Le contrôle des lois pénales incriminant des abus de la liberté d’expression par le Conseil constitutionnel
La méthode du juge constitutionnel pour examiner les lois incriminant les abus de la liberté d’expression est doublement ambitieuse : elle identifie les abus que la loi pénale peut légitimement réprimer et contrôle la proportionnalité des infractions les sanctionnant. Toutefois, plusieurs décisions récentes révèlent les problèmes de cette méthode apparue en 2012 : non seulement les règles jurisprudentielles sont ambiguës mais leur application s’avère souvent décousue 1.
Charles-Édouard Sénac, Maître de conférences en droit public à l’Université de Picardie – Jules Verne (CURAPP-ESS UMR 7319)
Sommaire
I. L’identification des abus de la liberté d’expression pénalement répréhensibles
A. Une définition vague
1. Un champ d’application incertain
2. Des catégories imprécises
B. Une qualification défaillante
1. Une opération apparemment facultative
2. Une question éventuellement accessoire
II. Le contrôle de proportionnalité de l’incrimination pénale des abus de la liberté d’expression
A. Une formulation jurisprudentielle ambigüe
1. Une rédaction spécifique
2. Une spécificité équivoque
B. Une mise en œuvre lacunaire
1. Un contrôle partiel jusqu’en 2016
2. Un contrôle complet en 2017
1. Le 24 août 1789, à Versailles, au cours d’un débat parlementaire où des thèses radicalement divergentes se font entendre, le Duc de La Rochefoucauld d’Enville proposa à l’Assemblée nationale constituante de proclamer le droit à la liberté d’expression en ces termes : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux à l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre des abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi » 2. La rédaction finalement adoptée deux jours plus tard, gravée dans le marbre de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ne modifie quasiment pas la proposition de La Rochefoucauld : un changement de préposition, une modification de la ponctuation et un passage du pluriel au singulier pour parler des abus, voilà tout. L’article 11 de la Déclaration du 26 août 1789 était né.
La formulation retenue montre que, pour le Constituant français tout du moins 3, l’idée de sanctionner les abus de la liberté d’expression est aussi ancienne que celle de protéger son exercice. Depuis, les représentant de la Nation n’ont pas hésité à utiliser le mandat qui leur a été confié pour délimiter les bornes légitimes de cette liberté. Avec l’abandon progressif de la censure, c’est la voie répressive, pénale en particulier, qui a eu leur préférence : de la loi Thouret du 22 août 1791 4 à la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté 5, en passant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse 6, nombreuses sont les interventions législatives visant à punir les auteurs des propos jugés nocifs pour la société et la population.
2. L’assujettissement de la loi à la norme constitutionnelle réalisé par la Constitution de 1958 n’a pendant longtemps pas eu d’influence sur le droit de la répression pénale des discours. En dépit de la valeur constitutionnelle de la liberté d’expression, la question des limites pénales à l’exercice de cette liberté est restée étrangère au droit constitutionnel français jusqu’au début des années 2000. Le Conseil constitutionnel a pourtant eu l’occasion, en particulier depuis les années 1980, de se prononcer sur l’application des dispositions de l’article 11 de la Déclaration de 1789 et d’élaborer une jurisprudence fournie sur les exigences qui en découlent. À ce titre, ses « grandes » décisions portent surtout sur les conditions d’exercice de la liberté de la presse et de la communication audiovisuelle, ainsi que sur les conséquences de l’objectif de pluralisme des courants d’opinion (CC, n° 82-141 DC, 27 juill. 1982, Loi sur la communication audiovisuelle, Rec., p. 48, cons. 5 ; n° 84-181 DC, 11 oct. 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, Rec., p. 78 ; n° 86-210 DC, 29 juill. 1986, Loi portant réforme du régime juridique de la presse, Rec., p. 110, cons. 20 à 24). Mais il faut attendre 2003 et le contrôle de la loi pour sécurité intérieure pour qu’il soit confronté à son premier cas d’incrimination pénale d’un abus de la liberté d’expression. En l’occurrence, l’article 113 de la loi punissait de sept mille cinq cents euros d’amende et, lorsqu’il est commis en réunion, de six mois d’emprisonnement « le fait, au cours d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore» (art. 433-5-1 du Code pénal). La Haute instance a validé cette restriction à la liberté d’expression au terme d’une motivation relativement brève et, surtout, peu exigeante en termes de garantie pour l’exercice de cette liberté (CC, n° 2003-467 DC, 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, Rec., p. 211, cons. 99 à 106). Pour parvenir à une déclaration de conformité, le Conseil s’est contenté de mentionner que, en excluant du champ d’application de l’infraction les œuvres de l’esprit, les propos tenus dans un cercle privé, ainsi que les actes accomplis lors de manifestations publiques à caractère sportif, récréatif ou culturel se déroulant dans des enceintes soumises à des règles légales ou réglementaires d’hygiène et de sécurité en raison du nombre de personnes qu’elles accueillent, le législateur avait opéré une juste conciliation entre, d’une part, les articles 10 7 et 11 de la Déclaration de 1789 et, d’autre part, l’article 2 de la Constitution qui se réfère aux symboles de la République. Aucune autre garantie n’est exigée. Ainsi, la Constitution ne protège pas la personne qui brulerait un drapeau tricolore à l’occasion d’une manifestation sur la voie publique en vue de protester contre le gouvernement 8. Avec cette décision, le juge constitutionnel français a manifestement raté son entrée dans la cour des grands gardiens de la liberté d’expression 9. On était à l’époque très éloigné des standards de contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme 10 ou bien des cours étrangères, telles que la Cour suprême des États-Unis 11 ou bien la Cour constitutionnelle allemande 12, voire même du Conseil d’État 13.
3. Ces dernières années, le Conseil constitutionnel a été, plus souvent que par le passé, confronté à la question des restrictions pénales de la liberté d’expression. L’adoption par le législateur de plusieurs infractions controversées réprimant des discours réputés nocifs, conjuguée à l’ouverture du prétoire constitutionnel aux justiciables depuis le 1er mars 2010 14, lui a donné l’occasion de faire évoluer le niveau des garanties applicables dans ce domaine. Concernant les incriminations pénales de l’exercice abusif de la liberté d’expression 15, les exigences constitutionnelles sont synthétisées dans un considérant de principe adopté à l’occasion du contrôle a priori – et de la censure – d’une loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, c’est-à-dire, en pratique, le génocide arménien de 1915 reconnu par la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 (CC, n° 2012-647 DC, 28 févr. 2012, Loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, Rec., p. 139, cons. 5). Le juge constitutionnel dégage deux séries d’exigences : d’une part, il affirme de manière inédite qu’« il est loisible au législateur … d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers» ; d’autre part, reprenant une formule de la décision dite « Hadopi » 16 (CC, n° 2009-580 DC, 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, Rec., p. 107, cons. 15), il rappelle que les atteintes portées «à l’exercice la liberté d’expression et de communication », dont font partie les infractions pénalisant l’usage de cette liberté, doivent être « nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi » par le législateur. Au total, la méthode d’examen des lois incriminant des abus de la liberté d’expression paraît bien plus ambitieuse qu’en 2003 : le juge constitutionnel va non seulement identifier les abus que la loi pénale peut légitimement réprimer mais également contrôler la nécessité, l’adéquation et la proportionnalité au sens strict, de cette loi pénale.
4. Depuis 2012, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de mettre en œuvre cette méthode à cinq reprises, principalement pour la pénalisation des « discours de haine » (CC, n° 2012-647 DC, 28 février 2012, préc. ; n° 2015-512 QPC, 8 janv. 2016, M. Vincent R. [Délit de contestation de l’existence de certains crimes contre l’humanité] ; n° 2016-745 DC, 26 janv. 2017, Loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, cons. 191 à 197), mais pas seulement (CC, n° 2016-611 QPC, 10 févr. 2017, M. David P. [Délit de consultation habituelle de sites internet terroristes]; n° 2017-747 DC, 16 mars 2017, Loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse). Le bilan – provisoire – que l’on peut faire de la jurisprudence est contrasté. D’un côté, le résultat du contrôle de constitutionnalité semble indiquer un renforcement significatif de la protection de la liberté d’expression par le juge constitutionnel : trois incriminations pénales ont été jugées contraires à l’article 11 de la Déclaration de 1789 17 et une infraction a fait l’objet de réserves d’interprétation limitant sa dimension liberticide 18. De l’autre, la méthode pour examiner la validité des infractions sanctionnant les abus de la liberté d’expression est encore approximative. La formulation des règles jurisprudentielles et leur application posent parfois des difficultés de compréhension que le style particulièrement concis de la motivation des décisions ne suffit pas à expliquer. De manière plus grave encore, on peine parfois à évaluer le niveau des garanties exigé en matière d’atteinte à la liberté d’expression. Finalement, le raisonnement du juge constitutionnel paraît, à plusieurs titres, problématique. Aussi, il convient de soumettre à un examen critique les deux versants de la méthode du Conseil constitutionnel, en commençant par celle d’identification des abus de la liberté d’expression pénalement répréhensibles (I.) et en continuant avec celle du contrôle de proportionnalité exercé sur les incriminations pénales de ces abus (II.).
