Sollicitations et réponses de la Cour de justice de l’Union européenne dans la crise de l’État de droit
Laurent Coutron, Référendaire à la Cour de justice de l’Union européenne, Professeur de Droit public à l’Université de Montpellier (Cream)*
L’examen des interventions de la Cour de justice de l’Union européenne dans la crise de l’État de droit que traversent certains États membres de l’Union et, par devers eux, l’Union elle-même, suppose, au préalable, d’identifier les décisions pertinentes de la Cour de justice[1], ce qui n’est pas sans soulever des difficultés d’ordres matériel, temporel et géographique. Ainsi, par exemple, doit-on inclure dans l’échantillon étudié les arrêts de 2012 et de 2014 par lesquels la Cour a respectivement censuré l’adoption par la Hongrie d’un régime national discriminatoire qui imposait la cessation de l’activité professionnelle des juges, des procureurs et des notaires dès qu’ils atteignaient 62 ans[2] ainsi que la cessation anticipée du mandat de l’autorité hongroise de contrôle de la protection des données à caractère personnel[3] ? Certes, rétrospectivement, il est possible de voir dans ces deux procédures de manquement les prémices de l’arrivée dans le prétoire de la Cour de cette crise de l’État de droit. Néanmoins, il paraît plus raisonnable de ne pas remonter aussi loin dans le temps et d’exclure ces deux décisions inaugurales qui ont pu passer, en leur temps, pour des violations ponctuelles, et possiblement sans lendemain, du droit de l’Union.
Ce choix de la période de référence semble corroboré par un élément matériel. En effet, cette crise de l’État de droit se dévoile principalement dans des décisions rendues au triple visa des articles 2 et 19 TUE, ainsi que de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La crise de l’État de droit s’apparente ainsi à une crise qui affecte les juridictions nationales de droit commun du droit de l’Union et à une tentative de les museler. En somme, une forme de guerre contre les juges et une nouvelle variante de la « guerre des juges »[4]. Cela étant, le contrôle juridictionnel dont font l’objet les mesures nationales attentatoires à l’État de droit témoigne, fort heureusement, de la vitalité de L’Europe des juges[5], même et peut-être surtout dans cette période de crise.
Enfin, la dernière difficulté pour établir l’échantillon des décisions pertinentes de la Cour est d’ordre géographique. En effet, s’il est acquis que la crise de l’État de droit affecte la Pologne, la Hongrie et la Roumanie, le contexte politique dans certains États membres serait de nature à inciter à ajouter certains d’entre eux. Cependant, le critère matériel précédemment mentionné conduit à ne pas étendre le périmètre de l’étude à des États membres qui, à ce jour, n’ont pas fait l’objet d’un arrêt rendu au visa des trois dispositions susmentionnées.
Une fois évoquées les difficultés de délimitation du contrôle juridictionnel de cette crise de l’État de droit, il convient de souligner que la clé d’entrée de ce contrôle juridictionnel est incontestablement constituée par l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire des juges portugais[6], lequel a connu une incroyable destinée, alors même que l’affaire aurait parfaitement pu se solder par une ordonnance d’irrecevabilité manifeste, faute pour la juridiction de renvoi d’avoir établi un lien de rattachement entre le litige au principal et le droit de l’Union. En rendant cet arrêt, la Cour a ouvert une brèche, pour ne pas dire une boîte de Pandore, dans laquelle nombre de juridictions nationales se sont engouffrées.
Si on dresse un bilan d’étape des interventions de la Cour, il est possible de mettre en exergue le courage de la Cour, qui ne s’est pas dérobée devant l’écueil que représente cette crise de l’État de droit et qui n’a pas failli à sa mission consistant à « assure[r] le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités »[7] UE et FUE. Il est d’ailleurs frappant que, pour mener à bien sa mission, la Cour ait cru bon, voire même indispensable, de se placer sur le terrain de la défense des valeurs de l’Union, une telle approche revêtant clairement une dimension politique. La jurisprudence de la Cour de justice relative à la crise de l’État de droit est ainsi pétrie d’axiologie[8]. Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de relever la récurrence de l’utilisation du mot « valeur » dans les arrêts rendus dans le contexte de la crise de l’État de droit. À titre d’exemple, dans les arrêts Hongrie et Pologne / Parlement et Conseil, rendus en plénière le 16 février 2022 et portant sur la conditionnalité des fonds, la Cour a, pour la première fois érigé, de facto, le respect des valeurs énoncées à l’article 2 TUE en une condition d’appartenance à l’Union[9] et souligné que « l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions prévues par les traités, de défendre [ces] valeurs »[10].
La défense des valeurs de l’Union a pu emprunter diverses voies de droit, ce qui a mis en lumière leur complémentarité. La Cour ayant été invitée à faire flèche de tout bois durant cette crise de l’État de droit, on peut relever l’intrication frappante du renvoi préjudiciel en interprétation et du recours en manquement dans la neutralisation des mesures nationales attentatoires à l’État de droit (I). Au-delà, et fort heureusement, le recours en annulation n’a constitué jusqu’ici qu’un instrument inefficace de défense des mesures nationales attentatoires à l’État de droit (II).
I- L’intrication frappante du renvoi préjudiciel en interprétation et du recours en manquement dans la neutralisation des mesures nationales attentatoires à l’État de droit
Le contrôle de la conventionnalité des mesures attentatoires à l’État de droit, qu’elles soient polonaises, hongroises ou roumaines a emprunté indifféremment les voies du renvoi préjudiciel et du recours en manquement (A). Cependant, avec cette crise de l’État de droit, les demandes de mesures de référé ont, plus spécifiquement, connu une véritable cure de jouvence dans la procédure en manquement (B).
A- Un contrôle de conventionnalité empruntant indifféremment les voies préjudicielle ou du manquement
Régulièrement, la Cour souligne la différence de nature et d’objectifs du renvoi préjudiciel en interprétation et du recours en manquement. Ainsi affirme-t-elle que sa « mission […] doit être distinguée selon qu’elle se trouve saisie d’un renvoi préjudiciel […] ou d’un recours en constatation de manquement. En effet, alors que, dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour doit vérifier si la mesure ou la pratique nationale contestée par la Commission ou un État membre autre que celui concerné est, d’une manière générale et sans qu’il soit nécessaire qu’il existe un contentieux y relatif porté devant les juridictions nationales, contraire au droit de l’Union, la mission de la Cour, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, est, en revanche, d’assister la juridiction de renvoi dans la solution du litige concret pendant devant elle »[11]. Cela étant, il est bien connu que, si la Cour ne peut « se prononcer, dans le cadre de la procédure préjudicielle, sur la compatibilité de dispositions du droit national avec les règles du droit de l’Union, [elle] est, en revanche, compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant de ce dernier droit qui peuvent permettre à celle-ci d’apprécier une telle conformité pour le jugement de l’affaire dont elle est saisie »[12]. Dès lors, s’il est certes vrai que le rôle de la Cour varie, en théorie, selon qu’elle intervient à titre préjudiciel ou dans le cadre d’un recours en manquement, la différence quant à la mission qui lui est assignée dans l’une ou l’autre de ces voies de droit ne doit pas être surestimée. En effet, si le principe d’attribution des compétences interdit à la Cour de statuer sur la validité d’un acte national lorsqu’elle est saisie par une juridiction nationale, il est incontestable que ses arrêts préjudiciels en interprétation scellent, fort souvent, le sort de la mesure nationale qui lui a été indirectement déférée.
