Pour une rationalisation de l’indemnisation des privations indues de libertés
Les régimes actuels d’indemnisation des privations indues de liberté n’assurent ni l’égalité de traitement des différentes victimes, ni l’indemnisation intégrale des préjudices en résultant. Par conséquent, une condamnation de la France est à craindre, sur le fondement des articles 5§5 et 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Une unification des régimes s’impose donc, à travers, notamment, l’utilisation d’une nomenclature commune.
Manon Viglino, Doctorante contractuelle à l’Université Savoie Mont Blanc, CDPPOC EA 4143
« On blâme l’injustice, non par l’aversion qu’on a pour elle, mais pour le préjudice qu’on en reçoit »[1]. Lorsque « la justice, en tant qu’institution, n’a pas apporté de réponse adéquate ou parce qu’elle s’est trompée » [2], qu’une personne « a été privée de sa liberté à tort »[3], l’injustice résulte alors de « l’appréciation erronée d’une situation par un juge (…) gardien des libertés individuelles, donnant lieu à une décision elle-même fausse »[4]. Elle couvre tant la condamnation d’une personne innocente, que la violation des règles de procédure, tant le placement abusif en détention provisoire que sous le régime de l’hospitalisation sous contrainte. De manière générale, dans un contexte de croissance du nombre de mesures de privation de liberté[5], à défaut de pouvoir empêcher toute injustice, il faut à tout le moins indemniser correctement ceux qui en sont victimes.
L’État, au-delà de la reconnaissance de ces injustices, a en effet le devoir « de réparer équitablement le préjudice de tous ceux qui ont vu leurs vies impactées par des poursuites qui se sont finalement révélées injustes ou dénuées de fondement »[6]. Cette exigence émane notamment des articles 5§5, 6§1 et 8§2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Il convient de noter que la Cour européenne des droits de l’Homme retient une conception très large de la privation de liberté, et ne la limite pas à la détention[7]. Elle n’est pas tenue par les définitions posées en droit interne[8], et n’exclue ni les mesures très brèves[9] ni celles prises dans l’intérêt de leur destinataire[10]. Selon elle, « [p]our déterminer si un individu se trouve privé de sa liberté au sens de l’article 5, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée »[11].
Dès lors que la privation de liberté ne respecte pas les exigences posées par cet article[12], même si elle est conforme au droit interne[13], le droit national doit prévoir une procédure effective d’indemnisation[14], sans formalisme excessif[15]. À défaut, un droit à réparation est prévu par l’article 5§5 de la Convention. Et si, après épuisement des voies de recours interne, aucune indemnisation n’est allouée à la victime, la Cour pourra accorder une satisfaction équitable sur le fondement de l’article 41.
Des régimes ont été créés en droit interne pour indemniser les erreurs judiciaires, les détentions provisoires injustifiées, et les hospitalisations sous contrainte abusives. La création de tels régimes d’indemnisation doit bien évidemment être saluée. Toutefois, l’hétérogénéité des mécanismes et l’absence de prévisibilité des montants alloués ne peuvent qu’être regrettées, et il n’est donc pas certain que ces régimes satisfassent aux exigences posées par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Un risque de condamnation de la France existe ainsi, et une évolution de l’indemnisation de la privation indue de liberté s’impose.
Le maintien des différentes procédures d’indemnisation peut nuire à l’efficacité du système mis en place, et décourager nombre de victimes d’intenter une action pour obtenir réparation. L’ensemble des procédures gagnerait ainsi à être repensé afin d’assurer l’égalité entre les justiciables, l’indemnisation intégrale des victimes et par conséquent le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Le système actuel conduit en effet à une indemnisation complexe (I), et incomplète (II).
I. Une indemnisation complexe
L’indemnisation de la privation de liberté recouvre plusieurs réalités : une détention provisoire qui se révélerait, a posteriori, injustifiée, la condamnation d’un innocent, ou encore une hospitalisation sous contrainte abusive. Or, à chacune de ces situations correspond un régime qui lui est propre[16] et cette diversité de régimes nuit bien évidemment, tant à l’égalité entre les différentes victimes qu’à la cohérence même du système.
