« Unis autour de nos valeurs » : le Conseil de l’Europe incarne-t-il une communauté de valeurs ?
Frédérique Berrod, professeure en droit à Sciences Po Strasbourg
Mail : f.berrod@unistra.fr
Birte Wassenberg, professeure en histoire contemporaine à Sciences Po Strasbourg
Mail : Birte.wassenberg@unistra.fr
Introduction
« Unis autour de nos valeurs »1 – tel est le titre de la déclaration que les 46 États membres du Conseil de l’Europe adoptent lors du 4e Sommet du Conseil de l’Europe à Reykjavík les 16-17 mai 2023. Après l’expulsion de la Russie le 16 mars 2022, il n’est pas étonnant que cette déclaration donne une place centrale à la notion de « communauté de valeurs », de par la mise en exergue répétée de l’idée d’unité autour des valeurs. S’agit-il là d’un nouvel objectif pour l’Organisation européenne de Strasbourg ou est-ce plutôt le rappel d’un pilier sur lequel elle se fonde depuis le départ ? Cette contribution démontre à travers une approche croisée juridique-historique que le Conseil de l’Europe s’établit après la fin de la Deuxième guerre mondiale autour des valeurs partagées et que la Déclaration de Reykjavik marque en effet un retour aux origines, du moins du point de vue de l’image que le Conseil de l’Europe veut projeter de lui-même.
Le Conseil de l’Europe nait le 5 mai 1949 à Strasbourg, comme première organisation européenne qui vise à unifier les Européens autour d’une communauté des valeurs partagées de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme2. Le préambule du Statut de Londres signé par les dix États fondateurs3 explicite ces valeurs fondamentales comme « les valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable »4.
La capacité et la volonté de se conformer à ces valeurs constituent les conditions d’adhésion au Conseil de l’Europe, fixées par les articles 3 et 4 du Statut. Tout État candidat fait l’objet d’un examen préalable de compatibilité avec ces valeurs, de sorte à pouvoir rejoindre le « club des démocraties ». Dans un monde marqué par la Guerre froide depuis 1948 et par la construction d’un rideau de fer qui sépare l’Europe en deux blocs – le bloc libéral démocratique à l’Ouest et le bloc communiste à l’Est – ce « club des démocraties » est réservé, jusqu’à la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, à l’Europe occidentale. Les treize États qui se joignent jusqu’à cette date au Conseil de l’Europe5 ne posent, à cet égard, pas de difficultés majeures au moment de leur adhésion, renforçant ainsi la communauté des valeurs occidentales qui est par ailleurs étroitement liée aux Etats-Unis et à la notion d’un partenariat euro-atlantique. Un élément crucial pour « le club des démocraties » est également l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et à son mécanisme de contrôle, avec, à partir de 1959, la Cour européenne des droits de l’homme, qui permet de garantir par un mécanisme judiciaire le respect des engagements des États membres du Conseil de l’Europe en matière de protection de l’une des valeurs fondamentales du club, à savoir les droits de l’homme6.
Toutefois, la situation change au début des années 1990, après la chute du mur de Berlin et la fin de la Guerre froide, qui provoque une réorganisation de l’ordre international. De nouveaux régimes démocratiques émergent, d’abord en Europe centrale et orientale, puis après l’éclatement de l’URSS et de la Yougoslavie, également en Europe du Sud-Est et dans le Caucase. Le Conseil de l’Europe se voit donc rapidement confronté à d’importantes vagues de candidatures à l’adhésion, dont la recevabilité doit être examinée par rapport aux critères du « club des démocraties »7. Lorsque la Russie présente sa candidature le 7 mai 1992, un débat est alors lancé au sein de l’Assemblée parlementaire sur les « limites de l’Europe »8 qui inclut, entre autres, la question de la pertinence du concept de « club des démocraties ». Car, nombre d’États qui se présentent comme candidats au Conseil de l’Europe ne remplissent pas nécessairement les conditions d’adhésion en termes de niveau de protection de la communauté des valeurs. La question se pose alors de décider s’il vaut mieux préserver un « club des démocraties », au détriment d’une adhésion rapide de ces pays, ou alors s’il faut envisager le Conseil de l’Europe plutôt comme une « école de la démocratie » au sein de laquelle on peut apprendre progressivement le respect des valeurs fondamentales et devenir « de bons élèves » de la communauté des valeurs.
Dans cette contribution, il sera démontré comment le Conseil de l’Europe évolue d’une communauté des valeurs – un « club des démocraties » – vers « une école de la démocratie » jusqu’en 2009 (I) et comment, grâce aussi à la coopération avec l’Union européenne (UE), il vise ensuite à rétablir le « club des démocraties » (II). L’intitulé même de la Déclaration de Reykjavik « Unis autour de nos valeurs » marque alors le retour à l’origine d’une organisation européenne qui souhaite protéger une communauté de valeurs.
I – D’une communauté européenne comme « club des démocraties » vers une « école de la démocratie »
Lorsque le Conseil de l’Europe se met en place à Strasbourg durant l’été 1949, il existe une volonté manifeste de la part des fondateurs de créer une véritable communauté de valeurs européennes. Winston Churchill, alors chef de l’opposition au Royaume-Uni, s’exprime en ce sens devant la population alsacienne, le 12 août, sur la place Kleber à Strasbourg, depuis le balcon de l’Aubette : « l’idéal de justice, de droit et de liberté qui doit être l’idéal d’une Europe rénovée a été victorieux »9. Entre 1949 et 1989, le Conseil de l’Europe se consolide donc comme un « club des démocraties » qui s’élargit progressivement à toutes les démocraties de l’Europe occidentale (a). Ce n’est qu’après 1989, avec l’afflux des demandes d’accès des nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale, qu’une transformation vers une « école de la démocratie » s’opère et se renforce jusqu’en 2008, moment où la guerre entre la Russie et la Géorgie change la donne (b).
A- Le Conseil de l’Europe comme « club des démocraties occidentales » (1949-1989)
Dès le départ, le Conseil de l’Europe porte haut son rôle de protection des valeurs fondamentales du point de vue politique. Le discours d’ouverture prononcé le 10 août 1949 par Edouard Herriot en tant que président d’honneur de l’Assemblée consultative (aujourd’hui Assemblée parlementaire), met l’accent sur cette mission : « nous voulons simplement nous associer pour défendre les deux plus grandes acquisitions de la civilisation : la liberté et le droit »10. Les parlementaires souhaitent se positionner entre les deux blocs idéologiques pour défendre des valeurs communes : la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit. Le 11 août au matin, ceci est confirmé par Paul-Henri Spaak qui vient d’être élu comme président de l’Assemblée : il réaffirme les principes « de justice, de droit et de liberté » qui doivent constituer la base pour l’organisation européenne de Strasbourg11. Par la suite, le Conseil de l’Europe devient effectivement une communauté de valeurs, un « club des démocraties » qui s’élargit rapidement. Dès 1949, la Grèce adhère, suivie par la Turquie et l’Islande en 1950. L’adhésion de l’Allemagne fédérale est plus compliquée car elle se trouve encore sous l’occupation des Alliés, mais l’article 5 du Statut du Conseil de l’Europe permet à la jeune démocratie de se joindre en tant que membre associé en juillet 1950, avant de devenir membre de plein droit en 1951, suivie par l’Autriche en 1954.
Le « club des démocraties » est davantage renforcé lorsque, le 4 novembre 1950, la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) est ouverte à la signature et prévoit un mécanisme de contrôle juridictionnel pour surveiller plus particulièrement le respect de l’une des valeurs fondamentales, les droits de l’homme. La philosophie politique est exposée dans le préambule de ladite Convention : l’un des moyens pour atteindre une union étroite entre ses membres est « la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales »12. Après l’entrée en vigueur de la CEDH, la Commission des droits de l’homme est d’abord instaurée en 1954 pour assurer le respect des engagements des États membres et l’installation solennelle de la Cour européenne des droits de l’homme le 20 avril 1959 complète le mécanisme de contrôle, assurant le maintien du « club des démocraties » par un système régional sans égal dans le monde13. Les premières requêtes individuelles sont renvoyées à la Cour à partir de l’été 1957 et son premier arrêt, dans l’affaire Lawless contre Irlande, est rendu le 14 novembre 1960. Les outils pour une protection des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe sont donc en place.
