La démocratie inclusive
Nos sociétés sont actuellement parcourues par des revendications nouvelles qui tendent à promouvoir une plus grande inclusion. Elles concernent de manière classique les politiques en faveur de l’égalité des sexes et des personnes handicapées mais peuvent aussi intéresser d’autres minorités nationales qu’elles soient culturelles ou sexuelles. Notre droit témoigne ainsi d’une prise en compte grandissante de ces revendications en initiant une démarche d’inclusivité qui interroge parfois la conception que la France a traditionnellement retenue de la République. Cette démarche apparaît vertueuse en ce qu’elle permet de consolider la cohésion du corps social mais elle ne peut le demeurer qu’à certaines conditions.
I. Les promesses d’une inclusivité vertueuse
A. Penser l’inclusion en démocratie
1. Inclusion et cohésion
2. Inclusion et performance
B. Concrétiser l’inclusion en démocratie
1. Une diffusion générale dans les politiques publiques
2. Une imprégnation spéciale du service publicII. Les conditions d’une inclusivité vertueuse
A. L’inclusion et le risque d’abdication axiologique
1. La doctrine de l’accommodement raisonnable
2. Le nécessaire respect des valeurs de la République
B. L’inclusion et le risque de désunion nationale
1. Maintenir fermement le principe d’unicité
2. Privilégier le commun sur le singulier
Par Marc Guerrini, Professeur de droit public à l’Université Côte d’Azur, Centre d’études et de recherche en droit administratif, constitutionnel, financier et fiscal (CERDACFF), École universitaire de recherche Lexsociété
Dans sa célèbre conférence prononcée en Sorbonne le 11 mars 1882, Ernest Renan exposa sa définition bien connue du concept de nation. Évoquant alors l’importance d’un passé commun, Renan insistait surtout sur le fait que la Nation « se résume dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune »[1]. « Nous avons chassé de la politique les abstractions métaphysiques et théologiques. Que reste-t-il, après cela ? Il reste l’homme, ses désirs, ses besoins ». Ces réflexions prennent un sens nouveau aujourd’hui. Les désirs et les besoins des hommes évoluent et leur prise en considération complexifie notre manière de concevoir la solidarité nationale en promouvant une construction volontariste du vivre ensemble et de la cohésion du corps social. En effet, la nature évolutive du concept a toujours été admise. Nulle nation ne peut prétendre à l’éternité et Renan le reconnaissait lui-même en précisant que les nations naissent et meurent tout comme les individus : « Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront »[2]. Or, depuis la Révolution française, la nation est devenue autre chose qu’un concept théorique et philosophique. Elle a acquis une dimension juridique et politique matérialisée dans l’article 3 de la Déclaration de 1789 qui dispose que « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Ainsi, le corps national devenant corps politique, la nation constituait dès lors la source du pouvoir de l’État et, à ce titre, une certaine prétention à la permanence l’accompagnerait désormais. En effet, le pouvoir constituant contribue largement à mystifier la nation et son unité dans la mesure où il tire sa légitimité d’intervention de cette même unité nationale. Or, ce pouvoir ne fait au fond que dévoiler un instantané d’une nation parfois fragile et qu’il entend protéger des évolutions que le temps impliquera immanquablement. Comme cela a pu être souligné, « la conception instantanéiste du moment créateur et le mythe qui englobe la fondation de l’ordre constitutionnel refoulent les évolutions produites par le temps de la longue durée. En réalité, une société n’est jamais parfaitement stable. Les évolutions lentes et les transformations sociales qui caractérisent le temps de la longue durée jouent un rôle très important avant et après l’acte de fondation, même si le phénomène juridique éprouve de grandes difficultés à rendre compte des lentes métamorphoses du corps social »[3]. D’une certaine manière, la bonne marche de l’État sera liée à celle de la nation dont il tire la légitimité démocratique de son pouvoir. Tout processus constituant fondé sur la souveraineté nationale génère donc une tension entre, d’une part, l’existence d’une nation qui est par nature évolutive, voire périssable, et, d’autre part, l’établissement d’un ordre constitutionnel qui prétend par nature à la permanence. L’État devra donc porter une attention particulière au désir initialement exprimé de vivre ensemble. Cela nécessite pour ce dernier de se montrer proactif dans le maintien de la cohésion nationale, passés les premiers moments de mystification d’une nation dont l’unité est présumée.
C’est dans ce contexte que l’État devra prendre en compte des revendications nouvelles qui s’expriment à travers les concepts d’inclusion ou d’inclusivité qui semblent « annonciateur d’une évolution des valeurs et des pratiques, voire d’un changement de paradigme social »[4]. Si de manière générale l’inclusion renvoie à l’action d’inclure, c’est-à-dire d’insérer ou d’introduire quelque chose dans un ensemble[5], le concept a pénétré le champ des sciences sociales au 20ème siècle en Allemagne dans les travaux du sociologue Niklas Luhmann qui a étudié les conditions d’inclusion et d’exclusion des individus dans les systèmes sociaux. Dans les années 2000, un véritable retournement de perspective intervient, car les sciences sociales et le droit en particulier sont rapidement passés d’une logique de lutte contre l’exclusion à une logique d’action en faveur de l’inclusion. L’inclusion devenait ainsi « une référence globale avec l’objectif de lutter contre les inégalités sociales, de promouvoir l’autonomie des personnes, de rechercher une vie en société plus juste et porteuse de plus d’égalité »[6]. L’inclusion devenait un projet de société tendant à permettre à chaque citoyen de participer pleinement à la vie de la nation en s’y sentant parfaitement intégré et sans faire l’expérience de son appartenance à une minorité quelconque. On perçoit d’emblée que l’inclusion comporte une dimension objective tenant au respect de l’égalité et à l’absence de discrimination, mais aussi une dimension subjective liée au sentiment d’égale appartenance malgré des différences observables par rapport aux traits communs du plus grand nombre. En cela, l’inclusion se distingue radicalement de l’exclusion qui consiste à placer des personnes en marge de la société en ne leur permettant pas pleinement de participer à son fonctionnement, mais aussi de la ségrégation qui discrimine gravement une fraction de la population en raison de ses caractéristiques raciales, ethniques, sexuelles ou sociales en les mettant à l’écart du reste du groupe. Mais l’inclusion se distingue aussi de l’assimilation, car cette dernière implique que les différences se fondent dans les traits communs du groupe afin d’assurer une certaine homogénéité là où l’inclusion permet de préserver les singularités du sujet. En revanche, le concept est plus proche de celui d’intégration qui n’impose pas de nier la culture d’origine de la personne concernée afin d’assurer sa place au sein de la communauté nationale. Néanmoins, l’intégration possède une dimension principalement culturelle là où l’inclusion prendra en compte d’autres caractéristiques tenant notamment au genre, au handicap ou à l’orientation sexuelle.
C’est d’abord sur le terrain de l’égalité des sexes que le concept d’inclusion s’est développé dans notre droit dans 5 domaines rappelés par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit des stéréotypes et des rôles sociaux, de la parité, de la santé et des droits sexuels et reproductifs, des violences faites aux femmes et de l’égalité professionnelle. Sans les évoquer toutes, de nombreuses réformes ont d’abord poursuivi l’objectif d’assurer l’égalité entre les femmes et les hommes : droit de vote (1944), liberté de gérer leurs biens propres et exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari (1965), interdiction de licencier une femme enceinte ou en congé maternité (1966), suppression de la notion de « chef de famille » du Code civil (1970), consécration du principe « à travail égal, salaire égal » (1972), dépénalisation de l’IVG (1975), inscription dans la Constitution du principe selon lequel la loi « favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » (1999) ainsi « qu’aux responsabilités professionnelles et sociales » (2008), modification des conditions du bénéfice de la majoration pour enfants dans le cadre des retraites (2003). Mais c’est véritablement la mise en place des premières politiques de parité en 2000 qui a ancré cette question au sein de la problématique plus large de l’inclusion sociale. Il ne suffisait plus d’assurer une simple égalité de droit ou de fait, il fallait désormais promouvoir de manière globale l’inclusion des femmes au sein du pacte républicain. Il en va de même, par exemple, de la consécration de la possibilité pour un enfant de choisir le nom de sa mère en 2002, du renforcement de la lutte contre les violences faites spécifiquement aux femmes en 2010 ou encore de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes en 2018. L’ensemble de ces évolutions tendait à inclure totalement les femmes dans la société en s’attaquant à toutes les sources de discriminations afin d’atteindre « l’inclusion réelle dans la citoyenneté, et donc le plein exercice de celle-ci »[7].
L’inclusion s’est ensuite inscrite dans le champ du handicap. La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées tendait, pour la première fois, à promouvoir l’inclusion des personnes atteintes d’un handicap à travers des mesures telles que la création de la prestation de compensation, le droit pour les enfants d’être scolarisés dans des écoles ordinaires ou encore l’objectif d’accessibilité des transports et des bâtiments publics. Si des politiques publiques en faveur des personnes handicapées étaient déjà présentes notamment depuis les années 1960, la loi de 2005 a contribué à refonder la politique du handicap. Par la suite, les efforts se sont portés sur l’adaptation croissante de la société en vue de permettre l’inclusion des personnes handicapées. En 2009 est créé un comité interministériel du handicap, placé auprès du Premier ministre et chargé notamment de définir, coordonner et évaluer les politiques conduites par l’État en direction des personnes handicapées. A été mis en place un bonus inclusion pour les crèches qui favoriseraient l’accueil des enfants souffrant d’un handicap. L’école inclusive est devenue un thème majeur afin que celle-ci puisse accueillir les plus de 360 000 élèves handicapés. Les efforts se sont également déployés sur l’emploi des personnes handicapées à travers la notion « d’entreprise inclusive » ou « d’entreprise adaptée »[8]. L’objectif de l’ensemble de ces mesures est de permettre aux personnes handicapées d’être totalement incluses dans la société et que leur condition ne constitue pas une entrave à leur participation active à la vie de la communauté nationale. Il s’agit, pour reprendre les mots du gouvernement, de « concrétiser le pacte républicain au bénéfice de tous »[9].
Le handicap et l’égalité des sexes, qui sont les thèmes classiques de l’inclusion sociale, sont aujourd’hui prolongés par des exigences nouvelles qui, fondées sur une logique identique, impliqueraient de poursuivre les démarches entreprises à destination d’autres groupes souffrant d’un déficit d’appartenance. Ce sont d’abord les évolutions techniques et technologiques qui conduisent à repenser les contours de l’inclusion. En effet, toute personne rencontrant des difficultés à utiliser ou à avoir accès aux outils numériques se trouve de plus en plus dans une situation d’exclusion. Le rapport du Sénat du 17 septembre 2020 relatif à l’inclusion numérique et à l’illectronisme[10] estime que 14 millions de Français ne maitrisent pas le numérique et près d’un Français sur deux n’est pas à l’aise. Il s’agirait ainsi de penser une véritable « gouvernance de l’inclusion numérique »[11]. De même, se pose désormais la question de l’inclusion des communautés ethniques et religieuses ainsi que des personnes LGBTQI+. Sous l’effet de revendications diverses, la promotion de l’inclusion est ainsi devenue un enjeu de société et un élément central du discours et de la pensée politique. À ce stade, il est possible de préciser ce que recouvrent exactement ces revendications. Autrement dit, de quoi parle-t-on ? De manière générale, l’argument principal repose sur une légitime demande de respect de l’égalité devant la loi tout comme de l’égalité réelle. Au-delà du champ de l’égalité et de la non-discrimination, il peut s’agir également de mettre en place une politique de quotas par sexe, de promouvoir l’écriture inclusive, de remplacer la signalisation binaire à la porte des toilettes par une signalisation non genrée, de demander à l’administration d’employer des messages de salutation unisexes, d’utiliser un langage non genré (parent plutôt que mère/père, enfant plutôt que fils/fille par exemple), de reconnaître les journées de célébration LGBTQI+, de faire peindre un passage pour piétons arc‑en-ciel. Mais cela peut aussi aller plus loin en exigeant parfois la censure d’œuvres véhiculant des stéréotypes de genre ou de demander un traitement différencié pour tenir compte de différences culturelles et notamment religieuses, par exemple de prévoir des lieux publics de non-mixité. Si le principe d’égalité est solidement établi dans ses fondements constitutionnels, tant textuels que jurisprudentiels, il n’en va pas de même de l’inclusion dans toutes ses dimensions. Dans une décision du 24 mars 2023[12], le Conseil constitutionnel, chargé d’analyser des différences de traitement entre les personnes handicapées selon le fonds départemental dont elles dépendent, a mené une partie de son raisonnement sur le fondement du principe de fraternité. Peut-être cette décision ouvre-t-elle des pistes quant au rattachement potentiel des exigences d’inclusivité au principe constitutionnel de fraternité.
Ces évolutions interrogent doublement notre République démocratique. D’une part, elles nous conduisent à repenser notre manière de concevoir la démocratie. En effet, la question des droits politiques est quasiment résolue depuis 1944 et la reconnaissance du droit de vote des femmes. Les groupes qui aujourd’hui sollicitent davantage d’inclusion ne sont pas formellement privés de leur droit de participer à la vie publique à travers le vote. La question est parfois plus délicate pour les personnes handicapées même si l’administration est tenue de garantir à ces dernières l’exercice effectif de leur droit de vote. Ainsi, les droits-participation ne sont pas principalement concernés par la problématique de l’inclusion depuis l’instauration du suffrage universel. C’est donc un autre aspect de la démocratie qui est en jeu dans le cadre de la démocratie inclusive et il conviendra de s’employer à identifier lequel. D’autre part, ces évolutions agissent en profondeur sur notre conception traditionnelle de la République. En effet, la question de l’inclusivité se trouve intimement liée à celle des minorités dans la mesure où les revendications actuelles sont d’abord des revendications provenant de minorités nationales. Ces revendications peuvent alors bousculer un principe constitutionnel : celui de l’indivisibilité de la République qui implique l’unicité du peuple français. Ce dernier s’oppose à ce que le besoin de reconnaissance des groupes ne se matérialise par l’octroi de droits spécifiques en leur faveur. Une contradiction est donc susceptible de se profiler entre notre Constitution et un besoin socialement exprimé qui, précisément, critique une forme d’abstraction et d’aveuglement républicains. Par nature, le besoin d’inclusion semble mal s’accommoder du principe constitutionnel d’indivisibilité et nourrit à son endroit un certain nombre de réserves. On touche ici à « l’angle mort d’une République française » et les critiques formulées « avancent, comme réponse au défi contemporain du pluralisme, la possibilité d’un ‘‘libéralisme républicain’’ qui reposerait sur un dialogue entre le credo républicain et le credo libéral. Il s’agit de répondre à ce besoin humain vital de reconnaissance en problématisant l’individualisme démocratique dans le cadre d’un ‘‘républicanisme intégrant le socle libéral’’ »[13].