I. L’identification des abus de la liberté d’expression pénalement répréhensibles
5. En marge de la première censure d’une loi mémorielle par le juge constitutionnel, l’innovation majeure de la décision du 28 février 2012 réside dans l’identification des types d’abus de la liberté d’expression que le législateur peut pénalement réprimer. Toutefois, l’incidence de cette évolution jurisprudentielle s’avère limitée. Si le droit constitutionnel français dispose désormais d’une définition des abus pénalement répréhensibles, celle-ci demeure vague (A). De plus, son application aux lois pénales déférées à l’examen du juge constitutionnel n’est pas systématique et, même lorsqu’elle existe, sa portée est incertaine. En somme, la qualification opérée par le juge constitutionnel s’avère souvent défaillante (B).
A. Une définition vague
6. En 2012, le Conseil constitutionnel esquisse en peu de mots une définition des abus de la liberté d’expression qu’il appartient à la loi pénale de réprimer. Cependant, le champ d’application des abus demeure incertain (1) et les catégories d’abus sont imprécises (2).
1. Un champ d’application incertain
7. L’article 11 de la Déclaration de 1789 et l’article 34 de la Constitution de 1958 sont les deux textes constitutionnels qui servent de fondement aux exigences constitutionnelles dégagées par le Conseil constitutionnel à propos du contrôle des lois pénales réprimant l’exercice de la liberté d’expression. Cette double référence, héritée de la jurisprudence antérieure (CC, n° 82-141 DC, 27 juill. 1982, préc., cons. 3 et 4), prend une tournure singulière en 2012 : le Conseil reprend pour la première fois dans son raisonnement la notion d’« abus » issue de l’article 11 de la Déclaration. Tout porte à croire, en effet, que l’usage de ce terme est une référence directe au texte de 1789. L’abus est ainsi entendu au sens de l’exercice d’une liberté ou d’un droit qui méconnaîtrait les conditions légales de son exercice 19.
8. La fidélité des juges de la rue de Montpensier au texte constitutionnel n’est toutefois pas totale. S’il se réfère au singulier à la « liberté de communication et d’expression», il semble distinguer deux prérogatives juridiques, alors que la Déclaration de 1789 se réfère avant tout à la liberté de communication dont elle fait dériver la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer 20. De son côté, le juge constitutionnel dissocie, d’une part, le « droit de libre communication» qui équivaut à la liberté de communication et, d’autre part, la « liberté de parler, d’écrire et d’imprimer » qui évoque la liberté d’expression stricto sensu 21. Ce n’est pas la première fois qu’il opère une telle dissociation. En effet, on trouve dès 1984 une distinction entre le « droit de libre communication et « la liberté de parler, écrire et imprimer » (CC, n° 84-181 DC, 11 oct. 1984, préc., cons. 36). Cette distinction sera répétée en 1994, dans une décision où le Conseil utilise pour la première fois la mention « liberté d’expression et de communication » (CC, n° 94-345 DC, 29 juill. 1994, Loi relative à l’emploi de la langue française, Rec., p. 106, cons. 5 et 6), puis dans la décision « Hadopi » (CC, n° 2009-580 DC, 10 juin 2009, préc., cons. 15). Après la décision de 2012, elle sera présente dans chaque décision statuant sur une disposition législative réprimant l’exercice abusif de la liberté d’expression lato sensu (CC, n° 2015-512 QPC, 8 janv. 2016, préc., cons. 5 ; n° 2016-745 DC, 26 janv. 2017, préc., cons. 192 ; n° 2016-611 QPC, 10 févr. 2017, préc., cons. 5 ; n° 2017-747 DC, 16 mars 2017, préc., cons. 9).
Ceci étant, le Conseil constitutionnel n’a jamais précisé les tenants et aboutissant de cette distinction. On trouve toutefois dans les commentaires officiels de ses décisions l’idée selon laquelle la liberté d’expression lato sensu aurait une double dimension, l’une « passive » et l’autre « active » 22. La première serait celle du récepteur de l’information ou de l’opinion et la seconde celle de l’émetteur de l’information ou de l’opinion. De son côté, la doctrine a également approfondi cette distinction. Pour les auteurs du Code constitutionnel, « la liberté de communication regroupe selon une perspective moderne la liberté de diffuser et la liberté de recevoir des idées, des pensées ou des opinions, et donc un discours dans un sens large, alors que la liberté d’expression est une liberté d’émettre de telles idées, pensées ou opinions. En d’autres termes, le contenu du discours relève de la liberté d’expression, les moyens qui permettent de le diffuser et sa réception s’intègrent dans la liberté de communication » 23.
9. En tout état de cause, on peut se demander si la jurisprudence distingue bien deux prérogatives juridiques dont il serait possible d’abuser. Le considérant de 2012 semble dénué d’ambiguïté puisqu’il mentionne « les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication». Pourtant, si on observe l’ensemble de sa jurisprudence, le Conseil a toujours réservé l’usage de cette expression à des situations où le législateur incrimine des abus de la liberté d’émettre des informations ou des opinions, et non celle de les recevoir. Ainsi, en février 2017, à l’occasion de l’examen de la loi instaurant un délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, le juge constitutionnel ne reprend pas le considérant de 2012. La décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017 se réfère, d’abord, à l’article 11 de la Déclaration pour affirmer, ainsi qu’il le fait depuis la décision « Hadopi », qu’il en découle un droit constitutionnel d’accéder à internet. Puis, il cite les premiers mots de l’article 34 de la Constitution en considérant que « sur ce fondement, il est loisible au législateur d’édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de lutte contre l’incitation et la provocation au terrorisme sur les services de communication au public en ligne, qui participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions, avec l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer … » (cons. 5). Aucune mention des « abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication » ne figure dans la décision, alors même que le Conseil accomplit un contrôle de proportionnalité apparemment identique à celui qu’il applique aux cas d’abus de la liberté d’expression stricto sensu. Pour quelles raisons ? Deux explications peuvent, selon nous, être avancées. En premier lieu, compte tenu de l’objet de la loi – la consultation d’informations ou d’opinions en ligne – la rédaction de la décision s’inspire fortement de la décision « Hadopi » en ce qui concerne le choix du considérant de principe 24. En second lieu, l’attachement du juge constitutionnel à la lettre du texte de 1789 – qui évoque les abus du fait de « parler, écrire, imprimer» – peut expliquer sa réticence à l’idée de mentionner les abus du fait de recevoir des informations ou des opinions. Quoi qu’il en soit, la coexistence de deux motivations différentes devraient – on l’espère – conduire le Conseil à clarifier sa jurisprudence dans le futur. Soit le considérant de principe de 2012 ne vise effectivement que les abus de l’exercice de la liberté d’expression stricto sensu et il serait judicieux de supprimer les mots « et de communication » dans l’expression « les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication ». Soit il conviendrait d’appliquer le même considérant de principe et, surtout, le même régime en cas d’exercice abusif de la liberté d’expression stricto sensu et d’exercice abusif de la liberté de communication.
2. Les catégories imprécises
10. La décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012 identifie, de façon inédite, les types d’abus de la liberté d’expression pénalement répréhensibles : ce sont ceux qui « portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ». Tel qu’il est présenté, le droit constitutionnel français paraîtrait presque plus libéral que celui du Conseil de l’Europe, si l’on compare les restrictions mentionnées par le juge constitutionnel à celles de l’article 10, §2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ce dernier stipule que l’exercice de la liberté d’expression peut être soumis à des « sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire » 25. Mais on peut se demander si la jurisprudence constitutionnelle ne vise pas, avec deux catégories larges, un contenu proche de celui de l’article 10, §2, de la Convention, à l’exception cependant de la protection de morale et de l’impartialité du pouvoir judiciaire.
11. La première restriction mentionnée par le Conseil est la protection de l’ordre public. La référence à l’ordre public, notion cardinale pour fonder la limitation de l’exercice des libertés en général, ne surprend guère : elle était mobilisée par le juge constitutionnel dès 1982, qui en avait fait un objectif de valeur constitutionnelle, pour justifier la limitation de la liberté de communication (CC, n° 82-141 DC, 27 juill. 1982, préc., cons. 4 et 5). Dans la jurisprudence constitutionnelle, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public recouvre la sécurité des personnes et des biens et la prévention des atteintes à l’intégrité physique des personnes, la lutte contre le terrorisme et l’immigration irrégulière, la nécessité de garantir l’exécution des mesures d’éloignement, la lutte contre la fraude, la prévention des actes terroristes et de la récidive, mais aussi les « exigences minimales de la vie en société » 26. Il y a tout lieu de penser que la notion d’ordre public employée dans la décision de 2012 possède un contenu identique à cet objectif de valeur constitutionnelle et recoupe ainsi certaines mentions de l’article 10, § 2, de la Convention.
