La protection constitutionnelle du sentiment religieux en Italie : « le « grain » tombe mais ne meurt pas »
L’Italie vit une expérience particulière en matière de protection du sentiment religieux compte tenu de la place du catholicisme dans son histoire politique. L’auteur rend compte ici de l’évolution du droit italien notamment sous l’influence de la Cour constitutionnelle. Elle donne à voir la persistance d’une tension dialectique et de la recherche d’un point d’équilibre entre deux types d’exigences, celles tenant à la protection du sentiment religieux – sans doute encore idéologiquement marqué au-delà des Alpes – et celles liées à l’égalité entre les religions, à la liberté religieuse et à la libre manifestation de la pensée.
Jean-Jacques Pardini est agrégé des Facultés de droit, doyen honoraire de la Faculté de droit de Toulon et directeur adjoint du CDPC Jean-Claude Escarras – UMR/CNRS 7318 DICE
Que la protection du sentiment religieux ait été marquée, en Italie, par une histoire particulièrement tourmentée et une longue évolution, scandée par des audaces pour le moins prudentes de la Cour constitutionnelle est un constat qui sera largement vérifié dans les lignes qui suivent. Que le cours de son évolution ait été fortement influencé par la nature des relations entre l’Etat et les confessions religieuses et la « conscience sociale » de la communauté italienne est une évidence qui le sera tout autant. Si l’on remonte brièvement dans le temps, on observera, d’abord, que pratiquement tous les Etats pré-unitaires – rien d’étonnant à cela, la religion catholique étant à l’époque la religion « officielle » de ces Etats – avaient adopté des législations réprimant le blasphème (bestemmia). Ainsi, par exemple, le Royaume de Sardaigne, faisant de la religion catholique « la religion unique de l’Etat », sanctionnait lourdement les offenses faites au culte[1]. En revanche, le Code « Zanardelli » de 1889[2], inspiré des principes libéraux, ne fera aucune référence à la répression du blasphème, protégeant « seulement » la liberté religieuse « des individus » dans ses multiples manifestations[3].
L’avènement du fascisme, instaurant à nouveau un régime confessionnel[4], conduira le législateur à rétablir un régime répressif propre à protéger la religion in se, d’abord avec l’article 232 du t.u.l.p.s. du 6 novembre 1926[5], ensuite avec l’article 724 alinéa 1 du Code pénal Rocco[6] qui, figurant au sein de la section relative aux contraventions concernant la police des mœurs, disposait initialement : « Quiconque se rend coupable publiquement de blasphème, par invectives ou paroles outrageantes, contre la Divinité ou les symboles ou personnes vénérés dans la religion de l’Etat, est puni d’une amende 20 mille à 600 000 lires. Encourt la même peine celui qui se livre à toute manifestation publique outrageante envers les défunts ». D’autres articles du Code Rocco prévoyaient d’autres catégories d’infractions contre la religion catholique, à savoir les articles 402, 403, 404 et 405 réprimant respectivement « l’outrage à la religion de l’Etat », « les offenses à la religion de l’Etat par injure aux personnes », « les offenses à la religion de l’Etat par dénigrement des objets de culte » et le « trouble à l’exercice du culte catholique ». L’article 406 prévoyait aussi l’hypothèse d’infractions contre les cultes reconnus par l’Etat – renvoyant aux faits visés aux articles 403, 404 et 405 – mais avec – source de difficultés futures – une « peine diminuée »[7]. On le voit, le Code Rocco offrait donc une protection privilégiée à la religion catholique, apostolique et romaine, en tant que « religion de l’Etat », par rapport aux autres religions puisque, d’une part, les articles 402 et 724 alinéa 1 sanctionnaient les seules offenses faites à la religion catholique et, d’autre part, l’article 406 prévoyait une peine diminuée lorsque les faits visés par les articles 403 à 405 avaient été commis au détriment des « cultes reconnus » – donc différents du culte catholique. Quant aux « cultes non reconnus », non visés par le Code, ils ne bénéficiaient d’aucune protection particulière. Le système ainsi tracé était conforme à la conception de l’époque, assimilant la « religion de l’Etat » à un « patrimoine idéologique » porteur de dogmes, de principes et de valeurs inaliénables. Dans cette logique, la religion catholique était hissée au rang de « bien de civilisation »[8].
L’adoption de la Constitution du 27 décembre 1947 a bien évidemment suscité des tentatives de redéfinition du « bien juridique », toujours protégé par les dispositions du Code Rocco, resté en vigueur[9]. Force est de constater, à cet égard, les hésitations ou les tâtonnements qui ont pu affecter, dans un premier temps, ces tentatives. La Cour constitutionnelle a pu ainsi faire référence, pour qualifier la religion catholique, à une religion de l’Etat en tant que « société » (et non plus en tant qu’« organisation politique ») (arrêt n° 79 de 1958[10]), au « sentiment religieux, comme élément-base de la liberté de religion que la Constitution reconnaît à tous » (arrêt n° 14 de 1973[11]), ces deux expressions renvoyant, cependant, à un « sentiment religieux collectif » proche, à tout le moins, du « bien de civilisation » auparavant reconnu. La Cour de cassation italienne a pu, quant à elle, évoquer, y compris dans des temps plus récents, une « bienséance sociale », liée à l’idée de bonnes mœurs[12], valorisant ainsi la place de l’article 724 dans le Code pénal. Il va falloir attendre l’important arrêt n° 440 de 1995[13] pour que, après quelques (longues, trop longues) velléités, la Cour constitutionnelle précise, à propos de l’article 724 alinéa 1, qu’il protège le « sentiment religieux individuel », lequel jouit d’une protection constitutionnelle directe aux termes des articles 2, 8 et 19 de la Constitution et indirecte par l’intermédiaire de ses articles 3 et 20.
Cette évolution n’était d’ailleurs pas que sémantique puisque – les mots ayant un sens – elle renvoyait également à un changement profond de l’idée même de « réalité religieuse » qu’impliquait nécessairement la consécration des principes constitutionnels. A cet égard, en même temps qu’elle s’efforçait d’appréhender, par glissements successifs, l’objet pénalement protégé par les dispositions du Code Rocco, la Cour constitutionnelle, par sa jurisprudence, remettait en question la situation de privilège de la religion catholique qu’elle reconnaissait jusqu’alors (I), amorçant ainsi la « longue marche » vers l’égalité entre les confessions religieuses (II). Le législateur, prenant acte de ces avancées, allait emboîter le pas au juge constitutionnel en 2006, modifiant, à plusieurs égards, les dispositions du Code pénal. La question se pose, cependant, même après cette réforme, du « statut » de la « critique religieuse » – pour employer une formule inclusive (III).
I – La situation de « privilège » de l’Eglise catholique
Les premières décisions de la Cour constitutionnelle relatives aux articles du Code pénal plus haut rappelés se fondaient, pour rejeter les questions portant sur leur constitutionnalité, sur le postulat – sociologique – selon lequel la religion catholique était la « religion de la quasi-totalité du peuple italien » (A). La Cour, cependant, consciente du caractère difficilement acceptable de la préséance qu’elle-même reconnaissait au culte catholique, allait infléchir sa position, se résolvant, dans un premier temps, à lancer un appel au législateur (B).
A – Le postulat : la religion catholique, « religion de la quasi-totalité du peuple italien »
L’arrêt n° 125 de 1957[14] est le premier « épisode » d’une longue série, par lequel le juge constitutionnel se prononçait sur la conformité à la Constitution de l’article 404 du Code Rocco relatif aux « offenses faites à la religion de l’Etat par dénigrement des objets de culte »[15]. Dans son ordonnance de renvoi, le juge a quo observait que les dispositions de l’article 404 du Code pénal – comme, d’ailleurs, celles des articles suivants – étaient corrélées au principe consacré à l’article 1er du Traité de Latran – reprenant l’article 1er du Statut albertin – et que ce principe portait atteinte à la Constitution, notamment à son article 8 qui, évoquant la liberté des confessions religieuses (Eglise catholique comprise), impliquait une égalité de traitement entre elles. En somme, soutenait-il, les principes gouvernant les rapports entre l’Etat et l’Eglise, tels qu’ils se déduisent de la Constitution, étaient en décalage avec ceux exprimés par l’article cité du Traité et, plus spécifiquement, avec ceux fondant les articles 402, 403 et 404 du Code pénal qui se réfèrent à la « religion de l’Etat ». L’Avocat général de l’Etat, à l’inverse, estimait que la disposition en cause ne portait pas atteinte aux articles 7 et 8 de la Constitution, considérant, d’une part, que l’article 7 garantissait le maintien en vigueur des Accords de Latran après l’entrée en vigueur de la Constitution et que, d’autre part, l’article 8, en son premier alinéa, consacrait certes le principe de liberté des différentes confessions religieuses, mais pas celui d’une égalité intrinsèque entre elles[16]. Enfin, il considérait que la différence de protection pénale entre la religion catholique et les autres cultes – telle qu’elle résultait de la confrontation des articles 404 et 406 du Code pénal – était justifiée par le fait qu’elle correspondait « à des considérations de politique criminelle relatives à la conscience éthique de la Nation italienne qui, dans sa quasi- totalité, est de religion catholique »[17].
D’emblée, la Cour rappelle la différence d’inspiration qui informe les Codes Zanardelli et Rocco. Alors, en effet, que le premier « visait à protéger directement, non pas la religion in se, mais la liberté religieuse individuelle »[18], le législateur de 1930 « a entendu hisser le sentiment religieux au rang d’objectif spécifique de la répression pénale[19] (…) au regard de l’importance de l’idée religieuse, qui transcende l’exercice d’un droit individuel et constitue l’une des valeurs morales et sociales attachées à l’intérêt de la collectivité, au-delà de celui du seul individu ». En sorte que « les infractions liées au sentiment religieux sont, dans le système de 1930, considérées comme des offenses à un intérêt collectif ». Par ailleurs, « si le Code Zanardelli établissait des peines identiques pour les atteintes portées à la liberté de tous les cultes (…), le Code de 1930, à l’inverse, (…) a placé la religion catholique dans une situation différente de celles des autres confessions religieuses, établissant, avec l’article 404 et les articles 402, 403 et 405, qui concernent tous la religion catholique et qui la qualifient, comme l’article 1er du Traité de Latran, « religion de l’Etat « , une protection pénale différente de celle prévue par l’article 406 qui vise les autres cultes ». Ce système, explique-t-elle, « trouve son fondement dans l’importance qu’a eu et a toujours l’Eglise catholique en raison de la tradition ancienne et ininterrompue du peuple italien lequel, dans sa quasi-totalité, y adhère et dans la situation juridique particulière qui, à la suite du différend entre l’Etat et l’Eglise et à la résolution de la question romaine, a été reconnue, en faveur de l’Eglise, par les Accords de Latran (Traité et Concordat) du 11 février 1929 ».
Passant ensuite à l’examen de la compatibilité de cette situation normative avec les articles 7 et 8 de la Constitution, elle affirme, avec une certaine force, que « le Constituant a prévu, aux articles 7 et 8 de la Constitution – respectivement pour l’Eglise catholique et les autres confessions religieuses – des normes explicites qui n’établissent entre elles aucune « égalité », mais qui, au contraire, révèlent une différenciation de leur situation juridique qui, certes, renvoie à une égale liberté (comme l’énonce l’article 8 alinéa 1 de la Constitution), mais pas à une identité de règlement des rapports avec l’Etat ». En effet, précise-t-elle, « alors que l’article 7 alinéa 1 indique que « l’Etat et l’Eglise catholique sont, chacun dans leur domaine, indépendants et souverains », l’article 8 alinéa 2 précise que « les confessions religieuses autres que la confession catholique ont le droit de s’organiser selon leurs propres statuts, à condition qu’ils ne soient pas en contradiction avec l’ordonnancement juridique italien » ». En outre, « tandis que l’article 8 alinéa 3 de la Constitution prévoit que les rapports entre l’Etat et les confessions religieuses différentes de la religion catholique « sont réglementés par la loi sur la base d’ententes avec les représentants de chaque confession », l’article 7 alinéa 2 de la Constitution indique que les relations avec l’Eglise catholique « sont réglées par les Accords de Latran » et que « les modifications de ces Accords, acceptées par les deux parties, n’exigent aucune procédure de révision constitutionnelle » »[20]. Elle rejette donc, au terme de ce raisonnement, la question de constitutionnalité, acceptant, par là, une situation de « privilège » de la religion catholique[21].