La République semble donc marcher sur un fil entre le souci d’universalisme de ses principes qu’elle maintient de manière traditionnelle et le besoin de reconnaissance et d’inclusion exprimé par des groupes minoritaires. Sur ce point, elle subit même des critiques radicales qui vont jusqu’à considérer que le système entretenu par le droit témoigne d’un « hétérosexisme racialisé constituant »[14]. Au soutien des thèses qui, avec plus ou moins de nuances, défendent une forme d’inclusivité qui impliquerait de gommer la cécité principielle de la République, on retrouve l’idée selon laquelle les minorités qui ont un temps été exclues souffrent d’un déficit d’appartenance qu’il convient de résorber. Le droit serait ainsi la manifestation d’un ordre juridique qui, consciemment ou non, s’est construit sur la base d’une domination du groupe majoritaire, notamment constitué d’hommes blancs, cis-genre et hétérosexuels. Ce groupe aurait construit un ordre adapté à ses caractéristiques qui, s’il n’est plus directement discriminant dans le meilleur des cas, maintient une forme de domination au sens où l’entend Philip Pettit. Ce dernier pose trois conceptions de la liberté. Les deux premières sont relativement classiques : la liberté est entendue à la fois comme non-limitation, mais aussi comme non-interférence. Quant à la troisième conception de la liberté, elle renvoie une « liberté de non-domination »[15]. Il s’agit de ne pas être soumis et vulnérable à une interférence arbitraire de la part d’un tiers, peu importe la réalité de cette interférence. Autrement dit, il suffit qu’existe seulement la possibilité d’une telle interférence. Ainsi, « de nombreuses relations interindividuelles dans le monde moderne sont structurées sur ce modèle : malgré l’absence d’interférences effectives de la part de son mari, l’épouse qui ne travaille pas et bel et bien vulnérable à ses initiatives » [16]. Ce serait également le cas d’une personne dite « racisée » face à un bailleur ou un employeur qui peut lui refuser son logement ou un emploi sur la base d’un réflexe discriminatoire. Ce serait encore le cas d’une personne homosexuelle qui n’oserait pas révéler son orientation sexuelle à son médecin de peur d’être discriminée et de ne pas recevoir des soins adaptés. Cela justifie aujourd’hui que des médecins intègrent des réseaux dit « LGBT – friendly » pour rassurer leur patientèle. Cette philosophie néo-républicaine est donc très attentive aux situations de vulnérabilité de fait présentes dans nos sociétés pouvant révéler des rapports de domination.
Mais, plus largement, c’est notre ordre juridique lui-même qu’il faudrait, selon certains courants, déconstruire. Se sont développées des approches alternatives du droit visant à dénoncer ce que sa construction révèle d’une forme de domination. Est ainsi apparue une critique féministe du droit qui s’est d’abord attachée à souligner la manière discriminante dont le droit traite des violences faites aux femmes, reproduisant une logique de domination masculine. Plus largement, « ces opérations critiques interrogent la normativité et l’architecture du droit, du point de vue des rapports sociaux de sexe et des normes de genre, au-delà des situations de violence, en questionnant les institutions juridiques et sociales comme le mariage et plus globalement la séparation de la sphère publique et privée »[17]. De la même manière a émergé une critique queer du droit dénonçant la manière dont nos systèmes imposent une hégémonie juridique et sexuelle à travers la promotion d’une « hétérosexualité cohérente »[18].
On constate donc que les nouvelles questions que soulève la problématique de l’inclusion et de la démocratie inclusive vont bien plus loin qu’une mise en œuvre des principes d’égalité et de non-discrimination. Elles resituent la République et son droit face à un débat opposant, d’une part, l’option mutliculturaliste contraire à notre tradition et, d’autre part, une cécité de principe emportant un risque pour la cohésion nationale. Ces questions nous conduisent également à nous interroger sur les rapports de domination présents dans nos sociétés ainsi que sur la manière dont le droit est susceptible de les alimenter ou de les combattre. Enfin, elles conduisent à un questionnement portant sur les liens entre démocratie et République en interrogeant « la capacité de la République à réaliser l’autonomie individuelle et celle de la démocratie à assurer la cohésion sociale. Dans cette dialectique, c’est la question des modalités du ‘‘vivre ensemble’’, et de l’articulation entre le ‘‘je’’ et le ‘‘nous’’ qui fait débat »[19]. Pourtant, il nous semble que l’inclusion peut parfaitement être pensée sans révolution majeure et dans un cadre républicain et démocratique dès lors que l’on s’emploie à identifier et à analyser à la fois les vertus de cette inclusivité (I), mais aussi ses dangers (II).
I. Les promesses d’une inclusivité vertueuse
Si l’on considère à ce stade comme acquise l’idée que certains groupes composant la population de l’État souffrent d’un déficit d’appartenance en raison d’une situation réelle ou ressentie d’exclusion, tout effort d’inclusion devrait présenter des avantages en termes de cohésion nationale. Néanmoins, il n’est pas évident de penser l’inclusion en démocratie dans la mesure où ses fonctions semblent ne pas se résumer à un désir de renforcement du sentiment d’appartenance (A). Il n’est guère plus aisé de concrétiser l’inclusion dans un tel cadre nonobstant les fonctions que l’on assigne à cette dernière, car sa mise en œuvre dépendra largement de la culture politique et juridique de l’État (B).
A. Penser l’inclusion en démocratie
Il existe une donnée qui se laisse immédiatement entrevoir lorsque l’on évoque le thème de l’inclusivité dans l’État. Son objectif principal est de permettre une cohésion nationale plus large en ne laissant pas en lisière certains groupes qui, en raison de caractéristiques qui leur sont propres, seraient encore mis à l’écart du projet républicain. L’inclusion et la cohésion entretiennent donc des rapports qui semblent évidents (1). En revanche, la cohésion nationale n’est pas la finalité exclusive de la démarche inclusive. Cette dernière poursuit également un objectif de performance (2). Les fonctions de l’inclusivité peuvent ainsi apparaître comme porteuses d’une certaine ambiguïté, voire d’un certain cynisme.
1. Inclusion et cohésion
Un regard rapidement tourné vers le passé permet d’affirmer que le corps social a longtemps été fracturé. La substance de la nation fut évolutive et sa conception rarement homogène. Sans reprendre l’historique des évolutions en matière d’égalité et de non-discrimination, on rappellera qu’il a fallu attendre 1944 pour que les femmes puissent voter et 1965 pour qu’elles puissent gérer leurs biens propres et exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari. La loi Pleven du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme constitua la première grande loi en la matière, mettant la France en conformité avec la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. De même, ce n’est que le 4 août 1982 que la loi Forni dépénalisa l’homosexualité qui depuis l’amendement Mirguet du 18 juillet 1960 était qualifiée par l’Assemblée nationale de « fléau social ». Fut évoquée en séance, « la gravité de ce fléau qu’est l’homosexualité, fléau contre lequel nous avons le devoir de protéger nos enfants »[20]. S’agissant des personnes transgenres, c’est la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21ème siècle qui a créé un cadre légal dédié à la modification de la mention du sexe à l’état civil. On observe donc que « les catégories de population ayant été exclues de la citoyenneté civile, civique et sociale au nom de leur incapacité à se distancier de prétendues vocations naturelles – qu’elles soient sexualisées ou racialisées – sont historiquement associées à une singularité contradictoire avec l’appartenance à la classe des potentiels égaux »[21].Tout cela a-t-il laissé des traces en termes de cohésion nationale et quelle serait, à cet égard, la fonction d’une exigence d’inclusivité ?
L’inclusion constitue ici un élément de la cohésion sociale et un objectif poursuivi par l’État. Son fondement repose à la fois sur la volonté de maintenir le désir de vivre ensemble au sein d’une communauté nationale, mais aussi sur l’exigence de respect des droits fondamentaux, les deux étant indissociables. Du point de vue du respect des droits, des liens étroits existent entre protection des droits de l’Homme et inclusion. La théologienne Marianne Heimbach-Steins résume cette donnée ainsi : « Du point de vue des droits de l’Homme, l’idée régulatrice d’inclusion constitue un point focal de cette dynamique. Elle combine deux revendications fondamentales : en ce qui concerne les individus, elle formule la revendication de chaque être humain à la reconnaissance et à la meilleure promotion possible des opportunités de développement individuel ; aucune personne ne peut être discriminée sur la base de sa constitution individuelle, y compris le sexe et l’orientation sexuelle, ou être empêchée de participer à la société sur un pied d’égalité. C’est ce qu’exige déjà fondamentalement l’interdiction générale de la discrimination, et cette revendication est concrétisée dans des conventions spéciales sur les droits de l’Homme et des accords de droit international pour des groupes spécifiques. Par rapport à la société dans son ensemble, l’idée d’inclusion représente la revendication de reconnaître la diversité réelle de l’existence humaine, ses caractéristiques contextuelles et ses formes d’expression dans la conduite de la vie comme un fait évident de la vie en commun et en même temps comme tâche de façonner la société »[22]. Cette approche est intéressante, car on y perçoit un élément fondamental évoqué en introduction et qui renvoie au fait que l’inclusion englobe et dépasse la non-discrimination. En effet, le concept implique nécessairement qu’aucun groupe ne soit discriminé, mais sa promotion sert aussi une cause plus vaste que celle de l’égalité en participant à la cohésion du corps social. Les dimensions et les justifications de l’inclusion puisent donc leurs racines tout autant dans des exigences individuelles que dans des nécessités collectives en veillant à ce que les désavantages sociaux ne nuisent pas au sentiment d’appartenance au corps social.
Cette volonté est donc nécessaire à l’État, mais aussi consubstantielle à la démocratie dont le caractère majoritaire ne saurait s’interpréter comme autorisant la majorité à mettre en œuvre une forme de domination à l’égard des minorités. La démocratie se caractérise, au contraire, par un principe de tolérance que Kelsen évoquait en ces termes dans son ouvrage La règle de la majorité : « le principe de liberté et d’égalité tend vers une minimisation de la domination, la démocratie ne peut être une domination absolue, pas même une domination absolue de la majorité »[23]. Le rapport en démocratie entre majorité et minorités ne peut donc pas être un rapport de domination, ce qui confère à cette dernière son caractère dialectique et lui impose le débat comme la discussion. Les caractéristiques de la majorité ne peuvent donc constituer un levier justifiant l’exclusion de ceux qui ne partageraient pas de telles caractéristiques qu’elles soient sexuelles ou raciales. Une attention particulière est d’ailleurs portée par la Cour européenne des droits de l’Homme sur les préjugés que la majorité est susceptible de véhiculer. Ainsi, en 2017, à propos de la loi russe interdisant la promotion de l’homosexualité auprès des mineurs, la Cour européenne rappelle qu’elle « a toujours refusé d’approuver les politiques et les décisions qui traduisaient les préjugés d’une majorité hétérosexuelle envers une minorité homosexuelle. Ce genre d’attitude négative et de référence à des traditions et des présupposés d’ordre général ayant cours dans un pays donné ne suffisent pas à justifier la différence de traitement litigieuse, pas plus que ne le feraient des attitudes négatives analogues envers les personnes de race, origine ou couleur différentes. La législation critiquée est un exemple de ces préjugés, ce que soulignent sans équivoque son interprétation et son application nationales, et que consacrent des formules telles que ‘‘créer une impression déformée d’équivalence sociale entre les relations sexuelles traditionnelles et les relations sexuelles non traditionnelles’’ »[24].
Ces développements illustrent la manière dont l’appréhension de l’inclusion sociale se déplace de la sphère individuelle à la sphère collective, de la dimension subjective à la dimension objective. La question n’est pas seulement d’assurer l’effectivité du principe d’égalité, mais, bien au-delà, de favoriser la cohésion nationale et de permettre le vivre ensemble.
2. Inclusion et performance
L’inclusion n’est pas qu’affaire de cohésion, elle est aussi facteur de performance. En effet, au-delà des aspects précédemment évoqués, un lien a été régulièrement établi entre inclusivité ou diversité et performance[25]. L’étude du Conseil économique, social et environnemental du 8 octobre 2014 relève que « l’apport économique de la diversité a fait l’objet de nombreuses études dans les pays anglo-saxons, notamment aux États-Unis, dans les années 1980 où la gestion de la différence est perçue comme une source de richesse pour l’entreprise en termes de performance et de compétitivité. Les travaux d’économistes et les auditions auxquelles la section des activités économiques a procédé concluent que la diversité constitue un atout pour la conquête de nouveaux marchés. Pour ce faire, il convient de promouvoir un recrutement qui reflète la diversité de la société. Vecteur d’innovation et de créativité, la voracité des profils permet aussi d’acquérir une légitimité auprès de sa clientèle et de faciliter le développement de marchés à l’international »[26]. Un tel lien est également établi en 2004 par la Charte de l’égalité élaborée sous la responsabilité du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité et du ministère délégué à la parité et à l’égalité professionnelle. La Charte présente sans surprise l’égalité entre les femmes et les hommes comme un « enjeu démocratique », mais aussi comme « un enjeu économique : performance économique et dynamisme social ». Le texte poursuite de la manière suivante : « c’est aussi parce qu’au-delà du nécessaire recrutement des femmes pour résorber les tensions actuelles et à venir sur le marché du travail, la question de la promotion des femmes dans l’ensemble de l’activité économique est bien, pour reprendre les mots de Béatrice Majnoni d’Intignano, un aspect essentiel du régime de croissance des pays développés. Elle constitue une des réponses à ces exigences anciennes ou nouvelles que sont la performance, l’adaptabilité à la concurrence, la satisfaction des clients, mais aussi l’adhésion des salariés au projet de l’entreprise et la promotion d’une démarche éthique. La diversité des compétences et des qualifications permettant un enrichissement de l’offre de main-d’œuvre, ainsi qu’une organisation du travail performante, représentent des atouts essentiels pour les entreprises »[27]. C’est donc sans surprise que l’inclusivité a peu à peu pénétré le champ de la responsabilité sociale des entreprises (RSE)[28].
