Le pouvoir médiatique : faut-il actualiser la théorie de la séparation des pouvoirs ?
La notion de pouvoir médiatique est de longue date fréquemment utilisée, sans que la démonstration de sa qualité de pouvoir au sens du droit public semble avoir été faite. Pour cela il convient d’étudier la manière dont le pouvoir médiatique joue un rôle fondamental pour la préservation du corps politique et des libertés publiques. Aussi, s’il existe bel et bien un pouvoir médiatique, force est de constater que son intégration à la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs est insuffisante. Des perspectives de revalorisation s’offrent pourtant au pouvoir constituant et au législateur pour redonner à ce quatrième pouvoir sa juste place et par là-même faire progresser notre modèle démocratique.
Par Steven Rostan, Doctorant ATER à l’Université Toulouse Capitole, Institut Maurice Hauriou
Plan
I. Le pouvoir médiatique : un pouvoir au sens du droit public ?
A. La détermination de la notion de pouvoir médiatique
1. Sa nature
2. Ses fonctions
B. Un état de nature concurrent au corps politique
1. Le caractère protéiforme de ses acteurs
2. Un état de nature nécessaire
II. L’insuffisante intégration du pouvoir médiatique dans la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs
A. L’encadrement juridique d’un pouvoir déprécié
1. L’insuffisance des freins et contrepoids en sa faveur
2. La protection des pouvoirs institués
B. Les nécessaires revalorisations normatives
1. Ses possibles revalorisations constitutionnelles
2. Sa nécessaire revalorisation légale
C’est la presse qui a détruit le despotisme, c’est elle qui, précédemment, avait détruit le fanatisme.[1] Tels sont les propos que François Alexandre, duc de La Rochefoucauld-Liancourt tient à l’occasion de la séance du 24 août 1789, sur le projet relatif à la Déclaration des droits. C’est dire la puissance de la presse – écrite – qui, à l’époque, incarne seule le pouvoir médiatique, car c’est supposément la séparation des pouvoirs qui a vocation à mettre fin au despotisme. Or, force est de constater que dans la bouche de celui qui proposera la rédaction de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen[2] (DDHC), la presse semble à elle seule capable de l’éradiquer. C’est là probablement l’une des évocations les plus anciennes d’une assimilation de la presse à l’une des puissances ou pouvoirs de l’État car les premières mentions d’un quatrième pouvoir (fourth estate) remonteraient à 1787 et seraient attribuées par certains à Edmond Burke[3]. Le Oxford English Dictionary attribue cette dénomination à Lord Brougham, en 1823[4], tandis que d’autres évoquent William Hazlitt comme le premier à employer la formule en 1835[5]. Étrangement, la formule the fourth estate a la particularité de ne pas renvoyer par sa construction sémantique « aux pouvoirs » mais aux ordres que sont le clergé, la noblesse et le tiers état. Littéralement, the fourth estate est ainsi, après the third estate (le tiers état), le quatrième « état » ou, en français, « ordre ». La dénomination française de « quatrième pouvoir » ou « pouvoir médiatique » a le mérite d’une plus grande clarté. Elle renvoie non pas à un quatrième ordre mais à un pouvoir qui s’ajoute à la liste des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire (ou juridictionnel dans une acception plus contemporaine), ce qui paraît plus à même de recouvrir la réalité de son utilité pour la société politique. William Hazlitt, critique littéraire et essayiste irlando-britannique, utilise la notion de quatrième pouvoir – « fourth estate in the politics of the country » – pour désigner le très pugnace journaliste William Cobbett[6]. Hazlitt décrit Cobbett – et donc le quatrième pouvoir, sans que l’on sache si la description qu’il en fait parfois ne s’apparente pas davantage à celle de la presse en général[7] – comme un personnage percutant, indépendant de tout dogme, toujours prompt à questionner les décisions politiques quel que soit le bord politique d’où elles émanent. Redouté des hommes politiques, qu’ils soient membres du Parlement ou ministre, il « n’a de satisfaction que dans la chasse à la vérité »[8] et « Non seulement aucun individu, mais aucun système corrompu, ne peut résister à ses attaques puissantes et répétées ».[9] Par la description qu’il en fait, il est effectivement difficile de ne pas y voir le rôle assuré aujourd’hui par les journalistes dans l’organisation politique de la société. De là, il apparaît que la notion de pouvoir médiatique peut être confuse car le terme média[10] est de nos jours « utilisé en France pour désigner les moyens de communication de masse […] : presse quotidienne ou magazine, radio, télévision, cinéma. Les médias sont donc des supports ou des intermédiaires entre des émetteurs (d’informations, d’analyses, etc.) et des récepteurs (lecteurs, téléspectateurs, etc.) »[11]. Il est vrai qu’une partie de la doctrine lorsqu’elle s’interroge sur le pouvoir médiatique, ne distingue pas la presse et la télévision[12] ou parle des médias[13] plus généralement, ce qui renvoie à la multiplicité des moyens d’intermédiation (presse quotidienne, magazine, radio, télévision, cinéma…). Or la télévision, la radio ou les magazines ne servent pas exclusivement de supports aux informations, commentaires et analyses journalistiques qui visent à éclairer le jugement des citoyens dans l’intérêt du débat démocratique et qui est la catégorie d’information à laquelle nous nous référerons ici. Le cinéma, pour sa part, n’est pas un moyen de prédilection de cette expression journalistique, pour ne pas dire qu’il ne l’est quasiment jamais ; tandis que les livres le sont parfois, l’exemple le plus édifiant de ces dernières années est le livre-enquête Les fossoyeurs de Victor Castanet[14]. Enfin, les réseaux sociaux deviennent également un endroit privilégié d’information pour une partie de la population. La notion de pouvoir, pour sa part, est une notion qui recouvre des réalités très différentes et d’inégales valeurs. Le pouvoir disciplinaire de l’administration par exemple est sans commune mesure avec les pouvoirs exceptionnels que réserve l’article 16 de la Constitution de la Ve République au chef de l’État, ou la notion civiliste de pouvoir telle qu’elle peut être prévue par exemple par l’article 113 du code civil[15] est elle-même très différente de la notion pouvoir constituant. Nous concernant, la notion de pouvoir ou « de pouvoir au sens du droit public », formule que nous reprenons d’Olivier Gohin[16], doit être entendue au sens le plus fondamental qui existe en droit constitutionnel : elle émane de la souveraineté et renvoie à la division du pouvoir en pouvoirs – exécutif, législative ou judiciaire – dans le but de modérer son exercice et ainsi préserver les libertés publiques. D’ailleurs, la notion de « pouvoir » en tant que telle n’est semble-t-il pas une notion juridique. En tout état de cause aucune définition de ce terme pris isolément ne figure dans les ouvrages que nous avons pu consulter[17], alors qu’elle figure dans le lexique des termes de sciences politiques des éditions Dalloz par exemple[18]. Au contraire, les lexiques des termes juridiques définissent les pouvoirs au sens des grandes fonctions ou grands organes de l’État.
Aussi, la question de l’actualisation de la séparation des pouvoirs à l’aune du pouvoir médiatique est intéressante à plusieurs égards. D’abord parce que les médias ne sont pas nécessairement détachés de la puissance publique dans la mesure où, comme la justice, ils peuvent constituer un service public. L’importance des médias de service public est notamment reconnue par le Conseil de l’Europe pour défendre la liberté de communication[19]. Ensuite, parce que l’importance des médias s’illustre également à travers « l’une des plus anciennes maximes du despotisme [qui est] d’empêcher les sujets de communiquer entre eux »[20] et que la non-séparation des médias ou de certains médias vis-à-vis du pouvoir étatique peut en faire des outils de propagande et de manipulation. Enfin, les progrès techniques et technologiques rendent d’autant plus nécessaire une telle réflexion, et les réformes incessantes dont fait par exemple l’objet l’audiovisuel public français sont autant de raisons qui affluent en ce sens, une telle volatilité apparaissant comme incompatible avec la qualité de pouvoir.
Au regard de ces constats et considérant l’utilisation fréquente de la notion « pouvoir médiatique » sans que la démonstration de sa qualification juridique de pouvoir au sens du droit public nous paraisse avoir été faite, la présente étude impose de déterminer au préalable ce à quoi cette notion renvoie (I). Par ailleurs, une telle étude ne saurait faire l’économie d’une analyse des freins et contrepoids dont bénéficie le pouvoir médiatique vis-à-vis des autres pouvoirs, et réciproquement. Cela pourrait conduire à formuler in fine des propositions de revalorisations constitutionnelles et législatives du pouvoir médiatique qui lui permettraient d’occuper sa juste place s’il devait être considéré comme un véritable pouvoir (II).
I – Le pouvoir médiatique : un pouvoir au sens du droit public ?
Dire classiquement des médias qu’ils sont un pouvoir ne saurait être en soi un discours performatif. Cela suppose d’en faire la démonstration. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les origines de la théorie de la séparation des pouvoirs et sur sa mise en œuvre, afin de démontrer leur utilité sociale fondamentale (A). Par-delà la nécessité qu’existe au sein des démocraties libérales un pouvoir médiatique, ce dernier apparaît parfois dans un état de nature concurrent au corps politique. De la sorte, il nie de son point de vue la théorie de la séparation des pouvoirs. C’est essentiellement le cas lorsque se met en œuvre une forme de « tribunal médiatique ». Pour autant, cet état de nature semble nécessaire au progrès social, ce qui n’est pas sans renforcer son caractère incontournable pour la société (B).