La détention provisoire. L’augmentation du recours à la détention provisoire amorcée en 2010 s’est accentuée depuis 2014, et le nombre de détentions provisoires de très longue durée ne diminue pas[17]. L’enjeu est donc important. La Commission de suivi de la détention provisoire estime qu’environ 1200 personnes par an pourraient demander une telle indemnisation[18]. Or, l’indemnisation des différents postes de préjudices supposera, la plupart du temps, une pluralité d’actions. L’article 149 du Code de procédure pénale prévoit un mécanisme dédié. S’il proclame que la réparation offerte est intégrale, elle se cantonne en réalité aux conséquences de la détention elle-même. Les préjudices résultant du rejet des demandes de mise en liberté ou des prolongations de détention devront être indemnisés sur le fondement de la responsabilité pour fonctionnement défectueux du service public de la justice[19]. Le préjudice moral résultant du retentissement médiatique de l’affaire et de la détention provisoire, quant à lui, ne pourra être indemnisé que sur le fondement de l’article 9-1 du Code civil.
La condamnation définitive de la personne innocente. Son indemnisation est prévue à l’article 626-1 du Code de procédure pénale et à l’article 3 du protocole 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Le régime instauré en droit interne diffère de celui prévu pour la détention provisoire. Il est en effet moins restrictif s’agissant des postes de préjudices et des victimes à indemniser, ce qui ne semble absolument pas justifié. Malgré la différence notable que représente la condamnation définitive intervenue, de nombreux postes de préjudices devront être indemnisés tant pour la détention provisoire que pour la condamnation définitive de la personne innocente. Un rapprochement de ces deux régimes d’indemnisation semble donc opportun.
Le fonctionnement défectueux du service public de la justice. La possibilité d’engager une action sur ce fondement est prévue à l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire disposant que « [l]’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ». Après avoir été définie comme celle « qui a été commise sous l’influence d’une erreur tellement grossière qu’un magistrat normalement soucieux de ses devoirs n’y eut pas été entraîné »[20], il est désormais admis que la faute lourde est caractérisée par « toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi »[21]. Cet élargissement est de nature à favoriser l’indemnisation, et pourtant, la brièveté des motivations comme la collégialité rendent la preuve d’une telle déficience malaisée.
Les hospitalisations sous contrainte. Le Code de la santé publique s’attache principalement, en cas d’irrégularité, au prononcé de la mainlevée de la mesure[22], mais une action en indemnisation est prévue à l’article L. 3216-1 alinéa 3[23]. Il s’agit d’une action en responsabilité contre l’autorité administrative[24] devant le Tribunal de Grande Instance[25]. L’indemnisation est automatique dès lors que la violation de la procédure a été judiciairement constatée. Toutefois, lorsque le caractère abusif de l’hospitalisation ne découle, non pas d’une violation de la procédure, mais d’une faute médicale, la preuve de cette faute, c’est-à-dire de l’erreur dans le diagnostic ou du caractère infondé de la mesure d’hospitalisation d’office, sera presque impossible à rapporter[26]. Coupés du monde extérieur, les patients hospitalisés ont des moyens d’information limités et se retrouvent, de fait, en position de faiblesse face aux médecins et à l’autorité administrative. Le contrôle judiciaire des mesures d’hospitalisation sous contrainte est récent[27], et relève de la compétence du Juge des Libertés et de la Détention[28]. En 2016, 13% des hospitalisations sous contrainte soumises à ce dernier ont donné lieu à une décision de mainlevée[29]. Or, d’un patient à un autre, les montants de l’indemnisation varient, parfois du simple au quadruple[30], les postes de préjudices n’étant pas précisément définis[31]. L’intervention judiciaire dans le milieu hospitalier doit donc être saluée, même si l’indemnisation des préjudices subis lors d’hospitalisations sous contrainte reste imparfaite.
