La protection de l’État de droit par la Convention européenne des droits de l’homme – La Cour européenne et l’exigence de légalité
La protection de l’Etat de droit par la Convention européenne des droits de l’homme- La Cour européenne et l’exigence de légalité
I Les notions d’Etat de droit, de Rechsstaat et de rule of law
I.IV. Dimensions matérielles et procédurales convergentes
II La participation du droit européen des droits de l’homme à la protection de l’Etat de droit
II.I. Le principe de légalité dans les ordres juridiques nationaux
II.II. La place du contrôle de légalité dans le droit de la CEDH
II.III. L’existence d’une loi nationale et la doctrine de la 4ème instance
II.IV. Le contrôle de la qualité de la loi nationale
II.V. Le contrôle de la qualité de la délibération ayant précédé l’adoption de la loi
Le développement de démocraties illibérales et la montée de mouvements populistes engendrent en Europe un ensemble d’évolutions qui remettent en question certains principes de l’Etat de droit.
Dans ce contexte, on peut s’interroger sur la protection par les droits européens, et en particulier le droit de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de ses figures sœurs que sont la rule of law et le Rechsstaat.
La définition de ces principes reste controversée ; les thèses des auteurs les approchant de manière purement formelles s’opposant à ceux qui les définissent de manière plus substantielle[1]. Néanmoins, il est possible, en se fondant sur les travaux conceptuels antérieurs développés dans plusieurs ordres juridiques, de définir cette notion. Dans sa dimension formelle, l’Etat de droit renvoie principalement à un Etat dans lequel l’exercice de la puissance publique est contenu par des règles de droit, et dans lequel des règles procédurales permettent d’éviter l’arbitraire. Dans sa dimension matérielle, l’Etat de droit s’attache à la réalisation de certaines valeurs par le droit ; il s’agit principalement du respect des droits fondamentaux.
Les droits fondamentaux sont souvent envisagés comme une solution au paradoxe de l’Etat de droit dans la doctrine constitutionnaliste. Ce problème théorique, qui naît avec le tournant positiviste, est le suivant : « comment le pouvoir de l’Etat pouvait-il être discipliné par le droit si tout le droit trouvait son origine dans ce même pouvoir ? »[2]. Après la Seconde guerre mondiale, une majorité d’auteurs considéreront que le problème de l’Etat de droit est réglé grâce au processus de positivation des droits fondamentaux ; ils vont enrichir la définition de l’état de droit de l’objectif de réalisation des droits fondamentaux. Le droit des droits fondamentaux, accompagnés de garanties juridictionnelles, impose désormais « des limites à la régulation par le droit »[3]. Ce processus d’intériorisation des limites dans le droit lui-même est supposé régler le paradoxe de l’Etat de droit.
Mais la relation entre Etat de droit et droits fondamentaux n’est pas toujours envisagée comme un cercle vertueux.
D’abord, une partie de la littérature souligne l’impuissance des seuls droits fondamentaux conçus comme des normes positives à garantir le respect de l’État de droit. Dès lors qu’ils sont conçus sous la forme de normes de droit positif, les droits sont susceptibles de révision, d’abrogation : comment, dans ces conditions, pourraient-ils remplir tout à fait « leur fonction de garantie de l’autolimitation du droit moderne » ?[4] D’où la critique anglo-saxonne des droits « déductifs » qui, parce qu’ils sont garantis dans une constitution, peuvent facilement « être suspendus ou supprimés », là où les droits « inductifs » de la common law ne peuvent l’être, dès lors qu’ils sont ces libertés ancestrales des anglais sédimentées au cours des siècles. Dans cette perspective, pour remédier au paradoxe de l’État de droit, il faut un ensemble « de pratiques juridiques quotidiennes », un « savoir pratique des acteurs juridiques », via leur « précompréhension juridique ». Cette approche relativise les arrangements institutionnels pour garantir l’autolimitation du droit.[5]
Ensuite, certains auteurs envisagent le risque que font peser les droits fondamentaux sur la notion d’État de droit, voire dénoncent l’incompatibilité entre droits de l’homme et État de droit. On soulignera d’emblée, avant de les passer en revue, la grande hétérogénéité des écoles s’interrogeant sur la relation entre droit des droits de l’homme et théories de l’État de droit, qui partent de postulats très différents pour aboutir à une interrogation sur la contribution des droits de l’homme à l’État de droit.
Pour une partie de la littérature, c’est le principe même d’une censure de la loi par des juges, au nom des droits de l’homme, qui implique une « destruction » de la théorie de l’État de droit, dès lors que dans l’exercice du contrôle de constitutionnalité sur la base des droits, les règles constitutionnelles deviennent « plastiques et adaptables », en fonction de l’interprétation « souveraine » que font les juridictions constitutionnelles de ces normes floues, au contenu largement indéterminé[6]. Carlos Miguel Pimentel a remarquablement formulé le problème posé par les droits en termes de séparation des pouvoirs et de conception de l’ordre juridique. Sous la pression des droits de l’homme, ces normes floues au contenu indéfini, le « juge de l’habilitation » (qu’il relève de la justice constitutionnelle, administrative ou des cours et tribunaux) est amené à statuer a posteriori sur les habilitations des différents pouvoirs, sur l’étendue des pouvoirs des organes de l’État, ce qui revient à statuer également sur l’étendue de ses propres pouvoirs. Ce faisant, ce juge modifie la séparation des pouvoirs, qui appelle en principe une hiérarchie dans le temps : à l’origine en effet, la séparation des pouvoirs « est une théorie dans laquelle les droits des citoyens sont préservés parce que, pourrait-on dire, le pouvoir législatif est dénué de présent » selon cette théorie, « le pouvoir se trouve en quelque sorte écartelé entre l’avenir et le passé, entre le pouvoir de faire la loi nouvelle et celui d’appliquer la loi ancienne ».[7] L’office du juge de l’habilitation affecte l’État de droit puisque « pour qu’il y ait ordre juridique, il faut que la décision individuelle soit prise sur la base d’une règle préalablement énoncée ».[8] En résulte un « État de jurisprudence », qui fait écho à l’ « État de justice constitutionnelle » de Böckenförde.[9]
La dénonciation selon laquelle la déformalisation induite – notamment – par les droits de l’homme saperait les fondements de l’État de droit, se retrouve exprimée, sous diverses formes. Jean d’Aspremont, parmi d’autres internationalistes, estime que ce mouvement de déformalisation, notamment porté par le droit européen des droits de l’homme et par le soft law qui s’y développe, est une menace pour la clarté et la prévisibilité du droit[10]. Martti Koskenniemi, qui analyse le droit international et européen des droits de l’homme comme un langage particulier, constate l’indétermination fondamentale du langage des droits, qui implique forcément une décision de nature politique lorsqu’il s’agit de déterminer l’interprétation et l’application de ces droits[11]. Ainsi, paradoxalement, l’interprétation et l’application des droits postulent une forme d’arbitraire, que le droit des droits de l’homme cherche pourtant précisément à exclure, de mille et une façons, que ce soit par la consécration du principe « nulle peine sans loi » ou de l’habeas corpus. En outre, le déni de la consubstantialité entre droit et politique, caractéristique du libéralisme politique, qui reposerait sur l’idée que les droits existent « en dehors » de la politique, expliquerait, selon Koskenniemi, une bureaucratisation de la politique : le respect des droits est désormais confié à des instances technocratiques, qui par leur vocabulaire technique, banalisent les drames humains qui se cachent derrière un vocabulaire et des raisonnements de plus en plus complexes et sophistiqués. Dans cette analyse de la déformalisation des droits, l’auteur dénonce, en creux, une certaine rupture avec la notion d’État de droit avec le développement d’un droit indéterminé, flexible, arbitraire. Dans une autre contribution, « Les droits de l’homme, la politique et l’amour », Koskenniemi met en lumière que ces droits sont « comme l’amour : à la fois nécessaires et impossibles »[12]. Chez les auteurs des Critical Legal Studies, les droits sont analysés comme révélateur d’une déformalisation impliquant la réduction de la notion d’ordre juridique à des normes indéterminées, imprévisibles[13]. Ces auteurs analysent les droits comme « manipulables », flexibles, et donc comme encadrant peu l’action de l’État, dès lors que le raisonnement juridique en termes de droits fait nécessairement appel à une politique d’interprétation déterminée[14].
Pour d’autres auteurs, partant d’un tout autre postulat théorique et méthodologique, le problème se situe dans l’approche matérielle de l’État de droit que suppose la logique des droits fondamentaux. On sait que cette critique a été formulée, ironiquement, par Carl Schmitt dans un article « La tyrannie des valeurs ». Dans cet article, Schmitt s’oppose à l’avènement d’un État de droit matériel, au nom d’une conception exclusivement formelle.[15] L’article de Schmitt a été publié dans un ouvrage en l’honneur de Forsthoff, avec qui il partage la critique de l’État de droit au sens matériel, et qui a critiqué le développement d’un État « de jurisprudence ».
On voit que, dans une approche formelle de l’État de droit, les droits fondamentaux peuvent paraître poser problème : en raison de leur impuissance à limiter l’État par le droit – dans le cas de droits définis comme normes formelles – ; en raison du pouvoir exorbitant que ces droits impliquent pour les juges ; en raison du mouvement de déformalisation inhérent aux droits fondamentaux et de l’indétermination et de leur effet sur le discours juridique ; ou encore à cause du caractère jusnaturaliste de ces droits.
On ne saurait oublier qu’une approche formelle de l’État de droit, souvent arcboutée sur une vision rigide de la théorie des sources, a pu poser problème dans un passé pas si lointain[16]. Par ailleurs, la critique de la déformalisation n’est pas propre au droit européen des droits de l’homme ; elle concerne en réalité une foule d’autres éléments des ordres juridiques contemporains (on pense au développement du soft law dans toutes les branches du droit, au règne des « principes », qui ont pris le dessus sur les lois formelles objectives etc).
En outre, plus fondamentalement, les critiques qui font du droit des droits de l’homme l’un des facteurs principaux d’appauvrissement de l’État de droit manquent d’empirie : ce dernier principe paraît bien davantage menacé par certains mouvements politiques que par le droit des droits de l’homme.
Par ailleurs, on peut aussi envisager l’enrichissement par les droits de l’homme de la légalité et l’État de droit au plan national. Selon le juge de la Cour européenne des droits de l’homme Pinto de Albuquerque, « (…) la déformalisation inhérente au droit européen des droits de l’homme n’est pas synonyme d’une dissolution nihiliste de la légalité, et cela pour une raison tout à fait fondamentale. Au sein de l’ordre juridique du Conseil de l’Europe, le consentement de l’État est encadré par une perspective cosmopolite de l’universalité des droits de l’homme et une compréhension dialogique de l’héritage commun de valeurs des sociétés européennes »[17].
Sans nier que la déformalisation impliquée par le droit européen des droits de l’homme – comme par de nombreuses autres branches du droit – peut, dans une certaine mesure, fragiliser la prévisibilité, la sécurité et la clarté du droit, on voudrait ici analyser la contribution positive du droit des droits fondamentaux au respect de l’État de droit. Il s’agit d’envisager l’existence d’une relation dialectique et complexe entre l’exigence de l’État de droit et le droit des droits fondamentaux. L’on recherchera donc ce qui, dans le droit européen des droits fondamentaux, peut participer à une refondation de cette exigence, voire permettre d’affronter le problème du paradoxe de l’Etat de droit. Il s’agit donc de répondre à la question suivante : dans quelle mesure le droit des droits fondamentaux participe-t-il aux objectifs poursuivis par le principe de l’État de droit, dans quelle mesure ces droits renforcent-ils effectivement les exigences juridiques induites de ce principe. Une telle entreprise suppose d’abord de définir plus précisément la notion d’État de droit (I) avant d’envisager la contribution du droit de la Convention européenne des droits de l’homme à la protection de l’État de droit (II), en se concentrant sur le principe de légalité, quasi érigé au rang de « droit à la légalité » dans le système de la Convention européenne.
I. Les notions d’État de droit, de Rechsstaat et de rule of law
Produits d’une histoire particulière, l’État de droit, la rule of law et le Rechsstaat sont des exigences qui ont pris des formes différentes dans les ordres juridiques dans lesquels ils se sont épanouis, et ont évolué sous la pression de différentes demandes sociales et politiques spécifiques. Ces concepts sont ainsi intimement liés aux différentes traditions juridiques propres à l’ordre juridique et à l’environnement institutionnel dans lesquels ils se déploient.[18]
I.I. La rule of law
La rule of law britannique se targue d’une longue histoire ; son émergence est parfois située à la signature de la Magna Carta, qui emporte limitation du pouvoir du Roi eu égard au Free Men.[19] Ce principe emporte « that all persons and authorities within the state, whether public or private, should be bound by and entitled to the benefit of laws publicly and prospectively promulgated and publicly administered in the courts ».[20] Deux éléments concourent à donner une texture particulière à la rule of law: son ancrage dans un système de common law, dans lequel les juges tiennent une place particulière pour l’explication et la création du droit, premièrement, et l’inexistence d’un droit supérieur à celui produit par le Parlement, deuxièmement. Sans pouvoir examiner de manière exhaustive les différentes théorisations de la rule of law, on examinera trois auteurs de référence pour identifier son contenu. Dicey développe la rule of law dans quatre axes principaux : l’absence de pouvoir arbitraire ; l’égalité devant la loi et le respect de la loi par tous ; l’interdiction de juridictions administratives spéciales, qui viendraient déroger au principe d’égalité devant la loi ; et enfin le respect pour [certaines] libertés individuelles, avec une garantie juridictionnelle de ces libertés.[21] Cette rule of law doit être garantie par la soumission de tous les fonctionnaires au même droit ordinaire ; elle fonctionne en contraste avec l’approche continentale, qui admet par exemple un ordre administratif propre. En 1964, Ron Fuller, dans Morality of Law, développe huit exigences de la rule of law, qui auront une influence considérable dans l’appréciation de ce principe. Selon Fuller, la loi doit être générale, publique, non rétroactive, claire, sans contradiction interne, permanente ; elle ne peut exiger l’impossible et tous les actes des autorités doivent être conformes à la loi[22]. Ces principes se recoupent partiellement avec l’approche, plus récente de Tom Bingham. Retenons ici les éléments les plus pertinents pour la suite de l’analyse : la rule of law implique certaines qualités de la loi, qui doit être claire, précise et accessible ; les questions de droits et de responsabilité ne peuvent être laissées à l’appréciation discrétionnaire du gouvernement ; l’égalité devant la loi doit être garantie ; les agents de l’État doivent exercer leur pouvoir de manière prudente, diligente, sans outrepasser leurs compétences ; les procédures judiciaires organisées par le droit interne pour offrir un remède en cas de violation des droits doivent être équitables. Pour Bingham, qui, en cela, apporte un complément à l’approche de Dicey, la loi doit garantir une protection adéquate des droits fondamentaux : la rule of law prescrit le respect des engagements internationaux de l’État.