Par l’arrêt n° 79 de 1958[22], la Cour constitutionnelle devait, pour la première fois, se prononcer sur la conformité à la Constitution de l’article 724 du Code pénal réprimant le blasphème, à la suite d’une affaire de crachat sur un crucifix. Comme dans le cas précédent, le juge a quo, invoquant les articles 7 et 8 de la Constitution, estimait que l’infraction en cause présupposait que la religion catholique était la seule religion de l’Etat et qu’un tel présupposé était devenu caduc du fait de l’entrée en vigueur de la Constitution, dont l’article 8 consacre la liberté des confessions religieuses en postulant l’égalité entre elles. L’Avocat général de l’Etat, quant à lui, soutenait en substance que la protection pénale concernait non pas la religion catholique en tant que religion de l’Etat, mais – argument pragmatique déjà retenu par la Cour – en tant que religion de la quasi-totalité du peuple italien[23]. La Cour, rappelant sa précédente décision, tranche rapidement – l’arrêt est particulièrement bref ![24] – la question, en précisant que la religion catholique, en tant que religion de la quasi-totalité des citoyens, « doit bénéficier d’une protection pénale particulière, du fait de la plus grande ampleur et de la plus grande intensité des réactions sociales naturellement suscitées par les offenses qui l’atteignent ». Elle ajoute que cette situation « semble pouvoir se déduire, également, du fait que le Code pénal évoque parfois (article 405), non pas la religion de l’Etat, mais la religion « catholique ». Or, cette universalité de traditions et de sentiments catholiques dans la vie du peuple italien est restée, sans l’ombre d’un doute, inchangée avec l’avènement de la Constitution. Par conséquent, restent également inchangées les raisons pour lesquelles, à l’article 724 et dans d’autres normes du Code pénal, le législateur a prévu une protection spéciale des symboles et des représentants de la religion catholique ». Ainsi, la Cour constitutionnelle, par cette décision, adopte à nouveau un critère quantitatif – la « quasi-totalité », formule significative – pour admettre une protection pénale différenciée des catholiques et des non-catholiques[25].
En 1965, ce fut l’article 402 du Code pénal, réprimant l’outrage à la religion de l’Etat, qui fit l’objet, par l’arrêt n° 39[26], de l’examen de constitutionnalité. Le juge de renvoi, invoquant la violation des articles 3, 8, 19 et 20 de la Constitution, mettait en relation l’article contesté avec l’article 406 du même Code – ce dernier article étant érigé au rang de tertium comparationis – afin de souligner le privilège particulier dont bénéficiait la religion catholique ce qui, de son avis, était en contradiction avec le principe d’égalité entre religions qui se déduisait des dispositions constitutionnelles rappelées. En substance, l’Avocat général de l’Etat rejetait cette thèse, rappelant – argument « d’autorité » – l’importance du culte catholique en Italie[27]. La Cour, jugeant une nouvelle fois la question non fondée, estime certes que « l’article 3 de la Constitution, consacrant l’égalité de tous les citoyens devant la loi, exclut que la différence de religion puisse donner lieu à une différence de traitement entre les citoyens eux-mêmes ». Elle considère cependant que l’article 402 du Code pénal ne porte pas atteinte au principe d’égalité car, dit-elle, cet article concerne « tous les destinataires de la norme pénale, quelle que soit leur religion ». En effet, « l’outrage visé par l’article 402 peut être causé par toute personne – de religion catholique ou pas ou, encore, sans religion – la foi du sujet actif n’ayant [selon elle] aucune importance ». Quant au sujet passif, elle précise, pour rejeter tout grief tenant à l’atteinte portée à l’égalité, que « la norme de l’article 402 ne protège pas la religion catholique comme bien individuel de ceux qui la pratiquent ni ne leur attribue aucun avantage personnel », si bien que « le titulaire de l’intérêt juridiquement protégé n’est pas l’individu de religion catholique ». Dès lors, « la norme contestée ne porte aucune atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi, ». Par ce raisonnement – qui ressemble fort à un « sophisme »[28] – la Cour juge dès lors que « l’article 402 ne porte aucune atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi dans la mesure où il n’implique aucune distinction de leur situation juridique à raison de la religion professée »[29].
Force est donc de constater que les premières décisions adoptées par la Cour constitutionnelle ont laissé intacte la structure du Code Rocco, relativement aux infractions prévues en matière religieuse[30]. La Cour, n’osant franchir le Rubicon – malgré les dispositions claires du prescrit constitutionnel – s’arc-boutait toujours et encore sur sa position, recourant, sans vergogne, à l’argument majoritaire. Cet argument, cependant, ne pouvant être durablement invoqué, la Consulta allait infléchir sa position et se résoudre à lancer un appel au législateur.
B – L’inflexion : l’appel lancé au législateur
Ce n’est qu’avec l’arrêt n° 14 de 1973[31] que la Cour constitutionnelle semble amorcer un « virage maîtrisé » ou un « début d’ouverture », alors qu’elle était saisie, à nouveau, de la question de constitutionnalité de l’article 724 alinéa 1 du Code Rocco. Selon l’un des juges de renvoi, la norme querellée portait d’abord atteinte à l’article 3 de la Constitution qui, garantissant l’égalité absolue des citoyens face à la loi, sans aucune possibilité de discrimination à raison de la religion, ne permettait pas que soit protégé le seul sentiment religieux du catholique à l’exclusion de celui des autres citoyens de confessions différentes. L’autre juge de renvoi estimait, par ailleurs, que la norme douteuse violait également les articles 8 et 19 de la Constitution, ce dernier article, d’après lui, étant, dans le domaine religieux, une application directe et spécifique du principe plus général – celui de la libre manifestation de la pensée[32] – consacré par l’article 21 de la Constitution.
La Cour précise, d’emblée, que « la Constitution, en reconnaissant les droits inviolables de l’homme (article 2), et, parmi eux, la liberté de religion (articles 8 et 19), protège le sentiment religieux et justifie la répression pénale des offenses qui sont susceptibles de l’affecter ». Par conséquent, ajoute-t-elle, « la répression du blasphème, prévue à l’article 724 du Code pénal, loin de porter atteinte aux normes constitutionnelles, trouve au contraire en elles son fondement ». La Cour rappelle encore que « la prévision législative, limitée aux offenses contre la religion catholique, correspond à l’appréciation faite par le législateur de l’impact des réactions sociales causées par les offenses contre le sentiment religieux de la majeure partie de la population italienne ». En sorte que « la norme contestée, comprise dans le Titre concernant « les contraventions relatives à la police des moeurs », ne peut être jugée irrationnelle et illégitime, indépendamment de la position attribuée à l’Eglise catholique par les articles 7 et 8 ». Elle ajoute d’ailleurs – exprimant ainsi une certaine réserve – que son jugement « ne peut aller jusqu’à contrôler, sur la base de donnés quantitatifs et statistiques ou de considérations de fait, la justesse de cette appréciation ». Après ce raisonnement toujours restrictif, la Cour amorce néanmoins une « ouverture », en considérant que « pour une mise en œuvre pleine et entière du principe constitutionnel de la liberté de religion, le législateur doit procéder à une révision de la norme, en étendant la protection pénale aux offenses faites au sentiment religieux d’individus de confessions différentes de la religion catholique »[33]. Par cette « invitation » faite au législateur, la Cour admet donc, certes de manière prudente, l’existence d’une situation d’inconstitutionnalité qui, selon elle, doit être corrigée – la question restant entière, cependant, de savoir pourquoi elle n’a pas choisi de censurer elle-même la norme critiquée et critiquable. Par ailleurs, certains auteurs ont pu considérer que cet appel lancé au législateur n’était pas exempt de critiques, dans la mesure où, ainsi faisant, la Cour ne faisait aucune référence aux sentiments – pourtant réels – des « non-croyants »[34].
L’arrêt n° 188 de 1975[35] sera une autre occasion, pour la Cour, de se prononcer sur l’atteinte supposée des articles 403 et 405 du Code Rocco à l’article 3 de la Constitution[36]. En substance, le juge a quo retenait la différence de traitement quod poenam des sujets actifs des infractions visées par ces articles par rapport à ceux qui se rendaient coupables, par des faits identiques, de l’infraction prévue à l’article 406 du Code à l’égard des cultes reconnus par l’Etat, article 406 renvoyant, on s’en souvient, à une peine « diminuée »[37]. La Cour, de manière pour le moins surprenante (voire oiseuse)[38], juge la question manifestement infondée, considérant que « même si la différence de traitement issue de la confrontation entre les articles 403 et 405, d’un côté, et l’article 406, de l’autre, était privée de justification – et était donc inconstitutionnelle – la décision de cette Cour n’exclurait pas l’application des dispositions des articles 403 et 405 au jugement principal qui a pour objet un cas d’offense à la religion catholique et de trouble causé à l’exercice du culte catholique »[39].
Cet « incident de parcours » n’empêchera pas une autre « ouverture » (certes très – trop – prudente) quinze ans après[40]. Par l’arrêt n° 925 de 1988[41], la Cour, à nouveau saisie d’une question de constitutionnalité de l’article 724 alinéa 1 du Code pénal en référence aux articles 2, 3, 8, 19 et 25 de la Constitution, était amenée à se prononcer après l’intervention de l’Accord pour la révision du régime concordataire intervenu entre la République italienne et le Saint-Siège le 18 février 1984[42] et ratifié par la loi n° 121 du 25 mars 1985[43]. Au vu de cet Accord, supprimant toute référence à la religion catholique comme seule « religion de l’Etat », il était demandé à la Cour constitutionnelle d’opérer une « relecture » de l’article 724 du Code pénal et de remettre en question sa jurisprudence passée. Prenant notamment pour référence l’article 25 de la Constitution, le juge a quo relevait le caractère désormais indéterminé du fait illicite visé à l’article 724 eu égard, précisément, à la suppression de toute référence à une religion de l’Etat[44]. Contre toute attente, la Cour va juger la question non fondée, estimant que « la disparition de la signification originaire de l’expression « religion de l’Etat » n’exclut en aucune manière, s’agissant de l’article 724 du Code pénal, qu’il ne soit pas possible d’en déduire une autre suffisamment certaine et conforme aux prises de position de la Cour de cassation et des autres juges a quibus, à savoir le sens de « religion catholique » (…) »[45]. Ainsi, selon la Cour, l’intervention de l’Accord invoquée par les juges de renvoi n’est pas à ce point déterminante qu’elle aurait pour conséquence d’emporter modification de sa jurisprudence antérieure. En effet, dit-elle, dans les décisions n° 79 de 1958 et n° 14 de 1973, il n’est aucunement fait référence à une « qualification formelle de la religion catholique », l’accent étant mis, différemment, sur une « tradition ancienne et ininterrompue du peuple italien » et sur « l’intensité des réactions sociales suscitées par les offenses faites à la religion catholique »[46]. Néanmoins, ajoute la Cour en substance, la limitation de la prévision législative aux offenses faites à la religion catholique ne peut plus être justifiée par référence à un principe majoritaire – « la quasi-totalité des citoyens italiens », « la majeure partie de la population italienne » – non pas tant du fait d’éléments statitiques (la Cour observant que la religion catholique reste majoritaire en Italie), mais pour des raisons d’ordre normatif tenant au caractère aujourd’hui injustifié de tout type de discriminations fondées sur le seul critère du nombre de fidèles des différentes confessions religieuses. Mais, de son avis, cela n’empêche pas que la limite prévue par l’article 724 alinéa 1 du Code pénal puisse toujours être justifiée par le constat, sociologiquement important, que le comportement prohibé par la norme en examen renvoie à un phénomène de mœurs répréhensibles, révélé depuis longtemps par certaines mauvaises habitudes de nombre de personnes. Là encore, cependant, la Consulta ne peut que conseiller au législateur de procéder à un réexamen de la matière afin de remettre en cause la différence de réglementation par rapport aux autres religions[47].