12. La seconde restriction figurant dans la décision n° 2012-647 DC est la préservation des droits des tiers. La mention des « droits des tiers » comme motif de limitation de l’exercice de la liberté d’expression est plus surprenante que la restriction précédente. D’abord, parce qu’elle est rarement utilisée par le juge constitutionnel français dans la motivation de ses décisions 27. Ensuite, parce que sa signification est, pour partie, incertaine. Ce n’est pas la notion de « droits » qui pose difficulté car on visualise aisément ce qu’elle peut recouvrir, par exemple les droits à l’honneur ou au respect de la vie privée. Le doute naît de la référence faite aux droits des « tiers », en comparaison de celle des « droits d’autrui » qui figure, notamment, à l’article 10, § 2, de la Convention de Rome. Si autrui désigne toute personne autre que celui qui est visé, le tiers peut être entendu dans un sens différent, comme celui qui est étranger à un ensemble de personnes en relation. La différence peut sembler ténue, mais elle n’est pas anecdotique dans le cadre de l’exercice d’une liberté d’expression qui se caractérise par un échange entre un locuteur et un auditoire. La formule retenue par le Conseil est évasive : les tiers sont-ils les personnes étrangères à la communication ou bien toute personne autre que le locuteur (et donc autrui) ? Dans le second cas, une injure non publique porte atteinte aux droits des tiers, pas dans le premier. Aussi, sous réserve que le Conseil ne souhaite pas établir de différence de traitement entre le tiers et autrui, la substitution de celui-ci à celui-là paraît opportune. Elle permettrait, au demeurant, une harmonisation avec l’article 10, §2, de la Convention de Rome et, surtout, l’article 4 de la Déclaration de 1789, qui avait déjà inspiré le Conseil par le passé en matière de réglementation de la liberté de communication. La proclamation des Révolutionnaires selon laquelle « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui …» a servi de fondement pour dégager l’objectif de valeur constitutionnelle du respect de la liberté d’autrui qui, au même titre que la sauvegarde de l’ordre public et le principe de pluralisme des courants d’expression, devait être concilié avec l’exercice de la liberté de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration (CC, n° 82-141 DC, 27 juill. 1982, préc., cons. 5.) 28.
13. En tout état de cause, l’association de l’ordre public et des droits des tiers souligne, de prime abord, la volonté du juge constitutionnel de limiter drastiquement les motifs légitimes de répression pénale de l’exercice de la liberté d’expression. Elle semble mettre sur la sellette certaines infractions pénales qui sanctionnent des abus portant atteinte soit à l’un soit à l’autre, mais pas aux deux. Peut-on considérer, par exemple, que l’injure non publique (art. R. 621-2 du Code pénal) intéresse la protection de l’ordre public ou encore que la publication, la diffusion ou le commentaire d’un sondage en rapport avec des référendums ou des élections la veille et le jour du scrutin (art. 11 et 12 de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion) vise à protéger les droits des tiers ? Toutefois, on peut se demander si le Conseil constitutionnel va effectivement contraindre le législateur à ne réprimer que les abus de la liberté d’expression qui porteraient atteinte à la fois à l’ordre public et aux droits des tiers. Sur cette question, les premières applications des exigences constitutionnelles dégagées en 2012 laissent l’observateur de la jurisprudence constitutionnelle dubitatif.
B. Une qualification défaillante
14. En affirmant qu’il est loisible au législateur « d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers », le Conseil constitutionnel a dégagé une nouvelle catégorie jurisprudentielle appelant, logiquement, une opération de qualification pour examiner si une loi pénalise, ou non, un tel comportement. Si tel n’est pas le cas, l’invalidation ou la déclaration de conformité sous réserve de la disposition semble l’unique alternative dont il dispose. Dans un même ordre d’idées, lorsque le Conseil juge qu’« il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général », cela implique qu’une limitation de cette liberté non liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général doit être censurée (par ex., CC, n° 2015-468/469/472 QPC, 22 mai 2015, Société UBER France SAS et autre [Voitures de transport avec chauffeur – Interdiction de la « maraude électronique » – Modalités de tarification – Obligation de retour à la base], cons. 4 et 20). Pourtant, la jurisprudence sur les limites pénales de l’exercice de la liberté d’expression n’est pas aussi nette que dans d’autres domaines. La motivation des quatre décisions rendues sur les « abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication» conduit à une double interrogation qui, in fine, remet en cause l’entreprise de définition esquissée par le juge constitutionnel. On peut se demander si la qualification des abus est, d’abord, réellement nécessaire et, ensuite, si cette qualification est simplement utile ? La réponse à la première question paraît être négative puisque le Conseil n’effectue pas la qualification dans chaque décision : il donne ainsi l’impression que cette opération est facultative (1). La réponse à la seconde est plus difficile à établir car le sort d’une loi incriminant l’exercice de la liberté d’expression qui ne porterait pas atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers est indécis. Au mieux, la qualification paraît être une question accessoire pour le juge constitutionnel (2).
1. Une opération apparemment facultative
15. Si la décision sur la répression de la contestation des génocides reconnus par la loi pose la méthode pour examiner la conformité à l’article 11 de la Déclaration de 1789 d’une incrimination pénale d’un abus de la liberté d’expression, on peine à trouver trace de sa mise en œuvre dans cette décision. Sa motivation, qui figure parmi les plus faméliques jamais adoptées par les « Sages », montre que le Conseil constitutionnel n’a pas examiné si la contestation de l’existence de génocides reconnus par la loi portait atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers.
De même, il ne procède pas à cette qualification dans la décision n° 2017-747 DC du 16 mars 2017 relative au délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. Dans cette affaire, le juge constitutionnel devait statuer sur la conformité à la Constitution de la nouvelle rédaction du délit prévu à l’article L. 2223-2 du Code de la santé publique qui incrimine le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, notamment, par la diffusion ou la transmission, par voie électronique ou en ligne, d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse. La décision est muette sur le point de savoir si le délit d’entrave constitue, ou est susceptible de constituer, un abus de l’exercice de la liberté d’expression portant atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers. Certes, le juge constitutionnel consacre le dixième paragraphe de la décision à préciser l’objet des dispositions : dans la mesure où « le législateur a entendu prévenir des atteintes susceptibles d’être portées au droit de recourir à une interruption volontaire de grossesse … », l’objet de la loi « est ainsi de garantir la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789 ». Mais le Conseil ne conclut pas que l’infraction vise à protéger l’ordre public et les droits des tiers, alors même que cette qualification ne posait apparemment pas de difficulté.
16. Sur quatre décisions rendues en 2016 et 2017, deux seulement ont donné lieu à une opération de qualification pour déterminer si l’œuvre du législateur incrimine un discours portant atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers. Il s’agit de la décision du 8 janvier 2016 qui tranchait la question de la constitutionnalité de la loi « Gayssot » incriminant la négation de l’Holocauste 29 et de la décision du 26 janvier 2017 qui statuait sur la création d’une nouvelle infraction pénale : la pénalisation de la négation, minoration ou banalisation de façon outrancière d’un crime de génocide, d’un crime contre l’humanité, d’un crime de réduction en esclavage ou d’un crime de guerre 30. Ceci étant, même avec ces deux décisions, la portée de la qualification opérée par le juge constitutionnel paraît difficile à établir.
2. Une question éventuellement accessoire
17. La décision n° 2015-512 QPC du 8 janvier 2016 valide la loi « Gayssot », seize années après son adoption par le Parlement : la pénalisation du négationnisme est jugée conforme à la Constitution, notamment à l’article 11 de la Déclaration de 1789. Pour la première fois depuis l’établissement de sa jurisprudence sur « les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication», le Conseil constitutionnel a effectivement vérifié si la loi réprime un abus préjudiciant à l’ordre public et aux droits des tiers. Tout d’abord, il affirme que les propos négationnistes «constituent en eux-mêmes une incitation au racisme et à l’antisémitisme », puis il considère « que, par suite, les dispositions contestées ont pour objet de réprimer un abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui porte atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers » (cons. 7). Pour le juge constitutionnel, l’incitation au racisme et à l’antisémitisme porte donc atteinte aux deux restrictions légitimes définies dans sa décision de 2012 31. S’il retient l’approche classique et extensive de la notion d’incitation en droit pénal de la presse – où elle est presque synonyme de transmission d’une idée 32 – une grande partie des infractions pénalisant les discours de haine, semble susceptible de recevoir son aval.
18. Un an plus tard, à l’occasion du contrôle de constitutionnalité de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, le juge constitutionnel a de nouveau examiné si la nouvelle incrimination prévue visait à réprimer des propos mettant en cause l’ordre public et les droits des tiers. L’issue de cet examen est cependant différente :
« 194. En premier lieu, si la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière de certains crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de réduction en esclavage ou crimes de guerre peuvent constituer une incitation à la haine ou à la violence à caractère raciste ou religieux, elles ne revêtent pas, par elles-mêmes et en toute hypothèse, ce caractère. De tels actes ou propos ne constituent pas non plus, en eux-mêmes, une apologie de comportements réprimés par la loi pénale. Dès lors, la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière de ces crimes ne peuvent, de manière générale, être réputées constituer par elles-mêmes un abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication portant atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers. »
Le Conseil constitutionnel considère donc que le législateur a en l’espèce incriminé des propos qui ne constituent pas nécessairement des abus de la liberté d’expression pénalement répréhensibles. Pourtant, il ne censure pas l’infraction pour ce motif et continue l’examen de la disposition litigieuse avec l’accomplissement du contrôle de proportionnalité, comme il l’a fait en 2016 pour des restrictions réprimant, à l’inverse, des abus préjudiciant nécessairement à l’ordre public et aux droits des tiers. Cette décision interpelle : si les propos incriminés ne sont pas des abus pénalement répréhensibles, la loi les pénalisant ne devrait-elle pas être déclarée immédiatement inconstitutionnelle ? Plus fondamentalement, à quoi sert la catégorie jurisprudentielle d’abus de la liberté d’expression si aucune conséquence juridique en découle ?
