Approche européenne du consentement à l’acte sexuel, mariage « arrangé » et traite des êtres humains
L’approche européenne du consentement à l’acte sexuel hors mariage ou en mariage et l’exigence d’une évaluation contextuelle de l’absence de consentement à l’acte sexuel, en considération de la vulnérabilité de la victime, conduisent à opérer un retour sur une affaire dans laquelle le risque d’agression sexuelle sur des mineures mises à disposition de leurs futurs maris aux fins d’un mariage « arrangé » n’avait pas été retenu et l’incrimination de traite des êtres humains écartée.
Céline Ruet Professeure des universités, droit privé et sciences criminelles, Université Sorbonne paris Nord, membre de l’IRDA, membre associé de l’IDEDH
L’exigence du consentement à l’acte sexuel ne cesse de développer ses implications dans la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme. La Cour tire dans des affaires récentes de nombreuses conséquences de l’approche du viol déjà mises en exergue dès les arrêts S.W. c. Royaume-Uni du 22 novembre 19951 et M. C. c. Bulgarie du 4 décembre 20032. L’arrêt L et autres c. France3 constitue une prolongation cohérente de la mise en exergue de l’absence de consentement comme élément essentiel du viol, et de la nécessité de l’apprécier de manière contextuelle compte tenu de l’ensemble des circonstances, notamment de la particulière vulnérabilité de la victime. L’arrêt H.W c. France4 condamne le devoir conjugal associé au mariage. La prescription même d’un devoir conjugal est jugée contraire à la protection de l’autonomie sexuelle.
À la lumière de cette évolution, il convient de faire retour sur une situation dans laquelle une pression culturelle, familiale et sociale sur le consentement à l’union sexuelle devait être questionnée : celle de mariages coutumiers de mineurs arrangés par des adultes, alors que pour autant le risque d’agression sexuelle n’a pas été retenu. Il en est résulté l’éviction, dans un arrêt de la Chambre criminelle du 11 mai 20235 rendu sur pourvoi du procureur général près la Cour d’appel de Nancy, de la qualification de traite des êtres humains s’agissant du transport, moyennant rémunération, de jeunes filles, dont certaines étaient mineures, depuis des pays d’Europe de l’Est vers des pays d’Europe de l’Ouest, munies de faux papiers d’identité ou documents administratifs, aux fins de les marier selon la tradition rom.
Selon les motifs de la Cour d’appel rapportés par la Haute juridiction, « le prévenu a uniquement reconnu avoir arrangé des mariages selon la tradition rom, mais a toujours contesté avoir mis les jeunes filles à la disposition de leurs futurs maris en poursuivant un autre but que de préparer leur mariage » et le « ministère public ne démontre pas que ces mariages traditionnels visaient à dissimuler un mode d’exploitation sexuelle de ces jeunes filles par la commission d’atteintes ou d’agressions sexuelles ». La Cour de cassation rappelle que l’infraction de traite des êtres humains « n’est constituée que si la victime est mise à disposition afin d’être contrainte à commettre tout crime ou délit, ou de permettre la commission envers elle de l’une des infractions prévues, limitativement, à l’article 225-4-1 du code pénal ». En l’occurrence, seule la qualification d’agression sexuelle était envisageable, celle d’atteinte sexuelle étant exclue « en raison des âges des victimes et de leurs fiancés », motif qui postule l’état de minorité des futurs époux des jeunes filles mineures 6 . Or, les juges d’appel ont relevé « qu’aucune contrainte, violence, menace ou surprise n’avait été exercée contre les jeunes filles, ce dont ils ont conclu, après avoir vérifié qu’aucune d’entre elles n’avait ensuite été soumise, contre son gré, à des faits de nature sexuelle, que le risque que des agressions sexuelles aient pu être facilitées à raison des faits reprochés au prévenu n’était pas caractérisé ».
La motivation paraît justifiée en ce qu’elle suppose la caractérisation d’un risque d’agression sexuelle. Si la qualification de traite des êtres humains est indifférente au consentement de la victime, en revanche, pour qu’elle puisse être établie il est nécessaire qu’une des finalités visées par la loi ait été poursuivie par l’auteur des faits, ce qui supposait en l’espèce non la réalisation même d’une agression sexuelle, l’infraction de traite des êtres humains étant une infraction formelle, mais le risque que des agressions sexuelles puissent être commises7. L’appréciation selon laquelle celui-ci n’était pas caractérisé est-elle cependant en harmonie avec l’importance accordée par la jurisprudence européenne à l’évaluation contextuelle de l’absence de consentement à l’acte sexuel ? Peut-elle être considéré comme conforme aux obligations positives dégagées par la Cour européenne en la matière ?
La question du consentement dans ce type de mariage présenté comme « arrangé », qu’il s’agisse du mariage lui-même ou de l’union sexuelle qui lui est associée, est d’une grande actualité, tant au regard de l’existence en Europe d’une réalité sociale des mariages arrangés voire forcés, que de l’adhésion de L’Union européenne8 à la Convention d’Istanbul stipulant l’obligation d’incriminer le viol et le mariage forcé9, suivie de la prise en considération du mariage forcé par la directive européenne sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique10 et de la visée expresse de l’exploitation du mariage forcé par la nouvelle directive européenne sur la traite des êtres humains11.
L’approche du consentement à l’acte sexuel en cas de mariage « arrangé » et la possibilité de retenir la qualification de traite des êtres humains ne peut être aujourd’hui correctement appréhendée sans être replacée dans une perspective plus vaste et plus générale qui est celle de l’évolution de l’approche du consentement à l’union sexuelle hors mariage et en mariage. L’examen de la conventionnalité de l’approche du risque d’agression sexuelle en cas de mariage « arrangé » suppose de prendre toute la mesure des implications de l’approche du viol comme du viol conjugal par la Cour européenne des droits de l’homme. Aussi étudierons -nous d’abord le renforcement actuel de l’exigence du consentement à l’acte sexuel par la Cour européenne des droits de l’homme (I) avant d’analyser l’approche du consentement à l’union sexuelle en mariage et plus particulièrement en cas de mariage arrangé dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains (II)
I- Le renforcement de l’exigence du consentement à l’acte sexuel par la Cour européenne des droits de l’homme
L’approche exigeante du consentement dans le cadre de l’acte sexuel se traduit par une conception claire, dégagée par la Cour européenne des droits de l’homme, de la nature du viol, dont l’élément essentiel réside dans l’absence de consentement, avec pour conséquence une série d’implications pour les États relativement à leurs obligations de protection contre le viol (A). Cette approche s’est logiquement prolongée par le constat des insuffisances du droit français en matière de protection contre le viol dans l’arrêt L. et autres c. France12 (B.)