A – La détermination de la notion de pouvoir médiatique
Le pouvoir médiatique préexiste à la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs en ce qu’il a par exemple contribué à la circulation des idées qui ont permis la Révolution française. Pour autant, il s’est affirmé concomitamment à cette mise en œuvre, au regard de son rôle essentiel au fonctionnement démocratique de nos sociétés (1). Par-delà sa nature, ses fonctions en partie concurrentes aux autres pouvoirs confirment sa qualité de pouvoir au sens du droit public (2).
1. Sa nature
L’identification des pouvoirs constitués, dans le cadre de la théorie de leur séparation, a supposé d’identifier le rôle essentiel et incontournable de grandes fonctions de l’État pour la préservation du corps politique et des libertés. Identifier les médias comme un pouvoir suppose dès lors d’identifier cette utilité fondamentale pour le fonctionnement démocratique des sociétés modernes, autrement dit leur raison d’être (a), de telle sorte que l’on peut presque affirmer que la théorie de la séparation des pouvoirs était dès les origines incomplète si elle n’avait pas été écrite par Locke un siècle avant les premières évocations d’un quatrième pouvoir. Par-delà cette définition, nous nous efforcerons d’identifier la dimension organique du pouvoir médiatique qui, contrairement aux autres pouvoirs, n’est pas politique (b).
a/ La dimension matérielle du pouvoir médiatique
Déterminer ce qu’est un pouvoir suppose de revenir aux fins que poursuit la séparation des pouvoirs[21]. Pour cela, il faut d’abord se souvenir que l’organisation des hommes et des femmes en société est le fruit d’une volonté de ceux-ci de quitter l’état de nature en vue d’assurer pour Locke la « conservation de leurs propriétés »[22], en évitant notamment « que les hommes [ne] soient juges dans leurs propres causes, [qu’ils ne soient] partiaux [et qu’ils ne] pench[ent] vers leurs intérêts ou les intérêts de leurs amis »[23]. Pour Montesquieu, il s’agit d’être libre de faire ce que la loi permet ou n’interdit pas et d’être contraint à ne pas faire ce qu’elle défend, faute de quoi il n’y a plus de liberté[24]. Autrement dit, tous les citoyens doivent être égaux devant la loi. Cependant, la constitution de la société en corps politique ne suffit pas à sortir de l’état de nature car si les hommes et les femmes constitués en corps politique ne sont plus en pareil état les uns vis-à-vis des autres, il ne faut pas que persiste un état de nature entre eux et le Prince. C’est là qu’intervient la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, car classiquement pour que le pouvoir soit protégé de ses propres excès, il faut qu’il connaisse des limites. Comme chacun le sait, c’est une théorie de distribution des fonctions essentielles de l’État, de collaboration de ces fonctions entre elles et de leurs limitations réciproques. Or, la mise en œuvre concrète de la théorie de la séparation des pouvoirs s’est accompagnée de la nécessaire désignation de représentants qui par l’élection acquièrent deux qualités : « légitimité et confiance »[25]. Ces qualités servent à produire la validité de l’ordre juridique par la désignation de représentants qui seront légitimes à agir. Elles assurent également – la confiance en particulier – la légitimité du mandat représentatif, et donc une certaine liberté d’action des représentants, en même temps qu’elles évitent de recourir trop fréquemment aux urnes soit pour désigner à nouveau des représentants, soit pour consulter directement le peuple, soit encore pour mettre en œuvre des procédures de destitution prématurée. Or, la légitimité et la confiance ne sont que très rarement superposées. Lorsqu’elles le sont, les représentants bénéficient de ce que l’on appelle communément un état de grâce[26]. En tout état de cause la dissonance de ces deux qualités est la règle et leur harmonie l’exception. De là, s’est imposée la nécessité d’un contrôle continu de la confiance accordée aux gouvernants : « Dès 1789, un mot a servi à désigner cette forme de complémentarité de souveraineté que l’on souhaitait mettre en œuvre pour réaliser pleinement l’idéal d’un gouvernement de la volonté générale : celui de surveillance. »[27] Ainsi, la séparation des pouvoirs permet d’opérer une modération de l’exercice des fonctions essentielles de l’État mais elle ne permet pas d’opérer une surveillance de la classe politique de sorte que pourrait subsister un état de nature entre les citoyens et la classe politique, cette dernière pouvant être juge de ses propres causes[28]. Dès lors, à côté du pouvoir législatif, qui est la puissance de faire la loi ; à côté du pouvoir exécutif qui est le pouvoir d’exécuter les lois[29] et plus largement le pouvoir de représenter l’État dans une fonction diplomatique (droit des gens chez Montesquieu ou droit ou pouvoir confédératif chez Locke) ; et à côté enfin de la troisième fonction[30] que l’on a dénommée « pouvoir [ou autorité] judiciaire », doit exister une fonction de surveillance de la classe politique au profit des citoyens, fonction que remplit le pouvoir médiatique. Il ne faut pas se méprendre : la fonction de surveillance du pouvoir médiatique relève de sa nature en ce que la nature, en latin natura est « le fait de la naissance, [l’]état naturel et constitutif des choses, [le] tempérament, [le] caractère, [le] cours des choses »[31]. Or, le simple fait de relayer une information, avant même d’y ajouter des analyses et commentaires, constitue en soi ce pouvoir de surveillance.
On peut toutefois se demander si le fait qu’il ne soit pas l’apanage du pouvoir politique lui permettrait pour autant d’être un pouvoir au sens du droit public.
b/ La dimension organique du pouvoir médiatique
S’agissant de savoir si un pouvoir au sens du droit public peut être placé entre les mains d’une instance qui ne soit pas politique, il suffit pour cela d’observer la fonction judiciaire – ou plus exactement et dans son acception moderne, la fonction juridictionnelle – pour y trouver une réponse positive. Si la puissance de juger a souvent été considérée de manière indépendante[32] par rapport aux puissances exécutive et législative, c’est parce que celles-ci, contrairement à celle-là, relèvent nécessairement du champ politique et sont davantage assimilables à un pouvoir au sens où ceux qui en ont la charge sont désignés par le suffrage. La puissance de juger, elle, est davantage assurée par des magistrats dont le mode de désignation ôte à la fonction tout caractère politique[33], ce qui conduit à pouvoir affirmer qu’il n’est pas nécessaire qu’une fonction essentielle au fonctionnement démocratique d’un corps politique soit assurée par des représentants élus. De plus, la désignation du pouvoir politique a pu intervenir via des concours[34]. En conséquence, le « pouvoir » médiatique, sans être l’apanage du politique, au sens de la dévolution du pouvoir via le suffrage universel, peut remplir une fonction de surveillance essentielle à la préservation du corps politique et des libertés individuelles.
Par-delà sa raison d’être, le pouvoir médiatique remplit des fonctions qui alimentent son importance pour le corps politique et contribue à sa qualité de pouvoir au sens du droit public.
2. Ses fonctions
Si la surveillance est la raison d’être du pouvoir médiatique, autrement dit sa nature, elle est aussi l’une de ses fonctions (a). Indépendamment de cette fonction essentielle, le pouvoir médiatique remplit un certain nombre de fonctions concurrentes aux pouvoirs constitués (b).
a/ La fonction de surveillance
La surveillance, indépendamment du contrôle-surveillance[35] que peut opérer l’assemblée des représentants du peuple vis-à-vis de l’Exécutif, apparaît concomitamment à la démocratie-représentativité, et ce via la presse. Et de la même manière que l’on a assisté à une professionnalisation du personnel politique avec l’instauration du régime représentatif[36], la vigilance des citoyens dans l’organisation de la défiance vis-à-vis du politique s’est placée en grande partie dans la presse. D’ailleurs, l’émergence de la surveillance est en grande partie liée à la nécessité de corriger les inconvénients du régime représentatif[37]. En effet, cette mission de contrôle-surveillance qu’opère le Parlement présente deux écueils manifestes (que le pouvoir médiatique est venu pallier) : qui est supposé opérer un contrôle-surveillance des parlementaires eux-mêmes ? Et qui sans être juge et partie de la classe politique – ce que sont les parlementaires – peut être en mesure d’opérer une surveillance de cette dernière ? Cet écueil est d’autant plus manifeste au sein de la Ve République par exemple, où en cas de fait majoritaire le pouvoir exécutif se retrouve dans une position de quasi-négation des freins et contrepoids qu’est supposé opérer le Parlement. En plaçant la fonction de contrôle-surveillance de la classe politique en dehors du Parlement, on évite justement à cette dernière d’être « juge de ses propres causes »[38]. Au-delà de la distribution des pouvoirs entre différentes mains, cela constitue une distribution à un pouvoir tiers et indépendant d’une subdivision de la fonction de contrôle-surveillance qu’est censé remplir le Parlement vis-à-vis de l’Exécutif. C’est une forme de parachèvement du corps politique qui s’éloigne ainsi encore davantage de l’état de nature. Il est à noter que la fonction de surveillance que remplit le pouvoir médiatique n’est pas concurrente à la fonction de surveillance que remplit le Parlement vis-à-vis de l’Exécutif, en ce que le pouvoir médiatique a une fonction de surveillance non pas d’un pouvoir en particulier mais de la classe politique dans son ensemble. Le scandale du Watergate aux États-Unis, révélé par le Washington Post, ou l’affaire Luchaire[39] en France, dévoilée par la Presse de la Manche, sont au cours des dernières décennies parmi les exemples les plus notoires de cette fonction de la presse.
