30 ans de la Cour de justice de la République : quels enseignements et nouveaux enjeux ? Le point de vue pénaliste
Raphaële Parizot, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Codirectrice du Département de droit pénal de la Sorbonne
La Cour de justice de la République doit disparaître. Telle est l’une des propositions phare des Etats généraux de la justice se faisant le relai « de nombreuses critiques qui concernent la mise en cause de la responsabilité pénale des décideurs publics »1 et de trois projets de loi constitutionnelle de 2013, 2018 et 20192. Si le 2ème rapport de conformité du GRECO (Groupe d’Etats contre la corruption) concernant la France publié le 10 avril 2024 ne fait aucune recommandation préconisant la suppression de la Cour de justice de la République (CJR), il n’en reste pas moins très critique, relevant notamment que « des affaires récentes ont relancé le débat quant à l’indépendance et l’impartialité, notamment perçue, de cette juridiction » et regrettant que les autorités françaises n’aient aucunement réagi à la recommandation faite en 2020 « de soumettre les membres du gouvernement à une juridiction garantissant une totale indépendance et impartialité non seulement réelle mais aussi perçue comme telle »3. Sur un plan doctrinal4, les critiques sont souvent sévères à l’égard de la CJR, dont la naissance relève de l’improvisation5 ou du bricolage6, et dont le fonctionnement s’apparente à un « salmigondis à la française »7. La Cour de justice de la République, 30 ans après sa naissance, mérite-t-elle de tels qualificatifs?
Née en 19938 dans le contexte de l’affaire du sang contaminé9, la Cour de justice de la République a rendu, en 30 années, seulement neuf décisions concernant douze ministres10, nombre de décisions à mettre en perspective avec le nombre de dénonciations, signalements et plaintes nombreux11. A la lecture des neuf décisions rendues par la CJR, auxquelles ajouter la quinzaine de décisions rendues par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui est compétente pour examiner les recours tant contre les arrêts de la commission d’instruction de la CJR12 que contre les arrêts de la formation de jugement de la CJR13, couplée à la lecture des dispositions constitutionnelles et législatives applicables, le bilan qui peut être fait du fonctionnement de cette juridiction, du point de vue pénaliste, est largement négatif tant sur le plan substantiel (qualifications, peines) que sur le plan procédural.
I – Au plan substantiel
Selon l’article 68-1 de la Constitution, « Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis », qu’« ils sont jugés par la Cour de justice de la République » et que cette dernière « est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent de la loi ».
Que les membres du Gouvernement puissent être poursuivis devant les juridictions de droit commun pour toutes les infractions accomplies sans lien avec l’exercice de leurs fonctions ne fait de doute pour personne. Plus largement (mais sur ce point, le consensus n’existe plus), il peut apparaître légitime que les membres du Gouvernement puissent être poursuivis pour toutes les infractions commises (du moins pour les crimes et délits), qu’elles l’aient été sans lien avec leurs fonctions ou en lien avec l’exercice de leurs fonctions. Autrement dit, on peut ne pas souscrire (et, à titre personnel, je ne souscris pas) à la critique faite à la CJR consistant à reprocher la possibilité de qualifier pénalement les actes des membres du Gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. En effet, lire que le juge ne pourrait sanctionner pénalement les actions de décideurs publics au risque de juger la politique d’un ministère14 et donc de violer le principe de séparation des pouvoirs porte atteinte au principe d’égalité devant la loi et constitue, dans le même temps, une insulte à la magistrature (judiciaire) : « on en arrive à s’émouvoir que des juges appliquent la loi ! »15. Au contraire, « la structure, les propriétés et les principes du droit pénal, dès lors qu’ils sont rigoureusement appliqués, paraissent (…) suffisants pour conjurer le risque de judiciarisation excessive de l’action publique. En effet, (…) le droit pénal « classique » porte, en lui-même une dynamique libérale d’autolimitation de nature à empêcher l’avènement d’un gouvernement des juges »16. L’affaire Buzyn le démontre parfaitement, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation ayant balayé la mise en examen de l’ancienne ministre de la santé et, par là même, la possibilité de la renvoyer devant la Cour de justice de la République : la qualification support de mise en danger d’autrui ne peut être utilisée « sans avoir préalablement constaté l’existence de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation manifestement délibérée est susceptible de permettre la caractérisation du délit », ce qui n’est pas le cas en l’espèce dans la mesure où, loin d’être soumise à une obligation précise, ne lui laissant aucune marge de manœuvre, la ministre de la santé disposait d’une marge d’appréciation politique dans la gestion de la crise du covid 1917.