A- La mise en exergue de l’absence du consentement comme élément essentiel du viol
Dès l’arrêt majeur M.C. c. Bulgarie du 4 décembre 200313, portant sur le rejet de l’exclusion de la qualification de viol faute d’usage de la force, l’essentiel est posé. La conception du viol est dégagée compte tenu de l’évolution du droit et spécialement du droit international des droits fondamentaux, d’une manière qui consiste à mettre en exergue l’essence de l’incrimination à partir de son appréhension dans les divers ordres juridiques internes et en droit pénal international, témoignant ainsi de la relation entre le caractère universel des droits de l’homme et l’historicité de leur développement. Il convient d’opérer un retour sur certains des motifs principaux de cet arrêt fondateur.
La Cour y constate que la définition du viol mentionne le plus souvent dans le droit des pays européens l’emploi de la violence ou de la menace ou bien encore de la ruse ou de la surprise, tout en observant que l’interprétation large qui en est faite et l’appréciation des éléments de preuve dans leur contexte rendent possible en pratique, dans un certain nombre de pays, la répression des actes non consensuels quelles qu’en soient les circonstances14. Cette observation rend compte indéniablement d’une tendance interprétative du droit positif15, et notamment du droit français, lequel définit l’agression sexuelle comme l’atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise16, ̶ à l’exception, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2021-478 du 21 avril 202117, de l’atteinte commise par un majeur sur un mineur, dans les cas prévus par la loi. Passant en revue une série de droits européens, l’arrêt relève particulièrement l’interprétation large retenue en droit français des termes « violence », « contrainte », « menace », ou « surprise », notamment par l’admission du choc paralysant18.
On peut cependant pointer l’aspect par trop généralisant de l’observation émise par le juge européen. L’existence d’une des circonstances énumérées par la loi, même largement prises en compte en jurisprudence, par lesquelles l’absence du consentement est caractérisée, constitue en effet un élément de l’infraction d’agression sexuelle en droit interne qui ne peut être évincé dans la motivation du juge19, la seule absence de consentement en soi, dépouillée de l’usage de tout moyen visé par la loi, n’étant pas susceptible d’être prise en considération20. Lorsqu’il n’a pas été caractérisé en quoi l’acte sexuel a été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle de manière constante que l’agression sexuelle n’est pas établie21.
Que la seule absence de consentement ne puisse suffire dans de nombreux droits internes à caractériser le viol ou une autre agression sexuelle indépendamment d’un des moyens énumérés par la loi, n’écarte cependant pas la pertinence du motif de l’arrêt M. C. c. Bulgarie selon lequel l’absence du consentement est l’élément constitutif essentiel du viol, même au sein des systèmes juridiques définissant l’incrimination de viol par le recours à un procédé déterminé. En effet, la nécessaire caractérisation d’un procédé y est considérée comme découlant d’une exigence de preuve et de la présomption d’innocence. L’usage d’un des moyens visés par la loi permet d’établir sans laisser aucune place au doute que l’agresseur est passé outre l’absence de consentement de la victime. Ces éléments constitutifs de l’infraction sont ainsi analysés comme relevant à la fois d’éléments de fond et de preuve22, et qualifiés d’adminicules.
Le constat opéré par la Cour d’une évolution du droit dans l’interprétation de l’incrimination de viol est couronné par la référence à la définition du viol en droit international dégagée par le Tribunal pénal international pour l’ex -Yougoslavie, retenant clairement « qu’en droit pénal international toute pénétration sexuelle sans le consentement de la victime constitue un viol et que le consentement doit être donné volontairement, dans l’exercice du libre arbitre de la personne appréciée au vu des circonstances »23. Dans cette approche, telle ou telle circonstance n’est pas en soi inhérente à la définition du viol. Le juge européen déclare qu’il tient cette définition, appliquée aux viols dans un conflit armé, pour « l’expression d’une tendance universelle considérant l’absence de consentement comme l’élément constitutif essentiel du viol et des violences sexuelles »24.
D’un point de vue axiologique, cette évolution du droit, confortée par celle de la connaissance psychologique des victimes de violences sexuelles, est assortie d’une appréciation positive à l’aune des valeurs de la Convention : elle traduit la progression des sociétés « vers une égalité effective et le respect de l’autonomie sexuelle de tout individu »25. Car c’est bien l’autonomie, notion phare de la Convention, qui est en jeu dans le crime de viol ainsi que l’égalité des individus, hommes et femmes, dans l’approche de cette autonomie en matière sexuelle. L’affirmation de ces principes sera confortée dans la jurisprudence ultérieure par la référence opérée à l’ensemble des textes internationaux pertinents, considérablement étoffés depuis l’arrêt M. C. c. Bulgarie, en particulier à la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), qui pose l’obligation d’incriminer les actes sexuels non consentis, en précisant que « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes » ( art. 36 §2) .
De cette conception du viol la Cour européenne a tiré les implications dans l’arrêt M. C. c. Bulgarie et les arrêts subséquents. L’atteinte à l’intégrité physique et à l’autonomie se joint à celle de la dignité pour mobiliser tant l’article 3 de la Convention, prohibant les traitements inhumains et dégradants, que l’article 8, garantissant le droit au respect de la vie privée. Sur ce double fondement, la Cour dégage à la charge des États, afin de protéger effectivement l’autonomie sexuelle, les obligations positives de criminaliser et de réprimer effectivement tout acte sexuel non consensuel. Outre l’obligation matérielle de pénaliser tout acte sexuel non consenti, la Cour met en évidence l’obligation procédurale de mener une enquête officielle effective propre à permettre l’établissement des faits ainsi que l’identification et le cas échéant la punition des personnes responsables. Non seulement une preuve directe du viol telle qu’une preuve de résistance physique ne doit pas être exigée, mais encore les autorités, confrontées à des versions divergentes et à l’absence de preuve directe, ont l’obligation d’user de toutes les possibilités pour établir les circonstances des actes et de statuer après s’être livrées à une appréciation de l’ensemble des circonstances, la vulnérabilité de la victime devant alors dûment être prise en considération. La Cour souligne que la question première de l’enquête doit être celle de l’absence du consentement.
Dans l’arrêt Z c. République Tchèque du 20 juin 2024 la Cour analyse de manière particulièrement fine et détaillée le manque d’évaluation contextuelle et l’absence de prise en compte par les juridictions internes de la vulnérabilité de la requérante, jeune étudiante en théologie ayant subi dans le passé des attouchements de la part d’un prêtre et confrontée de nouveau à des actes sexuels d’un autre prêtre, son confesseur et directeur de mémoire. Selon la Cour l’approche des autorités, qui n’ont pas donné suite à sa plainte pour viol motif pris de l’expression d’une opposition seulement postérieure aux actes et de l’absence d’un des moyens visés par la loi pour contraindre autrui à un acte sexuel violence, ̶ menace de violence imminente ou abus de l’incapacité d’autrui de se défendre ̶ « traduit une prise en compte insuffisante des situations de consentement invalide pour cause d’abus de vulnérabilité et […] de la réaction psychologique des victimes d’agression sexuelle »26.