En pratique donc, la gémellité du recours en manquement et du renvoi préjudiciel en interprétation n’est plus à démontrer, et ce depuis l’arrêt Van Gend en Loos qui comportait deux affirmations fortes à cet égard. La Cour y avait ainsi affirmé qu’« une limitation aux seules procédures des articles [258 et 259 TFUE relatifs aux recours en manquement] des garanties contre une violation [du droit de l’Union] par les États membres supprimerait toute protection juridictionnelle directe des droits individuels de leurs ressortissants ». Elle ajoutait, par ailleurs, que « la vigilance des particuliers intéressés à la sauvegarde de leurs droits entraîne un contrôle efficace qui s’ajoute à celui que les articles [258] et [259] confient à la diligence de la Commission et des États membres »[13]. Dans le contexte de la crise de l’État de droit, l’association des juridictions nationales au contrôle de la conventionnalité des mesures nationales a trouvé une nouvelle expression dans l’affirmation selon laquelle « l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit »[14].
La complémentarité de ces deux voies de droit s’est concrétisée de manière assez remarquable dans la jurisprudence relative à la crise de l’État de droit, en raison probablement de la conjonction de cinq éléments. Le premier tient à la profusion concomitante de ces deux types d’arrêts, chacun d’entre eux représentant une part significative du total. Sur ce point, il est frappant de voir comment le gouvernement polonais s’efforce d’adapter, au gré des affaires, ses moyens ou ses arguments aux arrêts les plus récents de la Cour, peu important que ceux-ci aient été rendus sur renvoi préjudiciel ou dans le cadre de recours directs. Cette volonté de coller au plus près de l’actualité jurisprudentielle de la Cour confine d’ailleurs parfois à l’absurde. Tel est notamment le cas lorsque la Pologne « soutient que, au regard de la jurisprudence la plus récente de la Cour concernant les exigences relatives au droit à un recours juridictionnel effectif au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, […] l’obligation faite aux États membres de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, qui découle de cette disposition du traité FUE, ne s’oppose pas à des procédures de nomination des juges par des hommes politiques, procédures dans lesquelles les représentants des juges ne seraient pas impliqués et qui ne seraient pas soumises à un contrôle juridictionnel »[15]. Il est ici patent que le gouvernement polonais travestit les enseignements de « la jurisprudence la plus récente de la Cour » en en retenant une lecture partiale que la Cour n’aura d’ailleurs aucune peine à démonter[16]. Le gouvernement polonais tente également, au gré des affaires, d’affiner sa défense. Ainsi un argument peut-il être exposé, dans un premier temps, de façon générique ou non dégrossie, avant d’être présenté sous une forme plus raffinée et plus convaincante dans une autre affaire[17]. Par contraste, la réitération constante de l’argument selon lequel « l’Union ne disposerait d’aucune compétence en matière d’organisation de la justice des États membres »[18] tient au choix de ce gouvernement de marteler sa propre lecture du partage des compétences entre l’Union et les États membres et, partant, sa contestation de l’interprétation retenue par la Cour, quand bien même l’agent du gouvernement polonais qui exprime cette critique sait pertinemment qu’elle est vouée à l’échec.
Le deuxième indice de la complémentarité du renvoi préjudiciel en interprétation et du recours en manquement, et même de la grande synergie entre ces voies de droit, réside dans les innombrables renvois croisés qui sont opérés des arrêts préjudiciels aux arrêts de manquement et réciproquement, à tel point que l’on a parfois du mal à reconnaître la nature de l’affaire – contentieuse ou non – à la lecture des motifs. Le raisonnement de la Cour s’écrit ou se déroule de la même manière en matière préjudicielle et dans le recours en manquement, ce qui n’est pas toujours le cas. En effet, il existe parfois une tendance au sein de la Cour à ne pas s’appuyer, dans des arrêts en constatation de manquement, sur des arrêts préjudiciels rendus à l’initiative de juridictions de l’État membre poursuivi au motif que les États membres ne disposeraient pas de garanties suffisantes dans la procédure préjudicielle. Contrairement au recours en manquement qui fait la part belle aux droits de la défense de l’État poursuivi[19], la procédure préjudicielle ne leur garantit qu’une seule occasion de s’exprimer[20], ce que certains jugent insuffisant.
C’est ainsi que la motivation de l’arrêt Commission / Pologne (Indépendance de la Cour suprême)[21] repose quasi exclusivement sur des arrêts préjudiciels[22]. Ce constat n’est cependant déjà plus observable dans l’arrêt Commission / Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun)[23]. Les motifs de cet arrêt qui proviennent d’arrêts préjudiciels sont ici dissimulés derrière le renvoi au précédent arrêt en manquement rendu quelques mois plus tôt. Il s’agit malheureusement-là d’une énième illustration de l’horripilante application par la Cour de la doctrine du précédent. En procédant ainsi et en donnant systématiquement le primat au dernier arrêt en date, la Cour empêche l’éclosion ou la consécration de véritables arrêts de principe et entrave, ce faisant à la lisibilité de sa propre jurisprudence…
Troisièmement, les arrêts préjudiciels en interprétation aboutissent régulièrement, et plus encore que dans d’autres domaines moins sensibles, à un constat d’inconventionnalité quasi explicite. Dans ces affaires, la Cour donne l’impression de vouloir endosser elle-même l’opération d’application du droit de l’Union[24]. C’est sa manière d’apporter un soutien maximal aux juridictions qui la saisissent dans un contexte éminemment difficile. Le sort d’une disposition nationale est, en principe, réglé dans l’arrêt de la Cour, lui-même. Le renvoi au juge national n’est alors qu’un simulacre destiné à respecter, formellement, la répartition des compétences découlant de l’article 267 TFUE[25].
Le quatrième indice de la complémentarité du renvoi préjudiciel en interprétation et du recours en manquement peut être puisé dans l’objectivisation manifeste du contrôle de conventionnalité opéré par la Cour sur le fondement de l’article 19, paragraphe 1, alinéa 2, TUE. Un renvoi préjudiciel est en effet déclaré recevable dès lors que la juridiction en cause est susceptible d’intervenir dans « « [d]es domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte »[26]. Le lien de rattachement avec le droit de l’Union semble ici réduit à la portion congrue, en ce sens qu’une application potentielle du droit de l’Union paraît suffisante. « L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE a […] notamment vocation à s’appliquer à l’égard de toute instance nationale susceptible de statuer, en tant que juridiction, sur des questions portant sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union et relevant ainsi de domaines couverts par ce droit »[27]. Dès lors que la Cour est susceptible de se livrer à un contrôle abstrait d’une mesure nationale dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la différence avec le contrôle qu’elle effectue au titre d’un recours en manquement devient passablement ténue.
L’objectivisation du contrôle opéré par la Cour en matière préjudicielle est facilitée par la reconnaissance de l’effet direct de l’article 19 TUE[28], ce qui permet d’invoquer cet article de façon autonome, alors même qu’il n’aurait pas été saugrenu de considérer que l’article 19 TUE n’avait vocation, à l’instar des articles de la Charte des droits fondamentaux, à être invoqué qu’en combinaison avec une autre disposition du droit de l’Union applicable au litige au principal. Cette interprétation a toutefois été battue en brèche par la Cour. Dès 2019 et ses premiers arrêts sur l’indépendance de la Cour suprême polonaise, elle a en effet souligné que « la circonstance que les mesures nationales de réduction salariale en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), ont été adoptées en raison d’impératifs liés à l’élimination du déficit excessif du budget de l’État membre concerné et dans le contexte d’un programme d’assistance financière de l’Union à cet État membre n’a, ainsi qu’il ressort des points 29 à 40 de cet arrêt, joué aucun rôle dans l’interprétation ayant conduit la Cour à conclure à l’applicabilité de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE dans l’affaire concernée »[29].
