Vers un droit commun des droits humains en matière climatique ? Analyse des récentes dynamiques de rapprochement des juridictions internationales.
Anna Tamion est docteure en droit de l’Université Paris 2
L’activité juridique en matière environnementale est, sans conteste, devenue extrêmement prolifique. Que l’on songe – pour ne citer que des exemples récents – à la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions de la loi dite « Duplomb » autorisant, par dérogation, à utiliser certains produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes1, ou à l’engagement de la responsabilité de l’État, par la cour administrative d’appel de Paris, pour n’avoir pas réalisé d’évaluation des produits phytopharmaceutiques au regard des dernières connaissances scientifiques, ce dont il est résulté un préjudice écologique2. Le droit international n’est pas en reste dans ce mouvement général, comme en témoignent les nombreux avis et arrêts rendus ces derniers mois par les juridictions internationales, plus précisément, sur la question climatique3. En 2024, outre l’arrêt très remarqué de la Cour européenne des droits de l’homme4, le Tribunal international du droit de la mer a également publié un avis important sur la question climatique5. En 2025, ce sont la Cour interaméricaine des droits de l’homme6, en mai, puis la Cour internationale de justice7, en juillet, qui se sont prononcées. Le concert de ces décisions et avis invite à penser qu’il est peut-être temps de tenter un bilan (évidemment provisoire) des principes juridiques dégagés, en droit international, sur la question climatique.
Ces arrêts et avis portent sur la responsabilité internationale de l’État. Ils visent à déterminer les conditions dans lesquelles cette responsabilité peut être poursuivie. Sur le fond, l’engagement de la responsabilité internationale suppose toujours d’identifier des obligations étatiques, et, très souvent, des droits – il le faut, en effet, dès lors que la responsabilité internationale débouche sur une réparation, ce qui est toujours le cas devant les juridictions régionales que sont la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme, mais pas nécessairement devant la Cour internationale de justice ni devant le Tribunal international du droit de la mer. Dans cette mesure, la question de la responsabilité internationale, en particularité en matière climatique, apparaît, dans une large mesure, comme une question de droits humains. D’ailleurs, le lien entre la protection de l’environnement et les droits humains a été reconnu par les juridictions internationales : il faut un environnement décent pour jouir réellement de ses droits8. Dans cette mesure, la lutte contre le changement climatique conduit à concevoir les droits dans une perspective réaliste ou sociale. Les droits climatiques, comme les droits sociaux, reposent sur une prise en compte des inégalités et des vulnérabilités, et doivent conduire à une action étatique concrète pour aider à leur réalisation effective. C’est cette dimension sociale des droits environnementaux qui conduit à les qualifier de « droits humains », plutôt que de droits fondamentaux ou de droits de l’homme9.
Une tentative de bilan de ces avis et décisions des juridictions internationales peut donc être approchée du point de vue de la théorie des droits et libertés. Plus précisément, permettent-ils de dessiner l’esquisse d’un droit commun des droits humains au niveau international en matière climatique ? Cette hypothèse d’une standardisation du droit climatique a été régulièrement évoquée et défendue10. Elle mérite cependant un nouvel examen, au regard des données récentes fournies par ces prises de position des juridictions internationales, qui précisent de manière inédite les principes et règles applicables en la matière. Cette hypothèse sera envisagée seulement à propos du régime de fond de la responsabilité internationale climatique, c’est-à-dire des droits et des obligations étatiques, à l’exclusion des règles procédurales. En effet, les points de procédure sont en grande partie propres à chaque juridiction. Le problème peut alors être formulé de la manière suivante : peut-on parler, depuis les récentes prises de position des juridictions internationales, d’un droit commun des droits et obligations en droit international à propos de la lutte contre le changement climatique ?
Encore faut-il déterminer ce que l’on entend par « droit commun ». Les travaux de Mireille Delmas-Marty permettent de comprendre le sens historique de cette notion et d’envisager des développements qu’elle peut revêtir aujourd’hui. D’une manière générale, elle définit l’idée de droit commun comme une « référence commune ayant valeur supralégislative et supranationale »11. Elle aurait été principalement développée et enseignée au Moyen-Âge :
« Pendant cette période, la plupart des universités d’Europe n’enseignent pas le droit local, qui est le droit en vigueur, mais un jus commune à vocation universelle. Il est issu du droit romain et consubstantiellement lié à l’autre droit commun de la chrétienté, le droit canonique, et cet ensemble romano-canonique est enseigné comme une méthode de raisonnement, une sorte de guide pour l’interprète. Il faut souligner que, par nature, ce jus commune est supranational, alors que le droit appliqué est local, c’est-à-dire infranational »12.
Si l’intérêt pour le jus commune s’estompe largement au XVIIIe siècle, lors duquel « on sépare le droit positif, qui est le droit national, de ses fondements, pris dans la “raison universelle” »13, l’espoir d’un socle de principes juridiques transcendant les nations renaît au XIXe siècle à travers le droit comparé, discipline qui a justement pour vocation de trouver des dénominateurs communs entre les droits nationaux14. Dans la période contemporaine, la perspective de formation d’un droit commun a été renouvelée par l’avènement des droits fondamentaux, dont la consécration est internationale et la rationalité revendiquée. Par les droits, l’idée de droit commun semble n’avoir jamais été aussi réalisable. Dans le même temps, cependant, l’universel est concurrencé par le relatif. Le pluralisme des valeurs se manifeste à l’intérieur des sociétés nationales, et, a fortiori, au niveau international, entre les différentes cultures. Dans ces conditions, les droits ne peuvent constituer un droit commun, si l’on entend par ce terme un fondement dont le sens et la portée sont posés de manière définitive, soutenant un édifice juridique figé. Mireille Delmas-Marty propose alors une nouvelle conception du droit commun. Parce qu’il est impossible de supprimer la dialectique, qui doit être permanente, entre l’universel (des droits de l’homme) et le relatif (des conceptions axiologiques et culturelles de ces droits), le droit commun doit faire place à l’idée de pluralité : « le droit commun futur ne pourra être que pluriel, ou pluraliste – c’est l’idée d’un “pluralisme ordonné” »15. Cependant, si la dialectique entre universel et relatif doit être maintenue, alors ce pluralisme ne peut pas, à l’inverse, supprimer toute perspective conséquente de commun ou de partage. Si tel était le cas, « le droit ferait surtout apparaître les incohérences des systèmes de valeurs et sa mondialisation révélerait le grand désordre juridique du monde »16. L’idée est donc « d’assouplir l’universalisme sans pour autant renoncer au statut supra-étatique des droits de l’homme »17. Pour ce faire, il convient de renoncer à une conception fixiste du droit commun, qui consisterait à établir un système unique et hiérarchisé des droits, et d’accepter qu’il réside dans une harmonisation de principes structurants, dont la vie concrète demeure déterminée par des particularismes culturels. Pour Mireille Delmas-Marty, il s’agit de « relativiser le relativisme » : « s’il est sans doute souhaitable que l’on se comprenne quand on parle de ce “droit des droits” que deviennent les droits de l’homme, il n’est pas nécessaire que ce langage commun soit entendu à l’identique »18. En ce sens, le droit commun apparaît comme un « dénominateur commun », dont les contours sont évolutifs et font l’objet d’une négociation permanente. En résumé, « il faut imaginer un droit commun de synthèse, c’est-à-dire un droit harmonisé plutôt qu’un droit unifié »19.
Dans cette perspective, les récents avis et décisions rendus par les juridictions internationales semblent bien ouvrir la perspective d’un droit commun en matière climatique. En effet, ils établissent des principes généraux et structurants, constituant une « grammaire commune », qui peut (doit) être utilisée dans toute la communauté internationale (I). Malgré tout, dans le détail, des différences indéniables subsistent entre les approches proposées par ces juridictions. Ces dernières, sans obérer la perspective de formation d’un droit commun, reflètent la pluralité caractéristique de la société internationale (II).
I- La construction d’une « grammaire commune »
Les juridictions internationales contribuent assurément à la formation d’un droit commun des droits humains en matière climatique. En effet, elles établissent un certain nombre de cadres juridiques généraux communs, qui traduisent des valeurs jugées primordiales par la communauté internationale. Dans cette perspective, ce qui est commun possède finalement un niveau de généralité assez élevé. Il s’agit avant tout de principes. Ainsi, en matière climatique, les juridictions internationales édifient une méthode partagée (A), reconnaissent un certain nombre de droits identiques (B) et établissent un socle commun d’obligations étatiques (C).
A- L’édification d’une méthode
La reconnaissance de droits et d’obligations en matière climatique repose sur une méthode de raisonnement commune, qui se déploie au niveau des sources (1) et des principes d’interprétation (2).
1 – Des sources communes
En matière climatique, les juridictions internationales fondent leur raisonnement sur les mêmes sources, auxquelles elles accordent une importance décisive pour la reconnaissance et la détermination de la portée des droits et des obligations.