L’arrêt est particulièrement intéressant en ce qu’il met en exergue que l’absence d’expression d’une opposition est compatible avec la qualification de viol, toutes les circonstances devant être prises en considération, et par le recours qu’il opère à la notion de consentement invalide pour cause d’abus de vulnérabilité. Il en ressort que celui-ci ne peut être limité aux cas d’abus de l’incapacité de se défendre retenus par la jurisprudence interne ̶ abus d’une victime inconsciente, ou d’une victime dont l’état physique, ou la maladie mentale, ou encore le manque de maturité ne lui permet pas de se défendre. Les autorités ont l’obligation d’analyser l’effet de toutes les circonstances pour prendre en compte la vulnérabilité particulière d’une victime. En l’occurrence elles auraient dû d’une part prendre en considération l’état psychologique de la requérante pour déterminer si elle souffrait d’une réaction post-traumatique à des abus sexuels antérieurs et d’autre part examiner si et dans quelle mesure la requérante se trouvait dans une situation de vulnérabilité particulière et de dépendance à l’égard de son directeur de mémoire qui était pour elle un guide spirituel27.
B- Les insuffisances du droit français dans la protection contre le viol
Les procédés visés par le droit français au titre de l’incrimination de viol permettent-ils, compte tenu de l’interprétation qui en est délivrée, de prendre en compte de manière générale, tous les cas d’abus de vulnérabilité dans lesquels un consentement ne saurait être valablement donné, conformément aux obligations positives fondées sur les articles 3 et 8 de la Convention ? Des affaires telles que celle de « l’affaire Julie »28, portant sur la qualification des relations sexuelles entre des pompiers et une adolescente de 13 puis 14 ans dans un état de grande vulnérabilité psychique, ou les interrogations sur la qualité du consentement d’une mineure de 11 ans ayant eu un rapport sexuel avec un homme de 28 ans29, ont permis d’en douter, en mettant en lumière les limites, sujettes à appréciation variable, de l’interprétation jurisprudentielle de la contrainte et de la surprise, y compris pour des mineurs de moins de quinze ans, en dépit des dispositions de l’article 222-22-1 du Code pénal visant à préciser la caractérisation de la contrainte morale ou de la surprise exercées sur des mineurs en donnant une définition particulière de la contrainte et de la surprise pour les mineurs de 15 ans 30.
Si la réforme législative du 21 avril 202131 a, postérieurement aux affaires citées, exclu, dans les cas déterminés par la loi, tout débat sur le consentement ou l’absence du consentement du mineur de 15 ans en cas de relations sexuelles avec un majeur lorsque la différence d’âge est d’au moins 5 ans, elle n’a pas pour autant traité la question de la place à accorder à l’absence du consentement dans la définition générale du viol ni celle de la qualité du consentement à prendre en considération. Elle laisse ainsi en dehors de son empire les relations sexuelles entre mineurs et les relations entre un majeur et un mineur de 15 ans lorsque leur différence d’âge est inférieure à 5 ans, sauf si « les faits sont commis en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage »32 ou en cas de viol incestueux33.
De nombreux arrêts témoignent de l’interprétation large qui est susceptible d’être délivrée des adminicules en jurisprudence34. Mais la preuve d’un abus suppose nécessairement la démonstration de l’un d’eux et en son absence, la preuve d’un défaut de consentement susceptible d’être induite d’un ensemble de circonstances ne peut être rapporté. Or, la caractérisation des procédés prévus par la loi, et en particulier de la contrainte morale, est susceptible de donner lieu à des appréciations variables. À cet égard, un arrêt de la Chambre criminelle du 21 février 2007 souvent cité en doctrine pour la perfection de son motif illustrant la nécessité de démontrer un élément objectif en la présence d’un adminicule, sans se contenter du seul ressenti d’une victime, nous semble en réalité significatif d’un défaut de prise en compte d’un ensemble de circonstances qui constituent des éléments objectifs, auxquels correspondent des sentiments de la victime, sans relever de son seul « ressenti » subjectif. Cet arrêt met à juste titre en exergue que le seul fait de « ressentir des demandes d’ordre sexuel comme des ordres » ne peut caractériser la contrainte, de même que la qualité de personne ayant autorité sur la victime ne peut « résulter des seuls sentiments de soumission éprouvée par cette dernière »35. Cependant, la chambre de l’instruction n’avait-elle pas constaté en l’espèce la connaissance de la détresse morale d’un mineur de moins de 15 ans livré à lui-même ̶ mère alcoolique, père absent ̶ qui avait « besoin d’un père », selon les propres déclarations d’un mis en examen, devenu un référent pour le mineur ? Peut-on alors analyser le « ressenti » du mineur comme étant sans rapport avec une situation objective ? L’arrêt ne témoigne-t-il pas de l’inadaptation des procédés visés par la loi à englober tous les cas dans lesquels un consentement ne saurait être valablement donné ou du moins du caractère variable de leur interprétation ? N’y avait -il pas, si la contrainte proprement dite ne pouvait être caractérisée, abus d’une situation de grande solitude et détresse affective d’un mineur très vulnérable, génératrice de sentiments de soumission envers des hommes devenus des référents ?
L’affaire Julie, ainsi que deux autres affaires concernant des mineures âgées respectivement de 14 et 16 ans, ont donné l’occasion à la Cour européenne en l’arrêt L et autres c. France 36 d’examiner la conformité de la définition du viol et son application à des mineures – avant la réforme du 21 avril 2021 créant une incrimination autonome de viol d’un majeur sur mineur de 15 ans lorsque la différence d’âge entre majeur et mineur est d’au moins 5 ans. Étaient applicables aux cas d’espèces l’incrimination de viol par recours à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ainsi que les précisions relatives à la contrainte morale et la surprise concernant les mineurs énoncées à l’article 222-22-1 du Code pénal. La Cour européenne a retenu le manquement de la France à ses obligations positives d’appliquer effectivement un système pénal apte à réprimer les actes sexuels non consentis, tant en raison du cadre juridique en vigueur à la date des faits litigieux qu’en raison de l’approche retenue par les autorités pour son application. On observera que si un cas similaire à celui de la première requérante se produisait après l’entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2021, il relèverait de l’incrimination autonome de viol. Il n’en serait pas de même en revanche s’agissant du cas de la troisième requérante, âgée de 16 ans au jour des faits, auquel la règle juridique applicable serait aujourd’hui la même que lors des faits de l’espèce37. Le cadre juridique actuel est donc également affecté par la condamnation de la France.
