Liberté de religion et droit de la famille [Résumé de thèse]
Liberté de religion et droit de la famille
Par Jean-Marie Hisquin
Thèse Université Jean Moulin Lyon 3, 24 septembre 2012
Jury : Monsieur Hugues Fulchiron, Professeur à l’Université Lyon 3, directeur de Thèse ; Monsieur François Chénedé, Professeur à l’Université de Rennes 1 ; Madame Vincente Fortier, Directeur de Recherches, au CNRS, Université de Montpellier 1 ; Monsieur Gérard Gonzalez, Professeur à l’Université Montpellier 1 ; Madame Mathilde Philip-Gay, Maître de conférences en droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3
La liberté religieuse fait partie des libertés fondamentales reconnues dans les sociétés démocratiques. Elle est, au XXIème siècle, l’une des libertés les plus invoquées devant la Cour européenne des droits de l’homme, par des organisations religieuses mais aussi par des individus. Les « nouvelles » religions et ceux qui les professent ont acquis ces dernières années des droits collectifs et individuels plus étendus et, par un phénomène d’interaction, une certaine légitimité juridique mais aussi sociale. En France, des principes fondamentaux, tels que ceux de la laïcité ou de neutralité de l’Etat, conduisent le législateur et le juge à consacrer et garantir le pluralisme religieux : toute croyance, toute conviction, toute religion a de la « valeur », elles ont toutes une valeur identique. Néanmoins, certains mouvements religieux ont dû livrer des combats devant les tribunaux pour obtenir des statuts juridiques particuliers, tel celui des associations cultuelles. Par ailleurs, il existe encore des inégalités dans l’accès aux statuts les plus privilégiés. Aussi, la lutte anti-secte, de laquelle a résulté une stigmatisation de certains mouvements religieux, n’est pas sans incidence sur le juge qui tranche un litige où l’une des parties appartient à un mouvement religieux « socialement controversé ».
Néanmoins, l’acceptation progressive et grandissante des nouvelles religions dans le paysage juridique administratif engendre ipso facto une acceptation dans le paysage juridique judiciaire. Mais identiquement, il a été nécessaire que les pratiquants des nouvelles religions défendent leurs droits individuels devant les plus hautes juridictions. Ainsi, les juridictions ont consacré des principes supérieurs relatifs aux droits de l’homme : chacun est libre de pratiquer son culte, que ce soit en public ou en privé et, notamment, dans la famille. Le juge judiciaire s’efforce de garantir le respect de la conscience religieuse de l’individu et sa libre pratique, lorsque lui est soumis un contentieux familial. Mais la libre pratique religieuse des membres de la famille connait certaines limites. Ces limites sont, en principe, purement objectives. Elles se rapportent à des comportements et ne découlent pas du type d’appartenance religieuse lui-même. Pourtant, la perception du comportement religieux et, plus généralement, du phénomène religieux par les autorités publiques, ne semblent pas toujours aussi égalitaires. Le traitement politique, social et judiciaire des religions minoritaires, qualifiées parfois arbitrairement de « secte », mais aussi de l’Islam, remet parfois en cause la garantie effective du pluralisme religieux. L’étude montre que, si l’appréciation in concreto des situations par le juge est un principe religieusement annoncé, le manque d’homogénéité de la jurisprudence, qui met en exergue les préjugés de certains juges, ajouté aux réticences des autorités juridictionnelles suprêmes françaises à contrôler plus avant les motivations des juges du fonds, entament la garantie du pluralisme religieux en France. Les condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme le montrent pertinemment. Cette atteinte au pluralisme religieux se vérifie notamment sur la question de l’appréciation des notions de faute dans le cadre du divorce ou sur celle de l’ « intérêt de l’enfant ». Ces appréciations sont difficiles.
L’étude permet de conclure qu’il existe parfois chez les juges une référence latente à un standard, étalon d’une bonne pratique religieuse des membres de la famille. L’excès dans la pratique religieuse, élément parfois retenu par le juge, n’est pas toujours justifié par des considérations pertinentes. Le caractère excessif voire dangereux est parfois évalué bien subjectivement. La référence à une normalité de pratique n’est pas sans remettre en cause l’idée même du pluralisme religieux. Quelle pratique doit servir de référence ? Est-ce au juge, émanation de l’Etat dans sa fonction de juger, de déterminer ce que doit être une pratique religieuse normale ? Surtout, faut-il juger la pratique religieuse d’un individu à l’aune d’une pratique religieuse moyenne ? En parallèle, l’analyse souveraine des juges du fond est souvent comme sacralisée ; or, dans des domaines aussi sensibles, il semble nécessaire de contrôler dans une certaine mesure l’objectivité et la neutralité des juges. Le juge peut, en effet, succomber aux a priori. D’autres difficultés naissent du manque d’ouverture de certains experts qui rendent des avis, qui ne lient certes pas les juges, mais qui, in fine, peuvent avoir un impact fort sur la décision. Les juges, garants du pluralisme religieux, s’efforcent de ne pas tenir compte des avis qui dénotent une réticence vis-à-vis de certaines religions, si aucun élément concret et objectif ne vient corroborer les propos parfois très généralistes et stigmatisants de certains experts, voire simplement d’intervenants au procès. L’étude montre aussi que l’absence de prémajorité religieuse pose parfois des difficultés se rapportant à la libre pratique religieuse de l’enfant, tout comme l’application stricte du principe de laïcité à l’école détaillé par la loi de 2004. Enfin, quelques éléments de droit comparé présentés permettent d’envisager, sur certaines questions, des évolutions qui vont dans le sens d’une garantie plus complète du pluralisme religieux.