Quelle(s) nullité(s) pour les atteintes aux droits fondamentaux ?
Droits fondamentaux : entre nullité relative et nullité absolue, faut-il vraiment choisir ?
Par Sébastien Milleville
La nullité absolue des atteintes contractuelles aux droits fondamentaux semble s’imposer avec évidence. Tout comme, parfois la nullité relative. Le choix de la nullité serait-il indifférent au caractère fondamental d’un droit ? Les droits fondamentaux seraient ainsi l’occasion d’éprouver déjà, la pertinence du critère de distinction des nullités élaboré autrefois par Japiot, ensuite la distinction elle-même entre nullité absolue et nullité relative.
Si le droit des obligations, dans son pendant responsabilité civile, subit l’influence grandissante des droits fondamentaux (V. sur ce point, Ch. Quezel-Ambrunaz, les contractions des conditions de la responsabilité civile, RDLF 2012, Chr. n° 27), l’impact des droits fondamentaux en matière contractuelle demeure plus discret. Il n’en est pas moins régulièrement dénoncé et si la vigueur des critiques dont il fait l’objet était un indice probant de l’ampleur du phénomène, on ne tarderait guère à remplacer le Code civil par une Convention européenne et un exemplaire de la Constitution lors des examens de droit des contrats… Telles ne semblent pas être les consignes. Pourtant lorsqu’on y songe, on se demande si ce n’est pas pour demain. Car en effet, face aux droits fondamentaux, le droit des contrats a tout à perdre. Leur logique, post-matérialiste, heurterait la sienne (Ch. Jamin, Le droit des contrats saisi par les droits fondamentaux, Repenser le contrat, dir. G. Lewkowicz, M. Xifaras, Dalloz, 2009, p. 200 & suiv.). Sur le fond, souvent flous, ils pourraient remettre en cause la sécurité juridique (v. sur ce point, J. Rochfeld, Violation du principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle – obs. sous Cass. Soc., 10 juillet 2002, Revue des contrats, 2003, p. 17 & suiv.) quand leur fondement supra légal devrait imposer d’abandonner les solutions traditionnellement justifiées par le seul Titre III du Livre III du Code civil.
A bien y réfléchir pourtant, le droit des contrats fait preuve d’une singulière vitalité, en ce que le thème des droits fondamentaux se présente le plus souvent au travers de la mise en œuvre de mécanismes internes on ne peut plus éprouvés. (v. sur ce point, parmi d’autres, relevant la ductilité du contrat, L. Maurin, Contrat et droits fondamentaux, Thèse, Univ. Aix-Marseille 3, 2011, n° 546). En matière de meilleur vin, les veilles outres n’auraient donc pas leur pareil. En témoigne une série de décisions récentes par laquelle la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur le sort de la clause d’un bail commercial prévoyant une adhésion forcée du locataire à une association censée animer le centre commercial où s’exécutait ledit bail (v. en dernier lieu, Cass. Civ. 1ère, 12 juillet 2012, pourvoi n° 11-17587). Cette décision amplement commentée reprend à son compte la solution qu’avait fait sienne la Troisième chambre civile quelques mois plus tôt (Cass. Civ. 3ème, 23 novembre 2011, pourvoi n° 10-23928). Ainsi, il a été jugé que l’atteinte à la liberté d’association (garantie notamment par l’article 11 Conv. EDH) réalisée par la clause d’adhésion forcée n’interdisait pas qu’au titre des restitutions consécutives à la nullité, l’association se prévale des prestations fournies durant la période antérieure au prononcé de la nullité. Si l’absence d’interdit peut sembler d’évidence, il faut dire qu’à peine une année plus tôt, la première Chambre civile (Cass. Civ. 1ère, 20 mai 2010, pourvoi n° 09-65045), au nom semble-t-il de l’effectivité de la sanction de l’atteinte à la liberté d’association, avait exclu ces restitutions. Bien que la paralysie punitive des restitutions ne soit pas inconnue du droit civil, (v. sur ce point, le très judicieux rapprochement opéré avec l’adage Nemo auditur par S. Gerry-Vernières, Nullité de la clause d’adhésion forcée à une association : le droit à restitution de l’association pour le passé, l’absence de droit pour l’avenir, Note sous Cass. Civ. 3ème, 23 novembre 2011, Les petites Affiches, 30 avril 2012, n°86, p. 11 & suiv., spéc. n° 7) la Cour de cassation, dans sa Première chambre civile, a donc abandonné le 12 juillet 2012 cette solution pour le moins innovante. Dans la mesure où cette dernière était indubitablement liée au caractère fondamental de la prérogative méconnue par la clause (la liberté d’association), il est tentant de voir l’arrêt de 2012 comme illustrant un recul dans la prise en compte des spécificités de l’atteinte contractuelle aux libertés fondamentales. Cette méfiance des Hauts magistrats n’est d’ailleurs pas nouvelle (v. sur ce point la synthèse opérée par Ch. Jamin, Le droit des contrats saisi par les droits fondamentaux, Repenser le contrat, op. cit., p. 207).