Ce n’est donc pas la possibilité même de juger les ministres, y compris pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions, qui est critiquable, c’est l’application pratique qui en a été faite par la Cour de justice de la République qui l’est, et à laquelle la composition et le mode de fonctionnement de la CJR ne sont pas étrangers. Sur les neuf décisions rendues concernant douze ministres, la Cour de justice a prononcé cinq relaxes (Laurent Fabius, ancien premier ministre et Georgina Dufoix, ancienne ministre des affaires sociales et de la solidarité dans l’affaire du sang contaminé ; Ségolène Royal ancienne ministre chargée de l’enseignement dans une affaire de complicité de diffamation publique envers fonctionnaires; Edouard Balladur, ancien premier ministre, à propos de l’affaire Karachi ; Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice en exercice pour prise illégale d’intérêts) et sept condamnations pour atteintes involontaires à la vie et à l’intégrité physique (Edmond Hervé, ancien secrétaire d’Etat à la Santé dans l’affaire dite du sang contaminé), escroquerie (Michel Gillibert, ancien secrétaire d’Etat aux personnes handicapées), complicité d’abus de biens sociaux (Charles Pasqua, ancien ministre de l’intérieur condamné aussi pour recel; François Léotard, ancien ministre de la Défense), négligence à propos d’un détournement de fonds publics (Christine Lagarde, ancienne ministre de l’Economie), violation du secret (Jean-Jacques Urvoas, ancien ministre de la Justice), prise illégale d’intérêts et atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics (Kader Arif, ancien secrétaire d’Etat aux anciens combattants). Ces condamnations ont été accompagnées de deux dispenses de peine (Edmond Hervé, Christine Lagarde) ou de peines d’emprisonnement avec sursis assorties parfois d’une peine d’amende ou d’une peine complémentaire (3 ans d’emprisonnement avec sursis et 5 ans d’inéligibilité pour Michel Gillibert ; 1 an d’emprisonnement avec sursis pour Charles Pasqua ; 1 an d’emprisonnement avec sursis et 5000 euros d’amende pour Jean-Jacques Urvoas, ancien ministre de la Justice ; 2 ans d’emprisonnement avec sursis et 100 000 euros d’amende pour François Léotard ; 1 an d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende pour Kader Arif). Si le nombre de décisions prononcées n’est pas suffisamment important pour pouvoir tirer des conséquences en termes de statistiques, on peut tout de même remarquer que la CJR ne fait pas toujours preuve d’une motivation très convaincante. Deux exemples peuvent en être pris, l’un à propos de la qualification, l’autre à propos de la peine (ou de l’absence de peine) qui traduisent tous les deux un certain accommodement avec l’article 68-1 de la Constitution, qui pose pourtant que la CJR « est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent de la loi ».