Cinquièmement, en relativisant la dépendance hiérarchique des juridictions inférieures, pour reprendre une idée chère à Jean Boulouis, à l’égard de juridictions suprêmes qui méconnaissent le droit de l’Union, la Cour émancipe les juridictions inférieures[30] et contribue, par-là même, à encourager les renvois préjudiciels qui finissent, si l’on peut dire, par s’auto-alimenter. Ce faisant, ni le flot d’arrêts constatant des manquements ni celui des arrêts préjudiciels mettant en exergue le caractère attentatoire aux valeurs de l’Union des droits polonais, hongrois et roumain ne se tarissent.
Eu égard à la longueur inhérente aux procédures préjudicielle et en manquement, la Commission n’a pas hésité, afin d’assurer l’effectivité des interventions de la Cour de justice, à solliciter des mesures de référé dans les recours en manquement qu’elle initie.
B- La cure de jouvence du référé dans le recours en manquement
Les « affaires polonaises » ont permis au référé de connaître une véritable cure de jouvence dans le recours en manquement. En effet, alors qu’elle avait eu l’occasion de solliciter le prononcé par la Cour de mesures provisoires majoritairement dans quelques affaires, peu nombreuses, datant de la fin des années 70’ et des années 80’[31], la Commission semblait avoir globalement renoncé à cette stratégie contentieuse à la suite de l’entrée en vigueur du Maastricht en 1993. À cette époque, la possibilité d’infliger des sanctions pécuniaires dans le cadre de recours en manquement sur manquement paraît avoir supplanté cette démarche préventive. Visiblement, la Commission a estimé plus efficient de laisser se concrétiser un manquement avant de frapper son auteur au portefeuille, de sorte que les demandes de référé couplées à un recours en manquement se sont faites encore plus rares. Cette nouvelle stratégie, qui continue d’avoir cours pour les manquements standards, s’est toutefois révélée inadaptée pour les violations hors normes du droit de l’Union qui ont récemment été reprochées à la Pologne, qu’il s’agisse de l’abattage massif d’arbres dans la forêt de Białowieska, qui est l’unique forêt primaire sur le territoire de l’Union[32], ou de diverses lois rétrogrades visant à réformer le système judiciaire polonais[33].
La réforme du système judiciaire polonais a ainsi donné lieu à trois d’ordonnance de référé dans l’affaire Commission / Pologne (Indépendance et vie privée des juges). La première, qui date du 14 juillet 2021[34], sera suivie de deux autres prononcées respectivement le 6 octobre[35] et le 27 octobre 2021[36]. Si d’aucuns ont pu s’élever contre la tentation de la Commission de solliciter des mesures de référé dans le cadre d’une procédure en manquement et contre le fait que la Cour y a répondu favorablement, il n’y pas pourtant rien à redire dans l’attitude de chacune de ces deux institutions. En formulant une demande de mesures provisoires, la Commission se borne à user du pouvoir discrétionnaire que lui confèrent l’article 258 TFUE, combiné à l’article 279 de ce traité. Même si elle n’avait pas présenté de telles demandes pendant quelques années, la Commission ne peut être considérée comme ayant renoncé à cette faculté, de sorte que celle-ci ne saurait être considérée comme étant tombée en désuétude. Quant à la Cour, en ne déclarant pas irrecevable ratione materiæ une demande de mesures provisoires présentée par la Commission dans un recours en manquement, elle se contente d’appliquer scrupuleusement la lettre de l’article 279 TFUE. Cette disposition prévoit en effet que, « [d]ans les affaires dont elle est saisie, la Cour de justice de l’Union européenne peut prescrire les mesures provisoires nécessaires ». Par la généralité de sa formulation, l’article 279 TFUE embrasse l’ensemble des voies de recours dont la Cour peut être saisie, à l’exclusion du renvoi préjudiciel dans lequel le rôle de juge de l’urgence incombe aux juridictions nationales elles-mêmes[37]. À cet égard, une demande de référé n’est qu’un accessoire du recours en manquement et peut parfaitement se greffer à celui-ci.
C’est cette évidence que rappelle la vice-présidente de la Cour, Mme Silva de Lapuerta, dans son ordonnance du 14 juillet 2021, Pologne / Commission (Indépendance et vie privée des juges), lorsqu’elle constate que, dès lors que les dispositions nationales contestées par la Commission « peuvent faire l’objet d’un contrôle au regard de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, dans le contexte d’un recours en manquement », elles peuvent également faire l’objet, « par voie de conséquence, de mesures provisoires tendant, notamment, à la suspension desdites dispositions, ordonnées par la Cour, au titre de l’article 279 TFUE, dans le même contexte »[38]. Pour être simple et abrupte, cette conclusion n’en est pas moins exacte et suffisante. Par comparaison, la grande chambre avait paru suivre un raisonnement plus sinueux dans l’ordonnance du 8 avril 2020, rendue dans le cadre de l’affaire Commission / Pologne (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême). Elle avait alors visiblement fait découler la possibilité pour la Cour d’ordonner des mesures provisoires dans une procédure en manquement non pas de l’article 279 TFUE mais du droit à une protection juridictionnelle effective, garanti par l’article 19, paragraphe 1, alinéa 2, TUE ainsi que par les articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux[39]. Les points 65 et 66 de l’ordonnance du 14 juillet 2021 ajoutent, à cet égard, que « la Cour est compétente non seulement pour connaître d’un recours en manquement, tel que le recours au fond, tendant à contester la compatibilité avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE des dispositions nationales relatives à l’organisation de la justice dans les États membres, […] mais également pour ordonner, dans le cadre d’un tel recours, des mesures provisoires tendant à la suspension de l’application de telles dispositions nationales, au titre de l’article 279 TFUE. Par conséquent, contrairement à ce que la République de Pologne fait valoir, l’octroi des mesures provisoires sollicitées par la Commission ne saurait porter atteinte à la souveraineté de cet État membre ni, par voie de conséquence, poursuivre une telle finalité ».
Les arrêts préjudiciels en interprétation et les arrêts en manquement ou les ordonnances de référé qui se greffent sur ces recours se renforcent mutuellement. L’intrication des procédures préjudicielles et de manquement peut d’ailleurs être illustrée par les suites de cette ordonnance du 14 juillet 2021. Tout d’abord, par une ordonnance rendue le 6 octobre 2021 soit le dernier jour de son mandat, la vice-présidente de la Cour a refusé de faire droit à la demande du gouvernement polonais tendant à ce que l’ordonnance du 14 juillet 2021 soit rapportée. En l’occurrence, ce gouvernement se prévalait d’un arrêt du 14 juillet 2021 par lequel le Tribunal constitutionnel polonais avait estimé que, en prescrivant des mesures provisoires touchant à l’organisation du système juridictionnel polonais, la vice-présidente de la Cour avait, par son ordonnance prononcée le même jour, statué ultra vires. Dans l’ordonnance du 6 octobre 2021, la vice-présidente de la Cour a toutefois refusé d’appréhender l’arrêt du Tribunal constitutionnel comme un « changement de circonstances » susceptible de justifier que l’ordonnance du 14 juillet 2021 soit rapportée. Rédigée de manière très vigoureuse, l’ordonnance du 6 octobre 2021 affirme que « les dispositions nationales concernant l’organisation de la justice dans les États membres peuvent faire l’objet d’un contrôle au regard de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, dans le contexte d’un recours en manquement, ainsi que, par voie de conséquence, de mesures provisoires tendant, notamment, à la suspension desdites dispositions, ordonnées par la Cour, au titre de l’article 279 TFUE, dans le même contexte […]. Le fait qu’une cour constitutionnelle nationale déclare que de telles mesures provisoires sont contraires à l’ordre constitutionnel de l’État membre concerné ne modifie en rien [cette] appréciation […] »[40].