Reste que tout entière à ne pas conférer de statut exorbitant du droit commun des nullités s’agissant des restitutions consécutives à une méconnaissance de la liberté d’association, et donc en les intégrant dans le cadre du droit des contrats le plus habituel qui soit, la Cour de cassation maintient néanmoins que la clause litigieuse était frappée d’une nullité absolue. Ce choix de la nullité absolue avait été opéré bien plus tôt (Cass. Civ. 3ème, 12 juin 2003, pourvoi n° 02- 10778). Or, il n’est pas certain que la nullité absolue soit une sanction bien conforme aux principes traditionnellement admis en la matière (I), ce qui impose de s’interroger sur la pertinence de ces derniers (II).
I. Quelle nullité ?
A. L’affirmation de la nullité absolue de la clause d’adhésion forcée n’est donc nouvelle (Cass. Civ. 3ème, 12 juin 2003, précité). Et à l’époque déjà, on avait pu relever que cette proclamation du caractère absolu de la nullité n’était que la conséquence d’une décision d’Assemblée plénière par laquelle la Haute juridiction (Cass. Ass. Plén., 9 février 2001, pourvoi n° 99-17642) avait estimé que nul n’était contraint d’adhérer à une association ou d’en demeurer membre. La sanction fustigée serait ainsi à l’aune de la liberté proclamée (v. sur ce point, J. Mestre, B. Fages, De la liberté de ne pas contracter, obs. sous Cass. Civ. 3ème, 12 juin 2003, RTD. civ., 2004, p. 280 & suiv.). Autrement dit, c’est parce que la liberté atteinte serait fondamentale, que l’atteinte serait sanctionnée par une nullité absolue. On comprend alors que la gravité de l’atteinte (une liberté fondamentale !) suffit pour que la nullité encourue soit absolue. Sauf qu’à bien suivre la distinction des nullités, il n’est pas certain que la gravité de l’atteinte soit un critère véritablement pertinent du choix de la nullité absolue. Expliquons-nous.
On sait en effet que la distinction des nullités a été considérablement remaniée à la suite, notamment, des travaux de Japiot (Des nullités en matière d’actes juridiques, thèse Dijon, 1909), qui est habituellement considéré comme l’un des instigateurs de la théorie dite moderne des nullités. Depuis, on considère que la nullité est la sanction frappant un acte juridique contraire à une règle légale. Du fait de cette contrariété, les bénéficiaires de la règle légale méconnue se voient octroyer un droit de critique de l’acte juridique en cause : l’action en nullité (sur cette présentation, v. notamment, E. Gaudemet, Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, rééd. 2004, préf. D. Mazeaud, p. 166 & suiv.) Ainsi, pour déterminer la nullité applicable à un acte juridique, il faudrait d’abord se préoccuper de savoir si la règle méconnue est d’intérêt général, auquel cas la nullité devrait être absolue, ou si elle protège de simples intérêts particuliers et la nullité sera alors relative. Pour reprendre les mots de Japiot, il importe ici de se préoccuper du « motif en vertu duquel la loi consacre la règle sanctionnée par la nullité » (Japiot, Des nullités en matière d’actes juridiques, op. cit., p. 534). Le motif peut alors être « d’ordre particulier », ce qui entraine la nullité relative ou encore « d’ordre général », ce qui entraine une nullité absolue.
Qu’en est-il en l’espèce ? Un premier mouvement de l’esprit serait de justifier le caractère absolu de la nullité par l’intérêt général qui préside à la reconnaissance de la liberté d’association par l’article 11 de la Convention EDH. Le raisonnement semble imparable : les droits fondamentaux certes bénéficient à des particuliers, mais parce que tous peuvent s’en prévaloir, leur consécration satisfait l’intérêt général. On serait alors en présence du motif d’ordre général cher à Japiot. D’ailleurs, au nombre des nullités absolues, il envisageait expressément celle frappant les actes « de nature à compromettre des droits essentiels et inaliénables de l’individu » (Japiot, op. cit., p. 593, voir de même proposant de faire de la nullité absolue le principe : J. Raynaud, Les atteintes aux droits fondamentaux dans les actes juridiques privés, Thèse, Préf. E. Garaud, Presses Universiataires, Aix Marseille, 2003, n° 340).