Au titre d’un mauvais maniement des qualifications, on peut citer l’arrêt de la CJR du 29 novembre 2023 qui relaxe Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice en exercice du chef de prise illégale d’intérêts (art. 432-12 c. pén.). En effet, dans cette décision de 43 pages18, la Cour établit la situation objective de conflit d’intérêts à l’été 2020 du ministre de la justice tout juste nommé pour avoir déclenché des enquêtes administratives contre un juge qu’il avait publiquement mis en cause quand il était avocat, ainsi que contre trois anciens magistrats du parquet national financier (PNF), alors qu’il avait déposé plainte pour violation de la vie privée en raison d’une exploitation de ses fadettes dans le cadre d’une procédure diligentée par le PNF en parallèle dans l’affaire dite Bismuth. Toutefois, si l’élément matériel du délit de prise illégale d’intérêt (l’ingérence) est caractérisé19, l’élément moral fait défaut, dans la mesure où le ministre de la justice n’avait pas, selon la CJR, conscience d’agir en situation de conflit d’intérêts. Une telle décision est tout à fait critiquable. La Cour de cassation a « toujours considéré que l’intention coupable de commettre le délit de prise illégale d’intérêts est caractérisée du seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit (Crim., 15 décembre 1905, Bull. n° 554, Crim., 21 novembre 2001, Bull. n° 243) [et que] le délit se consomme indépendamment de la recherche d’un gain ou d’un avantage personnel (Crim., 14 juin 2000, Bull. n° 221) » (§135) ; par ailleurs l’arrêt de la commission d’instruction de la CJR soulignait bien que le ministre avait agi « sciemment ». Pourtant la CJR a considéré « que le garde de sceaux était objectivement dans une situation de conflit d’intérêts sans en avoir conscience, alors qu’il est un pénaliste réputé, entouré d’excellents magistrats au courant des intérêts en discorde »20. Pour le dire plus crûment, la CJR a tout simplement essayé « de noyer l’intention »21.
Au titre d’un mauvais maniement des réponses pénales, on citera la motivation accompagnant la dispense de peine dans l’arrêt de la CJR du 19 décembre 2016 qui déclare Christine Lagarde, ancienne ministre de l’Economie coupable de négligence ayant permis un détournement de fonds publics (affaire Tapie c./ Crédit Lyonnais22) sur le fondement de l’article 432-16 du code pénal. La dispense de peine se fonde sur l’article 132-59 du code pénal qui dispose : « La dispense de peine peut être accordée lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé »23. La CJR considère ces trois conditions réunies. Mais était-ce le cas ? La CJR prend en compte le contexte de crise financière mondiale dans lequel la prévenue a exercé ses fonctions de ministre des Finances, et elle juge que sa personnalité et sa réputation nationale et internationale ne peuvent que jouer en sa faveur, ce qui va dans le sens, tant d’un reclassement acquis, que de la disparition du trouble social. On peut en revanche être plus circonspect concernant la réparation du dommage. Pour la CJR, « les conséquences préjudiciables aux finances publiques résultant de l’absence de recours en annulation de la sentence arbitrale frauduleuse ont pris fin dès lors que la rétractation de cette dernière a été prononcée par arrêt définitif de la cour d’appel de Paris, en date du 17 février 2015 », considérant donc que le dommage de l’État a été réparé en raison de la rétractation de la sentence obtenue en justice. Sans doute cette rétractation participe de la réparation, mais elle n’y suffit pas. Pour reprendre les mots du professeur Mayaud, « tant que les 45 millions dus par les époux Tapie n’ont pas été effectivement reversés, cette réparation n’est pas acquise, et il semble bien, sauf à commettre une erreur, que telle était la situation le 19 décembre 2016, jour du prononcé de la dispense de peine. « Coupable, mais pas responsable », telle est en définitive la situation de Mme Christine Lagarde ! »24.
Ces critiques ne suffisent pas à décrédibiliser la Cour de justice de la République. Après tout, bien des décisions de justice, y compris de la Cour de cassation, peuvent être critiquées. Toutefois, elles participent d’une impression de mauvais fonctionnement, impression renforcée à l’étude de la mécanique procédurale qui anime cette juridiction.
II – Au plan procédural
Selon l’article 68-2 de la Constitution et la loi organique du 23 novembre 1993 (inchangée depuis 199325), la CJR est composée de quinze juges : douze sont des parlementaires élus au sein de chacune des deux assemblées et trois sont des magistrats du siège de la Cour de cassation dont l’un est président. L’action publique est portée devant la CJR par le procureur général près la Cour de cassation.