L’analyse menée par la Cour du droit interne pertinent fait valoir que la jurisprudence de la Cour de cassation a érigé la notion de consentement en critère de l’incrimination, et met en évidence l’interprétation concrète de la notion de contrainte, en fonction des capacités de résistance de la victime, et de celle de surprise, laquelle englobe les cas où le consentement n’est pas donné en toute lucidité ou en connaissance de cause ou dans un état de sidération. Ce constat est cependant essentiellement tempéré par une triple critique opérée par le premier rapport d’évaluation sur la France du groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), lequel pointe que le droit français axe l’incrimination de viol sur les éléments probatoires permettant de constater l’absence du consentement « au détriment de la centralité de l’absence du consentement », que l’interprétation fluctuante des procédés légaux génère une insécurité juridique , et que ceux-ci ne sont pas propres à rendre compte de la situation de toutes les victimes non consentantes. Cette importante critique est particulièrement mise en exergue par la Cour en ce qu’elle est rapportée non seulement dans le cadre de l’exposé du droit et de la pratiques internationaux mais également dans le cadre de la motivation en droit de l’arrêt38.
La Cour souligne à cet égard que les obligations positives fondées sur les articles 3 et 8 de la Convention doivent être interprétés à la lumière des instruments internationaux pertinents en particulier la Convention d’Istanbul, qui fournit un cadre général de protection contre les violences faites aux femmes. Aussi la référence au droit international et européen des droits de l’homme, notamment aux textes protecteurs des enfants, est-elle richement développée, à la hauteur de l’accroissement des normes en la matière. La Cour renvoie à la recommandation faite à la France par le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ( CEDEF) de modifier le Code pénal de telle sorte que la « définition du viol soit fondée sur l’absence de consentement, couvre tout acte sexuel non consenti et tienne compte de toutes les circonstances coercitives, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains »39, à la Convention internationale des droits de l’enfant exigeant de tenir l’intérêt supérieur de l’enfant comme une considération primordiale et de le protéger contre toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle, et à la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels40. La référence incontournable à la Convention d’Istanbul, complétée par le quatrième rapport général sur les activités du GREVIO et le rapport d’évaluation sur la France recommandant de fonder la définition des violences sexuelles sur l’absence de libre consentement, est prolongée par la mention de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention d’Istanbul. La Cour relève au titre de l’Union européenne la proposition par la Commission d’une définition commune du viol41 axée sur l’exigence d’un consentement positif à l’acte sexuel, avant de rapporter que celle-ci n’a pas été retenue par la directive UE 2024/1385 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
Ce prélude est préalable au rappel systématique des principes déjà consacrés par la Cour avec la précision que ceux-ci s’appliquent a fortiori aux enfants. La Cour souligne qu’elle étend la portée des obligations positives fondées sur les articles 3 et 8 en exigeant de faire prévaloir l’intérêt des enfants afin de les protéger des abus sexuels en tenant compte de leur vulnérabilité42. Dans le cadre de l’application des principes, la présentation globalement approbative du droit français relatif au viol opérée par l’arrêt M. C. c. Bulgarie dans l’exposé du droit comparé43 trouve ses limites dans l’arrêt L. et autres c. France, en présence de cas concrets mettant en lumière les insuffisances à la fois du cadre légal faute de référence explicite à l’absence de consentement dans la définition du viol, et de l’application de la loi en certaines circonstances susceptibles de donner lieu à un abus de particulière vulnérabilité, sans que pour autant les autorités internes aient procédé à une évaluation contextuelle de la situation à même de les prendre en compte. Au-delà de la condamnation visant le cadre juridique en vigueur lors des faits et son application aux cas d’espèces, la motivation de l’arrêt va dans le sens d’une modification de la définition légale du viol en droit interne, axant l’incrimination de manière expresse sur l’absence de consentement. À cet égard, la Cour ne manque pas de relever le consensus grandissant entre les États pour intégrer expressément dans la définition du viol la notion de consentement libre et éclairé44, et de souligner que les engagements internationaux de la France appellent une telle évolution.
L’évaluation préconisée par la Cour doit être menée « sous l’angle de la violence fondée sur le genre », en prenant dûment en considération la particulière vulnérabilité des victimes eu égard à leur minorité et aux autres facteurs de vulnérabilité – facteurs psychologiques, état de santé, déséquilibre des relations, consommation d’alcool etc45. Pour ce qui concerne la première requérante, la Cour met en évidence sa situation d’extrême vulnérabilité due à son jeune âge, à sa fragilité psychologique, ses crises de tétanie, son hospitalisation en psychiatrie due à des tentatives de suicide, son obsession pour les pompiers et le déséquilibre des relations entre la requérante et les pompiers avec lesquels elle avait eu des relations sexuelles. S’agissant de la seconde requérante, la Cour note la particulière vulnérabilité d’une jeune fille fortement alcoolisée ayant connu sa première relation sexuelle l’après-midi même avec un tiers et faisant face aux sollicitations pressantes de deux personnes majeures. Quant à la troisième requérante, les juges se sont fondés sur son comportement passif sans prendre dûment en compte que la consommation d’alcool et d’autres toxiques, conjuguée à sa minorité et sa virginité la plaçait dans une situation de particulière vulnérabilité.
La Cour met pour chacune des requérantes en exergue que la réalité du consentement, ainsi que son caractère éclairé, doivent être évalués en tenant compte de l’effet produit par les circonstances environnantes46. Cette exigence est assortie du rappel, énoncé dans l’arrêt H. W. c. France47 condamnant la France en raison de la réaffirmation du devoir conjugal, que « le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances »48. Ceci nous conduit à examiner l’approche de la réalité d’un consentement à l’acte sexuel dans un mariage, et plus particulièrement dans un mariage arrangé au regard de l’incrimination de traite des êtres humains.
II L’approche du consentement sexuel en mariage et en cas de mariage dit « arrangé » dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains
Si le mariage consensuel n’implique pas consentement aux relations sexuelles et s’il existe une approche commune de l’acte sexuel indépendamment de l’existence d’un mariage, cette conception ne doit pas conduire à éluder la différenciation des situations selon l’existence ou l’absence d’un consentement au mariage (A). La différence de situation entre mariage consensuel, mariage forcé, et mariage présenté comme « arrangé », distinct dans son concept du mariage forcé mais pour lequel se pose la question de la réalité et de la liberté du consentement, implique d’analyser la situation née de la poursuite d’un mariage dit « arrangé » par l’organisateur d’un transport au regard de la qualification de traite des êtres humains, tant de lege lata que de lege ferenda, compte tenu des récentes directives européennes (B).
A- L’approche du consentement sexuel en mariage : socle commun et différenciation selon le consentement au mariage
Dans l’arrêt H. W. c. France, la Cour formule par le motif précité une définition positive de la nature du consentement à l’acte sexuel, valant aussi bien en mariage qu’hors mariage, et qui est reprise dans l’arrêt postérieur L et autres c. France. Cette définition énonce ce que doit être un consentement à l’acte sexuel afin d’être tenu pour valable au regard des droits et libertés fondamentales, qui garantissent l’autonomie personnelle, la liberté sexuelle et le droit de disposer de son corps. La Cour prend acte de la distinction possible entre consentement et expression d’une volonté libre en prescrivant que le consentement « doit traduire une volonté libre ». Elle précise l’objet du consentement, lequel est toujours circonscrit à une relation sexuelle déterminée, à un moment déterminé. Elle complète la formulation des exigences relatives à l’existence et à la qualité du consentement par l’énoncé de la méthode contextuelle qui doit guider la recherche de la liberté de la volonté : il doit être tenu compte des circonstances du consentement.