Le moins que l’on puisse dire est que le raisonnement suivi par la Cour, assez tortueux, n’est pas exempt de tout paradoxe, semblant, à tout le moins, « souffler le chaud et le froid ». Laissant « en vie » les dispositions contestées, la Cour n’en admet pas moins que les fondations de son argumentation antérieure sont fragilisées par l’intervention de la révision concordataire, ce qui ne peut que la conduire à en appeler à nouveau au législateur. Au surplus, comme il a été lucidement observé, la décision de rejet d’une question de constitutionnalité avec renvoi au législateur ne se justifie, en principe, que dans la mesure où il convient d’éviter qu’une décision d’inconstitutionnalité engendre des effets « encore plus inconstitutionnels »[48], ce qui n’est certes pas le cas en l’espèce.
Quoi qu’il en soit, la Cour, par son argumentation, faisait elle-même brèche dans la résistance qu’elle opposait jusque-là à la remise en cause de la législation répressive. Le législateur restant inerte, malgré les sollicitations à lui adressées, la Cour ne put que se résoudre à opérer un revirement de jurisprudence, reconnaissant ainsi l’égalité entre les confessions religieuses.
II – Le revirement de jurisprudence : la reconnaissance de l’égalité entre les confessions religieuses
C’est la répression du blasphème qui allait d’abord donner l’occasion à la Cour constitutionnelle de faire évoluer sa position, l’inconstitutionnalité partielle de l’article 724 alinéa 1 du Code Rocco étant déclarée[49] (A). C’est ensuite la législation relative aux délits contre le sentiment religieux qui, parce qu’elle n’était « plus » en phase avec les dispositions constitutionnelles, fut progressivement censurée par la Cour (B).
A – L’inconstitutionnalité partielle de l’article 724 alinéa 1
C’est par l’important arrêt n° 440 de 1995[50] que la Cour constitutionnelle va changer de « paradigme », opérer un « changement de route ». Là encore, la constitutionnalité de l’article 724 alinéa 1 du Code pénal était contestée au regard des articles 3, 8 et 25 de la Constitution, les arguments étant les mêmes que ceux invoqués par le juge a quo à l’occasion de l’arrêt n° 925 de 1988 relativement à l’article 25 (indétermination du fait illicite du fait de la révision concordataire). Subsidiairement, était soutenue la violation du principe d’égalité des citoyens et des confessions religieuses, le juge de renvoi ne se privant pas de rappeler à la Cour les appels déjà lancés par elle au législateur.
Après avoir repoussé à nouveau, avec la même argumentation, l’atteinte qu’auraient porté les dispositions contestées à l’article 25 de la Constitution[51], la Cour arrive enfin à la conclusion si attendue s’agissant des articles 3 (égalité sans distinction de religion devant la loi) et 8 alinéa 1 (égale liberté devant la loi de toutes les confessions religieuses) de la Constitution. Evoquant la « reconstruction du bien juridique protégé par la norme objet du contrôle » et sa jurisprudence passée[52], elle considère en effet que « deux points essentiels, affirmés dans ses décisions précédentes, doivent être tenus pour fermement établis : le caractère non pertinent du critère du nombre dans le cadre des appréciations constitutionnelles concernant l’égalité de religion[53] et l’appartenance de la norme sanctionnant le blasphème au domaine des infractions qui touchent à la religion »[54]. Au regard des paramètres de constitutionnalité invoqués (articles 3 et 8 alinéa 1), elle estime devoir tirer pour conséquence le constat d’inconstitutionnalité de la norme qui sanctionne le blasphème, dans la mesure où « elle établit une différence de protection pénale du sentiment religieux individuel[55] selon la foi professée ». La Cour rappelle que « l’inertie persistante du législateur ne saurait justifier – après sept années passées depuis la dernière décision (…) – que cette discrimination perdure », car doit être « affirmée la prééminence du principe constitutionnel d’égalité en matière de religion sur les autres exigences – comme celle, par exemple, relative aux bonnes mœurs protégée par l’article 724 – qui, pour être appréciables, n’en sont pas moins d’une valeur non comparable »[56].
A ce point du raisonnement, la Cour précise néanmoins que la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 724 alinéa 1 doit être limitée à la seule partie où il porte atteinte effectivement au principe d’égalité. Estimant que « cet article peut être divisé en deux parties – l’une concernant le blasphème contre la Divinité sans autre précision et de manière abstraite, qui comprend tant les expressions verbales que les signes représentant la Divinité elle-même, et dont le contenu est susceptible de concerner les conceptions des différentes religions, l’autre relative au blasphème contre les Symboles ou les Personnes vénérés dans la religion de l’Etat » –, la Cour en arrive à la conclusion logique que la première échappe à la censure d’inconstitutionnalité, ce qui, évidemment, n’est pas le cas de la seconde[57]. La Cour précise enfin que, pour cette dernière partie, « deux possibilités existent pour supprimer le vice identifié : l’annulation de la norme inconstitutionnelle pour défaut de généralité ou son extension aux croyances religieuses qui en sont exclues ». Mettant l’accent sur l’interdiction des décisions additives en matière pénale, c’est bien évidemment la première solution qu’elle retient[58], en adoptant une décision d’admission partielle de la question qui lui permet de rendre compatible l’article 724 avec le principe d’égalité.
Evidemment, un tel choix n’était pas sans susciter d’autres difficultés, parfois sérieuses[59]. L’une de ces difficultés concerne ceux dont le culte n’est fondé sur aucune Divinité et/ou ceux qui ne croient pas mais qui, cependant, bénéficient, au même titre que les croyants, de la liberté religieuse, certes de manière négative[60]. A l’égard de ces derniers, on comprend que le respect du principe d’égalité n’est pas totalement respecté et que, dès lors, l’élimination in toto de l’article 724 eût été préférable. Quoi qu’il en soit – et malgré quelques réactions engendrées par les difficultés évoquées[61] – cette décision constitue une avancée certaine relativement au principe d’égalité individuelle du point de vue de la religion.
Les arrêts postérieurs témoignent d’ailleurs de cette avancée, la législation relative aux délits contre le sentiment religieux étant progressivement censurée.
B – La censure progressive de la législation relative aux délits contre le sentiment religieux
Dans l’arrêt n° 329 de 1997[62], la Cour constitutionnelle, saisie à nouveau de la constitutionnalité de l’article 404 du Code pénal au regard des articles 3 et 8 de la Constitution – et résolument incitée par le juge a quo – juge, nouvellement, la question fondée, exprimant de manière particulièrement ferme les raisons qui justifient ce revirement. Selon elle, en effet, « la ratio fondée sur la différence [de traitement] ne vaut certainement plus aujourd’hui, car la Constitution exclut que la religion puisse être considérée selon une logique instrumentale au regard des finalités de l’Etat et vice-versa ». Rappelant ce qu’elle avait indiqué dans son arrêt n° 440 de 1995, elle estime que « la protection du sentiment religieux doit être considérée comme un corollaire du droit constitutionnel de liberté de religion, corollaire qui, naturellement, doit concerner de la même manière l’expérience religieuse de tous ceux qui la vivent, dans sa dimension individuelle et communautaire, indépendamment des contenus des croyances et des différentes confessions ». Un traitement différencié, à l’inverse, porterait atteinte « à l’égale dignité de la personne humaine et au principe constitutionnel de laïcité ou de non-confessionnalité de l’Etat (…) ». Pour elle « l’évolution de la jurisprudence constitutionnelle rend inopportune, pour justifier la différenciation prévue par la loi, la référence à « la plus grande ampleur et à la plus grande intensité des réactions sociales que suscitent les offenses » faites à la religion catholique (…). Cette référence à la conscience sociale, si elle elle peut valoir argument pour l’appréciation des choix du législateur sous l’angle de la ragionevolezza, est, au contraire, ici exclue dans la mesure où l’article 3 alinéa 1 de la Constitution interdit expressément toute réglementation différenciée sur la base d’éléments distinctifs déterminés, parmi lesquels figure précisément la religion. Une telle interdiction, poursuit-elle, signifie que la protection du sentiment religieux, en tant qu’élément du droit constitutionnel de liberté de religion, n’est pas divisible »[63]. Tirant les conséquences de ce raisonnement, la Cour juge qu’il lui appartient de « rendre égale la quantification de la sanction pénale en adoptant une déclaration d’inconstitutionnalité du premier alinéa de l’article 404 du Code pénal dans la partie où il prévoit une peine supérieure à celle, diminuée, qui sanctionne le fait visé à l’article 406 ». Mais elle exclut cependant « toute appréciation sur la nature de la prévision de l’article 406 au regard de celle visée à l’article 404 du Code pénal ainsi que sur les modalités de détermination de la mesure de la peine diminuée prévue par ce même article 406 »[64].
Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle fait donc un nouveau « pas en avant » – créant un quid différent du précédent – même si la réserve plus haut exprimée – relative aux non-croyants ou aux « croyants atypiques » qui restent exclus de toute protection – n’est pas levée ce qui, à tout le moins, empêche la pleine efficacité du principe d’égalité[65].
L’arrêt n° 508 de 2000[66] sera une autre étape dans la voie nouvellement tracée, qui aura pour objet, à la demande de la Cour de cassation, juge de renvoi, l’examen de la constitutionnalité de l’article 402 du Code Rocco. Invoquant les articles 3 et 8 de la Constitution, tels qu’interprétés par la Consulta dans l’arrêt n° 329 de 1997, la Cour suprême de l’ordre judiciaire considérait que la norme contestée, accordant une protection privilégiée à la seule religion catholique, portait atteinte à l’égalité de tous les citoyens sans distinction de religion et à l’égale liberté de toutes les confessions religieuses face à la loi[67]. La Cour constitutionnelle juge la question fondée, estimant que « les raisons qui justifiaient cette norme [la norme contestée] dans son contexte originaire sont aussi celles qui en déterminent l’inconstitutionnalité actuelle »[68]. En effet, « en vertu des principes fondamentaux d’égalité de tous les citoyens sans distinction de religion (article 3 de la Constitution) et d’égale liberté devant la loi de toutes les confessions religieuses (article 8 de la Constitution), l’attitude de l’Etat ne peut être fondée que sur l’équidistance et l’impartialité à leur égard, sans que l’élément quantitatif de l’adhésion plus ou moins large à telle ou telle confession religieuse et la plus ou moins grande ampleur des réactions sociales qui peuvent être suscitées par la violation de l’une d’entre elles puissent revêtir une quelconque importance. S’impose ainsi une égale protection de la conscience de chaque personne qui se reconnaît dans une foi à laquelle elle croit, étant entendu que, naturellement, la possibilité reste ouverte de réglementer bilatéralement et de manière différenciée, dans la spécificité qui est la leur, les rapports de l’Etat avec l’Eglise catholique au moyen de l’instrument concordataire (article 7 alinéa 2 de la Constitution) et avec les autres confessions religieuses à travers des ententes (article 8 alinéa 2 de la Constitution) ». Une telle position d’équidistance et d’impartialité, ajoute la Cour, « est le reflet du principe de laïcité[69] que la Cour a déduit du système des normes constitutionnelles, un principe qui doit être érigé au rang de « principe suprême » (…), caractérisant le pluralisme de la forme de notre Etat au sein duquel doivent coexister, dans le cadre d’une égale liberté, les croyances, cultures et traditions diverses » (arrêt n° 440 de 1995) »[70]. Elle explique que « face aux évolutions de l’ordonnancement en faveur de l’égalité devant la loi pénale [qu’elle rappelle], l’article 402 représente un anachronisme auquel le législateur, pendant de longues années, n’a pas remédié » et que, « dans le cadre de l’exercice des pouvoirs de garantie constitutionnelle qui sont les siens, il lui appartient, à elle Cour constitutionnelle, de le faire »[71]. Elle observe, à ce propos, [en fait elle le rappelle] que, de manière générale, « le rétablissement de l’égalité violée peut se concevoir non seulement en éliminant in toto la norme qui détermine la violation, mais également en en étendant la portée pour inclure les cas discriminés. Cependant, en matière de contrôle de constitutionnalité des normes pénales, seule la première possibilité est ouverte » en sorte que, conclut-elle, « la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 402 du Code pénal s’impose dans sa forme simple, exclusivement ablative »[72].
La Cour, par cet arrêt, rejoignait ainsi le souhait antérieurement exprimé par une partie de la doctrine[73], même si certains ont pu critiquer la logique « sèche » retenue, par elle, pour éliminer la norme inconstitutionnelle de l’ordonnancement[74].