Ultime épisode de ce feuilleton pour l’année 2021, trois semaines plus tard, le 27 octobre 2021, le nouveau vice-président de la Cour de justice condamnait la Pologne « à payer à la Commission européenne une astreinte d’un montant de 1 000 000 euros par jour, à compter de la date de notification de la présente ordonnance à la République de Pologne et jusqu’au jour où cet État membre se conforme aux obligations découlant de l’ordonnance de la vice‑présidente de la Cour du 14 juillet 2021, Commission / Pologne (C‑204/21 R, EU:C:2021:593), ou, à défaut, jusqu’au jour du prononcé de l’arrêt qui mettra fin à l’instance dans l’affaire C‑204/21 »[41]. La vice-présidente de la Cour ayant déploré, dans l’ordonnance du 14 juillet 2021, l’ineffectivité de l’arrêt A. K., la sanction financière prononcée dans le cadre d’une procédure de manquement vient au soutien de l’application effective d’un arrêt préjudiciel.
À l’avenir, cette complémentarité ne manquera pas d’être mise en exergue dans des contentieux indemnitaires. Nul doute en effet que les magistrats polonais victimes de la « chasse aux sorcières » instaurée par le parti « Droit et justice » prendront appui sur les arrêts tant préjudiciels qu’en manquement qui s’efforcent de démonter, les uns après les autres, l’infamante réforme du système juridictionnel polonais. Ils auraient d’ailleurs intérêt à se fonder sur des arrêts en constatation de manquement, dès lors que ceux-ci sont réputés établir la violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union qu’il appartient au justiciable de démontrer[42]. Certes, un arrêt de manquement n’a pas pour objet « de conférer des droits aux particuliers, étant entendu que ces droits découlent non desdits arrêts, mais des dispositions mêmes du droit de l’Union »[43]. Néanmoins, en l’occurrence, la Cour a déjà reconnu l’effet direct tant de l’article 47 de la Charte[44] que de l’article 19, paragraphe 1, alinéa 2, TUE[45].
La sollicitation abondante d’arrêts antérieurs de la Cour incite à mieux délimiter le caractère provisoire qui s’attache aux décisions prises en référé. On peut en effet se demander si le caractère provisoire du référé ne tend pas davantage à décrire la période d’application, en quelque sorte transitoire, des mesures prononcées contre l’État poursuivi qu’à relativiser l’autorité de l’interprétation du droit de l’Union délivrée à l’issue de cette procédure d’urgence. Il n’est donc pas sûr que les ordonnances de référé de la Cour soient moins riches d’enseignements que les décisions qui statuent sur le fond d’un litige ou qui sont rendues à titre préjudiciel[46]. Certes, le contexte qui entoure les affaires polonaises est particulier en raison de la profusion de décisions récentes de la Cour. Aussi existe-t-il, d’ores et déjà, des matériaux jurisprudentiels solides[47] à la disposition du vice-président de la Cour lorsqu’il est appelé à se prononcer sur une demande de référé. Malgré tout, par-delà ce contexte particulier, et même si ce n’est qu’une intuition, l’interprétation du droit de l’Union formulée par le juge des référés, surtout si l’ordonnance de référé émane de la grande chambre, ne semble pas devoir être prise moins au sérieux que celle qui émane de la formation de jugement statuant sur le fond du litige ou répondant à des questions préjudicielles. Seule une comparaison systématique des ordonnances de référé et des décisions statuant au fond permettrait toutefois de mesurer précisément, statistiques à l’appui, le taux de confirmation des interprétations retenues par le juge de l’urgence.
Si l’on combine la dilection de la Cour à renvoyer continûment à ses propres précédents, fussent-ils constitués d’ordonnances prises en référé, à la partialité inhérente à l’intervention du juge des référés, saisir la Cour d’une demande de référé dans une procédure en manquement pourrait présenter un intérêt stratégique non négligeable pour la Commission. En effet, lorsqu’elle statue en tant que juge des référés, la Cour doit demeurer dans les limites dictées par l’évidence, ce qui l’oblige à ne pas s’immiscer dans des controverses par trop complexes et aboutit inévitablement à donner une prime au demandeur, soit, en l’occurrence, la Commission. Ainsi que l’expose la Cour, « la condition relative au fumus boni juris[48] est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est notamment le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence de questions juridiques complexes dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond, ou lorsque le débat mené entre les parties dévoile l’existence d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas à l’évidence »[49].
Par ailleurs, la saisine de la Cour en référé est d’autant plus intéressante dans le recours en manquement qu’elle permet à cette dernière de bénéficier d’un pouvoir d’injonction dont elle ne dispose pas lorsqu’elle statue sur le fond du recours, ses prérogatives étant asymétriques. En effet, « s’il est vrai que […] la question de savoir quelles sont les mesures que comporte l’exécution d’un arrêt constatant un manquement ne fait pas l’objet d’un arrêt rendu au titre de l’article 258 TFUE […], cette circonstance ne signifie pas pour autant […] que l’octroi d’une mesure provisoire déterminée […] produirait des effets allant au-delà des obligations découlant de cet arrêt, telles qu’elles résultent de l’article 260, paragraphe 1, TFUE, et serait, dès lors, contraire à l’objectif d’une mesure provisoire ». Toute autre interprétation « reviendrait à vider de toute substance la procédure en référé dans le cadre d’un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, dans la mesure où la Cour ne peut pas, dans l’arrêt constatant le manquement, ordonner à l’État membre concerné l’adoption de mesures déterminées afin d’exécuter cet arrêt »[50]. Ainsi que le souligne l’ordonnance du 14 juillet 2021, « la finalité de la procédure en référé est de garantir la pleine efficacité de la décision à intervenir dans la procédure principale sur laquelle le référé se greffe, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour. […] [C]e n’est que par rapport à la survenance probable d’un préjudice grave et irréparable qui résulterait, le cas échéant, du refus d’ordonner une telle mesure provisoire, dans l’hypothèse où le recours au fond aboutirait par la suite, qu’il y a lieu d’apprécier la nécessité de ladite mesure »[51]. Dès lors, il est indifférent que l’État poursuivi s’engage à exécuter l’arrêt qui pourrait constater un manquement dans son chef ou que les mesures provisoires coïncident avec les mesures qu’il pourrait être amené à adopter pour exécution l’arrêt de manquement[52], d’autant que, en règle générale, il n’existe pas qu’une seule façon d’exécuter un arrêt constatant un manquement. Par conséquent, même si la Cour donne l’impression d’en privilégier une à travers les mesures provisoires qu’elle ordonne, l’État membre conservera une certaine marge d’appréciation au moment de tirer les conséquences de l’arrêt le condamnant.
