Remise en cause de l’accouchement sous X : nouvel échec !
Le Conseil constitutionnel déclare l’accouchement sous X conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit
Par Géraldine Vial
Souvent présentée comme une exception française, désuète et contestable, l’institution de l’accouchement sous X, déjà jugée conforme à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, vient d’être approuvée par le juge constitutionnel.
L’accouchement sous X est, en France, une faculté traditionnelle, organisée depuis le milieu du XVIè siècle, pour prévenir les risques d’infanticide et sauvegarder l’honneur des familles, tout en assurant la protection de la mère dans sa personne. Il s’agissait, à l’époque, de permettre aux femmes enceintes d’échapper au déshonneur qu’elles n’auraient pu éviter autrement que par l’abandon de leur enfant, voire par l’avortement ou l’infanticide, tous deux punis de mort. L’institution de l’accouchement sous X vise donc, tout à la fois, la protection de la mère et celle de l’enfant. Elle tente aujourd’hui de parvenir à un équilibre entre le droit de la mère de préserver son anonymat et le droit de l’enfant de connaître ses origines.
Cet équilibre s’est cependant déplacé. Face aux revendications croissantes d’un accès à la connaissance des origines, les dernières réformes législatives ont davantage cherché à faciliter l’accès de l’enfant à l’identité de sa mère biologique. C’est ainsi que la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 a permis de rendre réversible le secret de la mère, en lui offrant la possibilité de laisser certains renseignements et que la loi n° 2009-61 du 19 janvier 2009 a supprimé la fin de non-recevoir à l’établissement judiciaire de la filiation maternelle, traditionnellement opposée à l’enfant dont la mère avait accouché anonymement.
Ces deux textes n’ont toutefois pas remis en cause le secret de l’identité de la mère. Celle-ci peut toujours demander, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission à la maternité et celui de son identité. C’est précisément sur cette prérogative de la mère que le Conseil constitutionnel a été amené à se pencher, en vérifiant la conformité des articles L. 147-6 et L. 222-6 du Code de l’action sociale et des familles aux droits et libertés que la Constitution garantit. Par décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012, ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution. Les juges ont ainsi validé le système français de l’accouchement sous X (I), comme avait déjà pu le faire la Cour européenne des Droits de l’Homme (II).
I. La conformité du système français de l’accouchement sous X à la Constitution
Les articles L. 222-6 et L. 147-6 du Code de l’action sociale et des familles, soulevés par le requérant, sont issus de la loi du 22 janvier 2002. Ils portent, respectivement, sur le droit de toute femme d’accoucher dans le secret et sur la procédure permettant la réversibilité de ce secret à la demande de l’enfant. La conformité de l’accouchement sous X à la Constitution a donc été vérifiée tant au regard de la possibilité pour la mère de demander le secret (A), que de celle de le lever (B).
A. La possibilité de demander le secret
Si la possibilité de demander le secret de son identité lors de l’accouchement apparaît comme une faculté offerte aux femmes de longue date, elle n’a pourtant été consacrée par le Code civil qu’avec la loi du 8 janvier 1993. Elle était jusqu’alors seulement régie par des textes à vocation sociale et apparaissait comme une simple garantie de discrétion assurée à la mère, sans prétendre avoir quelque répercussion sur la filiation de l’enfant. Avec la loi de 1993, le secret est abordé sous l’angle du droit civil et devient de droit. L’accouchement sous X fait son entrée dans le Code civil. Il s’insère, tout d’abord, à l’article 62 garantissant qu’en cas d’accouchement sous X, les informations relatives à la mère ne soient pas inscrites sur l’acte de naissance. On le retrouve, ensuite, à l’article 341 instaurant une fin de non-recevoir à l’action judiciaire de la filiation maternelle en matière d’accouchement sous X. Il est, enfin, présent à l’article 341-1 de l’époque – aujourd’hui, article 326 – qui dispose que « lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ». La lecture de ce dernier texte laisse apparaître la distinction très nette, réalisée par le législateur, entre le secret de l’admission et le secret de l’identité de la mère. Le premier est lié à la prise en charge financière de la mère à l’hôpital. Ce secret est celui auquel les textes ont toujours fait référence. Il concerne ici un fait matériel, objectif, celui de l’accouchement, de la naissance. Par la loi de 1993, le législateur lui a ajouté le secret de l’identité de la mère et c’est alors que l’accouchement est devenu anonyme.