Concept insaisissable, aux multiples interprétations, la rule of law paraît parfois être focalisée sur le principe de légalité de l’action de l’exécutif. Dans la pratique, la rule of law est surtout mobilisée comme un principe exigeant que tous les actes du gouvernement qui affectent les droits individuels et créent des obligations pour les individus doivent pouvoir se réclamer d’une base légale. Les juridictions peuvent contrôler l’action du gouvernement, et vérifier si l’exercice de l’autorité publique n’était pas ultra vires (contrôle qui implique à la fois des éléments formels et matériels comme la proportionnalité).[23]
I.II. Le Rechsstaat
Quant à la notion de Rechtsstaat, elle émerge au 19ème siècle. Dans un premier temps, cette notion est mobilisée par l’école publiciste allemande pour s’opposer à la figure de l’État despotique, dans une approche tout à la fois matérielle et formelle.[24] Ensuite, elle est envisagée comme une doctrine visant à limiter le pouvoir exécutif, encadrer l’action de l’administration, comme s’opposant à la notion d’ « État de police », visant à la création d’un « État administratif bien ordonné ».[25] Dès la fin du 19ème siècle, la notion d’État de droit est envisagée dans un sens plus formel, et se concentre en grande partie sur la question de la légalité de l’administration et de la garantie de l’autonomie personnelle. Mais cette conception, et le tournant positiviste plus général qu’elle annonce, pose le problème de l’autolimitation de l’État, déjà mentionné ; l’État précède le droit, mais alors comment peut-il lui-même être lié par sa propre création ? Jellinek avait proposé comme réponse à ce paradoxe la théorie de l’autolimitation de l’État.[26] Kelsen rejeta vivement cet argument : selon lui, dans cette dernière théorie, « l’Etat (…) est présupposé par le droit et dans le même temps, comme sujet de droit, c’est-à-dire comme lui étant soumis, obligé et autorisé par lui»[27]. Chez Kelsen, le concept d’État de droit perd toute signification indépendante : « si l’État est identique à l’ordre juridique, tout État est un État de droit ». Cette conception positiviste de l’État de droit s’avèrera problématique en ce qu’elle aboutit à désarmer le juriste face à la menace d’un ordre juridique totalitaire ou autoritaire. Après la Seconde Guerre mondiale, la conception matérielle du Rechsstaat se renouvelle dans la doctrine constitutionnaliste et dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, pour remédier aux impasses d’une approche exclusivement formelle. La Cour constitutionnelle en particulier considère que ce principe est l’une des bases de la Loi fondamentale allemande, qu’elle est l’une des « idées directrices » sur lesquelles se fonde la Constitution allemande.[28] Le principe du Rechsstaat se trouve consacré dans l’article 20(3) de la Loi fondamentale allemande, qu’il faut lire avec l’article 1er, la Loi fondamentale (respect de la dignité humaine), avec le principe du respect des droits fondamentaux et celui d’un contrôle constitutionnel. Le principe de légalité est quant à lui consacré aux articles 20 et 80 de la Loi fondamentale allemande.[29] Konrad Hesse résume dans ces termes l’interprétation dominante de l’État de droit comme doctrine substantielle dans la doctrine allemande d’après-guerre : « Dans l’État de droit de la Loi fondamentale vaut le primat du droit au sens d’attachement non seulement au droit comme tel mais aux contenus déterminés du droit ; il est l’État de droit non seulement formel mais aussi matériel ».[30]
I.III. L’Etat de droit
Duguit rapatrie la notion de prééminence du droit dans le champ de la doctrine constitutionnaliste française, où la lutte contre l’arbitraire était plutôt identifiée à la promotion de l’idée de la loi comme expression de la volonté générale, contre la volonté d’un petit groupe[31]. C’est lui qui forgera la notion d’État de droit. Il écrit « l’État, c’est la force matérielle quelle que soit son origine, elle est et reste un pur fait ; mais elle devient légitime si ceux qui la détiennent l’emploient à l’accomplissement des obligations négatives et positives que leur impose la règle de droit, c’est-à-dire l’emploient à la réalisation du droit »[32]. Luc Heuschling estime que Duguit défend la thèse selon laquelle la notion d’État de droit impose des limites à l’activité législative : le droit proscrit toute législation ayant certains contenus, en même temps qu’il ordonne la production d’une législation ayant un certain contenu. Ainsi, il défend la thèse de la nécessité de garanties juridictionnelles.[33] Ultérieurement, Carré de Malberg distinguera entre État de droit et État légal, ce dernier étant le seul en vigueur en droit français. L’État de droit, selon Carré de Malberg, « signifie que les citoyens ne pourront se voir imposer d’autres mesures administratives que celles autorisées par l’ordre juridique en vigueur ; et par conséquent, il exige la subordination de l’administration aussi bien aux règlements administratifs eux-mêmes qu’aux lois ». Dans un régime d’État de droit, poursuit l’auteur, « il serait (…) conforme à l’esprit de ce régime que la Constitution détermine supérieurement et garantisse aux citoyens ceux des droits individuels qui doivent demeurer placés au-dessus des atteintes du législateur (…). Pour que l’État de droit soit réalisé, il est (…) indispensable que les citoyens soient armés d’une action en justice, qui leur permette d’attaquer les actes législatifs qui léseraient leur droit individuel ».[34] Selon Carré de Malberg, la Constitution française est fondée sur le principe de l’État légal, un État dans lequel l’exécutif doit se conformer à la loi. Sa conception « parfaite » de l’État de droit, mêlant dimensions formelles et matérielles, ne se frayera un chemin que plus tardivement dans l’espace francophone lorsque le légicentrisme sera dépassé.[35]
I.IV. Dimensions matérielles et procédurales convergentes
Les trois principes rapidement esquissés sont sous-tendus par des perceptions différentes de ce qu’est un ordre juridique, se déploient dans des paysages institutionnels et des traditions juridiques très différents, et postulent des visions différentes du rôle des juges. Ils remplissent des rôles différents dans le droit positif, et dans les discours des acteurs. L’État de droit, le Rechsstaat et la rule of law, déploient cependant des caractéristiques communes : ce sont des concepts relativement indéterminés, qui postulent des exigences parfois contradictoires. Il y a également une certaine convergence sur les fonctions que revêtent ces trois concepts dans les systèmes juridiques dans lesquels ils se déploient[36], voire sur certaines exigences que l’on peut identifier.
Premièrement, dans les trois traditions juridiques, l’État de droit, la prééminence du droit, implique la reconnaissance d’un principe de légalité de l’action des pouvoirs. Cette exigence va de pair avec les exigences de généralité, de clarté, de non rétroactivité et de stabilité qui sont partagées entre les systèmes. Elle emporte en particulier la soumission du pouvoir exécutif à cette loi, et l’impossibilité d’agir sans « titre » ou fondement d’un « power ». Évidemment, l’institutionnalisation du contrôle de légalité diffère substantiellement selon les systèmes, mais on retrouve toujours l’idée d’un contrôle de la convergence concrète entre la loi et l’action de l’administration. Le contrôle de légalité ainsi postulé reste néanmoins à géométrie variable. Il emporte désormais celui de la constitutionnalité des lois centralisé et organisé en France, en Belgique et en Allemagne. Au Royaume Uni, le contrôle de la constitutionnalité des lois est réduit à deux dimensions: le principe d’interprétation conforme des lois au regard des libertés ancestrales des Anglais, d’une part, et les déclarations d’incompatibilités organisées par le Human Rights Act, d’autre part.
Deuxièmement, les trois traditions de la prééminence du droit postulent un contrôle juridictionnel destiné à garantir la primauté des règles de droit. Ce contrôle juridictionnel doit également être indépendant et pourvu d’une certaine autorité de chose jugée ; même si on ne peut manquer de relever de grandes variations sur la question de la définition institutionnelle de l’indépendance entre les différents systèmes étudiés (ainsi la House of Lords du Royaume Uni était-elle encore une chambre spécialisée du Parlement britannique ; les juridictions scandinaves paraissent-elles aussi relever davantage du pouvoir exécutif que du pouvoir judiciaire)[37].
Troisièmement, on retrouve, dans les trois approches, une certaine idée de la séparation des pouvoirs, à tout le moins, de la règle négative de la séparation des pouvoirs qui exclut la concentration des fonctions étatiques dans les mains d’un seul organe.
Quatrièmement, les trois concepts ont progressivement été interprétés comme impliquant la protection de certains droits constitutionnels[38]. Les divergences restent importantes, puisque les limites juridiques encadrant la marge de manœuvre des pouvoirs politiques varient très fortement. On retrouve cependant systématiquement, au minimum, l’idée d’un contrôle juridictionnel des immixtions des autorités publiques dans les droits des individus, mais avec une diversité d’organisation de ces contrôles selon les systèmes juridiques, notamment pour ce qui concerne la place des juridictions administratives.[39]
En outre, malgré leurs différences, les notions d’État de droit, de rule of law et de Rechsstaat comportent toutes des dimensions formelles et matérielles. On peut conclure de l’analyse des ordres juridiques précités, que les deux dimensions sont désormais exprimées dans ces trois concepts, bien qu’à des degrés divers et dans des environnements institutionnels très différents, et même si la dimension matérielle reste parfois très controversée.
Par ailleurs, les différentes acceptions de la prééminence du droit ont été influencées par l’européanisation des ordres juridiques[40], notamment sur la question de la proportionnalité ou de la définition des critères du contrôle de légalité.
Enfin, on remarquera que ces différents concepts convergent en ce qui concerne leurs objectifs. Dans tous les cas, il s’agit au minimum d’exclure la formation d’un Etat despotique ou de police, et de préserver dans tous les cas l’individu contre les intrusions arbitraires du gouvernement. A cet égard, on sera frappé de constater une certaine convergence dans les discussions sur les menaces pesant sur l’État de droit, le Rechsstaat ou la rule of law[41].
Les doctrines de la rule of law, de l’État de droit ou du Rechsstaat sont révélatrices d’une certaine compréhension de l’État. S’exprimant à propos de l’État de droit, Jacques Chevallier identifie trois différentes dimensions à l’État de droit, complémentaires les unes aux autres. Premièrement, « l’État de droit renvoie à une certaine conception de l’ordre juridique étatique », à l’idée d’une sujétion des gouvernants à la loi, qui s’accompagne de recours devant un juge indépendant, et vise à garantir le principe de la hiérarchie des normes. Deuxièmement, l’État de droit renvoie au problème plus profond de « la soumission de l’État au droit » et dans ce cas, il s’agit de trouver « un principe de limitation subjective ou objective de l’État par le droit, qui interdise toute possibilité d’arbitraire étatique », on pose finalement ici la question de « la nature même de l’État ». Troisièmement, l’État de droit renvoie à « un certain contenu du droit en vigueur » sous tendu par un ensemble de valeurs et de principes visant à assurer aux citoyens des garanties effectives contre l’État »[42].
Il y a ainsi une certaine « conception du pouvoir » qui se dégage des théories de l’État de droit, au-delà de la réduction de cette exigence « à un simple agencement hiérarchisé de normes juridiques ».[43] Sur cette question de la conception du pouvoir charriée par la théorie de l’État de droit, il existe de nombreuses controverses,. Pour Jacques Chevalier, il faut comprendre que ce principe s’ancre dans une volonté de « corseter le pouvoir de l’État ».[44]
II. La participation du droit européen des droits de l’homme à la protection de l’État de droit
Assurément, le droit européen des droits de l’homme participe de cette volonté de limiter le pouvoir de l’État : c’est son objectif. Au sujet de ce lien entre État de droit et droits fondamentaux, Jacques Chevallier écrit que « non seulement la puissance de l’État trouve ses limites dans les droits fondamentaux reconnus aux individus, ce qui crée ainsi la possibilité d’une opposition au pouvoir fondée sur le droit, mais encore elle a pour finalité même, pour justification ultime la garantie de ces droits ; l’État de droit repose en fin de compte sur l’affirmation de la primauté de l’individu dans l’organisation sociale et politique, ce qui entraîne à la fois l’instrumentalisation de l’État, dont le but est de servir les libertés, et la subjectivisation du droit ».[45] Mais, « les garanties de l’État de droit ne se sont pas étendues uniformément » des « îlots d’infra droit » subsistent, notamment concernant les personnes étrangères, qui apparaissent davantage comme objets d’une réglementation que comme sujets de droits et ne disposent pas d’une réelle sécurité juridique face à une administration investie d’un large pouvoir discrétionnaire (…). L’État de droit apparaît ainsi comme un processus contradictoire, instable et toujours inachevé ».[46] L’État de droit, relié aux droits fondamentaux, connaît des tensions internes, en particulier entre l’objectif d’assurer un cadre réglementaire stable, sécurisé, promouvant l’égalité devant la loi, et celui de garantir les libertés individuelles ou de promouvoir un ordre social juste.
On retrouve ces tensions dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme. La proportionnalité, qui implique une sorte de déformalisation, d’indétermination, de balance entre des éléments parfois incommensurables, une culture de la justification, peut poser question au regard des exigences de clarté, de précision, de sécurité juridique, postulées par le principe de prééminence du droit ou d’État de droit, envisagé dans sa dimension formelle.[47] Par ailleurs, la jurisprudence des obligations positives, qui identifie des obligations d’agir pour l’État, peut paraître en rupture avec la conception de l’État sous-jacente à la théorie libérale de l’État de droit.[48]
Ces critiques de la jurisprudence de la Cour EDH mobilisent essentiellement la définition formelle de l’État de droit.