Jusqu’en 1989, il n’y a que deux moments où cette communauté de valeurs est véritablement menacée : lors de la crise grecque en 1967 et lors de la crise turque en 1980. Les deux crises ne sont pas gérées de la même manière. Lorsque le 21 avril 1967 l’armée grecque prend le pouvoir par un coup d’État mené par les colonels, le Conseil de l’Europe réagit de manière ferme. Certes, le Comité des ministres décide dans un premier temps d’adopter une position « d’attentisme »14, mais il n’en va pas de même pour l’Assemblée parlementaire. Comme le gouvernement grec retire les droits de représentation des délégués grecs à l’Assemblée, cette dernière adopte, dès le 26 avril, une directive qui condamne les nouvelles autorités grecques pour avoir violé le Statut du Conseil de l’Europe. Cette démarche politique met l’accent sur la nécessité de veiller au maintien du « club des démocraties »15. Après l’envoi d’une lettre du nouveau gouvernement grec le 3 mai, laquelle informe le Conseil de l’Europe qu’il a suspendu l’application de certains articles de la Constitution hellénique, une question fondamentale se pose en effet : un régime non-démocratique a-t-il le droit de continuer d’appartenir au Conseil de l’Europe ? L’Assemblée donne sa réponse lors de sa séance du 26 septembre 1967 : puisqu’aucune évolution sensible dans le sens d’un retour à la démocratie n’est intervenue depuis le coup d’État en Grèce, sa Commission des questions politiques estime que toute violation des droits de l’homme exclut l’appartenance d’un État au Conseil de l’Europe16. Une résolution est adoptée en ce sens, envisageant l’éventualité d’une future suspension ou exclusion de la Grèce, en vertu de l’article 8 du Statut17. La décision va dans le sens d’un contrôle strict du respect de la communauté de valeurs au sein du « club des démocraties ». Lors de la session suivante, le 31 janvier 1968, l’Assemblée va plus loin en adoptant une résolution qui pose dans les faits un ultimatum au gouvernement grec. Le printemps 1969 est fixé comme date limite à laquelle un régime démocratique et parlementaire devrait à nouveau fonctionner en Grèce, faute de quoi l’Assemblée recommandera au Comité des ministres la suspension ou l’expulsion de la Grèce du Conseil de l’Europe18. Or, la Grèce ne fait aucun effort pour un retour à la démocratie et en septembre 1968 l’Assemblée décide qu’elle se prononcera lors de sa prochaine session sur le déclenchement d’une procédure d’exclusion19. Le 30 janvier 1969, le verdict est clair. Après le référendum grec sur la Constitution qui s’est déroulé sous le régime de la loi martiale et dont les résultats ont été manipulés, l’Assemblée recommande au Comité des ministres la suspension pure et simple de l’appartenance de la Grèce à l’Organisation20. Le Comité des ministres se réunit à Paris le 12 décembre 1969 et la menace d’une exclusion de la Grèce est imminente21. Or, avant qu’un vote ne puisse avoir lieu, le ministre grec Panayotis Pipinellis prend la parole et annonce le retrait de son pays de l’Organisation. Le Comité des ministres adopte alors une résolution qui suspend de facto le droit de représentation de la Grèce au Conseil de l’Europe22. Le « club des démocraties » est ainsi sauvegardé et il faut attendre le retour d’un régime démocratique pour que le Conseil de l’Europe révoque la suspension de la Grèce et la réadmette ainsi dans son club. En droit, ce sont les élections législatives grecques qui autorisent l’Assemblée à donner son feu vert pour un retour de la Grèce le 28 novembre 1974 dans l’hémicycle du Conseil de l’Europe23. Le gouvernement grec se déclare à nouveau lié par la CEDH et la Grèce peut ainsi réintégrer la communauté des valeurs le 22 janvier 197524.
Dans le cas de la crise turque en 1980, l’attitude de l’Assemblée est toute différente : elle est moins stricte sur le maintien de la communauté de valeurs que représente le « club des démocraties ». Le général Evren justifie le coup d’État devant le Secrétaire général du Conseil de l’Europe par « les graves menaces pesant sur la paix intérieure, la paralysie totale du régime démocratique, la situation qui mettait en danger les droits et les libertés fondamentaux dans le pays »25. Ce serait donc pour maintenir la démocratie que les militaires turcs seraient intervenus. Dans un premier temps, l’Assemblée parlementaire condamne les évènements. Le 1er octobre 1980, elle adopte une recommandation dans laquelle elle déclare que le régime non démocratique est incompatible avec le maintien de la Turquie au sein du Conseil de l’Europe. Elle rappelle donc au Comité des ministres qu’il est tenu d’agir si la Turquie ne rétablit pas les institutions démocratiques et prévient que, si rien n’est fait, elle sera obligée de lancer une procédure d’exclusion au titre de l’article 8 du Statut du Conseil de l’Europe26. Or, en ce qui concerne la délégation turque au sein de l’Assemblée, bien qu’elle ne soit plus représentative de la réalité politique du pays, l’Assemblée décide de ne pas remettre en cause ses pouvoirs pour la session en cours, c’est-à-dire jusqu’au 11 mai 198127. Une des raisons pour cette décision est probablement également de nature juridique car, avant 198528, la contestation des pouvoirs ne pouvait être fondée que sur des raisons procédurales liées à la composition des délégations29 et il se pose la question de savoir si l’Assemblée pouvait valablement suspendre les pouvoirs de la délégation turque en s’appuyant sur ce motif. Quoi qu’il en soi, contrairement à la crise grecque, l’Assemblée considère ici que le maintien de la participation turque à l’Assemblée pourrait être un moyen d’aider au retour de la Turquie à une « vie démocratique normale », une attitude qui traduit déjà la tentation d’envisager le Conseil de l’Europe comme une « école de la démocratie »30. Au printemps 1981, le gouvernement turc propose de renouveler le mandat de sa délégation pour le début de la session suivante. Pour convaincre l’Assemblée d’accepter cette demande, les autorités turques annoncent le rétablissement de la démocratie pour juin 1982, avec la mise en place d’une Assemblée constituante et la tenue d’élections législatives. Compte tenu de ces promesses, lorsque de Koster présente son rapport à l’Assemblée en mai 1981, il se prononce en faveur d’une reconduction du mandat de la délégation turque jusqu’au printemps 1982 et déconseille à l’Assemblée de prendre une action au titre de l’article 8 du Statut pour demander au Comité des Ministres l’exclusion de la Turquie31. In fine, l’Assemblée ne décide qu’en septembre 1983 de suspendre la participation de la délégation turque32. La volonté de maintenir le « club des démocraties » est alors affaiblie et la Turquie reste d’ailleurs représentée au Comité des ministres et membre du Conseil de l’Europe jusqu’au rétablissement de la démocratie en 1984. Le comportement de l’Assemblée pendant cette période de transition commence déjà à laisser penser que le Conseil de l’Europe est envisagé comme une « école de la démocratie » qui permet à des États « d’apprendre » de l’intérieur le respect des valeurs européennes partagées. Ceci fonctionne bien dans le cas de la Turquie : après les élections législatives du 6 novembre 1983, lorsque la situation politique s’améliore en Turquie, l’Assemblée accepte que les nouveaux délégués viennent siéger à sa session en mai 1984 pour « contribuer à l’adoption des mesures indispensables pour l’établissement d’une véritable démocratie en Turquie et d’un authentique respect des droits de l’homme »33. La délégation turque reprend ensuite rapidement sa place au sein de l’Assemblée et les relations entre le Conseil de l’Europe et la Turquie se normalisent.
Alors que l’idée de concevoir le Conseil de l’Europe comme une « école de la démocratie » reste une exception pendant la période de la Guerre froide, la question du choix fondamental entre « club des démocraties » et « école de la démocratie » se posera de plus en plus à partir des années 1990, quand les pays anciennement communistes présentent leur candidature à l’adhésion au Conseil de l’Europe.
B- Une organisation paneuropéenne qui devient une « école de la démocratie » (1990-2009)
Après la chute du mur de Berlin en novembre 1989, la levée du rideau de fer annonce la possibilité d’une réunification du continent européen et tous les regards se tournent vers le Conseil de l’Europe, qui semble l’organisation européenne la plus adaptée pour accueillir rapidement en son sein les nouvelles démocraties qui se constituent en Europe centrale et orientale34. Or, pour que ces pays rejoignent la communauté de valeurs du Conseil de l’Europe, ils doivent réussir leur transition démocratique, construire un État de droit et respecter les droits fondamentaux.