Si révolutionnaire soit-il, l’arrêt H. W. c. France s’inscrit dans la lignée de l’arrêt S. W. c. Royaume -Uni, selon lequel « l’idée qu’un mari ne puisse pas être poursuivi pour le viol de sa femme est inacceptable et qu’elle est contraire non seulement à une notion civilisée du mariage mais encore et surtout aux objectifs fondamentaux de la Convention dont l’essence même est le respect, dignité et de la liberté humaine »49. L’arrêt H. W. c. France fait référence à cette motivation pour énoncer « qu’admettre, comme le suggère le gouvernement, que le consentement au mariage emporte un consentement aux relations sexuelles futures serait de nature à ôter au viol conjugal son caractère répréhensible »50. Le consentement à des relations sexuelles doit être toujours hic et nunc, il ne peut être acquis d’avance, et le caractère consensuel du mariage ne saurait modifier l’exigence de la réalité et de la qualité du consentement à l’acte sexuel. Pour la Cour, que l’incrimination de viol soit applicable aux époux ne permet pas de priver d’effet la pression que l’obligation civile d’entretenir des relations sexuelles avec son conjoint fait peser sur le consentement. Le devoir conjugal consacré en jurisprudence et dont la violation emporte des conséquences juridiques, est dès lors appréhendé comme étant antinomique de la liberté sexuelle ainsi que de l’obligation positive de prévention à la charge des États en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles. Une telle appréciation vient au rebours d’une analyse classique selon laquelle d’une manière générale une obligation librement contractée à l’origine n’est pas contraire à la liberté. L’arrêt fait ressortir que ce type de considération générale ne peut valoir pour les relations sexuelles, incompatibles avec l’existence d’une obligation. Il n’en résulte pas pour autant que la qualification de viol puisse s’appliquer par la seule existence de la pression interne sur le consentement engendrée par l’obligation juridique, à défaut d’autres circonstances permettant de caractériser l’exploitation d’une telle situation. L’absence de consentement à l’acte sexuel s’apprécie compte tenu de l’ensemble des circonstances.
Si le consentement au mariage légalement contracté par la libre volonté des époux n’implique pas le consentement aux relations sexuelles, la question de l’existence du consentement à l’acte sexuel se pose de manière accrue dans le contexte de mariages pour lequel la réalité d’une volonté libre mérite d’être interrogée, en l’occurrence des mariages extra-légaux coutumiers présentés comme étant des mariages arrangés et pour certains des mariages de mineurs. Il est nécessaire ici de se reporter aux définitions qui sont données en droit international et européen du mariage forcé, du mariage précoce et du mariage arrangé avant d’analyser de manière plus approfondie le contexte dans lequel sont appréhendés dans l’arrêt de la chambre criminelle du 11 mai 2003 l’agression sexuelle et le risque d’agression sexuelle.
Selon la recommandation générale n° 31 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) et l’observation générale conjointe n° 18 du Comité des droits de l’enfant (CDE) sur les pratiques préjudiciables révisée de 2019 « on entend par mariage forcé tout mariage dans lequel un des conjoints au moins n’a pas personnellement donné son consentement libre et éclairé à l’union » 51. La résolution 1468 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur les mariages forcés et les mariages d’enfants définit le mariage forcé comme étant « l’union de deux personnes dont l’une au moins n’a pas donné son libre et plein consentement au mariage »52. Ces définitions s’inscrivent dans le prolongement de l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948 et de l’article 1 de la Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages de 196253, dont il résulte que le mariage ne peut être contracté légalement sans le libre et plein consentement des parties. La définition du mariage forcé se précise lorsque la Convention d’Istanbul stipule une obligation d’incrimination du mariage forcé en son article 37 § 1. Le type de conduite érigé en infraction pénale est « le fait lorsqu’il est commis intentionnellement de forcer un adulte ou un enfant à contracter mariage ». Selon le rapport explicatif de la Convention, « le terme ‟forcer” désigne le recours à la domination physique et psychologique en employant des moyens de contrainte ou de coercition »54. La contrainte morale ou physique est ainsi inhérente à l’incrimination visée par la Convention d’Istanbul.
Le mariage d’enfants, aussi qualifié de mariage précoce, dans lequel au moins un des conjoints est âgé de moins de 18 ans, est, selon la recommandation n°31 du CEDEF et l’observation conjointe n°18 du CDE précitées, considéré comme une forme de mariage forcé, au moins un des conjoints n’ayant pas librement exprimé son consentement plein et éclairé55. Une telle assimilation a été questionnée et nuancée en fonction de l’âge du mineur 56. À cet égard il convient de rappeler que le droit au mariage est corrélé par l’article 16 DUDH et l’article 12 CEDH à l’âge nubile, et que la Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages stipule seulement en son article 2 que « les États parties à la présente Convention prendront les mesures législatives nécessaires pour spécifier un âge minimum pour le mariage », une dispense d’âge étant susceptible d’être accordée « par l’autorité compétente pour des motifs graves et dans l’intérêt des futurs époux ». Cependant le droit international et européen des droits de l’homme se prononce clairement aujourd’hui en faveur d’un âge minimum du mariage de 18 ans sans différenciation selon le sexe, ainsi qu’il résulte de la recommandation n°31 du CEDEF /observation conjointe n°18 du CDE révisée de 2019 sur les pratiques préjudiciables 57, comme de la résolution 1468 et de la recommandation 1723 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur les mariages forcés et les mariages d’enfants58. On observera à cet égard que le CEDEF et le CDE ne font plus mention dans la recommandation / observation conjointe révisée de 2019 sur les pratiques préjudiciables de la possibilité d’une exception à l’âge minimum de 18 ans, énoncée dans la version initiale de 2014. Cette exception, formulée pour « respecter les capacités évolutives de l’enfant et son autonomie dans la prise de décisions affectant sa vie » , était relative à l’autorisation accordée au mariage d’un « enfant mature de moins de 18 ans et doté de toutes ses capacités », « à condition que l’enfant ait au moins 16 ans et que la décision soit prise par un juge pour des motifs légitimes exceptionnels définis par la loi et sur la base de preuves de la maturité de l’intéressé et non par soumission aux cultures et traditions »59.
Il convient de souligner que ladite exception excluait qu’elle pût être fondée sur une tradition culturelle. En effet la protection de l’autonomie individuelle ne saurait dépendre d’ une coutume ou une tradition. Parmi les nombreux textes susceptibles d’être cités à cet égard, on peut se reporter aux lignes directrices du Comité des ministres aux États membres sur la protection et la promotion des droits de l’homme dans les sociétés culturellement diverses, selon lesquelles doit être combattue « toute forme de violence physique, sexuelle, psychologique, économique », visant en particulier des femmes, inclusion faite du mariage forcé et du mariage précoce, y compris lorsque « la violence est commise sous le prétexte d’une prescription ou d’une pratique culturelle ou religieuse »60.