La CJR est saisie par le procureur général près la Cour de cassation soit après transmission par la commission des requêtes d’une procédure ouverte sur plainte nominative d’une victime26, soit d’office mais sur avis conforme de la commission des requêtes. La commission des requêtes, qui comprend sept membres (trois magistrats de la Cour de cassation, deux conseillers d’Etat et deux conseillers maîtres à la Cour des comptes27) joue donc un rôle crucial puisque, sans son aval, la saisine de la CJR n’est pas possible et que ses actes ne sont susceptibles d’aucun recours28.
La saisine de la CJR emporte nécessairement une mise en état de l’affaire par la commission d’instruction (qui est une formation de la CJR) composée de trois magistrats de la Cour de cassation. A l’issue de l’instruction menée, la commission d’instruction, après avoir reçu les réquisitions du procureur général et après avoir examiné les éventuelles nullités soulevées par les membres du gouvernement mis en examen et leurs avocats, peut décider d’un non-lieu ou bien, si elle estime que les faits reprochés aux membres du Gouvernement constituent un crime ou un délit, ordonner le renvoi de l’affaire devant la CJR.
Les arrêts de la commission d’instruction ainsi que les arrêts rendus par la CJR dans sa formation de jugement sont susceptibles d’un pourvoi en cassation devant l’Assemblée plénière de la Cour de cassation et, si cette dernière annule la décision rendue, l’affaire est renvoyée devant la CJR autrement composée.
Que penser de cette procédure rapidement présentée ? Outre le fait que la loi organique apparaît périmée à certains égards (elle fait référence à des dispositions du code de l’organisation judiciaire ou à des mécanismes qui n’existent plus comme la contumace), plusieurs critiques peuvent être faites à propos de son organisation, la première relevant de la procédure applicable, les suivantes, plus fondamentalement du fonctionnement de la Cour de justice de la République.
En premier lieu, on peut critiquer l’impossibilité pour la victime de se constituer partie civile devant la CJR29. Cette spécificité de la CJR peut ne pas être considérée comme problématique dès lors qu’il est rappelé que l’action civile a principalement pour objet la réparation du dommage causé (ce qui n’est pas exactement le sens du vent en ce moment) et que la victime peut demander réparation du préjudice subi devant les juridictions de droit commun. Mais cette spécificité peut devenir problématique lorsque la partie civile a une place prépondérante comme cela apparaît dans les affaires de diffamation (v. aff. Royal)30. Dans ce cas-là, comment faire pour entendre la victime si le procureur général soutient l’abandon des poursuites ? Les victimes ne peuvent pas être entendues comme parties civiles, elles peuvent être entendues comme témoins. Mais, devant la CJR, les règles applicables aux débats sont celles applicables aux jugements en matière correctionnelle (art. 26) et, en matière correctionnelle (à la différence de la matière criminelle – art. 310 c. proc. pén.), le président de la juridiction ne peut pas faire citer de témoins, ce qui peut être problématique ici si le procureur général soutient l’abandon des poursuites et ne souhaite pas entendre les victimes (en l’occurrence, dans l’affaire Royal, le président de la CJR avait demandé au procureur général de citer comme témoin les personnes se présentant comme victimes31).
En deuxième lieu, on peut souligner les difficultés liées à la compétence restreinte de la CJR (juger les ministres devant la CJR et les complices ou coauteurs éventuels non ministres devant les juridictions de droit commun avec des risques de contradiction)32, tout en ayant bien conscience que ce sont là des critiques que l’on retrouve pour beaucoup de juridictions spécialisées (à commencer par les juridictions pour mineurs).
En troisième lieu et de façon plus fondamentale, des critiques peuvent être faites quant au respect des principes d’impartialité et d’indépendance, composantes du droit à un procès équitable. Le respect du principe d’impartialité dans la procédure devant la CJR amène à s’interroger plus spécifiquement sur les recours. Qui examine les recours en nullité des actes d’instruction ? La commission d’instruction qui a elle-même instruit… Autrement dit, la commission d’instruction cumule les fonctions de juge d’instruction et chambre de l’instruction, de premier et de deuxième degré33. Ce cumul de fonctions interroge au regard du principe d’impartialité34, d’autant aurait été pu être envisagée peut-être une saisine de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Qui examine les arrêts rendus par la commission d’instruction et les arrêts rendus par la CJR ? Dans les deux cas, il s’agit de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation qui statue à chaque fois en fait et en droit.