Dans un premier temps, le Conseil de l’Europe met en effet en place une série d’outils qui doivent contribuer au maintien de la communauté de valeurs en facilitant la démocratisation de l’ancien bloc communiste. Dès juin 1989, un nouveau statut d’invité spécial est créé, qui permet d’envisager l’adhésion au Conseil de l’Europe comme un processus évolutif au lieu d’un simple acte de garantie de conformité au Statut de l’Organisation35. Les parlements des pays communistes bénéficient donc déjà du statut d’invité spécial avant leur transition démocratique et peuvent assister aux débats de l’Assemblée parlementaire36. A partir de mi-novembre 1989, après le renversement des régimes communistes en Europe centrale et orientale et les premières candidatures officielles à l’adhésion de la Hongrie et de la Pologne, le Conseil de l’Europe met en place d’autres outils d’aide à l’intégration de la communauté de valeurs. Le 10 mars 1990, la Commission européenne pour la démocratie par le droit, connue sous la dénomination de « Commission de Venise », est ainsi constituée pour veiller à l’instauration de régimes compatibles avec l’État de droit37. Ensuite, des programmes « Démosthène » sont lancés pour favoriser la transition démocratique des pays candidats à l’adhésion38. Ils soutiennent notamment le bon fonctionnement des nouvelles institutions démocratiques, le développement d’une société civile, de médias libres et d’un système d’éducation et de formation de qualité39.
Or, ces outils ne suffisent pas pour maintenir les standards de protection des valeurs fondamentales du « club des démocraties ». Si les premières adhésions des pays d’Europe centrale et orientale ne posent pas de problème sur le fond40, le débat entre « club » ou « école de la démocratie » surgit surtout au moment de l’adhésion de la Roumanie, peu de temps avant le premier sommet des chefs d’État et de gouvernement qui se tient les 8 et 9 octobre 1993, à Vienne. Le débat de l’Assemblée parlementaire sur l’adhésion de la Roumanie a lieu le 28 septembre 1993. La pression politique qui pèse sur les parlementaires pour donner leur feu vert à l’adhésion avant le sommet est grande, car il s’agit de permettre à la Roumanie de participer à cet évènement en sa qualité de nouvel État membre. Mais le pays n’est pas prêt pour remplir les conditions d’accès en termes de respect des valeurs fondamentales41. Les trois rapporteurs en charge de la question à l’Assemblée donnent un avis négatif et soulignent que l’adhésion de la Roumanie ne saurait être envisagée dans l’immédiat au regard de la communauté de valeurs que représente le Conseil de l’Europe42. Le débat dure plus de trois heures et le dilemme des parlementaires ressort clairement des échanges. D’un côté, si l’admission est refusée, le pays ne sera pas encouragé à poursuivre ses réformes démocratiques et le Conseil de l’Europe pourrait être accusé d’être un « club exclusif » de la démocratie. De l’autre côté, admettre la Roumanie signifie un abaissement des valeurs européennes protégées par l’organisation. La solution de compromis consiste à admettre que le Conseil de l’Europe devienne une « école de la démocratie ». Il s’agit alors de donner un avis positif « sous condition », ce qui signifie « une adhésion sous surveillance », avec l’objectif de tendre à nouveau vers une communauté de valeurs partagées43. Le délégué autrichien, Walter Schwimmer, définit cette nouvelle politique d’admission de l’Assemblée comme une « avance de confiance »44. Celle-ci est censée encourager des réformes concrètes de la part du pays, qui doit ensuite se montrer digne de cette confiance et apprendre à être un « bon élève » au sein de « l’école de la démocratie ». Sur cette base, le 4 novembre 1993, le Comité des ministres peut alors inviter la Roumanie à devenir membre du Conseil de l’Europe et le pays signe l’instrument d’adhésion la veille du sommet de Vienne, le 7 octobre. Or, afin que le processus d’apprentissage de la communauté de valeurs puisse être poursuivi, l’Assemblée met en place un système de monitoring pour vérifier que la Roumanie répond effectivement aux exigences du « club des démocraties » et invite le Comité des ministres à faire de même. Du côté de l’Assemblée, le monitoring sera désormais enclenché après toute nouvelle adhésion d’un État au Conseil de l’Europe45. Ce dispositif est par ailleurs complété par un approfondissement des conditions d’adhésion annoncé lors du sommet de Vienne et qui consiste, par exemple, à exiger de tout État candidat de signer et ratifier la CEDH dans un délai imposé à l’avance au moment de l’adhésion au Conseil de l’Europe.
Malgré ces précautions pour que « l’école de la démocratie » ne mette pas en danger la communauté des valeurs, la question du choix entre un « club » et une « école de la démocratie » se pose à nouveau au moment du débat sur l’adhésion de la Russie, en 1996. Lorsque la Russie soumet sa candidature au Conseil de l’Europe, le Comité des ministres la transmet pour examen à l’Assemblée parlementaire, le 25 juin 1992, en l’accompagnant d’une résolution qui affirme qu’il existe « un consensus pour que la Fédération de Russie adhère à l’Organisation dès que les conditions requises par le statut seront satisfaites »46. C’est la première fois que le Comité des ministres appuie une candidature de cette manière pour que l’Assemblée parlementaire aille dans le sens de « l’école de la démocratie » et donne son feu vert pour l’adhésion. Dans un premier temps, l’Assemblée parlementaire semble suivre cette démarche. Elle arrive à la conclusion que les élections législatives russes de décembre 1993 ont été « libres et démocratiques »47. Mais la situation change ensuite. En octobre 1994, un rapport extrêmement critique est présenté à l’Assemblée, qui dénonce le non-respect des droits de l’homme ainsi que l’insuffisance du développement démocratique et qui affirme que la Russie « ne satisfait pas encore aux normes du Conseil de l’Europe »48. La guerre déclenchée en Tchétchénie par l’intervention militaire russe le 11 décembre 1994 conduit l’Assemblée parlementaire à prendre des mesures encore plus drastiques49. En effet, le 2 février 1995, elle adopte une résolution qui suspend la procédure d’adhésion de la Russie50. C’est un signal fort envoyé à la Russie, mais la suspension ne dure guère. Après l’accord de paix signé le 30 juillet 1995, et bien que la guerre en Tchétchénie ne soit pas terminée, les parlementaires votent une résolution le 26 septembre en faveur de la reprise des négociations51. Deux mois plus tard, le 30 novembre 1995, la Commission des questions politiques donne son accord de principe pour l’adhésion, sous réserve du bon déroulement des élections législatives du 17 décembre 199552. Le projet d’avis sur la Russie est débattu à l’Assemblée le 25 janvier 1996 et le débat est très vif. Le dilemme pour les parlementaires est le suivant : s’ils disent oui à la Russie, ils renoncent à la protection de la communauté de valeurs que représente le Conseil de l’Europe ; s’ils disent non, ils risquent de mettre en péril la stabilité démocratique et la sécurité en Europe. Finalement, ils votent en faveur de l’adhésion de la Russie, au nom de « l’école de la démocratie »53. Le 8 février 1996, sur la base de cet avis de l’Assemblée, le Comité des ministres invite la Russie à devenir membre.
Avec l’adhésion effective de la Russie le 28 février 1996, le Conseil de l’Europe n’est de facto plus un « club des démocraties » mais devient une « école de la démocratie », où il s’agit d’apprendre peu à peu, avant et après l’adhésion, à respecter les normes incarnant l’objectif d’une communauté de valeurs partagées54. Cette transformation ne se passe pas sans contestation. Ainsi, la Russie pose à nouveau problème pour « l’école de la démocratie » lorsque la deuxième guerre de Tchétchénie éclate le 1er octobre 199955. La réaction de l’Assemblée parlementaire est immédiate : le 6 avril, les parlementaires votent en faveur d’une suspension du droit de vote de la délégation russe56. C’est une décision audacieuse, car il s’agit de la première sanction prise par une organisation internationale contre la Russie concernant le conflit tchétchène. Cette décision est en outre accompagnée d’une recommandation adressée au Comité des ministres, lui demandant d’engager une procédure d’exclusion contre la Russie57. Mais ce dernier ne suit pas la voie suggérée par l’Assemblée. Au contraire, il rassure la Russie sur le fait qu’aucun texte sur la Tchétchénie ne sera adopté sans l’aval de celle-ci et exclut ainsi d’avance toute possibilité de sanction. Le Comité des ministres continue ainsi dans la voie de « l’école de la démocratie ».