L’égalité des victimes devant la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. L’article 14 de la Convention dispose que « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune (…) ». Des situations similaires doivent être traitées de manière égale. Or, l’indemnisation de la détention diffèrera en fonction du cadre de cette détention. S’il s’agit d’une détention provisoire, l’exigence de causalité encadrera plus strictement les postes de préjudices réparables[32]. Ces derniers devront être exclusivement causés par la détention provisoire[33] et seront interprétés de manière plus restrictive : la médiatisation des conditions de détention, le rejet des demandes de mise en liberté, des prolongations de la détention, des retards dans la procédure judiciaire ne seront pas indemnisés sur ce fondement[34]. La victime sera alors contrainte de multiplier les recours (sur le fondement du fonctionnement défectueux de la justice ou pour atteinte à la présomption d’innocence)[35], ou d’abandonner l’espoir d’une indemnisation intégrale. Le condamné reconnu innocent à la suite d’une révision pourra quant à lui obtenir l’indemnisation des « répercussions de la détention mais également celles de la condamnation »[36]. Le retentissement médiatique, qui peut tout aussi bien exister dans le cadre d’une détention provisoire, et ses conséquences seront cette fois inclus dans la réparation[37], le lien de causalité sera apprécié plus largement, une causalité exclusive n’étant pas exigée, et l’indemnisation des proches du condamné sera assurée[38]. Une distinction existe donc bien entre les différentes victimes de privations de liberté injustes, même lorsque les préjudices subis sont comparables, ce qui semble contraire à l’exigence posée par la Convention. Et cette distinction est d’autant plus critiquable que l’exigence d’une causalité exclusive avec la détention ne résulte d’aucun texte, et est étrangère aux règles de droit commun de la responsabilité civile qui n’exigent qu’un lien de causalité direct et certain.
Une simplification des différentes procédures, pouvant prendre la forme d’une unification du contentieux de l’indemnisation de la privation de liberté, favoriserait l’égalité entre les victimes et l’effectivité de l’indemnisation. Mais il convient également d’assurer l’indemnisation intégrale des victimes et d’améliorer l’évaluation des différents postes de préjudice afin d’assurer la conformité des régimes d’indemnisation aux exigences européennes.
II. Une indemnisation incomplète
L’indemnisation offerte par les différents régimes paraît à la fois insuffisante et inadaptée au regard de l’exigence de réparation intégrale.
L’exclusion du contrôle judiciaire et des autres mesures privatives de liberté. Le régime prévu pour l’indemnisation des détentions provisoires trouve son application limitée à cette seule mesure de liberté. Le contrôle judiciaire en est exclu. Il « ne suffit pas »[39]. S’il n’est évidemment pas aussi attentatoire aux libertés que la détention provisoire[40], le contrôle judiciaire emporte néanmoins diverses entraves, notamment à la liberté d’aller et venir[41], qui ne sont pas négligeables, sans compter les répercussions psychologiques de la mise en examen, et l’exposition médiatique qui peut en résulter. En outre, la Cour européenne des droits de l’Homme prend en compte, pour déterminer l’existence d’une privation de liberté : de l’intensité de la surveillance, du contrôle exercé sur les déplacements, du degré d’isolement et des occasions de contacts sociaux[42]. Le contrôle judiciaire pouvant répondre à ces différents critères, il apparaît donc nécessaire, lorsqu’il se révèle injustifié, de l’inclure dans un régime d’indemnisation.
La limitation aux cas de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. L’article 149 du Code de procédure pénale limite l’indemnisation aux cas : de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. Toutefois, cette restriction paraît inopportune, notamment au regard de l’article 5§5 de la Convention selon lequel « toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation ». Or, l’arrestation ou la détention peuvent être injustifiées au regard de la peine qui sera prononcée. Lorsque la peine d’emprisonnement est inférieure à la période de détention provisoire effectuée, ou lorsque le justiciable est condamné à une autre peine que l’emprisonnement, le refus de toute indemnisation apparaît incompréhensible[43]. Au regard de l’exigence posée, tant par les textes nationaux qu’internationaux[44], de la proportionnalité des peines[45] et malgré le rejet d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité en ce sens[46], il semble qu’une indemnisation doive être envisagée en cas d’absence de condamnation à une peine d’emprisonnement ferme, ou en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement ferme inférieure à la durée de la détention provisoire.
