L’unification imparfaite des compétences juridictionnelles dans les soins psychiatriques sans consentement
Jean-Philippe Vauthier[1], Maître de conférences en Droit privé et Sciences Criminelles – Université de Guyane, Laboratoire MINEA (UR 7485), Chercheur associé à l’Institut François Gény (EA 7301)
Si l’histoire du dualisme juridictionnel a pour origine une défiance à l’égard du juge judiciaire quant à sa capacité à connaître des litiges mettant en cause l’administration[2], le contentieux des hospitalisations psychiatriques sans consentement est une parfaite illustration des incertitudes engendrées par un tel partage de compétences. Sur ce terrain, ordres juridictionnels administratif et judiciaire se sont affrontés pendant plus d’un siècle et demi jusqu’à ce que le législateur n’intervienne avec la loi du 5 juillet 2011[3], sans pour autant mettre un terme à toutes les questions. L’ambiguïté contentieuse a pour cause les contestations de la régularité des arrêtés ordonnant une mesure d’hospitalisation d’office. Une telle décision appartenant à l’autorité administrative en vertu des prérogatives de puissance publique dont elle dispose pour la protection de l’ordre public, le juge administratif devrait connaître des recours dirigés contre ces placements. Cependant, le principe constitutionnel en vertu duquel l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles[4] invite à reconnaître la compétence du juge judiciaire. Ces incertitudes ont amené la jurisprudence à construire des règles de répartition des compétences : au juge administratif le contentieux de la légalité externe, de la « régularité » des arrêtés d’hospitalisation d’office, et au juge judiciaire celui de la légalité interne, de la « nécessité » de l’internement. À l’occasion de son arrêt « Menvielle » rendu le 17 février 1997, le Tribunal des conflits réalisait une dernière redéfinition du partage de compétences en matière d’hospitalisation sans consentement. Toutefois, sous la pression d’une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme[5] et de deux déclarations d’inconstitutionnalité[6], bien que ne remettant pas directement en cause le dualisme juridictionnel, le législateur français a tenté de faciliter l’exercice des recours par les justiciable en unifiant la compétence au profit du juge judiciaire[7]. Malgré l’effort fourni, des incertitudes persistent faisant douter d’une réelle efficacité du nouveau système. Afin de tenter d’en mesurer les enjeux, il apparaît opportun de revenir sur le processus d’unification du contentieux en matière de contrôle de la régularité des soins psychiatriques contraints au profit du juge judiciaire (I), pour ensuite envisager le champ de la compétence de ce dernier (II).
I. La redéfinition du partage de compétences au profit du juge judiciaire
Le processus d’unification peut se résumer en deux étapes : un dualisme juridictionnel (A), avant que la loi du 5 juillet 2011 ne consacre la compétence unique du juge judiciaire (B).
A. Le dualisme juridictionnel antérieur à la loi du 5 juillet 2011
L’arrêt « Menvielle » constituait, avant la réforme de 2011, le dernier état du droit s’agissant de la répartition des compétences juridictionnelles pour le contentieux des hospitalisations psychiatriques forcées. Sans procéder à une véritable révolution en la matière, cette décision consacrait un nouveau partage entre les deux ordres de juridictions par l’extension de la compétence du juge judiciaire à l’ensemble des recours indemnitaires (1), mais ce maintien d’un dualisme dans un domaine où les individus doivent pouvoir jouir d’une garantie maximale de leurs libertés souffrait de la critique (2).
1. Une construction jurisprudentielle hésitante en matière d’hospitalisation d’office
Depuis la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés, la compétence juridictionnelle en matière d’hospitalisation d’office n’a cessé de susciter interrogations et incertitudes. L’attitude du juge administratif a d’abord été de se déclarer incompétent, dans un premier temps au motif que les actes pris dans ce domaine relevaient des actes de police administrative, insusceptibles de recours[8], puis en estimant que la loi de 1838 générait un bloc de compétences destiné à l’ordre judiciaire[9]. Ce n’est qu’en 1911, par un arrêt « Dame Fervel »[10], que le Conseil d’État pose le principe d’une compétence administrative pour juger de la légalité externe des décisions de placement d’office. Il en résultait alors un partage de compétence selon l’objet du recours dirigé contre la mesure de placement : il revenait juge administratif d’apprécier la régularité formelle des arrêtés municipaux et préfectoraux, et au juge judiciaire d’examiner leur légalité interne, c’est-à-dire leur nécessité. Cette solution a été entérinée par le Tribunal des conflits dans un arrêt du 6 avril 1946[11] et la réforme opérée par la loi du 27 juin 1990[12] n’a en rien modifié cette répartition. Tant le Conseil d’État, dans son arrêt « Commune de Saint-Herblain » de 1996[13], que le Tribunal de conflits, dans sa décision « Demoiselle Boucheras » de 1995[14], reprennent la distribution des compétences qui découle de la distinction entre appréciation de la régularité ou de la nécessité de la décision. Le Tribunal des conflits précisait à cet égard que : « si l’autorité judiciaire est seule compétente, en vertu des articles L. 333 et suivants du code de la santé publique, pour apprécier la nécessité d’une mesure de placement d’office en hôpital psychiatrique et les conséquences qui peuvent en résulter, il appartient à la juridiction administrative d’apprécier la régularité de la décision administrative qui ordonne le placement, et, le cas échéant, les conséquences dommageables de son défaut de notification ainsi que des fautes du service public qui auraient pu être commises à cet égard »[15].
La formule utilisée par l’arrêt du 17 février 1997 est proche de celle employée en 1995, mais le Tribunal des conflits est revenu sur la compétence quant à l’appréciation des conséquences dommageables en décidant que : « si l’autorité judiciaire est seule compétente, en vertu des articles L. 333 et suivants du code de la santé publique, pour apprécier la nécessité d’une mesure de placement d’office en hôpital psychiatrique et les conséquences qui peuvent en résulter, il appartient à la juridiction administrative d’apprécier la régularité de la décision administrative qui ordonne le placement ; […] lorsque cette dernière s’est prononcée sur ce point, l’autorité judiciaire est compétente pour statuer sur les conséquences dommageables de l’ensemble des irrégularités entachant la mesure de placement d’office ». Tout en maintenant un dualisme juridictionnel selon qu’était contestée la légalité interne ou externe de la mesure, il était ainsi dévolu au seul ordre judiciaire le pouvoir de juger de l’ensemble des recours indemnitaires dirigés contre une mesure d’hospitalisation d’office, à charge pour lui de renvoyer au préalable à la juridiction administrative le soin de décider de la régularité d’une telle mesure, lorsqu’une illégalité externe est en cause.