De même, lorsque les trois États du Caucase posent leur candidature à l’adhésion au Conseil de l’Europe, la menace qui pèse sur la communauté de valeurs est à nouveau mise sur la table : en acceptant ces candidatures, le Conseil de l’Europe ne risque-t-il pas de compromettre ces valeurs sous prétexte d’être « l’école de la démocratie » ? Ainsi, par exemple, lors du débat de l’Assemblée sur l’adhésion de la Géorgie le 27 janvier 1999, les deux rapporteurs se prononcent, certes, en faveur de l’adhésion, mais l’avis positif de l’Assemblée est assorti de la liste la plus exigeante jamais établie jusque-là de conditions à remplir pour un État candidat58. Il en est de même concernant les deux autres États du Caucase, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Le débat sur leur adhésion, qui a lieu le 28 juin 2000, est marqué par leur conflit armé dans l’enclave ethnique du Haut-Karabagh en Azerbaïdjan. Comme pour la Géorgie, les conditions imposées pour l’adhésion sont nombreuses et détaillées et comportent aussi un appel aux responsables de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie à poursuivre leur dialogue en vue d’aboutir à une solution pacifique du conflit du Haut-Karabagh59. Pour les trois républiques caucasiennes, le Conseil de l’Europe impose une procédure stricte de suivi des engagements, pour éviter un écart trop important par rapport au « club des démocraties ». Mais le monitoring du Caucase n’est pas sans poser problème par la suite, notamment au moment du conflit qui oppose la Géorgie à l’Ossétie du Sud et à la Russie en 2008. En effet, les deux États s’accusent mutuellement d’être à l’origine des violations des valeurs fondamentales et refusent de suivre les recommandations des instances de monitoring au Conseil en exigeant que l’autre partie impliquée dans le conflit remédie à la situation. Ainsi, à partir de 2008, la voie de « l’école de la démocratie » ne semble plus adaptée aux réalités géopolitiques, car les outils de monitoring et de médiation de conflits dont dispose le Conseil de l’Europe ne sont plus efficaces.
Pour autant, la période de 2009 à nos jours ne signe pas un simple retour au « club des démocraties ». Le débat se focalise, à partir de ce moment-là, sur un partenariat stratégique entre l’UE et le Conseil de l’Europe pour protéger ensemble les valeurs européennes. Cette coopération aboutit en fait, puis en droit, à la défense d’une communauté de valeurs qui fait de l’Europe une zone d’alliance politique entre les démocraties, affichée comme telle par les deux organisations européennes lors du 4e sommet du Conseil de l’Europe.
II – D’une « école de la démocratie » à une communauté de valeurs partagée avec l’UE
L’UE et le Conseil de l’Europe cohabitent depuis 1957, avec la création de la Communauté économique européenne (CEE), dans un esprit mêlant concurrence et coopération60. La question de la communauté de valeurs renvoie au départ à un patrimoine commun à défendre, dans une logique économique pour la CEE, et politique pour le Conseil de l’Europe. Le fait que des États puissent être membres du Conseil de l’Europe mais pas de l’UE (comme la Turquie ou la Russie et les anciennes républiques soviétiques) et que cette dernière passe de 6 États fondateurs à 28 États membres, tous membres du Conseil de l’Europe, brouille ce premier partage des tâches. Les deux organisations s’ignorent, se concurrencent et se renforcent mutuellement, pour finir par signer, en 2007, un Mémorandum d’accord entre le Conseil de l’Europe et l’UE (ci-après MoU pour Memorandum of Understanding).
La convergence ainsi organisée des systèmes de protection de la démocratie et des droits humains fondamentaux nécessite d’autres mécanismes informels et formels entre les deux organisations européennes pour aboutir à une véritable coopération renforcée. Elle fait naître un tissu conjonctif de valeurs européennes (a) qui solidifie la communauté de valeurs partagées affirmée dans la Déclaration de Reykjavik (b).
A- La co-construction d’un tissu conjonctif de valeurs européennes communes depuis 2009
Le Larousse précise que chez l’homme, « les tissus conjonctifs servent de soutien aux autres tissus du corps, assurant leur nutrition et participant aux mécanismes de défense immunitaire de l’organisme »61. C’est ce sens que nous allons retenir pour caractériser la circulation des valeurs entre le droit de l’Union et celui du Conseil de l’Europe.
La communauté de valeurs est, comme on l’a vu, l’armature de soutien du Conseil de l’Europe. Il n’en est pas de même pour l’UE, qui repose à l’origine sur une matrice d’intégration économique. La concurrence entre les deux organisations se complexifie dès lors que l’intégration économique induite par la Communauté économique européenne (CEE) rencontre les droits de l’homme, au premier rang desquels le droit de propriété62. Se pose alors la question de savoir si la protection de ces droits suppose pour la CEE, puis pour l’UE, de concevoir en son sein un catalogue spécifique de droits ou de garantir les droits fondamentaux par un renvoi à la protection assurée par la Cour européenne des droits de l’homme. D’une situation de séparation, on passe à des logiques de coopération qui sont tout à la fois le produit d’une nécessité pratique et d’une priorité politique, au fur et à mesure des attaques contre le concept de démocratie libérale. Et cette logique de coopération se cristallise autour d’un tissu conjonctif de valeurs européennes à protéger ensemble par les deux organisations européennes.
L’UE apprivoise ainsi progressivement l’impératif de protection d’une communauté de valeurs par la nécessité d’assurer un équilibre entre intégration économique et protection des droits fondamentaux. Elle utilise les potentialités offertes par le dialogue des juges pour incorporer, de manière opportuniste, la protection assurée par la CEDH. Elle se pose formellement la question de l’adhésion à la CEDH, espoir douché par les avis de la Cour de justice de l’UE (CJUE) en 199663, puis en 201464. Entre temps, elle a développé une Charte des droits fondamentaux de l’UE, qui acquiert force obligatoire, au même rang que le droit primaire, avec le traité de Lisbonne. Cela permet aux juges nationaux et à la CJUE de sanctionner toute violation de la Charte, dans le domaine d’application des règles de l’UE. Signé en 2007 (il entrera en vigueur en 2009 seulement), le traité de Lisbonne permet ainsi à l’Union de déployer des outils pour appliquer et renforcer la protection des droits humains fondamentaux dans son propre système de droit. Par exemple, un règlement en 2007 créé l’Agence des droits fondamentaux de l’UE, dont la mission est de développer la culture des droits fondamentaux dans l’Europe « communautaire ». Ainsi, l’UE met également de plus en plus en exergue une communauté de valeurs européennes, tout comme le Conseil de l’Europe.
Or, l’Agence des droits fondamentaux est d’abord considérée comme un doublon dangereux par le Conseil de l’Europe, ce qui renforce la concurrence entre les deux systèmes, du moins dans un premier temps65. De surcroit, en parallèle de cette évolution, avec l’élargissement de l’UE à l’Est en 2005-2007, le Conseil de l’Europe perd son caractère de « grande Europe ». Pour se positionner en complémentarité par rapport à l’UE, il concentre alors petit à petit son action sur la protection de la communauté de valeurs européennes, autour des trois grands thèmes : la démocratie, l’État de droit et les droits humains66. La Cour européenne des droits de l’homme joue un rôle clé dans ce dispositif, ce qui implique d’en protéger la fonction, comme cour qui établit les standards de protection des droits et des libertés à l’aune de la CEDH. Or, ceci suppose de plus en plus une coopération étroite avec l’UE. La CourEDH ayant peu à peu réussi à s’imposer aux cours constitutionnelles nationales, elle doit le faire aussi vis-à-vis de la CJUE. D’où l’idée de l’adhésion de l’UE à la CEDH et la soumission de droit de la CJUE à la Cour européenne des droits de l’homme, travaillée par le Conseil de l’Europe dès le début des années 200067. Avant même cette adhésion formelle, le MoU contient un principe d’organisation entre les deux sources de droits fondamentaux : « L’Union européenne considère le Conseil de l’Europe comme la source paneuropéenne de référence en matière de droits de l’homme »68. Le principe d’une protection commune de la communauté européenne de valeurs est ainsi posé.
La prééminence du Conseil de l’Europe en matière de protection des droits de l’homme permet désormais à chaque organisation de développer son expertise, en prenant le travail du Conseil de l’Europe comme base de référence de l’interprétation des instruments de protection des droits humains. De telles références croisées sont par exemple évidentes dans la Convention européenne de Lanzarote du Conseil de l’Europe de 200769 et la directive européenne de 2011 qui vise aussi la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels70. Le droit conventionnel du Conseil de l’Europe est en effet l’une des sources influençant la politique de l’Union, particulièrement pour renforcer la lutte contre des violations graves des droits fondamentaux et on trouve souvent trace de références au droit du Conseil de l’Europe dans la jurisprudence de la CJUE71.