La première source incontournable est la science. Comme l’explique la Cour européenne des droits de l’homme, « l’une des caractéristiques principales des affaires relatives au changement climatique est la nécessité pour la juridiction appelée à en connaître d’étudier un ensemble de données scientifiques complexes »20. La science fait autorité. En principe, pourtant, le fait ne détermine pas (autant) le droit. Dans les démocraties, il est admis que les règles de droit sont le produit d’un choix collectif sur les fins désirables. Les connaissances scientifiques ne dévoilent que les contraintes matérielles impondérables, qui limitent les moyens possibles que le droit peut employer pour réaliser ces fins. La science ne saurait donc, d’aucune manière, déterminer les fins à poursuivre. Cette considération renvoie, au fond, à la distinction, profondément moderne, entre deux types de lois : celles physiques et celles juridiques. Les secondes ne sont pas déterminées par les premières, sauf en tant qu’elles enseignent au juriste les moyens possibles, indispensables ou impossibles pour réaliser des fins qui, elles, demeurent librement choisies. En matière climatique, cependant, le rôle de la science (et donc des faits) est différent. Ou plutôt, la science demeure bien dans son rôle de détermination des moyens, mais elle enseigne que, si les sociétés continuent à employer leurs moyens actuels, elles courent des dangers particulièrement graves et imminents. Or, il est probablement peu d’individus qui poursuivent comme fin l’extinction de l’humanité ! Autrement dit, sur le sujet climatique, il y a une surdétermination des fins par les moyens : les connaissances objectives sur ces derniers ne peuvent qu’indiquer une même fin – celle de la lutte contre le changement climatique, et donc de la reconnaissance de tous les droits et obligations juridiques pouvant aller en ce sens – d’où la place prépondérante de la science pour le juriste. Le Tribunal international du droit de la mer cherche ainsi les « meilleures connaissances scientifiques disponibles » pour fonder sa décision21. De même, la Cour européenne des droits de l’homme affirme qu’elle « ne saurait ignorer l’existence d’éléments scientifiques très préoccupants »22. Cette dernière établit, de manière très claire, le lien entre science et droit :
« La Cour n’est pas convaincue par la conclusion des juridictions internes selon laquelle il resterait encore du temps pour empêcher le réchauffement climatique d’atteindre une limite critique (…). (…) En effet, les données disponibles et les conclusions scientifiques relatives à l’urgence de lutter contre les effets négatifs du changement climatique, et notamment au risque grave que ces effets ne soient inéluctables et irréversibles, permettent de penser qu’il existait un besoin impérieux d’assurer la protection juridique des droits de l’homme face à une action supposément inadéquate des autorités pour contrer le changement climatique »23.
Par conséquent, chaque cour consacre une partie importante du raisonnement à l’identification des connaissances scientifiques disponibles et des conclusions pertinentes pour les juristes. Ces considérations sont disséminées dans les avis et arrêts, comme des rappels nécessaires pour justifier des points de droit particuliers, mais, par ailleurs, elles apparaissent formellement dans le plan général, puisqu’une sous-partie leur est systématiquement consacrée. La Cour interaméricaine a même fait figurer des graphiques dans son avis24. La source scientifique privilégiée est le travail du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Les juridictions internationales soulignent, en effet, que les données figurant dans les rapports de ce groupe sont particulièrement fiables25. Les juges citent les définitions très techniques proposées par le groupe, comme celle du changement climatique26, des gaz à effet de serre27, de l’atténuation28, de l’adaptation29, de l’acidification des océans30 etc. Ils reprennent également les conclusions générales, comme l’existence du réchauffement climatique et sa cause dans les émissions humaines de gaz à effet de serre31. Surtout, ils adoptent les conclusions spécifiques liées aux droits humains, en constatant que le changement climatique produit des conséquences négatives graves sur la vie des personnes. La Cour interaméricaine des droits de l’homme souligne ainsi que le réchauffement climatique exacerbe la pauvreté et crée des difficultés considérables d’accès à l’eau et à l’alimentation32. De ces constats factuels à la détermination de règles de droit, il n’y a qu’un pas, dès lors qu’il est affirmé que ces problèmes graves menace la dignité humaine33.
La seconde source commune aux juridictions internationales en matière climatique réside dans les normes internationales. La Cour européenne des droits de l’homme reconnaît qu’elle ne saurait ignorer le « consensus international croissant quant aux graves effets du changement climatique sur la jouissance des droits de l’homme », lequel résulte notamment « des mécanismes de droit international auxquels les États membres ont volontairement adhéré et aux obligations et engagements qu’ils ont ainsi contractés »34. Ainsi, même si chaque cour est chargée d’interpréter et d’appliquer un texte ou un corpus de textes spécifiques, elles se montrent soucieuses de dégager, par-delà ces différences, des normes internationales communes.
Cette harmonisation des sources internationales se produit, d’une part, par la référence aux conventions internationales relatives au climat ainsi qu’aux décisions des autres cours. La Cour européenne des droits de l’homme cite ainsi, comme sources pertinentes, l’ensemble des conventions onusiennes sur le climat, notamment la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le protocole de Kyoto et les accords de Paris35, qui sont également les sources privilégiées par la Cour internationale de justice dans son avis36. Elle rappelle également les avis et décisions rendus en matière climatique par la Cour interaméricaine des droits de l’homme37. Si la référence aux activités des autres cours ainsi qu’à divers n’est pas nouvelle dans les décisions des juridictions internationales38, elle marque, s’agissant de la question climatique, une volonté claire d’harmonisation des principes.
Cette esprit de convergence se confirme par une réflexion sur la découverte de normes internationales communes non-écrites. La Cour internationale de justice, dans son avis de juillet, décèle, outre les multiples conventions internationales sur la question climatique, des règles de coutume internationale. Plus précisément, elle décèle deux obligations résultants de la coutume. Premièrement, elle identifie un devoir de prévenir les dommages significatifs à l’environnement, qu’elle avait déjà reconnu dans sa décision Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay)39. Secondement, elle identifie un devoir de coopérer pour protéger l’environnement40. Ce qui est intéressant, du point de vue de la formation d’un droit commun, c’est que la Cour internationale de justice explique que, d’une part, la coutume permet d’interpréter les traités et réciproquement41 et que, d’autre part, elle s’applique aux États non-parties aux traités, qui doivent la respecter42. Dans une perspective proche, la Cour interaméricaine, dans son avis de mai, affirme que l’obligation de ne pas causer de dommages irréversibles à l’environnement fait partie du jus cogens, c’est-à-dire des normes de droit international impératives43. Ces normes de jus cogens sont, par définition, applicables à toute la communauté internationale.
Ces sources communes aux juridictions internationales sont, ensuite, mises en mouvement par des principes d’interprétation, à propos desquels il est également possible de repérer une dynamique d’harmonisation.
2 – Des principes d’interprétation communs
Les sources, seules, ne suffisent pas à justifier la formation de droits et d’obligations internationales en matière climatique. En effet, les textes ne prévoient pas toujours expressément ces droits et obligations. Lorsqu’ils les évoquent, c’est bien souvent dans des termes imprécis, qui méritent d’être interprétés – c’est le cas, par exemple, du « droit à un environnement sain ». Par conséquent, les sources vivent grâce à une opération d’interprétation, laquelle, pour être suffisamment prévisible, est menée selon des principes ou des orientations déterminés. En matière climatique, ces principes d’interprétation font également l’objet d’une harmonisation.
La première orientation d’interprétation est celle de l’effectivité. Largement fondée sur la science, qui démontre l’urgente nécessité de lutter contre le réchauffement climatique, cette directive consiste à développer au maximum des droits et obligations internationales au nom de leur réalisation effective. Autrement dit, si l’effectivité des droits n’est pas un principe interprétatif nouveau, il est, s’agissant de la question climatique, adossé sur l’idée d’urgence. En témoigne le raisonnement de la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt de 2024. D’abord, elle rappelle que la Convention est « un instrument vivant qui doit être interprété à la lumière des conditions de vie actuelles ». Elle fait ainsi référence à la théorie de l’interprétation vivante, qui est une technique qu’elle emploie depuis bien longtemps et qui vise à actualiser la compréhension du texte de la Convention au regard des évolutions sociétales présentes44. Cette méthode d’interprétation est, par ailleurs, associée, de longue date, au principe d’effectivité : c’est parce que la Cour doit assurer des « garanties concrètes et effectives, et non pas théoriques et illusoires » qu’elle doit adapter la lecture de la Convention aux exigences croissantes de protection des droits45. Cependant, elle adapte cette méthode traditionnelle à la situation spécifique de la lutte contre le changement climatique, en associant explicitement effectivité et urgence. Au nom du principe d’effectivité et de l’interprétation vivante, elle explique qu’il convient de prendre en compte « les éléments scientifiques actuels et en constante évolution qui établissent la nécessité de lutter contre ce phénomène et l’urgence d’agir face à ses effets négatifs, en particulier le risque grave que ceux-ci ne deviennent inéluctables et irréversibles »46. La même orientation apparaît très clairement dans l’avis de la Cour internationale de justice, qui affirme que « les changements climatiques représentent ainsi un risque fondamentalement universel pour tous les États. Ce risque revêt un caractère global et urgent, commandant la détermination d’une norme de conduite générale à sa mesure »47.
Un deuxième principe d’interprétation est celui de précaution. Là encore, l’objectif est de renforcer les obligations étatiques48. En effet, le principe 15 de la Convention de Rio, rappelé par la Cour internationale de justice définit ainsi le principe de précaution : « en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement »49. C’est dans cette perspective que le Tribunal international du droit de la mer souligne que « si une telle certitude [scientifique] fait défaut, les États doivent réglementer la pollution marine résultant des GES anthropiques en appliquant l’approche de précaution »50. Si la Cour européenne des droits de l’homme n’invoque pas explicitement le principe de précaution pour construire son raisonnement, elle le mentionne par le truchement des sources de droit international applicables. Nous le verrons, le principe de précaution, comme celui d’effectivité, conduisent à renforcer le niveau de diligence requise pour les obligations positives étatiques, c’est-à-dire à élever le seuil à partir duquel les États sont réputés avoir rempli leurs obligations positives, qui sont de moyen et non de résultat.
Un troisième principe d’interprétation, intrinsèquement lié aux deux premiers, est l’équité intergénérationnelle51. Ce principe a également vocation à renforcer les obligations étatiques, dès lors qu’il impose aux États, au nom d’une exigence de justice, de prendre des mesures suffisantes pour lutter contre le réchauffement climatique, de sorte à ne pas faire peser un poids disproportionné sur les générations futures, à ne pas leur léguer un environnement invivable52. La Cour interaméricaine des droits de l’homme y consacre de longs développements, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’elle se trouve à la pointe de la réflexion sur les générations futures. Les autres juridictions ne sont pas pour autant en reste. La Cour internationale de justice consacre également un passage de son avis à l’explication de la fonction de ce principe dans le raisonnement juridique :
« De l’avis de la Cour, l’équité intergénérationnelle représente l’équité au sens large et revêt donc la même portée juridique en tant que guide aux fins de l’interprétation des règles applicables. En conséquence, les considérations relatives à l’équité intergénérationnelle doivent jouer un rôle infra legem, sans se substituer au droit applicable ni en outrepasser les limites. Les intérêts des générations futures et les conséquences à long terme de certains comportements font figure de considérations d’équité dont il faut tenir dûment compte lorsque les États envisagent, adoptent et mettent en œuvre des politiques et des mesures pour s’acquitter des obligations que leur imposent les dispositions conventionnelles et les règles coutumières pertinentes »53.