Le choix de la nullité absolue aurait donc pour mérite de montrer que les droits fondamentaux peuvent se glisser sans heurt dans le moule habituel du droit des contrats. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, on devrait ainsi retrouver une nullité absolue chaque fois qu’un acte juridique méconnaissant une liberté fondamentale fait l’objet d’une sanction…
Dès lors, on ne peut que poser un regard circonspect sur les décisions par lesquelles la Cour de cassation a prononcé la nullité de certaines clauses de non-concurrence, en l’absence de contrepartie financière, du fait de l’atteinte causée au « principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle » (v. not. Cass. Soc., 26 janvier 2006, pourvoi n° 04-43646). La Cour de cassation a en effet expressément dénié à l’employeur le droit de se prévaloir de la nullité de la clause du fait de son absence de contrepartie… La solution est assurément opportune : dans l’espèce jugée en 2006, l’employeur avait tenté de répliquer à une demande de paiement de l’indemnité de non-concurrence formulée par son ex-salarié en invoquant, avec un à propos qui avait tout de l’effet d’aubaine, la nullité de ladite clause…
Cette solution n’est pas isolée et à vrai dire, elle semble même fermement établie (v. sur ce point, Y. Picod, S. Robinne, Répertoire de droit du travail, Dalloz, 2012, V° Concurrence (obligation de non-concurrence), n° 77 et la jurisprudence citée) : une clause de non concurrence sans contrepartie financière est donc nulle car elle heurte le principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle.
Il faut noter ici que la référence au principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle n’a rien d’inhabituel en matière de clause de non-concurrence. Ainsi, aux côtés de l’article L. 1121-1 du Code du travail, ce principe est régulièrement convoqué par la Cour de cassation pour réputer non-écrites les stipulations minorant l’indemnité financière (v. sur ce point, pour une stipulation supprimant l’indemnité en cas de démission, Cass. Soc. 3 mai 2012, pourvoi n° 10-26701) qu’au nom de ce même principe lesdites clauses doivent prévoir sous peine de nullité.
Reste que, pour fondamental que soit ce principe de libre exercice d’une activité professionnelle, lorsqu’une clause de non-concurrence ne prévoit pas d’indemnisation de l’ex-salarié, la Cour de cassation prive donc son ex-employeur de la possibilité de demander la nullité au motif, notamment, que l’employeur ne peut « faire état d’une nullité instituée seulement pour assurer la protection et la liberté du travail des salariés » (Cass. Soc., 18 décembre 1968, Bull. n° 610).
Si l’on se risque à l’analyse de la nullité mise en œuvre en l’espèce, il n’est guère d’autre choix que d’admettre qu’il s’agissait d’une nullité relative dès lors qu’elle n’était ouverte qu’au salarié. Exprimé dans la langue de la théorie moderne des nullités, cela revient à dire que seul le salarié peut demander la nullité d’une clause sans indemnité car lui seul dispose du droit de critiquer la clause de non-concurrence ne prévoyant pas de contrepartie.
De là à dire que le principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle est un principe « d’ordre particulier » qui ne protège que le salarié, il n’y a qu’un pas qu’il serait difficile de ne pas franchir… Ainsi, concernant la rémunération de l’ex-salarié lié par une clause de non-concurrence, la gravité de l’atteinte (un principe fondamental serait en jeu !) ne serait point un obstacle à une simple nullité relative.
En résulterait alors une contrariété surprenante au sein même de la jurisprudence de la Cour de cassation, car l’atteinte à la liberté d’association serait sanctionnée d’une nullité absolue au nom du caractère fondamental de cette liberté tandis que l’atteinte au principe de libre exercice d’une activité professionnelle serait sanctionnée d’une simple nullité relative, en dépit de son caractère fondamental.
B. Encore faut-il s’assurer que le principe de libre exercice d’une activité professionnelle mérite son label de « droit fondamental », notamment lorsqu’il vise à assurer une rémunération au salarié privé de la possibilité d’exercer librement son activité du fait d’une clause de non-concurrence. Préférant la logique à la rigueur, on allèguera pour commencer que cette garantie d’une rémunération apparaît au moins aussi fondamentale que la liberté de s’associer.
S’agissant des sources internationales, on pourrait se risquer à rattacher cette nécessaire indemnisation de la clause de non-concurrence à l’article 4 alinéa 1 de la Charte sociale européenne qui prévoit le droit à une rémunération équitable. Mais ce serait ici faire peu de cas de la jurisprudence interne, qui semble répugner à consacrer d’une manière globale l’effet direct de chacune des dispositions de ladite Charte (v. en sens, C. Nivard, l’effet direct de la Charte sociale européenne, RDLF, Chr. n° 28).
Heureusement, le droit de l’Union n’est pas en reste puisque tant la Charte des droits fondamentaux (article 15) que la jurisprudence de la Cour de justice permettent d’affirmer que le libre exercice d’une activité professionnelle constitue un droit fondamental (v. sur ce point, J. Molinier, Répertoire de droit communautaire, Dalloz, 2012, V° Principes généraux, n° 72) même si, ici encore, ce principe est consacré d’une manière générale sans que la question de la rémunération du salarié soit expressément visée.
