Et si les droits de l’homme étaient pris en compte dans le contrat ?
Muriel Fabre-Magnan, Professeure à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
La stimulante formulation du sujet proposée par les auteurs du colloque est particulièrement large, et propice à une réflexion ouverte.
Le civiliste perçoit pourtant une difficulté immédiate : les droits de l’homme sont en effet déjà pris en compte dans le contrat. Un collègue, s’interrogeant récemment sur la constitutionnalisation du droit civil des contrats, concluait ainsi[1] : « en définitive, s’il est exact d’affirmer que le Conseil constitutionnel a développé une jurisprudence en matière contractuelle, on doit immédiatement ajouter que cette œuvre prétorienne est restée sans conséquence sur le droit civil des contrats, le Conseil s’étant contenté de « constitutionnaliser » certains des principes les mieux acquis de la matière » ; il ajoutait : « la jurisprudence constitutionnelle n’a exercé aucune influence sur le contenu et l’application quotidienne des multiples règles qui gouvernent la vie des contrats civils », l’introduction de la QPC n’ayant rien changé à cet état de fait[2].
La question n’est cependant pas pour autant dénuée de sens, et les droits de l’homme pourraient utilement être pris en compte dans le contrat. Il s’agit alors, prenant au sérieux la question posée, de se demander ce qui manque. La question se divise en plusieurs. Quels droits de l’homme ? Quelle prise en compte dans le contrat ? Et enfin – car le juriste ne doit pas rester dans l’utopie ou l’uchronie, mais au contraire s’efforcer de faire advenir un peu de justice dans le réel – qui pour réaliser ces droits ?
I. Quels droits de l’homme ?
En droit des contrats, la notion de droits de l’homme semble de prime abord[3] renvoyer aux droits fondamentaux, et même plus précisément encore, car cette dernière notion est tout aussi flottante[4], au sens formel de droits de la personne à valeur supra-législative et s’imposant dès lors tant au législateur qu’aux juges[5].
En réalité, comme l’a très bien montré Patrick Wachsmann[6], le législateur et même les juges peuvent être également garants des droits fondamentaux. Ils peuvent en effet qualifier de fondamentaux des droits ou libertés en raison de leur contenu substantiel plus que de leur place dans la hiérarchie des normes[7]. Le droit des contrats en fournit un très bon exemple, et nous aurons l’occasion de voir le rôle crucial que peuvent y jouer le législateur et le juge, qui ne s’appuient pas toujours sur des normes formellement supérieures pour dégager des droits et devoirs fondamentaux (par exemple le droit à l’information ou encore le principe de bonne foi).
Il n’est cependant pas inutile de commencer par un bilan des normes à valeur supra-législative, afin d’apprécier si elles pourraient servir de support à de nouvelles interprétations et à l’introduction de nouveaux droits de l’homme en matière de contrats.
S’agissant des principes à valeur constitutionnelle, il est permis d’être moins indulgente que notre collègue précité, et de considérer que Conseil constitutionnel n’a pas été neutre mais a fait au contraire un certain tort au droit des contrats. Les civilistes ont certes leur part de responsabilité, qui n’ont eu de cesse d’appeler de leurs vœux la constitutionnalisation du principe de liberté contractuelle sans en percevoir les dangers (les publicistes cultivés sont plus lucides[8]). Le grand juriste anglais Atiyah avait pourtant montré, dans son maître ouvrage de 1979 sur la liberté contractuelle[9], comment, historiquement, c’est le déclin de ce principe qui avait rendu possibles les premières avancées sociales et consuméristes. Il a fallu pour cela, aux États-Unis, que soit mis fin à l’ère dite « Lochner », du nom du célèbre arrêt de 1905 ayant censuré, au nom de la liberté contractuelle, une loi voulant limiter le temps de travail des salariés. Les récentes décisions du Conseil constitutionnel marquent à cet égard un retour à une conception plus libérale et plus favorable aux parties fortes[10].
Pour le reste, il est vrai que, comme l’avait dit Olivier Beaud, « à la différence de ce qui se passe en Allemagne, la constitutionnalisation du droit privé est beaucoup moins marquée en France »[11]. Il concluait au demeurant qu’il n’est « pas du tout certain que ce soit la notion de Constitution qui soit l’élément le plus adapté pour opérer cette opération d’horizontalisation des droits, ou d’extension des droits fondamentaux au domaine des rapports “privés”, des rapports entre particuliers »[12].
Ce n’est pas à dire pour autant que les principes constitutionnels n’aient pas eu d’influence sur la jurisprudence judiciaire[13]. Ainsi, avant même 1971 et la constitutionnalisation du préambule de la Constitution de 1958, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait procédé à une application directe de la Constitution en jugeant que « l’affirmation solennelle par les Constituants du droit de grève, lequel est devenu une modalité de la défense des intérêts professionnels, ne peut logiquement se concilier avec la rupture du contrat de travail qui résulterait de l’exercice de ce droit »[14]. Depuis cette importante date, elle a encore jugé qu’« ayant pour effet d’apporter une restriction au principe de la liberté du commerce et de l’industrie, posé par l’article 7 de la loi des 2-17 mars 1791, et à la liberté du travail garantie par la Constitution, la clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail n’est licite que dans la mesure où la restriction de liberté qu’elle entraîne est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise »[15].