La Cour européenne des droits de l’homme mentionne également ce principe interprétatif, et en fait même l’une des raisons de sa compétence :
« À cet égard, la Cour note que, dans le cadre spécifique du changement climatique, la répartition intergénérationnelle de l’effort revêt une importance particulière, tant pour les différentes générations de personnes vivant actuellement que pour les générations futures. Certes, les obligations juridiques que la Convention impose aux États concernent les personnes vivant actuellement qui, au moment considéré, relèvent de la juridiction de telle ou telle Partie contractante ; il n’en reste pas moins clair que les générations futures risquent de supporter le fardeau croissant des conséquences des manquements et omissions d’aujourd’hui dans la lutte contre le changement climatique (…), et que cependant elles n’ont nulle possibilité de participer aux processus décisionnels actuels en la matière. (…) Dans ce contexte, compte tenu des perspectives d’aggravation des conséquences qui pèseront sur les générations futures, le point de vue intergénérationnel met en exergue le risque inhérent à la prise de décision politique dans ce domaine, c’est-à-dire le fait que les intérêts et préoccupations de court terme pourraient l’emporter et prendre le pas sur le besoin impérieux d’une prise de décisions viables, risque particulièrement sérieux et justifiant plus encore l’existence d’une possibilité de contrôle juridictionnel »54.
Les principes interprétatifs sur lesquels convergent les juridictions internationales sont ainsi tournés vers un plus grand contrôle de l’action étatique, au nom des droits humains face au changement climatique. Ces derniers font également l’objet d’une harmonisation.
B- La reconnaissance de droits
La formation d’un droit commun en matière climatique suppose, à l’évidence, la reconnaissance de droits humains. C’est d’ailleurs la consécration de droits qui semble, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale constituer l’impulsion pour la construction d’un droit commun, lequel n’est autre qu’un « droit des droits »55.
En matière climatique, l’harmonisation des juridictions internationales conduit à la reconnaissance commune d’un droit à un environnement sain. Elle peut aller de soi, lorsqu’elle s’appuie sur des conventions internationales ou de prises des position d’organes politiques des organisations internationales. Ainsi, dans son avis de juillet, la Cour internationale de justice ne se trouve pas en difficulté pour admettre le droit à un environnement sain. Elle cite la déclaration de Stockholm et celle de Rio, ainsi que les travaux de la Commission des droits de l’homme, qui vont tous dans le sens de la reconnaissance de ce droit. Mais surtout, elle évoque une résolution par laquelle l’Assemblée générale des Nations unies considère que « le droit à un environnement propre, sain et durable fait partie des droits humains », « ce qui atteste la reconnaissance de ce droit »56. Les matériaux solides et convergents sur lesquels peut s’appuyer la Cour lui permettent de donner une portée particulièrement importante à ce droit. Elle juge ainsi « qu’un environnement propre, sain et durable est une condition préalable à la jouissance de nombreux droits de l’homme » et qu’il est « inhérent à la jouissance des autres droits de l’homme »57. La Cour en tire la conclusion suivante, qui laisse penser que ce droit ne lierait pas seulement les États engagés dans des conventions relatives à la protection de l’environnement : « il est donc difficile de concevoir comment les États parties à des traités relatifs aux droits de l’homme, dans la mesure où ils sont tenus de garantir la jouissance effective de tels droits, pourraient s’acquitter des obligations ainsi mises à leur charge sans en même temps veiller à ce que le droit à un environnement propre, sain et durable en tant que droit de l’homme soit protégé »58.
La reconnaissance du droit à un environnement sain peut, en revanche, être plus périlleuse, et nécessiter plus d’adresse, lorsqu’il n’est pas explicitement prévu dans un texte international que la juridiction a la charge d’interpréter et d’appliquer. C’est la situation dans laquelle s’est trouvée la Cour interaméricaine des droits de l’homme59. La Convention américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre 1969, sur laquelle se fonde l’action de la Cour, ne contient pas de disposition relative à l’environnement. En revanche, le Protocole facultatif relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté en 1988 protège le droit à un environnement sain, en son article 11. Toutefois, outre que ce protocole n’est pas ratifié par tous les États parties à la Convention de 1969, l’article 19-6 prévoit que seuls le droit syndical et le droit à l’éducation peuvent faire l’objet d’un recours individuel. La Cour a alors dû construire un raisonnement sur plusieurs stipulations pour parvenir à consacrer un droit à un environnement sain, justiciable devant son prétoire. L’article 26 de la Convention de 1969 prévoit que « les États parties s’engagent (…) à prendre des mesures visant à assurer progressivement la pleine jouissance des droits qui découlent des normes économiques et sociales et de celles relatives à l’éducation, la science et la culture, énoncées dans la Charte de l’Organisation des États Américains, réformée par le Protocole de Buenos Aires (…) ». La Cour a considéré que cette disposition pouvait être invoquée pour faire respecter les droits économiques et sociaux qui, hormis cet article 26, ne figurent pas dans la Convention60. Dans un avis de 2017, elle applique ce raisonnement au droit à un environnement sain : garanti par l’article 11 du Protocole, il est désormais justiciable devant la Cour par le truchement de l’article 26 de la Convention, qui donne effet juridique à l’article 11 du Protocole61. Elle a ensuite utilisé ce raisonnement au contentieux62 et l’a repris dans l’avis rendu en mai 202563.
La Cour européenne des droits de l’homme s’est trouvée dans une situation similaire. Dans son arrêt de 2024, elle reconnaît pour la première fois ce qui ressemble à un authentique droit à un environnement sain, en affirmant que « l’article 8 doit être considéré comme englobant un droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie »64. Cependant, la Convention ne consacre pas un tel droit. C’est ce qui motive l’opinion dissidente du juge Tim Eicke, qui relève que ce droit ne possède pas « de fondement dans l’article 8 ou dans une autre disposition de la Convention ou de l’un de ses Protocoles »65. Toutefois, en réalité, la démarche de la Cour apparaît plus mesurée, puisqu’elle s’exprime ainsi :
« S’il est arrivé que la Cour mentionne “le droit des intéressés (…) à la jouissance d’un environnement sain et protégé” (Tătar, § 112, et Di Sarno et autres, § 110, tous deux précités), on ne saurait comprendre cette formule sans tenir compte de la distinction qu’il convient de faire entre, d’une part, les droits protégés par la Convention et, d’autre part, le poids des préoccupations environnementales dans l’appréciation des buts légitimes et la mise en balance des droits et intérêts en jeu dans le cadre de l’application de la Convention »66.
La Cour semble ainsi considérer le « droit à un environnement sain » comme un facteur déterminant à prendre en compte dans l’appréciation des droits – que ce soit au titre des buts légitimes ou dans le contrôle de proportionnalité – mais pas comme un authentique droit dans son système. Cependant, cette assertion est tout de même une avancée. Jusqu’à cet arrêt, elle ne faisait pas référence, en tant que tel, à un quelconque droit à un environnement sain67. Elle protégeait les dommages individuels subis par une atteinte à l’environnement par le truchement des stipulations conventionnelles. Comme le relevait Paul Baumann en 2021, « le droit à un environnement sain n’est pas devenu un droit autonome (…). Ce droit ne bénéficie que d’une protection “dérivée” sur le terrain des droits procéduraux comme l’article 6§1 et la Cour n’admet, en outre, toujours qu’une protection indirecte “par ricochet” sur le terrain des droit substantiels. Cela est particulièrement visible sur le terrain de l’article 8, où la jurisprudence est la plus développée »68. Cette démarche supposait l’identification d’une source locale causant un dommage précis. En effet, la Cour constatait une violation de la Convention, principalement de l’article 8, seulement lorsqu’une personne « [pâtissait] directement et gravement du bruit ou d’autres formes de pollution ou de nuisances »69, ce qui impliquait qu’un individu déterminé subisse personnellement un dommage identifié dans sa vie privée et qu’il soit rattachable à un fait précis, excluant ainsi le réchauffement climatique, qui est global. Désormais, si le droit à un environnement sain n’apparaît toujours pas clairement comme un droit autonome, en revanche, sa prise en compte dans l’interprétation des droits et dans l’appréciation des atteintes qui leur sont portées permet de les émanciper de leur dimension strictement localisée, et donc de prendre en compte le changement climatique et son caractère diffus porté par le droit à un environnement sain. D’ailleurs, en l’espèce, la Cour reconnaît une violation de l’article 8, en raison du manquement de la Suisse à ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre ainsi qu’à son obligation de réglementation de ces émissions.
Une réelle dynamique d’harmonisation semble ainsi pouvoir être constatée au niveau de la reconnaissance des droits climatiques. Elle se poursuit sur le terrain des obligations étatiques, qui sont bien souvent le miroir des droits70.
C- La détermination d’obligations
En matière climatique, le cœur de la réflexion des juridictions internationales porte sur les obligations positives des États, bien plus que sur leurs obligations négatives. Ces dernières consistent à exiger de l’État qu’il s’abstienne de porter directement atteinte à l’environnement ou de renforcer lui-même le changement climatique. C’est ce que la Cour interaméricaine des droits de l’homme nomme les « obligations de respecter »71. Au point de vue juridique, ces obligations semblent acquises – même si, dans les faits, les choses peuvent être différentes, puisque les États continuent à porter directement atteinte au climat par certaines de leurs activités. En revanche, la question de l’inaction des États occupe davantage les juristes : outre l’obligation de ne pas porter atteinte au climat, peut-on juridiquement exiger des États qu’ils « fassent mieux », c’est-à-dire qu’ils prennent des mesures pour améliorer la situation ? Peut-on reprocher à un État, qui n’a pas directement menacé, par son action, l’environnement, de n’avoir, justement, rien fait ? Ce genre d’obligation est généralement appelé « obligations positives ». La Cour interaméricaine évoque, quant à elle, des « obligations de garantir »72.