La tension entre les droits individuels et la dimension collective des droits fondamentaux semble en apparence cependant portée ici à son acmé. Dans sa jurisprudence interprétative de l’article 8 de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît que les États ont l’obligation positive de porter une attention particulière aux besoins et au mode de vie propre des Roms en tant que minorité vulnérable61. Mais cette jurisprudence, qui impose aux États de prendre en compte l’appartenance de personnes à un groupe vulnérable pour déterminer la proportionnalité des ingérences à un droit garanti tel que le droit au respect du domicile, ou mettre en œuvre l’interdiction de la discrimination, ne doit pas être détachée de son contexte. Elle n’est en rien relative à un conflit entre droit individuel et reconnaissance d’une identité culturelle et ne saurait être invoquée pour restreindre un droit individuel tel que le droit au mariage. J. Timmerman, dont l’analyse d’un dossier particulier de mariage d’une mineure Rom est relatée dans une étude demandée par la Commission Libertés Civiles, Sécurité et Justice du Parlement européen, présente en ces termes l’existence d’un conflit entre autonomie individuelle et autonomie culturelle de la communauté rom en matière de mariage : « s’il est incontestable que les jeunes Roms se voient parfois refuser le droit de choisir leur époux et le moment de leur mariage, la communauté rom elle-même soutient ouvertement le principe des mariages précoces arrangés en tant que stratégie protectionniste et moyen d’affirmer la pérennité et l’autonomie culturelles, économiques et sociétales de cette communauté ».62 Le « dilemme » pointé est cependant clairement tranché lorsque la liberté de l’individu est en cause. La reconnaissance d’une identité culturelle ne peut aller à l’encontre du droit de choisir librement son conjoint.
La question paraît rebondir dans la mesure où il convient de distinguer mariage forcé et mariage arrangé, le GREVIO soulignant que les mariages arrangés ne rentrent pas dans le champ d’application de l’article 37 de la Convention d’Istanbul « en raison de l’existence d’une acceptation ‟implicite” »63. La distinction est parfois présentée comme étant d’une relative clarté sur un plan conceptuel et délicate en pratique64. Le mariage arrangé ne comporte pas de dimension de contrainte morale ou physique et préserve la possibilité de refuser le conjoint à la différence du mariage forcé. Mais la difficulté de distinguer entre mariage arrangé et mariage forcé, en raison des degrés de pression variables sur la volonté en fonction des circonstances et des capacités de résistance de la personne65 n’est pas seulement une question de fait et de cas d’espèce. Elle réside également dans le degré d’exigence en matière de consentement et la conception retenue de la contrainte morale, – dans quelle mesure inclut-t-elle la pression de la famille et de la communauté et prend-elle en considération la crainte susceptible d’être éprouvée ?
L’arrêt de la chambre criminelle du 11 mai 2023 ne nous renseigne pas de manière précise sur la pression sociale et familiale exercée sur la volonté des époux, non plus que sur leurs âges respectifs. Mais en toute occurrence le mariage dit « arrangé » se double en l’espèce pour certaines des jeunes filles, mineures, d’un mariage précoce, ce qui permet au minimum de poser qu’il « confine au mariage forcé », selon une expression utilisée par le GREVIO66. De surcroît il est nécessaire de faire référence à la dimension sexospécifique d’un tel mariage, bien que des mineurs des deux sexes soient parties à ces unions. Non seulement parce que d’une manière générale les conséquences d’un mariage précoce arrangé sont distinctes pour les hommes et les femmes par suite d’une structure patriarcale de la communauté en cause, mais également parce que la considération du genre et de l’inégalité dans laquelle sont les jeunes filles ressort clairement in concreto du contexte : elles sont mises à disposition de leurs futurs maris dans le but d’arranger leur mariage. Il convient ici de se reporter à la résolution sur la situation des femmes issues de groupes minoritaires dans l’Union européenne considérant que les femmes Roms sont victimes de discriminations multiples, discriminées dans la société « en raison de leur statut de minorité ethnique » et « opprimées à l’intérieur de leur communauté en raison de leur genre »67.
L’analyse de la nature du mariage présenté comme arrangé n’est pas menée dans les motifs rapportés, alors qu’elle avait une incidence directe comme d’autres circonstances de l’espèce sur le risque d’agression sexuelle et la finalité poursuivie. Selon les juges d’appel, aucune contrainte, violence, menace ou surprise n’avait été exercée contre les jeunes filles, « ce dont ils ont conclu, après avoir vérifié qu’aucune d’entre elles n’avait ensuite été soumise, contre son gré, à des faits de nature sexuelle, que le risque que des agressions sexuelles aient pu être facilitées à raison des faits reprochés au prévenu n’était pas caractérisé ». Pour la Cour de cassation ces motifs qui se fondent sur une appréciation des faits relevant des juges du fond justifient la décision. Cependant ces motifs affirment l’absence d’agression sexuelle ̶ qui n’avait pas être établie en l’occurrence ̶ et écartent le risque d’agression sexuelle sans procéder à l’évaluation contextuelle de l’ensemble des circonstances, qui doit être menée sous l’angle de la violence fondée sur le genre et compte tenu de l’ensemble des facteurs de vulnérabilité susceptibles d’être relevés pour être conforme aux obligations positives dégagées par la Cour européenne sur le fondement des articles 3 et 8 de la Convention. Or, une pluralité d’éléments, tenant tant aux personnes qu’à la situation, concouraient à relever une particulière vulnérabilité : minorité de certaines des jeunes filles, lien fort avec une communauté et une tradition susceptible de constituer une source de pression, transport en vue d’un mariage « arrangé » mettant des jeunes filles à disposition de leur futur mari, révélateur d’une situation d’inégalité structurelle.
Au regard de cet ensemble de circonstances, comment une personne aurait-elle la possibilité concrète de donner un consentement libre à des relations sexuelles ? Tout étant organisé en vue d’un mariage présenté comme arrangé auquel selon la coutume est associée une union sexuelle, il serait nécessaire que les intéressées fassent preuve le moment venu d’un esprit de résistance individuelle hors du commun pour être en capacité d’émettre un refus de consentement à l’acte sexuel. Les motifs de l’arrêt d’appel sont jugés suffisants par la Cour de cassation sans qu’une évaluation contextuelle soit menée de l’incapacité à exprimer un consentement valable à l’acte sexuel dans les circonstances environnantes68 ̶ le fait même que l’âge exact des jeunes filles ne soit pas relaté dans l’arrêt de la Cour de cassation est une des manifestations de cette absence d’évaluation. Ils relèvent d’une approche de l’absence du consentement à l’acte sexuel qui n’est pas conforme aux orientations de la jurisprudence européenne, et qui est en deçà des possibilités offertes par la notion de contrainte morale.