19. Dans ces circonstances, on peut se demander si la décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017 n’annonce pas, d’une certaine manière, la disparition de la notion d’abus de la liberté d’expression pénalement répréhensible. Certes, elle contribue à faire vivre cette notion, en étendant la liste des abus qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers. À l’incitation au racisme et à l’antisémitisme mentionnée par la décision sur la loi « Gayssot », la décision rendue sur la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté ajoute l’ « incitation à la haine ou à la violence à caractère raciste ou religieux» et l’ « apologie de comportements réprimés par la loi pénale». Toutefois, elle semble opérer un glissement du contrôle effectué par le juge constitutionnel vers le contrôle de proportionnalité lato sensu. Dans la décision du 8 janvier 2016, il ressort clairement que l’examen consistant à déterminer si la loi réprime des abus portant atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers intervient préalablement au contrôle de proportionnalité. Dans la décision du 26 janvier 2017, cet examen paraît intervenir dans l’exercice du contrôle de proportionnalité, au stade du contrôle de l’adéquation de l’atteinte à la liberté d’expression (voir infra II. B.). En d’autres termes, le contrôle de proportionnalité de la répression d’un abus semble « absorber » le contrôle visant à déterminer si cet abus peut être réprimé. Toutefois, dans la mesure où la pratique du contrôle de proportionnalité présente, de façon générale, certaines incohérences, on ne peut pas en être sûr.
II. Le contrôle de proportionnalité de l’incrimination pénale des abus de la liberté d’expression
20. La formule jurisprudentielle de 2012 définissant, à l’occasion de l’examen de la loi réprimant la contestation des génocides reconnus par la loi, la méthode du contrôle des limites pénales de la liberté d’expression, s’achève en ces termes : « considérant que … la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi». Cette seconde partie du considérant de principe est bien moins originale que la précédente. Ce n’est pas la première fois qu’est affirmé le caractère essentiel de la liberté d’expression en tant que condition de la démocratie 33 ou bien en tant que liberté matricielle 34. Ce n’est pas non plus la première fois que la méthode du contrôle de proportionnalité lato sensu des atteintes à la liberté d’expression est exposée : la décision « Hadopi » de 2009 transposait en ce domaine une méthode définie un an plus tôt pour les atteintes à d’autres libertés dans la décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008 dite « Rétention de sûreté ».
L’application de cette méthode aux lois incriminant des abus de la liberté d’expression a donné des résultats mitigés. Le contrôle de proportionnalité lato sensu a été parfois décousu, voire même brouillon. D’une part, la formulation jurisprudentielle de la méthode de contrôle apparaît ambigüe (A). D’autre part, la mise en œuvre de cette méthode s’avère, au moins pour les décisions les plus anciennes, lacunaire (B).
A. Une formulation jurisprudentielle ambigüe
21. La décision « Hadopi » marque la naissance d’une nouvelle formule pour caractériser le contrôle des atteintes à la liberté d’expression. Désormais, seules les atteintes « nécessaires, adaptées et proportionnées» à l’objectif poursuivi par le législateur pourront être déclarées conforme à la Constitution. De prime abord, cette formulation ne pose aucune difficulté. Il ne s’agirait que d’une simple transposition de la rédaction adoptée en 2008 dans la décision « Rétention de sûreté ». Pourtant, le libellé des deux décisions présente une variante : la décision « Hadopi » dévoile une rédaction inédite du contrôle de proportionnalité, spécifique aux atteintes à la liberté d’expression (1). Dès lors, on peut s’interroger sur la portée de cette différence de rédaction et se demander quelle est la part d’originalité du contrôle de proportionnalité exercé lorsque la liberté d’expression est en jeu (2).
1. Une rédaction spécifique
22. Depuis 2009, chaque contentieux dans lequel est invoquée la méconnaissance de la liberté d’expression conduit le Conseil constitutionnel à reprendre, sans variation, la formule utilisée dans la décision « Hadopi » pour définir les modalités de son contrôle des atteintes à la liberté d’expression. Les décisions statuant sur des lois pénales incriminant les excès de la liberté d’expression n’échappent pas à la règle. Cette formule s’inspire, à défaut de la transposer exactement, de la méthode du contrôle de proportionnalité consacrée dans la décision « Rétention de sûreté ».
Si le Conseil constitutionnel pratique de longue date un contrôle de proportionnalité des normes qui lui sont déférées 35, il a attendu 2008 pour déterminer précisément les modalités de ce contrôle, en s’inspirant de la jurisprudence de plusieurs cours constitutionnelles étrangères, en particulier la Cour de Karlsruhe 36. À l’occasion de l’examen de la loi instaurant la rétention de sureté, il a jugé que les atteintes portées à l’exercice de la liberté individuelle, de la liberté d’aller et de venir et au droit au respect de la vie privées devaient, pour être déclarées conformes à la Constitution, « être adaptées, nécessaires et proportionnées » à l’objectif poursuivi par législateur, en l’occurrence la prévention des atteintes à l’ordre public (CC, n° 2008-562 DC, 21 févr. 2008, préc., cons. 13). En d’autres termes, une mesure attentatoire à l’un de ces droits ou libertés garantis par la Constitution ne peut recevoir le satisfecit du juge constitutionnel qu’à la condition de satisfaire à une triple exigence d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité au sens strict. Le contrôle de l’adéquation consiste « à vérifier que la mesure est susceptible de permettre ou de faciliter la réalisation du but recherché par son auteur » 37. Le contrôle de la nécessité implique de vérifier qu’aucune mesure moins attentatoire à la liberté concernée ne puisse permettre d’atteindre l’objectif visé 38. Enfin, le contrôle de proportionnalité stricto sensu « a pour but de vérifier si les effets bénéfiques de la mesure décidée par le législateur l’emportent sur ses effets préjudiciables » 39.
23. La décision « Hadopi » réalise la réception de la méthode du triple test de proportionnalité lato sensu aux atteintes à la liberté d’expression : le Conseil y juge que « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi» (CC, n° 2009-580 DC, 10 juin 2009, préc., cons. 15). Si les termes du contrôle sont identiques, leur présentation est partiellement différente de celle retenue dans la décision « Rétention de sûreté », ainsi que l’avait souligné Guy Carcassonne 40. Dans la formulation choisie en 2009, le contrôle de la nécessité intervient avant celui de l’adéquation, Par la suite, le juge constitutionnel n’a pas harmonisé la lettre de ses considérants de principe : les atteintes à la liberté individuelle doivent être « adaptées, nécessaires et proportionnées » à l’objectif poursuivi 41, alors que les atteintes à la liberté d’expression doivent être « nécessaires, adaptées et proportionnées » à l’objectif poursuivi 42. La divergence persiste et elle s’est même étendue à l’autre aile du Palais-Royal. En effet, la différence de rédaction est reproduite par le Conseil d’État, en dehors de son rôle de filtrage des questions prioritaires de constitutionnalité 43. L’Assemblée du contentieux a repris la formulation du contrôle de proportionnalité issue de la décision « Rétention de sûreté » en 2011, dans une décision qui conclut que les atteintes portées au droit au respect de la vie privée par un décret réglementant la collecte et la conservation de données personnelles n’étaient pas « adaptées, nécessaires et proportionnées » 44. Par la suite, le triptyque est repris dans cet ordre dans une quinzaine de décisions, où la liberté d’expression n’est pas en cause 45. En revanche, s’agissant de la liberté d’expression, le juge administratif suprême considère, en règle générale, que les atteintes qui y sont portées doivent être « nécessaires, adaptées et proportionnées » 46.
2. Une spécificité équivoque
24. Que faut-il conclure de la divergence de formulation entre la décision « Hadopi » et la décision « Rétention de sûreté » ? De deux choses l’une : ou bien elle n’a aucune incidence sur l’office du juge constitutionnel ou bien elle traduit un contrôle de proportionnalité partiellement différent.
25. Dans le premier cas, on peut se demander quelles sont les explications à l’origine de cette rédaction alternative. S’agit-il d’une maladresse dans l’écriture de la décision « Hadopi », qui aurait incorrectement reproduit la formule issue de la décision « Rétention de sûreté », et qui est perpétuée par un « copier-coller » des considérants de principe applicables en fonction des libertés mise en cause ? On peine – ou plutôt on n’ose – le croire. Si tel était néanmoins le cas, il est possible que la source de l’inversion des termes « adaptées » et « nécessaires » soit à rechercher du côté de l’influence du contrôle de proportionnalité accompli en matière de liberté d’expression par la Cour européenne des droits de l’homme, puisqu’elle se demande si la restriction à cette liberté est nécessaire dans une société démocratique 47, ou de celui de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le secteur des communications électroniques, parce qu’elle emploie le triptyque « nécessaire, appropriée et proportionnée» 48.