Le secteur public est également concerné par cette mise en relation entre diversité, inclusivité et performance de deux manières principales. Premièrement, s’inspirant des méthodes des entreprises privées, la promotion de l’inclusivité suivra une logique comparable de performance. Très tôt, un tel lien fut souligné dans le cadre du management public, comme une forme d’argument de vente au bénéfice de l’inclusion. Évoquant une modernisation de l’administration qui se poursuit sans cesse, Anne-Marie Colou dans un rapport remis au ministre de la Fonction publique le 1er janvier 1999 estime que « la gestion moderne du personnel, la rénovation des méthodes d’administration de l’État, sont à la fois profitables aux femmes et à la fois plus aisées à mettre en œuvre lorsque l’on fait appel aux qualités répertoriées comme étant de genre féminin. Il y aurait là au moins un motif d’opportunité à prendre des mesures pour faire plus largement appel à l’apport de femmes compétentes pour constituer l’encadrement supérieur si, bien plus essentiellement, la question ne s’élevait pas au niveau des principes »[29]. Apparaissait ainsi l’idée qu’il y a également un bénéfice à assurer l’égalité entre les femmes et les hommes en veillant à l’inclusion des femmes au sein de l’administration. Deuxièmement, dans le cadre plus spécifique du service public, la performance sera notamment mesurée à l’aune de la capacité de l’administration à s’assurer que ses actions comme ses responsables soient exposées à la vigilance et aux critiques des administrés. De ce point de vue l’inclusivité « mesure à quel point le gouvernement est transparent, accessible et redevable à toutes les catégories de la population »[30].
Au-delà de ces aspects, il est possible d’aller plus loin dans l’utilité de cette démarche en y voyant un moyen d’assurer une forme de « sécurité culturelle ». Cette notion développée par Francesco Palazzo met en lumière une méthode préventive de lutte notamment contre le terrorisme et qui consiste à s’appuyer sur une politique culturelle, civile et sociale. L’inclusivité y occupe une place de premier rang dans la mesure où elle va permettre d’extraire un individu d’un terrain propice à sa radicalisation. L’idée générale est qu’il existe un lien entre radicalisation et exclusion. Travailler sur une meilleure inclusion sociale permettrait ainsi d’éviter un certain nombre de dérives. Il s’agit « d’éloigner les personnes qui y sont exposées de l’idéologie de la radicalisation, en accordant une attention particulière à la sphère sociale de l’intégration, aux problèmes sociaux liés à cette question, en travaillant en contact étroit avec le monde de l’école, de l’université, du travail et surtout des prisons, où le phénomène de la radicalisation commence et se développe souvent »[31]. Cette politique passerait notamment par la « mise en œuvre de campagnes d’information visant à diffuser la culture du pluralisme et du dialogue interreligieux et interculturel, à promouvoir le principe de l’égalité des sexes et la lutte contre la discrimination d’origine religieuse, y compris l’islamophobie »[32].
B. Concrétiser l’inclusion en démocratie
Il est difficile de nier l’idée selon laquelle favoriser l’inclusion sociale permet de consolider la cohésion nationale. En revanche, la manière dont il convient de promouvoir l’inclusivité et de tenir compte de la diversité apparaît plus délicate à appréhender. Sur ce point, deux modèles sont régulièrement opposés. Le modèle républicain français et le modèle multiculturel canadien qui tend à favoriser le vivre ensemble par une démarche de reconnaissance des spécificités culturelles. Si la France demeure attachée à l’unicité de son peuple en refusant d’attacher des droits particuliers à des groupes minoritaires, d’autres États ont développé des politiques de discriminations positives, notamment ethniques ou raciales dans l’accès à l’emploi, aux marchés publics ou à l’enseignement supérieur. C’est le cas, par exemple, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, du Canada, des États-Unis, de l’Inde ou encore du Brésil. Pourtant, cette présentation largement répandue n’est pas le reflet exact de la réalité, car la France n’est pas si aveugle à la diversité et on peut relever une diffusion générale de ces préoccupations au sein des politiques publiques (2). Cela doit conduire à prêter une attention toute particulière au service public en s’interrogeant sur son rôle dans la mise en œuvre de l’inclusivité (2).
1. Une diffusion générale dans les politiques publiques
La France est-elle réellement aveugle à l’égard des groupes minoritaires ? En réalité, il est possible de relativiser ce constat même si l’État maintient encore fermement le principe d’indivisibilité de la République qui « rend illégitime toute action publique définie en fonction de critères ethniques, “raciaux”, culturels ou religieux »[33]. Ainsi, à l’exception des politiques en faveur des femmes, seuls des critères socio-économiques peuvent justifier des mesures de discrimination.
En premier lieu, il convient de rappeler les avancées législatives en matière d’inclusion des femmes et des personnes en situation de handicap déjà évoquées. Par ailleurs, le gouvernement met également en place des plans nationaux d’action en faveur de l’inclusion. Par exemple le plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+, le plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine, le plan national d’action pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, le plan handicap et inclusion, le plan national d’action contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche ou encore le plan national d’action pour l’inclusion sociale. On note également que le droit souple constitue un renfort privilégié en matière d’inclusivité et il existe un nombre croissant d’actes non contraignants tels que la fiche repère pour l’accueil des jeunes trans dans les établissements de l’enseignement agricole mise en place par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, le guide des bonnes pratiques pour recruter, accueillir et intégrer sans discriminer, publié en mars 2022, le guide « Lutter contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ » élaboré par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ou encore les lignes directrices du ministère de l’éducation nationale pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire.
On note en deuxième lieu un certain nombre d’initiatives visant à promouvoir la diversité et dont les acteurs publics se sont emparés. Le développement de ces initiatives est tellement important qu’il serait laborieux d’en fournir une présentation exhaustive. Pour autant, quelques exemples sont particulièrement éclairants. En 2004, Claude Bébéar et Yazid Sabeg ouvrent à la signature une Charte de la diversité afin que ses signataires privés comme publics s’engagent à mettre en place des actions en faveur de la diversité telles que la sensibilisation et la formation des dirigeants et managers aux enjeux de la non-discrimination et de la diversité, la communication sur ces engagements ou encore le fait de favoriser la représentation de la diversité de la société française dans toutes ses différences et ses richesses, les composantes culturelle, ethnique et sociale, au sein des effectifs et à tous les niveaux de responsabilité. En 2022, l’Agence nationale de la cohésion des Territoires s’est associée à la Charte de la diversité afin de construire une approche opérationnelle pour accompagner les collectivités territoriales dans la mise en place de leur plan territorial de lutte contre les discriminations. Par ailleurs, fut créé en décembre 2008, à l’initiative du Président de la République, un « Label Diversité » destiné à reconnaître l’engagement effectif d’entreprises, d’associations, de ministères, d’établissements publics ou de collectivités territoriales pour prévenir les discriminations et promouvoir la diversité dans le cadre de la gestion de ses ressources humaines. Le ministère de l’Économie et des Finances fut la première administration d’État à l’obtenir en 2010. Sur le même modèle fut créé en 2004 le label égalité professionnelle entre les femmes et les hommes qui vise à promouvoir l’égalité et la mixité professionnelles. Le ministère de l’Économie et des Finances développe également des partenariats pour promouvoir l’égalité des chances notamment avec l’association Arborus afin de promouvoir l’accès des jeunes filles issues de quartiers défavorisés à des métiers à responsabilités ou encore avec l’association Proxité qui aide à la réussite scolaire et à l’insertion sociale de jeunes issus de quartiers prioritaires de la ville. Par ailleurs, depuis 2014, la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT est placée sous l’autorité du Premier ministre et a pour mission de dynamiser l’action publique en matière de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. Elle élabore un plan interministériel (2023-2026) dont elle assure la mise en œuvre et le suivi.
De manière plus ponctuelle et locale, d’autres initiatives sont venues en renfort de l’inclusivité et de la diversité. On peut citer, par exemple, la « budgétisation sensible au genre » déployée par la ville de Paris en 2021 censée permettre l’évaluation et l’ajustement des politiques publiques de la ville, pour qu’elles bénéficient autant aux femmes qu’aux hommes. Ce budget opère une tricatégorisation en distinguant les dépenses genrées qui visent directement à plus d’égalité entre les femmes et les hommes, les dépenses genrables qui ont un impact indirect, par exemple l’aménagement de l’espace public, et les dépenses neutres. Ce faisant, la mairie de Paris reprend à son compte la méthode du gender mainstreaming qui consiste à introduire systématiquement dans les démarches publiques une réflexion portant sur les effets des mesures envisagées en fonction du genre. Par ailleurs, dans le domaine des discriminations liées à l’orientation sexuelle, le plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ pour la période 2020-2023 relevait « 293 initiatives réparties dans 94 départements : lignes d’écoute, guides sur les droits des victimes d’actes anti-LGBT+, guides sur les droits des personnes trans et intersexes, interventions en milieu scolaire, modules de formation dans le milieu scolaire et professionnel, Centres LGBT+ locaux, Marches des fiertés, festivals LGBT+, événements sportifs, campagnes de prévention santé, projets de recherche, etc »[34].
2. Une imprégnation spéciale du service public ?
Il semble que la question de l’inclusivité pénètre de manière singulière le service public. En réalité, lorsque l’on aborde cette question dans ce cadre particulier, le thème de l’inclusion renvoie à deux problématiques distinctes.
Premièrement, il s’agit d’interroger la représentativité du service public lui-même, c’est-à-dire la diversité présente en son sein. L’idée serait que le service public se présente comme étant représentatif de la diversité de la population française. Cette idée n’est pas nouvelle et Dominique Versini, dans son rapport sur la diversité dans la fonction publique de 2004[35], proposait déjà des pistes pour rendre le service public plus représentatif en jouant sur la diversité, pistes qui ont depuis été largement empruntées. Il s’agissait, par exemple, de promouvoir une Charte de la diversité dans la fonction publique, mais aussi de diversifier les dispositifs d’information, d’accompagnement en amont de l’entrée dans la fonction publique. L’élargissement des voies d’accès notamment en faveur des personnes handicapées était vivement recommandé de même que l’encouragement des dispositifs valorisant les acquis de l’expérience. La place des femmes faisait l’objet d’importants développements. Les dispositifs récents des classes préparatoires « Talents du service public » s’inscrivent dans cette logique. Ici encore, seuls des critères socio-économiques peuvent être pris en compte dans la mesure où le principe d’unicité du peuple français écarte toute prise en compte de critères tenant à la race, la religion ou encore l’orientation sexuelle.
Deuxièmement, l’inclusivité du service public renvoie également aux activités mêmes du service public. Autrement dit, c’est la manière dont le service public remplit sa mission d’une façon plus ou moins inclusive qui sera ici au cœur de toutes les attentions. Le service public local est tout particulièrement concerné, car c’est celui qui se trouve au plus près des usagers et à l’égard duquel un sentiment d’exclusion pourrait facilement naitre dans l’esprit de certains groupes. Le guide de l’Unesco pour les municipalités fait référence à cela en précisant s’agissant des municipalités et des droits LGBT « qu’en tant qu’ordre de gouvernement le plus près des gens, elles ont la possibilité de faire progresser concrètement les droits des personnes LGBTQ2+ en adoptant des politiques et des programmes en ce sens. Elles ont en outre la responsabilité de gérer la prestation des services d’une manière inclusive et accessible, d’assurer la sécurité des citoyen(ne)s et de promouvoir un sentiment d’appartenance et d’inclusion »[36]. Le Conseil de l’Europe semble encourager de telles démarches notamment au niveau local. Une note d’orientation politique de mai 2020 présente les villes comme des creusets de la diversité et entend appuyer les efforts déployés par les villes en approuvant « une démarche interculturelle en matière d’intégration et d’inclusion, qui permet aux villes de mieux servir leurs communautés, de maximiser les avantages et de réduire le plus possible les risques inhérents à l’existence de communautés riches en diversité culturelle »[37]. Cela comprend des initiatives telles que créer des espaces dédiés et des possibilités d’interaction et de coopération réelles entre des personnes d’origines et de contextes culturels différents, partager le pouvoir en associant des personnes d’origines diverses à la prise de décision ou encore élaborer des récits inclusifs et dégréer les conflits de manière positive, briser les stéréotypes ou encore engager un débat sur les effets et le potentiel de la diversité locale.