2. Une dualisme juridictionnel contesté
Ce nouvel ordre de répartition, même s’il participait d’une certaine forme de simplification, restait tout de même assez complexe et laissait persister quelques subtilités. Si la solution était transposable aux hospitalisations à la demande d’un tiers, elle l’était également concernant les mesures de transfert dans un autre établissement, le Conseil d’État considérant que le transfert était le corollaire de la décision de placement[16]. Par contre, la décision par laquelle le préfet met fin à une hospitalisation d’office devait être regardée comme ayant le caractère d’une mesure de police administrative qui ne porte pas atteinte à la liberté individuelle et dont il appartenait à la juridiction administrative d’apprécier tant la régularité que le bien-fondé[17]. Il en était de même s’agissant des refus de prononcer une hospitalisation d’office[18]. Toutes ces imperfections n’ont pas manqué d’attirer la critique.
Une partie de la doctrine a ainsi plaidé en faveur de l’unification de la compétence au profit du juge judiciaire, considérant que « le juge administratif est moins bien armé que le juge judiciaire pour empêcher et condamner les internements abusifs. Et de surcroît, l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles et notamment de la sûreté, paraît être le juge naturel de l’internement psychiatrique »[19]. D’autres ont regretté l’« occasion manquée »[20] du Conseil d’État qui, dans son arrêt « Mme L. » rendu le 1er avril 2005[21], n’a pas suivi son commissaire du gouvernement, lequel avait suggéré un régime de compétences concurrentes entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif.
L’application des règles de répartition des compétences issues de l’arrêt « Menvielle » devenait ainsi l’occasion d’une critique à l’encontre du dualisme juridictionnel, les uns plaidant en faveur d’une compétence unique au profit d’un ordre de juridiction en particulier, les autres proposant de retenir une compétence concurrente. De façon plus précise encore, un auteur avait même envisagé que « l’hospitalisation forcée relève toute entière de la compétence du juge des libertés et de la détention. Celui-ci se prononce sur la détention provisoire d’une personne présumée innocente, il pourrait tout à fait se prononcer sur l’hospitalisation d’une personne considérée comme dangereuse »[22].
Les détracteurs du dualisme juridictionnel ont finalement été entendus par le législateur qui a consacré, en 2011, la compétence unique du juge judiciaire pour connaître du contentieux lié aux soins psychiatriques sans consentement.
B. L’unification de compétence au profit du juge judiciaire
La loi du 5 juillet 2011 a procédé à refonte complète des modalités de traitement des personnes atteintes de troubles mentaux, passant d’une logique d’hospitalisation à une logique de soin. Cette modification du système de prise en charge a été l’occasion pour le législateur de revenir sur le dualisme juridictionnel en matière de contentieux relatif aux hospitalisations psychiatriques, en insérant au Code de la santé publique un article L. 3216-1 proclamant que la régularité des décisions administratives prises en matière de soins sans consentement « ne peut être contestée que devant le juge judiciaire ». Il convient de revenir sur les origines de cette réforme (1) et le choix du juge judiciaire (2), avant de préciser le contenu de cette disposition (3).
1. Les origines de la réforme
Initialement, le projet de loi qui donna naissance au texte du 5 juillet 2011 ne comportait pas de disposition relative au contentieux de l’hospitalisation psychiatrique. Il faut dire que le processus législatif a quelque peu été ébranlé et accéléré par deux décisions QPC rendues par le Conseil constitutionnel le 26 novembre 2010[23] et le 9 juin 2011[24]. En effet, les Sages ont estimé que l’absence de contrôle de la situation des personnes hospitalisées sous la contrainte par l’autorité judiciaire était contraire à l’article 66 de la Constitution et ont ainsi déclaré inconstitutionnels les régimes d’hospitalisation à la demande d’un tiers et d’office, laissant au législateur le soin de remédier à la situation avant le 1er août 2011.
N’était pas directement en cause dans ces affaires le dualisme juridictionnel, mais la décision « Mlle Danielle S » y consacre quelques développements. Aux considérants 35 à 37, le juge constitutionnel procède à une analyse des règles applicables, en rappelant d’abord que figure au titre des principe fondamentaux reconnus par les lois de la République celui selon lequel le juge administratif dispose du monopole pour connaître de l’annulation et de la réformation des décisions prises par l’administration dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, mais qu’« il est loisible au législateur, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, d’unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l’ordre juridictionnel principalement intéressé »[25]. Pour en conclure que « si, en l’état du droit applicable, les juridictions de l’ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour apprécier la régularité de la procédure et de la décision administratives qui ont conduit à une mesure d’hospitalisation sans consentement, la dualité des ordres de juridiction ne limite pas leur compétence pour apprécier la nécessité de la privation de liberté en cause »[26]. De cette formulation, il faut en conclure qu’en dépit des difficultés engendrée par le partage de compétence, le dualisme juridictionnel en matière d’hospitalisations psychiatriques forcées est tout à fait conforme d’un point de vue constitutionnel, mais que le législateur dispose de la possibilité d’y mettre un terme en attribuant l’entière compétence du contentieux à un ordre de juridiction en particulier, si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie[27]. Sans condamner le principe d’une répartition du contentieux des hospitalisations psychiatriques, le Conseil constitutionnel déléguait ainsi au législateur le choix d’opérer ou non une réforme en la matière.
Parallèlement à l’invitation constitutionnelle, la Cour européenne des droits de l’homme s’était également prononcée sur ce sujet à l’occasion d’un arrêt « Baudoin c/ France » rendu le 18 avril 2010[28]. En l’espèce, le requérant, qui était interné depuis le 16 juillet 1998 sous le régime de l’hospitalisation d’office, alléguait notamment une violation de son droit à disposer d’un recours effectif permettant qu’il soit statué à bref délai sur la légalité de la mesure d’hospitalisation d’office dont il faisait l’objet, droit garanti par l’article 5 § 4 de la Convention. Le dualisme juridictionnel était ainsi directement en cause dans la mesure où malgré l’annulation par le juge administratif des arrêtés préfectoraux à l’origine de la mesure, M. Baudoin n’avait pu obtenir du juge judiciaire sa sortie de l’établissement, ce dernier juge basant son appréciation sur l’état du malade et non sur la régularité de l’arrêté préfectoral (§ 106). La Cour a conclu dans cette affaire à une violation de la Convention, estimant que « dans les circonstances très particulières de l’espèce, l’articulation entre la compétence du juge judiciaire et celle du juge administratif quant aux voies de recours offertes n’a pas permis au requérant d’obtenir une décision d’un tribunal pouvant statuer “sur la légalité de sa détention et ordonner sa libération si la détention est illégale” » (§ 108). En dépit de cette condamnation, la Cour ne réprouve pas le principe même d’une double compétence juridictionnelle pour un unique contentieux. Elle remarque en outre « la complémentarité des recours existants pouvant permettre de contrôler l’ensemble des éléments de la légalité d’un acte, puis aboutir à la libération de la personne intéressée » (§ 108). Mais elle souligne tout de même une certaine complexité procédurale qui peut aboutir dans les faits à une situation contraire aux prescriptions de la Convention.