De surcroît, l’UE s’appuie sur les travaux du Conseil de l’Europe pour déterminer si ses critères d’adhésion sont ou non remplis. La chute du rideau de fer en 1989 a en effet permis au Conseil de l’Europe de se positionner en tant que « maison commune »72 des européens, une organisation paneuropéenne qui se réunit autour d’une communauté de valeurs partagées et qui devient ensuite la référence pour un standard minimal de protection des valeurs fondamentales pour d’autres organisations européennes. Le Conseil de l’Europe sert ainsi de sas d’entrée dans l’UE au moment de son élargissement à l’Est en 2005-2007, en acclimatant les pays de l’ancien bloc communiste aux exigences de la communauté de valeurs. Le Conseil de l’Europe permet en quelque sorte de leur délivrer le brevet de démocratie et d’État de droit devenu nécessaire pour adhérer à l’Union, depuis la formalisation des critères dits de Copenhague73.
Pour déterminer si ces critères sont remplis, l’UE s’appuie notamment sur les travaux de la Commission de Venise. Cette dernière a joué pour ce faire un rôle majeur, d’abord comme structure provisoire, puis comme structure définitive depuis la mise en place de l’accord partiel élargi de 200274. Elle développe son action pour fournir une véritable assistance constitutionnelle aux États parties et, depuis sa pérennisation, à des États tiers ; elle rassemble aujourd’hui 61 membres sur 4 continents75. Elle constitue ainsi un réservoir d’expertise assurant une circulation des principes fondateurs de la démocratie et de l’État de droit, réservoir sur lequel s’appuie l’UE76. La Commission de Venise est par exemple sollicitée, avec l’Agence des droits fondamentaux de l’UE, dans le déclenchement de la procédure dite « Cadre État de droit ». La recommandation de la Commission européenne du 20 décembre 2017 en fournit un exemple probant77. Elle s’appuie en effet de manière systématique sur l’expertise de la Commission de Venise pour définir les critères de l’État de droit et les appliquer ensuite aux lois polonaises réformant la Cour Suprême et le Conseil national de la magistrature. Le travail du Conseil de l’Europe permet donc à la Commission européenne d’identifier, point par point, les violations des principes d’indépendance de la justice et de séparation des pouvoirs. Cela témoigne une fois de plus du lent travail de stratification normative entre les deux organisations européennes et de leur coopération en matière de protection commune d’une communauté de valeurs.
A partir de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, les valeurs européennes se retrouvent en effet au cœur des relations entre l’UE et le Conseil de l’Europe. Le traité détaille en effet ces valeurs en son article 2 et les décrit comme des « valeurs communes aux États membres »78. Ces derniers étant tous parties à la CEDH, ce texte et son interprétation par la Cour européenne des droits de l’homme s’impose par imprégnation aux valeurs communes. La place de la CEDH est fondamentale dans la définition de ces valeurs européennes, mais non exclusive, car l’article 2 parle également des « droits des personnes appartenant à des minorités » et de valeurs communes aux États membres « dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ». Considérées de manière plus large, les valeurs communes pourraient aussi englober l’idée d’un patrimoine culturel partagé, d’une identité et d’une histoire communes. D’un point de vue juridique, la question lancinante, depuis le milieu des années 1970, de la protection des droits humains par l’UE trouve également une conclusion dans le traité de Lisbonne. Le traité met en effet en parallèle deux outils juridiques qui organisent l’interconnexion du système juridique de l’UE et de la CEDH. La Charte des droits fondamentaux de l’UE constitue un texte obligatoire et, dans son article 53, fait de la CEDH, telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme, la base de l’interprétation juridique des droits écrits dans les mêmes termes par les deux textes79. Cela contribue à l’idée d’un tissu commun de valeurs co-tricoté par l’UE et le Conseil de l’Europe.
Ces valeurs européennes agissant comme tissu conjonctif sont perceptibles dans les conditions de l’appartenance à l’UE, comme le postule l’article 49 TUE : « Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union »80. Comme la CJUE l’a résumé : « lorsqu’un État candidat devient un État membre, il adhère à une construction juridique qui repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, les valeurs communes que contient l’article 2 TUE, sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse relève des caractéristiques spécifiques et essentielles du droit de l’Union, tenant à sa nature propre, qui résultent de l’autonomie dont jouit ledit droit à l’égard des droits des États membres ainsi que du droit international. Elle implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre »81.
Les valeurs européennes permettent ainsi de faire tenir en un système européen de protection des droits de l’homme les ensembles normatifs de chacune des organisations européennes que sont le Conseil de l’Europe et l’UE. Tel un tissu conjonctif, ce sont ces mêmes valeurs qui vont protéger leur ADN, face à la menace commune de leur remise en cause par certains États européens. La capacité de protection immunitaire de ces organisations tient alors dans la solidification d’une véritable communauté de valeurs.
B- La solidification de la communauté de valeurs affirmée par la Déclaration de Reykjavik
Alors que le MoU apparaît comme une première volonté de consolider les liens entre le Conseil de l’Europe et l’UE pour la coopération en matière de protection des valeurs européenne, le 4e sommet du Conseil de l’Europe à Reykjavik du 16-17 mai 2023 réaffirme cette volonté, au moins du point de vue symbolique. Après l’expulsion de la Russie le 16 mars 2022, il n’est pas étonnant que cette déclaration du Conseil de l’Europe mette l’accent sur une communauté de valeurs partagées sous forme de label : « Unis autour de nos valeurs ». La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen est présente lors du sommet et elle intervient pour souligner le rôle clé du Conseil de l’Europe pour la défense des droits humains et de la démocratie, en affirmant qu’il s’agit de « soutenir l’Ukraine » et de « se réunir pour défendre ensemble la démocratie ». De surcroit, la Déclaration de Reykjavik prône une coopération renforcée et rappelle que l’Union est « le principal partenaire institutionnel du Conseil de l’Europe sur les plans politique, juridique et financier »82. Les chefs d’États et de gouvernements soulignent aussi « l’importance des programmes conjoints entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe en tant qu’expression clé de ce partenariat stratégique et de l’engagement mutuel à promouvoir des valeurs communes »83. Même s’il s’agit là principalement de manifestations d’intérêt pour souligner l’importance d’une défense commune de la communauté de valeurs européennes, il s’agit tout de même d’un signal fort envoyé au monde sur la scène des relations internationales.
Dans les faits, cette coopération renforcée entre les deux organisations européennes se traduit déjà par l’adhésion de l’UE à des instruments conventionnels du Conseil de l’Europe. On connaît le projet d’adhésion à la CEDH et ses tribulations84. Dans le traité UE, l’article 6 instaure une obligation pour l’UE d’adhérer à la CEDH85. Du côté de l’UE, cette adhésion lui permettrait de peser sur l’interprétation de la CEDH et de garantir par ce biais une interprétation convergente des droits humains. Pour le Conseil de l’Europe, cette adhésion permettrait de contrôler la conformité des actes de l’UE à la CEDH, sans passer par la fiction que l’UE n’est que la somme de ses États membres. Un tel arrimage assurerait enfin le renforcement de la cohérence des droits humains, rendant plus visible un substrat commun86.
L’adhésion de l’UE à la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique le 1er juin 202387 révèle les conséquences positives d’un tel arrimage juridique. Dans un arrêt sur les conditions de l’asile dans l’UE, la CJUE renforce l’effet utile de cette convention dans son ordre juridique, en en faisant un instrument d’interprétation de son droit d’asile88. La Cour juge en effet que cette convention produit des effets juridiques dans l’UE lorsqu’un Etat membre – ici la Bulgarie – applique la directive sur la qualification de demandeur d’asile, et alors même que cet État membre n’a pas ratifié ladite convention89.
La défense commune d’une communauté de valeurs devient plus urgente au fur et à mesure des crises qui s’intensifient à partir de 2008 (crise financière, crise migratoire, crise sanitaire, guerre aux frontières de l’UE). Pour éviter l’érosion des valeurs européennes sous la pression des démocraties qui se proclament « illibérales » (comme la Hongrie ou la Pologne avant le gouvernement de Donald Tusk), l’UE pose pour la première fois la question de la conditionnalité « État de droit » pour avoir accès aux fonds européens de Next Generation EU, dont l’objectif est de relancer l’Europe après la crise sanitaire. La Hongrie va contester, avec le soutien de la Pologne, cette décision du Conseil de l’UE et du Parlement européen devant la CJUE. L’arrêt rendu le 16 février 202290, par la Cour exceptionnellement réunie en assemblée plénière, montre la sensibilité politique majeure de cet instrument de protection des valeurs, qui est nécessaire au déploiement de l’État de droit. L’arrêt souligne que « le respect par un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à cet État membre »91. Ces valeurs « définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun. Ainsi, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions prévues par les traités, de défendre lesdites valeurs »92. La Cour confirme ensuite qu’un mécanisme de conditionnalité horizontale peut résulter de règles financières subordonnant le bénéfice de financements issus du budget de l’UE au respect de la valeur « État de droit » dès lors que cela conditionne l’exécution budgétaire93. Si l’on regarde de près, on constate que la notion d’État de droit est tirée de l’article 2 TUE et de principes consacrés par le Conseil de l’Europe du point de vue de leur contenu. Pour déterminer s’il y a violation des valeurs impactant l’exécution des dépenses publiques européennes, la Commission européenne utilise ainsi toutes les « informations pertinentes provenant de sources disponibles et d’institutions reconnues [qui] comprennent, notamment, les arrêts de la Cour [de justice de l’UE], les rapports de la Cour des comptes, le rapport annuel de la Commission sur l’État de droit et le tableau de bord de la justice dans l’Union, les rapports de l’OLAF, du Parquet européen et de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE ainsi que les conclusions et les recommandations formulées par les organisations et les réseaux internationaux pertinents, y compris les organes du Conseil de l’Europe, tels que le GRECO et la Commission de Venise, en particulier sa liste des critères de l’État de droit, le réseau européen des présidents des cours suprêmes judiciaires et le réseau européen des conseils de la justice »94. On le voit : l’UE et le Conseil de l’Europe coopèrent de plus en plus afin de protéger ensemble la communauté européenne de valeurs.