Les décisions qui vont suivre reprendront un raisonnement identique, marquant, par là, la stabilité enfin atteinte de la jurisprudence constitutionnelle. Par l’arrêt n° 327 de 2002[75], c’est l’article 405 du Code pénal qui, selon la même argumentation, va être censuré pour inconstitutionnalité dans la partie où il prévoyait des peines plus graves que celles visées par l’article 406 pour des faits identiques commis contre les autres cultes. La Cour, dans la présente affaire, précise « qu’il s’agit aujourd’hui d’appliquer les mêmes principes, déjà mis en avant dans cette décision [la Cour vise sa décision n° 329 de 1997], au cas soumis à son examen, puisque les prévisions concernant le trouble au libre exercice du culte se réfèrent aussi au culte catholique et doivent être donc assujetties au traitement punitif plus léger prévu par l’article 406 du Code pénal pour les « cultes reconnus » ». Elle rappelle ainsi que « le principe fondamental de laïcité de l’Etat, qui implique équidistance et impartialité envers toutes les confessions, ne pourrait tolérer que le comportement de celui qui empêche ou trouble l’exercice des fonctions, cérémonies ou pratiques religieuses de cultes autres que le culte catholique soit considéré moins grave que celui que révèlent les mêmes faits au détriment du culte catholique »[76]. La Cour tient cependant à souligner que le rôle et les missions qui sont les siens excluent qu’elle se prononce sur l’interprétation de l’article 406 du Code pénal quant à la nature de l’infraction visée[77].
L’arrêt n° 168 de 2005[78] est l’occasion, ensuite, pour la Cour, de juger inconstitutionnel l’article 403 alinéas 1 et 2 du Code pénal, dans la partie où il prévoit, s’agissant des offenses à la religion catholique du fait d’injures aux personnes qui la professent ou à un ministre du culte, la peine d’emprisonnement – respectivement, de deux ans maximum et de un an à trois ans – plutôt que la peine diminuée établie par l’article 406. Le Tribunal de Vérone, invoquant les paramètres de constitutionnalité habituels – articles 3 et 8 alinéa 1 de la Constitution – observait, avec pertinence, que la Cour avait déjà déclaré l’inconstitutionnalité des articles 404 et 405 en sorte que, en toute logique, et pour les mêmes raisons, elle ne pouvait qu’aboutir, en l’espèce, au constat d’inconstitutionnalité. En outre, le défenseur de la partie au procès a quo avait produit un mémoire par lequel il reprenait l’argumentation du juge a quo, mais, audacieux, demandait à la Cour d’élargir le thema decidendum relativement à l’atteinte portée à l’article 3 de la Constitution, afin de parvenir à une décision plus radicale que celle proposée par le juge de renvoi. Il observait, en effet, que la circonstance que la disposition contestée détermine une différence de traitement – car elle sanctionne seulement les offenses faites à la religion catholique et aux cultes reconnus par l’Etat (par l’intermédiaire de l’article 406), mais pas les offenses à l’athéisme, à l’agnosticisme et à toute religion connue par la mémoire humaine – justifiait une déclaration d’inconstitutionnalité impliquant la disparition totale de la norme contestée, aucun espace n’étant permis, en matière pénale, pour une décision additive. De son avis, il s’agissait là de l’unique moyen pour rétablir l’égalité de traitement entre idéologies religieuses positives et négatives, dans la mesure où les offenses à l’honneur ou à la dignité des croyants et des non croyants trouvent déjà protection dans les dispositions contenues dans le chapitre du Code pénal concernant les atteintes à l’honneur[79].
La Cour va refuser de faire droit à la requête du défenseur, considérant qu’elle devait s’en tenir au principe de correspondance entre la demande et la décision[80]. Puis, après avoir rappelé la motivation de ses décisions antérieures, elle explique, adoptant ainsi une logique per relationem, que « de telles exigences [celles, constitutionnelles, tenant à une égale protection du sentiment religieux] sont évidemment en cause au regard de la présente question de constitutionnalité qui – la Cour le souligne – concerne la seule situation punitive, parmi celles prévues par le chapitre relatif aux délits contre le sentiment religieux, qui prévoit une sanction plus sévère dans le cas d’offenses faites à la religion catholique. Puisque toutes les normes du chapitre en examen se réfèrent au même bien juridique (…), cette norme apparaît – comme celles précédemment déclarées inconstitutionnelles et pour la même raison – porteuse d’une « discrimination inadmissible » entre la religion catholique et les autres confessions du point de vue du traitement punitif qu’elle prévoit »[81].
Au terme de ce « récit jurisprudentiel », on peut ainsi résumer l’évolution tourmentée de la jurisprudence constitutionnelle. Dans une première phase (1957-1995), la Cour, faisant appel à un critère quantitatif – se faisant donc « sociologue » – admet, certes, parfois, avec quelques « nuances », le traitement privilégié accordé à la religion catholique, laissant ainsi « vivre » les dispositions pertinentes du Code Rocco. A partir de 1995, lassée sans doute par l’inertie du législateur, mais consciente, aussi, de l’impossibilité du maintien du statu quo, elle se résout, par une série d’arrêts, à éliminer les discriminations dont ces dispositions étaient porteuses, mais selon des modalités différentes. Si, en effet, la protection réservée à la seule religion catholique par l’article 402 a été entièrement supprimée, celle prévue à l’article 724 a été, à l’inverse, étendue aux cultes non catholiques, par une sorte de « nivellement par le haut ». Par ailleurs, les différences de peines initialement instituées entre les articles 403, 404 et 405, d’une part, et l’article 406, d’autre part, ont toutes été éliminées par un « nivellement par le bas »[82].
On doit ajouter que le législateur délégué, avec le décret législatif n° 507 du 30 décembre 1999[83] relatif à la dépénalisation des infractions mineures, prenant acte des réactions de la doctrine[84] après la déclaration d’inconstitutionnalité partielle prononcée par la Cour constitutionnelle dans l’arrêt n° 440 de 1995, a fait du blasphème un « illicite administratif », passible d’une amende dont le montant varie entre 51 et 309 euros[85].
Mais l’« oeuvre » n’était que partiellement achevée, le « statut » de la « critique religieuse » – déjà sérieusement « retouché » par le juge constitutionnel – devait encore être affiné.
III – Le statut actuel de la « critique religieuse »
C’est finalement en 2006 que, après des années d’inertie, le législateur, souhaitant réformer la matière, se décida à intervenir pour « toiletter » les dispositions du Code Rocco relatives au statut de la « critique religieuse » (A). Ce statut – comme le précédent d’ailleurs – ne peut cependant pas être envisagé sans que soit appréhendé le rapport complexe qu’il entretient avec la libre manifestation de la pensée (B).
A – La « réforme » de 2006
Par la loi n° 85 du 24 février 2006[86], portant modifications du Code pénal, le législateur, prenant acte des « orientations » de la jurisprudence constitutionnelle, a opéré une sorte de « nettoyage lexical »[87] en supprimant, dans les dispositions pertinentes du Code pénal, toute référence à la religion de l’Etat ou à la religion catholique. Ainsi, l’article 406, renvoyant aux autres cultes (ceux « reconnus » par l’Etat), a-t-il été logiquement abrogé[88].
Au-delà de cette opération « cosmétique »[89], la loi de 2006 prévoit certaines modifications substantielles des articles 403 à 405 du Code Rocco qui, désormais, visent, selon un langage jugé par certains « politiquement correct »[90], les « confessions religieuses », expression inclusive mais non dénuée d’ambiguïtés[91]. Le législateur, par ailleurs, a introduit, à l’article 404 alinéa 1, une nouvelle formule aux fins d’identification de l’infraction de dénigrement des objets de culte ; inséré, à l’article 404 alinéa 2, une nouvelle infraction pour dommages causés aux objets de culte ; prévu une peine pécuniaire, modeste au demeurant, pour les infractions visées aux articles 403 et 404 alinéa 1[92]. Outre ces modifications, le législateur de 2006, dans sa volonté de réforme, n’a pas jugé opportun – et c’est à remarquer – de rétablir, à l’égard de « toutes les confessions religieuses », l’infraction d’outrage direct visé par l’ancien article 402 du Code pénal. En sorte qu’il faut considérer – et cela a été justement souligné – qu’après la réforme de 2006, l’outrage à la religion qui ne se traduit pas par des atteintes portées aux personnes, aux objets de culte ou à l’exercice des cultes n’est plus sanctionné, les religions en elles-mêmes ne constituant plus, dès lors, un objet autonome de protection pénale[93].
Force est cependant de constater que certains regrets ont pu être exprimés par une partie de la doctrine italienne sur le nouveau système issu de la loi de 2006, laissant en vigueur, dans le Code Rocco, des infractions liées aux atteintes portées aux confessions religieuses[94]. Par ailleurs, des hésitations ont été ressenties à la fois, on l’a dit, sur l’identification du concept de « confessions religieuses » retenu par le législateur, mais aussi sur la nature précise du « bien juridique » (nouvellement) protégé par les infractions renouvelées[95]. Si, pour certains, il s’agit d’une « protection du sentiment religieux envisagé dans une dimension « factuelle-collective » (et non idéologique) »[96], d’autres estiment, à l’inverse, que la protection s’attache désormais au « sentiment religieux individuel »[97] ou à un « intérêt superindividuel »[98] ou, encore, « au sentiment religieux de la pluralité des fidèles qui se reconnaissent dans une confession religieuse donnée »[99]. Quoi qu’il en soit, il faut remarquer que, même après la réforme de 2006, la protection pénale ne s’étend toujours pas au sentiment religieux – quelle que soit sa qualification – de celles et ceux qui ne se reconnaissent dans aucune confession religieuse. En somme, comme l’observe adroitement F. Basile, « extra ecclesiam nulla salus »[100], les « croyants solitaires »[101] – et ils sont toujours plus fréquents dans nos sociétés sécularisées – ne pouvant bénéficier que de la protection générique des articles 594 et 595 du Code pénal[102]. Du point de vue constitutionnel, la question reste donc entière du respect des articles 3 alinéa 1 et 19 de la Constitution. Mais reste entier, également, le problème de la conformité des infractions visées, notamment aux articles 403 et 404 alinéa 1, à la liberté de manifestation de la pensée – incluant peut-être celle d’offenser – garantie par l’article 21 du prescrit constitutionnel.
B – Critique religieuse et liberté de manifestation de la pensée[103] : les limites à la liberté d’offenser
Sur cette délicate question, il faut rappeler les termes du rapport de synthèse dressé après le Congrès tenu à Milan les 6 et 7 juin 1964, consacré au thème de « l’outrage et la religion »[104]. En substance, l’accent était mis, dans ce rapport, sur « l’incompatibilité de la réglementation des infractions d’outrages, inspirée par des motifs autoritaires, avec les principes de liberté de pensée, de religion et de communication consacrés par la Constitution ». En sorte que le Congrès « estim[ait] qu’une telle réglementation [devait] être abrogée ou, à tout le moins, radicalement réformée (…) ». Il était aussi souligné, dans le rapport, que « les dispositions des articles 402 à 406 du Code pénal (…) étaient inconstitutionnels et que, notamment, l’article 402 [était] en totale contradiction avec les articles 3, 8 alinéa 1, 19 et 21 de la Constitution »[105].
La Cour constitutionnelle, saisie d’une question de constitutionnalité de l’article 402 du Code pénal, va, pourtant, exclure l’inconstitutionnalité de l’outrage à la religion dans l’arrêt déjà cité n° 39 de 1965[106], considérant, en substance, que les faits constitutifs d’une telle infraction ne pourraient jamais être envisagés comme traduisant l’exercice du droit de libre manifestation de la pensée garanti par l’article 19 de la Constitution, pendant, en matière de religion, de l’article 21 – que le juge a quo n’invoquait cependant pas au titre des paramètres de constitutionnalité susceptibles d’être violés. La Cour précise en effet clairement que « l’infraction d’outrage à la religion catholique ne limite pas le droit de tous, reconnu par l’article 19 de la Constitution, de professer sa foi religieuse de quelque manière que ce soit, d’en faire la propagande et d’en exercer le culte par des rites qui ne heurtent pas les bonnes mœurs ». Ce droit, ajoute-t-elle, implique « celui, également garanti par la Constitution, de manifester sa pensée sur les religions différentes de la sienne et d’en faire un objet de discussion », avec cette limite, cependant, que la Cour exprime, qu’il « n’inclut pas le pouvoir d’offenser la religion d’autrui par de graves atteintes ou en en faisant un objet de dérision publique »[107].