A l’égard des différentes exigences postulées par l’État de droit rappelées au point précédent, il apparaît clair que le droit européen des droits de l’homme participe à leur respect. La Cour européenne des droits de l’homme n’en fait pas mystère : elle évoque « l’idée de prééminence du droit dont s’inspire la Convention tout entière »[49]. L’expression « État de droit » est citée dans près de trois cent arrêts et décisions à ce jour – sans compter les expressions proches, utilisées par la Cour à d’autres égards comme « prééminence du droit » (près de mille occurrences) en tant que traduction de rule of law (qui dépasse les deux milles références).
Ces différentes mobilisations de la notion d’État de droit contribue à « l’internationalisation(…) – de façon peut être plus exacte – la transnationalisation de l’État de droit »[50], ou à l’européanisation de cette notion.[51] Bien entendu, la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas la seule institution à participer à ce mouvement de transnationalisation. Il faut aussi compter sur la Cour de justice de l’Union[52].
Les grandes exigences des doctrines de la rule of law, de l’Etat de droit et du Rechsstaat sont donc les suivantes : principe de légalité, existence de contrôles juridictionnels, séparation des pouvoirs et protection des droits fondamentaux. Concernant la dernière dimension, substantielle, de l’État de droit, on ne l’analysera pas ici puisqu’il paraît évident que la Cour européenne des droits de l’homme y participe par essence.[53] Il n’est pas question ici de faire un bilan de la contribution de la Cour européenne des droits de l’homme au respect effectif des droits dans les États membres, mais on partira plus simplement du postulat que la Cour participe très certainement de cette dimension matérielle de l’État de droit.[54]
Dans la suite de cette contribution, on aimerait envisager la participation du droit européen des droits fondamentaux aux exigences formelles de l’État de droit. On envisagera plus particulièrement la protection, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, du principe de légalité, et ce pour deux raisons. Premièrement, l’exigence de légalité est consubstantielle et tout à fait centrale dans le développement des théories de l’État de droit, de la rule of law et du Rechsstaat. Deuxièmement, l’apport du système de la Convention européenne en ce qui concerne les deux autres dimensions procédurales de l’État de droit est assez net, que ce soit en matière de protection de l’indépendance de la justice (pierre angulaire de la séparation des pouvoirs au sens contemporain) et en matière d’exigence de recours effectifs[55] ; par contre, l’apport de la jurisprudence de la Cour européenne en matière de légalité est plus timide et plus incertaine.
A partir des excellents travaux de Geranne Lautenbach sur le concept de rule of law dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[56] que l’on tâchera ici de prolonger et d’actualiser, l’on reviendra donc sur le principe de légalité et son internationalisation (II.I), sur la place du contrôle de légalité dans le droit de la Convention EDH (II.II.), sur la double dimension du contrôle de légalité opéré par la Cour EDH (II.III) et sur les qualités de la loi exigées par la Cour (II.IV). L’on s’interrogera enfin sur le poids conféré à la délibération parlementaire dans la jurisprudence de la Cour (IV).
II.I. Le principe de légalité dans les ordres juridiques nationaux
Parmi les exigences essentielles de l’État de droit, on compte d’abord et avant tout le principe de légalité : c’est l’idée que le gouvernement n’agit que dans les limites de ses compétences établies par la loi.
Dans les pays où le principe de légalité postule l’intervention du pouvoir législatif, plusieurs objectifs sont traditionnellement assignés à cette intervention : la délibération démocratique de mesures attentatoires aux droits et libertés, la publicité, la légitimation des mesures par l’assemblée démocratique, une réflexion plus approfondie. Dans le système de common law, les pratiques et traditions profondément ancrées participent également du contrôle de légalité, et pas seulement l’intervention du législateur, dès lors que le concept de « loi » recouvre un bien plus large spectre. Dans tous les cas, il faut, pour que le principe de légalité remplisse sa fonction, que la loi en question ait certaines qualités : la loi doit être générale (contenir des règles générales), promulguée (une publication doit être assurée), non rétroactive, claire et stable. Il doit y avoir une convergence des actes du gouvernement et des exigences de la loi. Des contrôles de cette convergence doivent être assurés par un pouvoir judiciaire indépendant. Ceci implique un respect assuré par le gouvernement de la loi, et donc des contrôles judiciaires, c’est-à-dire un contrôle par des juges de la légalité des actes du gouvernement qui affectent des individus, et un accès des individus à un ensemble de recours pour garantir l’égalité devant la loi.
Ces exigences formelles assurent l’autonomie individuelle et prémunissent dans une certaine mesure contre la mise en œuvre d’un pouvoir arbitraire. Néanmoins, elles ne suffisent pas pour garantir une société démocratique : ces exigences n’emportent pas par elle-même la réalisation de ce qui est requis en amont de la loi (ce qui renvoie à la question démocratique, au suffrage universel, à la manière dont se déroulent les élections ou encore dont les partis fonctionnent), ni, plus généralement, du respect et de la protection des droits individuels. Raison pour laquelle s’est également développée une vision plus substantielle du principe de légalité, reliant ce principe à la protection des droits fondamentaux, et qui s’épanouit dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme.
On retrouve déjà, sur le plan supranational, une expression de cette substantialisation du principe de légalité par la référence aux droits fondamentaux dans un rapport de la Commission internationale des juristes de 1959. Après avoir exposé les différences entre approches formelles et substantielles du principe de légalité, et l’impuissance des approches formelles à garantir une société démocratique, le juriste Norman S. Marsh définit le principe de légalité comme « [l]es principes, les institutions et les procédures, pas toujours identiques, mais en de nombreux points similaires qui, selon l’expérience et la tradition des juristes des divers pays du monde ayant souvent eux-mêmes des structures politiques et des conditions économiques différentes, se sont révélés essentiels pour protéger l’individu contre un gouvernement arbitraire et pour lui permettre de jouir de sa dignité d’homme ».[57] Cette définition « associe les principes institutions et procédures juridiques aux valeurs qu’ils sont destinés á protéger ».[58]
II.II. La place du contrôle de légalité dans le droit de la CEDH
Le texte de la Convention européenne des droits de l’homme établit, en des termes certes moins précis que ceux de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le lien entre principe de légalité et respect des droits fondamentaux.[59]
C’est principalement dans l’application des articles 5 et 7 et lorsqu’elle effectue un test de proportionnalité au regard des articles 8 à 11 de la Convention que la Cour assure la soumission des autorités publiques à la loi et qu’elle garantit la prévisibilité, la sécurité juridique et la prééminence du droit. Il faut également combiner ces dispositions avec l’article 18 de la Convention, qui dispose que « [l]es restrictions qui, aux termes de la (…) Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues ». Cette disposition, plus rarement mobilisée, devrait également impliquer un contrôle rapproché de la primauté du droit dans les cas d’abus de pouvoir, en invitant le juge européen à aller au-delà d’une « pseudo légalité »[60] ou d’une légalité de façade – particulièrement lorsqu’un excès de pouvoir implique la violation d’une disposition légale. L’article 18 de la Convention invite en effet, selon nous, le juge européen à opérer un contrôle de légalité « interne », qui ne concerne pas seulement l’objet d’un acte ou d’une décision, mais également les motifs de fait ou de droit le fondant et sa finalité.[61]
La formulation à géométrie variable du principe de légalité dans les différents ordres juridiques explique que la Cour a développé sa propre conception de la légalité, reliée aux théories de l’État de droit et de la prééminence du droit. Au vu de la diversité des ordres juridiques des États membres de la Convention, la Cour a défini la « loi » à laquelle la Convention fait référence dans un sens matériel : la Cour considère ainsi qu’une « loi » peut être un acte du Parlement, du pouvoir législatif, mais également une règle non écrite, une jurisprudence, ou encore une norme de droit international. Par contre, des réglementations administratives ne rentrent pas dans le concept de légalité au sens matériel, à l’exception du cas de délégations du législatif.
Flexible, en raison de la diversité des approches de la notion d’ordre juridique, le contrôle de légalité opéré par la Cour EDH est en outre à géométrie variable selon les droits fondamentaux concernés.
Il est particulièrement serré lorsqu’il s’opère dans le cadre des articles 5 à 7 de la Convention : le texte de la Convention l’y invite. Concernant l’article 5 de la Convention, qui a précisément pour objectif la protection de l’individu contre toute décision arbitraire[62], la Cour ne se limite pas à identifier si une loi existe, mais elle contrôle également, de manière stricte, la qualité de cette loi. Dans son arrêt Ismoloiv, la Cour estime devoir opérer un contrôle de conformité de la loi interne au regard de la Convention, et notamment du principe général de sécurité juridique qui s’en déduit :
« The Court must moreover ascertain whether domestic law itself is in conformity with the Convention, including the general principles expressed or implied therein. On this last point, the Court stresses that, where deprivation of liberty is concerned, it is particularly important that the general principle of legal certainty be satisfied”.[63]
La Cour considère que l’article 5, §1, qui exige que toute privation de liberté soit légale, ne se réfère pas seulement à l’existence d’une loi interne, mais également à certaines qualités de cette loi, et exige notamment que la législation soit compatible avec la rule of law, un concept inhérent à l’ensemble des articles de la Convention. La Cour estime que « (…) where deprivation of liberty is concerned, it is particularly important that the general principle of legal certainty be satisfied”. Selon la Cour, “In laying down that any deprivation of liberty must be effected “in accordance with a procedure prescribed by law”, Article 5 § 1 does not merely refer back to domestic law; like the expressions “in accordance with the law” and “prescribed by law” in the second paragraphs of Articles 8 to 11, it also relates to the “quality of the law”, requiring it to be compatible with the rule of law, a concept inherent in all the Articles of the Convention. “Quality of law” in this sense implies that where a national law authorises deprivation of liberty it must be sufficiently accessible, precise and foreseeable in its application, in order to avoid all risk of arbitrariness”.[64] La Grande Chambre, dans un arrêt Merabishvili contre Géorgie, rappelle que l’article 5 renvoie au respect de la législation nationale, et consacre « l’obligation d’en respecter les règles de fond comme de procédure »[65]. La Grande Chambre estime que « [l]e respect de cette obligation n’est toutefois pas suffisant ; l’article 5, § 1, de la Convention exige également que la législation nationale soit elle-même compatible avec la prééminence du droit. Cela signifie en particulier qu’une loi nationale autorisant une privation de liberté doit être suffisamment accessible, précise et prévisible dans son application ». Opérant le lien entre conceptions formelles et matérielles de l’État de droit, la Grande Chambre précise que le respect de l’exigence de légalité des détentions « implique aussi qu’une arrestation ou détention doit être conforme au but de l’article 5, § 1, qui est de protéger l’individu contre une privation de liberté arbitraire. (…) Cela présuppose notamment que la privation de liberté cadre véritablement avec le but de la restriction autorisée par l’alinéa pertinent de l’article 5, § 1 ».[66]
En ce qui concerne l’article 7 de la Convention qui emporte l’interdiction de toute application rétroactive d’une loi en matière pénale, au désavantage de l’accusé, la Cour a pu rappeler, dans une affaire C.R. concernant l’incertaine « immunité » des époux en droit anglais au regard de l’infraction pénale de viol, la place centrale qu’occupe la légalité des peines dans le droit de la Convention. La Cour estime que « la garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dérogation en temps de guerre ou autre danger public. Ainsi qu’il découle de son objet et de son but, on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et sanctions arbitraires »[67]. L’article 7 « (…) ne se borne donc pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au désavantage de l’accusé: il consacre aussi, de manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au désavantage de l’accusé, notamment par analogie ». Ainsi, selon la Cour, la Convention postule « (…) qu’une infraction doit être clairement définie par la loi. (…) cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale ». Elle rappelle au passage que, dans l’examen de la légalité des peines, la Cour estime que la notion de « droit » utilisée à l’article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention : cette notion « englobe le droit écrit et non écrit et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d’accessibilité et de prévisibilité ».[68]
La question posée dans l’affaire C.R. était celle de l’appréciation du respect de cette exigence de légalité. La Cour estime à ce sujet que « [aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un élément d’interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation. D’ailleurs il est solidement établi dans la tradition juridique du Royaume-Uni comme des autres États parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible. »[69]
Si l’article 7 représente un élément essentiel aux yeux de la Cour européenne des droits de l’homme, on remarquera néanmoins qu’elle peut parfois céder devant l’impératif d’une protection de la substance des certains droits. Ainsi, dans l’affaire Streletz, qui illustre de manière paradigmatique le paradoxe de l’État de droit, la Cour privilégie le droit à la vie sur l’exigence de légalité, en substantialisant la notion d’État de droit puisqu’elle neutralise certains systèmes juridiques ne respectant pas la valeur fondamentale du droit à la vie. La Cour estime ainsi qu’« une pratique étatique telle que celle de la RDA relative à la surveillance de la frontière, qui méconnaît de manière flagrante les droits fondamentaux et surtout le droit à la vie, valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme au plan international, ne saurait être protégée par l’article 7, § 1, de la Convention ». Pour la Cour, « cette pratique, qui a vidé de sa substance la législation sur laquelle elle était censée se fonder, et qui était imposée à tous les organes de l’État y compris ses organes judiciaires, ne saurait être qualifiée de « droit » au sens de l’article 7 de la Convention ».[70] La Cour estime ainsi que les requérants « qui, en tant que dirigeants de la RDA, avaient créé l’apparence de légalité émanant de l’ordre juridique de la RDA, puis ont mis en place ou poursuivi une pratique méconnaissant de manière flagrante les principes mêmes de cet ordre ne sauraient se prévaloir de la protection de l’article 7, § 1, de la Convention ».[71] Selon la Cour, tout autre raisonnement méconnaîtrait « l’objet et le but de cette disposition, qui veut que nul ne soit soumis à des poursuites, condamnations ou sanctions arbitraires. » [72]
Ces différentes exigences dégagées dans l’application des articles 5 et 7 de la Convention s’appliquent également, mutatis mutandis, lorsqu’il s’agit d’opérer un test de légalité au regard des clauses de limitations établies aux seconds paragraphes des articles 8 à 11 de la Convention.