Envisagées globalement, ces trois ordonnances témoignent de la quête d’effectivité de l’arrêt par lequel la Cour statuera sur le fond du recours en manquement ainsi que des arrêts préjudiciels déjà rendus et dont l’exécution ne semble pas constituer une priorité pour le gouvernement polonais. Elles mettent également en exergue que l’utilisation du référé dans le recours en manquement permet à la Commission de solliciter promptement l’infliction d’une condamnation financière de l’État mis en cause, ce qui combine ainsi les avantages respectifs d’une approche préventive et d’une démarche davantage coercitive sur le plan financier, telle qu’initiée par le traité de Maastricht avec l’instauration du recours en manquement sur manquement.
Si le renvoi préjudiciel en interprétation et le recours en manquement se sont révélés efficaces pour lutter contre des mesures nationales attentatoires aux valeurs de l’Union, jusqu’ici, les États membres mis en cause ne sont pas parvenus à utiliser avec succès le recours en annulation afin de préserver ces mêmes mesures.
II- Le recours en annulation, instrument jusqu’ici inefficace de défense des mesures nationales attentatoires à l’État de droit
Dans cette fuite en avant à laquelle se livrent la Pologne et la Hongrie, il était inévitable que ces États membres tentent d’user du recours en annulation pour contester « à la racine » les normes de comportement et les normes de sanction ou, du moins, les normes perçues comme telles, afin d’annihiler les poursuites dont ils font l’objet ou qui seraient susceptibles d’être engagées à leur encontre. À l’heure actuelle, cette sollicitation du recours en annulation ne leur a toutefois guère été profitable. En effet, ils n’ont obtenu qu’une extension platonique de la recevabilité du recours en annulation contre les recommandations du Parlement européen prises au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE (A). Quant à la contestation du mécanisme de conditionnalité des fonds, elle s’est traduite un renforcement contreproductif pour la Hongrie et la Pologne de l’obligation de respecter les droits fondamentaux (B).
A- L’extension platonique de la recevabilité du recours en annulation contre les recommandations du Parlement européen prises au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE
À la suite de l’adoption par le Parlement européen d’une résolution invitant le Conseil à engager la procédure prévue par l’article 7, paragraphe 1, TUE en vue de constater l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs, visées à l’article 2 de ce traité, sur lesquelles l’Union est fondée, cet État a formé un recours en annulation contre cette résolution. Se plaçant sur le fondement de l’article 263 TFUE, la Hongrie estimait que, s’il avait été tenu compte des abstentions, la résolution n’aurait pas pu être adoptée.
Il est manifeste que le constituant de l’Union n’a admis qu’avec parcimonie le droit à un recours juridictionnel dans le cadre des procédures instituées par l’article 7 TUE. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’article 269 TFUE, aux termes duquel « [l]a Cour de justice n’est compétente pour se prononcer sur la légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 [TUE] que sur demande de l’État membre qui fait l’objet d’une constatation du Conseil européen ou du Conseil, et qu’en ce qui concerne le respect des seules prescriptions de procédure prévues par ledit article. […] »
Néanmoins, de là à considérer que cet article énumère exhaustivement les possibilités de contrôle juridictionnel admises en cas de mise en œuvre de l’article 7 TUE à l’encontre d’un État membre, il y a un pas que la Cour a refusé de franchir. Il aurait en effet été singulièrement malvenu, sur le plan axiologique, d’opposer une telle fin de non-recevoir à un État membre accusé de ne pas respecter les valeurs de l’Union. La situation est assez sensible et le climat suffisamment délétère pour éviter de donner prise à la ritournelle du « deux poids, deux mesures ». En outre, bien que se plaçant sur le terrain de l’article 263 TFUE, l’argumentation hongroise se coulait dans l’esprit de l’article 269 TFUE puisqu’elle se bornait à remettre en cause les modalités de décompte des suffrages et donc des prescriptions d’ordre procédural.
La Cour a, par conséquent, opté, dans son arrêt Hongrie / Parlement européen du 3 juin 2021[53], pour une interprétation de l’article 263 TFUE à la lumière de l’article 269 de ce traité. Une simple interprétation a contrario de l’article 269 lui permet de « dédui[re] du libellé de [cette disposition] que les auteurs des traités n’ont pas entendu exclure un acte tel que la résolution attaquée de la compétence générale qui est reconnue à la Cour de justice de l’Union européenne par l’article 263 TFUE aux fins de contrôler la légalité des actes des institutions de l’Union »[54].
À cet égard, il est constant que le recours en annulation étant ouvert à l’encontre de tout acte des institutions de l’Union qui, quelle qu’en soit la forme, vise à produire des effets juridiques. Or, tel est le cas de la résolution par laquelle le Parlement a enclenché la procédure de l’article 7, paragraphe 1, TUE. En effet, « tant que le Conseil ou le Conseil européen n’a pas pris de décision à l’égard de l’État membre concerné, un État membre peut, par dérogation à la règle de principe établie par [le protocole (n° 24) sur le droit d’asile pour les ressortissants des États membres de l’Union européenne], prendre en considération ou déclarer admissible pour instruction toute demande d’asile présentée par un ressortissant de l’État membre faisant l’objet de cette procédure ». Il s’ensuit que « [c]ette résolution modifie […], dans les relations entre États membres, la situation de la Hongrie dans le domaine du droit d’asile »[55], de sorte qu’elle doit pouvoir être contestée par la voie du recours en annulation.
À l’exception du délai de recours de deux mois qui est conservé[56], l’ensemble des modalités de mise en œuvre du recours en annulation vont être restreintes et alignées sur celles, bien plus restrictives, prévues par l’article 269 TFUE. C’est ainsi que le recours en annulation doit être réservé au seul État membre mis en cause, lequel pourra uniquement se prévaloir de « griefs pris de la violation des règles procédurales visées à l’article 7 TUE »[57].
Ainsi, avec cet arrêt Hongrie / Parlement, le droit au juge enregistre un nouveau progrès en termes d’applicabilité, mais un progrès qui ne pouvait qu’être des plus limités pour demeurer fidèle au choix exprimé par le constituant de l’Union à travers l’article 269 TFUE. En outre, sur le fond, l’interprétation proposée par la Hongrie quant aux modalités de décompte des voix n’ayant pas été suivie par la Cour, ce recours en annulation se traduit par une victoire purement platonique.
La Hongrie, tout comme la Pologne, n’a pas obtenu plus de succès dans sa tentative de remettre en cause le mécanisme de conditionnalité des fonds adopté par le législateur de l’Union à la fin de l’année 2020.
B- Le renforcement contre-productif pour la Hongrie et la Pologne de l’obligation de respecter les droits fondamentaux comme conséquence des arrêts du 16 février 2022
Confrontée à l’obstination de la Hongrie et de la Pologne à ne pas respecter les valeurs de l’Union, les institutions de l’Union ont tenté de surmonter ce constat d’échec en adoptant le règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union[58]. En établissant « les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre »[59], ce règlement a probablement vocation à court-circuiter ou, à tout le moins, à secondariser, le recours au juge et à privilégier une réponse budgétaire lorsque de telles violations se présenteront. Ce mécanisme tisse ainsi un lien, qui est présenté comme indéfectible, entre la protection des intérêts financiers de l’Union et notamment la garantie de l’indépendance des juridictions nationales chargées d’assurer, en première ligne, une protection juridictionnelle effective. Toute l’ingéniosité du règlement 2020/2092 consiste à doter l’Union d’un dispositif permettant de disposer de leviers d’action lorsque les États membres se rendent coupables de violations des principes de l’État de droit mettant en péril la préservation des intérêts financiers de l’Union. Ce faisant, sans jamais basculer sur le terrain de la sanction et tout en se gardant bien d’employer ce terme dont il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’il est non seulement tabou dans le contexte de du règlement 2020/2092 mais qu’il réclamerait en outre un régime juridique bien plus contraignant pour sa mise en œuvre, ce règlement vise, de facto, à sanctionner les États membres qui faillissent à garantir les valeurs sur lesquelles repose l’Union.