Appréhendée par les juges du fond comme une finalité ne permettant pas la qualification de traite des êtres humains, la mise à disposition des jeunes filles en vue d’un mariage « arrangé » ne leur laissant pas la possibilité concrète d’émettre un refus à l’acte sexuel appelait au contraire de considérer l’application de l’incrimination de traite des êtres humains.
B. L’approche du consentement en cas de mariage « arrangé » au regard de la qualification de traite des êtres humains : droit actuel et perspectives
L’incrimination de traite des êtres humains prévue à l’article 225-4-1 du Code pénal résulte dans sa version actuelle de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 transposant la directive 2011/36/UE du Parlement et du Conseil du 5 avril relative à la traite des êtres humains69. La directive européenne s’inscrit dans le cadre d’une lutte menée à l’échelle mondiale. La première définition juridiquement contraignante au niveau international de la traite des personnes a été formulée par le protocole de Palerme70. Elle est reprise par la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie 71 (dite « Convention de Varsovie »), comme par la directive européenne de 2011.
La traite des êtres humains est définie en droit international et européen par la combinaison de trois éléments lorsque des majeurs en sont victimes : un acte matériel (recrutement, transfert, transport, hébergement, accueil) , l’utilisation d’un moyen parmi lesquels figurent le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, l’enlèvement, la fraude, tromperie, l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, l’offre ou l’acceptation de paiement ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre, et une finalité (« aux fins d’exploitation »). L’exploitation n’est pas définie, les textes précisant seulement de manière variable les formes d’exploitation comprises au minimum par la traite des êtres humains. À cet égard la directive européenne de 2011 vise l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés y compris la mendicité, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude, l’exploitation d’activités criminelles ou le prélèvement d’organes.
Lorsque des mineurs sont victimes la traite est définie par la combinaison de deux éléments, un acte et la finalité d’exploitation, sans que la caractérisation du recours à un moyen soit nécessaire. Le consentement d’une victime à la traite des êtres humains est indifférent, qu’il s’agisse d’un mineur ou d’un majeur lorsque l’un des moyens visés pour la traite est utilisé.
La traite incrimine en effet un processus de soumission d’une personne dans un état de vulnérabilité à son exploitation alors même que celle-ci y consentirait. La situation de vulnérabilité dont l’abus est visé au titre des moyens est définie de manière particulièrement large par la directive de 2011, qui a repris l’interprétation du rapport explicatif à la Convention de Varsovie : « une situation de vulnérabilité signifie que la personne concernée n’a pas d’autre choix véritable ou acceptable que de se soumettre à cet abus »72. La vulnérabilité n’est pas alors rapportée à une cause particulière – telle que l’âge, la grossesse, la maladie ou le handicap- mais inclut tout type de vulnérabilité, physique, psychique, affective, familiale, sociale, économique. Ainsi que l’indique le rapport explicatif à la Convention de Varsovie, « il s’agit de l’ensemble des situations de détresse pouvant conduire à un être humain à accepter son exploitation » (§83).
Le droit français définit l’incrimination de traite des êtres humains en donnant une acception précise à la finalité d’exploitation. Celle-ci est décrite comme une mise à disposition de la victime dans une certaine finalité parmi une série de buts énoncés par la loi énoncés par la loi au sein desquels figurent, au titre de l’exploitation sexuelle, l’atteinte sexuelle et l’agression sexuelle.73 .Philippe Conte met en évidence la complexité de la – double– finalité appréhendée par le droit français dans l’incrimination de traite des êtres humains, consistant d’une part dans une mise à disposition de la victime d’autre part dans la précision du but de cette mise à disposition74. L’indifférence du consentement de la victime n’est pas précisée explicitement par la loi française. Aux critiques adressées à ce sujet par le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), les autorités françaises ont répondu qu’une telle précision n’avait pas lieu d’être formulée, en raison du principe général de droit pénal tenant à l’indifférence du consentement dans le cadre des atteintes aux personnes75. Le GRETA a fait valoir qu’il était important d’expliciter par la loi l’indifférence du consentement, notamment parce que les victimes peuvent ne pas s’identifier comme victimes parce qu’elles ont consenti à l’exploitation. S’agissant de l’agression sexuelle, Philippe Conte met en évidence une difficulté : l’agression sexuelle suppose « une victime non consentante »76.
L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la chambre criminelle du 11 mai 2023 était intéressante à un double titre : la détermination de la finalité poursuivie, et la place de l’indifférence du consentement de la victime lorsque la finalité poursuivie est de mettre à disposition la victime afin de permettre sur elle la commission d’une agression.
L’infraction de traite des êtres humains suppose un élément intentionnel spécifique qui n’a pas été jugé caractérisé en l’espèce. Selon les juges du fond « le prévenu a uniquement reconnu avoir arrangé des mariages selon la tradition rom mais a toujours contesté avoir mis les jeunes filles à la disposition de leur futur mari en poursuivant un autre but que de préparer leur mariage » et il n’est pas démontré qu’il était motivé par une volonté de livrer les jeunes filles à leur futur mari aux fins d’agression.
En apparence cette motivation pourrait sembler justifiée au regard du but de la mise à disposition, ainsi que du principe de légalité criminelle et de l’interprétation stricte de la loi pénale. Cependant l’appréciation des juges du fond s’en tient de manière superficielle à la finalité apparente exposée par l’auteur des faits sans chercher à analyser ce que recouvre objectivement le but de cette préparation du mariage arrangé, à savoir la création d’une situation dans laquelle les jeunes filles ainsi mises à disposition de leur futur mari ne sont pas en mesure d’exprimer une absence de consentement à l’acte sexuel. Cette intention spécifique, consistant à permettre la commission contre la victime d’une agression sexuelle, est susceptible d’être relevée au moyen d’une analyse des éléments objectifs de la situation recherchée par l’auteur des faits, portant sur la nature du mariage arrangé et sur le fait connu de l’auteur que les relations sexuelles en étaient les conséquences, sans que la libre volonté des intéressées soit en mesure de se faire entendre.
La mise au jour d’une telle intention suppose une appréhension conforme aux orientations de la jurisprudence européenne de l’évaluation contextuelle de l’absence de consentement à l’acte sexuel. Elle ne requiert pas que la qualification de mariage forcé proprement dite soit nécessairement posée, mais qu’une série d’éléments, parmi lesquels la connaissance d’une pression sociale et familiale inhérente au mariage arrangé, de la suite coutumière d’une relation sexuelle inhérente à un tel mariage, et de la vulnérabilité des jeunes filles, établisse le défaut de possibilité d’exprimer une absence de consentement à l’acte sexuel dans la situation visée et préparée par l’auteur des faits.
