Pouvoir réglementaire et contraventions
Pouvoir réglementaire et contraventions : à propos des circonvolutions du juge administratif autour du fondement du pouvoir réglementaire contraventionnel
Par Xavier Dupré de Boulois
Plusieurs arrêts rendus par le Conseil d’État donnent à voir une certaine confusion du juge administratif dans la définition de la compétence du pouvoir exécutif pour édicter des décrets contraventionnels et au-delà pour aménager l’exercice des libertés fondamentales.
Avec l’article 34 de la Constitution, la France dispose d’un texte constitutionnel très explicite sur la compétence du législateur pour aménager l’exercice des droits et libertés fondamentaux, et plus précisément pour fixer les règles relatives « aux droits civiques et aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». On sait que le pouvoir réglementaire joue néanmoins un rôle essentiel dans l’aménagement des droits et libertés fondamentaux, qu’il s’agisse d’en organiser ou d’en restreindre l’exercice. Cette compétence traditionnelle s’ordonne autour d’au moins cinq titres de compétence d’inégale importance. En vertu de l’article 37 de la Constitution, le pouvoir réglementaire est d’abord compétent pour édicter les mesures d’application des lois qui déterminent les garanties fondamentales (sur cette question, V. Champeil-Desplats, « Le Conseil constitutionnel a-t-il une conception des libertés publiques ? », Jus Politicum, 2012, n°7). Par ailleurs, en application de son pouvoir de police générale (jurisprudence Labonne), le Premier ministre est compétent pour édicter des mesures réglementaires applicables sur l’ensemble du territoire national pour assurer la sauvegarde de l’ordre public. De leur côté, les articles 34 et 37 de la Constitution autorisent le pouvoir exécutif à définir les contraventions, autrement dit à déterminer des incriminations et les peines qui les accompagnent. Les deux derniers titres de compétence ont une portée plus limitée. La jurisprudence dite de l’état de législation antérieure justifie la compétence du Premier ministre pour intervenir dans le champ des matières de l’article 34 lorsque « des limitations de portée générale qui y ont été introduites par la législation antérieure à la Constitution en vue de permettre certaines interventions de la puissance publique jugées nécessaires en la matière » (CC, 27 novembre 1959, 59-1 FNR, Rec. p. 71. Voir aussi H. Alcaraz, « La théorie de l’état de législation antérieure et la protection des droits et libertés », dans Renouveau du droit constitutionnel, Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz, 2007, p. 1453). En pratique, elle joue essentiellement à l’égard des professions réglementées et donc de la liberté d’exercice d’une activité professionnelle (Par ex. : CE, 4 mars 2009, Soc. Fiduciaire nationale d’expertise comptable, n°310979, RJEP 2009, n°667, comm. 38 concl. M. Guyomar). Enfin, l’autorité administrative, notamment les ministres, sont compétents pour édicter des restrictions à l’exercice des libertés en leur qualité de chef de service en application de la jurisprudence Jamart (ex. : CE, 29 décembre 2000, Syndicat SUD Travail, n°213590). Même si elle a connu de riches développements en matière de droit de grève dans la lignée de la jurisprudence Dehaene (une illustration récente : CE, 11 juin 2010, Syndicat SUD RATP, n°333262), cette compétence n’est guère différente de celle dont dispose le chef d’entreprise en droit du travail (ex. : Cass. Soc., 26 juin 1974, SA Etablissements Braud, Bull. V, n°386) et ne joue pour l’essentiel qu’à l’égard des agents publics (cependant, CE, 8 décembre 2000, Frérot, Rec. p. 589).
Une série d’arrêts récents du Conseil d’Etat interroge sur la manière dont certains de ces titres de compétence réglementaire s’articulent. Ces décisions ont toutes en commun de mettre en cause ce qu’il est convenu d’appeler le pouvoir réglementaire contraventionnel en vertu duquel le Premier ministre édicte des incriminations (des interdictions pour l’essentiel) et détermine les peines qui en sanctionnent la réalisation. Des décrets contraventionnels ont ainsi incriminé l’outrage au drapeau, la dissimulation illicite du visage à l’occasion de manifestations sur la voie publique ou plus anciennement, la diffusion de messages contraires à la décence. La jurisprudence du Conseil d’Etat révèle un certain flou dans la conception du fondement juridique de ce pouvoir réglementaire. S’il s’agit toujours de justifier la compétence du pouvoir exécutif pour édicter un décret contraventionnel, les voies retenues pour y parvenir sont à tout le moins variables et pas toujours convaincantes.