Si la question est celle de l’effet horizontal des droits fondamentaux dans les contrats, c’est-à-dire dans les rapports entre les personnes privées (question certes indissolublement liée à celle de la garantie de ces mêmes droits fondamentaux par les différentes institutions publiques), l’outil constitutionnel – massif et imposant – s’est rapidement vu distancié par l’arme – maniable et pleine de ressources – tirée de l’applicabilité directe de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est ainsi que, dans de très nombreuses décisions, la Cour de cassation a admis que soient écartées des clauses contractuelles portant atteinte à des droits et libertés garantis par ce texte.
Tout le monde connaît ainsi l’arrêt du 6 mars 1996, dans lequel la Cour de cassation a jugé que les clauses d’un bail d’habitation ne peuvent avoir pour effet de priver le preneur de la possibilité d’héberger ses proches (en l’espèce le père de ses enfants ou sa sœur)[16]. La haute Juridiction a également affirmé, à propos des clauses de mobilité obligeant les salariés à accepter conventionnellement une certaine mobilité géographique, que, toujours selon l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoyant le droit au respect de son domicile, « le libre choix du domicile personnel et familial est l’un des attributs de ce droit ; qu’une restriction à cette liberté par l’employeur n’est valable qu’à la condition d’être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée, compte tenu de l’emploi occupé et du travail demandé, au but recherché[17] ». De même encore, elle a censuré la Cour d’appel qui, faisant application du règlement d’urbanisme, avait fait droit à la demande de la commune que soient enlevés des cabanons de jardin et plusieurs caravanes installés illicitement sur un terrain privé ; selon la haute juridiction, les juges du fond auraient dû rechercher « si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des consorts X… »[18].
D’autres fondements que l’article 8 sur le droit au respect de la vie privée et familiale ont été invoqués. Ainsi, la Cour de cassation a admis que le droit à un procès équitable protégé par l’article 6 puisse être utilisé pour interroger la validité d’une clause pénale portant une atteinte excessive au droit d’agir en justice[19]. Dans une affaire plus récente, elle a visé l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté d’association) pour reprocher à la Cour d’appel d’avoir prononcé la résiliation d’un contrat de franchise au motif que le franchisé avait adhéré à une association de défense pour se protéger contre leur franchiseur commun, sans avoir établi « en quoi le seul fait de créer et participer à une association de défense des intérêts des franchisés, constitutif d’une liberté fondamentale, caractérisait une atteinte du franchisé à l’image de marque du réseau ou un manquement affectant gravement les intérêts du franchiseur »[20]. Il est intéressant de noter que, dans cette même décision, la Cour de cassation vise dans un autre attendu « le principe de la liberté du commerce et de l’industrie », donc cette fois-ci un principe à valeur constitutionnelle, pour reprocher à la même Cour d’appel d’avoir omis de rechercher si la clause de non concurrence ne portait pas une atteinte excessive à la liberté du travail[21].
En revanche la Cour de cassation a jugé, en visant les articles 9-1 et 9-2 de la Convention, que « les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs n’entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique »[22]. Dans le même sens, elle a énoncé que la liberté religieuse, bien que fondamentale, ne pouvait avoir pour effet de rendre licites les violations des dispositions d’un règlement de copropriété (en l’espèce la construction pour une semaine d’une cabane sur leur balcon par des copropriétaires à l’occasion de la fête juive dite des cabanes)[23].
Une évolution pourrait encore se produire dans la mesure où la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les droits de créance étant des biens au sens de l’article 1er du protocole no 1 consacrant le droit au respect des biens[24], ils doivent être protégés contre des ingérences étatiques excessives. La Cour invite alors à un rééquilibrage des contrats sur le fondement de l’art. 1er du protocole n° 1, par exemple en censurant un dispositif de contrôle et de limitation des loyers excessif[25].
En définitive, même si l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats ne fait, contrairement à certains projets antérieurs, aucune référence aux droits fondamentaux (le nouvel article 1102 du Code civil réaffirme le principe de liberté contractuelle et n’y met comme seule limite que les règles qui intéressent l’ordre public[26]), il est acquis que les juges ont tous les outils nécessaires pour apprécier et sanctionner la non conformité du contrat conclu aux droits et libertés fondamentales.
Que manque-t-il alors ?
La Cour européenne des droits de l’homme (et donc la Cour de cassation) s’est concentrée sur les droits civils et politiques, et même plutôt sur les droits civils, et même plutôt encore sur les droits en matière de vie privée et familiale (découlant de l’article 8 de la Convention). On ne peut certes le lui reprocher, dans la mesure où l’objet même de la Convention est de protéger ce type de droits (d’autant qu’elle a parfois essayé de faire quelques incursions audacieuses dans d’autres domaines).
Il manque ainsi, de façon patente, une protection des droits économiques et sociaux – droits fondamentaux des travailleurs et aussi des sans emploi – ou encore droits fondamentaux des consommateurs, dans un marché où les produits sont aujourd’hui trop souvent conçus ou programmés pour être obsolètes ou hors d’usage après un temps de plus en plus réduit.