Tant le Conseil constitutionnel que la Cour européenne des droits de l’homme, sans remettre en cause le principe du dualisme juridictionnel en matière de contentieux de l’hospitalisation d’office[29], ont incité à leur manière le législateur français à modifier cet état du droit, ce que n’ont pas manqué de relever les parlementaires à l’occasion du vote de la loi du 5 juillet 2011. Le projet de loi, initialement indifférent à cette particularité procédurale, s’est ainsi vu amendé pour permettre une unification du contentieux en faveur de l’ordre judiciaire.
2. Le choix du juge judiciaire
Le choix du législateur français a été de donner compétence à l’ordre judiciaire pour connaître des litiges nés des contestations formulées à l’encontre des décisions de soins psychiatriques sans consentement. Cette préférence pour le juge judiciaire semble résulter directement de l’article 66 de la Constitution qui institue l’autorité judiciaire comme la gardienne de la liberté individuelle. C’est en déduire que seul le juge judicaire est apte à connaître de ce contentieux, ce qui était d’ailleurs le sens des revendications formulées par une majorité d’auteurs au temps de la dualité[30]. Une telle conception n’est cependant pas unanimement partagée. En effet, s’il est loisible au législateur de concéder à un seul ordre de juridiction l’intégralité d’un contentieux normalement réparti entre les deux, ce n’est qu’à la condition qu’il en soit de l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Or, l’application de cette exigence au domaine des soins psychiatriques soulève des interprétations en faveur du juge administratif[31]. Ainsi, l’argument constitutionnel tiré de la compétence « naturelle » du juge judiciaire en matière de liberté individuelle selon l’article 66 de la norme suprême ne ferait-il pas obstacle à ce que le juge administratif connaisse de ce contentieux, ce dernier étant « aussi bon gardien de la liberté individuelle que le juge judiciaire ou à tout le moins un juge tout aussi efficace »[32], et « s’il est forcément compétent en matière de privation de liberté en vertu de l’article 66 de la Constitution, le juge judiciaire ne détient pas un monopole de compétence pour autant »[33]. Par ailleurs, la décision du Conseil constitutionnel du 23 juillet 1987 qui prévoit la possibilité pour le législateur d’unifier un contentieux, précise que le processus doit se faire au profit de « l’ordre juridictionnel principalement intéressé » (Considérant 16). Et à cet égard, il ressort des études ayant précédé la loi du 5 juillet 2011 que « quantitativement au moins, […] l’ordre juridictionnel principalement intéressé est bien l’ordre juridictionnel administratif »[34]. L’auteur de ce dernier argument va même jusqu’à considérer qu’en attribuant au juge judiciaire le contentieux des soins psychiatriques sans consentement, la loi du 5 juillet 2011 a méconnu un principe fondamental reconnu par les lois de la Républiques, et pourrait ainsi être contestée par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité[35].
En dépit de ces critiques, c’est bien au juge judiciaire qu’il revient désormais de statuer sur les litiges relatifs aux soins psychiatriques sans consentement, même si cette nouvelle compétence reste imparfaite.
3. Le contenu du texte
Entré en vigueur le 1er janvier 2013, l’article L. 3216-1 du Code de la santé publique proclame à son premier alinéa que la régularité des décisions administratives prises en vertu des dispositions autorisant une mesure de soins psychiatriques sans le consentement de la personne « ne peut être contestée que devant le juge judiciaire ». Le texte précise ensuite[36], que « le juge des libertés et de la détention connaît des contestations mentionnées au premier alinéa du présent article dans le cadre des instances introduites an application des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1 […] » (alinéa 2), puis que « lorsque le tribunal judiciaire statue sur les demandes en réparation des conséquences dommageables résultant pour l’intéressé des décisions administratives mentionnées au premier alinéa, il peut, à cette fin, connaître des irrégularités dont ces dernières seraient entachées » (alinéa 3).
L’articulation entre ces deux dispositions institue un « nouveau partage de compétences au sein même de l’ordre judiciaire »[37], en vertu duquel il appartient au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la mainlevée de la mesure, dans le cadre de son contrôle facultatif[38] ou obligatoire[39], et au tribunal judiciaire de connaître des demandes d’indemnisation des préjudices issus d’une irrégularité des décisions administratives de soins forcés. Le justiciable se voit donc confronté à une nouvelle dualité juridictionnelle, certes interne à l’ordre judiciaire, mais qui fait obstacle à ce que l’intégralité du contentieux soit jugé par un même magistrat. Le juge chargé du contrôle des mesures de soins psychiatriques contraints est ainsi le juge de la libération, alors que le tribunal judiciaire est celui de l’indemnisation. Par ailleurs, l’attribution de la compétence au juge judiciaire pour apprécier la régularité de décisions administratives pose la question des pouvoirs dont il dispose sur cette décision en cas d’illégalité constatée. Dans le cas du juge chargé du contrôle, l’alinéa 2 de l’article L. 3216-1 du Code de la santé publique se contente de préciser que « l’irrégularité affectant une décision administrative mentionnée au premier alinéa du présent article n’entraîne la mainlevée de la mesure que s’il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l’objet ». Outre le fait qu’il est nécessaire de constater une atteinte aux droits de la personne[40], cette disposition semble indiquer que le seul pouvoir dont dispose ce juge en cas d’irrégularité est d’ordonner la mainlevée de la mesure. Il en est a priori de même pour le tribunal judiciaire dont le pouvoir se limite semble-t-il à l’indemnisation de la victime. Aucune disposition ne vient explicitement permettre au juge judiciaire d’annuler la décision. C’est d’ailleurs ce qu’avait jugé la Cour de cassation dans un arrêt où elle sanctionnait les juges du fond qui avaient annulé une décision administrative d’admission en soins sans consentement sous la forme d’un programme de soins, « alors que le juge judiciaire ne peut annuler une décision administrative »[41]. Cette solution a perduré jusqu’à l’avis du Tribunal des conflits qui, dans sa décision du 9 décembre 2019 a considéré que « la juridiction judiciaire est […] seule compétente pour apprécier non seulement le bien-fondé mais également la régularité d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans consentement et les conséquences qui peuvent en résulter ; que, dès lors, toute action relative à une telle mesure doit être portée devant cette juridiction à laquelle il appartient, le cas échéant, d’en prononcer l’annulation »[42]. Le Tribunal des conflits reconnaît donc la possibilité pour le juge judiciaire d’annuler l’acte administratif à l’origine de la mesure de soins psychiatriques.