La limitation des postes de préjudice réparables. Certains postes de préjudices semblent exclus des régimes d’indemnisation applicables aux différentes hypothèses de privations indues de liberté. L’indemnisation est ainsi refusée s’agissant des atteintes à la vie privée[47] subies durant la détention ou l’hospitalisation sous contrainte, ainsi que des conséquences futures de la détention[48] ou de l’hospitalisation (difficultés pour la recherche d’emploi, difficultés pour fonder une famille après plusieurs années passées isolé de la société…)[49] . Par ailleurs, la médiatisation de la détention, et les éventuelles atteintes à la présomption d’innocence, ne sont pas non plus incluses dans le régime d’indemnisation de la détention provisoire[50]. Enfin, la Commission nationale de réparation des détentions ne semble pas admettre les préjudices par ricochet s’agissant de la détention provisoire « même si ces préjudices sont en relation avec la détention »[51] . La répercussion de la détention sur l’état de santé des proches ne sera prise en compte, par le juge, que pour apprécier le préjudice moral du demandeur[52]. Or, cela semble injustifié, car il est indéniable que la détention, même provisoire, a des répercussions sur les proches de la victime. Et cela est d’autant moins équitable que le régime d’indemnisation prévu pour les condamnations injustifiées admet, quant à lui, tant les victimes que les préjudices par ricochet.
L’évaluation des préjudices. L’évaluation du préjudice moral notamment soulève de nombreuses difficultés. Nul ne niera la souffrance ressentie par les victimes de ces différentes privations de liberté. Et il est indéniable que si une indemnisation s’envisage à leur égard, elle ne peut être limitée aux préjudices matériels au risque de laisser sans indemnisation nombre de victimes. Dès la première moitié du XIXe siècle, la question de l’indemnisation de la détention se posait, et ne se limitait en rien aux préjudices matériels : « Qui oserait dire que cette réputation, polluée par le seul souffle de l’accusation, que ces inquiétudes, ces soucis dévorants qu’elle entraîne avec elle, ne réclament aucun dédommagement ? »[53]. Mais comment évaluer cette souffrance ?[54] Comment déterminer son importance ?[55] Son évaluation actuelle semble contestable, en ce qu’elle apparaît non seulement trop restrictive quant aux éléments sur lesquels elle se fonde mais aussi insuffisamment individualisée[56].
Ne sont pas pris en compte, pour l’évaluation du préjudice moral, les « protestations d’innocence au cours de la procédure pénale comme le sentiment d’injustice éprouvé de n’être pas entendu »[57], une rupture[58], un divorce et la vente d’une maison à prix minoré[59], une tentative d’autolyse et une grève de la faim[60], faute, la plupart du temps, pour le lien de causalité d’être suffisamment étroit selon la Commission nationale de réparation des détentions. En outre, le refus de prendre en compte des lésions attestées par un certificat médical, et résultant, selon l’intéressé, de violences[61], ou des conditions d’incarcération dénoncées par des articles de presse sans document d’une autorité publique[62] paraît également critiquable en ce que la preuve des préjudices subis durant la détention s’avère extrêmement malaisée à rapporter. De plus, certains montants semblent très faibles par rapport aux circonstances relevées par la commission. Ainsi, une personne mariée, avec deux enfants mineurs à charge, gérant une société, sans le moindre antécédent judiciaire, arrêtée devant son épouse et ses enfants, et dont l’affaire a été médiatisée n’a perçu qu’une indemnisation de 1.000 euros au titre de son préjudice moral[63].