Les sources de l’UE et du Conseil de l’Europe sont d’ailleurs mises sur un pied d’égalité dans cette formulation, ce qui montre que les valeurs sont bien un seul et même fonds commun et constituent l’ADN européen. L’UE développe dans son ordre juridique divers outils visant à lutter contre l’érosion des valeurs communes, bien au-delà du moment de l’adhésion. L’acmé de ce mouvement de diversification des sanctions contre la violation des valeurs communes est sans conteste le moment politique constitué par l’expulsion de la Russie du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022, mettant pour la première fois complètement en œuvre l’article 8 du Statut95. C’est l’illustration flagrante de la protection des valeurs européennes contre toute forme de dénaturation. L’attaque de la Russie contre l’Ukraine et la guerre qui s’en est suivie est aussi une attaque de la Russie contre la démocratie et contre les valeurs européennes. Elle entraîne donc une mobilisation du Conseil de l’Europe et de l’UE pour protéger ces valeurs dans une communauté de valeurs résiliente face aux crises multiples que traverse le monde. C’est d’ailleurs cette guerre d’agression qui a permis l’organisation du 4e sommet du Conseil de l’Europe, au cours duquel les chefs d’États et de gouvernement ont solennellement affirmé : « Nous considérons que la démocratie est le seul moyen de garantir que chaque personne puisse vivre dans une société pacifique, prospère et libre. Nous respecterons les obligations qui nous incombent en vertu du droit international. Nous éviterons le recul de la démocratie sur notre continent et nous y résisterons, y compris dans les situations d’urgence, de crise et de conflits armés, et nous nous opposerons fermement aux tendances autoritaires en renforçant les engagements communs pris en qualité d’États membres du Conseil de l’Europe »96. Suivent ensuite les principes de Reykjavík, qui constituent les principes de base de la démocratie à défendre en Europe. Ils se terminent par la formule suivante : « Nous nous attacherons à partager et à promouvoir ces principes ensemble avec les États et les organisations internationales, y compris les Nations Unies, l’OSCE et l’Union européenne, ainsi qu’avec toutes les parties prenantes désirant œuvrer avec le Conseil de l’Europe à la réalisation d’une plus grande unité et d’une meilleure gouvernance mondiale »97.
En effet, la violation massive de certaines valeurs entraîne l’impossibilité pour la Russie d’appartenir au Conseil de l’Europe, mettant fin à l’approche de « l’école de la démocratie » consistant à maintenir chaque État dans le bain européen, afin de les acclimater progressivement aux valeurs européennes. Le cas de l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe illustre le retour à l’origine du Conseil de l’Europe, à l’idée de vouloir constituer un « club des démocraties » basé sur une communauté de valeurs partagées. Si on regarde plus précisément la position de la Russie avant sa sortie forcée, il faut en effet rappeler qu’elle concentrait une grande partie du contentieux devant la Cour européenne des droits de l’homme, qu’elle résistait à exécuter certains arrêts majeurs et s’était livrée à un chantage budgétaire en tant que « grand donateur », mettant en difficulté le bon fonctionnement du Conseil de l’Europe98. Cela montre que toutes les virtualités de « l’école de la démocratie » ont été déployées, sans pourtant avoir permis de faire évoluer la gouvernance russe. Comme le dit l’ancien président de la Cour, Jean-Paul Costa, dans l’un de ses derniers articles : « Sur le plan […] de la sauvegarde et de la défense des droits humains de façon générale, la crise russe démontre que, après les années d’espérance qui ont suivi la disparition du rideau de fer, la situation n’est pas brillante. Considéré comme le plus abouti dans le monde, le système européen, qui date des années 1950, ne garde sa position privilégiée que parce que les autres n’ont guère progressé. Tout se passe comme si, créés par les Pères fondateurs de la construction européenne (occidentale), puis fortifiés trente ou quarante ans plus tard par le ralliement des autres représentants de la « Grande Europe », les mécanismes mis sur pied par le Conseil et par la Cour voyaient maintenant retomber le rocher de Sisyphe. Assurément l’on peut penser, et c’est le cas de l’auteur, que, sur le temps long, l’Histoire évolue de manière sinusoïdale plus que linéaire ; mais lorsqu’on se retrouve brutalement au bas de la courbe, la sortie du tunnel paraît bien éloignée et bien aléatoire »99.
Conclusion
La Déclaration de Reykjavik du 16-17 mai 2023 traduit-elle le retour du Conseil de l’Europe à une « communauté de valeurs » partagées ? La décision de l’expulsion de la Russie en mars 2022 en raison de la guerre d’agression contre l’Ukraine, qui a été l’évènement déclencheur de l’organisation du 4e sommet du Conseil de l’Europe à Reykjavik, semble pointer en cette direction. Or, la réalité se présente de manière beaucoup plus complexe. En effet, le défi de maintenir une communauté de valeurs partagées se présente pour le Conseil de l’Europe tout au long de son histoire. Il se manifeste, dès le départ, sous la forme d’une volonté de constituer « un club des démocraties », mais cet objectif se fera concurrencer par un autre concept, celui d’une « école de la démocratie », où la communauté de valeurs n’est pas forcément toujours garantie.
Si l’on regarde l’évolution historique de l’Organisation européenne de Strasbourg, on constate en effet que l’idée d’un « club des démocraties » basée sur une communauté de valeurs européennes cède la place à celle de « l’école de la démocratie », dans laquelle tous les États membres ne respectent pas forcément d’emblée les valeurs fondamentales européennes, mais les apprennent progressivement « à l’intérieur » du Conseil de l’Europe. Il est vrai que cette question ne se pose pas quand l’organisation européenne est créée le 5 mai 1949 à Strasbourg, car l’objectif premier de protéger une communauté européenne de valeurs basée sur la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme est une condition d’adhésion. Le Statut du Conseil de l’Europe prévoit ainsi que tout État qui rejoint l’Organisation doit être capable de se conformer aux valeurs européennes et avoir la volonté de les respecter. Pendant la Guerre froide, il n’est pas difficile de maintenir ce club, car le monde est divisé en deux blocs idéologiquement opposés et le bloc occidental, sous leadership américain, défend justement cette communauté de valeurs fondée sur les principes du libéralisme, de la démocratie et des droits de l’homme. Les deux crises de la Grèce en 1967-1969 et de la Turquie en 1981-1984 représentent une exception à cet égard. Leur traitement différent montre toutefois que la volonté de maintenir ou non « le club des démocraties » dépend principalement de considérations géopolitiques. Ainsi, le Conseil de l’Europe est intransigeant pendant la crise grecque de sorte que la Grèce est contrainte de se retirer du club alors que, dans le cas de la Turquie, il hésite à prendre des mesures d’exclusion et se comporte temporairement déjà comme une « école de la démocratie ».