L’arrêt Ligue des droits de l’homme du 19 juillet 2011 (n°343430) mettait en cause un décret qui créait une nouvelle contravention (outrage au drapeau) et emportait ainsi une restriction à l’exercice de la liberté d’expression. Au soutien de son recours pour excès de pouvoir, la LDH invoquait notamment l’incompétence du pouvoir réglementaire, motif pris qu’il appartient au législateur de fixer « les règles relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » conformément à l’article 34 de la Constitution. Pour justifier la compétence du Premier ministre, le Conseil d’État commence par se référer à article 34 de la Constitution en tant qu’il confie en creux le soin au pouvoir réglementaire de déterminer les contraventions et les peines qui leur sont applicables. L’argument est imparable. Il a déjà été mobilisé à plusieurs reprises pour valider l’édiction de mesures contraventionnelles (ex. : CE, 13 septembre 1995, Association « Collectif pour la défense du droit et des libertés », n°139446). Mais le Conseil ne s’arrête pas là. Il précise en sus que « dès lors qu’elles n’ont pas pour objet de réglementer l’exercice de cette liberté mais seulement d’y apporter les limitations nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public », « la circonstance que l’incrimination d’un acte a pour effet de limiter l’exercice d’une liberté publique garantie par des dispositions constitutionnelles ne saurait, par elle-même, avoir pour conséquence de réserver au pouvoir législatif la compétence pour édicter ces contraventions ». On aurait pu penser que la compétence réglementaire en matière de contravention devait s’analyser comme une dérogation à la compétence de principe du législateur en vertu de l’article 34 conformément à l’adage Lex specialis derogat legi generali. Et qu’en conséquence, cette compétence était de nature à fonder à elle seule l’édiction de mesures contraventionnelles restreignant l’exercice d’une ou plusieurs libertés. C’est du moins ce que pouvaient laisser penser plusieurs arrêts (CE, 13 septembre 1995, préc.). L’arrêt LDH infirme cette conclusion. La compétence pour édicter une contravention est aussi justifiée par la référence à une distinction subtile entre les actes de réglementation (compétence du législateur) et les mesures de limitation justifiées par la sauvegarde de l’ordre public (compétence du pouvoir réglementaire). La référence au pouvoir de police générale est transparente. La distinction peut séduire. À la réflexion, elle n’est pas convaincante : la réglementation implique la mise en place de limitations ; son édiction est en général justifiée par la nécessité de garantir l’ordre public. Autrement dit, de par leur objet et leur finalité, réglementation et police se distinguent difficilement même si l’ordre public en cause dans la jurisprudence Labonne est resserré sur les problématiques de sécurité et de tranquillité publiques. Cette distinction en évoque une autre régulièrement mobilisée par le juge administratif entre l’objet et l’effet d’une mesure. La mesure contestée n’a pas pour objet de réglementer une liberté mais elle a néanmoins pour effet d’en restreindre l’exercice.
Cette combinaison de la compétence contraventionnelle et du pouvoir de police générale pour justifier l’édiction d’un décret contraventionnel rappelle le raisonnement développé par le Conseil d’État dans un arrêt plus ancien. Mais elle s’opère alors selon des modalités différentes. Dans son arrêt Association Act Up Paris (CE, 30 décembre 1996, n°151626), le Conseil d’État devait se prononcer sur la légalité d’un décret incriminant la diffusion de messages contraires à la décence. Pour écarter le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité réglementaire, la Haute juridiction adopte une démarche reposant sur la prise en compte de la nature particulière de la norme pénale (sur cette question, voir notamment les conclusions de D. Piveteau sur CE Ass., 6 décembre 1996, Soc. Lambda, RFDA 1997 p. 173). Il va en effet décomposer le décret querellé en deux éléments : il comprend une norme prescriptive : l’interdiction de la diffusion de messages contraires à la décence ; il édicte aussi une peine : l’amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe. Chacun de ces éléments va être contrôlé indépendamment de l’autre. Le décret entraîne l’interdiction de certains comportements et entrave l’exercice de la liberté d’expression ? Il trouve alors son fondement dans la jurisprudence Labonne. Le CE rappelle que « l’article 34 de la Constitution n’a pas retiré au chef du gouvernement les attributions de police générale qu’il exerçait antérieurement ; qu’il appartient dès lors au Premier ministre de pourvoir, par des précautions convenables, au bon ordre sur l’ensemble du territoire ». Le décret détermine une peine contraventionnelle ? Il est l’exercice de la compétence du pouvoir réglementaire pour déterminer les contraventions résultant de la combinaison des articles 34 et 37 de la Constitution.