Concernant spécifiquement la question de cette rémunération, la Cour de cassation a pris soin de la rattacher à l’article 6.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966. Elle a ainsi jugé que ce texte « directement applicable en droit interne, […] garantit le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, [et] s’oppose à ce qu’un salarié tenu au respect d’une obligation de non concurrence soit privé de toute contrepartie financière au motif qu’il a été licencié pour faute grave » (Cass. Soc., 16 décembre 2008, pourvoi n° 05-40876). Cependant, cette référence au Pacte du 16 décembre 1966 semble être restée isolée et à vrai dire, elle n’était peut-être que de circonstances… En effet, dans l’affaire en cause, la Cour de cassation avait à examiner la compatibilité avec ce principe d’une disposition législative spécifique aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle (v. sur ce point, R. de Quenaudon, Application de l’article 6.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, obs. sous Cass. Soc. 16 décembre 2008, Revue de droit du travail, 2009, p. 239 & suiv.). Ce principe du libre exercice d’une activité professionnelle, dans sa dimension garantissant une rémunération équitable semble donc pouvoir reposer cumulativement sur plusieurs textes, sans bénéficier d’une consécration expresse par l’un d’entre eux.
S’agissant des sources internes du principe, on peut soutenir que ce dernier pourrait bien être intégré au bloc de constitutionnalité (v. sur ce point, M-F Mazars, Pot pourri autour de l’arrêt du 29 juin 2011 – Santé et validité des forfaits en jour, Revue de droit du travail, 2011, p. 481 & suiv., n° 2) par le truchement de la liberté du commerce et de l’industrie (v. sur ce rapprochement entre liberté du travail et liberté du commerce, M. Guibal, Répertoire commercial, Dalloz, 2003, V° Commerce et Industrie, n° 58 ). En outre, l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946, qui pose le principe du devoir de travailler et du droit d’avoir un emploi pourrait être invoqué même si, en pratique le Conseil Constitutionnel semble se livrer à une lecture assez littérale de cette disposition, y voyant seulement une adresse au législateur concernant le « droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre » (Cons. Const. 4 février 2011, QPC n° 2010-98). Quoi qu’il en soit, il ne semble pas que ces différents rattachements incluent expressément la question d’une rémunération équitable du salarié…
Le fondement supralégal du principe de libre exercice d’une activité professionnelle serait-il donc un leurre ?
Cela serait bien regrettable. Et à cet égard, il faut ici prêter une attention toute particulière à une décision très récente de non-renvoi d’une QPC rendue par la Cour de cassation s’agissant justement de la possibilité de réputer non-écrites les conditions limitatives de l’indemnité financière prévue par une clause de non-concurrence (Cass. Soc., 28 novembre 2012, pourvoi n° 11-17941). Estimant qu’était en cause non pas l’interprétation jurisprudentielle de dispositions législatives qui n’était qu’un prétexte à la QPC mais bien une simple règle jurisprudentielle (sic) énoncée notamment au visa de ces dispositions législatives (en l’espèce l’article 1134 du Code civil et l’article L1121-1 du Code du travail), la Cour de cassation a refusé de transmettre la QPC. Le sens de ce notamment interpelle et il serait tentant d’y voir une volonté de la Chambre sociale de la Cour de cassation de rappeler que la règle jurisprudentielle provient aussi du principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle. Encore que ce notamment eût pu, pour plus de clarté, figurer deux termes plus loin dans l’arrêt. Quoiqu’il en soit, on ne saura donc pas dans l’immédiat si, pour le Conseil Constitutionnel, le libre exercice d’une activité professionnelle, qui garantit une rémunération équitable du travail et de l’impossibilité de travailler en présence d’une clause de non-concurrence, mérite son brevet constitutionnel de droit fondamental.
Mais finalement, s’agissant de la qualification de la nullité consécutive à la méconnaissance d’un droit fondamental, là n’est peut-être pas la question. En effet, dès lors que dans un cas, la Cour de cassation s’appuie sur une liberté qu’elle reconnaît elle-même comme fondamentale pour découvrir une nullité absolue tandis que dans un autre elle consacre une nullité relative en dépit d’un principe reconnu lui aussi comme fondamental, on comprend bien que le caractère fondamental n’est pas à lui seul suffisant pour déterminer le type de nullité en cause. Du chef de la Cour de cassation, le caractère fondamental semble donc, s’agissant des nullités, un principe à géométrie variable. On pourrait alors s’arrêter là et y reconnaître l’incorrigible versatilité du caractère fondamental. On pourrait même se lancer dans le dénombrement des « vrais » et des « faux » droits fondamentaux. On pourrait aussi, pour une fois, prendre le problème à rebours : si l’on peine à déterminer la nullité applicable aux méconnaissances de droits fondamentaux, c’est peut-être tout simplement parce que la distinction des nullités relatives et des nullités absolues aurait besoin d’un sérieux dépoussiérage.