Dans son contrôle de légalité, la Cour ne se limite pas à vérifier s’il existe une base légale en droit interne. Elle vérifie aussi, de manière générale, si cette loi répond à certaines exigences, si elle présente certaines qualités : accessibilité de la loi, prévisibilité, caractère non arbitraire, sécurité juridique. La Cour estime que ces qualités participent de la définition même de ce qu’est une « loi » au sens de la Convention.[73] Si la Cour estime devoir procéder de la sorte, et ainsi détailler les qualités de la « loi » au sens de la Convention, c’est précisément parce qu’elle considère que les exigences de qualité de la loi dérivent du principe d’État de droit ou de primauté du droit[74].
Cette position a été clairement affirmée dans l’affaire Malone. Le gouvernement anglais défendait la thèse inverse : celle de la limitation du contrôle de la Cour à un test ultra vires. La Cour européenne des droits de l’homme rejeta cette interprétation. Elle estime que « le membre de phrase « « prévue par la loi » ne se borne pas à renvoyer au droit interne, mais concerne aussi la qualité de la « loi »; il la veut compatible avec la prééminence du droit, mentionnée dans le préambule de la Convention »[75]. Pour la Cour, ceci implique aussi « que le droit interne doit offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par le paragraphe 1 ».[76] En l’espèce, il s’agissait de s’interroger sur la légalité d’interception de communications pour les besoins d’enquêtes de police. Dans ces cas, la Cour estime que « l’exigence de prévisibilité ne saurait signifier qu’il faille permettre à quelqu’un de prévoir si et quand ses communications risquent d’être interceptées par les autorités, afin qu’il puisse régler son comportement en conséquence » mais que « la loi doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à opérer pareille atteinte secrète, et virtuellement dangereuse, au droit au respect de la vie privée et de la correspondance ».[77]
II.III. L’existence d’une loi nationale et la doctrine de la 4ème instance
L’exigence d’une base légale dans le droit de la Convention européenne déploie une double dimension. En effet, il s’agit à la fois d’identifier s’il existe un fondement légal, du point de vue national, à l’ingérence dans les droits et libertés, mais également d’analyser les qualités de cette loi interne au regard d’exigences déduites du droit de la Convention, du point de vue du droit européen. La légalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme est donc un concept semi-autonome[78], dépendant de l’ordre juridique interne mais propre à l’ordre juridique de la Convention.
Dans sa jurisprudence, la Cour mobilise la notion de légalité à la fois dans des cas où les exigences d’accessibilité et de prévisibilité ou les autres qualités de la loi, ne sont pas rencontrées par la loi en cause, mais également, comme le souligne Geranne Lautenbach, dans des cas où la loi nationale n’a pas été respectée. Ce non-respect de la « loi » renvoie à différentes hypothèses : l’ingérence dans un des droits protégés se produit en l’absence de tout fondement légal ou jurisprudentiel ; l’ingérence se produit en violation d’une décision de justice[79]; l’ingérence se produit en violation d’une règlementation administrative ; l’ingérence se fonde sur une décision de justice qui ne respecte pas la loi au sens formel ; l’ingérence résulte d’une décision administrative qui ne respecte pas la loi au sens formel et/ou la jurisprudence ; l’ingérence résulte d’une loi ou d’une régulation administrative qui n’est pas conforme avec la Constitution ou encore l’ingérence se fonde sur une règle interne non conforme au droit de l’Union européenne.
Dans ses différentes hypothèses, l’appréciation par la Cour de la conformité à la loi pose la question de savoir si la Cour peut être considérée comme une instance ultime du contrôle de la légalité du point de vue national. La Cour a pu se montrer réticente à cette idée[80] mais sa jurisprudence a considérablement évolué sur la question de savoir « si le principe de légalité et de prééminence du droit n’exigent pas que la Cour européenne contrôle activement et strictement le respect des lois nationales »[81]. De manière générale, la Cour, à la suite de la Commission, estime désormais être compétente pour contrôler la légalité d’un point de vue interne, lorsque la Convention renvoie au droit interne, et, d’une certaine façon, l’ « incorpore ». Il est de son devoir de contrôler le respect de ce dernier.[82] Prudente, elle évite néanmoins de fonctionner comme une juridiction « de quatrième instance ». Elle estime devoir maintenir une certaine distance par rapport au contrôle de la loi nationale, répétant à l’envi « (…) qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne »[83]. Il s’agit donc pour la Cour de maintenir l’équilibre entre, d’une part, le contrôle effectif des droits humains et de l’exigence de l’État de droit et, d’autre part, la reconnaissance du rôle important des juridictions nationales dans l’interprétation du droit national, dans un contexte où se multiplient les appels à la subsidiarité.
Comme montre Geranne Lautenbach, l’analyse de la jurisprudence révèle que l’examen du respect des règles et procédures nationales par la Cour dépend fortement des arguments des parties et du comportement des différents acteurs au long de la procédure. Ainsi, dans l’affaire Assanidze, la Cour s’est sentie suffisamment soutenue pour déclarer la détention d’un individu comme étant contraire à l’État de droit, dès lors qu’il était maintenu en détention malgré une décision de justice non respectée, ce qui représente une violation manifeste et non contestée du principe de prééminence du droit.[84] Quand des juridictions internes contestent elles-mêmes la légalité des ingérences dans les droits, la Cour se sent d’autant plus à même de la remettre en question.[85]
De manière générale, la doctrine relève que, dans l’exercice d’équilibriste que nécessite le contrôle de l’existence d’une base légale en droit interne, la balance penche plutôt du côté de la subsidiarité, tant la Cour manifeste une large déférence envers l’appréciation des juridictions ou des acteurs nationaux pour interpréter la loi nationale. Dans certaines affaires, la dépendance de la Cour à l’appréciation des autorités nationales suscite d’ailleurs un certain malaise[86]. On mentionnera par exemple l’arrêt Bozano, dans lequel la Cour préfère ne pas trancher la question de la légalité de la détention pour conclure à son caractère arbitraire.[87] Dans l’affaire Merabishvili, la Grande Chambre a décidé de développer la question de l’abus et de l’excès de pouvoir et son lien avec la légalité. Appréciant la détention du requérant au regard de l’article 5, §1, la Cour se cantonne à un contrôle incident du respect du droit interne, évoquant un procès-verbal dont rien n’indique qu’il est « manifestement insuffisant au regard des exigences du droit géorgien »[88]. Elle retient que le tribunal « même brièvement » a examiné la régularité de l’arrestation et que, « faute de solides raisons pour le faire, la Cour ne peut s’écarter des conclusions auxquelles les autorités et juridictions nationales sont parvenues lorsqu’elles ont appliqué le droit interne ».[89] Quant à la question plus fondamentale de l’excès de pouvoir des autorités géorgiennes, la Grande Chambre va développer une approche très flexible des actes d’autorités publiques contestables au regard de leur légalité interne car poursuivant plusieurs objectifs dont certains sont inconventionnels. Alors que la Chambre avait décidé de manière lapidaire qu’une détention poursuivant un objectif déclaré et plusieurs objectifs secrets était arbitraire au regard de l’article 18 combiné à l’article 5, §1[90], la Grande Chambre préfère développer une théorie de la « pluralité des buts » pour interpréter l’article 18 sur la question de la légalité interne. De manière regrettable, la Grande Chambre admet ainsi que les autorités puissent poursuivre plusieurs objectifs, légitimes et illégitimes, dans les restrictions aux droits fondamentaux, pour autant que le but légitime soit « prédominant ».[91] En d’autres termes, la Cour se refuse à opérer un contrôle effectif de la légalité interne des restrictions, qui impliquerait nécessairement de s’interroger sur les finalités réellement poursuivies par une décision d’une autorité publique nationale, et de considérer comme illégale toute restriction reposant sur des motifs inconventionnels ou poursuivant une finalité inconventionnelle. Le risque est alors de se satisfaire d’un contrôle de façade de la légalité des restrictions aux droits fondamentaux, qui ampute au passage l’article 18 de la Convention du rôle que cette disposition devait jouer, selon les travaux préparatoires, dans la sauvegarde de l’État de droit et du contrôle de l’effectivité de la primauté du droit. Comme le souligne le juge Serghides dans son opinion concordante, une interprétation de l’article 18 « qui ne tient pas compte du but de l’article 18 – veiller à ce que la primauté du droit soit préservée en tout temps et par toute autorité – risque de mener à l’incertitude, à l’imprévisibilité et, au bout du compte, au chaos juridique et à l’anarchie ».[92] Pour le juge, « on ne peut sauvegarder la primauté du droit et les valeurs d’une société démocratique si la Cour admet de quelque façon que ce soit un abus de pouvoir. On ne peut affirmer que la primauté du droit est sauvegardée si celle-ci ne reste pas fondamentalement intacte en tout temps et si l’on permet qu’elle soit entaillée et entamée par un acte d’abus de pouvoir. L’arrêt n’explique pas comment il est possible de concilier un abus de pouvoir commis par une autorité avec la primauté du droit, le principe de légalité et les valeurs d’une société démocratique »[93]. En outre, le juge souligne l’incongruité qu’il y a à opérer un contrôle de proportionnalité au regard de la « prédominance » d’objectifs conventionnels et inconventionnels : « [l]e contrôle de proportionnalité requis par la Convention se fait uniquement entre, d’une part, un droit et, d’autre part, une restriction légale qui est nécessaire dans une société démocratique. La Convention n’exige pas que le contrôle de proportionnalité soit aussi appliqué entre une restriction légale et une restriction illégale, chose qu’aucune société démocratique ne pourrait admettre »[94].
La doctrine a pu, à juste titre, critiquer la Cour pour être trop déférente et hésitante dans son contrôle de la légalité interne et ceci même avant l’arrêt Merabischvili. Geranne Lautenbach invite ainsi la Cour à appliquer l’adage jura novit curia . Elle, suggérait, à juste titre, à la Cour de développer les pistes de l’arrêt de Chambre dans Kononov c. Lettonie, dans lequel la Cour estimait que lorsque « la Convention elle-même (…) se réfère expressément au droit interne (…) l’inobservation des dispositions nationales peut, à elle seule, entraîner une violation de la Convention ; dès lors, en vertu du principe jura novit curia, la Cour peut et doit exercer un contrôle pour rechercher si ces dispositions ont bien été respectées »[95]. Dans l’arrêt de Grande Chambre, la Cour ne se réfère pas à ce principe, mais admet que les pouvoirs d’évaluation de la légalité d’un point de vue national soient plus importants lorsque la Convention elle-même renvoie à l’existence d’une base légale.[96] A notre connaissance, la Cour n’a pas, dans sa jurisprudence ultérieure, approfondi la thèse d’un développement du principe jura novit curia pour assoir un contrôle de la légalité d’un point de vue national. Elle a néanmoins confirmé, dans une série de décisions concernant l’article 7, la conclusion de la Grande Chambre dans l’affaire Kononov.[97]
Il existe dans la jurisprudence récente une série de décisions dans lesquelles la Cour opère un contrôle de légalité d’un point de vue national, particulièrement dans des cas où l’ingérence dans les droits fondamentaux manquait manifestement et de manière flagrante de base légale. Ainsi en est-il dans une affaire italienne relative à la détention de migrants[98]. Dans Ben Faiza, la Cour fusionne la question de la clarté et de la précision d’un texte avec celle de l’existence d’une base légale, en refusant soigneusement de trancher cette dernière question.[99] Elle conclut que « l’imprécision de la loi française au moment des faits ne peut être compensée par la jurisprudence des juridictions internes » et que « le requérant n’a pas joui du degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique »[100].
La Cour est bien plus franche dans l’arrêt Big Brother Watch du 13 septembre 2018. Elle n’hésite pas à opérer un contrôle de la conformité d’une partie du Regulation of Investigatory Powers Act 2000 concernant l’acquisition de communications avec le droit de l’Union européenne, pour conclure à l’inexistence d’une base légale aux ingérences dans l’article 8 en raison du caractère non conforme du chapitre II du RIPA avec le droit européen. Le ton de la Cour et la généralité du propos laissent suggérer qu’elle se réserve dans certains cas le droit de mener un contrôle plus serré de la légalité interne : « No interference can be considered to be “in accordance with law” unless the decision occasioning it complies with the relevant domestic law. It is in the first place for the national authorities, notably the courts, to interpret and apply the domestic law: the national authorities are, in the nature of things, particularly qualified to settle issues arising in this connection. The Court cannot question the national courts’ interpretation, except in the event of flagrant non-observance or arbitrariness in the application of the domestic legislation in question »[101]. Concernant l’articulation entre droit européen et droit interne, la Cour constate l’incompatibilité de la législation britannique avec le droit européen, tel qu’interprété par la Cour de justice, qui n’autorise la détention de données que pour combattre la « criminalité sérieuse » et qu’à la condition d’un contrôle a priori par un organe indépendant.[102] Au terme de ce contrôle de légalité (au sens large) du droit anglais, la Cour estime que les ingérences prévues par la législation britanniques ne sont en conséquence pas « prévues par la loi » au sens de l’article 8 de la Convention, il y a une violation de cette dernière disposition.[103]
Il reste à espérer que ce jugement de Chambre ouvrira la voie vers une jurisprudence plus stricte sur la question de la légalité d’un point de vue interne. Il serait en effet intéressant que la Cour contrôle de manière plus effective, comme elle le suggère dans Big Brother Watch, qu’« [aucune ingérence ne peut être considérée comme étant « conforme à la loi » à moins que la décision qui en est à l’origine ne soit conforme au droit interne applicable ». L’on voudrait ici souligner qu’il ne s’agit pas de rejeter l’idée de subsidiarité, raison pour laquelle le contrôle de légalité du point de vue du droit interne est incident : « [il] appartient en premier lieu aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne : les autorités nationales sont, par nature, particulièrement compétentes pour régler les questions qui se posent à cet égard ».[104] Mais, la Cour doit revendiquer sa compétence de remettre en cause l’interprétation des juridictions nationales, en tout état de cause dans les cas « de non-respect flagrant ou d’arbitraire dans l’application de la législation nationale en cause »[105], afin de garantir des droits qui soient « concrets et effectifs » et d’éviter un contrôle trop superficiel de la compatibilité d’une mesure au droit interne, qui pourrait ouvrir grandes les portes de la « légalité de façade ». Ce contrôle de la légalité du point de vue interne est bien mené lorsqu’il s’agit de vérifier le respect de décisions de justice en droit interne ; il l’est moins lorsqu’est visée le non-respect de législations. Pourtant, si elle contrôlait plus sévèrement le respect de la législation en droit interne, la Cour ne pourrait prêter le flanc à la critique tirée du caractère non démocratique de son office : au contraire, il s’agirait pour la juridiction européenne de prendre au sérieux le travail et l’œuvre du pouvoir législatif et de le faire respecter, ce dernier étant pourvu de la légitimité démocratique du processus d’autodétermination collective.[106]
II.IV. Le contrôle de la qualité de la loi nationale
L’analyse des « qualités » de la loi est « l’élément central de la prééminence du droit dans le contexte de la Convention ».[107] Si la Cour conclut à l’existence d’une base légale en droit interne, elle examine ensuite si cette « loi » déploie certaines qualités. De manière générale, le contrôle européen des qualités de la loi est assez déférent vis-à-vis des ordres juridiques nationaux. Pourtant, à notre estime, un renforcement du contrôle des qualités de la loi renforcerait la démocratie au plan national, en particulier la démocratie parlementaire, sans s’exposer aux critiques tenant à l’illégitimité de la Cour à opérer des choix politiques. En effet, à nouveau, un contrôle plus serré des qualités de la loi revient finalement à renforcer les institutions qui président à l’autodétermination collective et qui sont en conséquence pourvues de la légitimité démocratique, à consolider les exigences de l’État de droit, condition nécessaire (mais pas suffisante) de la démocratie.