Ce secret de l’identité de la mère se réalise, de façon concrète, lorsque la femme, qui le désire, est admise dans un hôpital ou une clinique privée où elle fait part de son intention d’accoucher anonymement. Son identité n’est alors pas requise. Elle doit néanmoins fournir une pièce d’identité, dans une enveloppe cachetée, qui lui sera restituée lors de sa sortie. Cette formalité vise à pouvoir dévoiler l’identité de la parturiente, si un incident était amené à se produire, à savoir son décès ou son admission dans un autre service en cas de complications postérieures à l’accouchement. Le secret de son identité est néanmoins, en toute hypothèse, préservé à l’égard de l’enfant, les médecins étant soumis au secret professionnel. La femme qui accouche de façon anonyme prend généralement le nom de « Madame X », de sorte que l’acte de naissance dressé par l’établissement de santé ne comporte pas l’identité de la mère biologique de l’enfant.
En 2002, le droit au secret a été aménagé par l’article L. 222-6 du Code de l’action sociale et des familles, visé par le requérant. Ce texte dispose, en effet, que la mère est « invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité […] ». L’alinéa 2 précise, en outre, que « les frais d’hébergement et d’accouchement des femmes qui ont demandé, lors de leur admission dans un établissement public ou privé conventionné, à ce que le secret de leur identité soit préservé, sont pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance du département siège de l’établissement ». Depuis lors, la mère doit donc être informée qu’elle peut, à tout moment, donner son identité sous pli fermé ou laisser des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance. Sensibilisée à l’importance, pour l’avenir de son enfant, de transmettre des informations, même non identifiantes, la mère est ainsi encouragée à laisser tout renseignement, fut-il infime. Elle ne peut toutefois y être contrainte et peut tout à fait décider de ne rien dévoiler.
Le requérant soutenait que la possibilité offerte à la mère d’accoucher sans révéler son identité était contraire au droit au respect de la vie privée résultant de l’article 2 de la Déclaration des Droits de homme et du citoyen de 1789, ainsi qu’au droit de mener une vie familiale normale résultant du dixième alinéa du Préambule de 1946.
Les juges du Conseil constitutionnel ont toutefois décidé du contraire : le droit au respect de la vie privée n’impliquerait pas l’accès aux origines personnelles ; le droit de mener une vie familiale normale ne serait pas davantage concerné. De prime abord, on pourrait penser que cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence du Conseil appréciant de façon restrictive le domaine d’application du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale (cf. not. les décisions n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 relative à l’adoption par un couple homosexuel et n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011 concernant le mariage entre personnes de même sexe). Pour les sages, le droit constitutionnel à une vie familiale normale semblerait, en effet, être entendu uniquement comme devant autoriser la possibilité de vivre ensemble. Il n’impliquerait donc nullement la possibilité d’accéder à ses origines personnelles.
Toutefois, l’argumentation des juges ne prend pas appui sur ces deux prérogatives soulevées par le requérant. Le régime juridique de l’accouchement sous X est justifié par le droit à la protection de la santé. Le Conseil constate, en effet, qu’« en garantissant un droit à l’anonymat et la gratuité de la prise en charge lors de l’accouchement dans un établissement sanitaire, le législateur a entendu éviter le déroulement de grossesses et d’accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l’enfant et prévenir les infanticides ou des abandons d’enfants ; qu’il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » (cons. 6). Cet objectif de protection de la santé découle du onzième alinéa du Préambule de 1946. Il figure ainsi parmi les droits et libertés que la Constitution garantit. Constituant légitimement, au XVIème siècle, le fondement de la consécration de l’accouchement sous X, ce droit à la protection de la santé de la mère pourrait aujourd’hui paraître quelque peu suranné. C’est pourtant lui qui est repris par le Conseil constitutionnel.
Les juges ont également pris en considération le fait que les dispositions contestées par le requérant visent, en outre, à faciliter l’accès de l’enfant à ses origines personnelles en offrant, à la mère, la possibilité de lever le secret.