On comprend dès lors que le service public peut constituer un facteur, si ce n’est le facteur principal, de l’inclusivité en nourrissant par son activité quotidienne le sentiment d’appartenance. C’est en utilisant les services publics ordinaires et en s’y sentant dans un environnement accueillant et sécurisé, que chaque usager fera l’expérience de sa propre inclusion. À cet égard, les lignes directrices du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire du 29 septembre 2021 apparaissent particulièrement significatives. Ces dernières précisent que « L’École, en tant que service public fondé sur les principes de neutralité et d’égalité, se doit d’accueillir tous les élèves dans leur diversité et de veiller à l’intégration de chacun d’eux avec pour ambition de leur permettre de réussir leur parcours scolaire. Elle promeut le respect d’autrui. Elle se fonde sur les valeurs de la République et donc d’un universalisme qui définit chacun non par son identité, mais par sa dignité d’être humain. L’École ne saurait créer des droits particuliers au bénéfice de telle ou telle catégorie d’élèves, mais elle doit offrir à chacun d’eux, au-delà de leurs trajectoires personnelles, un environnement propice à leur réussite scolaire, ce qui est la finalité première de notre institution »[38]. Deux éléments méritent d’être soulignés. Premièrement, l’exigence d’inclusivité qui se dessine dans ces lignes directrices n’implique pas de remettre en cause l’universalité des principes républicains en réduisant les élèves à une identité. Cette approche ne peut pas plus conduire à accorder des droits spécifiques à certaines catégories d’élèves sur ce fondement. Deuxièmement, tout en maintenant l’universalité des principes républicains, le service public apparaît comme devant aménager au profit de ces usagers un environnement favorable. Ces deux éléments peuvent parfaitement être étendus au-delà du cadre scolaire pour venir s’appliquer à l’ensemble du service public qui tout en maintenant sa neutralité, permettrait de mettre en œuvre un service plus inclusif. C’est en suivant une telle logique que le Conseil d’État a validé l’emploi du prénom d’usage pour les élèves transgenres prévu par les lignes directrices du 29 septembre 2021. Le requérant se fondait, pour contester cette mesure, sur l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II, qui prévoit « qu’aucun citoyen ne pourra porter de nom ni prénom, autres que ceux exprimés dans son acte de naissance », ainsi que sur l’article 4 de la même loi aux termes duquel il « est expressément défendu à tous fonctionnaires publics de désigner les citoyens dans les actes autrement que par le nom de famille, les prénoms portés en l’acte de naissance (…), ni d’en exprimer d’autres dans les expéditions et extraits qu’ils délivreront à l’avenir ». Le juge administratif a estimé « qu’en préconisant ainsi l’utilisation du prénom choisi par les élèves transgenres dans le cadre de la vie interne des établissements, la circulaire attaquée, qui a entendu contribuer à la scolarisation inclusive de tous les enfants conformément aux dispositions de l’article L. 111-1 du code de l’éducation, n’a pas méconnu les dispositions des articles 1er et 4 de la loi du 6 fructidor an II »[39].
Actuellement, les activités du service public se trouvent de plus en plus imprégnées par cette forme d’exigence d’inclusivité. En matière de communication audiovisuelle, les évolutions du rôle et des missions de l’Arcom sont, en ce domaine, très significatives. En effet, la loi sur l’égalité des chances du 31 mars 2006 ajoute que l’Arcom est chargée de contribuer « aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations dans le domaine de la communication audiovisuelle. Elle veille, notamment auprès des éditeurs de services de radio et de télévision, compte tenu de la nature de leurs programmes, à ce que la programmation reflète la diversité de la société française ». Dans le prolongement, la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision exige de l’autorité administrative qu’elle rende compte chaque année au Parlement des actions des chaînes de télévision en matière de programmation reflétant la diversité de la société française et qu’elle propose les mesures adaptées pour améliorer l’effectivité de cette diversité dans tous les genres de programmes. En 2017, la loi du 27 janvier relative à l’égalité et à la citoyenneté confia à l’Arcom la mission de veiller « à ce que la diversité de la société française soit représentée dans les programmes des services de communication audiovisuelle et que cette représentation soit exempte de préjugés ». Au regard des évolutions de sa mission, l’Arcom a créé en 2009 un baromètre de la représentation de la société française basée sur 7 critères : l’origine perçue (perçus comme : « blancs », « noirs », « arabes », « asiatiques », « autres ») ; le sexe (masculin/féminin) ; la catégorie socioprofessionnelle (« CSP+ », « CSP–», « inactifs » et « activités marginales ou illégales ») ; le handicap (oui/non) ; l’âge (« – de 20 ans », « 20 – 34 ans », « 35 – 49 ans », « 50 – 64 ans » et « 65 ans et + ») ; le critère de précarité (depuis 2017) ; le lieu de résidence (depuis 2018). Sont également pris en compte des critères qualitatifs : rôle positif, négatif ou neutre des personnes intervenant à l’écran. Le baromètre permet de dresser un bilan public chaque année de la représentation de la diversité.
S’agissant du service public de l’éducation, l’article L. 111-1 du code de l’éducation prévoit que ce dernier « veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement ». La circulaire du 29 septembre 2021 formule un certain nombre de recommandations afin de comprendre les réalités et la diversité des situations de transidentité, de savoir répondre à la situation des élèves transgenres, mais aussi de les protéger contre toutes formes de discriminations, de harcèlement et de violences. Il s’agit également de prévenir la transphobie par des mesures générales et préventives. Par exemple, la circulaire insiste sur l’importance du respect des choix liés à l’habillement et à l’apparence en soulignant son importance dans la reconnaissance de l’identité de genre. Il appartient ainsi aux personnels de veiller à ce que l’expression de genre des élèves ne soit pas remise en cause ou moquée, notamment de la part des autres élèves et des personnels. De même, ces lignes directrices précisent un certain nombre d’éléments concernant l’usage des espaces d’intimité (toilettes, vestiaires, dortoirs). Elles préconisent notamment qu’à la demande des intéressés et selon la disponibilité des lieux, l’établissement puisse autoriser l’élève à accéder à des toilettes individuelles et à des espaces privés dans les vestiaires et au sein de l’internat ou encore à utiliser les toilettes et vestiaires conformes à son identité de genre, en veillant, quand l’élève concerné est identifié par ses pairs comme étant transgenre, à accompagner la situation. De même, le plan national d’actions pour l’égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ 2020-2023 a entendu former le personnel éducatif, en permettant une bonne connaissance du cadre de la lutte contre l’homophobie et la transphobie à l’école, généraliser et s’assurer de l’adaptation des formulaires administratifs pour tenir compte de la diversité des familles, favoriser l’acquisition par les documentalistes de livres jeunesse incluant et rendant visible la diversité des orientations sexuelles, des identités de genre et des familles, réaliser et diffuser des campagnes de sensibilisation contre le suicide des jeunes LGBT+ et promouvoir des messages valorisant l’inclusion, la diversité et la visibilité.
S’agissant du service public culturel, ce dernier s’est engagé à rendre la culture largement accessible aux personnes en situation de handicap par des mesures telles que l’aménagement des établissements recevant du public ou encore des mesures de réduction ou de gratuité pour ces dernières dans l’accès à la culture. Par ailleurs, le site du ministère de la culture présente un catalogue d’initiatives intégrant des citoyens à l’inclusion, la levée des obstacles à l’accessibilité de la culture. Par exemple, les ateliers Révélations qui « ont pour objet de trouver le champ du “faire ensemble” et identifier ce qui fait “bien commun”. Ils cherchent à détecter la singularité de la cité et de sa géographie et ainsi favoriser la participation des habitants et l’implication des personnes pour mettre en récit la cité »[40]. C’est le cas également du modèle noir de Géricault à Matisse au Musée d’Orsay. En « adoptant une approche multidisciplinaire, entre histoire de l’art et histoire des idées, cette exposition se penche sur des problématiques esthétiques, politiques, sociales et raciales ainsi que sur l’imaginaire que révèle la représentation des figures noires dans les arts visuels, de l’abolition de l’esclavage en France (1794) à nos jours ». François Mairesse relève par ailleurs que « le rôle social du musée s’affirme dès lors de plus en plus comme prioritaire, notamment après les crises économiques, comme celle des subprimes (en 2008), conduisant à une redéfinition du musée pour mieux refléter son rôle participatif et d’inclusivité. C’est dans ce contexte que de nouveaux types de musées émergent, guidés notamment par une vision décoloniale du modèle occidental d’accumulation (et de pillage) et moins fondés sur les objets : ‘‘d’habitude, les centres culturels sont pour le Sud, les musées pour le Nord. Nous voulions briser cette dichotomie, et montrer qu’un nouveau type de musées [sans objets] était possible’’ »[41].
S’agissant du service public de la santé, le plan national d’actions pour l’égalité 2020-2023 entendait permettre l’accès à la santé des personnes LGBT+ et lutter contre les discriminations fondées sur l’état de santé. A donc été inclus, par exemple, dans la formation des professionnels de santé, un module permettant la bonne prise en charge des personnes LGBT+ ainsi qu’une sensibilisation des professions médicales à la non-discrimination des personnes vivant avec le VIH. De même, au titre des mesures à engager, l’objectif serait de permettre une prise en charge médicale, notamment gynécologique, adaptée et respectueuse des lesbiennes et des femmes bisexuelles.
S’agissant du service public du sport, a été encouragée, par exemple, la réalisation de supports permettant de mieux identifier les conséquences juridiques et les postures attendues de chaque acteur du sport (supporters, joueurs, entraîneurs, parents, dirigeants, arbitres, fédérations, ligues et clubs) vis-à-vis des comportements de haine et de discriminations anti-LGBT, l’organisation de colloques sur les injures sexistes et homophobes dans le sport et les enceintes sportives ou encore la sensibilisation et la formation des acteurs du milieu sportif (éducateurs sportifs, dirigeants de clubs, fédérations, ligues professionnelles, centres de formation, pôles espoirs, supporters, sport scolaire, salles de sport) à la lutte contre les LGBTphobies et à l’inclusion des personnes LGBT+. De même, le ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques a élaboré une boîte à outils contre les discriminations visant à informer l’ensemble des acteurs du sport, à détailler des outils de sensibilisation pour mieux prévenir les racismes et la haine LGBT+ ainsi qu’à mieux prévenir au quotidien le sexisme et les violences faites aux femmes. De manière très symbolique, l’article 7 de la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France modifie l’article L.100-1 du Code du sport afin d’y introduire le fait que « La loi favorise un égal accès aux activités physiques et sportives, sans discrimination fondée sur le sexe, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap, l’appartenance, vraie ou supposée, à une nation ou à une ethnie, la religion, la langue, la condition sociale, les opinions politiques ou philosophiques ou tout autre statut ».
Ces illustrations témoignent du fait que le service public est en réalité entièrement irrigué par la nouvelle exigence d’inclusivité dont la compatibilité avec le principe de neutralité est assurée. Cette question dépasse l’application du principe d’égalité du service public dans la mesure où l’égalité se fait en droit alors que l’inclusivité repose sur des facteurs environnementaux et contextuels. Il ne s’agit pas seulement d’assurer une égalité de traitement, mais de faire en sorte que chaque usager ressente le service public comme accueillant à l’égard de ses spécificités. Ce mouvement semble discret, mais réel à tel point qu’il serait tentant de compléter, avec prudence, les célèbres lois du service ainsi : égalité, neutralité, mutabilité et inclusivité.
II. Les conditions d’une inclusivité vertueuse
Si les efforts menés en termes d’inclusivité participent incontestablement à l’affermissement de la cohésion nationale tout en entretenant une forme de performance dans les secteurs public comme privé, ces derniers doivent être menés avec précaution. En effet, la poursuite de l’inclusion comporte des risques. Le premier d’entre eux rappelle que cet objectif ne doit pas conduire à remettre en cause l’échelle des valeurs sur laquelle la République repose. De ce point de vue, l’inclusivité ne peut aboutir à une forme d’abdication axiologique face à des revendications minoritaires susceptibles de se révéler être en contradiction avec nos valeurs (A). Par ailleurs, si la logique était poussée à son paroxysme, un effet boomerang peut illustrer la nature contre-productive et contre-performante de l’inclusivité pour la cohésion du corps social. Une telle logique comporte donc de manière paradoxale un risque pour l’union nationale (B).
A. L’inclusion et le risque d’abdication axiologique
Jusqu’où l’État démocratique peut-il aller pour répondre à un besoin d’inclusion exprimé par une fraction de sa population ? À quel point la logique commune peut-elle céder afin de privilégier une forme de différenciation protectrice de particularités minoritaires ? Ces questions sont au cœur des problématiques qui entourent la question de la gestion de la diversité et renvoient à la doctrine de l’accommodement raisonnable. Cette dernière implique que certains accommodements sont possibles, voire nécessaires, mais qu’ils ne peuvent être consentis sans limites (1). Pour le cas de la France, cette limite doit résider dans le respect des valeurs républicaines (2).
1. La doctrine de l’accommodement raisonnable
Si le fait de consentir à certains accommodements en faveur de la diversité n’est pas inédit en droit comparé, c’est le système canadien qui a particulièrement développé et conceptualisé la doctrine de l’accommodement raisonnable. Le principe d’accommodement raisonnable part du postulat que l’application d’un traitement identique conçu comme étant neutre à l’ensemble de la communauté nationale conduit inévitablement à des inégalités de fait en raison des différences de conceptions philosophiques et sociales présentes au sein de cette communauté. Le principe entend donc privilégier une égalité réelle sur une égalité trop formelle et abstraite. C’est précisément pour contrer les effets de l’égalité formelle et de son universalisme que des traitements différenciés peuvent être raisonnablement envisagés afin de respecter certaines caractéristiques personnelles. Une norme parfaitement neutre peut donc se révéler, par son application indifférenciée, discriminatoire à l’égard d’une personne ou d’un groupe. C’est la Cour suprême du Canada qui, dès 1985 dans l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, a posé les bases de ce raisonnement[42]. Dans cette affaire, la plaignante estimait être victime de discrimination dans la mesure où son employeur exigeait de ses employés qu’ils travaillent périodiquement le vendredi soir et le samedi. Or, la religion de la requérante lui interdisait de travailler du coucher du soleil le vendredi au coucher du soleil le samedi. La Cour suprême a alors développé la manière dont elle entend désormais exiger une forme d’accommodement en ces termes : « Une condition d’emploi adoptée honnêtement, pour de bonnes raisons économiques et d’affaires, également applicable à tous ceux qu’elle vise, peut néanmoins se révéler discriminatoire si elle touche une personne ou des personnes d’une manière différente par rapport à d’autres personnes visées. L’intention d’établir une distinction n’est pas un facteur déterminant dans l’interprétation d’une loi sur les droits de la personne visant à éliminer la discrimination. C’est plutôt le résultat, l’effet de la prétendue mesure discriminatoire qui importe (…). Dans le cas de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, l’employeur a l’obligation de prendre des mesures raisonnables pour s’entendre à moins que cela ne cause une contrainte excessive à l’exploitation de son entreprise (…). Le plaignant doit d’abord prouver, de façon suffisante jusqu’à preuve contraire, qu’il y a discrimination. Il incombe alors à l’employeur de prouver qu’il a pris, en vue de s’entendre avec l’employé, les mesures raisonnables qu’il lui était possible de prendre sans subir de contrainte excessive »[43]. Dans l’affaire Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU du 9 septembre 1999, la Cour suprême canadienne a précisé la méthode que tout employeur doit suivre pour prouver que la norme générale et en apparence neutre qu’il a établie n’est pas discriminatoire : « Premièrement, l’employeur doit démontrer qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause. À cette première étape, l’analyse porte non pas sur la validité de la norme particulière, mais plutôt sur la validité de son objet plus général. Deuxièmement, l’employeur doit établir qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Troisièmement, l’employeur doit établir que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive »[44].