Il manque aussi des droits environnementaux, qui sont au demeurant pour l’essentiel des droits de l’homme à vivre dans un environnement sain, où la biodiversité est garantie, et encore dans un monde où les animaux ne sont pas traités avec cruauté.
Tous ces droits sont pourtant reconnus au niveau constitutionnel, dans le préambule de la Constitution de 1946 ou encore dans la Charte de l’environnement de 2004. Ils sont également protégés au niveau européen : la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 contient comme on le sait de très nombreux droits économiques et sociaux, et affirme la nécessité d’une protection de l’environnement et des consommateurs.
En définitive, bien que la doctrine persiste parfois à nier la justiciabilité des droits sociaux[27] ou environnementaux, alors même que nombre d’entre eux ont en réalité la même structure que les droits dits de la première génération[28], le réservoir est présent, qui serait à la disposition de juges courageux et consciencieux.
II. Quelle prise en compte dans le contrat ?
En se fondant sur les droits et libertés protégés par la Constitution, et surtout par la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation a pu veiller à ce que soient invalidées et réputées non écrites des clauses qui y portaient atteinte. Ce rôle est pour l’instant le seul que les droits fondamentaux soient amenés à jouer en droit des contrats. D’autres pistes seraient possibles.
A. Une limite à la liberté contractuelle
Les différents projets de réforme du Code civil qui ont tenté d’introduire les droits fondamentaux en droit commun des contrats envisageaient le nécessaire respect des droits de l’homme uniquement comme une limite à la liberté contractuelle, et même plus précisément encore comme une limite au libre contenu du contrat.
C’est ce que prévoyaient par exemple l’avant-projet Catala[29], l’avant-projet Terré[30], ou encore l’avant-projet de réforme du droit des contrats du 23 octobre 2013. Selon ce dernier texte par exemple, « la liberté contractuelle ne permet pas […] de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux reconnus dans un texte applicable aux relations entre personnes privées, à moins que cette atteinte soit indispensable à la protection d’intérêts légitimes et proportionnée au but recherché ».
C’est en ce sens aussi que la doctrine envisage les rapports entre les contrats et les droits fondamentaux[31]. Ces derniers permettent de limiter les atteintes aux libertés individuelles par contrat[32], même si le fait qu’ils soient fondamentaux n’empêche pas nécessairement qu’on puisse y renoncer[33].
Si l’application directe de la Convention européenne des droits de l’homme suffit, comme nous l’avons expliqué, à assurer techniquement ce résultat, il aurait cependant été symbolique que l’ordonnance de réforme du droit des contrats du 10 février 2016 reconnût expressément le rôle et la portée des droits fondamentaux. Craignant de faire peur aux entreprises[34], réticentes à tout nouveau pouvoir accordé aux juges pour interférer dans leurs contrats, le gouvernement français y a toutefois renoncé.
En droit du travail, la référence aux droits et libertés individuelles est plus ancienne ; elle est apparue dans l’une des lois Auroux du 4 août 1982, avec la limitation du contenu possible du règlement intérieur des entreprises. Le droit du travail est ainsi également un exemple patent de ce que la protection de libertés et droits fondamentaux peut être assurée par le législateur lui-même.
Le rôle des droits fondamentaux est aussi, en cette matière, un peu plus étendu. Selon le célèbre article L. 1121-1 du Code du travail, « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Cet article s’applique ainsi à tous les acteurs de l’entreprise, et conduit à condamner sur ce fondement aussi bien des actes unilatéraux que des clauses contractuelles ou conventionnelles[35]. Plus généralement, il est possible de demander l’annulation des actes de toute nature portant atteinte aux droits ou libertés fondamentales, avec les conséquences indemnitaires qui en découlent : des clauses contractuelles, mais aussi des sanctions, des licenciements, ou encore des ruptures de contrats à durée déterminée[36].
Il serait en réalité opportun, en droit commun des contrats, d’aller plus loin encore, et de ne pas se contenter d’affirmer et de garantir que les clauses contractuelles, ou même d’autres actes unilatéraux ou collectifs, ne portent pas atteinte à des droits fondamentaux. En d’autres termes il ne suffit pas de veiller à ce que la formation du contrat soit soumise à un contrôle au regard des droits fondamentaux.
Il faudrait prendre également en considération l’exécution du contrat, qui demeure aujourd’hui encore un des angles morts du droit des contrats.
Actuellement, en droit commun des contrats, le contrat est considéré comme exécuté dès lors que la prestation promise est fournie. Le reste est laissé hors champ de l’accord des parties (et donc du droit de l’exécution), et notamment tout ce qui concerne les modalités de fabrication et de production de la prestation promise. Seules les conditions de la résiliation du contrat pour inexécution ont fait l’objet de droits fondamentaux précisés par le Conseil constitutionnel[37].