Même si elle n’est pas très explicite dans sa motivation, ne visant, au demeurant, aucunement l’article 21 de la Constitution[108], la Cour semble néanmoins s’appuyer sur le dernier alinéa de cet article interdisant « les publications imprimées, les spectacles et toutes les autres manifestations contraires aux bonnes mœurs », cette dernière expression étant explicitement utilisée par elle, il est vrai par référence à l’article 19 qui y fait aussi allusion en prohibant les « rites » qui peuvent les affecter[109]. De fait, l’on pouvait assurément penser que la protection du sentiment religieux des citoyens trouve, dans le concept de « bonnes moeurs »[110], les moyens de sa réalisation[111].
Dans l’arrêt n° 188 de 1975[112]1, déjà cité aussi, portant sur la constitutionnalité de l’article 403 du Code Rocco, la Cour semble d’ailleurs reprendre ce raisonnement, tout en « assouplissant » sa position, laissant entrevoir, avec force précisions cette fois, la possibilité d’une conciliation entre les exigences constitutionnelles impliquées, la libre manifestation de la pensée d’abord, le sentiment religieux ensuite. Considérant, en effet, que « le sentiment religieux [est] un élément de la conscience individuelle s’étendant à des groupes plus ou moins nombreux de personnes liées entre elles par une profession de foi commune », il doit être envisagé comme « un bien constitutionnellement important au regard des articles (combinés) 2, 8 et 19 de la Constitution et, indirectement, des articles 3 alinéa 1 et 20 ». Cette précision apportée, elle juge, dès lors, que « l’offense à une religion (…) peut légitimement limiter le caractère opérationnel de l’article 21 de la Constitution », mais, ajoute-t-elle, « à condition, bien entendu, que le comportement outrageant soit circonscrit dans de justes limites, caractérisées, d’un côté, par l’étymologie de la formule (qui signifie « tenere a vile » – mépriser – et renvoyant donc au mépris public ou à la dérision publique) et, d’un autre côté, par l’exigence (…) de rendre compatible la protection pénale du bien protégé par la norme en cause avec la plus large liberté de manifestation de la pensée en matière religieuse, par référence à l’article 19 (…) auquel renvoie , précisément, le principe plus général précisé à l’article 21 ». La Cour ajoute qu’« il est évident (…) que cette liberté de faire « propagande » pour une religion, comme le prévoit et le permet l’article 19, n’existerait pas si celui qui se prévalait de cette liberté ne pouvait librement en démontrer la supériorité à l’égard des autres, en critiquant les postulats et dogmes de ces dernières ». Dès lors, conclut-elle, « l’offense ne doit pas être confondue avec une simple discussion scientifique ou une entreprise de vulgarisation portant sur des thèmes religieux, ni avec la critique, même vivement polémique, ni, enfin, avec l’expression d’un désaccord radical en matière de convictions religieuses ». Au contraire, précise-t-elle, « les offenses, exclues de la garantie de l’article 21 de la Constitution, renvoient à l’insulte, à la moquerie, à l’outrage qui constituent tout à la fois une injure faite au croyant et une atteinte portée aux valeurs éthiques qui fondent le phénomène religieux »[113]. En l’espèce, elle juge que la question soulevée en référence à l’article 21 de la Constitution doit être déclarée infondée, dans les sens et limites ainsi indiqués.
Si les précisions de la Cour sont les bienvenues en ce qu’elles permettent, en théorie, de faire le départ entre ce qui peut être admis et ce qui ne peut l’être en termes d’expressions et manifestations concernant la religion, force est de constater les difficultés pratiques liées à l’exacte délimitation d’une frontière qui ne soit pas poreuse. C’est ainsi qu’il a été suggéré, par la doctrine et les juges, de retenir une nouvelle argumentation, tendant à lire l’article 21 de la Constitution conjointement à l’article 51 du Code pénal renvoyant – sur le fondement du brocard qui jure suo utitur neminem laedit – à « l’exercice d’un droit »[114], le droit de manifester librement sa pensée en l’occurrence. Dans cette logique différente, l’article 21 n’est donc plus érigé au rang de paramètre de constitutionnalité des infractions d’outrage à la religion, mais est ramené aux prévisions exonératoires – « sous surveillance » cependant – de l’article 51 du Code Rocco. En sorte que lorsque, par hypothèse, l’exercice du droit excède un certain seuil, situation qui s’apparente à un abus de droit, cet exercice n’est pas admis. Partant, ne seraient pas juridiquement acceptables, dans cette perspective, les outrages excluant toute manifestation de pensée ou ceux qui, véhiculant certes une pensée, excèderaient, par leur vulgarité ou leur turpitude, la limite des bonnes mœurs – la difficulté demeurant néanmoins, dans les deux cas, de l’existence de frontières parfois poreuses, laissant place à une « zone grise ». En effet, on ne doit pas considérer que, par le raisonnement rappelé, seule la manifestation de pensée cultivée, motivée et exprimée de manière telle qu’elle suscite le débat doit être admise au regard de l’article 21. Si tel était le cas, le droit de manifester librement sa pensée se réduirait alors à une sorte de privilège aristocratique pour les classes culturellement aisées, renvoyant, d’ailleurs, à des techniques spécifiques de communication[115].
Par ailleurs, dans le cadre de cette lecture de l’article 21 de la Constitution à la lumière de l’article 51 du Code pénal, la Cour de cassation a fermement précisé que la thèse selon laquelle le droit de manifester sa pensée, en matière religieuse, ne se heurterait à aucune limite n’est en aucun cas justifiée. Selon le juge suprême, en effet, « le fait qu’un credo religieux et les principes qu’il implique se fondent sur un acte de foi, dont l’explication rationnelle peut être délicate comme, d’ailleurs, peut l’être la réfutation d’une croyance différente et de ses dogmes, n’autorise certainement pas de pures agressions verbales, privées de soutien argumentativo-dialectique et donc gratuites »[116].
Cette « ligne jurisprudentielle » est aujourd’hui constamment suivie par la Cour de cassation italienne qui, dans ses décisions, se réfère d’ailleurs explicitement aux arrêts de la Cour constitutionnelle. Ainsi, par le récent arrêt n° 41044 du 13 octobre 2015, la Cour suprême de l’ordre judiciaire, saisie d’une affaire d’offense à la religion catholique par injure aux personnes – sanctionné par l’article 403 du Code Rocco[117] – se situe-t-elle dans la logique de ce raisonnement. Elle rappelle que « dans des décisions anciennes, mais encore bien soudées aux principes constitutionnels en vigueur », elle a affirmé qu’« en matière religieuse, la critique est licite lorsque – sur la base de donnés ou d’informations précédemment recueillis ou énoncés – elle se manifeste par l’expression motivée et raisonnable d’une appréciation différente et parfois opposée, résultant d’une recherche conduite, grâce à des méthodes sereines, par des personnes ayant les aptitudes nécessaires et après une préparation adaptée ». En revanche, l’outrage est constitué « lorsque – à travers un jugement sommaire et gratuit – elle manifeste une attitude de mépris envers la religion, niant à l’institution et à ses composantes essentielles (dogmes et rites) toute valeur et le prix que reconnaît en elles la communauté ». La Cour ajoute, au regard du cas en examen, « qu’il n’est pas nécessaire que les expressions offensives concernent des fidèles bien déterminés ; il suffit, pour que l’infraction soit constituée, qu’elles puissent être ramenées de manière abstraite à la généralité indistincte des membres de la confession religieuse ». Elle indique enfin que « ces principes ont été accueillis par la Cour constitutionnelle, plusieurs fois appelée à se prononcer en matière de sentiment religieux et d’illicite pénal, surtout, précise-t-elle, dans la décision n° 188 de 1975 – dont elle relève un passage in extenso – dans laquelle elle a opéré une lecture de l’article 403 du Code pénal à la lumière des principes constitutionnels, avec une attention particulière portée à l’article 21 qui fonde le présent recours ».
Ainsi rappelé le cadre juridique et contextuel, la Cour de cassation estime que la décision de la Cour d’appel, contestée devant elle, a fait bon usage de ces principes, en adoptant une motivation extrêmement pertinente, logique, privée de scories argumentatives et de contradictions. En particulier, observe-t-elle, la Cour d’appel de Milan a relevé que l’oeuvre exposée – et la légende qui l’accompagnait – visait clairement les « rapports sexuels de nature homosexuelle » et, partant, « ne constituait en aucun cas une expression pouvant être considérée comme artistique ; au contraire, du fait de ses caratéristiques objectives, elle était inconvenante et offensive pour la compréhension d’un homme moyen ». Une manifestation, rappelle-t-elle, que l’arrêt de la Cour d’appel qualifie de « hautement vulgaire et constitutive d’un outrage à la religion catholique, allant jusqu’à atteindre le Pape, au sommet de la structure ecclésiastique, en en exposant l’effigie – et faisant ainsi entendre l’existence de rapports interpersonnels non consentis pour qui a fait vœu de chasteté – à côté de celle de son collaborateur le plus proche, et plaçant entre elles l’image du membre masculin ».
Au vu de ces considérations, la Cour de cassation juge que la Cour d’appel de Milan a, à juste titre, estimé que « la limite due au respect de la dévotion d’autrui a été franchie, injustement sapée qu’elle a été par une expression qui, loin d’être simplement critique à l’égard de mœurs sexuelles non permises aux ministres du culte, constitue une pure injure, une moquerie, une offense y compris à soi-même ».
***
Le rappel d’une histoire ponctuée de nuances et de ruptures et d’un « lacis » d’arrêts – dont certains n’échappent point à la critique – témoigne assurément d’une tension dialectique et de la recherche d’un point d’équilibre entre deux types d’exigences : celles tenant à la protection du sentiment religieux – sans doute encore idéologiquement marqué au-delà des Alpes – et celles liées à l’égalité entre les religions, à la liberté religieuse et à la libre manifestation de la pensée. Débat somme toute classique dans une perspective libérale mais qui, assurément, trouve une « saveur » particulière en Italie du fait d’une répression des offenses faites au sentiment religieux qui, pour être symbolique – le blasphème renvoie aujourd’hui à un illicite administratif et les autres infractions ne ne sont réprimées que modestement dans la logique d’un droit pénal « minimal », envisagé comme extrema ratio – laisse néanmoins entendre, par son caractère spécifique, que la foi religieuse reste un facteur d’unité et de cohésion du peuple italien. Si peu originale et si peu simple qu’elle soit, c’est encore la question classique de l’éthique du doute au sein des démocraties libérales qu’il convient de poser au terme de cette analyse. Si, par amour de la liberté, « l’Etat libéral sécularisé vit de présupposés qu’il ne peut garantir »[118], le défi auquel il est confronté, en ce XXIème siècle[119], est de faire pièce, par un exercice exigeant de rationalité, à tout despotisme lié à tel ou tel dogme[120]. Alors, peut-être, le grain portera des fruits.
Annexes
– Articles cités de la Constitution italienne
– Extraits du Code pénal italien
– Principales références jurisprudentielles sur les articles pertinents du Code pénal
[1] Le Code pénal sarde promulgué par décret royal n° 3783 du 20 novembre 1859 – et qui sera, avec le Code toscan, le premier Code pénal applicable à l’Italie unifiée – prévoyait une amende de cinq cents lires ou l’arrestation en cas de blasphème (article 185, les articles 183 à 189 renvoyant à d’autres types d’infractions). Le Code pénal du Grand Duché de Toscane du 20 juin 1853 sanctionnait uniquement les atteintes à la religion catholique en tant que religion de l’Etat (articles 131 à 139).
[2] Promulgué par décret royal n° 6133 du 30 juin 1889, GU, n° 153 du 30 juin 1889.
[3] Dans ses articles 140 à 144 (Livre II, Titre II « Des délits contre la liberté », chapitre I « Des délits contre la liberté de culte », le Code Zanardelli réprimait certains comportements portant atteinte aux cultes reconnus par l’Etat, sans distinction selon les cultes. Le choix de ne pas réprimer le blasphème était lié à l’idée selon laquelle la norme pénale devait se limiter à protéger le sentiment religieux de l’individu et non la religion globalement considérée, entendue comme « bien public ». Pour une étude stimulante sur le Code Zanardelli, voir L. Garlati, « Dalla tutela della religione dello Stato alla difesa della libertà dei culti : la svolta liberale del codice Zanardelli », Stato, Chiese e pluralismo confessionale, avril 2007, www.statoechiese.it.