La philosophie de ce règlement découle notamment de ses considérants 12 à 15. Le premier d’entre eux rappelle que « [l]’article 19 [TUE], qui concrétise la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 [TUE], impose aux États membres de prévoir une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ». Le législateur de l’Union innove cependant en concrétisant cette exigence et en indiquant qu’elle vaut « y compris [dans les domaines] concernant l’exécution du budget de l’Union ». Or, le droit au juge « exige des juridictions indépendantes […], en particulier, pour le contrôle juridictionnel de la régularité des actes, contrats ou autres instruments générateurs de dépenses ou de dettes publiques, notamment dans le cadre des procédures de passation de marchés publics dont les juridictions peuvent être également saisies ». Le considérant 13 du règlement 2020/2092 peut, dès lors, déduire qu’« [i]l existe donc un lien manifeste entre le respect de l’État de droit et la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne gestion financière », ce qui est censé établir non seulement la légitimité de la démarche poursuivie mais surtout sa rectitude, à savoir le fait que l’Union dispose bien d’une compétence pour agir en ce sens. Dans cette perspective, le considérant 15 insiste sur le fait que « [l]es violations des principes de l’État de droit, en particulier celles qui portent atteinte au bon fonctionnement des autorités publiques et au caractère effectif du contrôle juridictionnel, peuvent nuire gravement aux intérêts financiers de l’Union. […] ». Quant au considérant 14, qui est crucial pour comprendre l’intention du législateur de l’Union, il met en exergue le caractère complémentaire du dispositif nouvellement créé. Il énonce ainsi que « [l]’Union a mis au point un éventail d’instruments et de processus qui promeuvent l’État de droit et son application, […], et qui permettent aux institutions de l’Union d’apporter une réponse efficace aux violations de l’État de droit, au moyen de procédures d’infraction et de la procédure prévue à l’article 7 [TUE]. Le mécanisme prévu dans le présent règlement complète ces instruments en protégeant le budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit qui portent atteinte à sa bonne gestion financière ou à la protection des intérêts financiers de l’Union ».
Sans surprise, la Hongrie et la Pologne ont tenté de contrecarrer l’adoption de ce règlement en formant chacune un recours en annulation à son encontre. Sans entrer dans le détail de l’analyse des deux arrêts fleuve du 16 février 2022, trois aspects de ces arrêts seront évoqués pour souligner leur dimension axiologique.
En premier lieu, l’argument « massue » soulevé par la Hongrie et la Pologne consistait à soutenir que l’adoption du règlement 2020/2092 revenait à contourner la procédure prévue par l’article 7 TUE et l’article 269 TFUE, de sorte que ce règlement méconnaîtrait ces deux dispositions. Politiquement, il est évident que le mécanisme de conditionnalité des fonds ainsi introduit a le potentiel pour supplanter les dispositifs existants, notamment les procédures prévues par l’article 7 TUE dont les conditions de mise en œuvre sont si draconiennes qu’elles semblent les vouer à demeurer des tigres de papier. Ainsi le risque de voir un mécanisme conçu comme un simple « complément » devenir, en réalité, la solution de remplacement peut légitimement émouvoir les deux États membres principalement visés.
Néanmoins, d’un strict point de vue juridique et sur la base d’une lecture littérale du règlement sur la conditionnalité des fonds, la Cour peut insister sur le champ d’application limité de ce règlement. En effet, « ce mécanisme contribue à [la] promotion [de l’État de droit et de son application] « en protégeant le budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit qui portent atteinte à sa bonne gestion financière ou à la protection des intérêts financiers de l’Union » »[60]. La Cour prend également soin de dissiper toute velléité coercitive dans le règlement 2020/2092. À cette fin, elle relève que « la finalité du règlement attaqué consiste à protéger le budget de l’Union contre des atteintes à ce dernier découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l’État de droit dans un État membre, et non pas à sanctionner, en soi, de telles violations »[61].
Autre variante de cet argument, la Pologne alléguait que « le mécanisme de conditionnalité institué par ce règlement et la procédure prévue à l’article 7 TUE coïncident en termes d’objectifs, de principes et de mesures auxquelles leur mise en œuvre est susceptible d’aboutir ». Or, ledit règlement fixerait des règles procédurales plus souples que celles prévues à l’article 7 TUE, il aurait une portée plus étendue et pourrait être mis en œuvre plus rapidement que la procédure prévue à cet article. En définitive, le règlement 2020/2092 priverait de tout effet utile les procédures prévues par l’article 7 TUE, conduisant à un contournement manifeste de celle-ci. Selon la Pologne, seul l’article 7 TUE autoriserait le Conseil européen et le Conseil à contrôler le respect de l’État de droit dans les domaines relevant de la compétence exclusive des États membres[62].
La Cour objecte toutefois que si « le législateur de l’Union ne saurait instaurer, sans violer l’article 7 TUE, une procédure parallèle à celle prévue à cette disposition, qui aurait, en substance, le même objet, poursuivrait le même objectif et permettrait l’adoption de mesures identiques, tout en prévoyant l’intervention d’autres institutions ou des conditions matérielles et procédurales différentes de celles prévues à ladite disposition »[63], elle constate que tel n’est pas le cas du règlement sur la conditionnalité des fonds. Prenant ce règlement à la lettre, la Cour estime qu’il se distingue tant par son but que par son objet des procédures prévues à l’article 7 TUE : « la procédure instituée par ce règlement a pour finalité d’assurer […] la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre et non pas de sanctionner, au moyen du budget de l’Union, des violations des principes de l’État de droit. Il s’ensuit que la procédure prévue par le règlement attaqué poursuit une finalité différente de celle de l’article 7 TUE »[64].
En deuxième lieu, la Cour considère que l’article 5, paragraphe 2, du règlement 2020/2092 « vise non pas […] à sanctionner un État membre pour la violation d’un principe de l’État de droit, mais à préserver les intérêts légitimes des destinataires finaux et des bénéficiaires lorsque des mesures appropriées sont adoptées au titre dudit règlement à l’égard d’un État membre »[65]. Cette affirmation semble toutefois outrepasser la jurisprudence pertinente en la matière en suggérant que les destinataires finaux disposent d’un droit à des subventions.
En troisième lieu, la Cour relève que, « [d]’une part, il doit être établi qu’une violation des principes de l’État de droit dans un État membre concerne au moins l’une des situations ou l’un des comportements des autorités visés à [l’article 4, paragraphe 2, du règlement 2020/2092], pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union. D’autre part, il doit également être démontré que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à cette bonne gestion financière ou à ces intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe, cette condition impliquant ainsi d’établir l’existence d’un lien réel entre ces violations et une telle atteinte ou un tel risque sérieux d’atteinte »[66]. En rappelant cette exigence de lien direct entre l’atteinte aux principes de l’État de droit et le préjudice budgétaire subi par l’Union, les arrêts Hongrie et Pologne / Parlement et Conseil pourraient bien ne constituer qu’une victoire à la Pyrrhus pour le législateur de l’Union… dans la mesure où, interrogés à l’audience sur la possibilité d’établir un tel lien, les agents du Parlement et du Conseil n’ont pas été en mesure de fournir un seul exemple.