Les mêmes considérations géopolitiques font que, après la chute du rideau de fer en 1989, le Conseil de l’Europe généralise le principe d’une « école de la démocratie ». La nécessité d’une réunification du continent européen aboutit à ce que, au moment de l’adhésion de la Roumanie, on octobre 1993, le Conseil de l’Europe se définit comme une « école » qui aspire à évoluer progressivement vers un « club des démocraties ». Mais cette évolution comporte des risques, car le retour « au club des démocraties » n’est pas garanti et le maintien d’une communauté de valeurs est ainsi menacé. C’est pour cela qu’en 1996, en pleine guerre de Tchétchénie, le débat sur l’adhésion de la Russie déchire presque « l’âme » du Conseil de l’Europe : jusqu’où faut-il faire de l’Organisation une « école de la démocratie », au détriment de la communauté de valeurs européennes ? L’ouverture à la Russie est encore une fois un choix géopolitique, qui s’effectue en faveur de « l’école de la démocratie », mais ce choix pose de plus en plus de problèmes par la suite, au moment de l’adhésion des pays du Caucase, lorsque la deuxième guerre de Tchétchénie éclate en 1999, au moment où la guerre entre la Russie et la Géorgie éclate par rapport à l’Ossétie du Sud en 2008 ou lors de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. La décision de l’Assemblée parlementaire de suspendre temporairement les droits de la délégation russe semble bien faible face aux violations manifestes des valeurs fondamentales. Après l’éclatement de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine en 2022, le principe de « l’école de la démocratie » atteint ses limites, sa ligne rouge qui ne peut être franchie. Face à une remise en question aussi éclatante des valeurs fondamentales, l’exclusion de la Russie en mars 2022 est la seule réponse possible pour le Conseil de l’Europe, afin de ne pas compromettre entièrement son attachement à une communauté de valeurs partagées. La déclaration de Reykjavik lors du 4e sommet du Conseil de l’Europe avec son appel « Unis autour de nos valeurs » marque alors le retour à l’origine de l’organisation de Strasbourg : il s’agit de protéger à nouveau cette communauté de valeurs, avec l’objectif de rétablir un « club des démocraties ».
Dans cet effort de protéger la communauté de valeurs, le Conseil de l’Europe peut compter sur l’appui de l’UE depuis la mise en œuvre du Memorandum of Understanding en 2009. Même s’il pouvait a priori y avoir un esprit de concurrence entre les deux organisations européennes, car l’UE a adopté sa propre Charte des droits fondamentaux en 2002 et la CJUE a refusé l’adhésion à la CEDH en 2014, la remise en question des valeurs fondamentales à travers les crises successives en Europe les pousse à coopérer pour défendre la communauté de valeurs. Les outils prévus à cet effet – adhésion de l’UE aux conventions du Conseil de l’Europe, Commission de Venise, partenariat stratégique – sont en place et ont déjà permis de construire et de consolider un tissu conjonctif des valeurs partagées. Pour protéger ensemble la communauté de valeurs européennes, l’adhésion de l’UE à la CEDH serait évidemment un atout supplémentaire, mais la coopération entre les deux organisations face aux menaces contre l’État de droit en Pologne et en Hongrie prouve déjà l’existence du tissu conjonctif tout comme, par exemple, l’adhésion de l’UE à la Convention d’Istanbul. La preuve la plus emblématique de cette protection commune de la communauté de valeurs est sans doute la déclaration et les principes énoncés lors du 4e sommet du Conseil de l’Europe à Reykjavik en 2023, auquel l’UE a participé comme partenaire privilégié pour renouveler la « conscience de l’Europe ». L’UE participera en effet à la mise en place du projet phare du sommet, à savoir le registre des dommages causés par l’agression de la Russie contre l’Ukraine.
Toutefois, même avec la volonté partagée des deux organisations européennes de défendre ensemble une communauté de valeurs européennes et la portée symbolique de la Déclaration finale de Reykjavik, il ne peut être conclu que le Conseil de l’Europe représente aujourd’hui à nouveau un « club des démocraties ». Malgré l’exclusion de la Russie, au sein de l’Organisation de Strasbourg – comme d’ailleurs au sein de l’UE – d’autres États membres comme par exemple la Pologne ou la Hongrie ont posé et posent toujours problème pour le respect des valeurs européennes et la décision en janvier 2024 de l’Assemblée parlementaire de suspendre la participation de la délégation azerbaïdjanise confirme cette réalité. On peut alors se demander si le Conseil de l’Europe ne reste pas toujours en quelque sorte une « école de la démocratie » dont l’objectif affirmé est de rétablir un « club des démocraties » et ainsi de protéger effectivement une communauté de valeurs européennes.
1 « Déclaration de Reykjavík – Unis autour de nos valeurs », Déclaration du 4e Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe du 16-17 mai 2023, https://edoc.coe.int/fr/le-conseil-de-l-europe-en-bref/11618-unis-autour-de-nos-valeurs-declaration-de-reykjavik.html.
2 Wassenberg, Birte, Histoire du Conseil de l’Europe (1949-2009), Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2012, p. 52.
3 Belgique, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède.
4 Statut du Conseil de l’Europe, série des traités européens n° 001 : https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list?module=treaty-detail&treatynum=001/
5 La Grèce, la Turquie, l’Islande, la République fédérale d’Allemagne, l’Autriche, Chypre, la Suisse, Malte, Chypre, le Portugal, l’Espagne, le Liechtenstein, San Marino, la Finlande.
7 Cf. Bauer, Hans, Joachim, Der Europarat nach der Zeitenwende 1989-1999, Zur Rolle Straßburgs im gesamteuropäischen Integrationsprozess, Münster, Hamburg, Regensburger Schriften zur Auswärtigen Politik, Bd.2, 2000.
8 Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire (AP) rapport Reddemann sur les limites de l’Europe, doc. 6629 du 16 juin 1992.
9 Haller, Bruno, La contribution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe au renforcement de la démocratie en Europe, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2006, p. 39.
10 Wassenberg, Birte, « Le Conseil de l’Europe face au Pacte atlantique, l’OTAN et la défense européenne (1949-1954) », dans Wassenberg, Birte ; Faleg, Giovanni ; Mlodecki, M. Martin (dir.), L’OTAN et l’Europe, Bruxelles, Peter Lang, 2010, p. 49.
11 Haller, Bruno, op.cit., p. 26.
12 Conseil de l’Europe, Statut, préambule.
13 Robertson, Arthur, Henry, « The European Court of Human Rights », American Journal of Comparative Law, 1960, pp. 1-28.
14 Conseil de l’Europe, Comité des ministres (CM), compte-rendu du 24 avril 1967.
15 Conseil de l’Europe, AP, Directive 256 du 26 avril 1967.
16 Conseil de l’Europe, AP, Rapport Edelman, doc.2276 du 21 septembre 1967.
17 Conseil de l’Europe, AP, Résolution 351 du 26 septembre 1967.
18 Conseil de l’Europe, AP, Résolution 361 du 31 janvier 1968.
19 Conseil de l’Europe, AP, Résolutions 385 et 386 du 26 septembre 1968.
20 Conseil de l’Europe, AP, Recommandation 547 du 31 janvier 1969.
21 Dimitracopoulou-Dendoulis, Sophia, Le retrait de la Grèce du Conseil de l’Europe (avril 1967-avril 1970), mémoire de DEA, IHEE, Université de Strasbourg, 1987, pp. 191, 192.
22 Conseil de l’Europe, CM, Résolution 69 du 12 décembre 1969.
23 Conseil de l’Europe, AP, Résolution 578 du 27 septembre 1974 et Avis n° 69 du 27 novembre 1974.
24 Rapport sur les activités du Conseil de l’Europe, 1976-1977, p. 48.
25 Conseil de l’Europe, Annuaire de la CEDH, 1980, Vol. 23, p. 15.
26 Conseil de l’Europe, AP, Recommandation 904 du 1er octobre 1980.
27 Conseil de l’Europe, AP, Résolution du 14 mai 1981.
28 Conseil de l’Europe, AP, Résolution 852 du 2 octobre 1985.
29 En lien avec les articles 25 et 26 du Statut du Conseil de l’Europe.
30 Pancracio, Jean-Paul, « La Turquie et les organes politiques du Conseil de l’Europe », Annuaire français du droit international, vo.30, 1984, p.168.
31 Conseil de l’Europe, AP, rapport sur les problèmes en Turquie de Henri de Koster, mai 1981.
32 Conseil de l’Europe, AP, Résolution 803, septembre 1983.
33 Conseil de l’Europe, AP, compte-rendu des débats du 8 mai 1984.
34 Cf. Huber, Denis, Une décennie pour l’Histoire, Le Conseil de l’Europe 1989-1999, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1999.
35 Flauss, Jean-François, « Les conditions d’admission des pays d’Europe centrale et orientale au sein du Conseil de l’Europe », Kaleidoscope, EJIL, 1994, p. 402.
36 A l’été 1989, la Hongrie, la Pologne, la Yougoslavie et le Soviet suprême de l’URSS obtiennent ce statut. Le 7 mai 1990 il est également octroyé à la Tchécoslovaquie et à la RDA et le 3 juillet 1990 à la Bulgarie.