Les obligations positives ne datent pas d’hier. Elles ont progressivement été reconnues par les juridictions internationales, en général au terme d’une interprétation constructive des conventions, qui prévoient plutôt des obligations négatives73. Leur caractéristique est d’être des obligations de moyen74. En effet, parce qu’elles constituent une contrainte supplémentaire sur l’action étatique, elles demeurent limitées à une exigence de mettre en œuvre des moyens raisonnables pour atteindre un objectif, sans que la réalisation effective de celui-ci ne soit imposée. Cette limitation des obligations positives se justifie par le respect de la volonté politique ainsi que par les contraintes financières, budgétaires, ou encore techniques, qui sont relativement impondérables et propres à chaque État75. En ce sens, la Cour européenne des droits de l’homme, à propos de l’obligation positive de l’État de prévenir le suicide d’un détenu au titre de l’article 2 de la Convention, a rappelé qu’
« il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif, sans perdre de vue les difficultés qu’ont les forces de l’ordre à exercer leurs fonctions dans les sociétés contemporaines, l’imprévisibilité du comportement humain et les choix opérationnels à faire en matière de priorités et de ressources. Dès lors, toute menace présumée contre la vie n’oblige pas les autorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation »76.
Cette structure générale de la théorie des obligations positives subit une évolution notable dans la jurisprudence internationale relative au climat. En effet, si les juridictions reconnaissent que les obligations positives des États sont bien des obligations de moyen, elles procèdent tout de même à un renforcement particulièrement clair des exigences pesant sur leur action à ce titre. Les obligations demeurent de moyen ou de comportement, puisqu’il ne s’agit pas d’exiger un résultat, mais le niveau de diligence imposé pour considérer l’obligation comme réalisée est bien plus élevé que d’ordinaire, à tel point que la Cour internationale de justice a souligné que « la frontière entre obligations de comportement et obligations de résultat n’est pas nécessairement stricte »77. Nous l’avons dit, une obligation de moyen, contrairement à une obligation de résultat, est satisfaite lorsque les moyens raisonnables ont été mis en place pour atteindre l’objectif, peu importe s’il a réellement été atteint. Tout réside donc dans la notion de raisonnable : qu’est-il « raisonnable » de mettre en œuvre ? En droit, cela renvoie à la norme de diligence, qui exprime le niveau de « vigilance appropriée »78. En l’occurrence, pour les obligations climatiques, le seuil du raisonnable est très élevé, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, le changement climatique a des causes diffuses, multiples et complexes, si bien que, pour lutter efficacement contre lui, il est nécessaire de considérer que la vigilance « normale » ou « raisonnable » est très large. Ensuite, le niveau de diligence est élevé parce que le changement climatique pose des problèmes particulièrement graves et urgents79. Dans le détail, cette norme de diligence varie en fonction du contexte, selon plusieurs facteurs80. En premier lieu, la science est un élément déterminant. Le niveau de diligence devient plus élevé s’il y a davantage de connaissances scientifiques disponibles et qu’elles sont accessibles81. Toutefois, en l’absence de donnée scientifique claire et précise, les États ne peuvent pas se dégager de toute obligation. En ce sens, le principe de précaution contribue également au renforcement de la norme de diligence82. C’est une évolution importante de la théorie des obligations positives. D’ordinaire, l’obligation positive trouve sa limite dans la connaissance légitime : si l’État démontre qu’il n’avait légitimement pas connaissance du risque, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir pris de mesure pour le prévenir83. En matière climatique, il semble que l’État ne puisse que rarement se prévaloir d’une ignorance légitime : même lorsque la science n’est pas univoque sur le risque environnemental, il doit agir. D’autres facteurs viennent également alourdir la norme de diligence, comme les droits atteints par le changement climatique84, le respect d’exigence procédurales d’information et de transparence85, le risque en cause86, ou les capacités des États87.
La conséquence du renforcement de la norme de diligence est la réduction de la marge de choix des États pour remplir leur obligation. Si elle demeure de moyen en son principe, elle se rapproche, en degré, des exigences attendues pour une obligation de résultat. Ainsi, par exemple, si la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît que, s’agissant des moyens mis en œuvre par les autorités publiques pour lutter contre le réchauffement climatique, la marge nationale d’appréciation reste conséquente88, elle affirme, par ailleurs, qu’il est « justifié de juger que la protection du climat doit se voir accorder un poids considérable dans la mise en balance de facteurs antagonistes »89, ce qui la conduit, en pratique, à énoncer des obligations très précises – et donc très contraignantes – pour les États. La Cour avait bien entendu déjà pu reconnaître des obligations positives dotées d’un haut degré de précision, telles des obligations d’intégrer certains éléments ou critères dans la législation pénale, par exemple90. Cependant, s’agissant du climat, la Cour semble aller encore plus loin. Elle énonce une obligation générale « d’adopter, et d’appliquer effectivement et concrètement, une réglementation et des mesures aptes à atténuer les effets actuels et futurs, potentiellement irréversibles, du changement climatique »91. Jusque-là, rien d’inédit. La Cour précise cependant cette obligation de réglementation, qu’elle considère remplie lorsque l’État a tenu compte de la nécessité :
« a) d’adopter des mesures générales précisant le calendrier à respecter pour parvenir à la neutralité carbone ainsi que le budget carbone total restant pour la période en question (…) ; b) de fixer des objectifs et trajectoires intermédiaires de réduction des émissions de GES (par secteur ou selon d’autres méthodes pertinentes) (…) ; c) de fournir des informations montrant si elles se sont dûment conformées aux objectifs pertinents de réduction des émissions de GES ou si elles s’y emploient ; d) d’actualiser les objectifs pertinents de réduction des émissions de GES avec la diligence requise et en se fondant sur les meilleures données disponibles ; et e) d’agir en temps utile et de manière appropriée et cohérente dans l’élaboration et la mise en œuvre de la législation et des mesures pertinentes »92.
L’harmonisation à l’œuvre dans la jurisprudence internationale concerne donc, outre la méthode de raisonnement et la reconnaissance de droits humains, la détermination des obligations étatiques, et plus spécialement de leur intensité. Les juridictions internationales tendent à admettre un niveau élevé d’exigence pesant sur les États, ce qui est d’ailleurs le résultat de leur méthode commune, dont les principes d’interprétation comme la précaution ou l’équité intergénérationnelle permettent justement de penser une norme de diligence élevée. Cependant, si un droit commun se dessine, il ne peut être qu’une « grammaire commune », c’est-à-dire, selon les mots de Mireille Demas-Marty, « un droit harmonisé plutôt qu’un droit unifié »93. Le « droit des droits » n’efface pas les spécificités régionales, ce qui explique que, malgré les rapprochements évoqués, subsistent une pluralité de modèles de protection internationaux des droits humains en matière climatique.
II- La subsistance d’une pluralité de modèles de protection
La formation d’un droit commun n’exclut pas la persistance de différences importantes entre les systèmes juridiques. En l’occurrence, si les juridictions internationales ont dégagé des principes communs en matière climatique, dans le détail des règles applicables, il apparaît que les régimes demeurent hétérogènes (A), ce qui s’explique en grande partie par la divergence de leurs fondements axiologiques (B).
A – Des régimes différents
Malgré des rapprochements notables, des divergences subsistent entre les jurisprudences internationales, tant sur les obligations étatiques que sur les droits. D’une part, au-delà d’une tendance générale vers l’élévation du niveau d’exigence pesant sur les États, les obligations demeurent marquées par une grande diversité, rétive à toute systématisation (1). D’autre part, en dépit d’une reconnaissance commune du droit à un environnement sain, le développement des droits en matière climatique demeure inégal entre les juridictions (2).
1 – Une diversité d’obligations
En premier lieu, les juridictions internationales raisonnent, à propos des obligations étatiques, selon des catégorisations qui leur sont propres. Il n’y a pas de systématisation commune des différents types d’obligations, c’est-à-dire de catégories partagées et utilisées par toutes les juridictions. Devant la Cour internationale de justice, la distinction entre les obligations d’atténuation, d’adaptation et de coopération semble prévaloir. Elle résulte de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique, et elle est reprise par l’Accord de Paris94. Cette classification n’est cependant pas la seule applicable, et ce même devant la Cour internationale de justice. En effet, la juridiction relève que, outre ces traités, des obligations découlent du droit international coutumier : le devoir de prévenir les dommages significatifs à l’environnement et le devoir de coopérer95. Ensuite, la Cour mentionne un certain nombre de conventions internationales dont l’objet est très spécifique, et qui contiennent, par conséquent, des obligations particulières, qui ne répondent pas à la distinction entre atténuer, adapter et coopérer96. Sur le fond, ces obligations vont dans le même sens, à savoir une protection renforcée du climat, mais, du point de vue des sources formelles et des catégories juridiques, force est de constater que les obligations étatiques demeurent, devant la Cour internationale de justice, très hétérogènes. En outre, la classification entre atténuer, adapter et coopérer n’est pas toujours reprise par les autres juridictions. Le Tribunal international du droit de la mer, par exemple, distingue les obligations de prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine, ainsi que celles de préserver et protéger le milieu marin – la seconde catégorie étant plus large que la première97. La Cour interaméricaine des droits de l’homme, quant à elle, distingue les obligations selon qu’elles visent à garantir la jouissance des droits substantiels ou des droits procéduraux98.
Au-delà de ce manque de systématisation, une réelle hétérogénéité semble persister sur le fond, particulièrement entre, d’un côté, le système européen et, d’un autre côté, les autres juridictions internationales, notamment la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Autrement dit, il y a une divergence sur le sens des obligations étatiques.
De manière générale, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les obligations étatiques sont moins précises. La Cour en reste à une obligation de réglementation en vue d’« atténuer les effets actuels et futurs, potentiellement irréversibles, du changement climatique »99. Certes, la Cour précise bien que cette obligation de réglementation est considérée comme remplie si les autorités ont établi un calendrier pour parvenir à la neutralité carbone, qu’elles ont fixé des objectifs et des trajectoires intermédiaires, fourni des informations sur la poursuite de ces objectifs et qu’elles les ont actualisés100. Cependant, ces précisions demeurent plutôt formelles : la Cour impose un cadre de raisonnement et de travail aux États, mais pas des méthodes précises, et encore moins des résultats. Par contraste, la Cour interaméricaine des droits de l’homme juge que l’État doit réaliser des études visant à déterminer, pour chaque activité, ses conséquences en termes d’émission de gaz à effet de serre et précise quels éléments doit contenir une telle évaluation101. La Cour européenne maintient davantage la structure d’une obligation de moyen, en laissant une marge d’appréciation conséquente aux États.