Quant au principe d’indépendance, il est malmené à deux égards au moins. Faut-il à nouveau souligner que les ministres sont jugés par une juridiction composée en grande partie de leurs pairs35, caractérisant une « justice de l’entre-soi » 36 à l’opposé de l’idée d’indépendance ? Par ailleurs, comment ne pas remettre à nouveau sur la table le problème du statut du parquet et des liens qui existent avec le ministre de la justice (alors que celui-ci peut être mis en cause devant la CJR). Le procureur général de la Cour de cassation (qui porte l’accusation devant la CJR) peut-il continuer à être nommé sur proposition du ministre de la justice et ne pourrait-il pas être nommé sur simple proposition de la formation parquet du Conseil supérieur de la magistrature37 ?
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On peut remédier aux dysfonctionnements ici relevés mais c’est plus essentiellement le bienfondé d’une telle juridiction qui est en question. Si l’on peut admettre qu’il faille des ajustements (filtres) procéduraux pour juger des ministres, il faut remettre à plat tout le système pour repenser la mise en œuvre de la responsabilité des ministres38.
1 Comité des Etats généraux de la justice. Rendre justice aux citoyens, avril 2022, p. 21 et p. 124.
2 Projet de loi constitutionnelle n°816 relatif à la responsabilité juridictionnelle du Président de la République et des membres du Gouvernement déposé le 14 mars 2013 ; projet de loi constitutionnelle n°911 pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace déposé le 9 mai 2018 ; projet de loi constitutionnelle n°2203 pour un renouveau de la vie démocratique déposé le 29 août 2019.
3 GRECO, Cinquième cycle d’évaluation, Prévention de la corruption et promotion de l’intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l’exécutif) et des services répressifs, deuxième rapport de conformité France, 10 avril 2024, §64.
4 Dont on peut remarquer, en passant, la grande implication s’agissant des constitutionnalistes et la relative discrétion s’agissant des pénalistes.
5 G. Carcassonne, « Cour de justice de la République : renoncer au salmigondis à la française », JCP G 2012, 10004 ; C. Guérin-Bargues, Juger les politiques ? La Cour de justice de la République, Dalloz, 2017, p. 20 ou encore p. 36.
6 G. Carcassonne, « Cour de justice de la République : renoncer au salmigondis à la française », Ibid. ; H.-C. Le Gall, « Naissance de la CJR : une loi bricolée », AJ pénal 2021, p. 560.
7 Idem.
8 La composition et le fonctionnement de la Cour de justice de la République sont prévus dans le titre X de la Constitution « De la responsabilité pénale des membres du Gouvernement » au travers les articles 68-1 et 68-2, tels qu’ils résultent de loi constitutionnelle n°93-952 du 27 juillet 1993 portant révision de la Constitution du 4 octobre 1958 et modifiant ses titres VIII, IX, X et XVI, auxquels il faut ajouter les dispositions de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
9 Ce lien ressort d’ailleurs de l’art. 68-3 de la Constitution, créé par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, qui, à propos du titre X relatif à « la responsabilité pénale des membres du gouvernement », pose que « les dispositions du présent titre sont applicables aux faits commis avant son entrée en vigueur ».
10 1) CJR, 9 mars 1999 (affaire du sang contaminé) : relaxe de Laurent Fabius, ancien premier ministre et de Georgina Dufoix, ancienne ministre des affaires sociales et de la solidarité ; déclaration de culpabilité avec dispense de peine d’Edmond Hervé, ancien secrétaire d’Etat à la Santé (atteintes involontaires à la vie et à l’intégrité physique).