Le droit des contrats devrait pourtant veiller à ce que le processus d’exécution du contrat se fasse dans des conditions respectueuses des droits fondamentaux susvisés, en particulier des droits économiques, sociaux et environnementaux[38]. Il ne s’agit pas seulement de contrôler les obligations souscrites par les parties, mais aussi faire peser sur ces dernières de nouvelles obligations : des obligations d’information mais aussi, plus directement encore, des obligations de respecter les droits sociaux et environnementaux.
B. Des obligations d’information.
Ainsi qu’il a été proposé par la doctrine, le législateur pourrait prévoir un droit d’accès aux informations sociales et environnementales détenues par les entreprises[39], ce qui permettrait aux citoyens d’exercer des choix éclairés et aussi d’inciter les entreprises à de meilleurs comportements[40].
L’ordonnance du 14 mars 2016 reprenant la partie législative du Code français de la consommation fait un premier pas en ce sens, et il pourrait servir de modèle pour le droit commun des contrats. Selon le nouvel article L. 113‑1 de ce Code, « le fabricant, le producteur ou le distributeur d’un bien commercialisé en France transmet au consommateur qui en fait la demande et qui a connaissance d’éléments sérieux mettant en doute le fait que ce bien a été fabriqué dans des conditions respectueuses des conventions internationales relatives aux droits humains fondamentaux, toute information dont il dispose portant sur un des éléments ci-après : origine géographique des matériaux et composants utilisés dans la fabrication, contrôles de qualité et audits, organisation de la chaîne de production et identité, implantation géographique et qualités du fabricant, de ses sous-traitants et fournisseurs »[41].
On sait l’importance de l’information dans le monde connecté d’aujourd’hui, où les réseaux sociaux et les applications permettent d’exercer des pressions relativement fortes sur les pratiques commerciales.
Le droit des contrats pourrait cependant aller plus loin encore et imposer directement des obligations de respecter les droits sociaux et environnementaux.
C. Des obligations de respecter les droits sociaux et environnementaux.
Les entreprises elles-mêmes prennent parfois des engagements spontanés à cet égard, notamment dans le cadre de ce qu’on appelle la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Le respect des droits de l’homme et des droits fondamentaux en matière sociale et environnementale ne peut cependant être laissé au seul bon vouloir de ces entreprises. La prétention des entreprises à n’être engagées que si elles le veulent bien peut être qualifiée d’engagement « potestatif » (« je suis engagé si je veux »), ce qui – les juristes de droit des contrats le savent bien – est tout sauf un engagement. Le qualificatif technique n’est cependant pas opportun, qui conduirait à l’inverse de l’effet recherché, à savoir annuler l’engagement au lieu de forcer à son exécution. Le droit des contrats pourrait néanmoins aisément être utilisé pour « durcir » un peu ce droit « mou », c’est-à-dire pour rendre juridiquement exécutoires des promesses faites par les entreprises alors même qu’elles n’ont aucune intention de les respecter[42].
Il faudrait, pour ne pas dépendre du seul bon vouloir des entreprises, opérer, selon l’expression célèbre de Josserand, un « forçage » du contrat.
Le nouvel article 1194 du Code civil pourrait servir de porte d’entrée pour l’introduction des droits de l’homme dans le contrat et, plus précisément, pour la reconnaissance d’obligations des entreprises relatives aux conditions sociales et environnementales de production des biens et des services qu’elles fournissent.
Le texte reprend à peu de choses près l’ancien célèbre article 1135 et dispose que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi ».
Les obligations classiquement découvertes sur la base de ce texte sont aujourd’hui bien ancrées en droit français, et elles se sont même émancipées de ce texte fondateur. Les obligations d’information ont ainsi trouvé leur consécration et leur autonomie avec l’ordonnance de 2016. Quant aux obligations de sécurité, le projet de réforme du droit de la responsabilité civile envisage de les faire sortir du contrat pour les sanctionner sur le fondement de la seule responsabilité délictuelle.
Le filon des obligations implicites n’est cependant pas pour autant épuisé.
Les plaideurs pourraient soutenir que, aujourd’hui, toute obligation de produire un bien ou un service oblige, par une suite naturelle de l’obligation, à y procéder dans des conditions qui ne portent atteinte ni aux droits de l’homme ni à l’environnement. Dans le monde contemporain, ces exigences sont en effet des obligations accessoires que l’usage et l’équité donnent nécessairement à l’objet principal d’un contrat de production de biens ou de services au sens de l’article 1194 précité. Les personnes pourraient dès lors se plaindre si elles pensaient légitimement avoir acheté un produit « éthique » d’un point de vue social et environnemental et que ce n’est pas le cas.
La Cour de cassation pourrait d’autant plus procéder à cette affirmation que, en matière environnementale, le Conseil constitutionnel a décidé que la Charte de l’environnement de 2004 est susceptible d’une application dans les rapports privés. Dans une décision QPC du 8 avril 2011[43], il a en effet énoncé « que les articles 1er et 2 de la Charte de l’environnement disposent : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. – Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement » ; que le respect des droits et devoirs énoncés en termes généraux par ces articles s’impose non seulement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif mais également à l’ensemble des personnes ; qu’il résulte de ces dispositions que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité ».