Ainsi, si la Cour a validé dans son principe le mécanisme de conditionnalité en faisant prévaloir une démarche axiologique, elle n’a pas pour autant donné un blanc-seing aux institutions de l’Union. Si elles ne veulent pas que le mécanisme de conditionnalité des fonds demeure une coquille vide, celles-ci devront se montrer convaincantes pour démontrer qu’une violation des principes de l’État de droit a bel et bien des répercussions sur le plan budgétaire. Cela étant, on ne saurait exclure que la Cour assouplisse quelque peu, dans le champ d’application du règlement 2020/2092, ses exigences relatives à l’établissement du lien de causalité, mais seul l’avenir le dira.
Pour conclure, il est impossible de ne pas constater que la défense prétorienne des valeurs de l’État de droit s’apparente à un pis-aller. Il s’agit d’une sorte de jeu du « chat et de la souris » dans lequel la Hongrie et la Pologne modifient leurs droits nationaux mais sans mettre substantiellement fin aux violations des valeurs de l’État de droit relevées par la Cour. Alors doit-on attendre davantage de la Cour de justice ? Certes, d’autres voies de droit restent à explorer et il est probable que la Cour sera amenée à intervenir dans d’autres configurations. Ainsi, un recours en carence pourrait être intenté contre la Commission si elle refusait de liquider une astreinte après le prononcé d’une ordonnance de référé dans une procédure de manquement. Néanmoins, en l’état actuel des règles de recevabilité, seul un requérant privilégié pour agir en ce sens, ce qui réduit drastiquement les chances de voir cette hypothèse se concrétiser. Au-delà, des recours en responsabilité pourraient être initiés par des magistrats affectés par les réformes censurées par la Cour. Gageons que de telles actions n’achoppent pas sur l’exigence du lien de causalité entre la violation des principes de l’État de droit et le dommage allégué, qu’il s’agisse d’une mise à la retraite ou de pertes de chance lors de concours ou de promotions.
Néanmoins, comme le dit le proverbe, « La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a ». La Cour a désormais rempli son office ou l’essentiel de celui-ci. Elle pourra certes encore infliger quelques astreintes dans le cadre de demandes de référé, des astreintes et/ou des sommes forfaitaires dans d’éventuels recours en manquement sur manquement. Elle sera peut-être également amenée à épauler des juridictions polonaises pour engager la responsabilité de cet État. Mais, à elle seule, elle ne pourra évidemment pas trouver une solution de sortie de crise. Surtout, la jurisprudence de la Cour est évidemment en quête d’effectivité. En effet, aussi séduisante et convaincante soit-elle, la rhétorique de la Cour pourrait fort bien succomber sur l’autel de l’effectivité, si les États membres destinataires de ses arrêts ne les appliquent pas. D’un pis-aller à l’autre, il faut peut-être se réjouir de voir le contrôle juridictionnel supplanté par la mise en œuvre du mécanisme de conditionnalité des fonds. Aussi déplorable soit-elle, la monétisation des valeurs présente l’avantage de créer une alternative au contrôle juridictionnel. Certes, une telle évolution semble acter le fait que, pour certains États membres, la raison d’être de leur appartenance à l’Union européenne se limite à bénéficier de crédits européens. Néanmoins, replaçant la Cour à l’arrière-plan, elle atténue le risque d’une décrédibilisation de cette dernière en cas d’inexécution de ses décisions, d’une part, et, plus largement, de l’Union dans son entièreté.
* Les opinions exprimées dans cette contribution sont purement personnelles.
[1] En dépit de son intitulé, cette contribution se focalisera sur le contrôle juridictionnel opéré par la Cour de justice stricto sensu.
[2] CJUE, gde ch., 6 novembre 2012, Commission / Hongrie, C‑286/12, EU:C:2012:687.
[3] CJUE, gde ch., 8 avril 2014, Commission / Hongrie, C‑288/12, EU:C:2014:237.
[4] B. Genevois, Conclusions sur CE, Ass., 22 décembre 1978, Cohn-Bendit, D 1979, juris, p. 155.
[5] R. Lecourt, L’Europe des juges, Bruxelles, Bruylant, 1976, reprint, Bruylant, 2008.
[6] CJUE, gde ch., 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117.
[7] Article 19, paragraphe 1, TUE.
[8] Pour paraphraser Pescatore, pour qui [les traités étaient pétris de téléologie] (« Les objectifs de la Communauté européenne comme principes d’interprétation dans la jurisprudence de la Cour de justice », in Miscellanea W. J. Ganshof van der Meersch, Bruxelles, Bruylant, 1972, vol. 2, p. 325, spéc. p. 337.
[9] « [L]e respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion. » (CJUE, Plén., 16 février 2022 (2 arrêts), Hongrie / Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, point 126 ; Pologne / Parlement et Conseil, C‑157/21, EU:C:2022:98, point 144). Au point 169 de l’arrêt Pologne/Parlement et Conseil, la Cour affirme également que « le respect des principes de l’État de droit constitue une obligation de résultat pour les États membres, qui découle directement […] de leur appartenance à l’Union ».
[10] Point 127 de l’arrêt Hongrie / Parlement et Conseil ; point 145 de l’arrêt Pologne / Parlement et Conseil.
[11] CJUE, gde ch., 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 47 et CJUE, gde ch., 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 29. Le gouvernement polonais a d’ailleurs habilement tenté d’opposer à la Cour la différence de finalité du renvoi préjudiciel en interprétation et du recours en manquement pour empêcher cette dernière de tirer argument d’arrêts préjudiciels rendus sur saisine de juridictions polonaises. Pour le gouvernement polonais, l’arrêt A. K. a été rendu dans un contexte factuel spécifique de sorte qu’il ne serait pas transposable au contexte afférent à l’affaire C-204/21. En outre, la Cour n’aurait pas constaté, dans cet arrêt, l’inconventionnalité du droit polonais. Ces arguments sont, sans surprise, balayés par la Cour [CJUE, ord. de la vice-présidente, 14 juillet 2021, Pologne / Commission (Indépendance et vie privée des juges), C‑204/21 R, EU:C:2021:593, points 105 à 109].
[12] Voir notamment, CJUE, gde ch., 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 30.
[13] CJCE, 5 février 1963, van Gend & Loos, 26/62, EU:C:1963:1, p. 25.
[14] CJUE, gde ch., 24 juin 2019, Commission / Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 47. Voir également, CJUE, gde ch., 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 217 et CJUE, gde ch., 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C-430/21, point 39.
[15] Point 100 de l’ordonnance du 14 juillet 2021.
[16] Voir le point 101 de l’ordonnance du 14 juillet 2021.
[17] Voir les points 110 et 111 de l’ordonnance du 14 juillet 2021 qui s’efforcent d’illustrer une argumentation formulée en termes génériques dans l’affaire Commission / Pologne (Régime disciplinaire des juges) (CJUE, ord., 8 avril 2020, C‑791/19 R, EU:C:2020:277).
[18] Voir, par exemple, le point 46 de l’ordonnance du 14 juillet 2021.
[19] Voir notamment, CJCE, 17 février 1970, Commission / Italie, 31/69, EU:C:1970:10, point 13 ou CJCE, 28 mars 1985, Commission / Italie, 274/83, EU:C:1985:148, point 20.