2) CJR, 16 mai 2000 : relaxe de Ségolène Royal ancienne ministre chargée de l’enseignement (complicité de diffamation publique envers fonctionnaires);
3) CJR, 7 juillet 2004 : condamnation à 3 ans d’emprisonnement avec sursis et 5 ans d’inéligibilité de Michel Gillibert, ancien secrétaire d’Etat aux personnes handicapées (escroquerie au préjudice de l’Etat);
4) CJR, 30 avril 2010 : condamnation à 1 an d’emprisonnement avec sursis de Charles Pasqua, ancien ministre de l’intérieur (complicité et recel d’abus de biens sociaux) ;
5) CJR, 19 décembre 2016 : déclaration de culpabilité avec dispense de peine de Christine Lagarde, ancienne ministre de l’Economie (négligence à propos d’un détournement de fonds publics) ;
6) CJR, 30 septembre 2019 : condamnation à un mois d’emprisonnement avec sursis et 5000 euros d’amende de Jean-Jacques Urvoas, ancien ministre de la Justice (violation du secret) ;
7) CJR, 4 mars 2021 : relaxe d’Edouard Balladur, ancien premier ministre ; condamnation à 2 ans d’emprisonnement avec sursis et 100 000 euros d’amende de François Léotard, ancien ministre de la Défense (complicité d’abus de biens sociaux) ;
8) CJR, 26 octobre 2022 : condamnation à 1 an d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende de Kader Arif, ancien secrétaire d’Etat aux anciens combattants (prise illégale d’intérêts, atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics) ;
9) CJR, 29 novembre 2023 : relaxe d’Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice en exercice (prise illégale d’intérêts).
11 Cécile Guérin-Bargues fait état de 14 500 plaintes déposées devant la CJR dans le contexte de la crise sanitaire de covid 19 : C. Guérin-Bargues, « L’emprise du droit pénal sur la responsabilité des gouvernants dans un contexte de crise sanitaire », AJ pénal 2021, p. 569. De manière générale, il est difficile d’avoir une idée statistique du fonctionnement de la CJR, le site de la Cour de cassation, qui héberge la jurisprudence de cette juridiction, ne publiant que les décisions prononcées par la CJR.
12 Art. 24 de la loi organique du 23 novembre 1993.
13 Art. 33 de la loi organique du 23 novembre 1993.
14 V. C. Guérin-Bargues, « L’emprise du droit pénal sur la responsabilité des gouvernants dans un contexte de crise sanitaire », op. cit. : « est-il normal et sain de faire peser un risque pénal sur la décision politique, de laisser au juge le soin de déterminer si les gouvernants ont été à la hauteur de leurs responsabilités ? » ; « le droit pénal est un outil inadapté pour se saisir des faits de « maladministration » ». D. de Béchillon, « Que faire de la Cour de justice de la République ? », in La scène juridique : harmonies en mouvement. Mélanges en l’honneur de Bernard Stirn, Dalloz, 2019, p. 69 et s. : parmi les raisons de ne pas soumettre les ministres au droit commun, l’auteur indique que « le goût du sang a rarement été aussi partagé », « les ministres sont embarqués », « tout cela entraîne des effets d’anticipation redoutables », « la défiance des politiques à l’égard des juges aggrave le phénomène ». O. Beaud, « La Cour de justice de la République est-elle vraiment compétente pour juger les ministres dans l’affaire du sang contaminé ? », D. 1999, p. 75 et s. : « Dans l’affaire du sang contaminé comme dans tous les cas de gestion d’un ministère ou d’action gouvernementale, ce n’est jamais un seul fait qui est en cause, mais une myriade de faits, de décisions ou de non-décisions, résultats de l’action ou de l’inaction d’un ministère ou du Gouvernement pendant des mois ou des années. On évalue alors, et globalement, la politique de la santé publique, et plus précisément la politique du ministère en ce qui concerne la prévention de l’épidémie du sida, ou encore plus précisément l’absence de prévention des risques de contamination à l’occasion de la transfusion sanguine. Bref, on ne juge pas un fait ministériel litigieux, mais la politique d’un ministère ». V. la réplique de P. Conte (« L’immunité pénale des membres du gouvernement et l’article 68-1 de la Constitution, D. 1999, p. 209 et s.) qui relève « cette conception curieuse selon laquelle tout auteur d’infraction n’est pas un délinquant (un homme d’affaires déclara un jour : « j’ai pu être condamné, certes, mais je suis resté honnête »). Un rapprochement s’impose avec le refrain rebattu (mais actuellement repris comme une antienne originale) sur la grossièreté du droit pénal au regard de sanctions plus aimables, civiles, administratives, disciplinaires et autres. Lorsque médecins, journalistes, avocats, élus, etc. auront chacun « leur » justice, il restera à la République à expliquer au vulgaire qu’il relève, lui, des « communs » ».