La même formulation a été reprise mot pour mot dans la récente décision du 16 mai 2019 relative à la loi Pacte[44]. Celle-ci impose au demeurant désormais aux entreprises de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité[45]. Le respect des droits sociaux et environnementaux demeure ainsi un impératif au stade de l’exécution de l’objet social et de la vie de la société.
L’application horizontale des droits constitutionnels économiques et sociaux est également possible et a déjà été reconnue (par exemple comme on l’a vu en matière de droit de grève). Les juges pourraient alors consacrer d’autres droits fondamentaux dans le contrat, comme des suites nécessaires des obligations souscrites : par exemple encore le droit à un produit durable[46], qui permettrait de se prémunir contre des fabricants modifiant à cadence régulière voire accélérée les composants ou caractéristiques de leurs produits, les rendant désormais inutilisables, notamment en raison de leur incompatibilité avec d’anciens appareils.
III. Qui pour réaliser ces droits ?
Il faut, cette fois-ci, changer légèrement le sujet proposé par les organisateurs, et sortir tout à la fois de l’uchronie et de l’utopie. Le juriste n’a pas à réécrire l’histoire, et il peut faire mieux que représenter ce que serait une société idéale : il peut faire en sorte qu’un peu plus de justice advienne.
La doctrine propose, mais il faut ensuite un relais institutionnel pour en disposer. Qui peut le faire ?
Le Conseil constitutionnel ? Il aurait, comme nous l’avons vu, de nombreux outils à sa disposition, du préambule de la Constitution de 1946 à la Charte de l’environnement de 2004, en passant par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[47] (que l’Autriche a, par une décision du 14 mars 2012, intégrée dans les éléments au regard desquels exercer le contrôle de constitutionnalité[48]). Il faut lui donner acte de sa décision précitée du 8 avril 2011 mais, pour le reste, lorsque l’on voit ses dernières décisions sur la liberté contractuelle, sur le devoir de vigilance, et plus largement le retournement qu’il a opéré du principe de responsabilité en faveur des auteurs de dommages[49], il est permis d’être sceptique (pour ne pas parler des dernières nominations qui n’accroissent pas le nombre des juristes compétents dans cette haute assemblée).
La Cour européenne des droits de l’homme ? On ne peut pour une fois lui faire grief de son abstention dès lors qu’elle n’a guère les outils, parmi les droits civils et politiques protégés par la Convention, pour procéder à un contrôle de l’exécution des contrats au regard des droits sociaux et environnementaux. Quelques articles, par exemple l’article 6 et le droit d’accès à un juge, pourraient cependant servir de porte d’entrée à une responsabilisation des auteurs de dommages causés aux droits de l’homme ou à l’environnement à l’occasion de l’exécution d’un contrat.
La Cour de justice de l’Union européenne ? La Charte des droits fondamentaux de l’UE serait un formidable outil si les institutions européennes, et en particulier la Cour de Justice, ne s’étaient pas acharnées à la rendre inoffensive. Certes, comme l’a montré un auteur, dans les Fédérations (par exemple aux États-Unis, en Suisse, ou encore en Allemagne), il n’est pas certain que l’élaboration et le développement d’une charte centralisée des droits au niveau fédéral soit toujours la meilleure protection pour les individus, qui sont alors privés de l’effet créatif émulateur des différents États fédérés[50]. La situation de l’Union européenne est cependant un peu différente, et les juridictions des États membres pourraient s’emparer de ce texte pour en proposer des interprétations novatrices propres qui pourraient ensuite avoir un effet d’entraînement sur les autres.
Le législateur de droit des contrats ? Les débats autour de la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance de 2016 de réforme du droit des contrats ont montré que la protection des parties faibles n’était pas son principal objectif. On peut se féliciter, rétrospectivement, et malgré les doutes qui avaient pu être émis à l’origine, de ce que ce soit la chancellerie qui ait élaboré l’essentiel du texte. La loi de ratification n’a fort heureusement pas rompu l’équilibre trouvé par l’ordonnance, mais elle aura néanmoins déplacé le curseur du côté des parties fortes, en exonérant les personnes morales des déjà maigres dispositions sur les conflits d’intérêt, ou encore en exemptant les contrats financiers des nouvelles règles sur l’imprévision.
Si le législateur s’avisait un jour d’introduire une disposition sur les droits fondamentaux dans le Code civil, il faudrait qu’il la rédige de façon bien plus large que ce qu’avait proposé la doctrine. Ces droits ne doivent pas seulement être conçus comme une limite à la liberté contractuelle, et en particulier l’exécution du contrat doit également être soumise à ces impératifs. Cela pourrait donner quelque chose comme ce qui est prévu pour la bonne foi[51], à savoir un principe général qui imprègne tout le droit des contrats : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés dans le respect des droits et libertés fondamentaux. Nul ne peut y porter une atteinte qui ne serait pas indispensable à la protection d’intérêts légitimes et proportionnée au but recherché ».