[20] À travers la présentation d’observations écrites dès lors que la tenue d’une audience n’est pas automatique. Sur ce point, voir l’article 76 du règlement de procédure de la Cour.
[21] CJUE, gde ch., 24 juin 2019, Commission / Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531.
[22] Si l’on excepte évidemment les aspects de la motivation propres à la procédure du recours en manquement.
[23] CJUE, gde ch., 5 novembre 2019, Commission / Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun), C 192/18, EU:C:2019:924.
[24] Pour un renvoi, qui peut sembler purement formel, à la juridiction de renvoi de l’appréciation de la conventionnalité d’une loi polonaise, voir CJUE, gde ch., 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, points 131 à 154, spéc. points 140 s.
[25] Voir, par exemple, CJUE, gde ch., 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798.
[26] Voir notamment, CJUE, gde ch., 26 mars 2020, Miasto Łowicz (Régime disciplinaire concernant les magistrats), C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, points 34 et 35.
[27] CJUE, gde ch., 26 mars 2020, Miasto Łowicz (Régime disciplinaire concernant les magistrats), C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, points 34 et 35. Voir, également, CJUE, gde ch., 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 40 et CJUE, gde ch., 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 83.
[28] Voir, par exemple, CJUE, gde ch., 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 146 ; CJUE, gde ch., 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 249 et 250, ainsi que CJUE, gde ch., 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 253 et CJUE, gde ch., 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C-430/21, point 58.
[29] CJUE, gde ch., 24 juin 2019, Commission / Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 51 et CJUE, gde ch., 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 83.
[30] Voir notamment, CJUE, gde ch., 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393. Dans cet arrêt, la Cour condamne le régime de responsabilité personnelle des juges roumains et habilite les juridictions de droit commun à écarter la jurisprudence de leur Cour constitutionnelle qui les empêche d’écarter une disposition nationale qu’elles estiment contraire au droit de l’Union, à la lumière d’un arrêt de la Cour. Cet arrêt a été confirmé par l’ordonnance du 7 novembre 2022, FX e.a. (Effet des arrêts d’une Cour constitutionnelle III) (C‑859/19, C‑926/19 et C‑929/19, EU:C:2022:878). Voir également, CJUE, gde ch., 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, points 155 à 170 ; CJUE, gde ch., 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153), points 90 à 107 ; CJUE, gde ch., 15 juillet 2021, Commission / Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, points 222 à 234 ou CJUE, gde ch., 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, points 68 à 82.
[31] Sur l’utilisation du référé dans le recours en manquement, voir T. Materne, La procédure en manquement d’État, Bruylant, 2012, pp. 265 à 283.
[32] CJUE, gde ch., ord. 20 novembre 2017, Commission / Pologne, aff. C-441/17 R, EU:C:2017:877. Sur cette ordonnance, voir notre commentaire, « La Cour de justice au secours de la forêt de Białowieska. Coup de tonnerre dans le recours en manquement ! », RTDE, 2018, p. 321.
[33] Outre les trois ordonnances précitées dans l’affaire Commission / Pologne (Indépendance et vie privée des juges), des ordonnances de référé ont également été rendues dans les affaires Commission / Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (CJUE, ord. de la vice-présidente de la Cour, 19 octobre 2018, C‑619/18 R, non publiée, EU:C:2018:852 et CJUE, gde ch., ordonnance, 17 décembre 2018, C‑619/18 R, EU:C:2018:1021) et Commission / Pologne (Régime disciplinaire des juges) (CJUE, gde ch., ord., 8 avril 2020, C‑791/19 R, EU:C:2020:277).
[34] CJUE, ord. de la vice‑présidente de la Cour du 14 juillet 2021, Commission / Pologne (Indépendance et vie privée des juges), C‑204/21 R, EU:C:2021:593
[35] CJUE, ord. de la vice-présidente de la Cour, 6 octobre 2021, Commission / Pologne (Indépendance et vie privée des juges), C-204/21 R, EU:C:2021:834.
[36] CJUE, ord. du vice-président, 27 octobre 2021, Pologne / Commission (Indépendance et vie privée des juges), C‑204/21 R, EU:C:2021:878.
[37] Sur cette question, voir notamment, R. Medhi, « Le droit communautaire et les pouvoirs du juge national de l’urgence (quelques enseignements d’une jurisprudence récente) », RTDE, 1996, p. 77.
[38] Point 54 de l’ordonnance du 14 juillet 2021.
[39] Voir CJUE, gde ch., ord., 8 avril 2020, Commission / Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19 R, EU:C:2020:277, points 34 à 36.
[40] Points 22 et 23 de l’ordonnance du 6 octobre 2021.
[41] Dispositif de l’ordonnance du 27 octobre 2021.
[42] Voir, CJCE, 14 décembre 1982, Waterkeyn, 314/81 à 316/81 et 83/82, EU:C:1982:430, points 15 et 16 et CJUE, gde ch., 18 janvier 2022, Thelen Technoparl Berlin¸ C-261/20, point 40.
[43] CJUE, gde ch., 18 janvier 2022, Thelen Technoparl Berlin¸ C-261/20, point 40.
[44] Voir, CJUE, gde ch., 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 78 ; CJUE, gde ch., 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 56 ; CJUE, gde ch., 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 162 ou CJUE, 14 juillet 2022, EPIC Financial Consulting, C-274/21 et C-275/21, EU:C:2022:565, point 83.
[45] CJUE, gde ch., 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 145 et 146.
[46] Le fait que le référé relève d’une compétence propre du vice-président de la Cour et que celui-ci statue, par principe, seul est de nature à renforcer la cohérence du raisonnement, dès lors que les inévitables concessions qui doivent être faites lors d’un délibéré collégial n’ont pas lieu d’être.
[47] D’autant plus que, à ce stade, la quasi-totalité des décisions rendues par la Cour dans le cadre de la crise de l’État de droit ont pris la forme d’arrêts de grande chambre.
[48] Il s’agit des « moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire » sollicitée (art. 160 §3 du règlement de procédure de la Cour).
[49] Voir l’ordonnance du vice-président de la Cour du 10 septembre 2013, Commission / Pilkington Group, C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558, point 67 et l’ordonnance de la vice-présidente du 8 avril 2020, Commission / Pologne, C‑791/19 R, EU:C:2020:277, point 52.
[50] Points 73 et 74 de l’ordonnance du 14 juillet 2021.
[51] Point 68 de l’ordonnance du 14 juillet 2021.
[52] Voir les points 69 à 71 de l’ordonnance du 14 juillet 2021.
[53] CJUE, gde ch., 3 juin 2021, Hongrie / Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426.
[54] Ibid., point 33.
[55] Ibid., points 39 et 40.
[56] Ibid., point 57. Pour rappel, l’article 269, alinéa 2, TFUE fixe, quant à lui, le délai d’introduction du recours à un mois à compter de la constatation par le Conseil européen de l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2 TUE du constat par le Conseil d’un risque clair de violation grave de ces valeurs.
[57] Ibid., point 53.
[58] JOUE 2020, n° L 433 I, p. 1, et rectificatif JOUE 2021, n° L 373, p. 94.
[59] Article 1er du règlement 2020/2092.
[60] Point 131 de l’arrêt Pologne / Parlement et Conseil.
[61] Ibid., point 137.
[62] Ibid., point 205.
[63] Ibid., point 206.
[64] Ibid., points 210 et 211.
[65] Ibid., point 129.
[66] Ibid., point 215.