À côté de cela, le pouvoir médiatique s’est doté de fonctions qui nous paraissent davantage concurrentes à des fonctions normalement dévolues aux pouvoirs institués.
b/ Les fonctions concurrentes à celles des pouvoirs constitués
De manière analogue aux enjeux qui ont pu être ceux de la rationalisation du parlementarisme quant à la maîtrise de l’ordre du jour des travaux parlementaires, il apparaît que le pouvoir médiatique est titulaire d’un pouvoir de mise à l’agenda (agenda-setting) des « thèmes autour desquels se cristallis[ent] les débats dans la société »[40]. Là où la maîtrise de l’ordre du jour du travail parlementaire a par exemple été transférée des assemblées parlementaires au pouvoir exécutif avec la Constitution de 1958 (avant bien sûr que cette maîtrise ne soit partagée entre le Parlement et le Gouvernement à partir de la révision constitutionnelle de 2008), la maîtrise de l’ordre du jour des débats politiques est en partie aux mains du pouvoir médiatique. Cela étant, cette fixation de « l’ordre des priorités de l’action gouvernementale »[41] ne reflète pas nécessairement ou pas exactement les préoccupations démocratiques[42], ce qui autonomise le pouvoir médiatique de la même manière que l’interdiction du mandat impératif au profit du mandat représentatif a autonomisé la classe politique. Cette fonction d’agenda-setting est notamment liée à la capacité des médias d’orienter non pas ce que doivent penser les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs, simples citoyens ou politiques, mais ce à quoi ils doivent penser. En cela, le pouvoir médiatique est à la fois un espace d’épanouissement de l’opinion publique – par la circulation des idées et des opinions – mais aussi l’artisan de son façonnage[43].
Enfin, il est à noter que le pouvoir médiatique devient également le lieu du débat politique, supplantant en cela le pouvoir législatif[44]. Or, le pouvoir médiatique en devenant à la fois le lieu du débat et en influençant l’agenda politique concurrence la représentation qu’est supposée produire l’élection politique.
La diversité grandissante des médias accroit le phénomène de concurrence des fonctions du pouvoir médiatique vis-à-vis des autres pouvoirs. Elle nous contraint à réévaluer la typologie des acteurs de ce quatrième pouvoir qui n’est pas étrangère à l’état de nature concurrent au corps politique dans lequel il est parfois.
B – Un état de nature concurrent au corps politique
L’actualisation de la séparation des pouvoirs à l’aune du pouvoir médiatique implique de constater le caractère protéiforme de ses acteurs (1). Ce caractère contribue, sans en être à l’origine, à l’état de nature concurrent au corps politique dans lequel le pouvoir médiatique se retrouve parfois. Pour bien comprendre l’état de nature auquel nous faisons référence, il faut se souvenir que pour Locke, sortir de l’état de nature consiste d’abord en l’édiction de lois claires, permanentes et communes aux citoyens, ce que ne permet pas par exemple l’une des premières formes de société dans laquelle rentrent les hommes et les femmes, à savoir la famille où les lois sont établies par le père qui les exécute. Ensuite, et pour la bonne application des lois que le corps politique édicte, doivent être établis des juges pour régler les différends. En tout état de cause, l’idée maîtresse réside dans la nécessité qu’à aucun moment dans la chaîne de production des lois, de leur exécution et de la sanction quant à leur bonne ou mauvaise application, les individus à qui incombe la charge de ces fonctions ne soient juges et parties. Aussi, démontrer l’état de nature du pouvoir médiatique revient à démontrer la négation par ce dernier des modalités mises en avant par Locke pour en sortir. Si cet état dans lequel se trouve parfois le pouvoir médiatique est pointé du doigt, il n’en paraît pas moins nécessaire au progrès social (2).
1. Le caractère protéiforme de ses acteurs
Les différentes définitions du pouvoir médiatique, ou parfois leur manque de précision que l’on a soulevé en introduction au regard notamment de ce que recouvre désormais la notion de médias, conduit à s’interroger sur l’étendue de ses acteurs[45]. Les journalistes sont apparus comme les premiers acteurs du pouvoir médiatique (a). Pour autant, nous questionnerons la possibilité pour les réseaux sociaux d’y être inclus (b).
a/ Des journalistes de la presse écrite aux journalistes audiovisuels
Dans la conception originelle du pouvoir médiatique, ses acteurs sont facilement identifiables car il n’existe qu’un seul type de média, à savoir la presse écrite, à travers laquelle s’expriment les journalistes. Dès lors les journalistes sont apparus comme les acteurs privilégiés du pouvoir médiatique, en particulier en raison du fait qu’en se soumettant à un certain nombre de règles déontologiques – au premier titre desquelles l’exactitude et la véracité des informations relayées et l’objectivité dans la manière de les traiter qui doit notamment passer par l’absence de partis pris, qu’ils soient personnels, politiques, idéologiques ou économiques[46] – ils ont créé une relation de confiance avec leurs lecteurs et sont apparus légitimes dans l’exercice du pouvoir de surveillance de la classe politique en particulier. Cette relation de confiance est essentielle car le pouvoir de surveillance a vocation, on l’a vu supra, à prolonger la confiance du public dans ses représentants. Or, pour opérer une prolongation de la confiance du public dans ses représentants, il faut que le public ait confiance en l’opérateur qui opère la mission de surveillance des représentants. Cependant, la presse écrite, dès les origines, est aussi l’apanage de propagandistes à la solde du pouvoir politique bien que se revendiquant journalistes[47]. Cette réalité n’est pas sans soulever la question de l’indépendance organique des journalistes vis-à-vis du pouvoir politique d’une part, mais pas seulement : la question de l’indépendance organique du pouvoir médiatique vis-à-vis des sphères économiques ou financières[48] est aussi essentielle. La récente polémique autour de la suspension du directeur de la rédaction de la Provence[49] pour la première page d’une édition du quotidien régional qui aurait déplu au camp présidentiel et qui aurait eu pour conséquence la convocation du directeur général du groupe la Provence au siège de l’armateur CMA CGM, propriétaire du journal, par les équipes du directeur général de l’armateur qui est un soutien affirmé du Président de la République, illustre les pressions politiques et économiques auxquelles peut faire face la presse. L’exemple plus ancien d’un groupe français du luxe qui avait voulu sanctionner, en 2012, le quotidien Libération en retirant ses campagnes publicitaires à la suite d’une Une que le président directeur-général dudit groupe avait considérée comme insultante, illustre les pressions économiques sur la presse, indépendamment des pressions politiques. Les pertes pécuniaires étaient estimées au total pour le quotidien à 700 000 €[50].
En tout état de cause, la diversification des moyens de communication de masse ne doit pas conduire à confondre les supports d’intermédiation avec la qualité des acteurs du pouvoir médiatique, sauf à ce que le support d’intermédiation en lui-même puisse déterminer la manière dont l’information est éditorialisée, ce qui est le reproche qui peut être fait aujourd’hui aux réseaux sociaux.
b/ L’éditorialisation de l’information par les réseaux sociaux
La diversification des moyens de communication et médias de masse, et l’apparition de la télévision en particulier, paraît étendre le périmètre des acteurs du pouvoir médiatique jusqu’à y inclure les réseaux sociaux. En effet, l’économie singulière des chaînes d’information en continu tend à atténuer la frontière entre une information de qualité d’une part ; et la qualité des informations et le niveau des débats que l’on peut observer sur les réseaux sociaux d’autre part. D’abord, sur ce type de chaîne de télévision, l’information en tant que telle, celle qui relèverait du « journal » traditionnel, perd en elle-même en qualité[51]. Ensuite, la nécessité d’occuper l’espace-temps de la grille des programmes – conjuguée à la nécessité économique de faire de l’audimat – peut donner lieu à des programmes peu substantiels eu égard à la qualité des débats et des intervenants qui n’ont pas d’expertises dans le champ des sujets abordés. Pourtant ces programmes sont considérés comme des programmes d’information[52]. Certains temps d’antenne apparaissent dès lors d’un niveau comparable à celui observable sur les réseaux sociaux[53], ce qui tend à atténuer la distinction entre les acteurs du pouvoir médiatique et les réseaux sociaux et conduirait à inclure ces derniers parmi ces acteurs. Autrement dit, « quand [l’information] bavarde, le citoyen ne lui prête[-t-il] pas plus qu’une oreille distraite. »[54] ? Cause ou conséquence de la crise des médias traditionnels, force est de constater qu’une partie des jeunes générations ne s’informent quasiment plus que sur les réseaux sociaux et qu’une partie d’entre elles accorde autant sinon plus de crédit aux influenceurs qu’aux médias traditionnels pour s’informer[55].