Une autre explication possible est l’utilisation délibérée par le juge d’une expression synonyme pour varier son discours et ainsi enrichir son langage. Mise à part le fait que le résultat serait en l’espèce peu fructueux, cette explication paraît a priori surprenante : la plume du Conseil constitutionnel est traditionnellement indifférente à ce genre de « coquetterie » rédactionnelle. En tout état de cause, on trouve au moins une décision qui plaiderait en faveur de l’équivalence des deux formulations : après avoir rappelé que les atteintes à la liberté individuelle et à la liberté d’aller et de venir doivent être « adaptées, nécessaires et proportionnées », la décision n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012 considère que les dispositions contestées « ne méconnaissent pas l’exigence selon laquelle toute privation de liberté doit être nécessaire, adaptée et proportionnée » (cons. 4 et 7).
26. Dans le second cas de figure, l’inversion des adjectifs « adaptées » et « nécessaires » signifierait une différence dans l’exercice du contrôle de proportionnalité. Ainsi il existerait deux méthodes partiellement différentes pour examiner la constitutionnalité des atteintes aux libertés, dont l’une spécifique à la liberté d’expression. Cette possibilité est malheureusement difficile à vérifier tant l’exercice du contrôle de proportionnalité a été, jusqu’en 2017, elliptique (voir infra II. B.). En tout état de cause, si différence de contrôle il y a, ni le Conseil constitutionnel, ni les auteurs du commentaire officiel de ses décisions, ne l’ont, à notre connaissance, exprimé publiquement. Toutefois, dans la mesure où les commentaires officiels des décisions appliquant le considérant « Hadopi » ne font pas référence à la décision « Rétention de sûreté », on peut se demander si ce silence doit être interprété comme une marque d’originalité du contrôle de proportionnalité en matière d’atteinte à la liberté d’expression 49.
Mais quelle serait la portée exacte de ce contrôle distinct ? La « nuance sémantique » traduit-elle une hiérarchisation différente des critères de proportionnalité ? 50 Les critères de la nécessité et de l’adéquation ont-ils d’ailleurs la même signification dans les deux jurisprudences ? A priori, il peut sembler étrange que le juge vérifie qu’aucune mesure moins attentatoire à la liberté concernée ne puisse permettre d’atteindre l’objectif visé (contrôle de la nécessité), avant de déterminer si la mesure est susceptible de permettre ou de faciliter la réalisation de cet objectif (contrôle de l’adéquation) 51. Finalement, pour déterminer la part de spécificité du contrôle de proportionnalité en matière de liberté d’expression, il n’y a pas d’autre voie possible que de « décrypter » la motivation souvent lacunaire des décisions du Conseil.
B. Une mise en œuvre lacunaire
27. L’exercice du contrôle de proportionnalité lato sensu sur des dispositions législatives incriminant des abus de la liberté d’expression a donné des résultats contrastés 52. Les cinq décisions rendues à ce jour montrent que les efforts – sommes toutes relatifs – du juge constitutionnel pour définir les modalités de son contrôle n’ont pas véritablement porté leurs fruits. Jusqu’en 2016, le contrôle de proportionnalité lato sensu n’est accompli que de façon partielle (1). Les décisions les plus récentes semblent néanmoins indiquer un développement de ce contrôle : le triple test devient presque systématique (2).
1. Un contrôle partiel jusqu’en 2016
28. La première application du contrôle de proportionnalité lato sensu à une incrimination pénale d’un abus de la liberté d’expression aurait dû être réalisée dans la décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012. Cependant, rien, de près ou de loin, dans celle-ci ne montre l’exercice d’un contrôle de l’adéquation, de la nécessité ou de la proportionnalité au sens strict. Même si le considérant de la décision « Hadopi » est mentionné, le raisonnement laconique du juge constitutionnel l’ignore totalement 53. Selon Jérôme Roux, c’est « l’évidence de l’inconstitutionnalité (qui) dispense le Conseil de s’interroger plus avant sur la nécessité, l’adaptation et la proportionnalité de l’atteinte ainsi portée à la liberté d’expression » 54. On ne partage pas cette interprétation : l’évidence d’une solution, si tant est qu’elle soit concevable, ne rend pas la motivation superflue ; elle la rend seulement plus facile à rédiger. L’explication de la motivation lapidaire de la décision réside ailleurs, peut-être dans l’impossibilité pour les membres du Conseil de parvenir à un consensus sur une motivation explicite juridiquement fondée ou bien dans la volonté d’en dire le moins possible pour ne pas préjuger des cas similaires que le juge constitutionnel pourrait être amené à connaître dans le futur.
29. La décision n° 2015-512 QPC du 8 janvier 2016 fait mieux que la précédente mais présente néanmoins un contrôle de proportionnalité tronqué. Un seul considérant est consacré à l’accomplissement annoncé du triple test de proportionnalité :
« 8. Considérant … que les dispositions contestées , en incriminant exclusivement la contestation de l’existence de faits commis durant la seconde guerre mondiale, qualifiés de crimes contre l’humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale, visent à lutter contre certaines manifestations particulièrement graves d’antisémitisme et de haine raciale ; que seule la négation, implicite ou explicite, ou la minoration outrancière de ces crimes est prohibée ; que les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet d’interdire les débats historiques ; qu’ainsi, l’atteinte à l’exercice de la liberté d’expression qui en résulte est nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur … ».
En dépit de l’affirmation du Conseil, il semble que seules l’adéquation et la proportionnalité stricto sensu de la mesure restrictive fassent l’objet de son contrôle 55. L’adéquation est garantie par le fait que les dispositions contestées visent effectivement à lutter contre certaines manifestations particulièrement graves d’antisémitisme et de haine raciale. La proportionnalité au sens strict est satisfaite par la délimitation du champ de l’incrimination qui porte uniquement sur la négation et la minoration outrancière des crimes de l’Holocauste et exclut les débats historiques. Mais le contrôle de nécessité semble faire défaut : le Conseil constitutionnel ne se demande pas si une autre restriction pénale permet, ou aurait permis, de réaliser l’objectif poursuivi par le législateur.
2. Un contrôle complet en 2017
30. Si les décisions précédentes font état d’un contrôle de proportionnalité lacunaire, voire évanescent, la décision rendue sur la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté annonce un approfondissement du contrôle des atteintes à la liberté d’expression (CC, n° 2016-745 DC, 26 janv. 2017, préc., cons. 192 et s.) 56. En l’espèce, le Conseil constitutionnel a examiné d’office le dernier alinéa du 2° de l’article 173 de la loi, modifiant l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour ajouter une nouvelle incrimination pénale des discours de haine :
« 194. En premier lieu, si la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière de certains crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de réduction en esclavage ou crimes de guerre peuvent constituer une incitation à la haine ou à la violence à caractère raciste ou religieux, elles ne revêtent pas, par elles-mêmes et en toute hypothèse, ce caractère. De tels actes ou propos ne constituent pas non plus, en eux-mêmes, une apologie de comportements réprimés par la loi pénale. Dès lors, la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière de ces crimes ne peuvent, de manière générale, être réputées constituer par elles-mêmes un abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication portant atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers.
« 195. En deuxième lieu, aux termes du septième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 actuellement en vigueur, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Dès lors, les dispositions introduites par le dernier alinéa du 2° de l’article 173, qui répriment des mêmes peines des propos présentant les mêmes caractéristiques, ne sont pas nécessaires à la répression de telles incitations à la haine ou à la violence.
« 196. En troisième lieu, et compte tenu de ce qui est rappelé au paragraphe précédent, le seul effet des dispositions du dernier alinéa du 2° de l’article 173 est d’imposer au juge, pour établir les éléments constitutifs de l’infraction, de se prononcer sur l’existence d’un crime dont la négation, la minoration ou la banalisation est alléguée, alors même qu’il n’est pas saisi au fond de ce crime et qu’aucune juridiction ne s’est prononcée sur les faits dénoncés comme criminels. Des actes ou des propos peuvent ainsi donner lieu à des poursuites au motif qu’ils nieraient, minoreraient ou banaliseraient des faits sans pourtant que ceux-ci n’aient encore reçu la qualification de l’un des crimes visés par les dispositions du dernier alinéa du 2° de l’article 173. Dès lors, ces dispositions font peser une incertitude sur la licéité d’actes ou de propos portant sur des faits susceptibles de faire l’objet de débats historiques qui ne satisfait pas à l’exigence de proportionnalité qui s’impose s’agissant de l’exercice de la liberté d’expression. »
Les trois stades du test de proportionnalité apparaissent distinctement. Le paragraphe 194 est consacré au contrôle de l’adéquation, fusionné avec celui de la qualification d’abus pénalement répréhensibles et se conclut par un constat en demi-teinte. Le paragraphe suivant contrôle, de façon audacieuse et inédite, la nécessité de l’incrimination pénale avant de lui dénier cette qualité. Enfin, le paragraphe 196 procède à une vérification de la proportionnalité stricto sensu et apporte une réponse négative. Le juge constitutionnel a donc accompli un contrôle de proportionnalité complet avant de déclarer la disposition litigieuse contraire à la Constitution. Et on remarque que ce contrôle est exercé dans l’ordre figurant dans la décision « Rétention de sûreté ».