15 A. Garapon et D. Salas, La République pénalisée, Hachette, 1996, p. 46.
16 P. Beauvais, « La responsabilité pénale des membres du gouvernement », chron. sous Cass. ass. plén., 20 janvier 2023, n°22-82535, RSC 2023, p. 88.
17 Cass. ass. plén., 20 janvier 2023, n°22-82535. Sur la responsabilité des gouvernants en période de crise, v. le projet de recherche dirigé par E. Bottini et A. Baraggia, « La responsabilité des gouvernants en période de crise : une étude comparée France-Italie », 2022-2024, projet soutenu par l’IERDJ.
18 On peut relever une tendance à des décisions récentes plus longues au regard des décisions rendues au début des années 2000 de quelques pages (moins de 10 pages).
19 CJR, 29 novembre 2023: « 133. l’intérêt pris par M. [A]-[X], en décidant, en sa qualité de garde des sceaux, de saisir l’IGJ aux fins d’enquêtes administratives concernant M. [TA], d’une part, et Mmes [LO] et [BF] et M. [H], d’autre part, a été de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans les opérations dont il avait la charge d’assurer la surveillance et l’administration au sens de l’article 432-12 du code pénal.
134. Dès lors, l’élément matériel des délits de prise illégale d’intérêts visés à la prévention apparaît établi à l’égard du prévenu ».
20 N. Catelan, « Elément moral de la prise illégale d’intérêt : Wittgenstein, le non-sens et la CJR », Gaz. Pal. 2 avril 2024, n°12, p. 66.
21 M. Segonds, « Le déni d’une intention par l’arrêt du 29 novembre 2023 de la CJR ou l’art de noyer l’intention », JCP G, 2024, n°182. En considérant qu’il ne résulte pas des éléments de fait que « le nouveau garde des sceaux ait eu la volonté de passer outre au conflit d’intérêts qui résultait de la coexistence de l’intérêt moral personnel, professionnel, direct ou indirect, lié à son activité libérale antérieurement à sa prise de fonctions, ou de rechercher la satisfaction d’un désir de revanche » (§ 137), la CJR se trompe par deux fois au moins selon M. Segonds :
– « Première raison, l’appréciation de l’élément moral du délit de prise illégale d’intérêts n’a jamais consisté à s’assurer que l’agent ait eu la volonté de passer outre au conflit d’intérêts qui est le sien mais, uniquement, à vérifier qu’il a eu la conscience et la volonté d’accomplir « l’acte constituant l’élément matériel du délit » de prise illégale d’intérêts, ce qui en l’espèce, revenait uniquement à apprécier si le garde des Sceaux avait consciemment et volontairement procéder à la saisine de l’IGJ en sachant qu’il se trouvait en situation objective de conflit d’intérêts, dernier élément qu’il ne pouvait décemment ignorer ».
– « Seconde raison : la recherche de la satisfaction « d’un désir de revanche » est totalement étrangère à la caractérisation du dol général, s’agissant, à l’évidence, d’un simple mobile » (§ 140).
22 On se souvient que, à la suite de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008 en faveur de M. Bernard Tapie dans le contentieux qui l’opposait au Crédit Lyonnais, des doutes ont pesé sur le rôle joué par Mme Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie et des Finances, de l’Industrie et de l’Emploi, amenant à son renvoi devant la CJR et à sa reconnaissance de culpabilité assortie d’une dispense de peine. On reprochait en effet de nombreux manquements à l’ancienne ministre relatifs tant au principe de l’arbitrage qu’à l’acquiescement de la sentence rendue. La Cour ne retient pour négligence que l’absence de réaction à la sentence.