Enfin, il faut noter que la capacité des médias de masse à orienter non pas ce que doivent penser les citoyens mais ce à quoi ils doivent penser, alimente l’idée d’inclure parmi les acteurs du pouvoir médiatique les réseaux sociaux. En effet, les algorithmes de ces derniers orientent ce à quoi s’exposent les utilisateurs[56]. Les réseaux sociaux, que d’aucuns appellent aussi « espace informationnel »[57] – ce qui est plutôt révélateur et paraît alimenter notre approche – permettent une circulation de l’information qu’ils éditorialisent en quelque sorte par la manière dont leurs algorithmes vont créer des chambres d’écho. Les utilisateurs des réseaux sociaux vont ainsi évoluer dans ces chambres d’écho, à l’instar des téléspectateurs, auditeurs ou encore lecteurs qui vont s’orienter vers des médias en fonction de leur ligne éditoriale. Les algorithmes des réseaux sociaux, et les chambres d’écho qu’ils créent, sont aux utilisateurs ce que les lignes éditoriales et sensibilités des différents médias traditionnels sont aux téléspectateurs, auditeurs ou lecteurs. L’exemple récent de Fox News Channel qui n’a pas hésité à manipuler l’information pour imputer la responsabilité de la prise du Capitole à d’autres que ceux qui en étaient à l’origine[58], contribue à brouiller la distinction que l’on pouvait faire entre la qualité de l’information relayée, analysée et commentée par les journalistes à travers les médias traditionnels et les dérives que l’on peut observer sur les réseaux sociaux quant à la manipulation de l’information.
La détermination des acteurs du pouvoir médiatique au regard de ce qui fait les caractéristiques de ce pouvoir (la surveillance de la classe politique au regard d’une circulation éditorialisée des informations permettant à la fois à l’opinion publique de s’épanouir mais aussi de se façonner) doit permettre d’éclairer le législateur sur la manière dont il souhaite encadrer les médias traditionnels et les réseaux sociaux. Autrement dit, le législateur peut par exemple décider d’entraver les libertés qu’ont pris les réseaux sociaux quant à leurs algorithmes qui éditorialisent l’information au mépris des règles déontologiques qui sont notamment là pour éclairer le citoyen et non le désinformer. Auquel cas, le législateur ferait le choix de sortir des acteurs du pouvoir médiatique les réseaux sociaux en vue que n’y subsistent pour l’essentiel que les journalistes. Ou, au contraire, le législateur pourrait décider de laisser prospérer la liberté pour les réseaux sociaux de recourir à des algorithmes qui, en éditorialisant l’information au mépris des règles déontologiques auxquelles s’astreint la profession de journaliste, désinforme le citoyen. Auquel cas, les réseaux sociaux conserveraient leur place d’acteurs du pouvoir médiatique, avec les conséquences que cela peut avoir sur l’épanouissement et le façonnage de l’opinion publique. À ce propos le Digital Service Act (DSA) européen vient corriger les insuffisances du législateur français en la matière. Certes, l’échelon européen paraît plus adapté mais certains aspects du DSA renvoie l’application du droit à la législation interne des États. En tout état de cause, la promulgation récente de cette nouvelle législation européenne, tout en étant très prometteuse, doit encore faire ses preuves et elle ne doit pas dispenser le législateur français de rester attentif à ce sujet en droit interne[59].
Quoi qu’il en soit, et indépendamment du cas particulier de l’intégration ou non des réseaux sociaux parmi les acteurs du pouvoir médiatique, ce dernier se retrouve parfois dans un état de nature vis-à-vis du corps politique.
2. Un état de nature nécessaire
Le pouvoir médiatique est souvent décrié pour le mépris du droit dont il fait preuve à travers la mise en œuvre du tribunal médiatique (a). Pour autant, et malgré les défauts que l’on peut y voir, cet état de nature n’en est pas moins un vecteur essentiel du progrès social (b).
a/ L’épanouissement d’un ordre moral concurrent à l’ordre juridique
L’organisation de la séparation des pouvoirs sert pour le corps politique à sortir de l’état de nature qui pourrait persister entre lui et le Prince. Or, le pouvoir médiatique persiste parfois dans cet état de nature vis-à-vis du corps politique et des autres pouvoirs lorsque se met en œuvre le tribunal médiatique. À cette occasion, les fonctions d’édiction et d’exécution des lois et de règlements des différends ne sont plus séparées de sorte que ceux qui exécutent et jugent suivant leurs lois sont alors juges de leurs propres causes. Pire encore, le tribunal médiatique trouve parfois un relai qui concrétise ses sanctions : dès lors il supplante l’ordre juridique.
Dans un article sur le tribunal médiatique, Gustavo Cerqueira met en valeur l’atteinte à un « système judiciaire sain »[60] par confusion des fonctions d’« enquêteur, procureur, et juge »[61], ce que nous ne remettons pas en cause. Mais, en prenant de la hauteur sur certains aspects de sa démonstration, il met incidemment en avant une confusion des pouvoirs judiciaire et législatif. En effet, se contenter d’une confusion de fonctions au sein même du pouvoir judiciaire supposerait que la norme dont se saisit le tribunal médiatique soit édictée par le pouvoir législatif, autrement dit et classiquement le Parlement, et c’est le cas dans un certain nombre de procès médiatiques. Mais, il est aussi reproché au tribunal médiatique de faire usage de sa propre loi ou plus exactement de faire usage d’un système normatif concurrent à l’ordre juridique : c’est le recours à la morale[62]. Or, le droit et la morale sont deux ordres sociaux dont on ne peut pas trouver de différence entre les deux, sauf dans « la façon dont ils ordonnent ou défendent des actes humains. »[63] « Le droit ne peut être distingué essentiellement de la morale que si […] on le conçoit comme un ordre de contrainte, c’est-à-dire comme un ordre normatif qui cherche à provoquer des conduites humaines en attachant aux conduites contraires des actes de contrainte, socialement organisés, alors que la morale, elle, est un ordre social qui n’établit pas de semblables sanctions, mais dont les sanctions se trouvent uniquement dans l’approbation des conduites conformes aux normes et la désapprobation des conduites contraires aux normes, l’emploi de la force physique n’entrant par conséquent absolument pas en ligne de compte. »[64] Or, quid de la règle de la démission contrainte d’un ministre qui est seulement mis en examen mais qui n’est pas encore condamné par une juridiction[65] ? N’est-ce pas là, l’application d’une règle morale à laquelle est attaché un acte de contrainte attribué à la collectivité juridique et dont l’application résulterait de la mise en œuvre du tribunal médiatique ? Le bât blesse d’autant plus que c’est la mise en œuvre d’un acte de contrainte suivant une norme morale sans que la constitution du comportement nuisible à la société – la constitution de l’infraction – n’ait été qualifiée par celles et ceux qui ont la légitimité pour le faire, à savoir certains membres du pouvoir juridictionnel. Qu’en est-il aussi de la démission – contrainte ? – d’un ministre qui n’est même pas mis en examen mais sur lequel pèsent de simples soupçons ? Et quid, enfin, de la démission d’un ministre sur lequel a pesé de simples soupçons et que la justice a fini par relaxer[66] ? Il convient de différencier droit et politique[67] mais il s’avère que les autorités politiques sont aussi les garantes de l’ordre juridique ; et édicter et exécuter des normes morales revient à légitimer l’existence d’un ordre social concurrent à l’ordre juridique. Force est de reconnaître que l’affaire Dupond-Moretti a certes opéré un revirement de l’Exécutif par le maintien dans l’exercice de ses fonctions de ce ministre mis en examen[68]. Cela étant, la récente utilisation du Name & Shame – nommer pour dénoncer – par le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, qui consiste à « dénoncer les industriels qui refusaient de pratiquer des tarifs appropriés au contexte inflationniste »[69] pour les stigmatiser, constitue là encore une illustration flagrante de la légitimation d’un ordre social – en l’occurrence moral – concurrent à l’ordre juridique, et ce par un acteur institutionnel supposé respecter et garantir ce dernier. Si cette pratique est parfois prévue par la loi, il s’agit bien d’une norme juridique mais tel n’est pas le cas s’agissant de la situation à laquelle nous faisons référence[70]. Cela renvoie son appartenance à un ordre moral, ainsi légitimé. Or, le recours à la norme morale constitue un problème majeur en ce qu’elle n’est pas, par définition et contrairement au droit, issue d’un ordre social que les hommes et les femmes constitués en corps politique sont convenus de respecter, le cas échéant sous la contrainte. Dans le cadre du contrat social, c’est l’ordre juridique que nous sommes convenus de respecter, ce qui permet de concilier les divergences identitaires des différents groupes sociaux, qu’ils soient mus par leur genre, leur orientation sexuelle, leur religion, leur philosophie ou même leur opinion politique, dont la morale est fonction[71]. Pour une autorité politique supposée agir suivant les règles établies par l’ordre juridique, édicter, exécuter et juger selon une norme morale revient à juger « en politique » et non en droit, autrement dit, cela revient à juger suivant le sens de l’opinion publique, alors que les médias peuvent être pris d’assaut par des groupes sociaux pour y imposer leurs codes[72].