S’agissant du choc carcéral, il n’est pas défini par la commission. Il correspond à « l’effet que produit sur la conscience le brutal décalage entre l’existence du dehors et celle du dedans : la coupure d’avec les siens, la réduction de l’espace, la perte de l’intimité, la dépossession des biens, la confrontation avec un univers matériel contraint et souvent sordide, les ordres, le bruit, la solitude, la violence »[64]. Ce choc est éminemment subjectif, dépendra de chaque individu, et rien ne permet d’affirmer qu’il est systématiquement moins important à la seconde incarcération. En effet, les conditions de détention peuvent être très différentes (incarcération dans un quartier pour mineur puis dans un établissement pour majeurs notamment, gravité des faits reprochés laissant penser que la durée de l’incarcération va être importante…), et le choc sera plus ou moins intense selon la personne, son entourage, ses possibilités de réinsertion et son vécu. Or, la commission peine à l’admettre, posant comme principe que « l’indemnisation du préjudice moral doit tenir compte d’un choc carcéral majoré en l’état d’une première incarcération »[65], et qu’une incarcération antérieure « est de nature à minorer le choc carcéral ressenti »[66] alors que son évaluation mériterait d’être davantage individualisée.
Les frais de défense. Devant la Commission Nationale de Réparation de la Détention, « seuls peuvent donner lieu à indemnisation les frais d’avocat engagés et susceptibles d’être identifiés et individualisés comme se rapportant au contentieux de la détention »[67]. La commission réforme les décisions ayant déduit de la convention d’honoraire la part consacrée au contentieux de la liberté, ces frais n’étant, selon elle pas « directement et exclusivement liés à la détention subie » [68]. Or, exiger la précision, sur les conventions ou factures d’honoraires, de la part consacrée au contentieux de la détention provisoire ne permet pas de prendre en compte la réalité pénale qui est que la procédure forme un tout. La question de la détention provisoire est indivisible du fond du dossier. La Commission admet elle-même que lors d’une procédure de comparution immédiate notamment, « le contentieux de la liberté doit nécessairement être abordé »[69]. Il semble dès lors justifié d’admettre l’indemnisation des frais de défense en lien avec l’accusation, le contentieux de la détention n’apparaissant que comme sa conséquence. Il s’agit ici d’un obstacle supplémentaire à l’indemnisation, qui aboutira régulièrement à l’absence de réparation de ce préjudice, la facture d’honoraires omettant d’individualiser les sommes dues à raison du contentieux de la liberté.
L’importance d’une reconnaissance judiciaire. Au-delà de l’indemnisation purement pécuniaire, la procédure revêt un aspect psychologique très important. Il s’agit d’une véritable reconnaissance de l’erreur commise, et du statut de victime pour le justiciable qui a subi injustement cette privation de liberté[70]. En d’autres termes, « [c]e qu’un tribunal a fait, un autre tribunal doit le défaire »[71]. Et il appartient à ce tribunal de reconnaître l’intégralité des préjudices qui auront été subis. C’est cette reconnaissance, bien plus que le montant qui sera finalement alloué à la victime, qui lui permettra de se reconstruire. Loin d’être une réparation, il serait illusoire de prétendre compenser ce qui a été vécu par l’allocation d’une somme d’argent, c’est vers le rétablissement d’un certain équilibre que l’indemnisation doit tendre.
L’exigence d’une indemnisation intégrale selon la Cour européenne des droits de l’Homme. L’article 5§5 de la Convention ne limite pas l’indemnisation à celle des préjudices matériels. La Cour a déjà souligné, à plusieurs reprises, que le sentiment d’angoisse, d’anxiété, de tension ou de frustration ressenti par la victime devait également donner lieu à réparation[72]. En outre, le montant de l’indemnisation ne doit pas être négligeable[73] ou disproportionné par rapport à la gravité de la violation. Il ne doit pas non plus être nettement inférieur à ce qu’accorderait la Cour dans un cas similaire[74]. Enfin, le fait d’imposer un formalisme excessif s’agissant de la preuve du préjudice moral viole le droit à indemnisation reconnu par la Convention[75]. La Convention et l’interprétation qui en est donnée par la Cour visent donc non seulement à prévenir l’arbitraire, mais également à assurer l’indemnisation intégrale des différents préjudices subis par les victimes de privations injustes de liberté, ce que le système d’indemnisation actuel ne garantit pas.