II. Quelle distinction ?
A. On le sait, le critère de distinction moderne nécessite de déterminer le motif poursuivi par la règle dont la méconnaissance entraîne la nullité. Ce motif serait d’ordre particulier ou d’ordre général, et la nullité en découlant serait ainsi tantôt relative tantôt absolue. Or, de quelle règle parle-t-on ? Pour l’essentiel, s’agissant de la liberté d’association ou du libre exercice d’une activité professionnelle, il s’agissait respectivement d’une disposition (article 11) de la Convention européenne et d’un principe forgé sur mesure par la Cour de cassation. Ces dispositions sont-elles mues par un motif d’intérêt général ou un motif d’intérêt particulier ? Dans un premier mouvement de l’esprit, s’agissant de prérogatives « fondamentales », on ne peut qu’en déduire que ces règles sont mues par un intérêt général. De façon sommaire, on peut dire qu’au nom de l’intérêt général, certaines prérogatives des individus sont reconnues comme fondamentales en ce sens qu’elles font l’objet d’une protection spéciale.
Mais c’est là que le bât blesse car pour fondamentales qu’elles soient ces prérogatives n’en sont pas moins des prérogatives qui bénéficient à des individus, à de simples particuliers. La raison en est déjà que mises en œuvre dans des litiges d’ordre civil, ces prérogatives sont invoquées non pour le bien commun ou au nom de l’intérêt général mais bien dans le but de satisfaire la revendication ponctuelle d’un plaideur (v. sur ce point, relevant que faute de ministère public, « le droit français a permis à l’intérêt individuel de se superposer à l’intérêt général », R. Libchaber, obs. sous Cass. Com., 27 octobre 2007, Defrénois, 2007, n° 38697-74, p. 1729). Ainsi, dans les décisions ayant prononcé la nullité des clauses d’adhésion forcée, le preneur à bail agissait avant tout pour son propre compte en demandant à disparaître rétroactivement de la communauté des associés de l’association. Autrement dit, l’intérêt général s’il est à la source de la norme s’exprime la plupart du temps dans la mise en œuvre à titre particulier de cette norme. Ce qui vaut pour tous vaut pour chacun pris isolément. Cette duplicité de la norme consacrant une liberté fondamentale, née générale et qui ne vit que par le particulier, a au moins pour avantage de montrer que le critère de distinction des nullités relatives et des nullités absolues ne peut avoir la fermeté qu’on lui prête parfois. Il n’est donc pas étonnant que certaines libertés fondamentales donnent lieu à une nullité relative quand d’autres bénéficient d’une nullité absolue.
Tout irait pour le mieux si la faiblesse du critère n’apparaissait qu’à l’aune des normes reconnaissant des libertés fondamentales. Il serait alors aisé d’évacuer les difficultés en prétextant de la spécificité de ces dernières. Mais ce raisonnement tenant à la duplicité de la norme peut être généralisé bien au-delà des seules normes reconnaissant des prérogatives fondamentales.
Prenons ainsi l’exemple des vices du consentement en matière de contrats. Ils sont dans la théorie moderne des nullités l’archétype de la cause d’une nullité relative. Ainsi, lorsqu’un contractant a été victime d’un dol, lui seul peut demander la nullité du contrat, à l’exception de l’auteur du dol : l’autre contractant. C’est une nullité relative, dit-on, car la sanction du dol n’existe que pour protéger la victime du dol. Il est vrai que l’article 1116 du Code civil protège la victime du dol. Mais il n’est pas moins vrai que ce texte profite à tous, et l’on aurait beau jeu de dire que cet article, à la source de la nullité du contrat pour dol, ne serait pas mu par un motif d’intérêt général.
Un facile sophisme consisterait alors à dire que les nullités absolues étant justifiées par l’intérêt général, puisque toutes les lois reposent sur l’intérêt général, toutes les nullités sont absolues. Et d’un autre côté, il ne serait pas moins vrai de dire que les nullités relatives reposant sur un intérêt particulier, puisque toutes les lois civiles sont mises en œuvre par des particuliers, toutes les nullités sont relatives.
Il ne s’agit pas ici de plaider pour un retour à la distinction classique entre nullité absolue et nullité relative encore que l’on puisse faire pareil reproche à la reconnaissance systématique d’une nullité absolue en cas d’atteinte aux droits fondamentaux…Dans la distinction classique, parce qu’elles étaient conçues initialement non comme un droit de critique mais comme un état de l’acte, le choix de la nullité absolue ou de la nullité relative passait par une appréciation de la gravité du vice. L’on distinguait ainsi les actes simplement malades des actes mort-nés. Cette métaphore de l’acte juridique-organisme a vécu (v. sur ce point, Japiot, op. cit, p. 271 & suiv.) bien que l’on puisse encore en trouver quelques réminiscences en droit positif. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle jugé qu’un acte juridique nul pour absence de cause de l’obligation était nul de nullité absolue (Cass. Com., 23 octobre 2007, pourvoi n° 06-13979). L’existence d’une cause à l’obligation née d’un contrat, en l’espèce un prix non dérisoire, étant un élément essentiel à la validité du contrat, la sanction de ce contrat par une nullité absolue conduisait à faire de la gravité du vice affectant l’acte le critère de la nullité. Autant dire que la théorie de l’acte-organisme semblait revenue à la vie… En effet, la mise en œuvre de la distinction moderne aurait supposé de rechercher l’intérêt protégé par la règle exigeant que l’obligation ait une cause. Or, cette exigence d’une cause non-dérisoire à l’obligation protège avant tout le débiteur de cette obligation : son engagement ne doit pas rester sans contrepartie. C’est d’ailleurs précisément ce raisonnement qui a conduit la Cour de cassation, en matière d’absence de cause de l’obligation à consacrer par la suite… la nullité relative de l’acte (Cass. Civ. 3ème, 21 septembre 2011, pourvoi n° 10-21900) ! Mais là encore ces hésitations de la Haute juridiction relèvent bien plus de l’incertitude du critère de distinction de la théorie moderne que de difficultés inhérentes à l’absence de cause. En effet, l’absence de cause est prohibée par une règle de portée générale cela va de soi, mais elle n’est invoquée qu’à titre particulier : tout ce qu’il y a de plus ordinaire s’agissant d’une loi civile.