Quoi qu’il en soit, on constate bien que cette unification n’est ni totale, ni parfaite : toute compétence du juge administratif n’est pas exclue, et l’étendue du champ de la compétence du juge judiciaire doit être précisée.
II. Le champ de compétence du juge judiciaire en psychiatrie
Le juge judiciaire est donc le juge de l’indemnisation, mais aussi celui de la libération. Encore faut-il préciser le champ de sa compétence s’agissant de sa mission de contrôle. Précisons d’emblée que si, initialement, c’était au juge des libertés et de la détention qu’avait été confiée cette compétence, tel n’est plus le cas désormais. En effet, afin de permettre au JLD de se recentrer sur son rôle en matière pénale, l’article 44 de la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice avait prévu le transfert des attributions civiles de ce juge, c’est-à-dire concernant les rétentions administratives des étrangers et les hospitalisations sans consentement, à un magistrat du siège du tribunal judiciaire. Cela a été formalisé par un décret du 20 juin 2024 prévoyant qu’à compter du 1er septembre 2024, c’est à un magistrat du siège désigné par le président du tribunal judiciaire à qui il appartiendra d’effectuer ces contrôles[43]. Ce changement de magistrat ne remet pas en question les solutions qui ont été dégagées alors que le JLD était compétent, et il apparaît que le contrôle par le juge judiciaire des soins psychiatriques sans consentement souffre d’un certain paradoxe. En effet, s’il est certes important dans son étendue (A), il demeure limité dans son contenu (B).
A. Une compétence progressivement étendue
Si le contrôle du juge judiciaire est étendu, d’un point de vue quantitatif, c’est d’abord le fait de la loi du 5 juillet 2011 qui a instauré un contrôle systématique des mesures de soins psychiatriques sans consentement prenant la forme d’une hospitalisation complète. Sans qu’il soit utile de détailler les modalités de ce contrôle[44], il est possible de constater, avec Éric Péchillon et Paul Véron, que cela a eu pour effet de faire « naturellement exploser le contentieux psychiatrique qui demeurait jusque-là extrêmement limité, voire quasi inexistant, alors même que les mesures de soins sous contrainte ne l’étaient pas »[45]. Au-delà des hypothèses de contrôles systématiques instaurés par la loi du 5 juillet 2011, il est possible d’ajouter deux situations, pour lesquelles la question de la compétence du juge judiciaire a été discutée et finalement retenue : celle du recours à l’isolement ou à la contention (1), et celle du placement en unité pour malades difficiles (2).
1. Le contrôle du recours à l’isolement et à la contention
Concernant le recours à l’isolement et à la contention, il s’agit de pratiques, si l’on en croit certains auteurs, qui remontent à l’Antiquité[46]. Pourtant, ce n’est que de manière très récente, que le législateur ne s’est véritablement intéressé à la question et s’est décidé à encadrer ces mesures, certes médicales, mais attentatoires aux droits et libertés des personnes qui y sont soumises. C’est ainsi qu’a été inséré au sein du Code de la santé publique, avec la loi Touraine de 2016[47], un article L. 3222-5-1 qui, dans sa version initiale, disposait que « l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. »[48].
Rapidement après l’entrée en vigueur de cette disposition, s’était posée la question de l’office du juge, et spécialement du juge des libertés et de la détention dans le cadre de son contrôle des mesures de soins psychiatriques sans consentement, s’agissant du recours à la contention ou à l’isolement. Par une ordonnance du 22 avril 2016, le Premier président de la cour d’appel de Versailles a considéré, dans une affaire où il était établi que les conditions de mention au registre prévu par l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique n’avaient pas été respectées, que « le non-respect de ces formalités, certes regrettable, n’était pas de nature à remettre en cause la mesure d’hospitalisation elle-même »[49]. La même juridiction devait cependant considérer quelques mois plus tard qu’il appartenait à l’établissement hospitalier de justifier du respect des dispositions de l’article L. 3222-5-1 et à cette fin, de fournir au juge les éléments lui permettant d’opérer le contrôle qui lui incombe sur les atteintes à la liberté du patient. Elle a cette fois déduit de l’absence de production de telles pièces une atteinte aux droits du patient justifiant la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète[50]. Dans une décision du 27 avril 2018, elle affirmait que « Les mesures d’isolement et de contention sont par leur nature même gravement attentatoires à la liberté fondamentale d’aller et venir dont le juge judiciaire est le garant »[51]. La Cour d’appel de Versailles s’était ainsi positionnée pour un contrôle du juge des libertés et de la détention sur les décisions d’isolement et de contentions[52].
Cela n’était toutefois pas le reflet d’une conception unanime des juges du fond. Pour la cour d’appel de Paris par exemple, le moyen tiré de l’illégalité d’un placement à l’isolement devait être rejeté car si « l’article L. 3222-5-1 du CSP prévoit la tenue d’un registre et une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin, aucun texte ne prévoit un contrôle du juge judiciaire »[53]. De même, dans une ordonnance du 10 octobre 2019, le Premier président de la cour d’appel de Rennes rejetait le moyen tiré de la violation de l’article L. 3222-5-1, considérant qu’« Il n’est nullement prévu à l’article susvisé que le juge judiciaire puisse solliciter un tel registre dans le cadre du contrôle de la régularité d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement »[54]. La cour d’appel de Versailles devait cependant tempérer son interprétation et elle reconnut, s’agissant de la transmission du registre mentionné à l’article L. 3222-5-1 qu’« Aucune disposition ne prévoit […] la communication automatique durant la procédure judiciaire de ce registre qui n’est pas visé dans la liste des pièces à joindre à la requête du juge des libertés et de la détention prévue à l’article R. 3211-12 du code de la santé publique »[55], tout en maintenant un contrôle du bien-fondé de la mesure d’isolement[56].