Le juge de droit des contrats ? Confrontés aux injustices de la vie ordinaire, les juges ont su, jusque là, innover et faire preuve d’audace, que ce soit la Cour de cassation ou les juges du fond. L’ordonnance du 10 février 2016 a au demeurant intégré la plupart de ces innovations, par exemple la notion de violence économique, ou encore la sanction des clauses portant atteinte à la substance d’une obligation essentielle. Il y a maintes façons de faire prévaloir les droits fondamentaux : ainsi par exemple, les juges peuvent imposer le respect des droits fondamentaux des salariés en requalifiant la relation de contrat de travail bien que les parties aient choisi une autre dénomination[52].
La Cour de cassation pourrait aller plus loin encore, et nous avons suggéré plus haut quelques nouvelles interprétations possibles. Un jour d’humeur audacieuse, elle pourrait même décider, puisque les institutions de l’Union européenne ne le font pas, de prendre quant à elle au sérieux l’article 6 du Traité sur l’Union Européenne. Celui-ci affirme en effet que l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, et surtout que celle-ci « a la même valeur juridique que les traités ». Prenant au mot cet énoncé, elle pourrait décider que la Charte est, comme le traité, d’applicabilité directe dans les droits des États membres, malgré les dispositions contradictoires ayant circonscrit son effectivité au contrôle du droit de l’Union.
L’époque est à une perte de confiance dans les institutions, et il ne faut alors pas s’étonner si les citoyens tentent de faire feu de tout bois pour essayer de faire valoir le respect de droits sociaux et environnementaux.
C’est ainsi qu’on voit prospérer, en France et dans le monde, des actions symboliques et médiatiques pour attaquer l’État en justice afin qu’il respecte ses engagements climatiques, ou encore pour que soit reconnue la personnalité morale à certains fleuves ou certaines parties de territoires. De nouvelles formes d’actions pourraient être utilisées telles que des actions de groupe ou encore des protestations citoyennes du type boycott.
Il reste à espérer que tout cela ne reste pas à l’état d’utopie, et que les institutions entendent et répondent à ces appels à la justice qui deviennent de plus en plus criants. Le recours à des droits de l’homme, au sens formel ou substantiel, pourrait permettre de fonder et de légitimer ces réponses.
[1] F. Chénedé, « Quelle “constitutionnalisation” pour le droit civil des contrats », in La jurisprudence du Conseil constitutionnel et les différentes branches du droit : Regards critiques, Jus Politicum, n° 20-21, 2018 (souligné par l’auteur).
[2] V. également la table ronde organisée par la Revue des contrats : Un ordre public contractuel constitutionnel ?, RDC 2018/4, p. 641 et s.
[3] Comme nous l’avons vu dès les citations de l’introduction.
[4] Pour une critique de l’usage flottant de ce terme, v. P. Wachsmann, « L’importation en France de la notion de “droits fondamentaux” », RUDH 2004, doctrine, p. 40 et s., même si, depuis 2004, la situation du droit français est sensiblement différente et justifierait davantage, selon les critères de l’auteur, l’usage de la notion de fondamentalité ; v. déjà, mais pour des raisons différentes, E. Picard, « L’émergence des droits fondamentaux en France », AJDA, n° spéc., Les droits fondamentaux. Une nouvelle catégorie juridique ?, juillet-août 1988, p. 6 et s. ; ou encore V. Champeil-Desplats, « La notion de droit “fondamental” et le droit constitutionnel français », D. 1995, chron., p. 323.
[5] V. X. Dupré de Boulois, Droit des libertés fondamentales, PUF, « Thémis droit », 1re éd., 2018, p. 32 et s., qui montre qu’on peut avoir des libertés et droits fondamentaux une approche formelle (par la hiérarchie des normes) ou substantielle (les juges qualifiant certaines libertés de fondamentales alors même qu’elles ne figurent pas dans un texte à portée supra-législative).
[6] P. Wachsmann, « L’importation en France de la notion de “droits fondamentaux” », op. cit., p. 48. C’est ainsi qu’il justifie le fait de conserver l’ancienne dénomination pour l’exposé de la matière : P. Wachsmann, Libertés publiques, Cours Dalloz, 8ème éd., 2017.
[7] V. également en ce sens X. Dupré de Boulois, Droit des libertés fondamentales, op. et loc. cit.
[8] V. ainsi Th. Perroud, « Un choix de société du conseil constitutionnel : la liberté contractuelle contre la solidarité », JP blog, le blog de Jus Politicum, revue internationale de droit constitutionnel, 20 février 2017.
[9] P. S. Atiyah, The Rise and Fall of Freedom of Contract, Oxford University Press, 1979.
[10] Sur cette évolution, v. notre ouvrage : L’institution de la liberté, PUF, 2018 ; ou encore, de façon plus technique, Les obligations, 1. Contrat et engagement unilatéral, PUF, « Thémis droit », 5e éd., juillet 2019, ou déjà Le contrat, PUF, « Que sais-je ? », 1ère éd., 2018.
[11] O. Beaud, « Les obligations imposées aux personnes privées par les droits fondamentaux. Un regard français sur la conception allemande », in La volonté générale, Jus Politicum, n° 10, 2014.