B. En somme donc, l’on constate que le critère de distinction défaille tant dans la théorie classique (la gravité du vice) que dans la théorie moderne (l’intérêt protégé). Un premier réflexe serait ici de tenter de perfectionner le critère de distinction. Et ce ne serait pas faire injure à Japiot que d’œuvrer en ce sens, lui qui avertissait déjà : « C’est qu’il nous est permis, croyons-nous, de n’avoir point la prétention d’apporter sur ce point une solution définitive, ni même – car il n’est rien de définitif en matière de doctrine juridique, – d’édifier une de ces constructions qui semblent devoir quelque temps s’imposer comme atteignant un maximum relatif de perfection » (Japiot, op. cit., p. 1). Mais ce serait peut-être hasardeux de prétendre après lui et tant d’autres trouver LE critère de distinction qui, de toute façon ne serait que temporaire.
Une seconde possibilité serait de se demander à quoi sert aujourd’hui ce critère de distinction. La réponse pour évidente qu’elle soit n’est pas forcément celle que l’on croit. Si le critère sert à choisir entre nullité relative ou nullité absolue, il faut avoir à l’esprit que ni l’une ni l’autre ne sont expressément mentionnées dans le Code, « injustice » que certains projets de réforme du droit des obligations entendaient d’ailleurs réparer (v. sur ce point, les doutes exprimés par D. Fenouillet, Regards sur un projet en quête de nouveaux équilibres : présentation des dispositions du projet de réforme du droit des contrats relatives à la formation et la validité du contrat, Revue des contrats, 2009, p. 279 & suiv., spéc. n° 54). Mais surtout, plus qu’une qualification opérée en scrutant la nature des choses, le choix d’une nullité absolue ou d’une nullité relative vise avant tout à consacrer un régime juridique donné.
Ainsi, la nullité relative de la clause de non-concurrence ne prévoyant pas de contrepartie vise avant tout à exclure l’employeur de la possibilité de demander la nullité. Inversement, la nullité absolue de la clause d’adhésion forcée permet d’éviter que l’adhésion forcée soit confirmée du fait notamment du règlement des cotisations de l’association et de la participation du locataire commercial à l’animation de celle-ci (v. sur ce point, S. Gerry-Vernières, loc. cit, n° 3).
En matière de nullité comme souvent ailleurs, le choix de la qualification est d’abord le choix d’un régime juridique (v. sur ce point, Th. Génicon, La nullité pour absence de prix sérieux de la vente est une nullité absolue soumise à la prescription trentenaire de droit commun, obs. sous Cass. Com., 23 octobre 2007, Revue des contrats, 2008, p. 234 & suiv.) . Mais cela ne doit pas étonner car faute d’une définition intangible et a-juridique de la nullité, la notion de nullité relative, tout comme la notion de nullité absolue ne sont que des condensés de leur régime juridique respectif.
Or, concernant ces différences de régime, distinguer nullité absolue et nullité relative relève parfois de la gageure. Lorsqu’on y songe, on s’aperçoit déjà que l’une et l’autre ont rigoureusement les mêmes effets : elles sont rétroactives et entrainent en principe des restitutions. Auparavant l’action en nullité relative était soumise à une prescription quinquennale et l’action en nullité absolue à la prescription trentenaire. Mais désormais, elles sont soumises à un même délai de prescription depuis que ce délai, pour les actions personnelles ou mobilières de droit commun, a été ramené à 5 ans par la loi du 17 juin 2008 (article 2224 du Code civil). Il n’y aurait ainsi qu’en matière réelle immobilière que des nullités absolues soumises à un délai de 30 ans pourraient survivre (v. sur ce point, L. Leveneur, A propos de la nature de la nullité d’un contrat pour défaut de cause et de sa prescription, note sous Cass. Civ. 3ème, 21 septembre 2011, Contrats Concurrence Consommation, 2011, comm. n° 252). Cela suffit-il à justifier la distinction entre les unes et les autres ? On peut se le demander. Dès lors qu’un texte, l’article 2227 maintient la prescription de 30 ans pour les actions réelles immobilières, il n’est peut-être plus besoin de qualifier l’action en nullité d’absolue : son caractère d’action réelle et immobilière ne suffirait-il pas ?