Ensuite, au-delà du degré général de précision, dans la jurisprudence de la Cour européenne, l’obligation étatique demeure limitée à la réglementation, à l’exclusion de toute obligation opérationnelle ou d’action matérielle concrète102. Par exemple, alors que la Cour interaméricaine prévoir une obligation d’enquête sur toutes les entreprises qui ne respectent pas les normes environnementales103, il n’y a pas, dans la jurisprudence européenne, d’obligation d’enquête – ce qui n’est pas surprenant dès lors que la Cour n’exploite pas l’article 2 de la Convention, qui accueille en principe les obligations positives d’enquête. La Cour européenne ne développe pas non plus d’obligation concrète de prise en compte de la vulnérabilité des personnes. Au contraire, la Cour interaméricaine est particulièrement prolixe sur cette question. Ainsi, au titre du droit à la vie, elle juge que l’État à notamment l’obligation d’assurer un approvisionnement en eau adéquat pour la consommation, l’assainissement et l’irrigation des cultures pendant les vagues de chaleur, en particulier dans les zones touchées par la sécheresse ou de développer les infrastructures nécessaires pour prévenir les inondations résultant de l’élévation du niveau de la mer ou de l’augmentation des précipitations104. Au titre du droit au travail et à la sécurité sociale, elle juge que l’État a l’obligation de concevoir des mécanismes de protection des salariés contre les risques climatiques au travail, notamment en assurant l’hydratation et la protection solaire105.
Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme ne reprend pas la théorie de l’effet horizontal à propos de la lutte contre le changement climatique. Elle a déjà pu admettre qu’elle s’appliquait en matière environnementale, mais toujours dans la perspective d’un fait illicite très localisé et d’un dommage personnel clair106. Il n’est donc pas évident qu’elle admette l’effet horizontal – c’est-à-dire l’obligation, pour les États, de protéger les individus des actions des personnes privées, notamment des entreprises, et donc de répondre des violations des droits commises par ces dernières – dans le champ climatique. Au contraire, les autres juridictions reconnaissent très clairement son application107.
Malgré un rapprochement entre les juridictions, qui tendent toutes à élever le niveau d’exigence pesant sur les États au titre de leurs obligations en matière climatique, des différences demeurent dans le détail des règles applicables. Le même constat peut être fait à propos des droits.
2 – Un inégal développement des droits
En premier lieu, si le droit à un environnement sain est présenté comme le fondement de tous les autres droits protégeant les individus contre le changement climatique, ces derniers ne font pas tous l’objet du même degré de développement et de précision selon les juridictions. La Cour interaméricaine des droits de l’homme est très certainement celle qui construit le système de droits le plus complet et ambitieux108. Elle distingue les droits substantiels et les droits procéduraux. Les premiers sont ceux dont l’exercice est particulièrement menacé du fait du changement climatique, tandis que les seconds sont ceux qui soutiennent des politiques publiques améliorant la lutte contre le changement climatique109. Au titre de la première catégorie, elle identifie le droit à la vie privée et famille, le droit à la propriété privée et au domicile, le droit à l’alimentation et à l’eau, le droit à la vie, à l’intégrité personnelle et à la santé, le droit au travail et à la sécurité sociale, le droit à la culture, et le droit à l’éduction. Au titre de la seconde catégorie, la Cour interaméricaine identifie le droit à la science, le droit à la participation du public, ou encore le droit d’accès à la justice (qui comprend un délai raisonnable, des actions de groupe, etc.). La Cour européenne ne reprend pas explicitement la même distinction s’agissant du climat. Surtout, elle ne détaille absolument pas ce qui pourrait s’apparenter à un « volet substantiel » des droits humains. En revanche, elle précise que l’article 8 de la Convention – qui accueille le « droit pour les individus à une protection effective, (…) contre les effets néfastes graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie » – comprend une dimension procédurale. En particulier, elle pose que les autorités publiques doivent mettre à disposition du public les informations « qui sont importantes pour l’élaboration et la mise en œuvre de la réglementation et des mesures appropriées pour faire face au changement climatique », et qu’elles doivent également « mettre en place des procédures permettant la prise en compte dans le processus décisionnel de l’avis de la population, et en particulier des intérêts des personnes qui sont touchées ou risquent d’être touchées par la réglementation et les mesures pertinentes, ou par leur absence »110. Mais ces droits procéduraux restent bien en-deçà de ceux que prévoit la Cour interaméricaine. Quant à la Cour internationale de justice, elle souligne « qu’un environnement propre, sain et durable est une condition préalable à la jouissance de nombreux droits de l’homme, dont le droit à la vie, le droit à la santé et le droit à un niveau de vie adéquat, qui inclut l’accès à l’eau, à l’alimentation et au logement »111. Cependant, elle ne s’inscrit pas dans une réelle prise en compte de la vulnérabilité, telle que développée par la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Cela s’explique, certes, par son office – ce n’est pas, en tant que telle, une juridiction des droits de l’homme – mais également par une certaine vision des rapports entre les États. La Cour rappelle en effet que « l’application des règles régissant la responsabilité des États en droit international coutumier ne varie pas en fonction de la catégorie ou du statut de l’État lésé. Ainsi, les États “spécialement atteints” ou “particulièrement vulnérables” ont en principe droit à la même réparation que tout autre État lésé »112.
En second lieu, les divergences entre les juridictions internationales ne concernent pas seulement le sens et la portée des droits, mais également leurs titulaires. Sur ce point, la Cour interaméricaine se singularise très nettement, puisqu’elle envisage que les titulaires des droits ne soient pas seulement les individus. A vrai dire, cette question ne se pose pas devant la Cour internationale de justice, ni pour le Tribunal international du droit de la mer, qui, au contentieux, sont seulement compétents pour des litiges interétatiques113. La question concerne donc spécialement la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que la Cour interaméricaine des droits de l’homme. La première demeure incontestablement dans la perspective de l’individualisme juridique, où le sujet de droit est une personne, c’est-à-dire un centre d’imputation individuel des droits et des obligations, qu’elle soit physique ou morale. En témoignent les développements de la Cour européenne, dans son arrêt de 2024, sur la qualité de victime. Affirmant refuser toute actio popularis, la Cour entend, en dépit des considérations impérieuses liées au changement climatique, maintenir le principe du caractère personnel de l’action, au travers de la notion de « victime », prévue à l’article 34 de la Convention. Par conséquent, elle considère que les personnes physiques doivent démontrer qu’elles sont victimes directes – refusant ainsi qu’elles puissent se prévaloir du statut de victime potentielle114. Elle fait toutefois évoluer sa conception de la « victime directe » afin de s’adapter à la nécessité d’ouvrir davantage son prétoire aux actions climatiques, en jugeant que le requérant doit démontrer qu’il est « exposé de de manière intense aux effets néfastes du changement climatique » et qu’il y a un « besoin impérieux d’assurer la protection individuelle du requérant, en raison de l’absence de mesures raisonnables ou adéquates de réduction du dommage »115. La Cour européenne entend ainsi que des intérêts personnels soient démontrés, ce qui témoigne de sa conception individualiste du sujet du droit. Les intérêts collectifs n’ont pas, en tant que tels, d’audience devant la Cour européenne. Ce n’est pas du tout la perspective adoptée par la Cour interaméricaine, qui admet qu’il puisse exister des titulaires de droits indépendamment de la qualité de personne juridique, ce qui est le cas pour la Nature116, les peuples autochtones et les générations futures117. La notion de personne juridique s’inscrit nécessairement dans un individualisme juridique, parce qu’elle consiste à créer un centre d’imputation individuel, même lorsqu’il s’agit d’une personne morale. Dans cette hypothèse, ce n’est pas le groupe, dans sa dimension immédiatement collective, qui est titulaire des droits, mais la personne. Elle représente, certes, les intérêts collectifs du groupe, mais, par son existence même en tant que personne (nécessairement individuelle), elle les transpose dans le langage individualiste. S’agissant tout particulièrement de la Nature, l’objectif affiché de la Cour est justement de « transcender les concepts juridiques hérités qui concevaient la nature exclusivement comme un objet de propriété ou une ressource exploitable »118, ce qui vise les concepts juridiques d’inspiration individualiste, c’est-à-dire la limitation de la titularité de droits à la personnalité juridique119. Ce bouleversement des concepts doit permettre de sortir d’une conséquence néfaste de l’individualisme, à savoir l’anthropocène, c’est-à-dire la domination de la Nature par l’homme120. Pour la Cour, « il est fondamental de progresser vers un paradigme qui reconnaît les droits inhérents aux écosystèmes afin de protéger leur intégrité et leur fonctionnalité à long terme »121. Cette déconnexion de la titularité des droits et de la personnalité juridique pose bien entendu un grand nombre de difficultés, au premier rang desquelles se trouve la question pratique de la représentation, notamment en justice, des intérêts collectifs122.
Ce dernier point illustre combien, en dépit des dynamiques d’harmonisation, les divergences qui demeurent sont profondes. Ce ne sont donc pas seulement quelques règles précises et contingentes qui varient entre les juridictions et les régions du globe, mais des modèles globaux de protection des droits, qui reposent sur des fondements axiologiques divergents.