31. Adoptée quelques jours plus tard, la décision statuant sur le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes accomplit également le triple test de proportionnalité avant de déclarer inconstitutionnelle cette infraction. La structure de la décision, plus longue que la précédente, diffère néanmoins : le contrôle de proportionnalité lato sensu est réalisé selon la chronologie de la décision « Hadopi ». La nécessité de l’infraction est donc examinée d’abord (cons. 7 à 13), confirmant ainsi l’essor de ce test rarement pratiqué dans le passé 57. Sur ce point, le test opéré donne un résultat négatif : l’absence de nécessité de l’infraction résulte de l’existence, en marge de celle-ci, de nombreuses prérogatives à disposition des autorités administrative et judiciaire pour non seulement contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l’apologie et réprimer leurs auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour l’interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s’accompagne d’un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d’exécution. Puis le Conseil examine conjointement le caractère adapté et proportionné du délit (cons. 14 et 15). Il conclut à l’absence d’adéquation de l’infraction à l’objectif poursuivi, i.e. prévenir la commission d’actes de terrorisme, au motif que ses éléments constitutifs n’imposent pas que l’auteur de la consultation habituelle des services de communication au public en ligne concernés ait la volonté de commettre des actes terroristes ni même la preuve que cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ces services. L’atteinte à la liberté de communication est également jugée disproportionnée par le Conseil qui semble se fonder sur deux éléments : d’une part, la sévérité des peines encourues, à savoir deux ans d’emprisonnement et trente mille euros d’amende, et, d’autre part, l’incertitude sur la licéité de la consultation de certains services de communication au public en ligne résultant du flou de la référence à la « bonne foi » faite par le législateur pour exclure la pénalisation de certaines consultations 58. Toutefois, l’examen conjoint des deux derniers tests rend délicat d’isoler pour chacun d’eux la ratio decidendi.
32. Si le contrôle de proportionnalité intégral semble en voie de s’installer dans la jurisprudence constitutionnelle, la méthode de réalisation du triple test paraît encore fragile. C’est ce que confirme la décision n° 2017-747 DC du 16 mars 2017 qui déclare la nouvelle rédaction du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse conforme à la Constitution sous réserve d’interprétation. La motivation retenue par le juge constitutionnel ne montre pas s’il a effectivement accompli un contrôle de proportionnalité complet de l’infraction. La décision se contente d’énoncer directement deux réserves d’interprétation qui visent à préserver la liberté d’expression des personnes ayant des convictions opposées à l’avortement.
*
33. De prime abord, la liberté d’expression sort renforcée des décisions ayant, depuis 2012, statué sur une incrimination pénale d’un abus de la liberté d’expression. Le bilan comptable de la jurisprudence est même flatteur pour les « Sages » : trois déclarations de non-conformité et une double réserve d’interprétation, pour cinq décisions rendues, soulignent son rôle éminent dans la protection de la liberté garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 59. Toutefois, il convient de relativiser la portée de ces décisions. D’abord, le contrôle du Conseil constitutionnel a souvent été précédé par celui de la Cour européenne des droits de l’homme qui exerce une réelle influence sur la jurisprudence constitutionnelle, même si la Convention de Rome n’intègre pas formellement les normes de référence du contrôle de constitutionnalité. Ensuite, la méthode du juge constitutionnel pour examiner la validité des lois pénales réprimant les abus de la liberté d’expression est encore approximative. La motivation des décisions demeure, même en 2017, bien trop laconique pour comprendre les tenants et aboutissants du raisonnement du Conseil constitutionnel. C’est à se demander si, à force de passer sous le Sphinx qui surmonte la lourde porte d’entrée de l’institution, les membres du Conseil n’ont pas pris goût aux formules énigmatiques.
Notes:
- Cette étude est le support d’une communication présentée au Xème Congrès français de droit constitutionnel, (AFDC, Lille, 22-24 juin 2017 – Atelier E). ↩
- Archives parlementaires, t. 8, p. 482 (nous soulignons les différences avec la formulation finalement retenue). ↩
- À la même époque, les Déclarations américaines reconnaissant la liberté de parole ou de la presse retiennent une formulation plus libérale que celle de la Déclaration de 1789 : « la liberté de la presse est l’un des plus puissants bastions de la liberté et ne peut jamais être restreinte que par des gouvernements despotiques » (art. 12 de la Déclaration des droits de la Virginie de juin 1776) ; « le Peuple a le droit à la liberté de parler, d’écrire et de publier ses sentiments ; en conséquence la liberté de la presse ne doit jamais être entravée » (art. 12 de la Déclaration des droits de la Pennsylvanie de sept. 1776) ; « la liberté de la presse doit être inviolablement conservée » (art. 23 de la Déclaration des droits du Delaware de sept. 1776 et art. 38 de celle du Maryland de nov. 1776) ; « le Congrès ne fera aucune loi … restreignant la liberté de parole ou de la presse … » (1er amendement à la Constitution des États-Unis d’Amérique de 1787, adopté le 25 sept. 1789). ↩
- Son article 1er, repris en substance par la Constitution de 1791 (Titre III, chapitre V, art. XVII), établit, de manière non exhaustive, une liste de limites pénales à l’exercice de la liberté d’expression : la « désobéissance à la loi », « l’avilissement des pouvoirs constitués et la résistance à leurs actes », « les calomnies volontaires contre la probité des fonctionnaires publics et contre la droiture de leurs intentions dans l’exercice de leurs fonctions », « les calomnies ou les injures contre quelque personne que ce soit, relatives aux actions de leur vie privée ». ↩
- Par ex., l’art. 173 de la loi n° 2017-86 du 27 janv. 2017 incrimine la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière, de l’existence d’un crime de génocide ayant donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale (art. 24 bis, al. 2, de la loi du 29 juill. 1881 sur la liberté de la presse). ↩
- À l’origine, la loi du 29 juill. 1881 sur la liberté de la presse établissait une douzaine de délits applicables à toute forme d’expression, dont l’injure et la diffamation. Elle a connu, par la suite, de nombreuses modifications. ↩
- L’art. 10 de la Déclaration de 1789 dispose : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». ↩
- La destruction par le feu de manière publique du drapeau national suffit à caractériser le délit d’outrage public au drapeau tricolore, peu importe que le prévenu ait cru ainsi protester contre le gouvernement et la politique actuelle (CA Riom, 14 juin 2006). ↩
- L. Pech, « Du respect des symboles de la République imposé par la loi », Communication Commerce électronique, n° 5, mai 2003, chron. 13. ↩
- Par ex., pour le contrôle d’une restriction pénale de la liberté d’expression, v. CourEDH, 23 avril 1992, Castells c. Espagne, n° 11798/85 ; grande chambre, 17 déc. 2004, Cumpana et Mazare c. Roumanie, 33348/96. ↩
- Par ex., pour le contrôle de constitutionnalité de l’infraction d’outrage au drapeau, v. Cour suprême des États-Unis, 21 juin 1989, Texas v. Johnson, 491 U.S. 397. ↩
- Par ex., pour le contrôle de constitutionnalité de l’infraction d’outrage au drapeau, v. Cour constitutionnelle fédérale allemande, 7 mars 1990, Bundesflagge (cité par L. Pech, commentaire préc., § 10). ↩
- Le Conseil d’État a rejeté un recours en annulation contre le décret n° 2010-835 du 21 juill. 2010 instaurant une contravention d’outrage au drapeau tricolore (art. R. 645-15 du Code pénal) après avoir néanmoins jugé que « ce texte n’a pas pour objet de réprimer les actes … qui reposeraient sur la volonté de communiquer, par cet acte, des idées politiques ou philosophiques ou feraient œuvre de création artistique, sauf à ce que ce mode d’expression ne puisse, sous le contrôle du juge pénal, être regardé comme une œuvre de l’esprit » (CE, n° 343430, 19 juill. 2011, Ligue des droits de l’homme, Leb. T., p. 229). ↩
- La méconnaissance de la liberté d’expression a, sans surprise, été jugée invocable dans le cadre procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (CC, n° 2010-3 QPC, 28 mai 2010, Union des familles en Europe [Associations familiales], Rec., p. 97). ↩