En réalité, seuls deux aspects de leur régime juridique respectif permettent encore aujourd’hui d’opposer nullité absolue et nullité relative : il s’agit de la possibilité ou non de confirmer l’acte nul et de la détermination des titulaires de l’action en nullité. L’acte nul de nullité absolue ne peut être confirmé, à la différence de l’acte nul de nullité relative. Par ailleurs, en principe, la nullité absolue est ouverte à tous alors que la nullité relative n’est ouverte qu’à un nombre limité de personnes (celles que la règle protège en particulier). Or, ces deux points du régime des nullités sont aujourd’hui, dans le giron de la théorie moderne, intimement liés (v. sur ce point, G. Couturier, La confirmation des actes nuls, Thèse, Préf. J. Flour, LGDJ, 1972, n° 201, p. 165 & suiv.).
En effet, si l’on ne peut confirmer l’acte nul de nullité absolue, c’est, dit-on, parce que cette confirmation n’aurait aucun intérêt en raison du fait que la nullité absolue peut être demandée par un grand nombre de personnes. Inversement, parce que la nullité relative est ouverte à un nombre limité de personnes, celles-ci pourraient à elles seules confirmer l’acte nul. Ainsi, malgré de nombreuses convergences, nullité absolue et nullité relative constitueraient donc deux blocs, deux régimes juridiques bien distincts dotés de leur cohérence propre.
L’utilisation de la nullité comme sanction d’une atteinte aux droits fondamentaux risque pourtant de faire voler en éclat cette cohérence. En effet, dès lors que la Cour de cassation reconnait qu’une atteinte à une liberté fondamentale est sanctionnée par une nullité relative, ce qu’elle fait s’agissant de la nullité d’une clause de non-concurrence ne prévoyant pas de contrepartie, il faut bien comprendre qu’elle entraîne corrélativement l’application de tout le régime juridique de la nullité relative (v. sur ce point, regrettant le caractère binaire de la distinction, O. Gout, Le juge et l’annulation du contrat, Thèse, Préf. P. Ancel, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1999, n° 331 & suiv.). Ainsi, s’agissant de la clause de non-concurrence stipulée sans rémunération, dès lors qu’elle est nulle de nullité relative, on ne voit pas ce qui interdirait l’ex-salarié de confirmer la clause. En effet, toute nullité relative reste sujette à confirmation. Inversement, en présence d’une nullité absolue, toute confirmation est exclue. Ainsi, la clause d’adhésion forcée à une association ne peut être confirmée par les membres de cette association.
On ne s’attardera pas sur l’opportunité de chacune de ces solutions si ce n’est pour relever que la possibilité d’une confirmation a, s’agissant d’une liberté fondamentale, un arrière goût désagréable : n’est-il pas risqué de laisser la possibilité à l’ex-salarié de confirmer une clause de non-concurrence nulle comme attentatoire au libre exercice de son activité professionnelle ? N’y-a-t-il pas un risque pour le bénéficiaire de la protection se voit, par cette voie, privé de la protection accordée jusque-là ? Inversement, en présence d’une nullité absolue, comme c’est le cas pour les clauses d’adhésion forcée, la liberté atteinte est-elle si fondamentale que ces bénéficiaires (les membres de l’association) se voient privés de la possibilité d’y renoncer ? Car, là encore, le choix de la nullité absolue conduit à exclure toute confirmation.
Le questionnement prend par ailleurs une toute autre tournure si l’on abandonne l’appréciation en opportunité pour tenter de comprendre ce qu’est réellement la confirmation d’un acte nul lorsque ce dernier méconnait une liberté fondamentale. Dans la droite ligne des enseignements de Japiot, on peut analyser en effet la confirmation d’un acte nul comme une renonciation à exercer le droit de critique contre cet acte (v. sur ce point, G. Couturier, op. cit. n° 49, p. 35). Sous l’angle d’une liberté fondamentale, cette renonciation s’analyse ainsi sommairement comme la renonciation à faire sanctionner une atteinte à cette liberté, ce qui peu ou prou revient à abdiquer cette liberté puisque l’on en tolère une méconnaissance.
Cela peut surprendre : les libertés ne sont-elles pas justement fondamentales pour être efficacement et envers et contre tout protégées ? Ce serait oublier que toutes les libertés n’ont pas la même aura. Certaines échappent à la volonté de leur titulaire quand d’autres y sont soumises (v. sur ce point, envisageant cette dimension objective des droits et libertés fondamentaux qui, parfois, fait obstacle à la libre disposition, X. Dupré de Boulois, Droits et libertés fondamentaux, , Licence Droit, PUF, 2010, p. 49). En un mot : on peut renoncer à certaines libertés, point à d’autres (sur l’identification des libertés susceptibles d’une renonciation, v. notamment J-B Seube, Le contrat de bail, les droits fondamentaux et l’ordre public, obs. sous Cass. Civ. 3ème, 22 mars 2006, Revue des contrats, 2006, p. 1146 & suiv.) Ainsi, à suivre cette idée, l’on pourrait se contenter de distinguer les nullités auxquelles on peut renoncer et les autres. Il faudrait pour ce faire ouvrir la confirmation bien plus largement qu’elle ne l’est aujourd’hui, en ne distinguant pas selon que la nullité est absolue ou relative mais selon que la liberté fondamentale atteinte peut faire l’objet d’une renonciation ou non.