La Cour de cassation mit fin à ces tergiversations jurisprudentielles par deux arrêts rendus par la Première chambre civile les 7 et 21 novembre 2019[57]. Dans la première espèce, elle jugea qu’« Il résulte des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique qu’il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la mise en œuvre d’une mesure médicale, distincte de la procédure de soins psychiatriques sans consentement qu’il lui incombe de contrôler »[58]. Dans le second arrêt, elle précise que « les mesures d’isolement et de contention […] constituent des modalités de soins […] ne relevant pas de l’office du juge des libertés et de la détention, qui s’attache à la seule procédure de soins psychiatriques sans consentement pour en contrôler la régularité et le bien-fondé »[59]. La Cour de cassation venait ainsi distinguer le cadre formel des soins sans consentement de leur contenu, le juge n’étant compétent pour se prononcer que sur le premier, à l’exclusion du second dont relèvent les mesures de placement à l’isolement ou sous contention[60]. Seule la voie du recours en indemnisation restait ouverte en soulevant a posteriori la question du respect, dans la mise en œuvre de ces mesures, des critères de l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique, lequel énonce que les restrictions à l’exercice des libertés individuelles du patient faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement « doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis ».
Bien qu’ayant tranché pour une incompétence du juge des libertés et de la détention à connaître des mesures d’isolement et de contention, la Haute juridiction judiciaire s’est tout de même résolu, par une décision du 5 mars 2020[61], à soumettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité libellée en ces termes : « Les dispositions de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, telles qu’interprétées par la Cour de cassation dans son arrêt n° 1075 du 21 novembre 2019 (19-20.513), portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution, en particulier son article 66, garantit, en ce qu’elles ne prévoient pas de contrôle juridictionnel systématique des mesures d’isolement et de contention mises en œuvre dans les établissements de soins psychiatriques ? » Par sa décision du 19 juin 2020[62], le Conseil constitutionnel répondit par l’affirmative et censura l’article L. 3222-5-1. Pour conclure à l’inconstitutionnalité de la disposition contestée, le Conseil s’est d’abord attaché à l’effet concret des mesures de placement et d’isolement sur la liberté d’aller et venir des personnes qui en font l’objet, sans s’attarder sur leur nature médicale. Dans une approche pragmatique, il note que « l’isolement consiste à placer la personne hospitalisée dans une chambre fermée et la contention à l’immobiliser » (§ 4) et remarque en outre que ces mesures ne sont pas la conséquence directe d’une hospitalisation sans consentement, et peuvent être décidées sans le consentement de la personne. Aussi, il en déduit que « l’isolement et la contention constituent une privation de liberté » (§ 4). Partant de ce constat, il relève que les conditions fixées par l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique présentent des garanties propres à éviter l’arbitraire, en assurant que le placement à l’isolement ou sous contention « n’intervienne que dans les cas où ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état de la personne » (§ 6). Il précise également que si l’article 66 de la Constitution exige un contrôle de l’autorité judiciaire sur toute privation de liberté, il n’impose pas que ce contrôle se fasse en préalable à la mesure de privation de liberté (§ 7). Toutefois s’agissant du régime de la mesure, le Conseil rappelle que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible » (§ 8). Or, bien que l’article L. 3222-5-1 soumette l’isolement et la contention à la décision d’un psychiatre prise pour une durée limitée, il constate que le législateur n’a pas fixé cette limite, ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d’une certaine durée le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire (§ 8). Dès lors, les exigences de l’article 66 de la Constitution ne sont pas garanties et le constat de l’inconstitutionnalité de l’alinéa 1 de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique, et par voie de conséquence des alinéas 2 et 3, s’imposait (§§ 8-9).
Le législateur a donc été contraint d’intervenir, mais dans une première révision de l’article L. 3222-5-1, issue de l’article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021, il créa un certain cadre, en se contentant de prévoir une information du juge des libertés et de la détention en cas de recours à l’isolement ou à la contention, sans contrôle systématique. C’est sous la pression d’une nouvelle déclaration d’inconstitutionnalité[63] que la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique[64] est venue consacrer un contrôle systématique, étendant ainsi le champ de compétence du juge judiciaire en matière de soins psychiatriques sans consentement.
2. Le contrôle du placement en unité pour malades difficiles
Une autre question ayant conduit à un « imbroglio des compétences juridictionnelles »[65] concerne la contestation des décisions de placement en unité pour malades difficiles (UMD). Dans un arrêt du 17 mars 2017, le Conseil d’État avait considéré qu’au regard des « effets d’une admission en unité pour malades difficiles ou d’un refus de sortie d’une telle unité sur la situation des personnes hospitalisées sans leur consentement, une telle décision doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel »[66]. Toutefois, si la juridiction administrative constatait la nécessité de pouvoir exercer un recours, elle ne précisait pas expressément devant quel juge et semblait suggérer que ce devait être devant le juge judiciaire[67]. Ce dernier n’était toutefois pas de cet avis. S’appuyant sur la position majoritaire des juges du fond qui avaient eu à connaître de cette question, la Cour de cassation considéra, dans un arrêt du 26 octobre 2022, que l’admission ou le maintien d’un patient en UMD constituent « une modalité d’hospitalisation », et qu’il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la mise en œuvre d’une mesure médicale, telle que le maintien en UMD[68].
Le Tribunal des conflits trancha le 3 juillet 2023, en faveur de la compétence du juge judiciaire. Il constate que celui-ci dispose d’une compétence en matière de soins psychiatriques sans consentement en application de l’article L. 3216-1 du Code de la santé publique, ou encore de l’article L. 3222-5-1 du même code, s’agissant du contrôle du recours à la contention et à l’isolement. Il en déduit que « la juridiction judiciaire est également compétente pour connaître de tout litige relatif aux décisions par lesquelles le préfet compétent admet dans une UMD un patient placé en soins psychiatrique sans son consentement sous la forme d’une hospitalisation complète, ou refuse sa sortie d’une telle unité »[69].
Le juge judiciaire se voit ainsi octroyer une nouvelle compétence dans le champ des soins psychiatriques sous contrainte. Ces exemples confirment qu’il fait aujourd’hui figure de juge naturel des soins psychiatriques sans consentement. Lorsqu’un conflit de compétence survient, la tendance est de le désigner[70].