Cela étant, la mise en œuvre du tribunal de l’opinion paraît être un mal dont il convient de s’accommoder tant le pouvoir médiatique est nécessaire au progrès social.
b/ Un pouvoir au service du progrès social
La volatilité de la morale en fait un ordre social dont l’évolution est beaucoup plus rapide que celle de l’ordre juridique (avec les dangers que cela peut représenter dans les cas de figure que nous venons d’exposer). Pour autant, si l’on considère la norme morale et la capacité de l’opinion publique à imposer ses idées par le truchement du pouvoir médiatique, ce dernier ne s’imposerait-il pas comme étant au service du progrès social et de la justice[73], tandis que le droit, via les autres pouvoirs constitués, servirait la notion de sécurité ? Qui pourrait nier au pouvoir médiatique le « rôle considérable que la presse a eu [au XVIIIe siècle] dans l’éveil des consciences qui va conduire en quelques décennies jusqu’aux Lumières »[74] ? Et qui nierait depuis les Révolutions anglaise, américaine et française le rôle sans cesse croissant et incontournable que les médias ont eu dans l’évolution des sociétés modernes occidentales ? Le pouvoir médiatique apparaît donc certes parfois dans un état de nature prompt à bouleverser l’équilibre des pouvoirs mais la balance de ses qualités et défauts a fini par imposer « la liberté de la presse [comme] le grand rempart à la liberté du peuple. »[75]
Plus récemment, le mouvement social Me too, qui trouve son origine dans les révélations faites, le 5 octobre 2017, par le New York Times et le New Yorker sur l’affaire Weinstein et qui trouve un écho retentissant grâce à Twitter en particulier, a participé d’une libération de la parole et d’une prise de conscience collective vis-à-vis des violences que subissent les femmes[76].
Comme pour tous les pouvoirs, au sens de la séparation des pouvoirs, un encadrement juridique s’impose et ce malgré la nature singulière du pouvoir médiatique : il reste donc à déterminer, selon l’état de son encadrement juridique actuel, de quelle manière il conviendrait de faire évoluer le droit, et la constitution notamment, pour qu’il puisse être considéré à la hauteur de sa fonction pour la préservation du corps politique.
II – L’insuffisante intégration du pouvoir médiatique dans la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs
Le pouvoir médiatique, en n’occupant pas la place qui devrait être la sienne au sein de la Constitution s’il devait être effectivement considéré comme un pouvoir au sens du droit public, fait l’objet d’un encadrement juridique déprécié. L’appréciation de l’état actuel de cet encadrement juridique passe par l’étude des freins et contrepoids, soit dont il bénéficie vis-à-vis des autres pouvoirs, soit dont les autres pouvoirs bénéficient vis-à-vis de lui (A). Une fois conduite l’étude de ces protections et limitations réciproques du point de vue du pouvoir médiatique, nous formulerons des pistes d’évolution constitutionnelle et législative qui permettent d’actualiser la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs dans le cadre de la Ve République (B).
A – L’encadrement juridique d’un pouvoir déprécié
Les pouvoirs constitués, dans leur collaboration mutuelle, font l’objet de freins et contrepoids, ce qui assure à chacun d’eux à la fois protection et limitation. Le pouvoir médiatique n’échappe pas à ce phénomène. Il est ainsi protégé, bien qu’insuffisamment (A) et limité, cette limitation étant la protection des pouvoirs constitués (B).
1. L’insuffisance des freins et contrepoids en sa faveur
L’étude d’une meilleure intégration du pouvoir médiatique dans la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs nous paraît passer par deux aspects essentiels de sa protection vis-à-vis des autres pouvoirs : la consécration constitutionnelle tardive de la liberté de communication d’abord (a), dont découle l’objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des médias qui tente de masquer l’insuffisante indépendance des rédactions ensuite (b).
a/ La consécration constitutionnelle tardive de la liberté de communication
La liberté de communication porte en elle une dimension cardinale, sinon fondatrice[77], qui jure avec sa consécration constitutionnelle trop tardive, et l’essentiel de son encadrement – légal seulement – ne paraît pas suffisant si le pouvoir médiatique doit être effectivement considéré en tant que pouvoir au sens du droit public. En effet, force est de constater que ce principe est en droit français un principe de valeur constitutionnelle. Il fonde la protection matérielle du pouvoir médiatique et constituerait la source d’une limitation en sa faveur des autres pouvoirs. Mais la consécration de ce principe de valeur constitutionnelle révèle l’insuffisante intégration du pouvoir médiatique dans la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs car l’article 11 de la DDHC n’a acquis de valeur constitutionnelle effective et contraignante qu’à la suite d’une succession de trois décisions célèbres du Conseil constitutionnel, à savoir les décisions n° 70-39 DC du 19 juin 1970, dite Traité de Luxembourg, par laquelle le Conseil constitutionnel inclut pour la première fois dans ses visas le préambule de la Constitution de 1958 ; la décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, dite Liberté d’association, où il a reconnu la valeur constitutionnelle du Préambule de 1958 ; et la décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973, sur la loi de finances pour 1974, où il a consacré la valeur constitutionnelle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Autrement dit, la consécration constitutionnelle de l’essence du pouvoir médiatique dans le cadre des institutions de la Ve République, n’est pas concomitante à la rédaction de la Constitution de 1958 et elle n’a été que la conséquence du bon vouloir du Conseil constitutionnel qui a toutefois permis d’opérer un rattrapage. Il faudra ensuite attendre une décision de 1984 pour que « la valeur essentielle de la liberté de communication [soit] proclamée, par le Conseil constitutionnel, d’une façon plus formelle et forte qu’il ne l’avait fait jusque-là »[78]. Dans sa décision n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, il y considère qu’il s’agit « d’une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale. »
Cette consécration constitutionnelle ne saurait par ailleurs cacher l’insuffisance de n’avoir confié qu’à la loi ordinaire la mise en œuvre concrète de la protection de la liberté de la presse. C’est en effet la grande loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui en a la charge. Bien que son article 1er ait lui-même connu une consécration constitutionnelle[79] qui l’ait élevé au rang des principes fondamentaux reconnus par la loi de la République – consécration constitutionnelle discutable en ce que c’est la Cour d’appel de Paris qui l’a opérée – les autres dispositions de la loi font l’objet de révisions fréquentes suivant la procédure législative ordinaire. Or, la déconstruction par le législateur de « l’aura protectrice pourtant nécessaire accordée par la loi sur la liberté de la presse » est à regretter[80]. Elle l’est d’autant plus que cette déconstruction tend à créer une dichotomie entre la liberté de la presse et la liberté d’expression – dichotomie de surcroît défavorable à cette dernière – à l’heure où les réseaux sociaux nous semblent intégrer le pouvoir médiatique, et alors même que nous avons souligné le faible écart qui peut exister entre la qualité d’un débat qualifié de programme d’information sur une chaîne d’information en continu et la qualité de certains messages sur les réseaux sociaux[81].
La Cour européenne des droits de l’homme tend à imposer une conception extensive de la liberté d’expression qui apparaît comme une bouffée d’oxygène là où les révisions de la loi de 1881 sonnent pour leur part comme autant de menaces à la préservation du pouvoir médiatique. La Cour de Strasbourg a ainsi établi de manière constante que la liberté d’expression « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent »[82], et les exceptions à la liberté d’expression, dont le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante, ne doivent faire l’objet que d’une interprétation étroite[83].
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a inclus dans la Constitution, à l’article 34, la disposition suivant laquelle la loi fixe les règles concernant la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias, ne fait à notre sens et là encore que souligner le retard pris pour l’actualisation de la séparation des pouvoirs du point de vue du pouvoir médiatique. Cette révision constitutionnelle n’a fait qu’entériner ce que le Conseil constitutionnel a construit de longue date au fil de ses jurisprudences. Cette disposition soulève par ailleurs la question du pluralisme et de l’indépendance des médias qui semble recouvrir la même idée sans toutefois totalement parvenir à l’objectif souhaité d’une meilleure information.