Reste alors à répondre à une question et à surmonter une objection. La question est de savoir si une telle proposition a un avenir en dehors du cadre des nullités sanctionnant des atteintes à une liberté fondamentale. L’objection serait elle, la suivante : par le biais de la confirmation, ne s’agit-il pas de formuler un autre critère de distinction entre nullité absolue et nullité relative et de maintenir la distinction ? En somme, cela n’apporterait donc rien.
Sur la question de savoir si porter son attention sur la confirmation plutôt que sur la qualification de la nullité a un avenir en dehors des atteintes aux libertés fondamentales, on pourra répondre sur deux plans. Sur un plan théorique, cela aurait au moins pour intérêt d’assumer, pour toutes les nullités, que leur qualification dépend bien plus de leur régime que de leur hypothétique nature a priori. D’un point de vue pratique, s’attacher au caractère disponible des droits mis en œuvre dans le cadre de l’action en nullité pourrait probablement servir ailleurs que pour la défense des libertés fondamentales. Gageons en effet qu’il ne sera guère possible de renoncer à agir lorsque l’ordre public est en jeu. En effet, « derrière l’ordre public, il y a la société et l’intérêt général que les volontés individuelles ne peuvent évidemment évincer » (J-B Seube, loc. cit, Revue des contrats, 2006, p. 1149 & suiv.) . Ainsi, lorsqu’un contrat est nul pour immoralité de sa cause, on ne sache pas qu’il y ait ici en jeu des prérogatives auxquelles on puisse renoncer. Inversement, lorsqu’un vice du consentement a été commis, il ne revient qu’à la victime de se plaindre, ou non. Ainsi, sauf peut-être en ce qui concerne les libertés fondamentales, la prise en compte de la possibilité de confirmer l’acte en renonçant à demander la nullité ne changerait pas grand-chose.
Mais c’est alors l’objection qu’il faut surmonter : si cela ne change rien, à quoi cela peut-il bien servir ? L’objection peut cependant être dépassée si l’on prend garde au fait qu’il ne s’agit pas de présenter ici un nouveau critère pour la distinction des nullités absolues ou relatives. Ainsi, il n’est pas question de reconstituer deux blocs de régime juridiques partiellement distincts comme c’est le cas actuellement. Il s’agit simplement de distinguer entre les nullités susceptibles de confirmation et celles qui ne le sont pas.
Par conséquent, si l’on ne veut pas reconstituer deux régimes juridiques distincts, il faudrait dissocier la question de la confirmation de l’acte de celle de la détermination des titulaires de l’action en nullité. Un acte ne serait donc pas susceptible de confirmation parce que ceux qui peuvent en demander la nullité sont en faible nombre mais parce que les prérogatives mises en jeu sont disponibles. Inversement, le faible nombre des titulaires de l’action en nullité ne devrait pas forcément permettre la confirmation de l’acte nul. Songeons ici au salarié : il n’est peut-être pas souhaitable qu’il puisse renoncer à agir en nullité d’une clause de non-concurrence dépourvue d’indemnité compensatrice. Et cela ne veut pas dire pour autant que son employeur pourra demander la nullité de la clause sur ce fondement ! En effet, il n’échappera à personne que le principe de libre exercice d’une activité professionnelle concerne davantage le salarié ou celui qui doit s’abstenir de toute concurrence par un emploi salarié que son employeur. Parallèlement, si l’on peut renoncer à la liberté d’association et confirmer une adhésion forcée, cela n’interdira nullement à d’autres membres de l’association de faire un choix différent dès lors que la prérogative en jeu est laissée à la libre disposition de ces titulaires. Enfin, au-delà du champ des libertés fondamentales, la nécessaire existence d’un intérêt à agir en nullité permettrait peut-être au juge saisi de l’action en nullité d’écarter des plaideurs indésirables du bénéfice de celle-ci…
En définitive, le contentieux relatif aux libertés fondamentales pourrait peut-être, une fois n’est pas coutume en matière contractuelle, servir de point de départ à une rénovation de la théorie des nullités : elles deviendraient ainsi une cause parmi d’autres de la nullité des conventions.
Pour citer cet article : Sébastien Milleville, « Droits fondamentaux : entre nullité relative et nullité absolue, faut-il vraiment choisir ? », RDLF 2013, chron. n°1 (www.revuedlf.com)
Crédits photo : Sébastien Milleville