C’est sur le fondement de cette doctrine de l’accommodement raisonnable que se sont développées de très nombreuses adaptations pour tenir compte de spécificités ethniques ou culturelles au Canada. Par exemple, les juridictions ont admis qu’une employée catholique pouvait légitimement refuser de travailler le dimanche. Que des professeurs de confession juive pouvaient prendre des congés payés pour célébrer le Yom Kippour. Que des requérants juifs orthodoxes avaient le droit d’ériger un érouv sur le territoire de la ville d’Outremont. Le gouvernement a également admis pour répondre à la demande d’un officier de la gendarmerie royale du Canada que puisse être modifié le règlement sur l’uniforme des membres de la gendarmerie royale de façon à permettre le port du turban par les officiers sikhs. Le port du foulard et du turban dans les écoles publiques fut admis. En mars 2007, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse rendait un avis demandant aux écoles de ne pas servir de viande non hallal à des enfants musulmans. Mais ces politiques ont aussi largement généré des tensions et des controverses, notamment lorsque ces accommodements semblaient aller à l’encontre des valeurs libérales ou de la culture canadienne. De vives tensions ont donc accompagné des questions telles que celle du retrait des sapins renommés « arbre de vie » ou des décorations de Noël. Des débats ont également entouré la question des cours de natation non mixte, des demandes formulées par des femmes afin de n’être soignées que par des femmes ou encore des demandes de n’être évalué lors d’un examen de conduite que par un homme. Il en est allé de même de l’exemption de cours de musique obligatoire, la pratique de certains instruments de musique étant interdite selon une certaine interprétation du Coran[45]. Le rapport de la commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles rendu en 2008 rapporte également le cas dans lequel « la juge en chef de la Cour municipale de Montréal rendait sa décision dans la cause d’un homme accusé d’avoir agressé sa belle-fille mineure : la juge Verreault considérait comme facteur atténuant le fait que l’agresseur aurait eu le souci de sodomiser sa victime afin de préserver sa virginité. L’annonce de ce jugement a déclenché une vive polémique »[46].
La culture juridique française est a priori hostile au principe d’accommodement raisonnable. Celui-ci rencontre des obstacles constitutionnels dans les principes d’unicité du peuple française, de laïcité et de neutralité du service public. Comme déjà évoqué, l’unicité du peuple implique une impossibilité de reconnaître des droits spécifiques à une catégorie de la population. De même, en vertu du principe de laïcité, les agents publics sont soumis à une obligation de neutralité et ne peuvent manifester leurs convictions notamment religieuses dans le cadre de leur service. Un agent ne peut ainsi faire état d’aucun signe d’appartenance, notamment religieuse. La Cour administrative d’appel de Paris a ainsi pu admettre, par exemple, la révocation d’un agent de surveillance de la ville de Paris en raison de signes multiples d’appartenance religieuse, notamment une prière devant le commissariat où l’agent est en poste, le port d’un vêtement révélant ses croyances ainsi que le refus de participer à la minute de silence pour les victimes de l’attentat de Charlie Hebdo[47]. S’agissant des autorisations d’absence des agents publics pour des motifs religieux, ces dernières ne constituent pas un droit pour l’agent, mais ont un caractère facultatif. Elles doivent notamment être conciliées avec l’intérêt du service. En matière de dispense systématique des élèves aux cours et examens pour motif religieux, le juge administratif considère qu’on ne peut interdire aux élèves qui en font la demande de bénéficier individuellement des autorisations d’absence nécessaires à l’exercice d’un culte ou à la célébration d’une fête religieuse, mais que ces autorisations doivent être compatibles avec l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études et avec le respect de l’ordre public dans l’établissement[48]. L’espace public lui-même est concerné par le principe de neutralité. L’article 28 de la loi de 1905 prévoit qu’« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ». Ces dispositions ont pour objet « d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes, s’opposent à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse »[49]. La neutralité du service public va également s’appliquer dans certains cas aux usagers eux-mêmes, notamment à l’école où le port de signes religieux est interdit pour les élèves[50]. S’agissant, de manière plus générale, des usagers du service public, la neutralité du service public leur interdit de se prévaloir de leurs croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers. Le Conseil d’État précise que « le gestionnaire d’un service public est tenu, lorsqu’il définit ou redéfinit les règles d’organisation et de fonctionnement de ce service, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l’égalité de traitement des usagers. S’il lui est loisible, pour satisfaire à l’intérêt général qui s’attache à ce que le plus grand nombre d’usagers puisse accéder effectivement au service public, de tenir compte, au-delà des dispositions légales et réglementaires qui s’imposent à lui, de certaines spécificités du public concerné, et si les principes de laïcité et de neutralité du service public ne font pas obstacle, par eux-mêmes, à ce que ces spécificités correspondent à des convictions religieuses, il n’est en principe pas tenu de tenir compte de telles convictions et les usagers n’ont aucun droit qu’il en soit ainsi, dès lors que les dispositions de l’article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers. Cependant, lorsqu’il prend en compte pour l’organisation du service public les convictions religieuses de certains usagers, le gestionnaire de ce service ne peut procéder à des adaptations qui porteraient atteinte à l’ordre public ou qui nuiraient au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l’obligation de neutralité du service public »[51].
Pour autant, ces principes ne doivent pas être caricaturés et ne sont pas totalement rétifs à une certaine forme d’accommodement. Cela ressort déjà des considérants précités du Conseil d’État. En effet, la laïcité n’implique pas uniquement la neutralité de l’État, mais aussi le respect de la liberté de religion et de culte. Afin de rendre effective cette liberté, le service public pourra, à la marge, consentir à certaines adaptations. Par exemple, la circulaire du 18 mai 2004 précise que des autorisations d’absence doivent pouvoir être accordées aux élèves pour les grandes fêtes religieuses qui ne coïncident pas avec un jour de congé et dont les dates sont rappelées chaque année par une instruction[52]. Suivant une même logique, en matière de nourriture confessionnelle, le Conseil d’État considère que s’il n’existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d’un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés « ni les principes de laïcité et de neutralité du service public ni le principe d’égalité des usagers devant le service public ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas »[53]. Dans le cadre pénitentiaire, le juge administratif estime « qu’il appartient à l’administration pénitentiaire, qui n’est pas tenue de garantir aux personnes détenues, en toute circonstance, une alimentation respectant leurs convictions religieuses, de permettre, dans toute la mesure du possible eu égard aux contraintes matérielles propres à la gestion de ces établissements et dans le respect de l’objectif d’intérêt général du maintien du bon ordre des établissements pénitentiaires, l’observance des prescriptions alimentaires résultant des croyances et pratiques religieuses »[54].
Ainsi, si en principe, toute forme d’accommodement est proscrite dans le cadre du service public, certaines adaptations demeurent possibles pour permettre le libre exercice des cultes. Les principes constitutionnels français ne refoulent donc pas totalement cette forme particulière de l’exigence d’inclusivité. Mais les développements concernant le traitement canadien de la problématique minoritaire démontrent que l’appréciation de ce qui est raisonnable ou non dès lors que l’on entend accommoder les règles communes pour tenir compte de spécificités culturelles est loin d’être évidente. Le respect des valeurs libérales est au centre de ce questionnement, car il apparaît évident que la prise en compte de la diversité culturelle ne peut aboutir à des adaptations telles que les valeurs fondamentales sur lesquelles notre système est construit seraient méconnues.
2. Le nécessaire respect des valeurs de la République
La question du respect des valeurs de la République se pose spécifiquement à l’égard des communautés religieuses. Il est possible de citer Paul Statham et Ruud Koopmans qui posent la problématique de la manière suivante : « Certaines demandes exceptionnelles sont accommodées facilement par les États libéraux (…). Les revendications de certaines minorités ethniques sont moins faciles à satisfaire, car elles remettent effectivement en question l’essence même des valeurs libérales. Par exemple, des migrants musulmans qui souhaiteraient pratiquer la polygamie, l’excision ou le divorce selon la loi de la charia commettraient des actes qui contrediraient les accords juridiques et moraux proclamés par la plupart des États libéraux sur l’égalité entre les individus et entre les hommes et les femmes »[55]. Ramené au cas de la France, on perçoit dès lors le risque que peut faire peser dans certains cas cette forme particulière d’inclusivité que constitue l’accommodement portant sur le respect des valeurs de la République. Cette problématique fut au cœur de la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021 qui tend, comme le Président de la République l’avait exprimé dans son discours aux Mureaux le 2 octobre 2020 à « défendre les valeurs de la République et s’opposer au développement du repli communautaire et du séparatisme sous toutes ses formes ». Le séparatisme dont il est question ici « consiste à affaiblir voire à détruire la communauté nationale en vue de remplacer celle-ci par de nouvelles formes d’allégeance et d’identification, en rupture avec la tradition démocratique et républicaine. Il s’appuie sur une démarche idéologique – politique ou politico-religieuse – visant à couper l’individu-citoyen de son cadre national. Il s’affirme contre la nation, comme source d’identité collective, en établissant des clôtures définitives entre les individus et les groupes »[56].
L’idée de préserver certaines valeurs et notamment l’égalité entre les femmes et les hommes se percevait déjà dans la jurisprudence relative à la neutralité du service public. Par exemple, fut admise la révocation d’un surveillant pénitentiaire qui, pour un motif religieux, refusait systématiquement de saluer le personnel féminin dans la mesure où un tel comportement « présente objectivement un caractère discriminatoire et est de nature à être ressenti comme vexatoire pour les personnels de sexe féminin et à susciter une défiance de leur part »[57]. De manière plus générale, le respect de valeurs républicaines sera assuré par la mobilisation de la notion d’ordre public notamment à l’égard des communautés religieuses. Cela ressort explicitement de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ». Si les composantes classiques de l’ordre public peuvent intervenir afin de limiter une pratique religieuse, c’est-à-dire la sécurité, la tranquillité, la salubrité publiques, c’est la dimension immatérielle de l’ordre public qui vient spécifiquement assurer le respect des valeurs républicaines. Il s’agit de répondre, selon les termes du Conseil d’État, « à un socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société, qui, comme le respect du pluralisme, sont à ce point fondamentales qu’elles conditionnent l’exercice des autres libertés, et qu’elles imposent d’écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle. Or, ces exigences fondamentales du contrat social, implicites et permanentes, pourraient impliquer, dans notre République, que, dès lors que l’individu est dans un lieu public au sens large, c’est-à-dire dans lequel il est susceptible de croiser autrui de manière fortuite, il ne peut ni renier son appartenance à la société, ni se la voir déniée »[58]. C’est déjà cette dimension immatérielle de l’ordre public que mobilisait implicitement le Conseil constitutionnel en 1993 pour exclure la polygamie du champ du droit à une vie familiale normale. Il précisait, à cette occasion, que « les conditions d’une vie familiale normale sont celles qui prévalent en France, pays d’accueil, lesquelles excluent la polygamie ; que dès lors les restrictions apportées par la loi au regroupement familial des polygames et les sanctions dont celles-ci sont assorties ne sont pas contraires à la Constitution »[59]. Le Conseil d’État a estimé le 9 novembre 2020 que la nationalité peut être valablement refusée à un homme qui « adopte un mode de vie caractérisé par une soumission de sa femme qui ne correspond pas aux valeurs de la société française »[60]. On perçoit ici la manière dont l’inclusivité doit se trouver limitée par le respect des valeurs républicaines, car le souci d’intégrer au désir de vivre ensemble toutes les communautés ne peut aboutit à nier les valeurs qui constituent le socle du pacte social. On ne saurait ainsi admettre qu’un souci d’inclusion conduise, par exemple, à refuser d’être assisté par une femme, à exiger un statut moins avantageux pour ces dernières ou encore à refuser de servir un couple homosexuel au nom du respect de sa culture. L’inclusivité est donc nécessairement conditionnée. Le rapport annuel de 2012 du Haut conseil à l’intégration insiste sur cette idée en précisant que « si un ou des éléments de la culture contredit l’identité politique commune fondée sur le droit et sur la loi, c’est la culture en question qui doit bouger, car aucune culture n’est définitivement figée sur elle-même. Ainsi, aucune autorité d’une tradition passée n’a de valeur en république quand elle contredit aux droits des personnes »[61]. Il s’agit ici d’une limite radicale à l’inclusion qui vient exiger de la minorité concernée qu’elle s’adapte aux valeurs communes du groupe. On bascule alors de l’inclusion à l’intégration.
En revanche, une question plus délicate réside dans l’existence d’un éventuel ordre public culturel qui viendrait préserver des éléments nationaux considérés comme relevant de la culture traditionnelle de l’État. Le philosophe Etienne Balibar résumait ainsi les deux faces de la problématique de l’identité culturelle : « L’identité culturelle serait l’expression même de la singularité des « groupes », peuples ou sociétés, elle serait ce qui interdit de les confondre dans une uniformité de pensée et de pratique, ou d’effacer purement et simplement les « frontières » qui les séparent et qui traduisent la corrélation au moins tendancielle entre faits de langue, faits de religion, faits de parenté, faits esthétiques au sens large (car il y a des styles de vie comme il y a des styles musicaux ou littéraires), et faits politiques. Mais en même temps elle reposerait immédiatement le problème de l’universalité ou de l’universalisation. D’abord parce que les cultures ne sont pensables dans leur diversité sociale ou anthropologique que par comparaison avec des universaux (naturels ou logiques). Ensuite parce que cette diversité même induit une communication « entre les cultures » ou entre les « porteurs » de cultures singulières qui, potentiellement au moins, traverse toutes les frontières »[62]. C’est cette notion d’identité culturelle que semble avoir protégée implicitement la Cour européenne des droits de l’Homme en admettant que les écoles italiennes puissent conserver leurs crucifix dans les salles de classe alors même qu’elle y voyait, dans le même temps, une entrave à la liberté d’éduquer ses enfants selon ses convictions religieuses[63]. Cette jurisprudence ouvre une voie étroite et glissante : celle permettant de préserver face à des revendications minoritaires, une forme de culture nationale. Ces questions se posent particulièrement lorsque l’on assiste à une forme de confusion entre des éléments cultuels et culturels tels que des décorations de Noël ou les crèches qui ne sont pas des éléments partagés par toutes les fractions de la population.