23 L’art. 132-59 ajoute que « la juridiction qui prononce une dispense de peine peut décider que sa décision ne sera pas mentionnée au casier judiciaire », ce qui était le cas dans l’affaire Lagarde.
24 Y. Mayaud, « L’arrêt « Christine Lagarde », ou pour une analyse strictement juridique… », JCP G 2017, n°205.
25 Sauf la petite modification introduite par la loi organique du 5 mars 2007 à l’art. 8 : « Le ministère public près la Cour de justice de la République est exercé par le procureur général près la Cour de cassation, assisté d’un premier avocat général et de deux avocats généraux qu’il désigne » et non plus « assisté du premier avocat général et de deux avocats généraux désignés par le procureur général ».
26 Art. 68-2 al. 2 de la Const. : « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du Gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès d’une des requêtes ».
Art. 13 de la loi organique de 1993 : « Sous peine d’irrecevabilité, la plainte portée auprès de la commission des requêtes par une personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du Gouvernement dans l’exercice de ses fonctions doit contenir le nom du membre du Gouvernement visé par ladite plainte et l’énoncé des faits allégués à son encontre ; elle doit être signée par le plaignant.
Aucune constitution de partie civile n’est recevable devant la Cour de justice de la République.
Les actions en réparation de dommages ayant résulté de crimes et délits poursuivis devant la Cour de justice de la République ne peuvent être portées que devant les juridictions de droit commun ».
27 Art. 12 de la loi organique de 1993.
28 Art. 14 de la loi organique de 1993.
29 Art. 13 loi organique de 1993 : « Sous peine d’irrecevabilité, la plainte portée auprès de la commission des requêtes par une personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du Gouvernement dans l’exercice de ses fonctions doit contenir le nom du membre du Gouvernement visé par ladite plainte et l’énoncé des faits allégués à son encontre ; elle doit être signée par le plaignant.
Aucune constitution de partie civile n’est recevable devant la Cour de justice de la République.
Les actions en réparation de dommages ayant résulté de crimes et délits poursuivis devant la Cour de justice de la République ne peuvent être portées que devant les juridictions de droit commun ».
30 Voir les propos de l’ancien président de la CJR H.-C. Le Gall, « Naissance de la CJR : une loi bricolée », AJ pénal 2021, p. 560.
31 Idem.
32 Ibid. V. également C. Guérin-Bargues, « Quand le principe d’indivisibilité des procédures cède la place à un privilège de juridiction. A propos de l’arrêt Balladur – Léotard », JCP G 2021, 345.
33 Pour une illustration de la spécificité de la procédure devant la commission d’instruction de la CJR, v. Crim., 26 avril 2022, n°21-86158 et la note de G. Beaussonie AJ Pénal 2022 p. 321.
34 Même si la Cour de cassation elle-même n’y voit pas de difficulté : Ass. plén., 13 mars 2020, n°19-86609 ; Ass. plén., 6 juin 2003, n°01-87092 et 03-80734.
35 Cette composition doit d’ailleurs être prise en considération lorsqu’il s’agit de comprendre pourquoi le procureur général ne saisit pas l’Assemblée plénière de la Cour de cassation en cas de relaxe : il peut y avoir une volonté d’apaisement mais il peut y avoir une conscience de ce que, même si l’arrêt rendu par la CJR était cassé, la CJR saisie sur renvoi aurait à nouveau statué dans le même sens que le premier arrêt rendu par la CJR…
36 L. Cadiet, J. Normand, S. Amrani-Mekki, Théorie générale du procès, Puf, 3e éd., 2020, n°72.
37 F. Molins, « Le parquet général 2030 », AJ pénal 2022, p. 456.
38 V. la contribution suivante de G. Beaussonie, « Repenser la responsabilité des ministres ? ».