Le principe de confiance mutuelle en droit de l’Union européenne à l’épreuve d’une crise des valeurs – Du postulat à la méthode
La thèse de doctorat a été dirigée par les Professeurs Emmanuelle Bribosia à l’Université libre de Bruxelles et Sébastien Van Drooghenbroeck à l’Université Saint-Louis – Bruxelles. Elle a été soutenue le 6 mars 2020 devant un jury composé des Professeurs Antoine Bailleux (Université Saint-Louis – Bruxelles), Emmanuelle Bribosia (Université libre de Bruxelles), Bruno De Witte (Institut Universitaire Européen et Université de Maastricht), Dimitry Kochenov (Université de Groningen), Sébastien Van Drooghenbroeck (Université Saint-Louis – Bruxelles), Anne Weyembergh (Université libre de Bruxelles), et Madame l’avocate générale auprès de la Cour de justice Eleanor Sharpston.
Cécilia Rizcallah est Docteure en sciences juridiques, Fonds national de la recherche scientifique belge.
Cette recherche a été réalisée dans le cadre dans un mandat attribué par le Fonds national de la recherche scientifique belge (F.R.S.-FNRS).
Le principe de confiance mutuelle connaît un véritable avènement en droit de l’Union européenne. Initialement mobilisé à l’aube des années 70’ en droit du marché intérieur, il a par la suite été sollicité dans les domaines de la coopération européenne judiciaire civile et pénale, ainsi que dans le cadre du régime européen commun de l’asile. Désormais qualifiée de « principe d’importance fondamentale » 1 par la Cour de justice de l’Union européenne, la confiance mutuelle est ainsi devenue un leitmotiv de l’intégration européenne. En dépit de son succès, ce principe demeurait toutefois en manque criant de conceptualisation 2
Cette thèse de doctorat avait pour principal objectif de remédier à cette nébuleuse en offrant une définition transversale du principe de confiance mutuelle. Elle avait également pour objectif d’identifier le lien qui l’unit aux valeurs fondatrices de l’Union et de proposer des pistes d’amélioration de son fonctionnement.
La première partie de la thèse propose une reconstruction doctrinale du principe de confiance mutuelle en droit de l’Union. À l’entame de celle-ci, le premier titre « débroussaille » le terrain. Il procède à une analyse rigoureuse et exhaustive de tous les « lieux d’apparitions » de la confiance mutuelle, aussi bien dans les documents politique que dans la jurisprudence de la Cour de justice.
Sur la base de celle-ci, le deuxième titre propose une définition transversale de ce principe, et en identifie la portée. Il est démontré que le principe de confiance mutuelle se définit par la présomption de compatibilité des solutions juridiques nationales qu’il impose. Cette présomption est ambivalente, en ce qu’elle porte, dans certains cas, sur la conformité d’une solution juridique nationale par rapport au droit de l’Union et, dans d’autres, sur l’admissibilité de solutions juridiques nationales différentes. Dans ce cadre, les États membres sont tenus de considérer, sauf circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent les droits fondamentaux. La thèse démontre par ailleurs que si le principe de confiance mutuelle jouit bien d’une portée autonome, il ne bénéficie pas, du moins à l’heure actuelle, d’une portée indépendante. Pour être d’application, il doit en effet être mis en œuvre par du droit primaire ou dérivé.
À l’appui de travaux relatifs à la notion de confiance en sociologie 3, l’archétype de la confiance mutuelle en droit de l’Union est également esquissé. Cette dernière agit comme un « réducteur de la complexité » en fluidifiant la coopération entre les États membres au sein de l’espace européen. Qui dit confiance dit néanmoins risque : la mise en œuvre du principe de confiance mutuelle s’apparente en effet à un pari, qui peut se solder par une perte.
La deuxième partie de la thèse met ensuite en exergue le lien consubstantiel qui unit le principe de confiance mutuelle avec les valeurs fondatrices de l’Union européenne : ce principe repose, en effet, sur la prémisse fondamentale selon laquelle les États membres partagent les valeurs édictées à l’article 2 du T.U.E. Sur la base d’une fine analyse de ces valeurs et de leur mise en œuvre au sein des États membres, le premier titre démontre toutefois la faiblesse de cette prémisse. L’enchaînement de défis majeurs auxquels sont confrontés l’Union et les États membres en matière économique, de sécurité, ou encore de migration a, en effet, révélé des divisions profondes quant au sens de l’intégration européenne et des valeurs qui la fondent. Ces dissensions ont été jusqu’à entraîner l’existence de défaillances généralisées et persistantes qui, à l’estime de la majorité des observateurs, engendrent une détérioration systémique de ces valeurs dans certains États membres de l’Union.