[4] L’article 1er du Statut albertin du 4 mars 1848 s’inscrivait déjà dans cette logique, précisant que « la religion catholique, apostolique et romaine est la seule religion de l’État. Les autres cultes actuellement existants sont tolérés conformément aux lois ». Néanmoins, l’interprétation donnée à cet article dans la seconde moitié du XIXème siècle renvoyait plutôt à un sentiment de respect envers la religion du monarque, si bien qu’il n’eut guère d’influence sur le Code Zanardelli qui, on l’a vu, n’accordait aucune position de privilège à la religion catholique. En ce sens, P.-A. D’avack, Confessionismo, Enc. del. dir., vol. VIII, 1961, p. 938. Les Accords de Latran, conclus entre le Royaume d’Italie et le Saint-Siège le 29 février 1929, réaffirmeront le principe consacré à l’article 1er du Statut albertin (cf. infra).
[5] Texte unique des lois de sécurité publique adopté par décret royal n° 1848 du 6 novembre 1926, GU, n° 257 du 8 novembre 1926 et modifié par décret royal n° 773 du 18 juin 1931, GU, n° 146 du 26 juin 1931. L’article 232 disposait ainsi que « jusqu’à l’intervention du nouveau Code pénal, l’insulte, le blasphème et les offenses à direction des cultes reconnus par l’Etat sont punis, lorsque la loi ne prévoit pas une peine plus grave, par une peine d’amende de 2 000 lires au plus. Cette peine est de 100 à 4 000 lires s’il s’agit d’une offense faite au culte catholique ».
[6] Promulgué par décret royal n° 1398 du 19 octobre 1930, GU, n° 253 du 28 octobre 1930. Sur l’article 724 du Code Rocco, voir I. Zuanazzi, « Religione dello Stato, libertà religiosa et punibilità del reato previsto dall’art. 724, I comma, cod. pen. », extraits de Studi sui rapporti tra la chiesa e gli Stati, S. Gherro (sous la dir. de), Padoue, Cedam, 1989, p. 224 et s.
[7] Pour des références jurisprudentielles et des analyses doctrinales sur ces articles du Code Rocco, G. Lattanzi, E. Lupo, Codice penale. Rassegna di giurisprudenza e di dottrina, vol. III, Artt. 361-413, Milan, Giuffrè, 2010, p. 511 et s.
[8] Selon l’expression utilisée par F. Basile, « Commento all’art. 724 », in E. Dolcini-G. Marinucci (sous la dir. de), Codice penale commentato, Milan, IPSOA, IIIème éd., 2001, n° 1. A cette époque, le sentiment religieux collectif lié au culte catholique était considéré comme un facteur d’unité morale de la nation. L’Etat, expression et garant de cette unité, avait donc « sa » religion et devait la soutenir en même temps que la défendre. Pour une étude sur la jurisprudence élaborée à partir de l’entrée en vigueur du Code Rocco, S. Berlingò, « Rassegna di giurisprudenza in tema di delitti contro il sentimento religioso », in Dir. eccl., 1968, II, p. 30 et s ; G. Casuscelli, « Rassegna di giurisprudenza sull’art. 724, 1° comma c.p. », Dir. eccl., 1970, II, p. 150 et s.
[9] La question s’est naturellement posée, à ce moment, du sort qui devait être réservé aux infractions prévues par le Code Rocco par les articles rappelés. A cet égard, trois thèses ont été avancées par la jurisprudence et la doctrine : celle, d’abord, de leur abrogation implicite du fait de la disparition de la référence à la religion de l’Etat ; celle, ensuite, minoritaire, de « l’indétermination survenue » de leur contenu prescriptif ; celle, enfin, qui prévaudra – suscitant de nombreuses critiques – de leur maintien en vigueur du fait du caractère fondateur de la religion catholique dans le pays. Enonçant ces trois thèses, F. Basile, « A cinque anni dalla riforma dei reati in matiera di religione : un commento teorico-pratico degli artt. 403, 404 e 405 c.p. », Stato, Chiese e pluralismo confessionale, mai, 2011,www.statoechiese.it., pp. 3-4.
[10] Corte cost., sent. n° 79 du 17 décembre 1958, Giur. cost., 1958, p. 990 et. s.
[11] Cour const., sent. n° 14 du 14 février 1973, Giur. cost., 1973, p. 69 et s.
[12] Cass., sez. unite, n° 7979 du 27 mars 1992, www.olir.it ; Cass., sez. III, n° 10535 du 10 mars 2009, www.teutas.it.
[13] Corte cost., sent. n° 440 du 18 octobre1995, Giur. cost., 1995, p. 3475 et s.
[14] Corte cost., sent. n° 125 du 28 novembre 1957, Giur. cost., 1957, p. 1209 et s., avec note de P. Gismondi, « La posizione della Chiesa cattolica e delle altre confessioni nel diritto costituzionale ai fini della tutela penale ».
[15] L’affaire trouvait son origine dans une procédure pénale concernant une offense faite à une image sacrée.
[16] Cette lecture conjointe des articles 7 et 8 de la Constitution, impliquant une différenciation entre la religion catholique et les autres confessions religieuses et une hiérarchie en faveur de la première a été adoptée par P.-A. D’avack, « Libertà religiosa (dir. eccl.), Enc. dir., XXIV, 1976, p. 601. L’ancien Président de la Cour constitutionnelle, Gustavo Zagrebelsky, a même pu estimer que la doctrine Bellarmino (potestas indirecta in temporalibus) pouvait de nouveau recevoir application, in Contro l’etica della verità, Rome-Bari, Laterza, 2008, p. 55.
[17] Partie « en fait » de la décision.
[18] La Cour met l’accent sur le fait que, dans le Code Zanardelli, les normes pénales pertinentes étaient incluses dans le Titre consacré aux « Infractions contre la liberté ».
[19] L’article 404 faisant partie du Titre consacré aux « Délits contre le sentiment religieux » dans le Code Rocco.
[20] Cons. en droit unique.
[21] Pour de multiples critiques concernant cet arrêt, voir M. Croce, « La libertà religiosa nella giurisprudenza costituzionale : dalla giustificazione delle discriminazioni in nome del criterio maggioritario alla « scoperta » del principio di laicità dello Stato. Verso la piena realizzazione dell’eguaglianza « senza distinzione di religione » » ?www.uaar.it., p. 6 et s. L’auteur rappelle d’abord que le Traité de Latran, en son article 1er, précisait que « l’Italie reconnaît et réaffirme le principe consacré à l’article 1er du Statut du royaume en date du 4 mars 1848, en vertu duquel la religion catholique, apostolique et romaine est la seule religion de l’Etat ». L’entrée en vigueur de la Constitution républicaine de 1947, remplaçant le Statut albertin, supprimait donc la source sur laquelle se basait la référence à la « religion de l’Etat », en sorte que, viciée par une « inconstitutionnalité survenue », la disposition pénale aurait dû être déclarée inconstitutionnelle à la lumière de l’instauration du nouvel ordonnancement constitutionnel. La Cour, d’ailleurs, aurait, selon lui, pu et probablement dû, comme le lui permet l’article 27 de la loi n° 87 du 11 mars 1953 (relative aux normes sur la constitution et sur le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, GU, n° 62 du 14 mars 1953), déclarer l’inconstitutionnalité de toutes les autres dispositions du Code pénal contenant une telle locution (l’article 27 autorisant la déclaration d’inconstitutionnalité par voie de conséquence). Par ailleurs, il estime qu’il y a quelque contradiction à considérer, comme le fait la Cour, que l’égale protection d’une même liberté ne renvoie pas à une égale protection pénale. Enfin, il regrette que le juge a quo n’ait pas invoqué la violation de l’article 3 de la Constitution consacrant l’égalité des citoyens sans distinction de religion . Considérant que l’influence du Saint-Siège a pesé sur cette décision, A. Celotto, La Corte costituzionale, Bologne, Il Mulino, 2004, p. 42. M.-C. Ivaldi, pour sa part, souligne la contradiction entre cette décision – qui permet de maintenir en vigueur des normes du Code Rocco en décalage avec la Constitution – et d’autres décisions par lesquelles la Cour, au contraire, élimine des dispositions qui s’opposent à la Charte constitutionnelle, in La tutela penale in matiera religiosa nella giurisprudenza, Milan, Giuffrè, 2004, p. 63. Sur la question des rapports entre les Accords de Latran et la Constitution républicaine, voir, notamment, V. Crisafulli, « Art. 7 della Costituzione e « Vilipendio della religione dello Stato », Arch. Pen. 1950, p. 422 ; G. Grasso, « Laicismo di Stato e punizione del reato di bestammia, Giur. cost., 1988, p. 4304 et s., qui fait référence aux travaux de la Commission paritaire pour la révision du Concordat qui incluaient la proposition suivante : « Le Saint-Siège prend acte du fait que l’article 1er du Statut du 4 mars 1848, rappelé par les Accords de Latran, a été abrogé avec l’adoption de la Constitution républicaine italienne ».
[22] Corte cost., sent., n° 79 du 17 décembre 1958, Giur. cost., 1958, p. 990 et s., avec note C. Esposito, « La bestemmia nella Costituzione italiana ».
[23] Partie « en fait » de la décision.
[24] L’arrêt comporte un considérant en droit de douze lignes seulement !
[25] En ce sens, M.-C. Ivaldi, qui constate que la Cour, par une « motivation concise », justifie la différence de traitement « sur la base de considérations de type quantitatif » et sur le fondement « d’arguments sociologiques tenant à l’importance de la religion catholique », in La tutela penale… op. cit., p. 64.
[26] Corte cost., sent., n° 39 du 13 mai 1965, Giur. cost., 1965, p. 602 et s., avec note de P. Gismondi, « Vilipendio della religione cattolica e disciplina costituzionale delle confessioni ».
[27] Partie « en fait » de la décision.
[28] Selon la formule utilisée par M. Croce, in « La libertà religiosa nella giurisprudenza costituzionale… », op. cit., p. 10. Il semble en effet que la violation du principe d’égalité ne faisait aucun doute dans la mesure où, en pratique, le même comportement outrageant constituait une infraction pénale lorsqu’il concernait la religion catholique, alors qu’il échappait à cette qualification à l’égard des autres religions.
[29] Cons. en droit n° 1. Pour rejeter les autres griefs d’inconstitutionnalité invoqués par le juge a quo, la Cour reprend les arguments de ses décisions précédentes, en mettant notamment l’accent sur le fait que « la plus grande intensité que l’ordonnancement italien assure à la protection pénale de la religion catholique correspond à la plus grande intensité des réactions sociales suscitées par les offenses qui lui sont faites, dans la mesure où elle est la religion professée par la majeure partie des Italiens » (cons. en droit n° 2). Pour M. Condorelli, « alors que la Cour, s’agissant des aspects déjà examinés dans de précédentes décisions, ne fait que reproduire, fidèlement et sans autres approfondissements, l’argumentation antérieurement formulée, elle procède, en revanche, à un examen extrêmement sommaire en ce qui concerne le problème soumis à elle pour la première fois, ce qui laisse entrevoir des lacunes en termes d’interprétation », in « Interferenze fra norme costituzionali : a proposito del vilipendio della religione cattolica », Dir. eccl., 1965, II, p. 37.
[30] On notera que les résultats des travaux et recherches réalisés lors du Concile Vatican II (1962-1965) n’eurent guère d’impact sur la jurisprudence constitutionnelle relative au domaine concerné, alors pourtant qu’ils symbolisent l’ouverture de l’Eglise catholique au monde moderne et à la culture contemporaine en mettant l’accent sur le respect de la conscience personnelle, la liberté de pensée et la tolérance.
[31] Cour const., sent. n° 14 du 14 février 1973, Giur. cost., 1973, p. 69 et s., avec note de A. Baldassare, « E costituzionale l’incriminazione della bestemmia ? ».
[32] Sur ce principe, voir infra, III.
[33] Cons. en droit n° 3.