[12] O. Beaud, Ibid., qui explique que « Le doute procède d’une part, de la nature même de la Constitution dont on peut se demander si son objet est bien de réguler, même indirectement, les rapports entre particuliers, dans la mesure où son objet reste, ou devrait rester, la régulation des pouvoirs publics (définition disons « canonique de la Constitution »). Ce doute procède, d’autre part, de la conviction qui est la nôtre selon laquelle la Constitution n’a aucun monopole à revendiquer dans cette affaire et que le judicieux pluralisme, dans les moyens juridiques d’effectuation de la protection des libertés publiques, proposé par Jean Rivero est toujours d’actualité ». Il se réfère ici à l’article suivant : J. Rivero, « La protection des droits de l’homme dans les rapports entre personnes privées », in René Cassin Amicorum Disciplorumque Liber, Pedone, 1969, t III, p. 311 et s.
[13] V. O. Desaulnay, L’application de la Constitution par la Cour de cassation, Dalloz, « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2009, préf. P. Bon.
[14] Soc., 28 juin 1951, Bull. soc., n° 524, p. 372, Droit Social 1951, p. 532 note P. Durand.
[15] Soc., 19 novembre 1996, pourvoi n° 94-19404.
[16] Civ. 3e, 6 mars 1996, no 93-11113 ; RTD civ. 1996, p. 580, obs. J. Hauser et p. 897, obs. J. Mestre : « les clauses d’un bail d’habitation ne [peuvent], en vertu de l’article 8-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, avoir pour effet de priver le preneur de la possibilité d’héberger ses proches » (le bail prévoyait que les locaux ne pouvaient être occupés que par le locataire et ses enfants). Reprenant la même formule, Civ. 3e, 22 mars 2006, no 04-19349 ; RTD civ. 2006, p. 22, obs. J.‑P. Marguénaud ; RDC 2006/4, p. 1149, obs. J.-B. Seube.
[17] Soc., 12 janvier 1999, no 96-40755. Elle a cependant ajouté par la suite qu’« une mutation géographique ne constitue pas en elle-même une atteinte à la liberté fondamentale du salarié quant au libre choix de son domicile » et que, « si elle peut priver de cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié qui la refuse lorsque l’employeur la met en œuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle, elle ne justifie pas la nullité de ce licenciement » : Soc., 28 mars 2006, n° 04-41016 ; RDC 2006/4, p. 1163, obs. Ch. Radé.
[18] Civ. 3e, 17 décembre 2015, n° de pourvoi : 14-22095.
[19] Civ. 1re, 16 décembre 2015, n° de pourvoi : 14-29285 ; D. 2016, p. 566, obs. M. Mekki, et p. 578, obs. Th. Le Bars ; RTD civ. 2016, p. 339, obs. H. Barbier et p. 424, obs. M. Grimaldi ; AJ fam. 2016, p. 105, obs. J. Casey.
[20] Com., 28 nov. 2018, n° de pourvoi 17-18619 ; RTD civ. 2019, p. 92, obs. H. Barbier.
[21] La Cour d’appel aurait dû « rechercher, comme elle y était invitée, si l’interdiction d’exercer, directement ou indirectement, en quelque qualité que ce soit, une activité d’enseignement similaire ou identique à celle exercée par le franchisé à la date de conclusion du contrat, de s’affilier à un autre réseau de franchisés concurrent ou de commercialiser sous la forme de franchise ou autrement des enseignements identiques ou semblables, dans un rayon de 150 kilomètres autour de l’école visée au contrat, n’apportait pas une restriction excessive à la liberté d’exercice de la profession de son débiteur ».
[22] Civ. 3e, 18 décembre 2002, no 01-00519 ; RTD civ. 2003, p. 383.
[23] Civ. 3e, 8 juin 2006, no 05-14774 ; RTD civ. 2006, p. 722, obs. J.-P. Marguénaud. La Cour suprême du Canada avait, dans une affaire identique, jugé l’inverse dans un arrêt Syndicat Northcrest c/ Amselem de 2004 : v. P.-G. Jobin, « L’application de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne aux contrats : toute une aventure », RTD civ. 2007, p. 33 et s.
[24] Arrêt Van Marle c. Pays-Bas du 26 juin 1986, JDI, 1987, p. 785.
[25] J.-P. Marguénaud, La Cour européenne des droits de l’homme à la conquête du droit des contrats au moyen des arrêts pilotes, obs. sous CEDH Grande Ch., 19 juin 2006, Hutten-Czapska c/ Pologne, RTD civ. 2006, p. 719.
[26] Selon ce texte, « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public ».
[27] V. L. He, Droits sociaux fondamentaux et Droit de l’Union européenne, thèse Paris 1, 2017, sous la dir. P. Rodière ; C. M. Herrera, « Sur le statut des droits sociaux – La constitutionnalisation du social », RUDH 2004, doctrine, p. 32 et s.
[28] V. A. Supiot, Homo Juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit, Seuil, « La couleur des idées », 2005, p. 294 et s., qui montre que la propriété intellectuelle par exemple est aussi un droit-créance qui requiert une intervention positive des États pour être exercée.
[29] « La liberté contractuelle ne permet pas […] de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux reconnus dans un texte applicable aux relations entre personnes privées ».
[30] « On ne peut porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux que dans la mesure indispensable à la protection d’un intérêt sérieux et légitime ».