B. La possibilité de lever le secret
Si le secret peut toujours être demandé par la mère, sa réversibilité a été fortement encouragée par la loi du 22 janvier 2002. Inspiré par les revendications croissantes des enfants nés sous X de connaître leurs origines, ce texte a, en effet, organisé pour la mère, la possibilité de lever le secret qu’elle avait imposé lors de l’accouchement. Il a notamment instauré une procédure de « médiation » entre la mère et l’enfant, par le biais d’une institution particulière, le Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP). L’article L.147-6 du Code de l’action sociale et des familles, invoqué par le requérant, prévoit que ce conseil pourra communiquer l’identité de la mère à l’enfant qui dispose d’une déclaration expresse de levée du secret de son identité, mais également à celui dont la mère est décédée en ne s’étant pas expressément opposée, de son vivant, à la révélation du secret. L’enfant bénéficie, par conséquent, d’une présomption simple de révocation du secret en cas de décès de la mère. Pour cela, il doit seulement faire une demande d’accès à ses origines personnelles auprès du CNAOP. Cette demande peut être réalisée par l’enfant devenu majeur ou par l’enfant mineur, doté de discernement et ayant obtenu l’accord de ses représentants légaux (art. L.147-2 Code Action Soc. et Fam.). L’un des membres du conseil ou une personne mandatée par lui prévient alors la famille de la mère de naissance et lui propose un accompagnement au vu des conséquences que pourraient avoir une telle révélation.
Les hypothèses de levée du secret ont donc été multipliées au bénéfice de l’enfant. Pour autant, le requérant soutenait que ces mesures méconnaissent le droit au respect de la vie privée et celui de mener une vie familiale normale.
Le juge constitutionnel relève alors que la disposition contestée vise à « faciliter la connaissance par l’enfant de ses origines personnelles » (cons. 7). Il souligne que cet objectif de levée du secret a été encouragé par le législateur de 2002 par plusieurs mesures. La première réside en la création du CNAOP, dont la mission est précisément de favoriser l’accès de l’enfant à ses origines en incitant la mère à la levée de son anonymat. La seconde est la consécration d’une présomption simple de révocation du secret. Le secret ne sera, en effet, conservé que si la mère, ayant reçu une demande de levée de son anonymat de son vivant via le CNAOP, s’est expressément opposée à la révélation de son identité, au jour de la demande ainsi qu’après son décès. A contrario, l’enfant qui ne retrouve trace de sa mère qu’après son décès et n’a donc réalisé aucune demande de levée du secret de son vivant, a toutes les chances de voir le secret levé et l’identité de sa mère dévoilée par le CNAOP.
Le Conseil précise également « qu’en permettant à la mère de s’opposer à la révélation de son identité même après son décès, les dispositions contestées visent à assurer le respect de manière effective, à des fins de protection de la santé, de la volonté exprimée par celle-ci de préserver le secret de son admission et de son identité lors de l’accouchement tout en ménageant […] l’accès de l’enfant à la connaissance de ses origines personnelles » (cons. 8). L’exigence constitutionnelle de protection de la santé se retrouve ici comme fondement à la décision des sages.
En définitive, pour le Conseil constitutionnel, les conditions d’accès aux origines personnelles définies dans les dispositions contestées, ne portent aucune atteinte au respect dû à la vie privée ou au droit de mener une vie familiale normale. Cette décision semble pouvoir être rapprochée de celles déjà rendues en matière de procréation médicalement assistée et d’expertise génétique. En 1994, le Conseil a, en effet, jugé conforme à la Constitution l’interdiction faite aux enfants, issus de tiers donneurs, de connaître l’identité de leur géniteur (Décision n°94-343/344 DC du 27 juillet 1994). Plus récemment, il a également décidé que le régime de l’expertise génétique post mortem interdisant par principe la réalisation d’une telle mesure sur une personne décédée était conforme à la Constitution (Décision n°2011-173 QPC du 30 septembre 2011. Cf. not. sur cette décision : G. Vial, « L’expertise génétique post mortem à l’épreuve du droit au respect de la vie privée et familiale », RDLF 2011, chron. n°16). Dans ces différentes décisions, les limites à l’accès aux origines personnelles n’ont jamais été censurées par le juge constitutionnel. Ce dernier semble ainsi considérer non seulement que le droit pour toute personne de connaître ses origines ne trouve pas de fondement constitutionnel dans le droit au respect de la vie privée ou dans celui de mener une vie familiale normale mais, également, qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause l’équilibre défini par le législateur entre les intérêts du géniteur et ceux de l’enfant. La position de la Cour européenne est plus nuancée.