Il convient alors de distinguer la question du consentement à l’exploitation sexuelle lorsque celle-ci consiste à permettre une agression sexuelle, en ne laissant pas à la victime la possibilité d’exprimer un refus, de celle portant sur le consentement lors de l’acte sexuel lui-même. En effet il n’est pas nécessaire, conformément à la description de l’incrimination, qu’une agression sexuelle ait été effectivement commise77. C’est la raison pour laquelle l’indifférence du consentement de la victime à son exploitation garde tout son sens, y compris lorsque l’exploitation sexuelle consiste à permettre une agression sexuelle. Elle signifie que la victime ne peut valablement consentir à son exploitation en renonçant à refuser des relations sexuelles.
La question se pose dans des termes analogues pour les victimes majeures en présence d’un des moyens de l’exploitation visés par la loi, et notamment lorsque l’auteur de la traite abuse d’une situation de vulnérabilité de la victime. En explicitant la signification de ces termes, le rapport explicatif à la Convention de Varsovie développe que les individus abusant d’une telle situation « commettent une violation flagrante des droits de la personne humaine et une atteinte à sa dignité et à son intégrité auxquelles il n’est pas possible de renoncer valablement »78. Lors du processus de soumission à la traite, la victime a pu consentir à se comporter en excluant toute autonomie personnelle et sexuelle, mais ce consentement est indifférent dans la mesure où l’abus de la situation de vulnérabilité est caractérisé. À cet égard la loi française est indûment restrictive à la fois au regard de la Convention de Varsovie et de la directive européenne relative à la traite des êtres humains, en cantonnant, contrairement à celles-ci, la situation de vulnérabilité à une cause particulière, ce qui a appelé les critiques du GRETA79. L’article 225-4-1 CP énonce de manière limitative au titre des causes de la vulnérabilité, apparente ou connue de l’auteur de la traite, l’âge, la maladie, l’infirmité, la déficience physique ou psychique ou l’état de grossesse. Cette énumération ne permet pas de caractériser un abus de vulnérabilité liée à une situation de dépendance économique ou encore à une situation familiale, sociale, affective qui ne laisserait pas d’autre choix acceptable à l’individu que de se soumettre. Il pourrait en être ainsi par exemple lorsqu’un refus d’un mariage « arrangé » aurait pour l’individu une rupture avec l’ensemble des membres de sa famille ou de sa communauté80.
Deux directive européennes récentes s’inscrivent dans la lutte contre le mariage forcé, la première pour poser une obligation d’incrimination autonome du mariage forcé, la seconde pour l’incriminer à titre de finalité de l’exploitation dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains.
La directive du 14 mai 2024 sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique reprend les deux obligations d’incrimination posées par la Convention d’Istanbul en la matière. La France a jusqu’à présent érigé en infraction uniquement « le fait, dans le but de contraindre une personne à contracter un mariage ou à conclure une union à l’étranger, d’user à son égard de manœuvres dolosives afin de la déterminer à quitter le territoire de la République » ( art. 222-14-4 CP), alors que l’article 37 § 1 de la Convention d’Istanbul impose également aux États contractants d’incriminer « le fait ,lorsqu’il est commis intentionnellement, de forcer un adulte ou un enfant à contracter mariage ». La transposition de la directive qui doit avoir lieu d’ici le 14 juin 2027 implique d’incriminer en tant que tel « le fait de contraindre un adulte ou un enfant à contracter mariage ».
L’apport de la directive du 13 juin 2024 modifiant la directive de 2011 relative à la traite des êtres humains a pu être minimisé81, au motif qu’un considérant de la directive de 2011 prévoit que l’exploitation englobe « d’autres comportements tels que l’adoption illégale ou les mariages forcés dans la mesure où les éléments constitutifs de la traite des êtres humains sont réunis » (considérant 11). Cependant le mariage forcé n’étant pas visé par la directive de 2011 au titre des formes d’exploitation à intégrer au minimum dans l’incrimination de traite des êtres humains, l’effet juridique attaché à ce considérant était incertain82 et on a pu constater dans les développements précédents que la jurisprudence ne cherchait pas à déceler si un mariage présenté comme arrangé constituait en réalité un mariage forcé pour appréhender la finalité d’exploitation sexuelle et le risque d’agression sexuelle. Aussi l’intégration expresse du mariage forcé dans les formes d’exploitation constitue-t-elle un véritable apport qui oblige le législateur à modifier pour l’article 225-4-1 CP pour en élargir le champ d’application d’ici le 15 juillet 2026, date à laquelle la directive doit être transposée.
Un enjeu important de cette introduction du mariage forcé à titre d’incrimination autonome et dans le cadre de l’incrimination de traite est relatif à l’interprétation qui sera retenue de la contrainte morale dans le mariage forcé. Le droit civil retient aujourd’hui une acception extensive du vice de violence morale lors de la formation du mariage susceptible d’inclure la crainte révérencielle (art.180 al. 1 Code civil)83. La contrainte morale dans le mariage forcé pénalement incriminé devrait sanctionner les comportements abusant de la situation de vulnérabilité d’une personne, mineure ou majeure, qui n’est pas en état d’exprimer un consentement libre et éclairé au mariage, y compris par crainte d’un rejet familial ou communautaire suite à un refus. La notion de mariage forcé devrait également être comprise de manière à inclure les unions coutumières, sans être cantonnée aux mariages officiels, afin d’assurer une pleine effectivité à la protection contre les mariages forcés84.
L’insertion du mariage forcé dans les formes d’exploitation de l’incrimination de traite des êtres humains ne fait cependant pas perdre son intérêt à l’appréhension des faits au titre de la mise à disposition de la victime afin de permettre contre elle l’infraction d’agression sexuelle. En effet, la mise en évidence d’un tel but ne suppose pas qu’une qualification de mariage forcé soit nécessairement posée. En fonction de l’acception de la contrainte morale qui sera retenue pour poser la qualification de mariage forcé, un mariage arrangé sera susceptible de ne pas recevoir la qualification de mariage forcé, tout en s’accompagnant d’un ensemble de circonstances dont résulte un défaut de possibilité d’exprimer une absence de consentement à l’acte sexuel dans la situation poursuivie par l’auteur de la traite.
L’arrêt de la chambre criminelle du 15 mai 2023 est emblématique de l’intérêt d’une évolution du droit français définissant l’agression sexuelle par l’absence de libre consentement et de la nécessité de rechercher une évaluation contextuelle de celui-ci85. Alors que des jeunes filles mineures étaient mises à disposition de leurs futurs maris pour un mariage arrangé lié à une union sexuelle, les motifs qui ont été jugés suffisants pour écarter le risque d’agression sexuelle n’ont fait aucune place à la recherche de la question centrale : ces jeunes filles dont la particulière vulnérabilité n’a pas été caractérisée et prise en considération par les juges, étaient- elles placées dans une situation où une femme est en mesure de donner son consentement librement, ou dans une situation où l’incapacité d’une mineure à exprimer une volonté libre est exploitée ?