[34] M. Croce, « La libertà religiosa nella giurisprudenza costituzionale… », op. cit., p. 11 ; S. Lariccia, « Tutela penale dell' »ex Religione dello Stato » e principi costituzionali, Giur. cost., 1988, p. 4318. On notera que cet appel fut entendu puisque le ministre de la Justice de l’époque, Guido Gonella, présenta au Sénat, le 21 mai 1973, un projet de loi (n° 1141) portant modifications du Code pénal en matière de protection du sentiment religieux (publié in Dir. eccl., 1973, II, pp. 354-357). Ce projet n’eut cependant pas de suites comme d’autres d’ailleurs.
[35] Corte cost., sent. n° 188 du 27 juin 1975, Giur. cost., 1975, p. 1508 et s.
[36] Le juge de renvoi estimait également que l’article 403 violait les articles 21 et 25 du prescrit constitutionnel. Sur la réponse apportée par la Cour au regard de l’article 21, cf. infra, III.
[37] Partie « en fait » de la décision.
[38] E. di Salvatore évoque, à propos de cet arrêt, un « escamotage d’ordre processuel », in Il sentimento religioso nella giurisprudenza costituzionale, Giur. cost., 2000, p. 4430 (les italiques sont dans le texte).
[39] En effet, dit-elle, « l’article 406, qui renvoie aux articles 403, 404 et 405 tant pour la prévision de la conduite répréhensible que pour la détermination des sanctions, ajoutant seulement la formule « la peine est diminuée », empêcherait en tout état de cause de rétablir l’égalité des situations en étendant aux hypothèses des articles 403 et 405 – dont il est question ici – la sanction « diminuée » de l’article 406. Une éventuelle déclaration d’inconstitutionnalité ne pourrait donc qu’avoir une incidence, soit sur l’article 406 (non contesté par le juge a quo parce qu’étranger au cas d’espèce), soit sur les articles 403 et 405 dans la partie où ils se limitent, dans leur champ d’application, aux offenses ou aux troubles causés à la seule religion catholique. Mais quelle que soit l’hypothèse (…), les articles évoqués resteraient en vigueur et applicables dans la partie concernant la religion catholique. En sorte, dit la Cour, « que non seulement l’issue du procès a quo n’en serait pas modifiée, mais – et c’est ce qui compte – seraient appliquées à ce procès les normes contestées par l’ordonnance du tribunal » (cons. en droit n° 2). Voilà, à tout le moins, un curieux et obscur raisonnement qui tient à l’impossibilité technique, selon la Cour, d’égaliser le traitement punitif !
[40] Entre temps, la Cour constitutionnelle jugera irrecevables deux requêtes de référendum abrogatif portant, notamment, sur les articles 402 à 406 du Code pénal : sent n° 16 du 2 février 1978 (Giur. cost., 1978, p. 79) relative à la demande d’abrogation de quatre vingt dix-sept articles du Code pénal (dont les articles 402 à 406) ; sent. n° 28 du 10 février 1981, Foro it., 1981, I, p. 918 relative à la demande d’abrogation de vingt-huit articles du Code pénal (dont les articles 402, 403 et 404).
[41] Corte cost., sent. n° 925 du 8 juillet 1988, Giur. cost., 1988, p. 4294 et s., avec note G. Grasso, « Laicismo di Stato e punizione del reato di bestemmia ».
[42] Dit « Accord de la Villa Madame » ou « Accord modifiant le Concordat de Latran ».
[43] GU n° 85 du 10 avril 1985.
[44] Partie « en fait » de la décision.
[45] Cons. en droit n° 9.
[46] Cons. en droit n° 10.
[47] Ibid.
[48] M. Croce, « La libertà religiosa nella giurisprudenza costituzionale… », op. cit., p. 17.
[49] Notons que la Cour constitutionnelle avait encore été saisie d’une question de constitutionnalité portant sur l’article 724 du Code pénal en 1984. Mais, par l’ordonnance n° 266 du 27 novembre 1984 (Giur. cost., 1984, p. 2047), elle jugera irrecevable la question pour défaut de motivation de l’ordonnance de renvoi.
[50] Corte cost., sent. n° 440 du 18 octobre 1995, Giur. cost., 1995, p. 3475 et s., avec note de F. Ramacci, « La bestemmia contro la Divinità : una contravvenzione delittuoza ? ».
[51] Cons. en droit n° 2.1.
[52] Cons. en droit nn° 3.1 et 3.2.
[53] Dans son considérant en droit n° 3.2, la Cour, rappelant son arrêt n° 925 de 1988, indique que « l’abandon du critère quantitatif (…) signifie qu’en matière de religion, le nombre ne valant pas, s’impose désormais l’égale protection de la conscience de chaque personne qui se reconnaît dans une foi, quelle que soit sa confession », en sorte que « l’article 8 alinéa 1 de la Constitution trouve son entière valorisation ».
[54] Cons. en droit n° 3.3.
[55] C’est nous qui mettons en italiques.
[56] Cons. en droit n° 3.3.
[57] Si, donc, la « Divinité » reste protégée, c’est parce qu’elle renvoie à toutes les confessions religieuses, ce qui est conforme au principe constitutionnel de liberté religieuse. En revanche, la référence aux « symboles et personnes vénérés dans la religion de l’Etat » (la Vierge, la croix, les anges…) porte atteinte aux normes constitutionnelles car – la Cour le précise clairement – « la protection pénale ne peut dépendre de la foi professée » (cons. en droit n° 3.3).
[58] Cons. en droit n° 3.4. La Cour ajoute que « le choix actuel du législateur de punir le blasphème, une fois supprimée la référence à une seule foi religieuse, n’est donc pas en contradiction avec les principes constitutionnels dans la mesure où il tend à protéger de manière non discriminatoire un bien qui est commun à toutes les religions qui caractérisent aujourd’hui notre communauté nationale, dans laquelle doivent coexister les croyances, cultures et traditions différentes ».
[59] Pour une synthèse de ces difficultés, voir M. Croce, « La libertà religiosa nella giurisprudenza costituzionale… », op. cit., p. 23 et s. L’auteur met notamment l’accent sur le fait que, alors que la Cour rappelle clairement l’interdiction des arrêts additifs en matière pénale, le choix qu’elle adopte – supprimer la référence à la religion de l’Etat – pour rétablir l’égalité a pour conséquence d’étendre le champ d’application de la norme à des faits précédemment non couverts par celle-ci, puisque toutes les confessions religieuses sont ainsi concernées par le blasphème. En ce sens également, F. Ramacci, « La bestemmia contro la Divinità : una contravvenzione delittuosa », op. cit. p. 3487. Par ailleurs, autre problème, certaines religions ne renvoient pas à proprement parler à une « Divinité », alors que d’autres se réfèrent à plusieurs Divinités.
[60] Comme le reconnaît la Cour dans l’arrêt n° 117 du 2 octobre 1979 portant sur le serment, Giur. cost., 1979, p. 816 et s., avec note de M. Branca, « In tema di illegitimità conseguenziale ». La Cour précise, dans cet arrêt – cons. en droit n° 3 – que « l’opinion majoritaire inclut désormais la protection de la liberté de conscience de ceux qui ne croient pas dans celle, plus large, concernant la religion consacrée par l’article 19 de la Constitution, lequel garantit de la même manière la liberté « négative » correspondante ».
[61] Sur les réactions suscitées par la décision n° 440 de 1995, M.-C. Ivaldi, La tutela penale... op. cit. p. 203 et s.
[62] Corte cost., sent. n° 329 du 10 novembre 1997, Giur. cost., 1997, p. 3335 et s., avec note F. Rimoli, « Tutela del sentimento religioso, principio di eguaglianza e laicità dello Stato ».
[63] Cons. en droit n° 2, où elle précise aussi qu’« (…) il n’est pas possible, ainsi, de mettre en relief, du point de vue de la réglementation juridique, l’existence de réactions sociales différenciées. Si l’on raisonnait différemment, l’on aboutirait à affaiblir la garantie constitutionnelle de l’égalité au regard des comportements changeants et imprévisibles de la société ». Or une telle garantie doit, sur le plan religieux aussi, « concourir à la protection des minorités ». Commentant cet arrêt, F. Rimoli observe que la jurisprudence antérieure créait une distorsion évidente du principe d’égalité en la matière : « l’utilisation d’un critère substantiellement majoritaire pour mettre en œuvre une liberté garantie sur le plan individuel par les articles 19 et 20 de la Charte apparaissait difficilement acceptable sur le plan de la logique juridique ; au contraire, il eût fallu, sur la base de ces principes, mettre l’accent sur et faire prévaloir l’exigence de protection des minorités », in « Tutela del sentimento religioso, principio di eguaglianza e laicità dello Stato », op. cit., p. 3345.
[64] Cons. en droit n° 3.
[65] M. Croce observe que la Cour n’aurait pu s’emparer du problème qu’en allant « au-delà de la règle de la correspondance entre la demande et la décision », in « La libertà religiosa nella giurisprudenza costituzionale… », op. cit. p. 25 ». M.-C Ivaldi, quant à elle, fait part de sa « perplexité » face à l’abstention de la Cour de recourir à la déclaration d’inconstitutionnalité par voie de conséquence des articles 403 et 405 du Code pénal, ce qui, selon elle, aurait permis une mise en conformité plus rapide de la réglementation de qua au moins sous l’angle de l’égalité », in La tutela penale..., op. cit. p. 231.
[66] Corte cost., sent. n° 508 du 13 novembre 2000, Giur. cost., 2000, p. 3965 et s., avec note de M. Olivetti, « Incostituzionalità del vilipendio della religione di Stato, uguaglianza senza distinzioni di religione e laicità dello Stato ».
[67] Partie « en fait » de la décision.
[68] Cons. en droit n° 3.
[69] Sur l’appréhension du principe de laïcité en Italie, voir S. Lariccia, « Principio di laicità dello Stato », Treccani, 2014, www.treccani.it, qui renvoie à une bibliographie très dense. C’est par l’arrêt n° 203 du 11 avril 1989 (Foro. it., 1989, I, p. 1333 et s.) que la Cour constitutionnelle, se prononçant sur l’enseignement de la religion catholique dans les écoles publiques, qualifie le principe de laïcité de « principe suprême ».
[70] Cons. en droit n° 3.
[71] Ibid.
[72] Cons. en droit n° 4. La Cour précisant que la seconde possibilité (la logique additive) se heurte à la réserve de loi établie par l’article 25 alinéa 2 de la Constitution en matière d’infractions et de peines, qui exclut les décisions d’inconstitutionnalité dites additives.
[73] Ainsi, P. Barile, « Il « vilipendio » è da abolire », Temi, 1969, p. 538 ; S. Merlini, « Libertà di religione e vilipendio della religione cattolica », Giust. pen., 1967, II, p. 1057 et s.
[74] E. Di Salvatore, en effet, considère que même en matière pénale, en présence de « rimes obligées », la Cour constitutionnelle pourrait adopter des décisions additives. Contra, M. Croce, « « La libertà religiosa nella giurisprudenza costituzionale », op. cit., p. 27, note n° 95. Sur la logique des décisions additives à rime obbligate, V. Crisafulli (auteur de la théorie), Lezioni di diritto costituzionale, vol. I, Padoue, Cedam,1984, p. 402 et s.
[75] Corte cost., sent. n° 327 du 1er juillet 2002, Giur. cost., 2002, p. 2522 et s.
[76] Cons. en droit n° 2.
[77] Cons. en droit n° 3.
[78] Corte cost., sent. n° 168 du 18 avril 2005, Giur. cost., 2005, p. 1379 et s.
[79] Partie en « fait » de la décision.
[80] Cons. en droit n° 2. La Cour précise que la question doit être examinée dans les limites du thema decidendum telles qu’elles résultent de l’ordonnance de renvoi. Par conséquent, la requête proposée par le défenseur est étrangère au présent jugement, car elle tend à introduire un thema entièrement nouveau par rapport à celui précisé par le juge de renvoi.
[81]Cons. en droit n° 4.
[82] Les expressions « nivellement par le haut » et « nivellement par le bas » sont employées par F. Basile, in « A cinque anni… », op. cit.
[83] GU, n° 306 du 31 décembre 1999.
[84] Sur ce point, supra, II.
[85] Version actuelle de l’article 724 du Code pénal. L. Klesta observe que cette mesure, qui n’est pas appliquée en pratique, n’a pas fait l’objet de débat particulier en Italie, car elle fut « « noyée » dans un paquet de mesures disparates ». Elle indique également que le blasphème ne fut pris en considération récemment que de façon tout à fait indirecte, à travers l’évocation de l’affaire Charlie Hebdo, au sein d’un débat parlementaire et d’une enquête (http://www.parlamento.it/home) centrés sur la protection des droits de l’Homme », in Etudes de législation comparée n° 262 – janvier 2016 – « La répression du blasphème. Italie », www.senat.fr.