Il ne s’agit pas ici de formuler des préconisations, mais simplement de souligner le fait qu’avec les outils juridiques que sont la laïcité, l’ordre public immatériel, voire culturel, l’état peut déterminer l’équilibre à trouver entre le commun et le singulier et fixer les limites de l’inclusivité qu’il entend mettre en œuvre. Ces outils permettent de délimiter la frontière qui sépare l’inclusion et l’intégration. Cette question se prolonge dans un autre risque déjà entrevu : celui que ferait peser la logique d’inclusivité, si elle était poussée trop loin, sur l’union nationale.
B. L’inclusion et le risque de désunion nationale
La mise en œuvre d’une logique d’inclusion n’emporte pas qu’un risque d’abdication idéologique face à des revendications minoritaires qui se révèleraient contraires à nos valeurs. Il existe également, et de manière légèrement contre-intuitive, un risque de désunion nationale. En effet, si l’inclusivité contribue incontestablement à vivifier le désir de vivre ensemble en s’attachant à ce que chaque personne se sente intégrée à la communauté nationale dans le respect de ses singularités, elle peut également s’avérer délétère pour la cohésion du corps social. L’objet des développements qui vont suivre n’est pas de discréditer l’inclusivité, mais au contraire de rechercher la manière dont on peut préserver ses vertus en écartant le risque de désunion nationale. Pour cela, il nous semble important de maintenir fermement le principe d’unicité du peuple français (1) en continuant à privilégier le commun sur le singulier (2).
1. Maintenir fermement le principe d’unicité
Le principe d’unicité du peuple français implique de ne pas reconnaître de droits spécifiques à une quelconque fraction de la population. Pourtant, afin de mettre en œuvre de manière plus effective une exigence d’inclusivité, il serait tentant d’accorder aux groupes qui souffrent d’un déficit d’appartenance des droits différenciés afin de marquer juridiquement leur reconnaissance. Cette hypothèse avait été étudiée en 2008 par le comité de réflexion sur le préambule de la Constitution présidé par Simone Veil. Durant ses travaux, le comité a clairement admis toute la portée symbolique et politique que pourrait revêtir une prise en compte de la diversité au niveau constitutionnel. De même, il a unanimement reconnu que des efforts en faveur de l’égalité réelle demeurent possibles à travers certaines mesures rectificatives. Pour autant, il a, selon ses termes, « rapidement dégagé un consensus en son sein pour refuser la promotion de la diversité entendue comme permettant des différenciations directement fondées sur la race, les origines ou la religion »[64]. Pour cela, on peut relever deux arguments principaux (sur les quatre développés par le rapport). Premièrement, le comité a estimé qu’au regard de la législation des pays qui ont mis en place des politiques de discriminations positives, leurs contextes historiques n’étaient pas comparables à celui de la France, car ces derniers ont connu des périodes de ségrégation et d’hostilité radicale à l’égard des minorités concernées. Il relève que « les motifs qui ont historiquement justifié, dans les pays concernés, la mise en œuvre de tels critères ne trouvent pas d’équivalent direct en France. Aux États-Unis, en Afrique du Sud ou en Inde notamment, les dispositifs de promotion par le droit ont fait suite, pour les groupes ethniques qu’ils visent, à des périodes de véritable ségrégation par le droit. Pour le dire autrement, la discrimination positive ainsi conçue ne peut avoir un sens qu’à la condition d’apparaître aux yeux de tous comme une mesure de rattrapage au profit de groupes ayant été victimes dans leur propre pays d’une entreprise de marginalisation organisée par le système juridique, et qui se sont de ce fait trouvés maintenus dans une position sociale subalterne. Soit dit par parenthèse, on peut penser que l’acceptabilité sociale des règles visant à favoriser en France la parité entre les femmes et les hommes dans la sphère politique est à relier, au moins pour une part, à cette période encore récente où les femmes étaient privées du droit de vote et d’éligibilité. Mais précisément, les situations sont très différentes »[65]. Deuxièmement, le comité a très clairement souligné les risques qu’une atténuation du principe d’unicité ferait peser sur la cohésion nationale et le vivre-ensemble. En effet, il « a redouté que, sans même parler des risques d’instrumentalisation par des groupes extrémistes, d’une politique de discrimination positive sur une base ethnique, sa mise en œuvre emporte de graves effets pervers : au mieux, un affaiblissement du vivre-ensemble, en raison de l’incitation donnée aux administrés de se rattacher à leurs communautés d’appartenance pour pouvoir tirer profit des dispositifs mis en place ; au pire, une montée des tensions et des ressentiments entre communautés, génératrice de concurrence entre groupes ethniques et matrice d’une dislocation accrue de la Nation »[66].
L’accent qui fut mis par le comité Veil sur les potentielles tensions que la reconnaissance de droits au profit des minorités pouvait révéler, souligne la principale problématique qui touche à l’inclusion en termes de cohésion nationale. Même si le comité n’a fondé son raisonnement que sur les groupes ethniques, celui-ci n’en n’est pas moins valable, quel que soit le groupe minoritaire envisagé. Or, tout comme pour le principe de laïcité, il convient de ne pas caricaturer le principe constitutionnel d’unicité du peuple, car ce dernier ne s’oppose pas totalement à une législation qui tendrait à favoriser l’inclusion et l’égalité des chances à travers une forme de différenciation. En effet, même si des critères tenant à la race ou à l’orientation sexuelle sont exclus, le juge constitutionnel estime, s’agissant de l’emploi des jeunes, « qu’aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’interdit au législateur de prendre des mesures propres à venir en aide à des catégories de personnes rencontrant des difficultés particulières »[67]. Cela fut également valable pour les étudiants boursiers, les personnes âgées ou au chômage ou encore les personnes handicapées. Le législateur peut également tenir compte de critères territoriaux. Le Conseil constitutionnel considère sur ce point que « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte, par l’octroi d’avantages fiscaux, des mesures d’incitation au développement et à l’aménagement de certaines parties du territoire dans un but d’intérêt général »[68]. Il considère également que rien n’interdit au législateur de prendre « des mesures propres à venir en aide à des catégories de personnes défavorisées »[69]. Des politiques de différenciation sont donc possibles en jouant sur ces différents critères objectifs sans jamais viser directement et exclusivement les critères de discrimination interdits tels que la race, l’origine, la religion ou encore l’orientation sexuelle.
Il convient donc à la fois de ne pas faire du principe d’unicité une caricature de lui-même, mais aussi de le maintenir fermement dans la mesure où ce principe permet de faire de nos droits fondamentaux un élément de cohésion nationale. En réalité, les droits fondamentaux participent au sentiment d’appartenance de deux manières. Premièrement, c’est leur octroi indifférencié tant à la majorité qu’aux minorités qui participe à la cohésion du corps social. À cet égard, on peut citer la pensée de Thomas Marshall qui, « analysant l’exclusion de la classe ouvrière en Grande-Bretagne (…) élabore une théorie de la fonction intégratrice des droits de la citoyenneté, en pensant l’extension de la citoyenneté par l’octroi successif des droits civils (liberté de parole, de pensée et de religion, reconnaissance du droit à la propriété, reconnaissance de la capacité de contracter) à partir du XVe siècle, des droits civiques (droit de vote et d’éligibilité) au XIXe siècle et, enfin, des droits sociaux à travers la mise en place des États-providence au XXe siècle. Les droits sociaux à l’éducation, à la santé et à la sécurité sociale constituent selon lui une manière d’engendrer « un sentiment direct d’appartenance à la communauté, basé sur la fidélité à une civilisation conçue comme une possession commune » »[70].
Deuxièmement, les droits fondamentaux participent au sentiment d’appartenance dans la mesure où ils renvoient à une échelle de valeurs communément partagée. Le principe d’unicité empêche toute différenciation en la matière qui participerait à dissiper un tel sentiment. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme permet de percevoir le lien qui existe entre, d’une part, la cohésion nationale et le vivre ensemble et, d’autre part, le respect des droits fondamentaux. Dans l’affaire S.A.S c/ France du 1er juillet 2014 s’agissant de la compatibilité à la Convention de la loi contre la dissimulation du visage dans l’espace public, le juge de Strasbourg rappelle la marge d’appréciation dont disposent les États en la matière et précise « qu’il entre assurément dans les fonctions de l’État de garantir les conditions permettant aux individus de vivre ensemble dans leur diversité »[71]. Elle en conclut, au terme de son raisonnement « que l’interdiction que pose la loi du 11 octobre 2010 peut passer pour proportionnée au but poursuivi, à savoir la préservation des conditions du « vivre ensemble » en tant qu’élément de la « protection des droits et libertés d’autrui »[72]. D’une manière comparable, en janvier 2017 dans son arrêt Osmanoğlu et Kocabaş c/ Suisse, s’agissant d’amendes infligées à des parents en raison de leur refus, pour des motifs religieux, de permettre à leurs filles de suivre des cours obligatoires de natation mixtes à l’école, la Cour précisa que « l’intérêt des enfants à une scolarisation complète permettant une intégration sociale réussie selon les mœurs et coutumes locales prime sur le souhait des parents de voir leurs filles exemptées des cours de natation mixtes »[73]. Elle ajoute que « l’intérêt de l’enseignement du sport n’est pas seulement pour les enfants de pratiquer une activité physique ou d’apprendre à nager – objectifs en soi légitimes –, mais davantage encore d’apprendre ensemble et de pratiquer cette activité en commun, en dehors de toute exception tirée de l’origine des enfants ou des convictions religieuses ou philosophiques de leurs parents »[74]. De même, elle a estimé à propos du refus d’aide spécialisée pour une enfant autiste à l’école que « la discrimination subie par la requérante est d’autant plus grave qu’elle a eu lieu dans le cadre de l’enseignement primaire, qui apporte les bases de l’instruction et de l’intégration sociale et les premières expériences de vivre ensemble – et qui est obligatoire dans la plupart des pays »[75]. Cette jurisprudence portant sur le vivre-ensemble illustre la manière dont les droits fondamentaux constituent un socle de la cohésion nationale. Leur caractère objectif – et pas seulement subjectif – en fait un facteur d’appartenance à une communauté humaine respectueuse des mêmes valeurs. Ici, le fait d’accorder des droits fondamentaux spécifiques aux minorités nationales comporte un double risque de fragmentation. Premièrement, cela conduirait à rendre moins lisibles les valeurs partagées en aboutissant à un catalogue de droits différenciés. Deuxièmement, ce processus conduirait inévitablement à mettre les droits en conflit. Cet aspect est déjà perceptible, par exemple, dans les tensions qui ont émergé récemment au sein du mouvement féministe sur la place des femmes transgenres lorsqu’une partie de ce mouvement a rejeté l’idée que l’on puisse considérer une femme autrement que sur un critère biologique. Cela témoigne du fait que les droits des minorités peuvent être des droits concurrentiels et que pour préserver le sentiment d’appartenance que nourrit notre catalogue commun de droits fondamentaux, il est nécessaire d’éviter un maximum la différenciation et la fragmentation. Il sera donc capital pour la cohésion nationale de privilégier le commun sur le spécifique.
2. Privilégier le commun sur le spécifique
Au-delà des arguments précédemment évoqués tenant à la concurrence potentielle entre les droits fondamentaux, quatre séries d’arguments complémentaires viennent soutenir l’idée que le souci d’inclusion ne doit pas conduire à une trop forte logique de différenciation juridique.
Premièrement, la cohésion nationale ne peut réellement être assurée que par la valorisation de ce qui est commun. Or, dans nos sociétés sécularisées, il n’existe plus de figures telles que la tradition, l’Église ou les croyances qui permettent de consolider la communauté nationale. Pour reprendre les mots d’Ernest Renan, après avoir « chassé de la politique les abstractions métaphysiques et théologiques. Que reste-t-il, après cela ? Il reste l’homme, ses désirs, ses besoins »[76]. C’est donc au droit d’assumer ce rôle et de dessiner les nouvelles figures intégratives. Le droit doit ainsi privilégier des éléments communs de reconnaissance.
Deuxièmement, une trop forte promotion de l’inclusivité ne doit pas conduire à essentialiser les individus, c’est-à-dire à les réduire aux caractéristiques du groupe auquel ils appartiennent. On ne saurait appréhender une personne que sous l’angle de ses caractéristiques ethniques, raciales, religieuses, sexuelles en opposant les personnes « racisées » aux « non-racisées », les personnes transgenres aux cisgenres, les femmes aux hommes, les valides aux handicapés, les hétérosexuels aux bisexuels ou homosexuels. Cela constituerait une régression démocratique et un danger pour la cohésion du corps social en contribuant à isoler « les membres des groupes minoritaires du reste de la population en refermant sur eux le piège identitaire, celui précisément de la discrimination dont on prétend les faire sortir en mettant en avant le critère au nom duquel ils sont discriminés »[77]. Les lignes directrices du ministère de l’éducation nationale pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire du 29 septembre 2021 mentionnent un élément central dans cette discussion. En effet, ces dernières précisent que l’école « se fonde sur les valeurs de la République et donc d’un universalisme qui définit chacun non par son identité, mais par sa dignité d’être humain »[78]. Cette précision est absolument fondamentale, car elle implique que la logique d’inclusion « à la française » ne poursuit pas l’objectif d’une reconnaissance de telle ou telle spécificité minoritaire et identitaire, mais, plus largement, la reconnaissance de la dignité de chaque être humain dans ce qu’il a de plus spécifique. Si la nuance peut apparaître subtile, elle est en réalité capitale, car elle situe la problématique sur le terrain de la dignité humaine et non sur celui de l’identité. L’inclusion est avant tout synonyme de respect de l’individu, de ses caractéristiques ethniques, cultuelles ou sexuelles, sans jamais réduire ce dernier à de telles caractéristiques. Cela permet de ne pas opposer majorité et minorités en valorisant le concept de dignité humaine.