La référence au pouvoir de police a une certaine logique puisque, de manière générale, « la violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 1re classe » (art. R. 610-5 du Code pénal). L’édiction d’un simple décret de police peut donc aussi s’analyser comme la définition d’une incrimination sanctionnée par une contravention. Il n’existe donc pas de véritable différence de nature entre le décret contraventionnel et le simple décret de police, le premier ayant pour seule spécificité de déterminer lui-même la peine qui en sanctionne la violation alors que la sanction du second est déterminée par un autre texte, le Code pénal.
L’arrêt Syndicat national des enseignants de second degré (23 février 2011, n°329477) concernait quant à lui un décret instituant une contravention qui incriminait la dissimulation illicite du visage à l’occasion de manifestations sur la voie publique. Sur recours de plusieurs syndicats (et du « président de la Polynésie »), le Conseil d’Etat a été invité à se prononcer sur la compétence du Premier ministre pour créer cette nouvelle contravention. Le litige était donc similaire à celui de l’arrêt LDH mais la Haute juridiction va développer un raisonnement différent pour fonder la compétence réglementaire. Il estime en effet que le Premier ministre n’a pas excédé ses compétences, « dans la mesure d’une part où le décret attaqué n’avait pas pour objet de réglementer la liberté de manifestation, et notamment pas d’interdire de manifester en dissimulant son visage, ni d’autre part, pour effet d’y porter atteinte, dès lors que ses dispositions ne peuvent régir le comportement des manifestants participant dans le respect de l’ordre public à une manifestation ». Il peut d’abord être constaté que la référence à la compétence du pouvoir réglementaire en matière contraventionnelle n’apparaît pas alors qu’elle semblait pouvoir à elle seule justifier l’édiction de ce décret. Le Conseil d’Etat s’engage dans une autre voie : le décret n’a pas pour objet de réglementer la liberté de manifester ; pas plus n’a-t-il pour effet d’y porter atteinte. Aussi ne peut-il constituer un empiètement sur la compétence du législateur pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. L’on retrouve ici la distinction de l’objet et de l’effet de la mesure mobilisée dans l’arrêt LDH. Mais en l’espèce, les deux attestent de l’innocuité du décret pour la liberté de manifester. En soit, il peut être discutable d’analyser le décret comme n’emportant pas de restriction à la liberté de manifester (sur cette question, les remarques de S. Slama, Actualités Droits-Libertés, 27 février 2011). Mais surtout, lorsqu’il est amené à se prononcer sur la légalité interne du décret, le Conseil d’Etat affirme successivement que « les atteintes aux libertés d’opinion et syndicales qui pourraient résulter des dispositions attaquées, sont également conformes aux stipulations des articles 10 et 11 de la CEDH » et que « la mesure attaquée, dont la préservation de la sécurité publique établit la nécessité, ne porte pas non plus une atteinte disproportionnée aux droits et libertés garantis par l’article 10 de la CEDH ». Si l’on comprend bien, le décret en question emporte donc bien des restrictions à l’exercice d’une ou plusieurs libertés (liberté d’expression, liberté d’association) mais elles sont justifiées au regard de leur finalité et de leur caractère proportionné. S’il n’a pas pour objet de réglementer une ou plusieurs libertés, à tout le moins le texte s’analyse-t-il comme ayant pour effet de limiter l’exercice de telles libertés. Ce constat évoque donc une contradiction avec les motifs par lesquels le Conseil a justifié la compétence du pouvoir réglementaire. Cette démarche est d’autant plus surprenante que le Conseil indique qu’à travers le décret en question, le Premier ministre a édicté une mesure de police. Il lui aurait donc été possible de justifier ces restrictions de la même manière que dans l’arrêt LDH.