Première exigence : l’accessibilité de la loi. Elle postule que « le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné ».[108] Cette exigence est d’application relativement large dans la jurisprudence, mais on remarque que peu de constats de violation se fondent sur cette exigence.[109] L’approche de la Cour n’est pas formaliste ; dans certains cas, plutôt exceptionnels, la Cour a même pu considérer comme accessibles des règles techniques non publiées[110], dans d’autres, elle estime qu’une coutume internationale relative au droit de la guerre remplit l’exigence d’accessibilité, malgré l’absence de publication.[111] Si l’on peut comprendre les raisons pragmatiques de cette approche flexible, à nouveau, à notre estime, une telle prudence ne se justifie pas. Il y a un réel enjeu pour la Cour à opérer un contrôle plus strict de l’accessibilité des lois et de leur publication : la publicité des normes est en effet une garantie essentielle de l’État de droit et de la lutte contre l’arbitraire ; elle participe en outre à la légitimité démocratique des décisions.
Deuxième exigence : la prévisibilité de la loi. Cette dernière doit être suffisamment claire et précise « pour permettre à chaque individu de connaître les conséquences que la loi attache à ses actions et dans quelles conditions le gouvernement peut envisager des mesures qui affectent leurs droits ».[112] La Cour rappelle ainsi que l’on « ne peut considérer comme une ‘loi’ qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé ».[113] Ainsi la Cour exclut-elle en principe les applications rétroactives des lois et conteste-t-elle les incohérences législatives. La Cour applique ce critère avec flexibilité, reconnaissant « l’impossibilité d’arriver à une certitude absolue dans la rédaction des lois et le risque de voir le souci de certitude engendrer une rigidité excessive ».[114] Cette flexibilité n’a cependant pas amené la Cour à renoncer à un contrôle indépendant de celui réalisé au plan national[115]. Ceci amène parfois la Cour à développer un contrôle de la conformité de la loi en cause avec les exigences de la Convention qui peut s’avérer plus strict que celui qui a été opéré en droit interne, particulièrement dans tous les cas où le gouvernement est susceptible d’exercer un pouvoir discrétionnaire. Cette jurisprudence a suscité certaines critiques. Ainsi, dans les arrêts Kruslin et Huvig, le gouvernement français estime que « la Cour doit se garder « de juger dans l’abstrait de la conformité de la législation française à la Convention », tout comme de statuer de lege ferenda »[116]. La Cour a néanmoins fermement rejeté l’argument, considérant que, pour vérifier si une ingérence est « prévue par la loi », « il lui faut inévitablement apprécier, au regard des impératifs du principe fondamental de la prééminence du droit, la « loi » française en vigueur à l’époque dans le domaine considéré. Pareil examen implique par la force des choses un certain degré d’abstraction. Il n’en porte pas moins sur la « qualité » des normes juridiques nationales »[117] applicables en l’espèce.
L’exigence de prévisibilité peut varier selon les contextes. Dans le cadre des activités menées en secret par l’exécutif ou ses services, la Cour se montre plus stricte : il s’agit d’ « indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à opérer pareille atteinte secrète, et virtuellement dangereuse, au droit au respect de la vie privée et de la correspondance ».[118] Dans l’affaire Malone, la Cour établit que « [p]uisque l’application de mesures de surveillance secrète des communications échappe au contrôle des intéressés comme du public, la « loi » irait à l’encontre de la prééminence du droit si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites. En conséquence, elle doit définir l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante – compte tenu du but légitime poursuivi – pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire »[119]. Au fur et à mesure de sa jurisprudence, la Cour a développé six critères spécifiques précisant l’exigence de prévisibilité dans le contexte de l’interception de communications dans le cadre d’enquêtes criminelles.[120]
Troisième qualité de la loi : l’existence de contrôles juridictionnels. Comme Luc Heuschling a pu le montrer, l’exigence de légalité postule l’existence de contrôles de nature juridictionnelle.[121] La Cour fait très clairement dériver cette qualité particulière de la loi de la rule of law ou de la prééminence du droit. Ainsi, dans son arrêt Klass c. Allemagne, la Cour considère que le principe de prééminence du droit « implique, entre autres, qu’une ingérence de l’exécutif dans les droits d’un individu soit soumise à un contrôle efficace que doit normalement assurer, au moins en dernier ressort, le pouvoir judiciaire car il offre les meilleures garanties d’indépendance, d’impartialité et de procédure régulière »[122]. Mais la Cour n’est pas systématique dans la vérification de cette « qualité » de la loi. Elle rappelle l’importance de ces contrôles judiciaires particulièrement lorsque l’exécutif jouit de larges pouvoirs discrétionnaires.[123] Si, dans certains arrêts, la Cour ne vérifie pas le respect de cette exigence, dans d’autres, elle en contrôle le respect au titre de prolongement des principes d’accessibilité et de prévisibilité, comme par exemple dans sa jurisprudence relative à la détention administrative des demandeurs d’asile ou des étrangers.[124] Avec la doctrine, on remarquera que l’appréciation du respect de l’exigence de contrôles judiciaires développée dans le cadre du contrôle de légalité est moins stricte que celle qui porte sur le respect des garanties offertes à l’article 6 : l’exigence de légalité « requiert seulement une forme de procédure contradictoire devant une autorité indépendante ou une juridiction qui est compétente pour analyser la question de la légalité des mesures affectant les droits garantis par la Convention », et, en dernière instance, un contrôle par l’ordre judiciaire.[125]
Quatrième qualité de la loi : la non rétroactivité. Cette qualité jusqu’ici principalement retenue en matière criminelle est intimement connectée aux exigences de prévisibilité et d’accessibilité. La compréhension du principe de légalité par la Cour s’enrichit des dispositions de la Convention qui approfondissent certains aspects de ce principe. L’article 7 développe un principe de non rétroactivité en matière de droit pénal – on remarquera que la compréhension de la qualité de la loi dans le cadre de l’article 7 est, en retour, influencée par la conception de l’accessibilité et de la prévisibilité pour les autres articles de la Convention.[126]
Cinquièmement, la généralité de la loi, pour la Cour européenne, est un prolongement de l’exigence de prévisibilité, de la prééminence du droit, de l’égalité et de l’interdiction de toute discrimination.[127] Néanmoins, on doit constater que cette exigence de généralité n’est pas mobilisée très fréquemment dans le contrôle de la qualité de la loi[128], la Cour reconnaissant la difficulté du législateur. Certaines exceptions notables méritent toutefois d’être citées. Ainsi, dans l’arrêt Refah Partisi, la Cour européenne des droits de l’homme développe un raisonnement fondé sur le principe de l’égalité devant la loi, qui forme « la contrepartie procédurale » de l’exigence de généralité.[129] Cette absence de développements conséquents de l’exigence de généralité peut sans doute être partiellement expliquée par la tendance des législateurs à développer des lois de plus en plus précises, qui tentent de s’adapter à une société complexe, et cette tendance répond d’ailleurs en partie à l’exigence de prévisibilité.
Néanmoins, l’exigence de généralité gagnerait peut-être à être davantage développée à l’avenir afin d’éviter, une nouvelle fois, des légalités de façade, caractéristiques de certains régimes incompatibles avec une protection effective des droits fondamentaux et avec le maintien d’un État de droit démocratique. L’affaire Baka c. Hongrie est à cet égard emblématique, et représente un premier pas dans l’idée de développer une approche plus stricte de la généralité et de l’égalité devant la loi. Cet arrêt concerne la cessation du mandat de président de la Cour suprême hongroise du juge Baka, qui avait auparavant siégé à la Cour européenne des droits de l’homme. Son mandat s’était interrompu suite à l’adoption d’un ensemble de modifications constitutionnelles et législatives, consécutives à certaines déclarations publiques du juge Baka, faites dans le cadre de sa fonction de président de la Cour suprême au sujet des réformes du système judiciaire du gouvernement hongrois. Ces dispositions, qui visaient manifestement la situation spécifique du requérant, l’ont privé de son mandat mais également de toute possibilité de contestation devant une juridiction. L’arrêt de Grande Chambre révèle une volonté de développer une justification bien charpentée du constat de violation de la Convention auquel elle aboutit, souci bien compréhensible au vu du caractère sensible de l’affaire qui renvoie notamment à des questions de compatibilité entre des règles constitutionnelles et la Convention. Néanmoins, la Cour aurait pu, selon nous, s’arrêter à la question de la légalité des ingérences, qui aurait pu être plus développée. Dans un passage destiné à rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le gouvernement hongrois relative à l’écartement par la loi hongroise de la situation du requérant du champ d’application de l’article 6, la Cour affirme que « la prééminence du droit (…) commande notamment que toute ingérence dans l’exercice d’un droit soit en principe basée sur un instrument d’application générale » avant de rappeler la mise en garde de la Commission de Venise quant au cas concret du requérant.[130] Elle écarte donc la possibilité d’une exception relative à la non-applicabilité de l’article 6 au cas du requérant, estimant que la loi en cause « n’excluait pas clairement l’accès à un tribunal ».[131] Pour le surplus, elle refuse de tirer les conséquences de ce constat d’incompatibilité des nouvelles dispositions constitutionnelles et législatives avec le principe de l’État de droit, et refuse également de se prononcer de manière tout à fait claire sur la légalité de l’ingérence dans l’article 10, rappelant simplement qu’elle a « exprimé des doutes » « en ce qui concerne la nature individualisée de la législation en cause » « quant au point de savoir si cette législation était conforme à l’État de droit ». De manière étonnante, la Cour préfère partir du principe « que l’ingérence était « prévue par la loi » au sens du paragraphe 2 de l’article 10, la mesure litigieuse emportant en tout état de cause violation de cet article pour d’autres raisons ».[132]
II.V. Le contrôle de la qualité de la délibération ayant précédé l’adoption de la loi
Accessibilité, prévisibilité, non rétroactivité, contrôles juridictionnels et généralité comptent parmi les exigences classiques en matière de légalité[133], induites du texte de la Convention et d’une jurisprudence bien développée en matière de légalité. Mais ce ne sont pas là les seules qualités que la Cour recherche dans les lois au sens formel. A la faveur d’un mouvement plus général de procéduralisation du contrôle de proportionnalité[134], la Cour se montre désormais sensible à une toute autre caractéristique des lois formelles, liée à leur mode d’adoption spécifique : la délibération et le processus de justification publique des ingérences législatives. Peut-on considérer qu’une nouvelle « qualité de la loi » peut être identifiée lorsque la Cour européenne des droits de l’homme a égard, dans ses arrêts, à la qualité de la délibération ayant entouré l’adoption de la loi ou de la décision ?