b/ L’exigence de pluralisme ou le manque d’indépendance des rédactions
De la liberté de communication découle l’objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants d’idées et d’opinions, qui fait l’objet de formules différentes mais proches suivant qu’il s’agisse de pluralisme des quotidiens d’information générale et politique de la presse écrite[84] ou des moyens de communication audiovisuels[85]. Mais dans l’une comme dans l’autre de ces formules, le Conseil constitutionnel indique précisément qu’« en définitive, l’objectif à réaliser est que les [lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs] […] soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés, ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché. » Par-delà l’exigence de pluralisme des médias, il est surtout question de l’indépendance de l’information et donc des rédactions. C’est là à notre sens l’autre pierre angulaire de l’insuffisante intégration du pouvoir médiatique à la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs. Le législateur, guidé en cela par le Conseil constitutionnel, a semblé organiser l’indépendance de l’information via un ensemble de mécanismes tels que les clauses de cession ou de conscience des journalistes[86], l’obligation de transparence financière ou les obligations de faire connaître les dirigeants réels d’une entreprise de presse, les conditions de financement des journaux, les transactions financières dont ceux-ci peuvent être l’objet ou encore les intérêts de tous ordres qui peuvent s’y trouver engager. Malgré cela l’indépendance de l’information n’est pas parfaitement assurée[87]. En effet, et alors que toutes ces obligations peuvent être satisfaites, elles ne paraissent pas empêcher à elles seules que des intérêts privés puissent peser sur la qualité de l’information. Certes, s’agissant de la presse écrite, les pouvoirs publics comptent sur le pluralisme externe des titres de presse pour assurer la liberté effective des citoyens de s’informer. Pour les médias audiovisuels, le pluralisme interne est la voie privilégiée. Mais il nous semble que pluralisme et indépendance ne sont pas superposables bien que la loi et le Conseil constitutionnel tentent de procéder ainsi. Qu’il s’agisse de la presse écrite ou des médias audiovisuels, l’indépendance de l’information ne peut pas être considérée comme assurée dès lors que la nomination du directeur d’une rédaction continue à relever du seul propriétaire du titre de presse. La récente contestation de la rédaction du Journal du Dimanche quant à la nomination d’un nouveau directeur en est une illustration[88]. Dans ses conclusions sous le récent arrêt du Conseil d’État, du 13 février 2024, Association Reporters sans frontière[89], le rapporteur public indiquait qu’« il n’est pas non plus anormal que l’actionnaire principal désigne les personnes de son choix à la tête de la rédaction » après avoir pourtant cité le rapport de la Commission d’enquête sénatoriale « Concentration des médias en France » qui indique que « La question de l’influence prêtée aux propriétaires de médias […] repose pour l’essentiel sur des déclarations et des suspicions non précisément étayées. […] [Elle] “est difficile à établir avec certitude, tant la question est étroitement mêlée à celle de choix éditoriaux […]”. » Or, au regard de l’importance des enjeux démocratiques en présence, ne peut-on pas tout autant considérer qu’il n’est pas anormal que les rédactions des organes de presse, écrite ou audiovisuelle, fassent l’objet de contraintes particulières comme celles de voir la nomination du directeur de la rédaction soumis à l’approbation partielle des journalistes de la rédaction ? Il est vrai que le rapport sénatorial ne fait état que de soupçons d’influence, ce qui pour le rapporteur public précité justifie la légitimité pour le propriétaire d’un titre de presse d’être le seul à décider de la nomination du directeur de la rédaction, mais au contraire la récurrence et la multiplicité de situations de nature à créer des soupçons justifient tout autant que l’indépendance des rédactions soit organisée. Le bénéfice du doute quant à la possible influence des propriétaires des médias ne doit-il pas emporter la mise en œuvre de l’indépendance organique des rédactions ? D’autant qu’en l’état actuel du droit, ne pas assurer l’indépendance des rédactions revient à permettre une marchandisation de l’information : un titre de presse ou un média audiovisuel peut être racheté pour y imposer une ligne éditoriale nouvelle, alors même que l’exercice par les journalistes des pouvoirs particuliers dont ils disposent – clause de cession ou clause de conscience – « peut être […] humainement très difficile et lourd de conséquences pour la carrière de ceux qui les mettent en application. »[90]
Les deux grandes dimensions de la protection du pouvoir médiatique étudiées, il convient d’aborder les protections dont bénéficient les pouvoirs constitués vis-à-vis de lui.
2. La protection des pouvoirs institués
L’étude de l’actualisation de la séparation des pouvoirs à l’aune du pouvoir médiatique suppose naturellement de s’intéresser aux freins et contrepoids qui bénéficient aux pouvoirs institués bien qu’ils n’aient pas nécessairement été conçus pour les protéger du pouvoir médiatique en particulier (a). Certains de ces freins et contrepoids connaissent des atténuations favorables au pouvoir médiatique, ce qui tend à le renforcer (b).
a/ Les freins et contrepoids en faveur des pouvoirs institués
L’étude des freins et contrepoids qui sont favorables aux pouvoirs institués vis-à-vis de du pouvoir médiatique réside pour l’essentiel dans la protection contre la divulgation de certaines informations qu’ils détiennent, que cette divulgation soit le fait de journalistes ou non. En d’autres termes et pour l’essentiel, la protection des pouvoirs institués vis-à-vis du pouvoir médiatique réside dans la protection du secret, qu’il s’agisse du secret des délibérations de certaines institutions politiques ou administratives, du secret de la défense nationale, de celui de l’administration plus largement ou encore du secret de l’enquête et de l’instruction. Sans pouvoir faire ici œuvre d’exhaustivité, nous aborderons successivement l’illustration pour chacun des pouvoirs institués de freins et contrepoids au pouvoir médiatique. Pour mémoire, le secret se définit comme l’information qui ne doit être connue que d’un nombre limité de personnes et qui ne doit par conséquent pas être révélée à ceux qui ne sont pas habilités à en connaître. Dans nos sociétés démocratiques, où les exigences de transparence et de publicité sont de plus en plus importantes, le secret est parfois difficile à accepter. Pour autant il est essentiel en ce qu’il protège aussi et par exemple la liberté de communication par la protection du secret des sources des journalistes. « Le secret n’est [donc] pas plus un vice que la transparence n’est une vertu. »[91] à la condition qu’il serve à protéger des intérêts légitimement supérieurs à l’intérêt que représente la transparence dans la vie démocratique.
S’agissant des pouvoirs institués et pour le premier d’entre eux, le Parlement, l’article 33 de la Constitution dispose de la publicité des séances et de la publication des débats au Journal officiel. Il est vrai que la notion de secret appliquée aux chambres parlementaires paraît contre-intuitive. Le secret est plus spontanément associé au pouvoir exécutif dont les délibérations du Conseil des ministres sont par exemple tenues secrètes. Le secret des délibérations des assemblées parlementaires est pourtant prévu par ce même article 33 de la Constitution qui dispose immédiatement en son deuxième alinéa que « Chaque assemblée peut siéger en comité secret à la demande du Premier ministre ou d’un dixième de ses membres. » La rédaction de cet alinéa met d’ailleurs en exergue le lien privilégié qui existe entre le pouvoir exécutif et le secret puisque la faculté pour l’une ou l’autre des assemblées de siéger dans le secret est d’abord formulée au profit d’une demande du Premier ministre. Le secret qui peut entourer les travaux parlementaires, outre les travaux en séances plénières[92], « peut concerner aussi les délibérations en commission d’enquête, en cas de travaux “non publics” […], sur le fondement de l’ordonnance du 17 novembre 1958 portant loi organique relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. »[93] Enfin, s’agissant des travaux parlementaires, le secret est plus facilement associé à la délégation parlementaire au renseignement (DPR), commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, et créée « dans le contexte de la lutte contre le terrorisme sur le territoire national [par] la loi [n° 2007-1443] du 9 octobre 2007 »[94]. Ses travaux de contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement et d’évaluation des politiques publiques en ce domaine, sont protégés non pas par le secret professionnel, qui est le droit commun de la protection du secret, prévu aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal – et qui s’applique hors cas spécifiques à toute personne en raison de sa profession ou de sa mission particulière et donc aux agents ou membres des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire[95] – mais par le secret de la défense nationale qui pour sa part est couvert par les articles 413-10 et suivants du même code, figurant dans la partie consacrée aux crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique, et plus particulièrement dans le titre sur les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation. Le II de l’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prévoit que la DPR est composée de quatre sénateurs et quatre députés suivant une représentation pluraliste, ce qui fait qu’elle était composée jusqu’à la dissolution de l’Assemblée nationale du 9 juin 2024, de deux sénateurs Les Républicains, dont l’un d’eux en est le président, une sénatrice du groupe Socialistes, Écologistes et Républicain (SER) qui en est la vice-présidente, une sénatrice sans étiquette, trois députés Renaissance dont un en était également le vice-président, et une députée Rassemblement national. À défaut d’équilibre ou de modération des pouvoirs par la transparence des informations dont la DPR a à connaître, et dont pourrait se saisir le pouvoir médiatique, la modération est assurée par le contrôle d’une représentation pluraliste de parlementaires. En tout état de cause, et malgré une ouverture légitime au Parlement via cette délégation, le secret de la Défense nationale est plus naturellement le fait du pouvoir exécutif.
L’instruction générale interministérielle du secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) indique que le secret de la Défense nationale est l’apanage de l’Exécutif et que le principe de séparation des pouvoirs, sauf exception découlant du besoin de conciliation entre principes constitutionnels, est opposable aux juges et aux parlementaires.[96] Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que « le secret de la Défense nationale participe de la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, réaffirmés par la Charte de l’environnement, au nombre desquels figurent l’indépendance de la Nation et l’intégrité du territoire »[97]. Le secret de la défense nationale résulte donc de « la volonté de protéger des informations jugées sensibles en raison de leur incidence manifeste sur les intérêts majeurs de l’État »[98]. Selon l’article 413-9 du code pénal « présentent un caractère de secret de la Défense nationale [au sens de la section du code pénal sur les atteintes au secret de la Défense nationale] les renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers intéressant la Défense nationale qui ont fait l’objet de mesures de protection destinées à restreindre leur diffusion. Peuvent faire l’objet de telles mesures les renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont la divulgation est de nature à nuire à la Défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d’un secret de la Défense nationale ». Les informations ainsi classifiées le sont à la double condition d’avoir fait l’objet d’une mesure de protection particulière, en raison de leur matérialité dont la divulgation pourrait conduire à la découverte d’un secret de la Défense nationale. Cette situation imparfaite n’est pas sans poser certaines difficultés. Les révélations faites par le média en ligne Disclose, sur le détournement par l’Égypte d’une opération antiterroriste conjointe avec la France, et qui ont conduit au placement en garde à vue d’une journaliste[99], démontrent les risques potentiels de détournement par l’Exécutif de moyens couverts par le secret de la Défense nationale, dont il n’est pas certain que la DPR aurait eu connaissance et quand bien même c’eut été le cas, il est probable que l’opinion publique n’en aurait jamais rien su. La surveillance potentielle par le pouvoir médiatique d’éléments couverts par le secret de la Défense nationale doit renforcer la crainte que leur détournement ne fasse scandale.
