L’abstention de la puissance publique et la garantie des droits fondamentaux [Résumé de thèse]
L’abstention de la puissance publique et la garantie des droits fondamentaux
Par Damien FALLON
Thèse soutenue le 16 novembre 2012 à l’Université de Toulouse 1 Capitole sous la direction du Professeur X. Bioy. Elle a été obtenue avec la mention très honorable et les félicitations du jury, composé des Professeurs L. Burgorgue-Larsen, P. Egéa, X. Magnon, D. Roman et A. Rouyère.
Cette thèse montre l’intérêt de la construction d’un cadre théorique propre à appréhender les différents comportements passifs de la puissance publique au regard de l’effectivité des droits fondamentaux. Elle a pour objet la construction d’un concept théorique d’abstention permettant d’apporter un nouvel éclairage pratique sur le droit positif en revisitant des thématiques classiques comme les droits sociaux, le principe de précaution, l’incompétence négative du législateur, ou encore les obligations positives.
À cet égard, elle permet de démontrer que l’abstention ne se confond pas avec l’inaction. L’abstention est au contraire un véritable mode d’action de la puissance publique. Si abstention et inaction ont toutes deux un résultat identique, à savoir une situation d’absence, elles se distinguent néanmoins par leur origine. En tant qu’action, l’abstention aura toujours pour origine un comportement volontaire. À l’inverse, l’inaction désigne l’absence de toute action. Elle sera alors caractérisée par un comportement passif involontaire de la puissance publique, soit qu’elle n’ait pas pensé à agir, soit qu’elle se soit retrouvée empêchée d’agir contre sa volonté.
Le choix de ce sujet est parti du constat qu’aussi bien les textes que la jurisprudence utilisaient de manière indifférente le terme abstention et les termes voisins comme carence, manquement, défaut ou encore lacune. L’absence de réflexion théorique sur la définition de l’abstention a ainsi conduit à des débats, toujours en suspens, au sein de la Cour européenne des droits de l’homme sur le choix du fondement du contrôle des refus de la puissance publique. Fallait-il les envisager sous l’angle des obligations positives (le requérant ne bénéficiant pas de la prestation demandée), ou sous l’angle des obligations négatives (l’État ayant effectivement pris une mesure de refus) ? Ce débat a ressurgi récemment dans le cadre du Comité européen des droits sociaux, à propos d’une législation belge restreignant le droit de grève : la question était en effet de savoir si la Belgique était responsable sur la base d’une absence de réglementation propre à garantir le droit de grève, ou sur la base de l’existence positive d’une réglementation insuffisamment protectrice. L’instauration de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité en 2008 a également relancé la question des moyens dont disposait le Conseil constitutionnel pour appréhender les comportements passifs du législateur. La QPC permet en effet aux justiciables de demander l’abrogation d’une loi qui ne contiendrait pas les garanties pourtant imposées par les droits et libertés constitutionnels.
C’est ainsi que la construction d’un cadre théorique propre à l’appréhension des différents comportements passifs de la puissance publique permet en pratique de clarifier leur appréhension juridictionnelle. À ce titre, l’objet de cette thèse n’est pas de prescrire un comportement particulier de la part des pouvoirs publics. L’appréhension de l’abstention comme une véritable action permet simplement de montrer qu’il est possible pour le juge d’appréhender l’abstention de la même manière qu’une action positive. L’abstention ne désigne ainsi ni une valeur, qui servirait de surdétermination conceptuelle des droits fondamentaux, ni une norme, dont l’application permettrait d’articuler les différents ordres juridiques. Elle désigne simplement un comportement volontairement passif de la puissance publique qui sera ensuite saisi par le droit. L’abstention sera ainsi soit autorisée, sont interdite, soit encore imposée par les normes juridiques.
Le recours aux droits fondamentaux est alors apparu comme particulièrement opératoire à l’étude de l’abstention. En effet, si l’abstention et les droits fondamentaux entretiennent historiquement un lien étroit (la fonction première des droits fondamentaux étant de prescrire des obligations d’abstention à la charge de la puissance publique), ils permettent en outre d’appréhender le comportement de l’ensemble des autorités nationales grâce à leur position au fondement de l’ordre juridique interne.
Finalement, les apports de cette thèse sont au moins de trois ordres.
Tout d’abord, grâce à la présence d’un élément volontaire, l’abstention donne prise à un véritable contrôle de proportionnalité des comportements passifs de la puissance publique. En effet, contrairement à une situation d’inaction face à laquelle le juge se retrouve devant la difficulté d’apprécier la proportionnalité d’une absence, la situation d’abstention permet d’asseoir ce contrôle sur élément véritablement positif. Dès lors, si une action négative est susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux de la même manière qu’une action positive, rien ne justifie juridiquement qu’un contrôle différencié soit mis en œuvre selon qu’il s’agisse d’une abstention ou d’une action positive de la puissance publique.
Ensuite, envisager l’abstention comme une action, permet d’imputer une faute à la puissance publique, pour non-respect des droits fondamentaux. Alors qu’il semble théoriquement difficile d’imputer une faute à un auteur en l’absence de toute action de sa part, une telle possibilité s’ouvre dès lors que l’abstention ne se confond pas avec l’inaction.
Enfin, le troisième apport de cette thèse est de pouvoir opposer l’abstention à l’inaction. À ce titre, envisager certains comportements passifs de la puissance publique sous l’angle d’une inaction, permet de justifier l’essor de mécanismes objectifs de responsabilité, indépendants du recours à la notion de faute.
Crédits photo : Artur i Karol S, stock.xchng