Ainsi, alors que l’accès, pour la justice, aux milieux fermés que sont les hôpitaux et les prisons s’améliore, permettant une meilleure détection des différentes irrégularités, l’indemnisation de leurs conséquences, elle, n’évolue que trop peu. L’absence de cohérence, de vision d’ensemble, et le fractionnement des procédures aboutissent à la multiplication des actions, à de nombreuses disparités entre les victimes, nuisent à leur efficacité, sans garantir aucunement la réparation intégrale des préjudices subis par les victimes. L’issue pourrait être une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme, en raison du traitement inégal des différentes victimes et de l’absence de réparation intégrale. Ainsi, une harmonisation des actions en réparation en cas de privation de liberté indue s’impose, avec, dans un premier temps, l’utilisation d’un référentiel commun pour les postes de préjudices. La possibilité, pour les victimes de détentions provisoires ou de contrôles judiciaires injustes notamment, d’obtenir l’indemnisation tant des conséquences du fonctionnement défectueux du service public de la justice, que de la violation de leur vie privée et des répercussions de la mesure en cause au cours d’une seule action serait une avancée notable. Dans un objectif d’unification des procédures et d’égalité de traitement entre les justiciables, il serait également profitable que les recours, tant pour la détention provisoire, que pour les condamnations définitives ou les hospitalisations sous contrainte injustes, s’exercent auprès de l’actuelle Commission nationale de réparation des détentions. Cette dernière deviendrait alors une véritable commission d’indemnisation des privations injustes de liberté et veillerait au respect des législations nationales et supranationales. Enfin, une nomenclature des postes de préjudices réparables, sur le modèle de celle adoptée pour l’indemnisation du dommage corporel et qui lui serait complémentaire, permettrait de favoriser une indemnisation intégrale, compréhensible et claire, des conséquences de la privation indue de liberté.
PROPOSITION DE NOMENCLATURE POUR L’INDEMNISATION DES PRIVATIONS INDUES DE LIBERTÉ
[1] F. de LA ROCHEFOUCAULD, Réflexions, ou Sentences et maximes morales, textes de 1665 et de 1678 revus par Charles Royer, A. Lemerre, P.30, LXXXX
[2] D. LUCIANI-MIEN, Indemnisation des détentions provisoires abusives, AJ Pénal 2011, p.338
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Références statistiques justice de 2016, publiées en 2017, pp.16-18 et 27-29 (http://www.justice.gouv.fr/art_pix/stat_Chiffres%20Cl%E9s%202017.pdf)
[6] P. REVIRON, « L’incontournable unification de l’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires », AJ Pénal 2017, p.387
[7] CEDH, 6 nov. 1980, Affaire Guzzardi c. Italie, Req. n° 7367/76, §95
[8] CEDH, 5 oct. 2004, Affaire H.L. c. Royaume-Uni, Req. n°45508/99, §90
[9] CEDH, 7 janv. 2010, Affaire Rantsev c. Chypre et Russie, Req. n°25965/04, §317 ; CEDH, 23 sept. 2010, Affaire Iskandarov c. Russie, Req. n°17185/05, §140
[10] CEDH, 15 déc. 2016, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, Req n°16483/12, §71
[11] « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme en matière pénale. Les quatre saisons de la Cour : printemps-été 2010 1er avril 2010 – 30 septembre 2010 », Revue internationale de droit pénal 2010/3 (Vol. 81), pp. 633-671
[12] CEDH, 18 déc. 2002, Affaire N.C. c. Italie, Req. n°24952/94, §49 ; CEDH, 3 juin 2003, Affaire Pantea c. Roumanie, Req. n°33343/96, §262 ; CEDH 8 juil. 2004, Affaire Vachev c. Bulgarie, Req. n°42987/98, §78