S’agissant enfin des freins et contrepoids qui peuvent protéger le pouvoir judiciaire du pouvoir médiatique, le secret de l’investigation et de l’instruction est de ceux-là. Nous avons vu précédemment que le pouvoir médiatique pouvait empiéter dans le domaine du pouvoir juridictionnel à l’occasion des procès médiatiques. Or, « le secret de l’investigation et de l’instruction, tel que garanti par le code de procédure pénale, est un secret qui protège à la fois les justiciables et les magistrats, tout au long de la procédure judiciaire. »[100] Il vise à assurer à l’État les moyens de lutter contre la criminalité. Il vise aussi pour les justiciables à préserver la présomption d’innocence. François Molins, l’ancien procureur général près la Cour de cassation, le disait ainsi très bien et à juste titre concernant l’objet du présent article : « le secret vise, par la confidentialité de la phase de collecte des preuves et de la détermination des charges, à garantir que toute mise en cause ne se traduira pas par un jugement préalable de l’opinion publique et ne se construira pas au travers de pressions exercées sur les enquêteurs et l’ensemble de la chaîne judiciaire. Le secret dans l’investigation permet la sérénité de la justice et la protection de la présomption d’innocence de ceux qui pourraient être livrés en pâture à l’opinion publique avant même que leur responsabilité pénale ne soit définitivement établie. »[101] Outre les articles 226-13 et 226-14 du code pénal dont on a vu qu’ils servaient de droit commun du secret, le secret qui protège l’institution judiciaire, et en particulier le secret de l’investigation et de l’instruction, est prévu à l’article 11 du code de procédure pénale. Par ailleurs, l’article 353 du code de procédure pénale demande aux jurés de se protéger en quelque sorte de la confection de leur opinion par des tiers, autrement dit indépendamment de ce qui a été présenté à la Cour d’assise durant le procès[102], jusqu’à ce que la Cour se retire pour délibérer. C’est aussi une manière pour le pouvoir judiciaire de se protéger du pouvoir médiatique, et ce durant le procès judiciaire.
Les protections dont bénéficient les pouvoirs constitués vis-à-vis du pouvoir médiatique connaissent certaines dérogations qui profitent à ce dernier et renforcent ainsi sa position.
b/ Les dérogations favorables au pouvoir médiatique
Alors que l’on pourrait supposer que les protections que l’on vient de voir, et dont bénéficient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, ne prévoient pas de différences de traitements vis-à-vis des tiers, il apparaît que dans certains cas de figure, le statut de journaliste ouvre des droits particuliers qui sont autant de dérogations favorables au pouvoir médiatique.
En réalité, et outre le statut de journaliste, « il peut […] résulter [de la mise en œuvre de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme] un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l’accès à ces informations est déterminant pour l’exercice du droit à la liberté d’expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d’informations[103]. Dans cette hypothèse, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l’article 10[104] et être strictement nécessaire et proportionnée. »[105] Certains auteurs, et nous nous rangeons à leur avis, y voit une subjectivisation du droit d’accès aux documents administratifs, « donnant un statut particulier à certains demandeurs, tels les journalistes et les chercheurs »[106]. Le Conseil d’État, sur la base de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, a ainsi donné en partie raison à un journaliste qui souhaitait accéder à des documents dans le cadre de l’enquête internationale sur les dispositifs médicaux défaillants commercialisés en France (Implant Files)[107]. En la matière, l’intérêt du contrôle de conventionnalité bat son plein et le juge administratif, en passant d’un contrôle restreint à un contrôle normal[108], permet de mieux concilier la liberté de communication avec la protection légale de certaines informations. Le statut particulier de certains requérant, en particulier les journalistes dont la mission est effectivement la mise en œuvre de la liberté de communication en vue de contribuer par la circulation des informations au débat public par l’information des citoyens, est ainsi renforcé.
S’agissant ensuite des dérogations favorables au pouvoir médiatique du point de vue de la protection dont bénéficie normalement le pouvoir judiciaire, il apparaît qu’elle peut être le fait soit, là encore, du statut des journalistes, soit de la possibilité pour l’institution judiciaire de communiquer. Concernant d’abord l’atténuation de la protection du pouvoir judiciaire en raison du statut de journalistes, la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 1er décembre 2020[109], a considéré que « les impératifs de loyauté et de légalité de la preuve ne s’appliquaient pas aux journalistes et que l’impossibilité de connaître l’origine des enregistrements ne faisait pas obstacle à leur recevabilité. »[110] Ainsi, la recevabilité de la preuve s’est heurtée au secret des sources journalistiques alors qu’elle venait d’une violation du secret de l’instruction[111]. De la sorte, la Cour de cassation entame la protection du pouvoir judiciaire en admettant une présomption d’origine privée de la preuve apportée par un journaliste. Quant à la possibilité pour l’institution judiciaire de communiquer officiellement, c’est l’article 11 du code de procédure pénale (CPP) dont on a vu qu’il était celui qui dispose du secret de l’enquête et de l’instruction, qui prévoit en son alinéa 3 la possibilité pour le procureur de communiquer. Créé par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, et modifié récemment par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, il permet au procureur de la République, de lui-même ou à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, directement ou par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire agissant avec son accord et sous son contrôle, de rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause. Cette faculté est offerte au procureur pour éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public ou lorsque tout autre impératif d’intérêt public le justifie. Le législateur a ainsi entendu atténuer l’aura du secret qui entoure l’enquête et l’instruction. Cela « permet désormais d’évoquer publiquement toute affaire si cela apparaît opportun au regard des circonstances de l’affaire, dans le respect du secret de l’enquête et de la présomption d’innocence. »[112] Il est toutefois cocasse de noter que la communication judiciaire n’exempte pas le journaliste de ses obligations déontologiques de vérification de l’information : la chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi cassé un arrêt de la Cour d’appel de Basse-Terre au motif qu’« a violé l’article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 une cour d’appel qui, pour relaxer des journalistes du chef de diffamation, a retenu que ceux-ci n’avaient fait que reprendre les informations qui leur avaient été données par le procureur de la République dans le cadre de son droit de communication sur les informations en cours. »[113]
Enfin et plus généralement, la protection du secret des sources des journalistes peut constituer une atténuation à la protection des secrets des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire[114]. Le droit européen des droits de l’homme est particulièrement protecteur du secret des sources des journalistes, permettant de pallier l’état du droit français. Pour l’essentiel, il convient de noter quand son arrêt Goodwin contre Royaume-Uni, du 27 mars 1996, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse […]. L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de “chien de garde”, et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie ».[115] La Cour de Strasbourg est même allée jusqu’à considérer que « D’autres mesures que les perquisitions chez le requérant auraient pu permettre au juge d’instruction de rechercher les éventuels auteurs des infractions et le Gouvernement omet de démontrer que, faute de perquisitions chez le requérant, les autorités nationales n’auraient pas été en mesure de rechercher en premier lieu l’existence d’une éventuelle violation de secret professionnel. »[116] Cela étant et au regard des enjeux que peut recouvrir le secret de la Défense nationale, on peut aussi supposer que le gouvernement puisse préférer s’exposer à être condamné par les juges strasbourgeois plutôt que de laisser travailler au sein de services sensibles des agents à qui il n’est plus en mesure de faire confiance. L’état du droit européen en la matière ne fait que mettre en exergue le retard du droit français qui a tenté d’opérer plusieurs mises à niveau[117]. En tout état de cause, une partie de la doctrine tend à mettre en avant l’idée que notre droit interne et l’attitude des juridictions nationales « traduit […] un refus d’appliquer les principes posés par la Cour européenne »[118]. C’est là une autre illustration de l’insuffisante intégration du pouvoir médiatique dans la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs dans le cadre des institutions de la Ve République et une forme de reconnaissance des marges de progression possible en matière de revalorisation normative.
B – Les nécessaires revalorisations normatives
L’ensemble des précédentes réflexions permettent de mettre en lumière à grands traits ce qui caractérise le pouvoir médiatique. Cet état des lieux nous a permis d’envisager des pistes de revalorisation tant constitutionnelle (1) que légale (2).