37 Huber, Denis, op.cit., p. 127.
38 Cf. Pinto, Diana, « Accompagner les mutations de l’Europe centrale et orientale », dans Les enjeux de la grande Europe, dans Les Enjeux de la grande Europe, Le Conseil de l’Europe et la sécurité démocratique, Strasbourg, La Nuée Bleue-Éditions du Conseil de l’Europe, 1996, pp. 55-56.
39 Bauer, Hans-Joachim, Der Europarat nach der Zeitenwende (1989-1999). Zur Rolle Straßburgs im gesamteuropäischen Integrationsprozess, Münster, Hamburg, London, Regensburger Schriften zur Auswärtigen Politik, 2000, p. 86.
40 La Hongrie en 1990, la Tchécoslovaquie et la Pologne en 1991 et la Bulgarie en 1992 ainsi que la Slovénie, l’Estonie et la Lituanie en 1993, cf. Wassenberg, Birte, Histoire du Conseil de l’Europe, op.cit., pp. 410-417.
41 Petaux, Jean, L’Europe de la démocratie et des droits de l’homme. L’action du Conseil de l’Europe, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2009, pp. 152-154.
42 Conseil de l’Europe, AP, avis de la Commission politique, doc. 6901, avis de la Commission juridique, doc. 6918 et avis de la Commission des pays non-membres, doc. 6914.
43 Petaux, Jean, op.cit., p.155.
44 Conseil de l’Europe, AP, Avis n° 176, 1993.
45 Steenbrecker, Andrea, « Politisches Monitoring im Europarat », in: Holtz, Uwe (dir.), 50 Jahre Europarat, Baden-Baden, Nomos, 2000, pp.171-183.
46 Conseil de l’Europe, CM, Résolution (92) 27 sur la Fédération de Russie, 25 juin 1992.
47 Conseil de l’Europe, AP, rapport de la Commission ad hoc, doc. 7038, décembre 1993.
48 Chatzivassilou, Despina, « L’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe », Les cahiers de l’Espace Europe, 10, mai 1997, p.6.
49 Hristov, Hristo, De la coopération avec l’URSS jusqu’à l’admission de la Russie au Conseil de l’Europe, mémoire de DEA, Strasbourg, IHEE, Université de Strasbourg, 2000, pp. 70-75.
50 Conseil de l’Europe, AP, Résolution 1055, 1995.
51 Conseil de l’Europe, AP, Résolution 1065, 1995.
52 Conseil de l’Europe, AP, rapport de la Commission politique, doc. 7443.
53 Conseil de l’Europe, AP, Avis n°193, 1996.
54 Schneider, Catherine, « Le contrôle des engagements du Conseil de l’Europe revisité par l’Histoire », in : Schneider, Catherine, (dir.), Le Conseil de l’Europe, acteur de la recomposition du territoire européen, Grenoble, CESICE, 2007, pp. 127-153.
55 Henry, Michèle, Tchétchénie : la réaction du Conseil de l’Europe face à la Russie, Paris, l’Harmattan, 2004.
56 Conseil de l’Europe, AP, Résolution du 6 avril 2000.
57 Conseil de l’Europe, AP, Recommandation du 6 avril 2000.
58 Bauer, Hans-Joachim, op.cit., p. 245.
59 Conseil de l’Europe, AP, Avis n° 221 et n° 222, 2000.
60 Berrod, Frédérique ; Wassenberg, Birte, Les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne : vers un partenariat stratégique ?, Strasbourg, Editions du Conseil de l’Europe, 2019.
61 Larousse, « tissu conjonctif ».
62 Arrêt du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, aff. 11/70, ECLI:EU:C:1970:114.
63 Avis 2/94 du 28 mars 1996 sur l’adhésion de l’UE à la CEDH, ECLI:EU:C:1996:140.
64 Avis 2/13 du 18 décembre 2014 sur l’adhésion de l’UE à la CEDH, ECLI:EU:C:1996:140.
65 Depuis sa création, l’Agence des droits fondamentaux s’est imposée et coopère largement avec le Conseil de l’Europe sur la base de l’accord du 15 juillet 2008, JOUE du 15 juillet 2008, n° L 186, p. 7.
66 Depuis le sommet de Vienne du 8 et 9 décembre 1993 et le Plan d’action décidé par le sommet de Strasbourg des 10 et 11 octobre 1997.
68 MoU entre le Conseil de l’Europe et l’UE, point 17.
69 Convention du Conseil de l’Europe de 2007 sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote), STE n°201 du 25 octobre 2007.
70 Comme cela ressort dès le considérant 5 de la directive 2011/92/UE du 23 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie, JOUE du 17 décembre 2011 n° L 335, p. 1 : « Le protocole facultatif de 2000 à la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et, en particulier, la Convention du Conseil de l’Europe de 2007 sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels constituent des étapes cruciales dans le processus de renforcement de la coopération internationale dans ce domaine ».
71 Pour une analyse d’ensemble de ces relations depuis l’avis 2/13 et le blocage des négociations d’adhésion de l’UE à la CEDH, Ducoulombier, Peggy, « Les relations entre Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de Justice de l’Union européenne : un dialogue de sourds ? », Civitas Europa, vol. 45, no. 2, 2020, pp. 279-296.
72 Cf. Discours de Mikhael Gorbatchev du 6 juillet 1989, cité dans : Les voix de l’Europe (1949-1996), Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1997, pp. 160–163.
73 Heimerl, Daniela, « Copenhague acte II. Le nouveau défi européen », Le Courrier des pays de l’Est, vol. 1031, n°. 1, 2003, pp. 8-19.
74 Conseil de l’Europe, CM, Résolution 90(6) relative à un Accord partiel portant création de la Commission européenne pour la Démocratie par le Droit du 21 février 2002.
75 Voir ses activités sur https://www.venice.coe.int/WebForms/pages/default.aspx?p=01_Presentation&lang=fr. et l’analyse de Granata-Menghini, Simona, « La Commission de Venise du Conseil de l’Europe : méthodes et perspectives de l’assistance constitutionnelle en Europe », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, vol. 55-56, n° 2-3, 2017, pp. 69-85.
76 Craig, Paul P., « Transnational Constitution-Making: The Contribution of the Venice Commission on Law and Democracy », UCI Journal of International, Transnational and Comparative Law, Oxford Legal Studies Research Paper n° 1/2017.
77 Recommandation 2018/103 de la Commission européenne du 20 décembre 2017, concernant l’Etat de droit en Pologne, JOUE du 23 janvier 2018, n° L 17, p. 50.
78 Traité sur l’Union européenne (TUE) du 17 décembre 2007, Art.2.
79 Charte des droits fondamentaux de l’UE du 18 décembre 2000, Art. 53.
80 TUE, Art. 49.
81 CJUE, Arrêt de l’Assemblée plénière du 16 janvier 2022, Hongrie c. Parlement européen et Conseil de l’UE, aff. C‑156/21, ECLI:EU:C:2022:97.
82 « Déclaration de Reykjavík – Unis autour de nos valeurs », op.cit..
83 Ibid.
84 Voir à ce sujet Jacqué, Jean-Paul, « The Accession of the European Union to the European Convention on Human Rights and Fundamental Freedoms », Common Market Law Review, 2011, p. 995 et Berrod, Frédérique, « La protection de l’autonomie de l’Union européenne est-elle une condition existentielle de son adhésion à la CEDH ? », Le droit comparé face à l’harmonisation des droits, Paris, Société de législation comparée, 2011, p. 121.
85 TUE, Art. 6.
86 Berrod, Frédérique ; Wassenberg, Birte, Les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, op.cit., pp. 166-168.
87 Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, STE n°210 du 11 mai 2011.
88 Voir le commentaire par Catherine Maia, en collaboration avec Minouche Victor Bastien, Le Club des juristes du 1er mars 2024.
89 CJUE, Arrêt du 16 janvier 2024, WS, aff. C-621/21, ECLI:EU:C:2024:47, points 44 à 47.
90 CJUE, Arrêt de l’Assemblée plénière du 16 janvier 2022, op.cit.
91 Ibid., point 126.
92 Ibid., point 127.
93 Ibid., point 133.
94 Ibid., point 286.
95 Berrod, Fréedérique, Wassenberg, Birte, « La Russie exclue du Conseil de l’Europe : séisme dans la « maison commune » », The Conversation, 7 avril 2022.
96 « Déclaration de Reykjavík », op.cit.
97 Ibid., Annexe III.
98 Costa, Jean-Paul, « Les conséquences de la sortie de la Russie du Conseil de l’Europe », Revue trimestrielle des droits de l’Homme, vol. 133, n° 1, 2023, pp. 3-15.
99 Ibid. p. 24.