B- Des fondements axiologiques divergents
Les différences de régime constatées s’expliquent bien entendu en partie par certaines données pratiques et concrètes, qu’elles soient juridiques ou même factuelles. Ainsi, par exemple, il n’est pas équivalent, pour une juridiction, de disposer d’un texte précis, évoquant explicitement des droits et des obligations en matière climatique, ou de devoir interpréter une convention contenant des clauses bien plus générales relatives à des droits fondamentaux. Le développement des droits et des obligations est plus aisé pour celle qui s’appuie sur un texte prolixe que pour celle qui doit faire preuve d’audace interprétative. De même, une juridiction qui ne peut être saisie que de litiges interétatiques ne raisonne pas comme celles dont le cœur de compétence consiste à se prononcer sur des litiges opposant des individus à l’État. La première ne peut pas, autant que la seconde, développer une jurisprudence sur les droits. En outre, sur un plan purement factuel, certaines juridictions, par leur caractère régional, sont confrontées à des problématiques qui leur sont spécifiques. Ainsi, par sa situation géographique, la Cour interaméricaine est bien davantage confrontée aux questions juridiques découlant de l’existence de peuples autochtones que la Cour européenne, ce qui explique qu’elle développe une jurisprudence originale sur ce sujet et qu’elle soit, d’une manière générale, plus réceptive aux revendications collectives ainsi qu’à une approche située de l’individu, prenant en compte son appartenance à un groupe et sa vulnérabilité. La Cour interaméricaine se montre aussi traditionnellement plus exigeante à l’égard des États, parce qu’elle a fait face, au début de son activité, à des violations extrêmement graves, qui l’ont conduite, faute de garanties suffisantes de la part des autorités étatiques, à refuser de leur reconnaître une authentique marge d’appréciation123. A l’inverse, la Cour européenne est, bien plus que sa « sœur »124, confrontée à un risque d’engorgement de son prétoire, ce qui la conduit, à bien des égards, à concevoir différemment ses positions. Ces éléments, toutefois, n’épuisent pas les explications pouvant être apportées aux différences constatées entre les jurisprudences internationales sur la question climatique. Elles trouvent, plus profondément, leur raison d’être dans une divergence de fondements axiologiques – de valeurs – entre les modèles de protection des droits garantis par les juridictions internationales. Ces fondements axiologiques sont particulièrement perceptibles s’agissant de la Cour interaméricaine et de la Cour européenne, pour plusieurs raisons. Premièrement, ce sont des juridictions régionales, ce qui rend leurs spécificités culturelles plus marquées. Ensuite, elles accueillent des recours individuels, ce qui les conduit à développer une conception des droits, lesquelles charrient très clairement des valeurs. Enfin, leur compétence est assez générale, contrairement à d’autres juridictions internationales, comme le Tribunal international du droit de la mer, chargées d’appliquer un traité dont l’objet est très limité. Cela ne veut pas dire, pour autant, que ces référents axiologiques ne sont pas présents pour la Cour internationale de justice et pour le Tribunal. Ils sont simplement moins déterminants.
En premier lieu, la Cour interaméricaine développe principalement une conception sociale du droit et des droits, par opposition à la Cour européenne, dont l’action est davantage fondée sur une conception libérale des droits. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que la Cour doit interpréter et appliquer, apparaît, en effet, comme une traduction juridique du libéralisme politique. Comme le souligne Michel Lévinet,
« dans le contexte de la guerre froide naissante et au sortir de l’affrontement avec le totalitarisme nazi, la Convention – tout comme l’organisation lui ayant servi de cadre – ont été conçues avant tout comme des instruments de préservation des valeurs de la démocratie libérale, au moment où était instaurée, dans une autre partie de l’Europe, une tout autre conception des droits et libertés »125.
Cet attachement au libéralisme politique, dont les principes cardinaux sont la tolérance et la garantie de la liberté individuelle, conduit à privilégier les droits civils et politiques, lesquels exigent une abstention de l’État pour leur réalisation – des obligations négatives, donc. Ces droits traduisent ainsi le dogme libéral du retrait et de la neutralité de l’État à l’égard de la société civile, des opinions et des modes de vie126. Un tel libéralisme politique ne s’oppose pas, en tant que tel, à la reconnaissance de droits économiques et sociaux, à côté des droits civils et politiques. Cependant, lors de l’adoption de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en 1950, aucun consensus n’émerge entre les Etats sur la consécration de tels droits. Bien plus, ils se méfient même unanimement de ce qu’une telle orientation pourrait avoir comme conséquences sur leurs finances publiques. Ils s’opposent ainsi à ce que la reconnaissance de droits conduise à des obligations de financement127. Dans cette perspective, le libéralisme de la Cour européenne n’est pas seulement politique, mais également économique128. Cette orientation conduit la Cour à ne pas développer pleinement les potentialités de la théorie des obligations positives dans le domaine économique et social. Comme le relève Colombine Madelaine, « la Cour a clairement refusé de s’engager dans la voie d’une “socialisation” des droits civils et politiques. La définition de l’État livrée par la Cour au moyen de la technique des obligations positives n’est pas celle d’un État Providence »129. Concrètement, la Cour refuse, en général, de considérer que les États sont obligés d’assurer des conditions d’existence décentes aux individus, donc de lutter contre la pauvreté130.
Au contraire, la Cour interaméricaine développe, depuis ses origines, une conception sociale des droits. Certes, la Convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969 – dite aussi Pacte de San José – est moins ambitieuse sur les droits économiques et sociaux que ne l’ont été certaines déclarations de droits latino-américaines adoptées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale131. Lors de la rédaction du Pacte de San José, deux positions se firent face : l’une, représentée par le Comité juridique interaméricain, favorable à une large reconnaissance de ces droits et l’autre, portée par la Commission interaméricaine des droits de l’homme, bien plus réticente à dépasser la consécration de droits civils et politiques, arguant alors de la nécessité d’adopter une position compatible avec le continent européen132. C’est principalement la position de la Commission qui imprima sa marque sur la Convention, ce pourquoi celle-ci comporte une unique référence aux droits économiques et sociaux, à l’article 26, qui prévoit le développement progressif de ces droits. Cela étant, sur la base de cette convention, l’action de la Cour fut constamment tournée vers la promotion d’une conception sociale des droits. Dès son entrée en fonctionnement, en 1979, elle œuvra pour l’adoption d’un protocole additionnel. Ce fut chose faite en 1988, par l’adoption du Protocole de San Salvador, proclamant un certain nombre de droits économiques et sociaux, dont le droit à un environnement sain. En outre, la Convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969 repose tout de même sur une vision des droits qui ne saurait être véritablement qualifiée de « libérale », dès lors qu’elle est davantage collective qu’individualiste. En effet, elle appréhende l’homme dans le cadre de son intégration dans une collectivité, un groupe. Cette appartenance au collectif n’est cependant pas entièrement construite et contingente. Au contraire, elle est comprise comme la condition naturelle de l’homme, de laquelle il tire sa dignité et ses droits. A l’opposé du volontarisme et de l’individualisme du libéralisme, les droits interaméricains conduisent à comprendre l’individu à l’aune d’une nature humaine, laquelle comprend notamment son ancrage dans une communauté. La Convention contient, dans son préambule, des affirmations sans ambiguïté, comme celle selon laquelle « les droits fondamentaux de l’homme ne découlent pas de son appartenance à un État donné, mais reposent sur les attributs de la personne humaine ». De ces prémisses, résulte un attachement aux droit sociaux, que la Cour va s’attacher à développer dans sa jurisprudence. Le préambule du Pacte de San José affirme ainsi que « l’idéal de l’homme libre, à l’abri de la peur et de misère, ne peut se réaliser que grâce à la création de conditions qui permettent à chaque personne de jouir de ses droits économiques, sociaux et culturels aussi bien que de ses droits civils et politiques ». Cette philosophie juridique d’inspiration sociale explique que la Cour accepte de prendre en considération la vulnérabilité concrète des individus. Ainsi, dans sa jurisprudence, le principe d’égalité la conduit à exiger des États qu’ils mettent en œuvre des mesures de discrimination positive133. C’est également ce qui explique que la Cour admette le principe de droits collectifs, c’est-à-dire attachés à des groupes. Cette divergence de fondements axiologiques – l’un étant libéral, l’autre social – contribue à comprendre certaines différences constatées entre les juridictions sur la question climatique. En particulier, la philosophie sociale de la Cour interaméricaine explique qu’elle n’hésite pas à développer un système de droits plus conséquent et ouvert au problème de la vulnérabilité de certains individus ou groupes, à poser des obligations plus exigeantes à l’égard des États, ou encore à envisager que les titulaires des droits soient des collectifs. Au contraire, la philosophie libérale de la Cour européenne la conduit à une prudence certaine sur la reconnaissance de droits et d’obligations économiques et sociaux, et donc à proposer une protection sûrement moins développée contre les menaces climatiques, qui supposent un regard concret et une attention aux problématiques sociales.
En second lieu, l’hétérogénéité des régimes de protection des droits climatiques fait écho à une différence dans la conception de la démocratie. A nouveau, la Cour interaméricaine apparaît plus audacieuse dans son action, tandis que la Cour européenne, en raison de sa vision de la démocratie, fait preuve de prudence. Sur la base d’un texte prolixe, la Cour interaméricaine développe une conception participative de la démocratie. Le Pacte de San José fait référence, dans son préambule, à la démocratie représentative et contient un article 23 prévoyant, de manière très détaillée, des droits de participation aux affaires publiques, de vote et d’éligibilité et d’accès aux fonctions publiques134. La Cour construit, dans ce sillage, un ensemble de droits attachés à l’idée de démocratie participative, toujours dans une perspective sociale et de contrainte assumée à l’égard des États. Ainsi, la Cour invite les États à prendre en compte la vulnérabilité de certaines populations et à prévoir des mécanismes électoraux permettant à ces groupes de participer authentiquement, surtout pour les questions concernant spécialement leur communauté135. Au contraire, la Cour européenne des droits de l’homme pose assez peu d’exigences sur le fonctionnement électoral des États. Cette différence contribue, d’ores et déjà, à éclairer l’inégal développement des droits procéduraux reconnus par les deux cours en matière climatique. Mais surtout, tandis que la Cour interaméricaine assume sans difficulté une interprétation créatrice et une action contraignante à l’égard des États, la Cour européenne des droits de l’homme, fréquemment critiquée au nom du spectre du « gouvernement des juges »136, revendique un principe de subsidiarité et fait preuve d’une déférence certaine à l’égard des autorités nationales, au nom de la légitimité démocratique. Dans son arrêt de 2024, elle réaffirme ce positionnement :
« (…) [la Cour] est, et doit rester, consciente du fait que, de manière générale, les mesures conçues pour lutter contre le changement climatique et ses effets néfastes nécessitent une action de la part du législateur, tant au niveau du cadre politique que dans divers domaines sectoriels. Dans une démocratie, qui représente un élément fondamental de l’ordre public européen, comme il ressort du préambule de la Convention ainsi que des principes de subsidiarité et de responsabilité partagée (…), pareille action dépend donc nécessairement du processus décisionnel démocratique »137.