En nous basant sur les travaux de Sébastien van Drooghenbroeck, Cecilia Rizcallah, Gregory Delannay, Christine Horevoets[135], d’une part, de Xavier Delgrange et Luc Detroux[136], d’autre part, nous pouvons épingler ici quelques cas emblématiques de cette importance conférée à la délibération parlementaire. Épinglons l’arrêt Hirst n°2, dans lequel la Grande Chambre concluait son analyse des travaux parlementaires en constatant que : « rien ne montre que le Parlement ait jamais cherché à peser les divers intérêts en présence ou à apprécier la proportionnalité d’une interdiction totale de voter visant les détenus condamnés (…) on ne saurait dire que les députés ont tenu un débat de fond sur le point de savoir s’il se justifiait toujours, à la lumière de la politique pénale moderne et des normes en vigueur en matière de droits de l’homme, d’appliquer une telle restriction générale au droit de vote des détenus »[137]. Cinq juges dissidents n’ont toutefois pas manqué de rappeler sèchement que « ce n’est pas à la Cour qu’il appartient de dire au législateur national comment il doit faire son travail »[138]. Ultérieurement, dans l’arrêt Animal Defenders International c. Royaume-Uni, la Cour apporte beaucoup d’attention aux débats parlementaires et aux différents contrôles et discussions ayant précédé l’interdiction de diffusion de messages politiques dans les médias, la Cour y soulignant que « Tous les organes spécialisés consultés ultérieurement sur ce projet de loi (…) se sont (….), déclarés favorables au maintien de l’interdiction et ont estimé que, même analysée à la lumière de l’arrêt VgT, celle-ci représentait une mesure générale proportionnée. Le Gouvernement, par l’intermédiaire du DCMS, a joué un rôle important dans ce débat, expliquant fréquemment et en détail les raisons qui justifiaient de maintenir l’interdiction et de la considérer comme proportionnée, allant même jusqu’à rendre public l’avis juridique qu’il avait sollicité sur la question (…). Le maintien de l’interdiction est donc l’aboutissement d’un examen exceptionnel, effectué par les organes parlementaires, de tous les aspects culturels, politiques et juridiques de cette mesure, qui s’inscrivait dans le cadre plus large de la réglementation de la liberté d’expression sur des sujets d’intérêt public à la radio et à la télévision au Royaume-Uni. Au cours de cet examen, tous les organes consultés ont estimé que l’interdiction litigieuse constituait une restriction nécessaire des droits garantis par l’article 10 »[139]. Dans un arrêt Bayev et autres c. Russie, la Cour affirme que « pour déterminer la proportionnalité d’une mesure générale, elle doit commencer par étudier les choix législatifs à l’origine de cette mesure, en tenant compte de la qualité de l’examen parlementaire et judiciaire de la nécessité de cette mesure ainsi que du risque d’abus que peut emporter l’assouplissement d’une mesure générale ».[140] Dans deux arrêts Belcacemi et Oussar c. Belgique et Dakir c. Belgique, rendus en date du 11 juillet 2017[141], la Cour procède également à une analyse des débats ayant précédé l’interdiction du port du voile intégral.[142]
Dans la jurisprudence de la Cour EDH, la délibération parlementaire n’est pas pour l’instant traitée comme une qualité de la loi. En effet, cette question de la qualité des délibérations n’est pas prise en compte dans la jurisprudence de la Cour au stade de l’analyse de la légalité de la mesure mais ultérieurement, dans l’appréciation de la proportionnalité de celle-ci, dans une logique de subsidiarité. Cette attention apportée à la qualité des procédures internes caractérise désormais la jurisprudence de la Cour : dans un certain nombre d’affaires, la Cour a égard à des considérations procédurales, au stade de l’analyse de la proportionnalité des ingérences et de la marge d’appréciation de l’État[143]. En outre, dès lors que la « loi » est définie dans un sens matériel, large, par la Cour ; cette dernière ne peut donc ériger en élément d’appréciation de la qualité de la loi la délibération parlementaire alors qu’elle sera introuvable pour un ensemble de « lois » au sens matériel du terme.
Il n’est pas question de revenir dans le cadre de cette contribution plus longuement sur le mouvement de procéduralisation du contrôle de proportionnalité, mais simplement d’envisager la relation entre celle-ci et le contrôle de légalité.
Premièrement, à la suite de Sébastien van Drooghenbroeck, Cecilia Rizcallah, Gregory Delannay et Christine Horevoets, on constatera que « au travers de cette démarche, la Cour européenne des droits de l’Homme fait du débat parlementaire de qualité un atout important dans la justification des mesures nationales apportées, alors que sa jurisprudence classique a refusé d’en faire une condition de validité à part entière desdites mesures. En d’autres mots : la « loi » visée par la Convention peut ne pas être une loi au sens formel, mais, en revêtant cette nature, et à la condition qu’elle résulte d’un débat mûr, profond et bien informé, elle accroît ses chances de passer la rampe du contrôle de conventionnalité ».[144] Bien entendu cependant, le constat de l’existence d’une délibération de qualité ne peut impliquer une présomption irréfragable de conformité[145]. La procéduralisation de la proportionnalité par l’attention portée aux débats parlementaires vient renforcer l’examen de la légalité, et donne une longueur d’avance aux lois formelles.
Deuxièmement, il y a, dans ce mouvement de procéduralisation qui favorise les lois formelles, en creux, potentiellement un renforcement des assemblées parlementaires, piliers de nos démocraties, par un juge que l’on accuse souvent de prendre la place du législateur. Rappelons que les assemblées parlementaires ont d’abord été pensées par rapport à l’idéal de la délibération des affaires publiques, qui constitue du reste aujourd’hui leur principale fonction. Ces assemblées parlementaires sont les seules instances pourvues de la légitimité démocratique nécessaire pour fonder cette délibération et les décisions qui en résultent ; la séparation des pouvoirs, qui organise juridiquement la formation de la volonté collective par un certain nombre de procédures, identifie ces assemblées comme l’organe clé de l’autodétermination collective.[146] Enfin, la discussion parlementaire permet – à tout le moins idéalement – de garantir un certain nombre d’éléments importants pour le fonctionnement démocratique de l’Etat : la recherche d’informations, la publicité, l’explicitation des positions et leur confrontation dans une arène publique, la recherche d’explication, la mise à l’agenda de certaines questions. A la lumière de ces considérations, il est intéressant de voir le juge, gardien de l’autodétermination individuelle, pourvu d’une légitimité démocratique substantielle en tant que protecteurs des droits fondamentaux, opérer un renvoi aux assemblées parlementaires, voire au législateur (qui fait souvent intervenir ces assemblées et le gouvernement). Un dialogue peut s’installer, si tant est que chaque acteur le prenne au sérieux. Il pourrait y avoir ici un cercle vertueux d’approfondissement de la démocratie nationale et de démocratisation du droit des droits de l’homme. La délibération est l’un des piliers d’une démocratie : que le droit de la Convention puisse constituer un levier favorisant cette délibération serait éminemment positif.
Troisièmement, pour qu’un tel cercle vertueux puisse se mettre en place, il faut éviter un examen superficiel de la délibération. Or, dans certaines affaires, comme Dakir et Belcacemi, l’examen mené par l’analyse de la Cour européenne des droits de l’Homme reste trop superficiel, au risque de produire des effets pervers et une moindre protection des droits et libertés.[147]
Quatrièmement, l’examen de la délibération et de la justification peut ne pas se limiter pas aux hémicycles parlementaires. Ainsi, dans une série d’arrêts, la Cour a égard à la qualité de la motivation développée par des juridictions. La délibération parlementaire est bien entendu fort différente de celle qui peut avoir lieu dans une procédure juridictionnelle. Néanmoins, on sait désormais qu’elle peut prolonger, approfondir, le débat démocratique qui s’est joué dans les assemblées parlementaires. On pourrait concevoir que la Cour recherche si une délibération de qualité a pu avoir lieu devant la juridiction, à l’aide d’un certain nombre de critères qui sont considérés comme des leviers d’une telle délibération.[148]
Conclusions
La Cour européenne des droits de l’homme participe indubitablement au respect du principe de l’État de droit, aujourd’hui menacé dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe. En ce qui concerne les déclinaisons procédurales de l’État de droit, on sait que la Cour protège avec vigueur l’indépendance du pouvoir judiciaire, au titre de l’article 6 de la Convention.[149] Elle exige qu’un certain nombre de recours juridictionnels soient garantis, et, à des degrés divers. Elle protège la séparation des pouvoirs. En ce qui concerne le volet substantiel de l’État de droit, il paraît évident que la Cour participe à la protection effective des droits fondamentaux dans l’espace européen.[150]
Sur le terrain de la légalité, troisième déclinaison procédurale des principes de l’État de droit, l’apport de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est moins évident, particulièrement pour ce qui concerne la loi au sens formel. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de développer particulièrement cette dimension de l’État de droit.
Premièrement, en ce qui concerne l’existence même d’une base légale, la Cour s’est montrée hésitante à garantir le respect de la législation dans les États membres, sa jurisprudence reste timide et incertaine quant au contrôle de légalité d’un point de vue interne, et ce même lorsque la Convention européenne des droits de l’homme renvoie très nettement à la législation nationale. La Cour refuse en outre de tirer toutes les conclusions de l’article 18 de la Convention dans les cas d’excès de pouvoir, et d’ainsi contrôler la légalité « interne de l’acte », sans se limiter à la légalité externe. La jurisprudence de la Cour manifeste ainsi une déférence à l’égard des autorités nationales sur la question de savoir s’il existe une base légale. Pourtant, la Cour censure systématiquement[151] – et à juste titre – les ingérences qui résultent d’un non-respect d’une décision judiciaire. Elle paraît donc plus encline à garantir la séparation fonctionnelle des pouvoirs lorsqu’il s’agit de garantir le respect des décisions de justice et proscrire toute forme d’empiètement des autres pouvoirs sur la fonction des juges que pour ce qui concerne le législateur. A notre estime, la Cour devrait pouvoir pointer, dans tous les cas, les insuffisances des lois, et opérer un contrôle strict de la légalité d’un point de vue interne et externe, sur la base du principe jura novit curia. Les États ne bénéficient pas, sur ce point, d’une marge d’appréciation.
Deuxièmement, la jurisprudence relative aux qualités de la loi reste incertaine et à géométrie variable. Si le contrôle de légalité est strict dans certains cas, notamment en lien avec les articles 5 et 7 de la Convention ou dans les cas de surveillance impliquant des violations du droit à la vie privée ou du droit à la protection des données personnelles, il est très lâche dans d’autres. Il y a également des incohérences dans la jurisprudence de la Cour, qui implique que cette dernière est parfois peu prévisible. Ainsi, par exemple, la Cour paraît parfois considérer que la prévisibilité est un élément de la légalité, mais dans d’autres cas elle paraît postuler qu’il s’agit là d’une question étrangère à la légalité. Quant au caractère non arbitraire, il est dans certains cas également examiné dans le cadre du test de légalité, parfois comme un élément extérieur.[152] Sur la question de l’existence de recours juridictionnels, et judiciaire en dernière instance, la jurisprudence est davantage constante ; néanmoins, le caractère strict du contrôle de la Cour peut varier.[153]
Troisièmement, la jurisprudence de la Cour relative à la légalité prête le flanc à la critique lorsqu’il y a confusion des tests de légalité et de proportionnalité. Une série de décisions procèdent à un tel mélange des genres qui affecte la cohérence et la clarté de la jurisprudence.[154] Dans d’autres décisions, même si la Cour situe adéquatement son raisonnement au plan de la légalité, le test auquel elle procède n’est pas adéquat, puisqu’il prend en compte des intérêts généraux, par exemple, et postule une certaine forme de balance des intérêts, et donc de proportionnalité, dans un test qui devrait relever de la mécanique procédurale (les principes de l’Etat de droit n’étant pas susceptibles d’une balance des intérêts).[155]
Quatrièmement, sur l’émergence du critère de la qualité des délibérations, situé au niveau du test de proportionnalité bien qu’il concerne avant tout une question de procédure liée à l’adoption de la loi, l’examen auquel procède la Cour emporte des conséquences positives en termes de revalorisation de la démocratie parlementaire, mais également son lot d’effets pervers lorsque la Cour se limite à un contrôle superficiel de la qualité des délibérations.
Cinquièmement, la conception matérielle de la « loi », explicable au regard de la diversité des ordres juridiques, peut amener la Cour à être très – voire trop – clémente par rapport au principe de légalité. On touche peut-être ici à l’une des limites du concept semi autonome de légalité : l’élasticité de l’interprétation de la Cour amoindrit la contribution de sa jurisprudence à la protection de l’État de droit. Dans certains cas, vu la convergence des ordres juridiques et l’évolution de la rule of law, n’y aurait-il pas moyen d’évoluer vers une conception formelle de la légalité, éventuellement enrichi de l’examen de la qualité de la délibération parlementaire, de sorte à mener un contrôle strict de la légalité interne et externe des ingérences, et, par-là, de renforcer la légitimité démocratique tant interne qu’européenne ?
Sixièmement, et dernièrement, on peut s’interroger, pour clore cette analyse, sur l’effectivité du contrôle de légalité opéré par la Cour européenne des droits de l’homme. L’exécution des arrêts de la Cour qui participent à la défense d’éléments essentiels de l’État de droit, dont la légalité, est devenue une problématique complexe. En effet, on doit constater qu’un certain nombre de décisions rendues par la Cour sur la question de la légalité ou des questions proches ne sont toujours pas exécutées. Un tel manque d’effectivité, s’il devait se confirmer, affaiblirait incontestablement la contribution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme aux principes de l’État de droit.
[1] J. Raz, « The rule of Law and its Virtue », The authority of law: Essays on law and morality, 1979, Oxford, OUP, pp. 210-230 et P. Craig, « Formal and substantive conceptions of the rule of law: an analytical framework », Public Law, 1997, pp. 467-487.
[2] K. Tuori, « L’État de droit », in Traité international de droit constitutionnel: Théorie de la Constitution, M. Troper, et D. Chagnollaud (dir.), Paris, Dalloz, 2012, p. 663.
[3] Ibid., p. 663.
[4] Ibid., p. 667.
[5] A. V. Dicey, Introduction to the study of the Law of the Constitution, 1958, accessible à http://files.libertyfund.org/files/1714/0125_Bk.pdf, pp. 200-201.
[6] Sur ce problème : J. Chevalier, « L’Etat de droit », Revue de droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1988, p. 345.
[7] C.-M. Pimentel, « De l’Etat de droit à l’Etat de jurisprudence ? », in La séparation des pouvoirs. Théorie contestée et pratique renouvelée, A. Pariente (dir.), Paris, Dalloz, p. 12.
[8] Ibid.,, p. 12.
[9] Voy. E. W. Böckenforde, “Grundrechte als Grundsatznormen”, Der Staat, Vol. 29, No. 1 (1990), pp. 1-31 91.
[10] Jean d’Aspremont, Formalism and the Sources of International Law: A Theory of the Ascertainment of Legal Rules, Oxford, Oxford University Press, 2011, et « The Politics of Deformalization in International Law », in Goettingen Journal of International Law 3 (2011) 2, pp. 503-550.
[11] M. Koskenniemi, “The effects of rights on legal culture”, The Politics of International Law, Oxford, Hart Publishing, 2011, p. 192.
[12] M. Koskenniemi, “Human rights, politics and love”, The Politics of International Law, op.cit., p. 203.
[13] M. Tushnet, “An Essay on Rights”, Texas Law Review, 1984, Vol. 62, 8, pp. 1363-1403.