II. La conformité du système français de l’accouchement sous X à la Convention ESDH
La Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée à plusieurs reprises sur la conformité de la réglementation française de l’accouchement anonyme à la Convention européenne. Tel est, tout d’abord, le cas de l’affaire Odièvre contre France, du 13 février 2003 (req. n° 42326/98, D. fam. 2003, chron. n° 14, obs. H. Gaumont-Prat ; D. fam. 2003, comm. n° 58, obs. P. Murat ; JCP G 2003, II, 10049, note F. Sudre et A. Gouttenoire ; JCP G 2003, I, 120, note Ph. Malaurie ; RTD civ. 2003, 276, obs. J. Hauser et 375, obs. J.-P. Marguénaud ; RJPF 2003, n° 4, p. 19, note M.-Ch. Le Boursicot ; D. 2003, chron., p. 1240, note B. Mallet-Bricout) relative à une situation antérieure à la loi du 22 janvier 2002, mais dans laquelle les juges européens ont pris en compte la nouvelle législation. Ils ont, en effet, considéré que cette possibilité offerte à la mère n’était ni contraire à l’article 8, ni à l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Pour la Cour, la législation française, instaurée par la loi de 2002, tente d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause. Les États doivent pouvoir choisir les moyens qu’ils estiment les plus adaptés au but de la conciliation recherchée et la France n’a pas excédé sa marge d’appréciation au regard du caractère complexe et délicat de la question que soulève le droit de la mère de conserver l’anonymat confronté au droit de l’enfant de connaître son histoire. Cette conformité du droit français à la Convention européenne des droits de l’homme a, quelques années plus tard, été confirmée dans l’affaire Kearns contre France, du 10 janvier 2008 (req. n° 35991/04 ; D. 2008, p. 415, obs. P.Guiomard ; AJF 2008, p. 78, obs. F. Chénédé). En l’espèce, la requérante, résidant en Irlande, avait accouché en France d’une petite fille issue d’une relation extra-conjugale. Elle avait alors demandé le secret de son identité et consenti à l’adoption du bébé. Trois mois plus tard, l’enfant fut placé dans une famille d’accueil en vue de son adoption. Deux mois après ce placement, la requérante demanda la restitution de son enfant, désormais âgé de six mois. Les juges nationaux lui opposèrent le délai légal de deux mois pour la rétractation du consentement à l’adoption. La requérante invoqua alors, devant la Cour européenne, l’article 8 de la Convention, pour contester la brièveté de ce délai. La Cour décida qu’« eu égard à la marge d’appréciation dont doivent jouir les Etats face à la diversité des systèmes et traditions juridiques et des pratiques, le délai prévu par la législation française vise à atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisants entre les intérêts en cause ».
La Cour européenne admet donc la conformité du régime de l’accouchement sous X à la Convention, au regard du droit de l’enfant à la connaissance de ses origines et de celui de la mère à l’établissement de sa maternité. Elle tient toutefois une position différente quant au droit du père à l’établissement de sa paternité. Elle a ainsi considéré, dans l’affaire Görgülü contre Allemagne, du 26 février 2004 (req. n° 74969/01, D. fam. 2004, comm. n° 48, note P. Murat), que l’atteinte portée à la vie privée et familiale du père et de l’enfant n’est pas proportionnelle à l’objectif poursuivi, à savoir l’anonymat de la mère biologique. En l’espèce, le requérant avait vécu avant la naissance de l’enfant avec la mère qu’il pensait épouser et, après la rupture de leurs relations, il avait appris la grossesse mais avait perdu tout contact avec la mère environ un mois avant l’accouchement. Celle-ci avait remis l’enfant en vue de son adoption. L’enfant avait été confié à une famille candidate à l’adoption quatre jours après sa naissance. Trois mois plus tard, le père avait effectué des démarches auprès des services sociaux, avant d’établir sa paternité et de réclamer devant les tribunaux l’autorité parentale sur l’enfant et un droit de visite. Après avoir obtenu gain de cause, ses demandes avaient été rejetées en appel au motif qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de le séparer de sa famille d’accueil. La Cour européenne des droits de l’homme, saisie par le père, conclut à l’unanimité à une double violation du droit au respect de la vie familiale, pour le refus de lui accorder l’autorité parentale et pour la suspension du droit de visite qui lui avait été reconnu.