B. Une compétence néanmoins partielle
Malgré son extension, la compétence du juge judiciaire n’est pas exclusive et n’efface pas totalement celle du juge administratif dans le champ de la psychiatrie, qui devrait conserver une compétence de principe pour tout ce qui n’a pas été attribué, à titre dérogatoire, à son homologue judiciaire. En effet, il faut rappeler que les juridictions administratives ont une compétence de principe pour connaître de toute action dirigée contre un acte administratif ou contre une personne publique, ce qui est le cas des hôpitaux publics psychiatriques, qui assurent la grande majorité des hospitalisations. Certes, la formule employée par le Tribunal des conflits dans sa décision du 3 juillet 2023 est particulièrement vague et pourrait laisser penser que le juge judiciaire serait compétent pour toutes les suites de l’admission en soins sans consentement, y compris toute contestation relative à la prise en charge du malade. Selon le juge des conflits, en effet, « toute action relative à la régularité et au bien-fondé d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans consentement prononcée sous la forme d’une hospitalisation complète et aux conséquences qui peuvent en résulter ressortit à la compétence de la juridiction judiciaire ». Quelles sont ces « conséquences qui peuvent en résulter » ? Une décision de transfert dans un autre établissement ou service, ou une restriction des sorties, des visites ou de l’usage du téléphone, par exemple, en font-elles partie ? Une proposition pourrait consister à distinguer ce qui constitue une conséquence spécifiquement attachée au régime des soins sans consentement, et ce qui ne lui est pas spécifique. En l’état, on peut relever que la compétence du juge administratif a été retenue, notamment, pour l’annulation d’une clause d’un règlement intérieur ayant interdit de manière générale et absolue les relations sexuelles au sein d’une unité psychiatrique fermée[71], pour la contestation d’un changement de service ou d’une restriction des droits de visites[72], l’indemnisation des conséquences dommageables d’une mise à l’isolement dans des conditions indignes[73] ou de celles d’un traitement inapproprié[74]. Il en va bien sûr différemment lorsque c’est la responsabilité d’une clinique psychiatrique privée ou d’un psychiatre libéral qui est recherchée. Il s’est en revanche déclaré incompétent pour apprécier la légalité d’un dosage médicamenteux[75]. Au-delà, le juge administratif demeure compétent pour connaître de tout le contentieux de l’indemnisation lié aux suicides ou accidents en psychiatrie publique, qui est d’ailleurs le plus fréquent devant cette juridiction. Le contrôle ne porte ici plus sur la légalité de la contrainte imposée au malade, mais sur le respect par l’établissement public de l’obligation de sécurité qui lui incombe, obligation dont le respect peut lui-même justifier, dans une mesure variable selon les circonstances, le recours à la contrainte, y compris en régime de soins libres.
En dépit des précisions apportées par la jurisprudence, la délimitation exacte des champs de compétences entre les deux ordres de juridictions dans le champ psychiatrique demeure un chantier inabouti. En outre, l’extension significative de la compétence du juge judiciaire ne doit pas masquer la portée limitée de son contrôle[76]. En effet, son office a été strictement encadré par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 septembre 2017. La première chambre civile a précisé que le juge ne devait pas dénaturer l’écrit qui lui a été soumis, notamment le contenu des certificats psychiatriques ; mais surtout, elle a censuré le juge qui avait lui-même porté une appréciation médicale, en relevant « que les constatations médicales sont imprécises, en discordance avec les propos tenus par l’intéressé à l’audience ». Dès lors, en ordonnant la mainlevée de la mesure, « par des motifs relevant de la seule appréciation médicale, le premier président, qui a substitué son avis à l’évaluation, par les médecins, des troubles psychiques du patient et de son consentement aux soins, a violé [les dispositions du Code de la santé publique] »[77]. Interdiction est faite au juge de « jouer au docteur »[78]. Son contrôle, essentiellement formel et procédural, « reste assez léger »[79].
[1] La présente contribution reprend partiellement des développements issus d’une précédente publication : J.-P. Vauthier, « Soins psychiatriques sans consentement et compétence juridictionnelle », in F. Vialla (dir.), Les grandes décisions du droit médical, LGDJ, 2ème éd., 2014, p. 529 ; reproduits ici avec l’aimable autorisation de l’éditeur.
[2] « C’est l’idée d’une nécessaire spécialisation du juge qui justifie l’existence de la juridiction administrative » : A. Van Lang, Juge judiciaire et droit administratif, LGDJ, Bibl. dr. publ., T. 183, 1996, p. 285. L’auteure rappelle ensuite la définition du principe de séparation des autorités administratives et judiciaire, telle qu’énoncée par MM. Vedel et Delvolvé dans leur ouvrage Droit administratif : « la séparation des autorités administratives et judiciaires […] est la règle qui interdit aux tribunaux judiciaires, c’est-à-dire à l’ensemble des juridictions soumises au contrôle de la Cour de cassation, de connaître des litiges administratifs » (p. 286).
[3] Loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, JO 6 juillet, p. 11705. Pour une approche historique de cette évolution, V. notamment X. Cabannes, « L’unification du contentieux des décisions d’hospitalisation d’office. Rapide retour sur un dualisme juridictionnel », in X. Cabannes et M. Benillouche (dir.), Hospitalisations sans consentement, Paris, PUF, coll. « Centre de droit privé et de sciences criminelles d’Amiens », 2013, p. 129.
[4] Art. 66 Constitution.
[5] CEDH, 18 avr. 2010, « Baudoin c/ France », n° 35935/03.
[6] Cons. const., 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC, Mlle Danielle S., JO 27 nov., p. 21117 ; Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-135/140 QPC, M. Abdellatif B., JO 10 juin, p. 9892.
[7] Sur le processus de juridictionnalisation du contrôle des soins sans consentement et le rôle du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme, v. not., B. Py, « Le juge des libertés et de la détention et la psychiatrie », in X. Cabannes et M. Benillouche (dir.), Hospitalisations sans consentement, op. cit., p. 141.
[8] CE, 20 décembre 1855, Ville d’Issoudun, Rec. Lebon p. 760.
[9] CE, 16 décembre 1881, Département de la Sarthe, Rec. Lebon p. 980.
[10] CE, 21 juin 1911, Dame Fervel, Tables du Rec. Lebon p. 844 ; DP 1913, 3, p. 131.