[86] Loi n° 85 du 24 février 2006 portant modifications du Code pénal en matière d’infractions liées aux opinions, GU, n° 60 du 13 mars 2006.
[87] Selon l’expression de F. Basile, « A cinque anni.. », op. cit., p. 5 qui observe que cette « opération de nettoyage » a concerné « à la fois le texte, les rubriques des dispositions en examen et l’intitulé du chapitre I ».
[88] Cette abrogation n’a pas supprimé la répression des offenses faites à ces cultes (différents du culte catholique) qui relèvent, aujourd’hui, des articles 403, 404 et 405 qui, nouvellement formulés, renvoient à toutes les confessions religieuses.
[89]F. Basile, « A cinque anni… », op. cit., p. 5.
[90] Ainsi, D. Pulitanò, « Laicità et diritto penale », RIDPP, 2006, p. 81.
[91] Ces ambiguïtés sont clairement décrites par F. Basile qui évoque non seulement un problème d’identification des confessions en question (il donne cependant une liste des confessions religieuses concernées au regard de critères formels), mais aussi une difficulté liée à la détermination du poids que cette formule peut avoir s’agissant de l’individualisation du « bien juridique protégé » par les articles 403 à 405 du Code pénal, in « A cinque anni… », op. cit. p. 8.
[92] Cette modification s’inscrit dans la logique de la suppression, par la loi n° 85 de 2006, de la détention pour les infractions liées aux opinions.
[93] En ce sens, P. Siracusano, « Pluralismo e secolarizzazione dei valori : la superstite tutela penale del fattore religioso nell’ordinamento italiano », RIDPP, 2009, p. 630 ; M. Pelissero, « Osservazioni critiche sulla legge in tema di reati di opinione : occasioni mancate e incoerenze sistematiche (commento alla l. 24 febbriao 2006 n. 85) », DPP, 2006, p. 1201.
[94] Certains auteurs auraient en effet souhaité que le législateur étende la protection pénale à toutes les professions individuelles de conscience, qu’elles soient religieuses ou pas. D’autres prônaient la solution d’une protection pénale seulement médiate de la religion qui aurait pu être assurée par des dispositions protégeant d’autres « biens juridiques », tels la décence publique, la tranquillité publique, l’honneur, l’égalité sans discriminations, la liberté (morale, de domicile, de réunion, d’association). Pour des précisions et le rappel des références bibliographiques sur ce point, F. Basile, « A cinque anni… », op. cit., pp. 6-7.
[95] Sur ces hésitations, F. Basile, « A cinque anni… », ibid., p. 7 et s.
[96] M. Romano, « Principio di laicità dello Stato, religioni, norme penali », RIDPP, 2007, p. 498.
[97] G. Casucelli, « Il diritto penale », in G. Casucelli (sous la dir. de), Nozioni di diritto ecclesiastico, 3ème éd., Turin, Giappichelli, 2009, p. 249.
[98] N. Coloaianni, « Diritto di satira e libertà religiosa », in D. Loprieno, N. Fiorita (sous la dir. de), La libertà di manifestazione del pensiero e la libertà religiosa nelle società multiculturali, Florence, University press, 2009, p. 14.
[99] F. Basile, « A cinque anni… », op. cit., p. 15 (les italiques sont dans le texte).
[100] Ibid.
[101] Selon l’expression de P.-L. Berger, in Una gloria remota. Avere fede nell’epoca del pluralismo, Bologne, Il Mulino, 1996, p. 83.
[102] Ces articles renvoient respectivement à la répression de l’injure et à celle de la diffamation.
[103] La libre manifestation de la pensée est garantie par l’article 21 de la Constitution. La Cour constitutionnelle a depuis longtemps affirmé le caractère essentiel et central de cette liberté. Dans l’arrêt n° 9 du 4 février 1965 (Giur. cost., 1965, p. 79 et s.), elle estime que la libre manifestation de la pensée « fait partie des libertés fondamentales proclamées et protégées par notre Constitution », qu’« elle est l’une de celles (…) qui caractérisent le mieux le régime en vigueur dans l’Etat et qu’elle est une manière d’être et une condition de développement de la vie du Pays dans tous ses aspects culturel, politique et social » (cons. en droit n° 3). Dans l’arrêt n° 168 du 5 juillet 1971 (Giur. cost., 1971, p. 1774 et s), elle souligne que le droit prévu à l’article 21 est « le plus haut, peut-être » des « droits primaires et fondamentaux » consacrés par la Constitution (cons. en droit n° 3). Pour une analyse de cette liberté, voir « Libertà di manifestazione del pensiero », treccani.it.
[104] Il vilipendio e la religione, Congrès organisé par l’Association pour la liberté religieuse en Italie, Milan, 6-7 juin 1964, La cultura, 1964.
[105] Cité par M. Croce, « La libertà religiosa nella giurisprudenza costituzionale… » , op. cit., p. 25, note n° 91. Sur une étude concernant les infractions liées aux opinions, L. Alesiani, I reati d’opinione. Una riletura in chiave costituzionale, Milan, Giuffrè, 2006, p. 115 et s.
[106] Cour const., sent., n° 39 du 13 mai 1965, Giur. cost., 1965, p. 603 et s.
[107] Cons. en droit n° 3.
[108] Même si, on l’a dit, le juge de renvoi ne se référait pas à cet article dans son ordonnance. On ne peut, à ce propos, partager l’opinion selon laquelle l’article 21 de la Constitution aurait une nature purement programmatique, ce qui pourrait expliquer que la Cour constitutionnelle n’y fasse pas référence. En effet, dès sa première décision (historique), n° 1 du 5 juin 1956 (Giur. cost., 1956, p. 1 et s.), la Cour constitutionnelle a très clairement indiqué – en l’espèce s’agissant précisément de l’article 21 de la Constitution – qu’une norme programmatique était susceptible d’être érigée au rang de paramètre de constitutionnalité dans le cadre du contrôle des lois (cf. cons. en droit n° 1).
[109] Sur l’équivalence des sens à assigner aux « bonnes mœurs » au regard des articles 19 et 21 de la Constitution, F. Finocchiaro, « Art. 19 », in Commentario della Costituzione, G. Branca (sous la dir. de), Bologne-Rome, Zanichelli, 1977, p. 278.
[110] Avec cette réserve, cependant, que le concept de « bonne mœurs » est un concept juridique indéterminé, donc évolutif, qui, partant, renvoie à une pluralité d’acceptions, ce qui pose le problème délicat de la détermination d’un contenu – au moins minimal – qui puisse servir de repère à l’interprète appelé à identifier les éventuelles limitations des libertés concernées. Sur le concept de « bonnes moeurs », concept juridique indéterminé, que l’on nous permette de renvoyer à notre ouvrage, Le juge constitutionnel et le « fait » en Italie et en France, Aix-en-Provence-Paris, PUAM-Economica, 2001, p. 221 et s.
[111] Pour certains, en revanche, les limites à la libre manifestation de la pensée imposées par l’article 403 du Code pénal se justifieraient par la protection que cette norme assure, de manière secondaire et médiate, à la personne humaine. Ainsi, S. Albisetti, Vilipendio p. 288 ; F. Finocchiaro, Appunti, op. cit., p. 26.
[112] Corte cost., sent., n° 188 du 27 juin 1975, Giur. cost., 1975, p. 1508 et s.
[113] Cons. en droit n° 4. Critiquant cette prise de position de la Cour, P. Barile, « Libertà di manifestazione del pensiero », in Enc. dir., XXIV, 1974 p. 476 et s., l’auteur considérant, en substance, que la notion d’outrage peut renvoyer à des expressions vénielles et que, en tout état de cause, en cas d’offenses, la protection pénale est déjà prévue dans la sanction de l’injure et celle de la diffamation.
[114] L’article 51 du Code pénal est relatif à « l’exercice d’un droit ou l’accomplissement d’un devoir ». Selon l’alinéa 1 de cet article, « l’exercice d’un droit ou l’accomplissement d’un devoir prévu par une norme juridique ou par un ordre légitime de l’autorité publique exclut toute mesure punitive ». Pour des développements sur cet article qui renvoie à un pouvoir juridique d’agir, mais dans certaines limites, voir « Art. 51 codice penale », www.brocardi.it.
[115] En ce sens, D. Pulitanò, « Spunti critici in tema di vilipendio della religione », RIDPP, 1969, p. 233. On notera cependant que la Cour de cassation avait, dans le passé, une conception assez stricte de ce qui pouvait être exprimé à l’endroit de la religion : ainsi, dans un arrêt du 20 février 1967 (GI, 1967, II, p. 273), le juge suprême considérait en substance que l’outrage à la religion de l’Etat était constitué par le fait d’affirmer que les dogmes étaient des inventions des prêtres et que l’Eglise catholique enseignait le contraire de ce que souhaitait Jésus, ce jugement de valeur étant exprimé de manière unilatérale et sans que soit possible l’instauration d’un débat avec l’adversaire. Certaines affaires plus récentes, parfois assez cocasses d’ailleurs, illustrent le raisonnement décrit, conjuguant l’article 21 de la Constitution et l’article 51 du Code pénal. Ainsi, par exemple, le Tribunal de Latina, dans la décision n° 1725 du 24 octobre 2006, a jugé que la publication en ligne de vignettes animées représentant des autorités ecclésiastiques et des ministres du culte de l’Eglise catholique en train de s’adonner à des actes sexuels ne méritait pas d’être sanctionnée en vertu de l’article 51 du Code pénal. Pour les juges, ces vignettes représentaient un instrument, un vecteur par lequel était exprimée, d’une manière satirique, une pensée critique, diffuse dans le sentiment collectif, à l’égard des attitudes et positions manifestées par la hiérarchie ecclésiastique sur le thème de la sexualité en sorte que ce fait, pour discutable qu’il puisse être, relèvait de l’exercice du droit à la libre manifestation de la pensée (cf. QDPE, 2007, p. 1009). Sur l’appréhension de la satire en matière religieuse par le juge ordinaire, voir, notamment, parmi de nombreux écrits, N. Coloaianni, « Diritto di satira e libertà religiosa », in D. Loprieno, N. Fiorita (sous la dir. de), La libertà di manifestazione del pensiero e la libertà religiosa nelle società multiculturali, op. cit., p. 23 et s.
[116] Cass. pen. sez. III, n° 12744 du 7 octobre 1998, in Dir. fam., 1999, p. 82 et s. . Dans le même sens, Cass. pen. sez. III, n° 7605 du 31 mars 2006, Resp. civ. prev., 2006, p. 2207.
[117] Cass. pen., sez. III, n° 41044 du 13 octobre 2015, www.canestrinilex.com. Monsieur S. B. avait exposé, dans le centre de Milan, un triptyque, réalisé par lui – trois photocopies en noir et blanc, imprimées sur toile, d’une dimension de 170 x 70 centimètres – représentant, respectivement, le Pape Benoît XVI, un pénis, des testicules et le Secrétaire personnel du Souverain Pontife, Mons. G. G., avec la légende suivante : « Chi di voi non è culo scagli la prima pietra » (« Que celui d’entre vous qui (…) jette la première pierre »). La Cour d’appel de Milan avait confirmé la condamnation prononcée par le Tribunal de la même ville à une peine d’amende de 800 euros.
[118] E.-W. Böckenförde, La formazione dello Stato nell’processo di secolarizzazione, trad. it de M. Nicoletti, Brescia, Morcelliana, 2006 (Die Entstehung des Staates als Vorgang der Säkularisation), cité par G. Zagrebelsky, Contro l’etica della verità, op. cit. p. 11.
[119] Ce fameux XXIème siècle qui devrait être religieux ou ne devrait pas être (André Malraux).
[120] Sur cette passionnante et redoutable question, J. Habermas, J. Ratzinger, Raison et religion. La dialectique de la sécularisation, Paris, Salvator, 2010 ; J. Habermas, Entre naturalisme et religion. Les défis de la démocratie, traduit de l’allemand par C. Bouchindhomme et A. Dupeyrix, Paris, Gallimard, 2008.