- Nous n’étudierons pas le cas de la répression administrative des abus de la liberté d’expression (par ex., à propos du pouvoir d’une autorité administrative de restreindre l’accès à des services de communication au public en ligne lorsqu’ils diffusent des images de pornographie infantile, v. CC, n° 2011-625 DC, 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 8), ni celui de la procédure pénale de répression des abus de la liberté d’expression (par ex., à propos de certaines interdictions faites à une personne poursuivie pour diffamation de rapporter la preuve du fait diffamatoire, v. CC, n° 2011-131 QPC, 20 mai 2011, Mme Térésa C. et autre [Exception de vérité des faits diffamatoires de plus de dix ans], Rec., p. 244 ; n° 2013-319 QPC, 7 juin 2013, M. Philippe B. [Exception de vérité des faits diffamatoires constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision]. On n’abordera pas non plus les décisions statuant sur le droit pénal de la répression des discours qui ne traitent pas des limites constitutionnelles de la liberté d’expression (par ex., à propos du délit de communication avec un détenu prévu par l’article 434-35 du Code pénal, censuré au motif qu’il méconnaît le principe de légalité des délits et des peines résultant de l’article 8 de la Déclaration de 1789, v. CC, n° 2016-608 QPC, 24 janv. 2017, Mme Audrey J. [Délit de communication irrégulière avec un détenu]). ↩
- La Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet est une autorité administrative indépendante créée par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. ↩
- Il s’agit de la pénalisation de la contestation des génocides reconnus par la loi (CC, n° 2012-647 DC, 28 févr. 2012, préc.), de l’incrimination de la négation, minoration ou banalisation de certains crimes dont certains crimes de génocide et crimes contre l’humanité (CC, n° 2016-745 DC, 26 janv. 2017, préc., cons. 191 à 197) et du délit de consultation habituelle de sites internet terroristes (CC, n° 2016-611 QPC, 10 févr. 2017, préc.). L’art. 24 de la loi n° 2017-258 du 28 févr. 2017 relative à la sécurité publique a rétabli ce dernier à l’art. 421-2-5-2 du Code pénal dans une rédaction modifiée. ↩
- Il s’agit de l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (CC, n° 2017-747 DC, 16 mars 2017, préc.). ↩
- Les abus de la liberté d’expression dont il est question ne sont donc pas, à proprement parler, une application de la théorie de l’abus de droit qui conduit à réserver cette qualification aux cas où les conditions de l’exercice abusif ne sont pas délimitées avec précision par le législateur (en ce sens, v. L. Eck, L’abus de droit en droit constitutionnel, préf. Th. Debard, L’Harmattan, 2010, coll. « Logiques juridiques », p. 378-379). ↩
- Selon Michel Troper, la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer est le contenu même du principe de libre communication (M. Troper, « La loi Gayssot et la Constitution », Annales, Histoire, Science sociales, 1999, n° 6, p. 1239-1255, p. 1241). ↩
- À titre de comparaison, l’article 10, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit le « droit à la liberté d’expression » qui comprend « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées ». L’art. 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reprend une formulation identique. ↩
- Par ex., http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/2012647DCccc_ 647dc.pdf. ↩
- M. de Villiers, X. Magnon, Th. Renoux (dir.), Code constitutionnel. Édition 2017, LexisNexis, coll. « Codes Bleus », 2016, p. 314 (soulignés par les auteurs). ↩
- Comp. les cons. 4 et 5 de la déc. n° 2016-611 QPC du 10 févr. 2017 (préc.) avec les cons. 12 et 15 de la déc. n 2009-580 DC du 10 juin 2009 (préc.). ↩
- En outre, l’exercice de la liberté d’expression est limité par l’article 17 de la Convention de Rome qui interdit, notamment, à une personne « de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ». ↩
- CC, n° 2010-613 DC, 7 oct. 2010, Loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, Rec., p. 276, cons. 4. Sur la notion d’ordre public dans la jurisprudence constitutionnelle, v. P. Gervier, La limitation des droits fondamentaux constitutionnels par l’ordre public, préf. F. Mélin-Soucramanien, LGDJ Lextenso éditions, coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », t. 143, passim. ↩
- Cependant, pour une utilisation couplée avec l’ordre public, à propos de la législation sur l’accueil des gens du voyage, v. CC, n° 2003-467 DC, 13 mars 2003, préc., cons. 74 ; n° 2010-13 QPC, 13 juill. 2010, M. Orient O. et autre [Gens du voyage], Rec., p. 139, cons. 6. ↩
- Cet objectif de valeur constitutionnelle ne sera plus mentionné après la déc. n° 2001-450 DC, 11 juill. 2001, Loi portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel, Rec., p. 82. ↩
- Art. 24 bis, al. 1er, de la loi du 29 juill. 1881, créé par l’art. 9 de la loi n° 90-615 du 13 juill. 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (dite loi « Gayssot »). ↩
- La loi relative à l’égalité et la citoyenneté créé une autre infraction pénalisant un discours de haine qui n’a pas fait l’objet de l’examen du Conseil constitutionnel. Sur ce point, v., not., Th. Hochmann, « Pas de lunettes sous les œillères : le Conseil constitutionnel et le négationnisme », RDLF, 2017, chron. n° 6 (https://i91h9azrmj.preview.infomaniak.website/droit-constitutionnel/pas-de-lunettes-sous-les-oeilleres-le-conseil-constitutionnel-et-le-negationnisme/). ↩
- Dans un même esprit, la Cour de Strasbourg juge que les propos négationnistes portent atteinte aux droits d’autrui et sont incompatibles avec la démocratie et les droits de l’homme (CourEDH, 24 juin 2003, Garaudy c. France, n° 65831/01). ↩
- À titre de comparaison, le Tribunal constitutionnel espagnol a censuré la pénalisation de la négation d’un génocide par le législateur au motif que l’infraction se contentait d’incriminer la simple transmission d’opinions, sans exiger que le comportement incriminé implique nécessairement une incitation directe à la violence ou du mépris envers les victimes (TCE, 7 nov. 2007, n° 235/2007, cité par Th. Hochmann, Le négationnisme face aux limites de la liberté d’expression. Étude de droit comparé, préf. O. Pfersmann, Éditions A. Pedone, 2013, p. 502-503). ↩
- Le Conseil a, d’abord, érigé le pluralisme des courants d’idées et d’opinions en « fondement de la démocratie» (CC, n° 89-271 DC, 11 janv. 1990, Loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, Rec., p. 21), en s’inspirant de la jurisprudence européenne (CourEDH, 7 déc. 1976, Handyside c. Royaume-Uni, n° 5493/72). Par la suite, il a renouvelé cette affirmation (par ex., CC, n° 2016-729 DC, 21 avril 2016, Loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle, cons. 10) ou bien une affirmation voisine selon laquelle le pluralisme est « une condition de la démocratie » (par ex., CC, n° 2004-497 DC, 1er juill. 2004, Loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, Rec., p. 107, cons. 23). Depuis 2009, il a également fait de l’exercice de la liberté d’expression et de communication « une condition de la démocratie » (par ex., CC, n° 2009-580 DC, 10 juin 2009, préc., cons. 15 ; n° 2010-3 QPC, 28 mai 2010, préc., cons. 6). ↩
- CC, n° 84-181 DC, 11 oct. 1984, préc., cons. 37. ↩
- Sur ce contrôle, v. les développements et références bibliographiques dans J.-B. Duclercq, Les mutations du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, préf. M. Verpeaux, LGDJ Lextenso Éditions, coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », t. 146, 2015. ↩
- Cour constitutionnelle fédérale allemande, 15 déc. 1970 ; in P. Bon et D. Maus (dir.), Les grandes décisions des cours constitutionnelles européennes, Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2008, n° 136, p. 5-8, comm. M. Fromont. ↩
- V. Goesel-Le Bihan, « À quoi sert le contrôle de l’adéquation dans la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel ? », RFDC, 2017, p. 89-102, p. 89. ↩
- V. Goesel-Le Bihan, « Le contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil constitutionnel, technique de protection des libertés publiques ? », Jus Politicum, n° 7, 2012, 13 p., p. 10 [http://juspoliticum.com/article/Le-controle-de-proportionnalite-exerce-par-le-Conseil-constitutionnel-technique-de-protection-des-libertes-publiques-456.html] ↩
- R. Fraisse, « Le Conseil constitutionnel exerce un contrôle conditionné, diversifié et modulé de la proportionnalité », LPA, 5 mars 2009, n° 46, p. 74-85, p. 78. ↩
- G. Carcassonne, « Les interdits et la liberté d’expression », NCCC, 2012, n° 36, p. 55-65, p. 63. ↩