[11] TC, 6 avril 1946, Sieur Maschinot c/ Préfet de police, Rec. Lebon p. 326
[12] Loi n°90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation, JO 1990, p. 7664.
[13] CE, 11 mars 1996, Commune de Saint-Herblain, JCP G 1996, II, 27743, note Mallol.
[14] TC 27 novembre 1995, Préfet de Paris c/ Demoiselle Boucheras, Rec. Lebon p. 503 ; JCP 1996, éd. G, IV, 637 ; Gaz. Pal. 7-8 juin 1996, p. 13.
[15] Ibid.
[16] CE, réf., 14 octobre 2004, Arre, n° 273047 : « Considérant que la contestation de l’acte par lequel le préfet décide qu’une personne atteinte de troubles mentaux, qui a fait l’objet d’un placement d’office dans un établissement d’hospitalisation spécialisé, doit être transférée dans un autre établissement est soumise à des règles de répartition des compétences entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, identiques à celles applicables au régime du placement d’office, dans la mesure où le transfert est le corollaire d’un tel placement ».
[17] TC, 26 juin 2006, Président du Conseil de Paris, Préfet de police de Paris, C3513.
[18] CE, 13 juin 1971, Planchon, Rec. Lebon, p. 33.
[19] F. Mallol, « Troubles mentaux et contrôle juridictionnel des mesures d’hospitalisation d’office », note sous CE 11 mars 1996, Commune de Saint-Herblain, JCP G 1996, II 22743.
[20] C. Landais, F Lenica, Le placement d’office et ses deux juges, note sous CE 1er avril 2005, Mme L., AJDA 2005, p. 1231.
[21] CE, sect., 1er avril 2005, L., Recueil Lebon p. 134 ; AJDA 2005, p. 1231, chron. C. Landais et F. Lenica ; RDSS 2005, p. 450, note T. Fossier ; JCP G 2005, IV, 2141 ; RTD Civ. 2005, p. 573, obs. J. Hauser ; Collectivités territoriales Intercommunalité 2005, comm. 80, L. Erstein.
[22] J.-B. Thierry, Le handicap en droit criminel, Thèse dactylographiée, Université Nancy 2, 2006, n°614.
[23] Cons. const., 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC, Mlle Danielle S., JO 27 nov., p. 21117, AJDA 2011, p. 174, note X. Bioy ; ibid. 2010, p. 2284 ; D. 2011, p. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; RDSS 2011, p. 304, note O. Renaudie ; Constitutions 2011, p. 108, obs. X. Bioy ; RTD civ. 2011, p. 101, obs. J. Hauser.
[24] Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-135/140 QPC, M. Abdellatif B., JO 10 juin, p. 9892, AJDA 2011, p. 1177 ; Constitutions 2011, p. 400, obs. X. Bioy ; RTD civ. 2011, p. 514, obs. J. Hauser.
[25] Considérant 36. Il s’agit d’une reprise du principe dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 où il consacra la réserve de compétence du juge administratif.
[26] Considérant 37.
[27] A. Pena, « Internement psychiatrique, liberté individuelle et dualisme juridictionnel : la nouvelle donne », RFDA 2011, p. 951.
[28] CEDH, 18 avr. 2010, « Baudoin c/ France », n° 35935/03 : É. Péchillon, « Contrôle de l’hospitalisation sous contrainte : la cour européenne des droits de l’homme condamne la France du fait des conséquences de son dualisme juridictionnel », AJ Pénal 2011, p. 144.
[29] K. Grabarczyk, « L’hospitalisation sans consentement sous les feux des juges européen et constitutionnel », JCP G 2011, I, 189.
[30] Cf. supra.
[31] V. notamment A. Pena, « Internement psychiatrique, liberté individuelle et dualisme juridictionnel : la nouvelle donne », préc. ; et C. Castaing, « La volonté des personnes admises en soins psychiatriques sans consentement. Quel droit pour quel juge ? », AJDA 2013, p. 153.
[32] A. Pena, « Internement psychiatrique, liberté individuelle et dualisme juridictionnel : la nouvelle donne », préc.
[33] Ibidem.
[34] C. Castaing, « La volonté des personnes admises en soins psychiatriques sans consentement. Quel droit pour quel juge ? », préc.
[35] Ibidem.
[36] Nous citons ici la version initiale. Dans sa rédaction actuelle, il n’est plus fait référence au « juge des libertés et de la détention », mais seulement au « juge », car ce n’est plus le JLD qui est chargé du contrôle des soins psychiatriques sans consentement, mais un magistrat du siège désigné par le président du tribunal judiciaire : voir infra.
[37] A. Farinetti, « L’unification du contentieux des soins psychiatriques sans consentement par la loi du 5 juillet 2011 », préc.
[38] Contrôle prévu à l’article L. 3211-12 CSP.
[39] Contrôle institué par la loi du 5 juillet 2011 et prévu à l’article L. 3211-12-1 CSP.
[40] Sur cette exigence, voir par exemple Civ. 1re, 4 juillet 2018, n° 17-20.800 : le seul constat de l’irrégularité résultant de la formalisation tardive de la décision d’admission en soins psychiatriques sans consentement, prise par le directeur de l’établissement, ne suffit pas à justifier la mainlevée de la mesure dès lors qu’il n’est pas démontré en quoi cette irrégularité a porté atteinte aux droits de la patiente.
[41] Civ. 1re, 11 mai 2016, n° 15-16.233 : Bull. civ. I, n° 102 ; RDSS 2016, p. 738, note P. Hennion-Jacquet ; JCP A 2017, n° 1, p. 29, obs. É. Péchillon.
[42] TC 9 décembre 2019, Mme B., n° C4174, Rec. Lebon : Gaz. Pal., 24 mars 2020, p. 31, note S. Roussel.
[43] Décret n° 2024-570 du 20 juin 2024 « pris pour l’application des articles 38, 44 et 60 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 », JO 22 juin 2024, texte n° 22. Ce décret remplace les différentes références au « juge des liberté et de la détention » par « magistrat du siège du tribunal judiciaire » et crée, au sein du Code de l’organisation judiciaire, notamment l’article R. 213-12-2 qui dispose que « Le président du tribunal judiciaire désigne un ou plusieurs magistrats du siège du tribunal judiciaire chargés du contrôle des mesures privatives et restrictives de libertés prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et le code de la santé publique […] ».
[44] V., les art. L. 3211-12-1 et suiv. C. santé publ.