Il est, par ailleurs, constaté au terme du second titre que le système de limitation en place du principe de confiance mutuelle ne permet pas de pallier tous les risques de violation des valeurs générés par sa mise en œuvre. C’est en effet seulement dans certaines circonstances qu’un risque de violation des valeurs fondatrices peut justifier d’écarter la mise en œuvre du principe de confiance mutuelle. Cette partie se clôt ainsi sur le constat selon lequel la communauté de valeurs constitue, à l’heure actuelle, un fondement incertain et une limite imparfaite du principe de confiance mutuelle.
La troisième partie de la thèse prend pour point de départ l’existence de ces risques pour les valeurs fondatrices de l’Union et s’interroge sur la nécessité de maintenir le principe de confiance mutuelle. Vu la fragilité du fondement du principe de confiance mutuelle et les faiblesses de son système de limitations, est-il justifié de maintenir son utilisation ?
Au terme d’un examen approfondi du rôle de ce principe dans l’ordre juridique de l’Union, il est démontré qu’il constitue un principe essentiel pour la construction européenne. Il permet en effet d’allier trois de ses impératifs primordiaux : l’unité, la diversité et l’égalité entre les États membres. Le principe de confiance mutuelle rend, en effet, possible la gouvernance dans l’espace sans frontières intérieures. Comme nous l’avons déjà constaté, ce gain en fluidité a néanmoins un prix : le risque qu’il génère en raison de l’absence de contrôle mutuel des solutions juridiques présumées comme étant compatibles. Ce risque, s’il se réalise, peut entraîner la contagion de solutions juridiques incompatibles avec les valeurs fondatrices au sein de l’espace européen sans frontières. Il est amplifié en raison de l’existence, dans l’Union, d’une « crise des valeurs ». La probabilité que des solutions juridiques nationales soient incompatibles avec ces valeurs est en effet accrue en raison de celle-ci.
À rebours d’un plaidoyer en faveur de l’abandon du principe de confiance mutuelle, cette recherche s’est alors achevée sur le terrain prescriptif, par une proposition de pistes d’optimisation de son fonctionnement, de manière à ce que les valeurs fondatrices de l’Union soient davantage protégées. Plus précisément, il est proposé aux acteurs de la confiance mutuelle à faire passer le principe éponyme du rang de postulat à celui de méthode. En d’autres termes, il est proposé de prendre distance de la confiance postulée au profit d’une application méthodique de la confiance. Une nouvelle méthode d’application du principe de confiance mutuelle pour guider les acteurs de la confiance est pour ce faire proposée. Cette méthode est ancrée dans la discipline de la « risk analysis », qui offre des clés pour caractériser, apprécier et gérer les risques dans le cadre de politiques publiques. La méthode proposée régit, notamment, des questions liées à la charge de la preuve.
Si cette proposition de méthode ne résout certainement pas l’ensemble des difficultés soulevées par le principe de confiance mutuelle, elle aura cependant eu le mérite d’amener les lecteurs à mieux identifier les risques qu’il implique et à éclairer certains moyens qui permettent de protéger davantage les valeurs fondatrices de l’Union.
La thèse – accompagnée d’un avant-propos rédigé par l’avocate générale Eleanor Sharpston et d’une préface des Profs. Emmanuelle Bribosia et Sébastien Van Drooghenbroeck – sera publiée à la rentrée 2020 dans la collection droit de l’Union européenne chez Larcier.
Notes:
- CJUE, avis 2/13 du 18 décembre 2014, ECLI:EU:C:2014:2454, point 191. ↩
- En ce sens, E. Bribosia et A. Weyembergh, « Confiance mutuelle et droits fondamentaux : “back to the future” », op. cit., p. 477 et R. Tinière, « Confiance mutuelle et droits fondamentaux dans l’Union européenne », in Mélanges en hommage au professeur Henri Oberdorff, Paris, LGDJ, 2015, p. 73. ↩
- Notamment sur la base de N. Luhmann, La confiance: un mécanisme de réduction de la complexité sociale, Collection Etudes sociologiques, Paris, Economica, 2006. ↩