[13] CEDH, 11 juil. 2006, Affaire Harkmann c. Estonie, Req. n°2192/03, §50
[14] CEDH, 15 oct. 2009, Affaire Dubovik c. Ukraine, Req. n°33210/07 et 41866/08, §74 ; CEDH, 18 janv. 2007, Affaire Chitaïev c. Russie, Req. n° 59334/00, §195
[15] CEDH, 2 sept. 2010, Affaire Danev c. Bulgarie, Req. n°9411/05 §§34-35
[16] A. LEPAGE, « Détention provisoire : pas de réparation du préjudice médiatique sur le fondement de l’article 149 du Code de procédure pénale », Communication Commerce électronique n°10, Octobre 2015, comm.83
[17] Références statistiques justice de 2016, publiées en 2017, pp.16-18 et 27-29 (http://www.justice.gouv.fr/art_pix/stat_Chiffres%20Cl%E9s%202017.pdf)
[18] Rapport 2017-2018 de la Commission de suivi de la détention provisoire, remis en mai 2018 au Ministère de la Justice, spéc. p.6 (http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rapport_csdp_2018.pdf)
[19] D. LUCIANI-MIEN, « Indemnisation des détention provisoires abusives », AJ Pénal 2011, p.338
[20] Cass. Civ. 1ère, 13 oct. 1953 ; Cass. Civ. 1ère, 10 juin 1999, n° 97-11780
[21] Cass. Ass. pl., 23 fév. 2001 (n° 99-16.165)
[22] Article L. 3216-1 du Code de la Santé Publique
[23] E. PECHILLON, « Hospitalisation jugée illégale et indemnisation des préjudices subis », Santé Mentale n°195, Février 2015
[24] TGI Paris, 8 février 2012, RG n°11/01631
[25] M.-L. MOQUET-ANGER, « Soins psychiatriques, garanties. Répartition du contentieux en matière de soins sous contrainte – mainlevée et contrôle de la régularité », JCP A n° 1, 9 Janvier 2017, 2001
[26] L. FRIOURET, « L’antagonisme entre les exigences médicales et juridiques révélé par les conséquences de l’irrégularité des soins forcés », L’information psychiatrique, vol. 91, n◦ 6 – Juin-Juillet 2015
[27] « L’extension du contrôle : le cas du milieu carcéral » – Étude Table-ronde présentée et animée par J.-P. DUBOIS avec la participation de M. PELEGRY, M. GUYOMAR et E. PÉCHILLON, JCP A n° 7, 15 Février 2010, 2065
[28] Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge
[29] Références statistiques justice de 2016, publiées en 2017, p.22
[30] Par exemple : TGI Versailles, 28 juin 2016, RG n°14/05224 (5.000 euros pour 19 jours) ; TGI Paris, 23 janv. 2013, RG n°11/13619 (20.000 euros pour 19 jours)
[31] J.-M. PANFILI, « Le Juge, l’avocat et les soins psychiatriques sans consentement : analyse de la jurisprudence depuis la loi du 5 juillet 2011 », publié sur le site du Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie (https://psychiatrie.crpa.asso.fr/), 19 octobre 2017, pp.45 à 47
[32] CNRD, 23 octobre 2006, n°06CRD022 exigeant un « lien direct et exclusif avec la détention »
[33] CNRD, 21 octobre 2005, n°04CRD010, Bull. crim. 2005, n°7 dans laquelle le requérant n’a pas été indemnisé pour la perte de son fonds de commerce, son état pathologique n’étant pas imputable de façon certaine et exclusive à la détention.
[34] CNRD, 20 février 2006, n° 05CRD007 ; CNRD, 31 mars 2006, n° 05CRD057, Bull. crim. 2006, n°6
[35] A. LEPAGE, « Détention provisoire : pas de réparation du préjudice médiatique sur le fondement de l’article 149 du Code de procédure pénale », Communication Commerce électronique n°10, Octobre 2015, comm.83
[36] CNRD, 11 juin 2004, n° 03CRD075
[37] Ibid.
[38] P. REVIRON, « L’incontournable unification de l’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires », AJ Pénal 2017, p.387
[39] A. GIUDICELLI, « L’indemnisation des personnes injustement détenues ou condamnées », RSC 1998. 13
[40] J.-M. DELARUE, « Continuité et discontinuité de la condition pénitentiaire », Revue du MAUSS, vol. 40, n°2, 2012, pp. 73-102.