Si l’arrêt repose sur un raisonnement peu convaincant et recèle une contradiction, il ne constitue pas un cas unique. En effet, on lui connaît, sur la question qui nous occupe, un alter ego d’Assemblée tout aussi discutable. Cette décision (CE Ass., 26 octobre 2011, Association pour la promotion de l’image, n°317827) renvoie à une situation un peu différente puisque le pouvoir réglementaire contraventionnel n’était pas en cause. En l’occurrence, un décret du 30 avril 2008 modifiait un décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques en ce qu’il complétait la liste des données qui doivent figurer dans le composant électronique des passeports (l’image numérisée des empreintes digitales de deux doigts) et fixait la durée de validité des titres ainsi que leurs modalités de renouvellement. Sur la question de compétence, le Conseil d’Etat se situe sur le même registre que dans l’arrêt SNES. Partant du constat que le décret en cause « ne pose aucune condition à la délivrance » des passeports, il affirme que ce texte« n’a, par conséquent, ni pour objet ni pour effet de fixer des règles relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Mais là-encore, l’interprétation ne convainc pas (en ce sens V. Tchen, Droit Adm. 2012, n°1, comm. 1). La Haute juridiction affirme en définitive qu’un texte qui fixe la durée de validité des passeports ainsi que leurs modalités de renouvellement n’a ni pour objet ni pour effet de fixer des règles relatives à la liberté d’aller et venir. De même, quid du droit au respect de la vie privée ? N’est-il pas en cause lorsqu’il est question de compléter la liste des données personnelles devant figurer sur le composant électronique des passeports ? L’arrêt donne d’ailleurs à voir la même contradiction de motifs que l’arrêt SNES. Après avoir affirmé que les règles figurant dans le décret n’entrent pas dans les prévisions de l’article 34 de la Constitution et écarté le moyen tiré de l’incompétence du pouvoir réglementaire, le Conseil d’Etat se prononce longuement sur sa compatibilité avec l’article 8 de la CEDH. Il conclut « qu’il résulte de ce qui précède, que la collecte des images numérisées du visage et des empreintes digitales des titulaires de passeports âgés d’au moins six ans et la centralisation de leur traitement informatisé, compte tenu des restrictions et précautions dont ce traitement est assorti, est en adéquation avec les finalités légitimes du traitement ainsi institué et ne porte pas au droit des individus au respect de leur vie privée une atteinte disproportionnée aux buts de protection de l’ordre public en vue desquels il a été crée ». Autrement dit, après avoir nié que le décret emporte des effets restrictifs pour l’exercice des libertés au stade de l’appréciation de la compétence du pouvoir réglementaire, le Conseil d’État affirme que ledit décret porte bien atteinte aux libertés lorsqu’il se prononce sur le fond, cette atteinte n’étant pas disproportionnée au regard de sa finalité.
Au total, la jurisprudence du Conseil d’État sur les quinze dernières années donne donc à voir quatre types de raisonnement pour justifier la compétence du pouvoir réglementaire pour édicter des décrets contraventionnels. Le plus simple est celui qui consiste à ne se référer qu’à la seule combinaison des articles 34 et 37 de la Constitution en tant qu’elle attribue au Premier ministre le soin de déterminer les contraventions (CE, 13 septembre 1995, Association « Collectif pour la défense du droit et des libertés », préc.). Il se voit parfois adjoindre le pouvoir de police générale mais selon des modalités variables (Association Act Up Paris, LDH). La difficulté est qu’il convient alors de faire le départ entre la compétence du législateur pour fixer les règles relatives « aux droits civiques et aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » et la compétence du Premier ministre pour prendre les mesures nécessaires afin d’assurer la sauvegarde de l’ordre public. L’arrêt LDH retient la distinction peu convaincante entre acte de réglementation et acte de limitation justifié par l’ordre public. L’autre grand système de justification ignore la compétence contraventionnelle. Dans l’arrêt SNES, le Conseil d’État mobilise le critère de l’objet et de l’effet de la mesure. Il laisse entendre que dès lors que la mesure aurait pour objet de réglementer ou pour effet de restreindre l’exercice d’une liberté, son édiction relèverait de la compétence du législateur. Il pourrait être considéré que cette seconde distinction est plus favorable à la compétence du Parlement que celle retenue dans l’arrêt LDH. Alors que le pouvoir de police générale fonde l’édiction de limitations à l’exercice des libertés, l’arrêt SNES peut être compris comme prohibant l’intervention du pouvoir réglementaire dès lors que la mesure envisagée a pour objet ou pour effet de restreindre l’exercice d’une liberté. Mais la manière pour le moins permissive dont ce critère est mis en œuvre dans l’arrêt SNES et, dans un contexte légèrement différent, dans l’arrêt Association pour la promotion de l’image, laisse à penser qu’il ne constitue pas un véritable frein au déploiement de la compétence réglementaire.