- CC, n° 2010-71 QPC, 26 nov. 2010, Mlle Danielle S. [Hospitalisation sans consentement], cons. 16 ; n° 2011-135/140 QPC, 9 juin 2011, M. Abdellatif B. et autre [Hospitalisation d’office], cons. 7; n° 2011-631 DC, 9 juin 2011, Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, cons. 66 ; n° 2011-174 QPC, 6 oct. 2011, Mme Oriette P. [Hospitalisation d’office en cas de péril imminent], cons. 6 ; n° 2011-202 QPC, 2 déc. 2011, Mme Lucienne Q. [Hospitalisation sans consentement antérieure à la loi n° 90-527 du 27 juin 1990], cons. 10 ; n° 2012-235 QPC, 20 avril 2012, Association Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie [Dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement], cons. 8 ; n° 2012-253 QPC, 8 juin 2012, M. Mickaël D. [Ivresse publique], cons. 4 ; n° 2013-367 QPC, 14 févr. 2014, Consorts L. [Prise en charge en unité pour malades difficiles des personnes hospitalisées sans leur consentement], cons. 6 ; n° 2015-527 QPC, 22 déc. 2015, M. Cédric D. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence], cons. 4 ; n° 2016-536 QPC, 19 févr. 2016, Ligue des droits de l’homme [Perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence], cons. 3 ; n° 2016-561/562 QPC, 9 sept. 2016, M. Mukhtar A. [Écrou extraditionnel], cons. 10 ; n° 2016-602 QPC, 9 déc. 2016, M. Patrick H [Incarcération lors de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen], cons. 13 ; n° 2017-624 QPC, 16 mars 2017, M. Sofiyan I. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence II], cons. 5. ↩
- CC, n° 2010-3 QPC, 28 mai 2010, préc., cons. 6 ; n° 2011-131 QPC, 20 mai 2011, préc., cons. 3 ; n° 2012-647 DC, 28 févr. 2012, préc., cons. 5 ; n° 2012-282 QPC, 23 nov. 2012, Association France Nature Environnement et autre [Autorisation d’installation de bâches publicitaires et autres dispositifs de publicité], cons. 30 ; n° 2013-302 QPC, 12 avril 2013, M. Laurent A. et autres [Délai de prescription d’un an pour les délits de presse à raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion, cons. 4 ; n° 2013-319 QPC, préc., 7 juin 2013, cons. 3 ; n° 2015-512 QPC, 8 janv. 2016, préc., cons. 5 ; n° 2016-745 DC, 26 janv. 2017, préc., cons. 192 ; n° 2016-611 QPC, 10 févr. 2017, préc., cons. 5 ; n° 2017-747 DC, 16 mars 2017, préc., cons. 9. ↩
- De son côté, la Cour de cassation reprend, à partir de décembre 2012, le triptyque « Hadopi » dans ses décisions de non renvoi d’une QPC dont l’auteur invoquait, entre autres, le grief tiré d’une méconnaissance de la liberté d’expression (Cass., crim., n° 12-86382, 5 décembre 2012, inédit). ↩
- CE, Ass., déc. n° 317827, 26 oct. 2011, Association pour la promotion de l’image, Leb., p. 505. ↩
- Par ex., à propos d’une atteinte portée à la liberté individuelle et à la liberté personnelle, v. CE, déc. n° 352668, 20 déc. 2013, Association Cercle de réflexion et de proposition d’action sur la psychiatrie ; à propos d’une atteinte portée à la liberté d’aller-et-venir, v. CE, déc. n° 372721, 23 déc. 2013, M. C…, inédit ; à propos des mesures de police prises dans le cadre de l’état d’urgence, v. CE, ord. n° 396220, 27 janv. 2016, Ligue des droits de l’homme et autres ; à propos d’une atteinte à la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle, v. CE, ord. n° 402742, 26 août 2016, la Ligue des droits de l’homme et autres et l’Association de défense des droits de l’homme Collectif contre l’islamophobie en France, à publier au Rec. ↩
- CE, ord. n° 347508, 9 janv. 2014, Ministre de l’intérieur c. Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné ; ord. n° 374528, 10 janv. 2014, SARL Les Productions de la Plume ; ord. n° 374552, 11 janv. 2014, SARL Les Productions de la Plume ; déc. n° 387726, 6 févr. 2015, Cournon d’Auvergne c. Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné ; déc. n° 376107, 9 nov. 2015, Association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française chrétienne. Toutefois, pour une décision dans laquelle le Conseil d’État considère « que les restrictions apportées à la liberté d’expression ne peuvent être autorisées que si elles sont prévues par la loi, répondent à des finalités légitimes et sont adaptées, nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi », v. CE, déc. n° 389140, 15 févr. 2016, Associations French Data Network, La Quadrature du Net et la Fédération des fournisseurs d’accès à internet associatifs, inédit. ↩
- Pour la Cour, la notion de nécessité, prévue par l’art. 10, § 2, de la ConvEDH, implique un besoin social impérieux, ce qui se traduit par l’exigence que la mesure restrictive prise soit proportionnée au but légitime poursuivi (CourEDH, 24 novembre 1986, Gillow c. Royaume-Uni, n° 9063/80). ↩
- La directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juill. 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques dispose que « les États membres peuvent adopter des mesures législatives visant à limiter la portée des droits et des obligations prévus aux articles 5 et 6, à l’article 8, paragraphes 1, 2, 3 et 4, et à l’article 9 de la présente directive lorsqu’une telle limitation constitue une mesure nécessaire, appropriée et proportionnée, au sein d’une société démocratique, pour sauvegarder la sécurité nationale – c’est-à-dire la sûreté de l’État – la défense et la sécurité publique, ou assurer la prévention, la recherche, la détection et la poursuite d’infractions pénales ou d’utilisations non autorisées du système de communications électroniques » (art. 15). ↩
- Toutefois, certains commentaires officiels semblent suggérer l’équivalence des contrôles. Ainsi, sous la déc. n° 2013-345 QPC du 27 sept. 2013 (Syndicat national Groupe Air France CFTC [Communication syndicale par voie électronique dans l’entreprise]), on peut lire que « la liberté d’expression, reconnue par l’article 11 de la Déclaration de 1789, fait l’objet d’une protection constitutionnelle abondante et renforcée qui bénéficie du triple contrôle de proportionnalité que le Conseil constitutionnel réserve au contrôle des dispositions portant atteinte à cette liberté ou à la liberté individuelle » (http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/ download/2013345QPCccc_345qpc.pdf, 12 p., p. 8). ↩
- D. Rousseau, P.-Y. Gadhoun, J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, LGDJ Lextenso, coll. « Précis Domat », 11e éd., 2016, p. 310. ↩
- Pourtant, tel semble être le raisonnement dans la déc. n° 2016-611 QPC, 10 février 2017, préc. (v. infra). ↩
- Ce jugement peut être étendu au contrôle de proportionnalité de l’ensemble de la législation pénale réprimant les discours (sur ce point, v., not., Ch.-É. Sénac, « la répression pénale des abus de la liberté d’expression devant le juge constitutionnel français », in M.-C. Najm Kobeh (dir.), La liberté d’expression et ses juges : nouveaux enjeux, nouvelles perspectives, colloque international des 2 et 3 mars 2017 à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, à paraître aux éditions de l’Université Saint-Joseph). ↩
- Dans le même sens, v. Th. Hochmann, « La question mémorielle de constitutionnalité (à propos de la décision du 28 février 2012 du Conseil constitutionnel) », Annuaire de l’Institut Michel Villey, vol. 4, 2012, p. 133-146, p.141 et s. ↩
- J. Roux, « Le Conseil constitutionnel et le génocide arménien : de l’a-normativité à l’inconstitutionnalité de la loi », Rec. Dalloz, 2012, p. 987-993, § 13. ↩
- Comp. Th. Hochmann, « Négationnisme : le Conseil constitutionnel entre ange et démon », RDLF, 2016, chron. n°3(https://i91h9azrmj.preview.infomaniak.website/droit-constitutionnel/negationnisme-le-conseil-constitutionnel-entre-ange-et-demon/). ↩
- On peut se demander si la nomination de trois nouveaux membres au Conseil constitutionnel en février 2016, dont le Président Laurent Fabius, et la modernisation de la motivation des décisions du Conseil par la suppression de la rédaction en « considérant que » (à partir de mai 2016) a pu avoir un impact. ↩
- V. Goesel-Le Bihan, « Une grande décision : la décision 2016-611 QPC », AJDA, 2017, p. 433. ↩
- Comp. A. Cappello, « L’abrogation du délit de consultation habituelle de sites internet terroristes par le Conseil constitutionnel », Constitutions, 2017, p. 91-96. ↩
- On peut y ajouter les décisions qui ont jugé inconstitutionnelles les interdictions faites à une personne poursuivie pour diffamation de rapporter la preuve du fait diffamatoire de plus de dix ans ou du fait diffamatoire constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision (CC, n° 2011-131 QPC, 20 mai 2011, préc. ; n° 2013-319 QPC, 7 juin 2013, préc.) ; celle qui a considéré que le producteur d’un site en ligne ne peut voir sa responsabilité pénale engagée à raison du seul contenu d’un message dont il n’avait pas connaissance avant la mise en ligne (CC, n° 2011-164 QPC, 16 sept. 2011, M. Antoine J. [Responsabilité du « producteur » d’un site en ligne]; celle qui a jugé que le formalisme des règles de procédure en matière de délit de presse ne méconnaissait pas le droit à un recours juridictionnel effectif (CC, n° 2013-311 QPC, 17 mai 2013, Société Écocert France [Formalités de l’acte introductif d’instance en matière de presse]). En revanche, le Conseil a censuré une disposition qui instituait une immunité pénale en faveur des journalistes, des collaborateurs de la rédaction et des directeurs de la publication ou de la rédaction (CC, n° 2016-738 DC, 10 nov. 2016, 10 novembre 2016, Loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, cons. 17 et s.). ↩
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