Troisièmement, une valorisation trop importante des droits des groupes peut s’avérer dangereuse pour les membres du groupe eux-mêmes. En effet, les groupes minoritaires, qu’ils soient ethniques, culturels ou sexuels, ne sont pas homogènes. Or, pour pouvoir prétendre à un traitement différencié, ces derniers doivent présenter des revendications communes et donc une identité commune. Cela peut conduire à l’exercice de pressions très fortes exercées sur les membres du groupe qui ne partageraient pas toutes les caractéristiques dont se revendique le reste de la communauté concernée. L’historienne Martine Spensky évoquait très bien cette idée dans un article publié en 2001 aux Cahiers du genre : « le multiculturalisme à un quelconque droit des groupes sur les individus le composant est dangereux pour les membres les plus vulnérables du groupe, en particulier pour les femmes (…). Le droit des groupes renforce le pouvoir de sous-groupes dominants dans chaque culture et privilégie les interprétations les plus conservatrices de la culture, au détriment d’interprétations plus novatrices. De plus (…), la notion de droit des groupes part des prémisses selon lesquelles le groupe est un acteur singulier. Celui-ci aurait besoin de droits pour préserver sa tradition et défendre ses intérêts. L’identification de la tradition et des intérêts du groupe est une précondition à l’attribution de ces droits. Par conséquent les conflits existant à l’intérieur du groupe sont perçus comme menaçant la protection des droits du groupe. Ses leaders exercent donc une pression sur les individus afin que la communauté présente un front uni face à l’oppression externe »[79].
Enfin, quatrièmement, une promotion trop importante de l’inclusivité peut générer des tensions entre majorité et minorités. En effet, l’inclusivité implique nécessairement la mise en évidence d’une tension entre plusieurs groupes : le groupe majoritaire et les groupes minoritaires. L’outil est alors à manier avec précaution, car il peut générer une forme d’insécurité au sein du groupe majoritaire. L’inclusivité se révèlerait alors contre-productive en générant un risque plus important pour la cohésion du corps social. Gérard Bouchard expliquait en ce sens « qu’il arrive que la diversité représentée par les cultures minoritaires inspire au groupe majoritaire le sentiment plus ou moins aigu d’une menace non seulement pour ses droits, mais aussi pour ses valeurs, ses traditions, sa langue, sa mémoire et son identité. Ce sentiment peut se nourrir de divers motifs. Par exemple, en Angleterre, aux États-Unis et dans bien d’autres pays, l’élément terroriste est présentement une cause première de préoccupation. Au Québec, une source importante d’inquiétude tient au fait que la majorité culturelle francophone est elle-même une minorité fragile dans l’environnement nord-américain (elle y représente deux pour cent de la population). Souvent aussi, le malaise est alimenté par le fait d’une minorité ethnoculturelle démographiquement importante qui est perçue comme hostile aux valeurs et aux traditions du groupe majoritaire et comme réfractaire à l’intégration (ce qui peut arriver effectivement quand cette minorité craint elle-même pour ses valeurs et pour sa culture). Le malaise peut également naître du fait que, dans une nation donnée, la culture fondatrice vit une période d’instabilité ou traverse une crise quelconque. Quoi qu’il en soit, il s’ensuit que la dualité risque alors d’être vécue comme la conjugaison de deux insécurités puisque les groupes minoritaires, pour des raisons évidentes, nourrissent eux-mêmes un sentiment d’incertitude pour leur avenir »[80]. Ce phénomène est régulièrement perçu en France où le sentiment d’une culture en danger émerge tant dans les médias que dans les urnes. On se rappelle également les polémiques qui ont entouré l’usage de l’écriture inclusive[81]. De même, la valorisation de la diversité culturelle au Québec a généré de très fortes tensions et une hostilité grandissante à l’égard des politiques d’accommodements ce qui a justifié la mise en place de la Commission sur les pratiques d’accommodements. Le rapport de la Commission souligna « qu’une partie de la population réagit aux demandes d’accommodement comme si elle se sentait lésée par ce qu’elle perçoit comme des ‘‘privilèges’’ ou une atteinte aux valeurs québécoises fondamentales. Un sentiment de crise s’installe dans la population »[82]. La question est extrêmement délicate, car le juriste se trouve ici dans le domaine de l’émotion, du sentiment de dépossession et de la perception de la prise en compte de la diversité. Qu’on le regrette ou non, on ne peut que constater ce phénomène de crispation qui, comme le souligne Laurent Bouvet, « suscite généralement des réactions, d’autant plus vives que la crise sociale est aiguë, au sein de la ‘‘majorité’’. Celle-ci rassemble, de facto, tous les individus et les groupes sociaux qui ne sont pas concernés par les revendications minoritaires, et qui en viennent à estimer que trop de place leur est accordée politiquement, médiatiquement, etc., voire qu’ils sont victimes à leur tour d’une forme de discrimination à l’envers ou à rebours (reverse discrimination) de la part des pouvoirs publics notamment. Une telle réaction peut dès lors déboucher sur une crispation, elle-même de nature identitaire. On parle ainsi, en France, depuis quelques années de ‘‘petits Blancs’’ et de ‘‘Français de souche’’. D’un refus de reconnaître les préoccupations minoritaires, on passe alors au rejet pur et simple des revendications de ces minorités, voire à l’affirmation d’une identité ‘‘en contre’’, considérée comme oubliée ou niée, elle aussi, sur le même mode identitaire que le multiculturalisme »[83]. Ces développements nous conduisent à penser que la cohésion nationale ne peut passer que par la valorisation du commun et la découverte d’un équilibre, par nature fragile, entre cette valorisation et la promotion de la diversité et de l’inclusivité. Cette exigence ne provient ni d’une idéologie ni d’un tropisme, mais bien d’une observation des faits et de la nécessité de construire un cadre inclusif qui ne génèrerait pas ou peu de crispation majoritaire. Ce n’est qu’à ce prix que la cohésion nationale se trouvera renforcée et non pas fragilisée.
Conclusion
La cohésion nationale constitue nécessairement un objectif poursuivi par l’État démocratique dont la légitimité repose sur une nation née d’un désir de vivre ensemble. Mais ce désir est fragile, car il dépend du sentiment et des projections d’une communauté humaine qui oscillent toujours entre tradition et progrès en s’ouvrant à la diversité. Afin de raffermir la cohésion nationale, l’État devra prendre en compte cette diversité et faire en sorte que les personnes issues de groupes minoritaires se sentent parfaitement intégrées et qu’elles partagent l’ambition émancipatrice qu’offre la République. L’inclusivité est donc inhérente à la démocratie en permettant de poursuivre un objectif nécessaire et légitime de cohésion voire de performance à travers deux éléments caractéristiques. Le premier renvoie à une composante objective qui consiste à assurer l’effectivité du principe d’égalité ainsi que l’égalité des chances. Le second élément est une composante subjective qui tend à nourrir le sentiment d’appartenance à travers des mesures de visibilité et de prise en compte, parfois symbolique, de la diversité. C’est en cela que l’inclusivité englobe et dépasse les principes d’égalité et de non-discrimination.
Or, la tâche n’est pas facile et on oppose régulièrement le modèle multicultiraliste et le modèle républicain qui se montrerait aveugle aux aspérités identitaires. Mais, nous l’avons montré, cette vision est caricaturale. Ni la laïcité ni l’indivisibilité françaises ne conduisent à un aveuglement total de l’État même s’il encadre très strictement toute forme de différenciation juridique. De la même façon, les politiques publiques poursuivent de manière très importante l’objectif d’inclusivité, secondées par toute une série d’initiatives et de déclinaisons de droit souple qui viennent toucher le service public, sans remettre en cause ses principes d’égalité et de neutralité. Parfois, en découlent des mesures qui peuvent s’apparenter à une forme d’accommodement mais ces dernières ne sont jamais obligatoires et ne manifestent pas l’existence d’un droit individuel. Elles dépendent des contraintes matérielles du service public et de ce qui lui est possible de faire ou non. Il en va ainsi de l’observance des prescriptions alimentaires résultant des croyances et pratiques religieuses dans un cadre pénitentiaire ou encore de l’autorisation accordée à un élève transgenre d’accéder à des toilettes individuelles et à des espaces privés dans les vestiaires et au sein de l’internat ou encore d’utiliser les toilettes et vestiaires conformes à son identité de genre. Les pouvoirs publics marchent ici sur un fil, car les risques pour nos valeurs ou pour la cohésion du corps social ne sont pas négligeables. C’est précisément pour cette raison que l’inclusivité ne devrait pas conduire à la reconnaissance de droits spécifiques en faveur des minorités concernées. Cela conduirait à remettre en cause l’échelle des valeurs que constituent nos droits fondamentaux en y introduisant un facteur de concurrence. De même, cela non seulement génèrerait un risque de crispation majoritaire, mais enfermerait également les individus dans une identité assignée. Pour le reste, notre principe d’égalité permet déjà de combattre toutes les formes de discrimination sans avoir recours à la notion d’inclusion.
La question que pose l’inclusivité en démocratie est donc principalement une question d’équilibre, car on ne peut ni nier ses vertus ni ignorer ses dangers. Dans L’intégration républicaine, Habermas évoquait la recherche de cet entre-deux de la manière suivante : « Bien évidemment, la coexistence égalitaire entre différentes communautés, groupes linguistiques, confessions et formes de vie ne doit pas être assurée au prix d’une fragmentation de la société. Le processus douloureux du découpage ne doit pas cloisonner la société en une multiplicité de substructures qui se ferment hermétiquement les unes par rapport aux autres. D’un côté, la culture majoritaire doit renoncer à fusionner avec la culture politique générale, également partagée par tous les citoyens, afin d’éviter que les paramètres des discussions sur l’identité collective soient imposés par elle sous forme de diktat. Devenue simple partie, elle ne doit plus être la façade du tout, au risque de préjuger de la bonne procédure démocratique à suivre pour traiter de telles ou telles questions existentielles, importantes aux yeux de telles ou telles minorités. D’un autre côté, les forces d’engagement de la culture politique commune, laquelle devient d’autant plus abstraite qu’elle sert de dénominateur commun à un nombre important de subcultures, doivent rester assez puissantes pour empêcher la nation des citoyens de se désintégrer »[84].
Dans la recherche de cet équilibre, si le droit dur est toujours nécessaire à la lutte contre les discriminations, le droit souple apparaît comme un outil particulièrement adapté pour entretenir le sentiment d’appartenance par l’inclusivité[85]. En effet, ce « droit » ne tend pas à créer de véritables droits, mais à « modifier ou orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant leur adhésion »[86] comme par exemple le guide des bonnes pratiques pour recruter, accueillir et intégrer sans discriminer de 2022, le guide « Lutter contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ » du ministère de l’enseignement supérieur ou encore les lignes directrices pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire. Ce droit souple permet, non pas de générer une nouvelle loi du service public au sens traditionnel du terme, mais ce que l’on pourrait appeler une « loi de sensibilisation du service public ». Les directives, recommandations, lignes directrices permettent de faire du service public le principal acteur de l’inclusivité en faisant en sorte que les minorités qui en sont les usagers fassent quotidiennement l’expérience du sentiment d’appartenance. L’école occupe ici une grande importance et constitue le lieu privilégié de l’apprentissage du vivre ensemble. L’audiovisuel public est également en première ligne de ces exigences. Mais pour éviter les risques de crispation qui ont été évoqués, il est nécessaire que seul le service public soit tenu à cette exigence dans le respect de sa neutralité, c’est-à-dire que l’inclusivité ne fasse pas irruption dans les rapports interindividuels comme le montrent certaines législations étrangères, par exemple, en limitant la liberté d’expression artistique au nom de la représentation minoritaire où en censurant une œuvre qui véhiculerait des stéréotypes de genre. L’inclusivité doit absolument être recherchée, mais ne doit en aucun cas devenir une obsession épuratrice sans quoi elle aurait l’effet inverse de celui qu’elle recherche en entendant souder une communauté de destin. Ces mesures viseraient simplement « à articuler, sous l’arbitrage du droit, la tension entre continuité et diversité »[87] ce que, contrairement à une idée largement répandue, la République française parvient à accomplir. Une voie apparaît donc comme étant à la fois empruntable et empruntée afin de donner corps à une exigence d’inclusivité parfaitement compatible avec notre cadre républicain et démocratique.
[1] E. Renan, « Qu’est-ce qu’une nation ? », Conférence en Sorbonne, 11 mars 1882.
[2] Ibid.
[3] F. Boudreault, « Temps, démocratie et constitution : la dialectique de la stabilité et du changement », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1999/2 (Volume 43), p. 27.
[4] B. Bouquet, « L’inclusion : approche socio-sémantique », Érès, 2015/3 n° 11, p. 15.
[5] Dictionnaire Le Petit Robert de la langue française.
[6] B. Bouquet, « L’inclusion : approche socio-sémantique », op.cit, p. 19.
[7] A. Morales Hudon, Théorisations féministes d’une citoyenneté plurielle : paradoxes et tensions de l’inclusion des femmes, Thèse, Université du Québec à Montréal, 2007.
[8] E. Capus, Rapport d’information fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les entreprises adaptées, enregistré à la Présidence du Sénat le 5 octobre 2022.
[9] Dossier de presse de la Conférence nationale du handicap, février 2020, p. 17.
[10] Rapport du Sénat fait au nom de la mission d’information sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique, enregistré à la Présidence du Sénat le 17 septembre 2020.
[11] P. Demas, « Renforcer la cohésion numérique dans les territoires : 20 mesures pragmatiques et de bon sens », Rapport d’information fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat par la mission d’information sur les perspectives de la politique d’aménagement du territoire et de cohésion territoriale, sur le volet « renforcer l’inclusion numérique, indissociable de l’équité territoriale », enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mars 2022.
[12] CC, décision n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023, Association Handi-social et autre [Financement des fonds départementaux de compensation et plafonnement des frais restant à la charge des personnes handicapées].