[45] É. Péchillon, P. Véron, « De l’aliéné soumis au justiciable contraint : les évolutions contemporaines du contrôle juridictionnel en psychiatrie », Revue Droit&Santé, n° 100, mars 2021, p. 355.
[46] J. Guivarch, « Retour de la contention en psychiatrie : perception des patients et soignants et considérations éthiques », Éthique & santé 2016, vol. 13, n° 4, p. 209.
[47] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 « de modernisation de notre système de santé », JO 27 janvier 2016, texte n° 1.
[48] Une traçabilité des mesures était prévue à l’alinéa 2 qui instaurait la tenue d’un registre devant mentionner le nom du psychiatre ayant décidé l’isolement ou la contention, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée. En outre, un rapport rendant compte de ces pratiques devait être établi annuellement par l’établissement de santé selon l’alinéa 3.
[49] CA Versailles, ord., 22 avril 2016, n° 16/02819.
[50] CA Versailles, ord., 24 octobre 2016, n° 16/07393 : JCP G 14 novembre 2016, 1211, obs. F. Vialla ; RDSS 2017/1, p. 175, obs. P. Véron.
[51] CA Versailles, ord., 27 avril 2018, n° 18/02652.
[52] V. également CA Versailles, ord., 6 novembre 2017, n° 17/07797.
[53] CA Paris, ord., 31 mai 2019, n° 19/00217.
[54] CA Rennes, ord., 10 octobre 2018, n° 19/00435.
[55] CA Versailles, ord., 13 mai 2019, n° 19/04162.
[56] L’ordonnance considère ainsi que « L’ensemble de ces certificats [médicaux des 24 et 72 heures] donne donc de manière précise les raisons pour lesquelles ces mesures, qui doivent rester exceptionnelles, ont été prises. Ces mesures d’isolement étaient donc légalement justifiées en vertu de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique et le moyen tiré de l’absence de production du registre d’isolement et contention sera donc écarté ».
[57] Cass. 1re civ., 7 novembre 2019, n° 19-18.262 : JCP G 27 janvier 2020, 94, note G. Raoul-Cormeil ; Dr. fam. janvier 2020, comm. 18, note I. Maria ; D. 2020, p. 139, note K. Sferlazzo-Boubli ; Cass. 1re civ., 21 novembre 2019, n° 19-20.513 : RDSS 2020, p. 355, note P. Curier-Roche.
[58] Cass. 1re civ., 7 novembre 2019, n° 19-18.262, § 8.
[59] Cass. 1re civ., 21 novembre 2019, n° 19-20.513, § 9.
[60] Il peut être remarqué que la cour d’appel de Versailles tira les conséquences de ces décisions en modifiant sa jurisprudence. Elle considéra par exemple « qu’il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la mise en œuvre de mesures médicales de contention et d’isolement qui ne constituent que des décisions techniques et thérapeutiques, étant relevé qu’il est constant qu’un juge des libertés et de la détention ne peut pas substituer son avis à l’évaluation faite par les médecins sur les troubles psychiques du patient et sur sa capacité à consentir aux soins » : CA Versailles, ord., 17 avril 2020, n° 20/01955.
[61] Civ. 1re, 5 mars 2020, n° 19-40.039 : Dr. famille 2020, comm. 85, note L. Mauger-Vielpeau.
[62] Cons. constit., déc. n° 2020-844 QPC, 19 juin 2020, « M. Éric G. », JCP G, 2020, n° 28, p. 1311, note É. Péchillon, P. Véron: D., 30 juillet 2020, n° 27, p. 1559 note K. Sferlazzo-Boubli ; Gaz. Pal., 8 septembre 2020, n° 30, p. 26, comm. P. Le Monnier de Gouville ; Droit de la famille, octobre 2020, n° 10, p. 31, obs. L. Mauger-Vielpeau ; J.-P. Vauthier, « Plus de contention ni d’isolement sans contrôle du juge judiciaire », Médecine & Droit 2021, p. 11.
[63] Cons. constit., décision n° 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021.
[64] Accompagnée du décret n° 2022-419 du 23 mars 2022 « modifiant la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention en matière d’isolement et de contention mis en œuvre dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement ».
[65] P. Véron, « Maintien d’un patient psychiatrique en “unité pour malades difficiles“ : l’imbroglio des compétences juridictionnelles », LPA 2021, p. 74.
[66] CE, 17 mars 2017, n° 397774.
[67] C’est ce qui ressort des conclusions du rapporteur public : voir en ce sens V. Vioujas, « Les angles morts du contrôle judiciaire des mesures de soins psychiatriques sans consentement », RGDM 2023, n° 89, p. 15.
[68] Civ. 1re, 26 octobre 2022, n° 21-10.706 : RTD civ. 2023, p. 77, obs. A.-M. Leroyer ; Revue Droit&Santé n° 111, janvier 2023, obs. P. Véron.
[69] TC 3 juillet 2023, n° C4279, Rec. Lebon : RGDM 2023, n° 89, p. 15, note V. Vioujas et p. 31, note P. Véron ; Revue Droit&Santé, n° 116, novembre 2023, p. 941, obs. K. Sferlazzo-Boubli.
[70] C. Castaing, « Des ordres dans le contentieux des décisions relatives aux soins psychiatriques sans consentement », RDSS, 2023, p. 89.
[71] CAA Bordeaux, 6 novembre 2012, n° 11BX01790.
[72] CE 26 juin 2015, n°381648 ; CAA Bordeaux, 3e ch., 8 déc. 2015, n° 15BX02216 : AJDA 2016, p. 581.
[73] CAA Marseille, 21 mai 2015, n° 13MA03115.
[74] TA Rennes, 16 mars 2017, n° 1404240.
[75] CE, ord., 16 juillet 2012, nº 360793.
[76] V., not., dans le présent dossier, la contribution de M. Couturier.
[77] Civ. 1re, 27 septembre 2017, n° 16-22.544 : Dalloz act., 3 octobre 2017, obs. N. Peterka ; RDSS 2018, p. 125, note P. Véron.
[78] É. Péchillon, P. Véron, « De l’aliéné soumis au justiciable contraint : les évolutions contemporaines du contrôle juridictionnel en psychiatrie », préc.
[79] A.-M. Leroyer, « Le contrôle du juge en matière d’hospitalisation sans consentement : cela reste assez léger », obs. sous Civ. 1re, 5 mars 2020, n° 19-23.287, RTD civ. 2020, p. 351.