[14] D. Kennedy, “The Critique of Rights in Critical Legal Studies”, in Left Legalism/ Left Critique, K. Halley, W. Brown (dir.), Durham, Duke University Press, 2002, pp. 178-227.
[15] C. Schmitt, « La Tyrannie des valeurs (ou Le chemin de l’enfer est pavé de valeurs) », Société, droit et religion, 2015/1, n°5, p. 5-20. On remarquera l’ironie dans le revirement de positionnement, dès lors Carl Schmitt lui-même a forgé la notion d’ « État de droit national socialiste », une conception pour le coup bien matérielle de l’Etat de droit et très éloignée de l’approche formelle des positivistes.
[16] On sait qu’une approche purement formelle de l’État de droit présente certaines lacunes, voire certains dangers, dès lors que dans l’exercice d’auto critique mené après la Seconde Guerre mondiale, « le positivisme étatique a souvent été accusé d’avoir préparé le terrain pour l’acceptation et la mise en œuvre du droit nazi par les juristes. Selon cette critique, les juristes avaient adopté les idéaux formels du positivisme juridique et considéraient par conséquent comme leur devoir de se soumettre, sans poser de question, aux prescriptions du droit national-socialiste ». D’où l’interprétation matérielle de l’État de droit dans l’Allemagne post Seconde Guerre mondiale. (cfr. K. Tuori, op.cit., p. 653).
[17] Opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque, Mursic c. Croatie, 20 octobre 2016, §24.
[18] G. Lautenbach, The concept of the rule of law and the European Court of Human Rights, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 35.
[19] T. Bingham. The Rule of Law, London, Allen Lane, Penguin Press, 2010. Voy. pour plus de développements sur l’origine de la rule of law en droit anglais: E. Carpano, État de droit et droits européens: l’évolution du modèle de l’Etat de droit dans le cadre de l’européanisation des systèmes juridiques, Paris, L’Harmattan 2005, pp. 42-44
[20] T. Bingham, op.cit.
[21] A. V. Dicey, Introduction to the study of the Law of the Constitution, 1958, accessible à http://files.libertyfund.org/files/1714/0125_Bk.pdf , pp. 107 et s.
[22] L. Fuller, Morality of Law, 1964,
[23] G. Lautenbach, op.cit., p. 25. et A. Dicey, op.cit., p. 195.
[24] K. Tuori., op.cit.
[25] K. Tuori., op.cit., p. 648.
[26] K. Tuori., op.cit., p. 651.
[27] H. Kelsen, 1970, p. 285, cité dans K. Tuori., op.cit., p. 651.
[28] BVerfE 30,1.
[29] « (1) La République fédérale d’Allemagne est un État fédéral démocratique et social.
(2) Tout pouvoir d’État émane du peuple. Le peuple l’exerce au moyen d’élections et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
(3) Le pouvoir législatif est lié par l’ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit.
(4) Tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser cet ordre, s’il n’y a pas d’autre remède possible ».
[30] K. Hesse, « Der Rechtsstaat im Verfassungssystem des Grundgesetzes », in M. Tohidipur (dir.), Der Bürgerliche Rechtsstaat, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1978, pp. 290-313, spéc. p. 295, cité dans J.-F. Delile, « L’État de droit dans les relations extérieures de l’Union européenne », Civitas Europa, vol. 37, no. 2, 2016, p. 47. On sait que cette approche mêlant approches formelles et matérielle fut sévèrement critiquée, notamment par Carl Schmitt, défendant, plus tardivement, comme on l’a rappelé, une approche exclusivement formelle de l’Etat de droit.
[31] G. Lautenbach, op.cit., p. 32.
[32] L. Duguit, L’État, le droit objectif et la loi positive, Paris, A. Fontemoing, 1901, p. 15.
[33] L. Heuschling, État de droit, Rechsstaat, Rule of Law, Paris, Dalloz, 2002, pp. 394-395.
[34] C. de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, Paris, 1920 1920, p. 492.
[35] C. de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, Paris, 1920, p. 492.
[36] E. Carpano, Etat de droit et droits européens, Paris, l’Harmattan, 2005.
[37] Voy. M. Lasser, Judicial Transformations; The Rights Revolution in the Courts of Europe, Oxford, Oxford University Press, 2009.
[38] G. Lautenbach, op.cit., p. 36.
[39] G. Lautenbach, op.cit., pp. 35-36.
[40] E. Carpano, op.cit.
[41] D’abord, la question de savoir si ces principes doivent être considérés comme ayant été remis en question par le développement de l’État Providence a été discutée dans les trois modèles. Une certaine doctrine publiciste d’après-guerre a ainsi estimé que ce dernier État Providence mettait en danger les idéaux de l’État de droit en minant les principes de généralité et d’abstraction des lois, en généralisant le recours à des procédés de délégation, à des procédés extra juridiques, à la privatisation de la production du droit. (J. J. Chevalier, « L’État de droit », Revue de droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1988, p. 371). Jacques Chevalier montre que la notion d’État de droit contient en germe une certaine conception du rôle limité de l’État, fortement remise en question par le développement de l’État providence (J J. Chevalier, op.cit., p. 371, 376-378). Aujourd’hui, dans les trois ordres juridiques d’où ont émergé ces notions, on constate une réflexion sur la mise en danger de la notion d’État de droit par « la privatisation et du transfert des activités publiques aux forces du marché », et donc de la réglementation de ces secteurs, trouve encore un grand écho dans la doctrine, qui considère qu’elle peut poser question au regard du principe de l’État de droit (K. Tuori, op.cit., p. 656.)
[42] J. Chevalier, op.cit.,p. 317.
[43] Ibid., p. 364.
[44] Ibid., p. 364.
[45] Ibid., p. 366.
[46] Ibid., p. 366.
[47] Voy. pour une excellente cartographie des problèmes posés par la proportionnalité au regard de la règle sur la prééminence du droit : G. Huscroft, B. Miller, & G. Webber (dir.), Proportionality and the Rule of Law: Rights, Justification, Reasoning, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.
[48] On peut alors retomber sur le vieux débat sur la compatibilité entre État Providence et droits sociaux. Cette critique n’est pas forcément très vigoureuse concernant le droit de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors que les droits sociaux n’y occupent qu’une place secondaire. A ce sujet, on remarquera qu’une partie de la doctrine critique des droits humains se fonde précisément sur cette impuissance des droits de l’homme à garantir effectivement une égalité substantielle (voy. S. Moyn, Not Enough, Harvard, Harvard University Press, 2018 ; N. Klein, The Shock Doctrine, New York, Metropolitan Books, 2007).
[49] Cour eur. dr. h., Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, §69.
[50] K. Tuori, op.cit. p. 668.
[51] E. Carpano, op.cit.
[52] On ne traitera néanmoins pas de la jurisprudence de la Cour de justice dans la présente contribution. Voir la contribution de Lauren Blatière dans ce dossier, « La protection évolutive de l’État de droit par la Cour de justice de l’Union européenne ».
[53] On reviendra brièvement néanmoins sur la question de l’effectivité des garanties des éléments formels et substantiels de l’État de droit dans la dernière partie.
[54] Voy. sur cet argument relative aux dimensions normative de l’état de droit, récemment : R. Stacey, « The Rule of Law Sold Short », 33 Const. Comment. 129 (2018), pp. 129-137.
[55] Ainsi, par exemple Christoph Grabenwarter, lorsqu’il aborde la question de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme renforçant le principe de l’État de droit, envisage surtout les jugements ayant développé les garanties juridictionnelles. (Voy. C. Granbenwarter, « The European Convention on Human Rights : Inherent Constitutional Tendencies and the Role of the European Court of Human Rights », in Constitutional Crisis in the European Constitutional Area. Theory, Law and Politics in Hungary and Romania, A. Von Bogdandy, P. Sonnevend (dir.),Oxford/ Portland, Hart Publishing, 2015, pp. 260-261).
[56] G. Lautenbach, op.cit.
[57] Commission internationale des juristes, Le Principe de la légalité dans une Société Libre. Rapport sur les travaux du Congrès international des juristes tenu à New Delhi (janvier 1959), Genève, 1959, p. 64
[58] Ibid.
[59] Commission internationale des juristes, Le Principe de la légalité dans une Société Libre. Rapport sur les travaux du Congrès international des juristes tenu à New Delhi (janvier 1959), Genève, 1959,, p. 60. Le texte se réfère notamment aux« gouvernements d’États européens animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit »
[60] Voy. Déclaration de Lodovico Benvenuti (Italie) lors de la première session de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 8 septembre 1949, Recueil des travaux préparatoires de la Convention européenne des droits de l’homme, vol. II, 1975, p. 137, cité dans Opinion concordante du juge Serghides, Cour eur. dr. H., Merabashvili c. Géorgie, 28 novembre 2017, § 70.
[61] Pour le juge Serghides, cette disposition « est une illustration émouvante de la rhétorique du « plus jamais » qui s’est développée après l’expérience effroyable de la Seconde Guerre mondiale. La genèse de la Convention a constitué une tentative de l’Europe pour faire face à un passé violent et garantir la non-répétition de l’expérience de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, l’article 18 représente une garantie contre le totalitarisme en Europe et il est le seul article de la Convention à encadrer la restriction des droits qui s’y trouvent consacrés » (Opinion concordante, op.cit.,§70).
[62] Le texte de l’article 5 stipule que « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légale ».
[63] Cour eur. dr. h. (GC), Mooren c. Allemagne, 9 juillet 2009, §76.
[64] Cour eur. dr. h., Ismoilov v. Russia, 24 avril 2008, §137.
[65] Voy. aussi Cour eur. dr. h. (GC), Assanidzé c. Géorgie, 8 avril 2004, § 171 ; Cour eur. dr. h., Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, §§39 et 45.
[66] Cour eur. dr. h., Merabashvili c. Géorgie, 28 novembre 2017, §186.
[67] Cour eur. dr. h., C.R. c. Royaume Uni, 22 novembre 1995, §32.
[68] Cour eur. dr. h., C.R. c. Royaume Uni, 22 novembre 1995, §33.
[69] Cour eur. dr. h., C.R. c. Royaume Uni, 22 novembre 1995, §34.
[70] Cour eur. dr. h., Streletz et a. c. Allemagne, 22 mars 2001, §87.
[71] Ibid., §88.
[72] Ibid., §88.
[73] Cour eur. dr. h., Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), 26 avril 1979, §49.
[74] Ibid. §49.
[75] Cour eur. dr. h., Malone c. Royaume Uni, 2 août 1984, §67.
[76] Ibid., §67
[77] Ibid., §67.
[78] O. Corten, « Le concept de Loi en droit international public et dans la Convention européenne des droits de l’homme », in L. J. Wintgens (dir.), Het wetsbegrip, Bruxelles, die Keure, 2003, pp. 111-139 p. 191.
[79] G. Lautenbach, op.cit., p. 79. Dans son arrêt Assanidze c. Géorgie, du 8 avril 2005, qui porte sur la détention d’une personne au mépris d’une décision judiciaire. La Cour y énonce que « [a]ux yeux de la Cour, la détention d’une personne pour une période indéterminée et imprévisible, sans que cette détention se fonde sur une disposition légale précise ou sur une décision judiciaire, est incompatible avec le principe de la sécurité juridique, revêt un caractère arbitraire et va à l’encontre des éléments fondamentaux de l’Etat de droit » (§175).
[80] Cour eur. dr. h. Garcia Ruiz v. Spain, 21 janvier 1999, §28.
[81] G. Lautenbach, op.cit., p. 80, traduction libre.
[82] G. Lautenbach, op.cit., p. 80. Voy. par exemple Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1974, §§45-46.
[83] Cour eur. dr. h., C.R. c. Royaume Uni, 22 novembre 1995, §40.
Voy. par exemple, dans l’arrêt Merabishvili c. Géorgie du 28 novembre 2017, §191 :
« Bien que ces questions concernent l’application du droit géorgien, la Cour est compétente pour les examiner. Ainsi qu’elle l’a déjà noté, lorsque la Convention renvoie au droit interne, comme elle le fait à l’article 5 § 1 c), la méconnaissance du droit entraîne celle de la Convention, de sorte que la Cour peut et doit déterminer si le droit interne a été respecté (voir, entre autres, Winterwerp, précité, § 46). Le pouvoir de la Cour à cet égard est toutefois intrinsèquement limité, car, même lorsque la Convention renvoie au droit interne, il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et d’appliquer celui-ci »
[84] Cour eur. dr. h. (GC), Assanidze c. Géorgie, 8 avril 2004, §174.
[85] G. Lautenbach, op.cit., p. 81.
[86] Voy. la jurisprudence citée et analysée dans G. Lautenbach, op.cit., pp. 81-83.
[87] Cour eur. dr. h., Bozano c. France, 18 décembre 1986, §§58-59.
[88] Cour eur. dr. h. (GC), arrêt Merabishvili c. Géorgie, 28 novembre 2017, §192.
[89] Ibid. ,§193.
[90] Ibid., §§106 et 107.
[91] Ibid., §§ 305, 307, 309, 318, 332 et 351-353.
[92] Opinion concordante du juge Serghides, arrêt Merabishvili c. Géorgie, 28 novembre 2017, §15. Voir également l’opinion concordante commune aux juges Ydkivska, Tsotsoria et Vhabovic.
[93] Ibid., §17.
[94] Ibid., §34. Selon le juge Serghides, les Etats membres sont non seulement « tenus en vertu de la Convention de respecter intégralement la primauté du droit : ils se doivent non seulement d’être dans la légalité, mais aussi de s’abstenir de ce qui est illégal » (§79).