[31] L. Maurin, Contrats et droits fondamentaux, LGDJ, « Bibl. dr. privé », 2013, préf. E. Putman.
[32] A. Hyde, Les atteintes aux libertés individuelles par contrat. Contribution à la théorie de l’obligation, IRJS, 2015, préf. M. Fabre-Magnan.
[33] J. Arroyo, La renonciation aux droits fondamentaux. Étude de droit français, Pedone, 2016, préf. X. Dupré de Boulois.
[34] Le rapport au Président de la République accompagnant le projet de réforme, se voulant rassurant, affirme ainsi à cinq reprises son souci de répondre aux inquiétudes et aux craintes des entreprises ou des représentants du monde économique, et fait part dix-neuf fois de son souci de garantir la sécurité juridique !
[35] G. Auzero, D. Baugard, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 32e éd., 2019, p. 849 et s., spéc. n° 706.
[36] Ibid., n° 711.
[37] Dans sa décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999 sur la loi relative au pacte civil de solidarité, le Conseil constitutionnel a en effet imposé quelques règles fondamentales relatives à la rupture des contrats : « 61. Considérant que, si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 justifie qu’un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l’un ou l’autre des contractants, l’information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture, devant toutefois être garanties ; qu’à cet égard, il appartient au législateur, en raison de la nécessité d’assurer pour certains contrats la protection de l’une des parties, de préciser les causes permettant une telle résiliation, ainsi que les modalités de celle-ci, notamment le respect d’un préavis ».
[38] V. en ce sens, Lyn K. L. Tjon Soei Len, Minimum Contract Justice: A Capabilities Perspective on Sweatshops and Consumer Contracts, Hart Publishing, 2017. V. également notre article : « Nouvel agenda pour la justice sociale en droit des contrats », in Mélanges en l’honneur de Jacques Mestre, LGDJ, 2019 ; et déjà : « What is a Modern Law of Contract. Elements for a New Manifesto for Social Justice in European Contract Law », European Review of Contract Law (ERCL), 2017, p. 376 et s.
[39] V. les 46 propositions de l’association Sherpa pour « Réguler les entreprises transnationales », par Y. Queinnec et W. Bourdon, avril 2010, disponibles sur le site Internet de l’association.
[40] V. A.-S. Epstein, L’information environnementale communiquée par l’entreprise. Contribution à l’analyse juridique d’une régulation, Institut Univ. Varenne, 2015, préf. G. J. Martin.
[41] Des règles spéciales sont simplement prévues dans l’hypothèse où certaines de ces informations seraient de nature à compromettre gravement les intérêts stratégiques ou industriels du fabricant, du producteur ou du distributeur concerné par la demande.
[42] V. M. Mekki, « Le contrat, vecteur du devoir de vigilance », Dossier spécial « RSE et devoir de vigilance », Revue Lamy Droit des affaires, mai 2015. Adde notre article : « Les fausses promesses des entreprises. RSE et droit commun des contrats », in Études en la mémoire de Philippe Neau-Leduc, LGDJ, 2018, p. 451 et s.
[43] Décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011 – Troubles du voisinage et environnement. Le Conseil ajoute « qu’il est loisible au législateur de définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation ; que, toutefois, il ne saurait, dans l’exercice de cette compétence, restreindre le droit d’agir en responsabilité dans des conditions qui en dénaturent la portée ».
[44] Décision n° 2019-781 DC du 16 mai 2019 (loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises).
[45] Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises. L’article 1833 du Code civil est ainsi à présent complété par un second alinéa prévoyant que « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
[46] V. nos articles précités note 39 : « Nouvel agenda pour la justice sociale en droit des contrats », ou encore « What is a Modern Law of Contract. Elements for a New Manifesto for Social Justice in European Contract Law ».
[47] V. L. Burgorgue-Larsen, « La mobilisation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne par les juridictions constitutionnelles », Les cahiers du Conseil constitutionnel, n° 2, avril 2019, qui montre qu’il s’agit selon les pays d’une mobilisation à des fins interprétatives, à des fins dialogiques, ou encore à des fins stratégiques.
[48] Ibid.
[49] V. B. Girard, « Le retournement du principe constitutionnel de responsabilité en faveur des auteurs de dommages », D. 2016, 1346.
[50] O. Beaud, « Droits de l’homme et du citoyen et formes politiques / Le cas particulier de la Fédération », RUDH 2004, doctrine, p. 16 et s., qui montre d’ailleurs que l’effet peut être au contraire un effet de frein, lorsque les États fédérés sont de fait plus conservateurs que l’État fédéral (par exemple aux États-Unis sur la question de la peine de mort).
[51] Article 1104 du Code civil : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».
[52] V. ainsi Soc. 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-20079, qui juge que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; Qu’en statuant comme elle a fait, alors qu’elle constatait, d’une part, que l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et, d’autre part, que la société Take Eat Easy disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination, a violé le texte susvisé ». La Cour d’appel de Paris a à son tour estimé, dans un arrêt du 10 janvier 2019, que le lien unissant un ancien chauffeur indépendant à la plate-forme de réservation en ligne Uber est également un contrat de travail.