Bien entendu, en accord avec sa philosophie libérale, la Cour rappelle également que « la démocratie ne saurait être réduite à la volonté majoritaire des électeurs et des élus, au mépris des exigences de l’État de droit » et qu’ainsi « la tâche du pouvoir judiciaire consiste à assurer le nécessaire contrôle de la conformité avec les exigences légales »138. Il n’en demeure pas moins qu’elle fait preuve de prudence dans sa politique jurisprudentielle, soucieuse de rattacher ses décisions à la Convention et, ainsi, à ce qu’ont pu accepter les États. Ceci apparaît clairement dans sa décision de 2024, puisque la légitimité démocratique et le principe de subsidiarité apparaissent dès le début de son raisonnement, pour justifier sa compétence à traiter des questions climatiques. On comprend que si elle déploie un tel effort pour justifier ne serait-ce que sa compétence à se saisir de la question, son audace ne peut être la même que celle de la Cour interaméricaine. Cette question de la légitimité démocratique apparaît également lors de l’examen de l’ampleur de la marge nationale d’appréciation. La Cour juge qu’elle est restreinte s’agissant de « l’engagement de l’État en faveur de la nécessaire lutte contre le changement climatique et ses effets néfastes, et la fixation des buts et objectifs requis à cet égard »139, mais qu’elle est ample s’agissant des moyens. Elle se distingue donc de la Cour interaméricaine qui, d’une manière générale, refuse la notion de marge.
Les divergences entre les juridictions internationales s’agissant de la protection contre le changement climatique ne sont donc pas seulement superficielles. Elles révèlent, plus profondément, une hétérogénéité des modèles de protection des droits. Face à ces différences, l’on pourrait douter de la pertinence de parler d’un « droit commun », même dans l’idée souple qu’en propose Mireille Delmas-Marty. Après tout, si la séparation touche les fondements, que peut-il bien demeurer de commun ? Si le relativisme est si grand, n’est-il pas illusoire de continuer à espérer l’universalisme ? Cette vision des choses semble cependant tout céder au relativisme et, surtout, l’exagérer. S’il est tout à fait exact que le pluralisme est grand et qu’il touche des questions de fond importantes, il n’épuise pourtant pas la réalité morale, politique et juridique des sociétés modernes. Toute la question est donc de restituer ce qui peut être commun, voire fondateur, dans ce contexte nouveau. Ce qu’il faut concéder au pluralisme, c’est-à-dire ce qu’il change profondément pour la vie ensemble, c’est qu’il nous – les juristes, les citoyens – place dans une posture de négociation et de discussion permanentes. L’affirmation générale de droits n’a, en effet, pas suffi à supprimer l’hétérogénéité des conceptions axiologiques qui viennent en nourrir le contenu – et c’est probablement pour le mieux. Cette réalité nous oblige à une négociation continue et quotidienne sur ce que nous choisissons de faire dire à ces droits. Est-ce à dire qu’il n’y a rien de commun, entre les individus au sein des sociétés et entre les sociétés entre elles ? Nous ne le pensons pas. S’accorder, déjà, sur la nécessité d’une discussion et d’une négociation sur le sens des droits – et donc, au fond, sur la légitimité de l’obligation politique et juridique – dessine un cadre fondamental que nous avons en partage. Ce n’est pas rien que d’expérimenter, ensemble, cette vision du monde qui, à l’échelle de l’histoire, est bien récente. Reste alors une question : ce commun peut-il être appelé « fondement » ? En principe, la fondation renvoie à la découverte (ou à la construction) de principes absolument vrais et objectifs (ou réputés absolument vrais et objectifs). Dans cette perspective, ce commun ne semble pas pouvoir être « fondé » – les valeurs communes ne le sont pas – ni, par conséquent, être « fondateur ». C’est ce que semble conclure Mireille Delmas-Mary, lorsque, dans une partie intitulée « Résoudre l’énigme d’une communauté de valeurs sans fondations », elle écrit :
« Les droits de l’homme ne peuvent donner naissance à un véritable droit commun de l’humanité que s’ils sont perçus, non pas comme un acte de foi énonçant des axiomes indémontrables, mais comme un processus dynamique. A la fois évolutifs et interactifs, les droits de l’homme ainsi compris ne “fondent” pas à proprement parler un édifice immobile mais suscitent un mouvement, en effet complexe, d’internationalisation des droits »140.
Une authentique fondation apparaît, en effet, incompatible avec le caractère mouvant des droits fondamentaux, lequel résulte de ce qu’ils sont en permanence soumis à la discussion sur leur sens et leur portée, qui varient selon les conceptions de valeurs que l’on choisit d’y placer. Les droits fondamentaux accueillent ces mouvements axiologiques, en même temps qu’ils contribuent, en retour, à faire évoluer les valeurs. C’est en ce sens qu’ils sont des « des processus transformateurs »141, et qu’ils peuvent participer à la formation d’un droit commun, dont les contours seront, inévitablement, soumis à la discussion permanente sur ce que nous avons « en commun ».
1 DC n°2025-891, 7 août 2025, Loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur.
2 CAA Paris, 3 septembre 2025, n° 23PA03881 ; 23PA03883 ; 23PA03895.
3 Pour une distinction entre l’environnement et le climat, voir D. Misonne, M. Torre-Schaub, A. Adam, « Chronique sur la justice climatique en Europe (2024) », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2025/2 n° 142, p. 440.
4 CEDH, grd. ch., 9 avril 2024, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, n°53600/20.
5 TIDM, avis, 21 mai 2024, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, n°31. Sur cet avis, voir notamment M. Duch Giménez, « Un premier avis consultatif ambitieux sur les obligations internationales des États au regard du changement climatique (obs. sous Tribunal international du droit de la mer, avis consultatif rendu à la suite de la demande soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, 21 mai 2024 », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2025/2, pp. 493-513.
6 CIDH, avis, 29 mai 2025, Climate emergency and human rights, n°32/25.
7 CIJ, avis, 23 juillet 2025, Obligations des États en matière de changement climatique, n°187.
8 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §372 ; CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §431 ; CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §89 et s.
9 D. Roman, La cause des droits. Ecologie, progrès social et droits humains, Paris, Dalloz, 2022, pp. 29-32. Voir en particulier, pp. 30-31 : « La notion de “droits humains” contextualise le titulaire des droits revendiqués : là où le titulaire des droits de l’homme était un individu abstrait et autonome le titulaire des droits humains est l’individu concret, incarné, inséré dans des liens de dépendance. La notion de droits humains permet de mieux prendre en compte la spécificité des conditions d’existence de certains groupes sociaux, marginalisés ou vulnérables – ceux-là mêmes qui réclament, dans les rues ou dans les tribunaux, la protection effective des droits sociaux et environnementaux. Telle est bien la logique des droits sociaux et environnementaux, comme l’atteste le choix du législateur français d’utiliser la notion de “droits humains fondamentaux”, lorsqu’il s’agit notamment de dresser les contours de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et, partant, de protéger les salariés, les sous-traitants et les populations exposées à des risques issus de l’activité commerciale ».
10 Voir en ce sens M. Torre-Schaub, « Vers une justice climatique transnationale et globale », Revue internationale de droit comparé, 2023/4, pp. 777-788 ; C. Cournil, « “Verdissement” des systèmes régionaux de protection des droits de l’Homme : circulation et standardisation des normes », Journal européen des droits de l’homme, 2016/1 [en ligne].
11 M. Delmas-Marty, Vers du droit commun de l’humanité, Paris, Textuel, 2e éd., 2005, p. 39.
12 Ibid., pp. 59-60.
13 Ibid., p. 65.
14 Ibid., pp. 71-72.
15 Ibid., p. 56.
16 M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (IV). Vers une communauté de valeurs ?, Paris, Seuil, 2001, p. 333.
17 Ibid., p. 203.
18 Ibid, p. 14.
19 M. Delmas-Marty, Vers du droit commun de l’humanité, op. cit., p. 80. Voir aussi M. Delmas-Marty, Pour un droit commun, Paris, Seuil, 1994, p. 284 : « A partir des droits de l’homme, il devient possible d’imaginer un “droit des droits” qui permettrait de rapprocher, et non d’unifier, les différents systèmes. (…) Comme autant de nuages qui portés par un même souffle s’ordonneraient peu à peu tout en gardant leur propre rythme, leurs propres formes ».
20 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §427.
21TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §241.
22 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §456.
23 Ibid. Nous soulignons.
24 Voir notamment p. 22 de l’avis, où figurent un graphique sur les secteurs d’activités qui contribuent le plus aux émissions de GES, et un autre sur la part des continents dans ces émissions.
25 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §429 ; TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §49-51 ; CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §74.
26 TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §52 ; CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §76.
27 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §81.
28 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §85.
29 Ibid., §86.
30 TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc. §60.
31 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §72 ; TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc. §53-54 ; CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §46 et §66.
32 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §89 ; CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §87.
33 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §89.
34 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §456.
35 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §133-136. Voir également CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §131-144.
36 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §116-121.
37 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §225-227.
38 Voir, s’agissant de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, M. Rota, L’interprétation des conventions américaine et européenne des droits de l’homme. Analyse comparée de la jurisprudence des cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme, Paris, LGDJ, 2018, respectivement p. 307 et s. et p. 293 et s.
39 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §132 et s. Voir CIJ, 20 avril 2010, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), §101.
40 Ibid., §140 et s.
41 Ibid., §311-312.
42 Ibid., §315.
43 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §287-294.
44 CEDH, 25 avril 1978, Tyrer c. Royaume-Uni, n°5856/72, §31.
45 CEDH, grd. ch., 11 juillet 2002, Christine Goodwin c. Royaume-Uni, n° 28957/95, §74.
46 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §434. Voir également CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §292 et 294.