La diversité des raisonnements ainsi mobilisés par le Conseil d’État dans ses arrêts pour fonder le pouvoir réglementaire contraventionnel doit être mise en perspective avec son Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral élaborée à la demande du gouvernement en mars 2010. Il était alors question d’édicter un texte définissant des incriminations (interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public) et les peines qui les accompagnent pour garantir la sauvegarde de l’ordre public. Dans son rapport, le Conseil d’État a été conduit à s’interroger sur l’autorité compétente pour adopter ces règles. Il préconise le recours à la loi pour plusieurs raisons (p. 41). S’agissant en particulier de l’hypothèse dans laquelle le choix serait de mettre en place un régime d’amende, le Conseil s’interroge : quand bien même la définition des contraventions relève de la compétence du pouvoir réglementaire, « on peut se demander si une prohibition aussi large et prenant des formes aussi diverses de la dissimulation volontaire du visage ne touche pas aux règles relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, et, dans une moindre mesure, au droit de propriété et à la liberté du commerce et de l’industrie, au sens de l’article 34 de la Constitution ». Et le Conseil d’État de rappeler l’affirmation rituelle du Conseil constitutionnel selon laquelle « il appartient au législateur d’opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public sans lequel l’exercice des libertés ne saurait être assuré » (Cons. Constit., n° 85-187 DC, 25 janvier 1985, Loi relative à l’État d’urgence en Nouvelle-Calédonie, Rec. p. 43). C’est donc l’importance de la mesure restrictive (interdiction générale d’un comportement lui-même divers) qui détermine le choix du Conseil d’État de se tourner vers la loi. Il en revient aux principes de l’article 34 : au législateur l’essentiel, les garanties fondamentales pour l’exercice des libertés ; au pouvoir réglementaire, le secondaire, les restrictions limitées dans leur champ d’application et dans leur intensité. Pour autant, dans l’absolu, la compétence réglementaire avait d’importants titres à faire valoir : il s’agissait d’un texte établissant des contraventions ; il se situait clairement dans le giron de la police (limitation de l’exercice d’une liberté justifiée par la sauvegarde de l’ordre public).
Une certaine confusion règne donc dans le discours du juge administratif s’agissant du fondement du pouvoir d’édicter des décrets contraventionnels et plus généralement de la compétence du pouvoir exécutif pour aménager l’exercice des droits et libertés fondamentaux. La démarche suivie par le Conseil d’État dans son rapport « Burqa » nous semble être la plus judicieuse. Elle part en effet du principe que l’intervention du législateur constitue une garantie importante pour les citoyens comme le rappelle la jurisprudence relative à l’incompétence négative en matière de QPC (Pour une analyse nuancée, P. Rrapi, « L’incompétence négative dans la QPC : de la double négation à la double incompréhension », Nouv. CCC 2012, n°34, p. 163). Il justifie la mise à l’écart des références au pouvoir contraventionnel et au pouvoir de police dès lors que sont en cause des mesures qui ont pour objet de réglementer une liberté ou d’en limiter l’exercice. On entend bien que le critère de l’importance de la restriction est d’un maniement délicat et qu’il gagnerait à être affiné. Mais est-il vraiment moins opératoire que les distinctions et analyses mobilisées par le Conseil d’État dans ses arrêts LDH, SNES ou Association pour la promotion de l’image ?