge acceptait de se lier par un critère de sélection subjectif fondé sur la gravité de la violation subie par le requérant, c’est-à-dire de passer de la « discrétionnarité » de la sélection subjective à sa systématicité.
Pour citer cet article : F. Barque, « La réforme du recours d’amparo en Espagne : évolution ou révolution ? Réflexions en guise de bilan », RDLF 2014, chron. n°03 (www.revuedlf.com)