[13] R. Sénac, « Des dilemmes de la pensée républicaine de l’égalité », in L’égalité sous conditions, 2015, p. 35.
[14] R. Sénac, « Théorie du genre, parité, diversité : la novlangue parle-t-elle politique ? », in L’égalité sous conditions, 2015, p. 83.
[15] P. Pettit, Républicanisme : une théorie de la liberté et du gouvernement, Gallimard, Paris, 1997.
[16] J-F Spritz, Philip Pettit, Le Républicanisme, Michalon, Paris, 2010, p. 65.
[17] M. Roca i Escoda, P. Delage, N. Chetcuti-Osorovitz, « Quand la critique féministe renouvelle le droit », Droit et société, 2018/2, n° 99, p. 277.
[18] C. Stychin, Law’s Desire: Sexuality And The Limits Of Justice, Routledge, 2013, p. 8.
[19] R. Sénac, L’invention de la diversité, Puf, 2012, p. 3.
[20] Assemblée nationale, Compte rendu intégral de la 2ème séance du 18 juillet 1960, p. 1981.
[21] Sénac R., « L’horizon républicain d’égalité à l’épreuve de la parité et de la diversité », in L’égalité sous conditions, 2015, p. 19.
[22] M. Heimbach-Steins, « L’exigence d’inclusion des droits de l’Homme et la position de l’Église à l’encontre des minorités sexuelles », Revue d’éthique et de théologie morale, 2022/HS n° Hors-série, p. 293.
[23] H. Kelsen, « Les fondations de la démocratie – Extraits sur la règle de majorité », Presses de Sciences Po « Raisons politiques », 2014/1, n° 53, p. 13.
[24] CourEDH, 20 juin 2017, Bayev et autres c. Russie, n° 67667/09, 44092/12 et 56717/12.
[25] V. sur cette question : R. Sénac, « Une égalité sous conditions de performance de la différence : une ruse de la raison néolibérale », in L’égalité sous conditions, 2015, pp. 139-188.
[26] S. Hamoudi, « L’apport économique des politiques de diversité à la performance de l’entreprise : le cas des jeunes diplômés d’origine étrangère », Étude du Conseil économique, social et environnemental, 8 octobre 2014, p. 6.
[27] Charte de l’égalité disponible en édition numérique : https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/charte_egalite.pd, p. 9.
[28] J. Malet-Vigneaux, « La RSE, outil de lutte contre la discrimination au travail ? », Juris tourisme 2023, n°259, p.36.
[29] A-M. Colmou, « L’encadrement supérieur de la fonction publique : vers l’égalité entre les hommes et les femmes », Rapport remis le 1er janvier 1999 au ministre de la fonction publique de la réforme de l’État et de la décentralisation.
[30] W. Van Doren, Z. Lonti, « Contribution au débat sur la mesure de la performance de la gouvernance », Revue française d’administration publique, 2010/3 n° 135, p. 520.
[31] F. Palazzo, « Prévention « culturelle » du terrorisme entre liberté et sécurité », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2022/2, n° 2, p. 231.
[32] Ibid., p. 232.
[33] La prise en compte de critères ethniques et culturels dans l’action publique, une approche comparée, Centre d’analyse stratégique, avril 2011, n° 220, p. 2.
[34] Plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ 2020-2023, p. 7.
[35] D. Versini, Rapport sur la diversité dans la fonction publique remis le 1er décembre 2004, ministère de la Fonction publique et de la Réforme de l’État.
[36] C. Downie, L’inclusion des personnes LGBTQ2+, Guide pratique pour des municipalités inclusives au Canada et ailleurs dans le monde, Document rédigé pour la Commission canadienne pour l’UNESCO (CCUNESCO), p. 6.
[37] Initiatives de la Cité interculturelle pour l’inclusion et l’égalité des personnes LGBTI, Note d’orientation politique, mai 2020, Conseil de l’Europe : https://rm.coe.int/note-d-orientation-politique-initiatives-de-la-cite-interculturelle-po/16809e8efd
[38] Lignes directrices du ministère de l’éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports à l’attention de l’ensemble des personnels de l’éducation nationale pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire, 29 septembre 2021. Texte adressé aux recteurs et rectrices de région académique ; aux recteurs et rectrices d’académie ; aux inspecteurs et inspectrices d’académie ; directeurs et directrices académiques des services de l’éducation nationale ; aux inspecteurs et inspectrices d’académie-inspecteurs et inspectrices pédagogiques régionaux ; aux inspecteurs et inspectrices de l’éducation nationale du premier degré ; aux inspecteurs et inspectrices de l’éducation nationale enseignement technique et enseignement général ; aux directeurs et directrices d’école ; aux cheffes et chefs d’établissement ; aux professeures et professeurs ; aux personnels administratifs, sociaux et de santé ; aux accompagnants d’élèves en situation de handicap.
[39] CE, 28 septembre 2022, n° 458403.
[40] Site officiel du ministère de la culture : https://www.culture.gouv.fr/Nous-connaitre/Organisation-du-ministere/Cycle-des-Hautes-Etudes-de-la-Culture-CHEC/Democratie-culturelle-catalogue-des-projets/Par-type-de-projet/Inclusion.
[41] F. Mairesse, « L’avenir des collections muséales », Juris tourisme, 2022, n° 258, p.24.
[42] Sur les fondements du principe d’accommodement raisonnable : V. M. Montpetit, S. Bernatchez, « Le principe d’accommodement raisonnable en matière religieuse », Revue du droit des religions, 2019, n°7, pp. 13-40.
[43] Cour suprême du Canada, 17 décembre 1985, Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, dossier n° 17328, [1985] 2 RCS 536.
[44] Cour suprême du Canada, 9 septembre 1999, Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, dossier n° 26274, [1999] 3 RCS 3.
[45] Sur tous ces exemples : V. G. Bouchard, C.Taylor, Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation, Rapport de la commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, 2008, p. 49. La note liminaire du rapport prend la précaution suivante : « Au lieu de nous conformer à la règle courante du masculin générique, nous nous sommes efforcés de recourir à des vocables ou à des expressions neutres qui se rapportent à la fois aux genres féminin et masculin. Cette règle a été appliquée là où c’était possible sans alourdir le texte ».
[46] Ibid., p. 49.
[47] CAA Paris, 19 févr. 2019, n° 17PA00273.
[48] CE, Ass., 14 avril 1995, Koen et Consistoire central des israélites de France, n° 157653, rec. Lebon p. 168.
[49] CE, avis, 28 juillet 2017, n° 408920.
[50] C’est ce que le Conseil d’État a mis en avant dans son célèbre arrêt Kherouaa du 2 novembre 1992 en estimant que si « dans les établissements scolaires le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses (…) cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuse, qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porterait atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative, compromettrait leur santé ou leur sécurité, perturberait le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin, troublerait l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public » : CE, 2 novembre 1992, M. Kherouaa et autres, Rec. Lebon, p. 389.
[51] CE, 21 juin 2022, n° 464648.
[52] Circulaire du 18 mai 2004 relative à la mise en œuvre de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
[53] CE, 11 décembre 2020, n° 426483.
[54] CE, 10 février 2016, n° 385929.
[55] P. Statham, R. Koopmans, « Multiculturalisme, citoyenneté et conflits culturels : le défi posé par les revendications des groupes musulmans en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas », in Les minorités ethniques dans l’Union européenne, 2005, p. 139.
[56] Loi confortant le respect des principes de la République : premier bilan et perspectives, un an après sa promulgation, ministère de l’intérieur et des outre-mer, p. 4.
[57] CAA Marseille, 21 mai 2019, n° 18MA04974.
[58] Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, Rapport adopté par l’assemblée générale plénière du Conseil d’État le jeudi 25 mars 2010.
[59] CC, décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France. V. sur cette décision : P. Avril, J. Gicquel, Note sous décision n° 93-325 DC, Pouvoirs, janvier 1994, n° 68, p. 166 ; P. Gaïa, « Droit d’asile et Constitution », Revue belge de droit constitutionnel, 1994, n° s.n ; L. Favoreu, Note sous décision n° 93-325 DC, RFDC, juillet-septembre 1993, n° 15, p. 583 ; B. Mathieu, M. Verpeaux, « Les étrangers en France : de la décision du Conseil constitutionnel au droit d’asile », LPA, 1994, n° s.n ; D. Alland, « Droit constitutionnel et droit international, droit d’asile », Revue générale de droit international public, 1994, n° s.n., p. 205 ; L. Burgorgue-Larsen, « La politique de l’asile au service de la réglementation des flux migratoires », La Gazette du Palais, 1994, n° s.n ; B. Genevois, « Le statut constitutionnel des étrangers », RFDA, 1993, n° s.n ; F. Luchaire, « Le droit d’asile et la révision de la Constitution », RDP, janvier-février 1994, n° 1, p. 5.
[60] CE, 2ème chambre, 9 novembre 2020, n° 436548.
[61] Une culture ouverte dans une République indivisible, les choix de l’intégration culturelle, Rapport annuel 2012 du Haut Conseil à l’intégration, La documentation française, 2013, p. 18
[62] E. Balibar, « Identité culturelle, identité nationale », Quaderni, 1994, n° 22, p. 54.
[63] CourEDH, 18 mars 2011, Lautsi et autres c/ Italie, req. n° 30814/06, Rec. CourEDH 2011.
[64] Redécouvrir le Préambule de la Constitution, Rapport au Président de la République du Comité de réflexion sur le préambule de la Constitution présidé par Simone Veil, 17 décembre 2008, p. 66.
[65] Ibid., p. 68.
[66] Ibid., p. 70.
[67] CC, décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social. V. not. : P. Avril, J. Gicquel, Note sous décision n° 86-207 DC, Pouvoirs, février 1987, n° 40, p. 178 ; L. Favoreu, Note sous décision n° 86-207 DC, RDP, mars-avril 1989, n° 2, p. 399 ; J. Rivéro, Note sous décision n° 86-207 DC, AJDA, 1986, n° s.n ; B. Genevois, « Le contrôle exercé sur les lois d’habilitation », AIJC, 1986, n° II-1986, p. 427.
[68] CC, décision n° 94-358 DC du 26 janvier 1995, Loi relative à l’aménagement et au développement du territoire. V. not. : B. Mathieu, M. Verpeaux, Note sous décision n° 94-358 DC, LPA, 1995, n° s.n., p. 8 ; F. Mélin-Soucramanien, « Contrôle par le Conseil constitutionnel de la conformité à la Constitution et du respect des principes fondamentaux de la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire », Recueil Dalloz, 1997, n° 17, p. 139 ; J. Trémeau, « Contrôle de la constitutionnalité de la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire », Recueil Dalloz, 1997, n° 15, p. 119 ; D. Rousseau, « La France de 2015. Une révolution par la loi ou par la Constitution. La constitutionnalité de la Loi Pasqua », Pouvoirs locaux : les cahiers de la décentralisation, 1994, n° s.n., p. 66 ; E. Oliva, « Contrôle par le Conseil constitutionnel de l’exercice du droit d’amendement lors de la procédure législative », Recueil Dalloz, 1997, n° 16, p. 125.
[69] CC, décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances. V. not. : S. Brondel, « Le Conseil constitutionnel valide la loi égalité des chances », AJDA, 2006, n° 7 ; J-E Schoettl, « La loi pour l’égalité des chances devant le Conseil constitutionnel (1ère partie) », LPA, 2006, n° s.n., p. 3 ; J-P Camby, « Le contrat première embauche et le Conseil constitutionnel (Observations sous CC n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, loi pour l’égalité des chances) », RDP, mai-juin 2006, n° 3, p. 769 ; J. Daleau, « Égalité des chances : la décision du Conseil constitutionnel et la loi », Recueil Dalloz, 2006, n° s.n., p. 941 ; B. Mathieu, « L’examen juridique de la constitutionnalité du contrat première embauche (A propos de la décision du Conseil constitutionnel du 30 mars 2006) », LPA, 2006, n° s.n., p. 4-11.
[70] Cité par R. Sénac, « Des dilemmes de la pensée républicaine de l’égalité », In L’égalité sous conditions, 2015, p. 35.
[71] CourEDH, gd.ch., 1er juillet 2014, S.A.S c/ France, req. n° 43835/11, point 141.
[72] Ibid. point 157.
[73] CourEDH, 10 janvier 2017, Osmanoğlu et Kocabaş c/ Suisse, req. n° 29086/12, point 97.
[74] Ibid. point 100.
[75] CouEDH, 10 septembre 2020, G.L. c. Italie, n° 59751/15, point 71.
[76] E. Renan, « Qu’est-ce qu’une nation ? », op.cit.
[77] L. Bouvet, « Pour un républicanisme de « commun » », Le Débat, 2015/4, n°186, p. 163.
[78] Lignes directrices du ministère de l’éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports à l’attention de l’ensemble des personnels de l’éducation nationale pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire, 29 septembre 2021.
[79] M. Spensky, « Citoyenneté : droits des individus et droits des groupes », Cahiers du genre, 2001/1, n° 30, p. 248.
[80] G. Bouchard, « Qu’est-ce que l’interculturalisme ? », McGill Law Journal, vol. 56, n° 2, févier 2011, p. 406.
[81] V. Sur cette question : F. Rastier, « Écriture inclusive et exclusion de la culture », Cités, 2020/2, n° 82, p. 137.
[82] G. Bouchard, C.Taylor, Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation, Rapport de la commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, op.cit., p. 53.
[83] L. Bouvet, « Pour un républicanisme de « commun » », op.cit., p. 159
[84] J. Habermas, L’intégration républicaine. Essai de théorie politique, Pluriel, 2014, p. 195.
[85] Pour une critique du droit souple : V. A.M Le Pourhiet, « La soft law est-elle compatible avec la démocratie ? », Association des Anciens Élèves de l’École Nationale d’Administration, L’ENA hors les murs, 2021/2, n° 503, p. 20.
[86] Le droit souple, Étude annuelle 2013 du Conseil d’État, p. 9.
[87] G. Bouchard, « Qu’est-ce que l’interculturalisme ? », op.cit., p. 406.