[41] Article 138 du Code de procédure pénale
[42] CEDH, 26 fév. 2002, Affaire H.M. c. Suisse, Req. n°39187/98, §45 ; CEDH, 6 nov. 1980, Affaire Guzzardi c. Italie, Req. n°7367/76, §95 ; CEDH, 16 juin 2005, Affaire Storck c. Allemagne, Req. n°61603/00, §73
[43] D. LUCIANI-MIEN, « Indemnisation des détention provisoires abusives », AJ Pénal 2011, p.338
[44] Article 8 de la DDHC de 1789, loi n°2007-308 du 5 mars 2007, article 130-1 du Code pénal et article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne notamment.
[45] A. GUILMAIN, « Sur les traces du principe de proportionnalité : une esquisse généalogique », McGill Law Journal, Vol. 61, n°1, sept. 2015, pp. 87–137
[46] CNRD, 9 juillet 2014, n°14CRD024
[47] F. ROGUE, « Hospitalisation sans consentement irrégulière : pas d’atteinte en soi à la vie privée », LEFP juin 2018, p.2 ; Cass. 1ère civ., 11 avr. 2018, n°17-15294
[48] CA Nancy, 8 juill. 2015, n° 14/03293
[49] M. DELAHOUSSE, La chambre des innocents, Flammarion, 2017, pp. 15-17,
[50] CNRD, 24 janv. 2002 : Bull. crim. 2002, CNRD, n°4 ; CNRD, 5 déc. 2005, n°05CRD017, Bull. n°14
[51] CNRD, 5 avr. 2004, n°03CRD045
[52] CNRD, 6 févr. 2004, n°03CRD024 ; CNRD, 26 juin 2006, Bull. crim., n°9
[53] A. CHAUVEAU et H. FAUSTIN, Théorie du Code Pénal, Tome I, E Legrand et Descauriet, 1837, pp.286 et 287
[54] S. LAVRIC, « Commission nationale de réparation des détentions : rapport 2008 », D.2009.1679
[55] R. GOMA MACKOUNDI, « La réparation des préjudices nés de la détention provisoire et du placement sous contrôle judiciaire », AJ Pénal 2013, p.391 ; Écrits de J. CARBONNIER (1908-2003), textes et auditions rassemblées par R. VERDIER, PUF, 2008, pp. 804-808
[56] D.-N. COMMARET, « L’indemnisation de la détention provisoire », RSC 2001, p.117
[57] CNRD, 12 septembre 2017, n°16CRD058
[58] CNRD, 12 septembre 2017, n°16CRD056
[59] CNRD, 12 septembre 2017, n°16CRD061
[60] CNRD, 20 janvier 2014, n°13CRD021
[61] CNRD, 27 octobre 2014, n°14CRD012
[62] CNRD, 17 juin 2013, n°12CRD041
[63] CNRD, 10 novembre 2015, n°15CRD007
[64] J.-M. DELARUE, « Continuité et discontinuité de la condition pénitentiaire », Revue du MAUSS, vol. 40, n°2, 2012, pp. 73-102.
[65] CNRD, 12 juin 2018, n°17CRD059
[66] CNRD, 12 septembre 2017, n°16CRD059
[67] CNRD, 13 janvier 2015, n°14CRD034
[68] CNRD, 7 décembre 2009, n° 9CRD037, Bull. n° 7
[69] CNRD, 13 janvier 2015, n°14CRD034
[70] R. GOMA MACKOUNDI, « La réparation des préjudices nés de la détention provisoire et du placement sous contrôle judiciaire », AJ Pénal 2013, p.391
[71] D. SALAS, Erreurs judiciaires, Dalloz, 2015, p.175
[72] CEDH, 10 nov. 2015, Affaire Sahakyan c. Arménie, Req. n°66256/11, §29 ; CEDH, 15 mars 2018, Affaire Teymurazyan c. Arménie, Req. n°17521/09, §76
[73] CEDH, 27 nov. 1996, Affaire Cumber c. Royaume Uni, Req. n°28779/95
[74] CEDH, 17 mai 2011, Affaire Ganea c. Moldova, Req. n°2474/06, §30 ; CEDH, 27 sept. 2011, Affaire Cristina Boicenco c. Moldova, Req. n°25688/09, §43
[75] CEDH, 2 sept. 2010, Affaire Danev c. Bulgarie, Req. n°9411/05, §§34-3