[95] Cour eur. dr. h., arrêt Kononov c. Lettonie, 24 juillet 2008, §110
[96] Cour eur. dr. h., (GC), Kononov c. Lettonie, 17 mai 2010, §198 : « Toutefois, la Grande Chambre considère avec la chambre que la Cour doit jouir d’un pouvoir de contrôle plus large lorsque le droit protégé par une disposition de la Convention, en l’occurrence l’article 7, requiert l’existence d’une base légale pour l’infliction d’une condamnation et d’une peine. L’article 7 § 1 exige de la Cour qu’elle recherche si la condamnation du requérant reposait à l’époque sur une base légale. En particulier, elle doit s’assurer que le résultat auquel ont abouti les juridictions internes compétentes (condamnation pour crimes de guerre en vertu de l’article 68 § 3 de l’ancien code pénal) était en conformité avec l’article 7 de la Convention, peu important à cet égard qu’elle adopte une approche et un raisonnement juridiques différents de ceux développés par les juridictions internes. L’article 7 deviendrait sans objet si l’on accordait un pouvoir de contrôle moins large à la Cour. Aussi la Grande Chambre ne se prononcera-t-elle pas sur les diverses voies suivies par les juridictions internes inférieures, notamment celle empruntée par le tribunal régional de Latgale dans sa décision d’octobre 2003, sur laquelle le requérant s’appuie fortement, mais qui a été annulée par la division des affaires pénales. Il lui faut simplement déterminer si la décision rendue par la chambre des affaires pénales et confirmée par le sénat de la Cour suprême était compatible avec l’article 7 ».
[97] Voy. Cour eur. dr. h., Rohlena c. République tchèque, 27 janvier 2015, §§51-52 ; Cour eur. dr. h., Vasiliauskas c. Lituanie, 20 octobre 2015, §§ 161-162 ; Cour eur. dr. h., Contrada c. Italie, 14 avril 2015, §§62-63.
[98] Voy. par exemple : Cour eur. dr. h., Hlaifa et a. c. Italie, 15 décembre 2016, §§97-108.
[99] La Cour indique ainsi que « à supposer que l’article 81 du CPP ait pu constituer à lui seul une base légale à la géolocalisation », cette disposition n’était pas pourvue des qualités de la loi. Voy. Cour eur. dr. h., Ben Faiza c. France, 8 février 2018, §59.
[100] Cour eur. dr. h., Ben Faiza c. France, 8 février 2018, §60.
[101] Cour eur. dr. h., Big Brother Watch c. Royaume Uni, 13 septembre 2018, §465.
[102] Ibid., §§466 et 467.
[103] Ibid., §467.
[104] Ibid., §465.
[105] Ibid., §465.
[106] La question de savoir si, ce faisant, la Cour européenne des droits de l’homme ne deviendrait pas une juridiction constitutionnelle sort du champ d’analyse de cette contribution. Nous nous permettrons simplement de renvoyer à diverses réflexions théoriques abordant la Cour européenne des droits de l’homme comme une juridiction animée de tendances constitutionnelles inhérentes à sa fonction (Voy. notamment l’analyse et les différentes références dans C. Granbenwarter, op.cit., pp. 257-273).
[107] G. Lautenbach, op.cit., p. 79.
[108] Cour eur. dr. h., Malone c. Royaume Uni, 2 août 1984, §66.
[109] G. Lautenbach, op.cit., p. 87.
[110] Cour eur. dr. h., Groppera Radio Ag c. Suisse, 28 mars 1990, §35.
[111] Cour eur. dr. h. (GC), Kononov c. Lettonie, 17 mai 2010, §§ 237-238. La question de l’accessibilité se pose, au-delà de la coutume, avec acuité lorsque la « loi » résulte d’un croisement entre règle de hard law et de soft law.
[112] G. Lautenbach, op.cit.,p. 88, traduction libre.
[113] Cour eur. dr. h., Sunday times c. Royaume Uni, 26 avril 1979, § 49 ; Cour eur. dr. h., Silver et a. c. Royaume Uni, 25 mars 12983,§§ 87 et 88.
[114] Ibid., §88.
[115] Cour eur. dr. h. (GC), Korbely c. Hongrie, 19 septembre 2008 et Cour eur. dr. h., Maestri c. Italie, 17 février 2004.
[116] Cour eur. dr. h., Kruslin c. France, 24 avril 1990, §31.
[117] Cour eur. dr. h., Kruslin c. France, 24 avril 1990, §32 ; Cour eur. dr. h., Huvig c. France, 24 avril 1990, §§ 30-31.
[118] Cour eur. dr. h., Malone c. Royaume Uni, 2 août 1984, §49.
[119] Cour eur. dr. h., Malone c. Royaume Uni, 2 août 1984, §68.
[120] Voy. la présentation pédagogique dans Cour eur. dr. h., Big Brother Watch c. Royaume Uni, 13 septembre 2018, §§307 et s.
[121] L. Heuschling, Etat de droit. Rechsstaat. Rule of Law, Paris, Dalloz, 2002, p. 310.
[122] Cour eur. dr. h., Klass c. Allemagne, 6 septembre 1978, §55.
[123] G. Lautenbach, op.cit., p. 101.
[124] G. Lautenbach, op.cit., p. 102. Voy. Cour eur. dr. h., Amuur c. France, 25 juin 1996, §§ 50-53.
[125] G. Lautenbach, op.cit., p. 103 et références citées.
[126] Ibid. p. 106.
[127] Ibid., p. 112.
[128] Ibid., p. 112.
[129] Ibid., p. 112.
[130] Cour eur. dr. h. (G.C.), Baka c. Hongrie, 23 juin 2016, §117.
[131] Ibid., §118. La Cour développe la question soulevée au paragraphe 116 : « À la lumière de ces considérations, la Cour est d’avis que dans les circonstances particulières de l’espèce, elle doit déterminer si l’accès à un tribunal était exclu en droit interne non pas au moment où la mesure litigieuse concernant le requérant a été adoptée mais avant cela. Procéder autrement reviendrait à admettre que la mesure litigieuse elle-même, constitutive de l’ingérence alléguée dans le « droit » du requérant, pourrait en même temps former la base légale de l’impossibilité faite à l’intéressé d’accéder à un tribunal. Pareille approche ouvrirait la voie à des abus, car elle permettrait aux États contractants d’interdire l’accès à un tribunal relativement aux mesures individuelles prises à l’égard de leurs fonctionnaires, en incluant simplement ces mesures dans une disposition de loi ad hoc non soumise au contrôle juridictionnel ».
[132] Ibid., §154.
[133] On soulignera qu’il existe d’autres exigences, spécifiques à l’article 5. Voy. G. Lautenbach, op.cit., pp. 110-111.
[134] Lequel « consiste à tirer d’entre les lignes des dispositions conventionnelles garantissant des droits substantiels, une série d’impératifs procéduraux dont le respect conditionne la licéité des restrictions aux droits qu’elles consacrent ou des abstentions qui, sous leur visa, sont reprochées à l’État. Dans la perspective du mouvement procédural, c’est moins le fond des décisions qui importe, que la manière dont on a décidé, ou permis que la décision soit contestée ex post » (S. van Drooghenbroeck, C. Rizcallah, G. Delannay, C. Horevoets, « Le principe de la légalité des limitations aux droits et libertés », in L. Detroux, M. El Berhoumi, B. Lombaert,(dir.), L’exigence de légalité : un principe de la démocratie belge en péril ?, Bruxelles, Bruylant, à paraître).
[135] S. van Drooghenbroeck, C. Rizcallah, G. Delannay, C. Horevoets, op.cit..
[136] X. Delgrange, L. Detroux, in L. Detroux, M. El Berhoumi, B. Lombaert,(dir.), L’exigence de légalité : un principe de la démocratie belge en péril ?, Bruxelles, Bruylant, à paraître
[137] Cour eur. D.H. (GC), arrêt Hirst c. Royaume-Uni (n°2), 6 octobre 2005, § 79.
[138] Opinion dissidente commune jointe à l’arrêt Hirst c. Royaume-Uni (n°2) 6 octobre 2005 par les juges des juges Wildhaber, Costa, Jebens, Kovler et Lorenzen.
[139] Cour eur. dr. h. (GC), arrêt Animal Defenders International c. Royaume-Uni, 22 avril 2013, § 114.
[140] Cour eur. dr. h., arrêt Bayev et autres c. Russie, 20 juin 2017, § 63.
[141] Cour eur. dr. h., arrêt Belcacemi et Oussar c. Belgique, 11 juillet 2017 ; Cour eur. dr. h.., arrêt Dakir c. Belgique, 11 juillet 2017.
[142] Voy. X. Delgrange, L. Detroux, « L’exigence de légalité participe-t-elle effectivement à la protection des droits fondamentaux ? », in L. Detroux, M. El Berhoumi, B. Lombaert (dir.), L’exigence de légalité : un principe de la démocratie belge en péril ?, Bruxelles, Bruylant, à paraître.
[143] Ceci ne manque pas de poser une série de questions cruciales, notamment en termes de cohérence dans la jurisprudence de la Cour, que l’on ne peut aborder ici. Voy. sur ce mouvement de procéduralisation ou ce « tournant procédural » : N. Le Bonniec, La procéduralisation des droits substantiels par la Cour européenne des droits de l’Homme. Réflexion sur le contrôle juridictionnel des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme, Bruxelles, Larcier, 2017 ; E. Brems et J. Gerards (dir.), Procedural Review in European Fundamental Rights Cases, Cambridge University Press, 2017 ; O.M. Arnardóttir, “The “procedural turn” under the European Convention on Human Rights and presumptions of Convention compliance’, International Journal of Constitutional Law, 2017, pp. 9-35; P. Popelier et C. van de Heyning, ‘Subsidiarity Post-Brighton: Procedural Rationality as Answer?’, Leiden Journal of International Law 2017, pp. 5-23; L.M. Huijbers, “The European Court of Human Rights’ procedural approach in the age of subsidiarity”, Cambridge International Law Journal (6) 2017, pp. 177-2011; M. Saul, “The European Court of Human Rights’ Margin of Appreciation and the Processes of National Parliaments”, (2015) Human Rights Law Review, pp. 745-774H. Dumont et I. Hachez, « Repenser la souveraineté à la lumière du droit international des droits de l’homme ». in I. Riassetto, L. Heuschling, G. Ravaran (coord.), Liber amicorum Rusen Ergec, Pasicrisie luxembourgeoise: Luxembourg, 2017, pp. 135-137.
[144] S. van Drooghenbroeck, C. Rizcallah, G. Delannay, C. Horevoets, op.cit.
[145] S. van Drooghenbroeck, C. Rizcallah, G. Delannay, C. Horevoets, op.cit.
[146] C. Möllers, The Three Branches, op.cit., pp. 84-89.
[147] Voy. l’analyse de X. Delgrange et L. Detroux, op.cit. et Cour eur. dr. h., arrêt Belcacemi et Oussar c. Belgique, 11 juillet 2017 ; Cour eur. D.H., arrêt Dakir c. Belgique, 11 juillet 2017.
[148] Voy. mutatis mutandis pour un exemple: J. De Jaegere, J. Beyers, P. Popelier., « Exploring the Deliberative Performance of a Constitutional Court in a Consociational Political System. A Theoretical and Empirical Analysis of the Belgian Constitutional Court », https://ecpr.eu/Filestore/PaperProposal/1c16e505-e983-44c9-9935-8c573f521ab0.pdf , page visitée le 11 juin 2019.
[149] Avec les bouleversements majeurs dans des ordres juridiques : M. Lasser, op.cit.
[150] Néanmoins, on peut s’interroger sur la pertinence des paramètres des tests mobilisés à Strasbourg pour contrôler effectivement le respect des droits fondamentaux. Différentes réformes entreprises en matière de lutte antiterroriste ou de lutte contre l’immigration illégale s’inscrivent dans un contexte où de nombreuses mesures sont adoptées, qui, prises individuellement, pourraient ne pas susciter d’objections majeures mais qui, s’accumulant au fil des années, sont susceptibles d’entraîner des violations massives et systématiques des droits fondamentaux. On pose l’hypothèse que certains changements substantiels apportés au principe de l’Etat de droit, adoptés à un rythme suffisamment lent et de manière dispersée, peuvent échapper dans leurs effets globaux au contrôle des juridictions compétentes, en raison de certaines caractéristiques du test de proportionnalité et du régime des dérogations mais aussi de la politique jurisprudentielle de ces juridictions.
[151] Une exception : Cour eur. dr. h., M.K. c. Grèce, 1er mai 2018, qui a fait l’objet de deux opinions dissidentes très critiques sur cette question.
[152] Voy. G. Lautenbach, op.cit., pp.
[153] G. Lautenbach, op.cit., p. 18.
[154] Ibid., pp. 117 -120 et les références citées. On peut épingler ici : l’arrêt Sunday Times c. Royaume Uni du 26 avril 1979, où la Cour décide d’analyser légalité et proportionnalité ensemble (§76) ; l’arrêt Hirst c. Royaume Uni de Grande Chambre du 6 octobre 2005 et Bronowieski c. Pologne (GC) du 22 juin 2004, où la Cour élabore sa décision sur la question de la proportionnalité alors que la légalité était douteuse.
[155] G. Lautenbach, op.cit., p. 118. Voy. par exemple le cas emblématique de Cour eur. dr. h., Kennedy c. Royaume Uni, 18 mai 2010, §155 : « La Cour rappelle que le grief général formulé par le requérant contre les dispositions de la RIPA a donné lieu de sa part à un constat d’ingérence sur le terrain de l’article 8 § 1 mais non l’allégation de l’intéressé selon laquelle ses communications ont fait et font toujours l’objet d’interceptions. Il s’ensuit que, pour se prononcer sur la question de savoir si l’ingérence était justifiée au regard de l’article 8 § 2, la Cour devra examiner la proportionnalité du régime juridique instauré par la RIPA et les garanties inhérentes au système autorisant la surveillance secrète plutôt que celle de telle ou telle mesure touchant le requérant. Dans ces conditions, la question de la légalité de l’ingérence est étroitement liée à celle de savoir si le régime institué par la RIPA satisfait au critère de la « nécessité », raison pour laquelle la Cour doit examiner conjointement les critères de la « prévisibilité au regard de la loi » et de la « nécessité ». En outre, la Cour considère que les mesures de surveillance autorisées par la RIPA poursuivent manifestement un but légitime, à savoir la protection de la sécurité nationale, la prévention du crime et la sauvegarde du bien-être économique du pays » (nous soulignons).