Il est alors possible de déduire de ces arrêts que, pour la Cour, l’utilisation de l’anonymat ne doit pas outrepasser sa stricte finalité, à savoir l’intérêt légitime de la personne qui le sollicite. En l’occurrence, l’intérêt légitime de la mère est de se prémunir contre toute identification. L’opposabilité de l’anonymat ne doit alors s’exercer que pour protéger ce seul intérêt, c’est-à-dire entre la mère et son enfant. Elle ne doit pas s’appliquer à l’encontre de l’intérêt légitime du père de reconnaître son enfant, ni à l’encontre de l’intérêt légitime de l’enfant de connaître son père.
La Cour européenne, comme le Conseil constitutionnel, valident ainsi le régime de l’accouchement sous X, tel qu’issu de la loi du 22 janvier 2002, tout au moins dans ses effets entre la mère et l’enfant. Toutefois, ce régime a évolué depuis la loi du 16 janvier 2009. La fin de non-recevoir posée à l’action en recherche de maternité a été supprimée. L’anonymat de la mère ne constitue désormais plus un obstacle à l’établissement judiciaire de la filiation de l’enfant. L’enfant est aujourd’hui autorisé à intenter une action en recherche de maternité contre celle qui avait pourtant demandé l’anonymat. L’obstacle de droit à l’établissement de sa filiation a donc été supprimé, mais il demeure un obstacle de fait, résidant dans la possibilité de la mère de conserver son secret. Autrement dit, si l’enfant a désormais le droit d’agir, il ne sait toujours pas contre qui !
L’anonymat continue donc de représenter un obstacle entre la mère et son enfant, mais il n’opère plus qu’à l’encontre du droit à la connaissance des origines. La disparition de cette facette de l’obstacle pourrait ainsi, à première vue, constituer une avancée pour les droits de l’enfant. Pourtant, rien n’est moins sûr. Cet accès de l’enfant à l’établissement de son lien de filiation maternelle pourrait, en effet, avoir une incidence indirecte. Il risque de remettre en cause l’équilibre fragile réalisé par le législateur de 2002, en créant une incitation indirecte au secret, même si telle n’était pas l’intention du législateur. En supprimant la fin de non-recevoir, le législateur a, en effet, pris le soin de préciser que la volonté d’anonymat de la mère serait intégralement préservée (H. de Richemont, Rapp. n° 145, 2007-2008 fait au nom de la commission des lois et G. Boudouleix, Rapp. n° 770, 2008. V. également : AN, Réforme de la filiation, deuxième séance, 6 jan. 2009, www.assemblee-nationale.fr), cette mesure étant, officiellement, seulement destinée à éviter une condamnation par la Cour européenne du système français de l’accouchement sous X, quand bien même la menace de cette condamnation était loin d’être certaine (V. not. : G. Vial, « La recevabilité des actions relatives à la filiation dans la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 », D. fam. 2009, étude 18). Pour le législateur, cette ouverture de l’action en recherche de maternité est donc vouée à rester lettre morte puisque l’enfant ne sait pas contre qui diriger cette action. Elle pourrait cependant produire un effet insoupçonné en venant, à contre-courant, entraver l’accès de l’enfant à ses origines. Ne se trouvant plus juridiquement à l’abri de l’établissement sa maternité, la mère pourrait, tout d’abord, se montrer plus réticente à révéler son identité de son vivant. Même s’il est probable que l’enfant ait fait l’objet d’une adoption, tel ne sera pas toujours le cas et la mère pourra alors faire l’objet d’une action en recherche de maternité alors qu’elle avait demandé à bénéficier de l’anonymat. La mère pourrait, également, par précaution, manifester de son vivant son opposition à la levée du secret de son identité lors de son décès.
En incitant la mère à ne plus révéler son identité par peur des conséquences de cette action, le système de 2009 risque ainsi de priver l’enfant, non seulement de l’établissement de son lien de filiation mais, également, de l’accès à ses origines. Si le régime actuel de l’accouchement sous X apparaît plus respectueux des droits de l’enfant, ce n’est peut-être, en définitive, qu’une apparence…
Pour citer cet article : Géraldine Vial, « Le Conseil constitutionnel déclare l’accouchement sous X conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit », RDLF 2012, chron. n°17 (www.revuedlf.com)
Crédits photo : sanja gjenero, stock.xchng