47 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §137.
48 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §287.
49 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §158.
50 TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §213.
51 Sur cette question, voir en particulier le travail de A. Leric, Droits fondamentaux et générations futures. Perspectives en droit de l’Union européenne, mémoire réalisé sous la direction de E. Dubout, Université Paris Panthéon Assas, 2025.
52 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §310.
53 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §157.
54 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §420. Voir également §549.
55 M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (IV). Vers une communauté de valeurs ?, op. cit., pp. 194-203.
56 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §392. Voir la résolution 76/300 du 28 juillet 2022.
57 Ibid., §393.
58 Ibid.
59 Sur cette question, voir notamment L. Hennebel et H. Trigoudja, « Le droit à un environnement sain comme droit de l’homme. Observations sur l’avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l’homme n°23, environnement et droits de l’homme », Annuaire français de droit international, 2019/65, pp. 415-437 ; K. Martin-Chenut et al., « La protection de l’environnement saisie par la Cour interaméricaine des droits de l’homme », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2024/2, pp. 441-452.
60 CIDH, 31 août 2017, Lagos del Campo c. Pérou, série C, n° 340.
61 CIDH, avis, 15 novembre 2017, Environnement and Human Rights, n°23/17, §57.
62 Voir par exemple CIDH, 6 février 2020, Case of the Indigenous Communities of the Lhaka Honhat Association (Our Land) v. Argentina, série C, n° 400, §202-209.
63 CIDH, Climate emergency and human right, avis préc., §270.
64 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §519. Sur cette question, voir L. Burgorgue-Larsen, « Actualité de la convention européenne des droits de l’homme (juillet-août 2024) », AJDA, 2024, pp. 1799-1800.
65 Ibid., §722.
66 Ibid, §447.
67 Par exemple, CEDH, 25 octobre 2016, Otgon c. République de Moldavie, n°22743/07, §15.
68 P. Baumann, Le droit à un environnement sain et la Convention européenne des droits de l’homme, Paris, LGDJ, 2021, 37.
69 CEDH, 2022, Thibaut c. France, §38. Voir dans le même sens CEDH, 2003, Hatton c. Royaume-Uni, §96.
70 Les obligations sont le miroir des droits, lorsqu’il s’agit d’engager la responsabilité internationale de l’État dans une perspective de réparation. La violation d’une obligation correspond généralement à celle d’un droit, cette dernière permettant de demander réparation. Dans cette perspective, par exemple, le droit à l’information correspond à l’obligation pour l’État de diffuser cette information. Cette logique prévaut devant la Cour interaméricaine et la Cour européenne. Toutefois, cette connexion n’est pas systématique. Lorsque la responsabilité internationale ne débouche pas sur une réparation, il est possible de penser les obligations sans les droits. C’est le cas pour la Cour internationale de justice, qui peut se prononcer dans des litiges interétatiques sans perspective de réparation (parce que l’État requérant n’est pas lésé) ainsi que du Tribunal international du droit de la mer. C’est ce qui explique que la Cour internationale de justice évoque, dans son avis, des obligations procédurales mais pas de droits procéduraux (§295).
71 CIDH, Climate emergency and human rights, avis, préc., §219.
72 Ibid., §224.
73 Voir pour la Cour européenne des droits de l’homme : 13 juin 1979, Marcks c. Belgique, n°6833/74, §31.
74 Certaines juridictions utilisent plutôt le terme, assez évocateur, d’« obligation de comportement ». Voir notamment TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §233 ; CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §231.
75 CEDH, 6 février 1981, Airey c. Irlande, n°6289/73, §25.
76 CEDH, 16 novembre 2008, Renolde c. France, n°5608/05, §82.
77 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §207.
78 TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §235.
79 Ibid., §241 ; CIDH, Climate emergency and human rights , avis préc., §233 ; CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §279.
80 Ibid., §239.
81 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §283 ; CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §236 ; TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §239 ; CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §242.
82 TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §242 ; CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §232.
83 CEDH, 28 novembre 1998, Osman c. Royaume-Uni, n°23452/94, §116. Sur cette question, voir B. Coforti, « Exploring the Strasbourg Case-Law : Reflections on State Responsibility for the Breach of Positive Obligations », in M. Fitzmaurice et D. Sarooshi (éd.), Issues of State Responsibility before International Judicial Institution, Hart, 2004, pp. 129-137.
84 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §233.
85 Ibid., §236.
86 TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §239 ; CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §232.
87 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §292 ; TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §227.
88 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §543.
89 Ibid., §542.
90 CEDH, 26 novembre 2005, Siliadin c. France, n°73316/01, §134 et s.
91 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §545.
92 Ibid., §550. Voir dans le même sens CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §196 et s. ; CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §238 et s.
93 M. Delmas-Marty, Vers du droit commun de l’humanité, op. cit., p. 80.
94 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §200 et s.
95 Ibid. §271 et s.
96 Ibid., §316 et s.
97 TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §152.
98 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §266.
99 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §545.
100 Ibid., §550.
101 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §361.
102 Voir cependant CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §552.
103 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §356.
104 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §401.
105 Ibid., §545.
106 CEDH, 8 juillet 2003, Hatton et a. c. Royaume-Uni, n° 21893/93, §98.
107 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §226 et §347 ; TIDM, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis préc., §235 ; CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §281-282. Voir également CIJ, 21 avril 2010, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), §197.
108 M. Torre-Schaub, « Vers une justice climatique transnationale et globale », Revue internationale de droit comparé, 2023/4, pp. 784-785.
109 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §266.
110 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc, §554.
111 CIJ, Obligations des États en matière de changement climatique, avis préc., §393.
112 Ibid., §109.
113 Article 34 du Statut de la Cour internationale de justice ; Article 20 du Statut du Tribunal international du droit de la mer.
114 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §485.
115 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §487. Sur cette question, voir notamment S. Van Drooghenbroeck, « Le réchauffement climatique et ses remèdes strasbourgeois : au cœur d’une politique judiciaire À propos de l’arrêt Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et des décisions Carême et Duarte Agostinho de la Cour européenne des droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2024/4, pp. 878-884.
116 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §279.
117 Ibid., §307.
118 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §280.
119 D. Roman, La cause des droits, op. cit., p. 132.
120 M. Altwegg-Boussac, « Les droits de la nature, des droits de l’homme ? Quelques observations sur des emprunts au langage du constitutionnalisme », Revue des droits de l’homme, 2020, §3 [en ligne].
121 CIDH, Climate emergency and human rights, avis préc., §279.
122 Pour les problèmes qui se posent plus spécifiquement concernant la reconnaissance des droits des générations futures, voir D. Roman, op. cit. p. 128.
123 M. Rota, L’interprétation des conventions américaine et européenne des droits de l’homme. Analyse comparée de la jurisprudence des cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme, op. cit. pp. 214-215. En particulier p. 215 : « Ces affaires l’ont conduite à interpréter la Convention de manière “autoritaire”, sans s’en remettre aux États parties, leurs ordres internes n’offrant pas les garanties suffisantes. Elle a donc été amenée à exercer un “contrôle strict de conventionnalité”, qui ne laisse en principe aucune place à une éventuelle marge d’appréciation des États ».
124 Ibid., p. 12.
125 M. Levinet, « Les présupposés idéologiques de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Les Petites Affiches, n°254, 22 décembre 2010, p. 9. Voir dans le même sens L. Burgorgue-Larsen, Les 3 Cours régionales des droits de l’homme in context. La justice qui n’allait pas de soi, Paris, Pedone, 2020, pp. 25-30.
126 M. Rota, op. cit., p. 359.
127 L. Burgorgue-Larsen, Les 3 Cours régionales des droits de l’homme in context. La justice qui n’allait pas de soi, op. cit., p. 176 : Les pays d’Europe de l’Ouest ayant créé le Conseil de l’Europe et participé à l’élaboration du texte de 1950 n’ont jamais été prêts à se défaire d’une classification binaire (droits civils et politiques versus droits économiques, sociaux et culturels), au soubassement de leur idéologie libérale, en opposition avec les Etats de l’Est du continent. Partant, préserver les ressources budgétaires, au profit d’autres priorités que l’idéal de justice sociale, a toujours été au cœur de l’approche politique européenne sur le sujet ; une approche conservatrice ».
128 P. Baumann, Le droit à un environnement sain et la Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., pp. 495-507.
129 C. Madelaine, La technique des obligations positives en droit de la Convention européenne des droits de l’Homme, Paris, Dalloz, 2014, p. 460.
130 Ibid., p. 461.
131 L. Burgorgue-Larsen, Les 3 Cours régionales des droits de l’homme in context. La justice qui n’allait pas de soi, op. cit, p. 179.
132 Ibid, p. 180.
133 CIDH, 15 septembre 2005, Mapiripan Massacre c. Colombia, §178.
134 Article 23 : « 1. Tous les citoyens doivent jouir des droits et facultés ci-après énumérés : a. De participer à la direction des affaires publiques, directement ou par l’intermédiaire de représentants librement élus ; b. d’élire et d’être élus dans le cadre de consultations périodiques authentiques, tenues au suffrage universel et égal, et par scrutin secret garantissant la libre expression de la volonté des électeurs, et c. d’accéder, à égalité de conditions générales, aux fonctions publiques de leur pays. 2. La loi peut réglementer l’exercice des droits et facultés mentionnés au paragraphe précédent, et ce exclusivement pour des motifs d’âge, de nationalité, de résidence, de langue, de capacité de lire et d’écrire, de capacité civile ou mentale, ou dans le cas d’une condamnation au criminel prononcée par un juge compétent ».
135 M. Rota, op. cit., pp. 408-409.
136 Sur cette question, nous nous permettons de renvoyer à notre article « Le process-based review dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ou le problème de la rationalité procédurale dans les démocraties libérales », Revue des droits et libertés fondamentaux, 2025, chron. n°26 [en ligne].
137 CEDH, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, déc. préc., §411.
138 Ibid., §412.
139 Ibid., §543.
140 M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (IV). Vers une communauté de valeurs ?, op. cit., p. 196. Nous soulignons.
141 Ibid., p. 199.