L’annexion du Groenland par Donald
Polæmiq Vykthør, Visiting Professor, Groville University, Chercheur associé, Laboratoire MDR (Mondialisation, disruption et résilience) 1
Nouvelle inouïe (et même Inuit), digne du Gorafi ou du JT parodique de la bande à Moustic sur Canal +, mais rapportée par une gazette d’ordinaire moins drôle, le Wall Street Journal : un palmipède yankee qu’on ne présente plus aurait prétendu au cours du dernier été – dont les fraîches températures ont cloué le bec aux crispés du thermomètre, victimes de désinformation (« The concept of global warming was created by and for the Chinese in order to make U.S. manufacturing non-competitive ») – vouloir acquérir un vaste territoire arctique où il faisait jusqu’ici un froid de canard : le Groenland, l’une des plus grandes îles du monde, qui dépend du petit royaume du Danemark mais bénéficie d’un statut d’autonomie. Parvenu à d’éminentes responsabilités dans des circonstances mal élucidées, cet ancien magnat de l’immobilier a cru devoir ajouter sur les réseaux sociaux qu’il ne comptait pas construire des gratte-ciels sur la banquise (sacré farceur ! Pour l’humour BTP, Donald n’est pas manchot).
Réponse négative et glaciale des représentants du pays de la Reine des neiges, qui se méfient visiblement des offres trumpeuses façon Picsou, voire Rapetou. Trouvant très « méchant » que la première ministre danoise ait l’outrecuidance de juger sa proposition « absurde », le canard déconfit a illico annulé une visite officielle prévue début septembre à Copenhague (chez la Petite Sirène, autre star de la maison Disney) : phoque you !
Cet épisode estival est instructif, même si les contraintes du touït – forme contemporaine du morse – n’ont pas permis à l’auteur de développer pleinement une pensée dont nul n’ignore la subtilité (ainsi diverses interrogations subsistaient-elles, par exemple à propos de l’exercice du droit à l’autodétermination des populations – environ 56.000 personnes – qui croupissent du côté d’Avannaata ou de Sermersooq en mâchouillant du kiviak et en cuvant des alcools forts). Deux édifiantes leçons, au moins, peuvent en être tirées.
Une floppée de brillants théoriciens avai[en]t entendu découpler depuis quelques siècles la propriété et la souveraineté. En moins de 140 signes, les voici expédiés au terminus des prétentieux. Comme à l’époque où la Louisiane, puis la Floride, l’Alaska et d’autres territoires plus exigus furent acquis pour quelques poignées de dollars (certains ayant été vendus aux Etats-Unis par le Danemark, telles les îles Vierges en 1917), tout peut s’acheter et la domination politique procéder d’une opération immobilière rondement menée. Ça se passe comme ça chez l’oncle Donald, dont le pays cherche à renforcer sa mainmise sur une arrière-cour boréale – le Groenland figure dans la sphère sécuritaire US depuis les années 1820 (doctrine Monroe) – où d’autres grandes puissances, en particulier la Chine, essaient actuellement de prendre pied.
A sa façon rustique, le roi du Monopoly radicalise – sans crainte de se ridiculiser, car il ose tout et surnage dans un au-delà nietzschéen – la pratique en vogue du Land Grabbing (politique d’accaparement des terres). L’on passerait avec son OPA polaire – déjà tentée, en y mettant plus de formes, par certains de ses prédécesseurs (comme Truman) – des baux de long terme fréquemment utilisés aujourd’hui (notamment en Afrique, où des millions d’hectares sont mis en coupe réglée par les Etats du Golfe persique ou – toujours elle – la Chine) à l’acquisition pure et dure suivie d’une intégration territoriale (avec une 51e étoile sur la Star-Spangled Banner). Et il ne s’agirait plus tant de sécurité alimentaire, sauf à transformer les derniers ours blancs en burgers, que stratégique ou énergétique (car si l’Empire possède déjà une grosse base militaire à Thulé, il se verrait bien développer alentour de nouvelles installations pour sa « guerre des étoiles » ; le sous-sol du Groenland regorge d’hydrocarbures et de « terres rares », qu’une fonte des glaces – sans rapport avec le prétendu réchauffement climatique – pourrait assez vite mettre à portée de pioche). Preuve qu’on peut être complètement à l’Ouest sans perdre le Nord.
Notes:
- Traduction de Philippe Yolka ↩