1. Ses possibles revalorisations constitutionnelles
L’importance d’un pouvoir médiatique au sens de la séparation des pouvoirs légitime une réforme constitutionnelle qui puisse le consacrer comme tel, au regard notamment des problématiques que nous avons pu soulever. Certaines pistes de réforme touchent davantage à une revalorisation de fond (a) tandis que d’autres touchent davantage à la procédure singulière que la Constitution pourrait réserver à des dispositions légales ayant pour objet la libre circulation des pensées et des opinions (b).
a/ Sa revalorisation matérielle
Si la « dimension intellectuelle » [119] du pouvoir médiatique peut paraître suffisamment garantie par la Constitution[120], cette dernière, à travers notamment son article 34, ne garantit pas suffisamment le pouvoir médiatique dans sa « dimension matérielle »[121]. Autrement dit, sur le plan des principes, la protection paraît – presque – suffisante, mais les principes ne sont rien si les moyens pour la presse de travailler ne sont pas mieux garantis. En effet, l’état actuel du soutien matériel au pouvoir médiatique est à la fois diffus et incertain. De là, il apparait que la Constitution pourrait disposer d’un article qui réserve l’octroi d’une part du budget de l’État, suivant un pourcentage du produit intérieur brut (PIB) de la France, au soutien aux entreprises de presse écrite et médias télévisuels ou radiophoniques qui concourent à l’information politique et générale du public. Dans le même temps, l’État pourrait cesser de financer, au moins via l’aide aux titres de presse, certains médias spécialisés que l’on retrouve pourtant et par exemple dans la liste des titres financés en 2022 et représentants plusieurs centaines de milliers d’euros d’argent public[122], sans que l’on voie en quoi leur contenu sert à éclairer les citoyens quant à l’information politique ou générale. En cela déjà, les acteurs du pouvoir médiatique pourraient être assurés d’une part de financement public garanti qui retrouverait peut-être en efficacité. C’est une préconisation qui a déjà pu être formulée[123].
La Constitution pourrait aller plus loin et contraindre le législateur à décider des modalités de répartition des aides publiques, directes, indirectes, ou des dépenses fiscales, suivant un ordre de priorité qui favorise d’abord et avant tout les médias qui ont fait le choix de l’organisation de l’indépendance des rédactions vis-à-vis de leur actionnariat. Rien n’empêcherait des propriétaires de titres de presse ou de chaînes d’information en continu à décider des directeurs de rédaction mais ils feraient le choix d’obtenir moins d’aides directes ou indirectes, ou moins d’avantages fiscaux. Ainsi, il ne s’agirait pas d’imposer une indépendance des rédactions vis-à-vis des propriétaires, obligation dont Didier Truchet démontre les limites[124], mais l’État peut très bien décider que l’argent public vient en soutien des médias qui eux l’organisent. C’est une proposition qui a déjà été formulée à l’endroit de la presse écrite et qui semblerait conciliable avec la liberté d’entreprendre[125] et rien n’empêcherait le législateur ensuite, sur la base des nouvelles lignes directrices mises en place par le pouvoir constituant, d’imaginer un système fiscal incitatif pour les moyens de communication audiovisuels. Ce serait un moyen de renforcer la qualité de l’information – réelle ou telle qu’elle est perçue par les citoyens – qui est un élément déterminant de la confiance du public dans les médias traditionnels[126]. En tout état de cause, les aides publiques ou avantages fiscaux devraient être suffisamment intéressants pour que les capitaines d’industries qui sont aujourd’hui pour une grande part les propriétaires actuels des principaux médias, puissent y trouver un intérêt pécuniaire, à défaut de l’intérêt que représente le contrôle direct d’un outil d’influence. La proposition d’organiser l’indépendance des rédactions est loin d’être nouvelle – contrairement peut-être à la proposition de sa constitutionnalisation – et elle a pu prendre des formes variées[127]. Certains grands journaux l’ont déjà mise en place[128] ce qui démontre la possibilité de le faire. Par ailleurs, il n’est pas illégitime que l’État participe en priorité, voire exclusivement, au financement des médias qui organisent cette indépendance car, on l’a dit, au-delà de l’indépendance de l’information liée au pluralisme des médias, subsiste la nécessité d’une indépendance des médias vis-à-vis des capitaux qui les possèdent. L’État conditionne par exemple le financement des partis politiques à la condition, notamment, qu’ils aient déposé leurs comptes auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, suivant une logique globale qui vise à assurer plus de transparence et une meilleure indépendance vis-à-vis d’intérêts privés[129]. On sait à la lecture des débats parlementaires, les réticences que cela a pu susciter à l’époque, mais reviendrait-on aujourd’hui sur pareille mesure ? Cela semble exclu. Enfin, s’agissant de la constitutionnalisation de l’indépendance de la presse, il est à noter que le 4 de l’article 38 de la Constitution du Portugal dispose par exemple que « L’État assure la liberté et l’indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir politique et du pouvoir économique. Il impose le principe de la spécialité des entreprises propriétaires d’organes d’information générale, qu’il traite et soutient sans discrimination, en empêchant leur concentration, notamment par des prises de participation multiples ou croisées. » Pareille constitutionnalisation est donc une hypothèse crédible au regard du droit comparé.
Outre ce premier critère, l’ordre de priorité de l’octroi des aides publiques pourrait ensuite consacrer le critère de la capacité d’investigation des médias eu égard notamment au nombre de journalistes qu’ils emploient selon des modalités qui les protègent de la précarité. Il s’agirait de favoriser les médias qui participent le plus à la production de l’information et de lutter contre la précarisation croissante des journalistes, régulièrement dénoncée[130].
Concernant l’audiovisuel public, comme nous le disions en introduction, le nombre de réformes dont il a pu faire l’objet en devient inquiétant, ne serait-ce que d’un point de vue de la sécurité juridique. On peine à savoir si les réformes dont il fait l’objet sont les conséquences d’une nécessité pour l’État de faire des économies budgétaires là où il le peut ou si les raisons sont à chercher ailleurs. En tout état de cause et pour éviter que ne persistent des doutes quant aux raisons qui suscitent tant de changements, la Constitution pourrait là aussi disposer d’une part minimale du budget annuel de l’État indexée sur un pourcentage du PIB de la France qui lui assure les moyens de son fonctionnement ; et certains grands principes de l’organisation de l’audiovisuel public pourraient être gravés dans le marbre de la Constitution de sorte qu’elle puisse enfin se fixer, ou au moins n’être révisée que selon la rigidité de notre norme fondamentale. Après tout, la France s’est-elle bien engagée, au moins politiquement auprès de ses partenaires de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), à consacrer annuellement 2 % de son PIB[131] à des dépenses de défense, alors que le budget annuel alloué à l’audiovisuel public est de l’ordre de 0,15 % du PIB[132]. De plus, le financement actuel de l’audiovisuel public sur le budget de l’État, participe pour d’autres démocraties de la définition d’un média gouvernemental, autrement dit un média dont l’indépendance est questionnée. Or, constitutionnaliser le budget de l’audiovisuel public permettrait d’assurer son indépendance, y compris vis-à-vis de démocraties partenaires et voisines[133].
Si les propositions d’inscription dans la Constitution de règles spécifiques à l’allocation d’une part du budget de l’État aux médias du secteur privé d’un côté et du secteur public de l’autre, pourraient se voir objecter une atteinte au principe d’annualité budgétaire, il convient de rappeler que ce principe est un principe constitutionnel. Dès lors rien n’empêche que la Constitution y déroge, et en dépit de ce principe des mécanismes sont déjà venus y porter atteinte à un niveau infraconstitutionnel[134].
Outre ces possibles revalorisations matérielles, une meilleure intégration du pouvoir médiatique dans la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs pourrait également passer par une évolution de la Constitution quant à la procédure d’édiction des lois ayant pour objet la libre circulation des pensées et des opinions.
b/ Sa revalorisation procédurale
L’évolution des technologies des médias et les problématiques liées à la liberté de la presse, à la liberté d’expression et à la protection du secret dont bénéficient les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, nécessitent qu’un certain nombre de normes qui touchent à ces différents aspects reste d’un niveau législatif pour s’adapter rapidement. Cela étant et au regard des enjeux en présence, la Constitution pourrait prévoir que le Conseil constitutionnel soit saisi automatiquement de toute disposition légale qui serait susceptible de porter atteinte à la libre circulation des pensées et des opinions. C’est un critère volontairement très large mais justifié à notre sens par l’ampleur des vertus démocratiques qu’on lui attribue. Ainsi, le Conseil constitutionnel examinerait l’ensemble des dispositions légales qui participent de la dimension tant intellectuelle que matérielle du pouvoir médiatique. Ce serait évidemment une évolution de la saisine obligatoire du Conseil constitutionnel qui ne serait plus liée à un type de norme, telle que prévue par l’article 61 de la Constitution, mais qui serait lié à l’objet de la loi. Pour autant, ce ne serait pas une révolution juridique. Le contrôle de constitutionnalité connaît déjà l’application d’un critère matériel dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). En effet, la transmission par les juridictions judiciaires ou administratives d’une QPC au Conseil constitutionnel suppose que la disposition législative en cause soit susceptible de porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
En outre le délai d’examen pour le Conseil constitutionnel pour des dispositions de cette nature pourrait être spécifiquement celui prévu pour l’examen des QPC, autrement dit 3 mois, sans possibilité pour le gouvernement de déclarer l’urgence qui normalement ramène le délai d’examen à 8 jours dans le cadre du contrôle de constitutionnalité par voie d’action. Ou, le délai de l’urgence pour ce contrôle de constitutionnalité particulier pourrait être d’un mois. Ce serait notamment un moyen d’obtenir du Conseil constitutionnel des motivations de ses décisions qui soient suffisantes pour éclairer l’État de droit, contrairement aux décisions lapidaires qu’il est généralement contraint de rendre dans la précipitation dans le cadre du contrôle a priori.
Ce serait aussi un moyen d’éteindre les critiques dont peut faire l’objet la Cour de cassation, au sujet du caractère sérieux de la QPC. En effet, « l’imprécision de cette notion “plastique qui se prête à des interprétations évolutives” […] conduit la Cour de cassation à exercer nolens volens un contrôle de constitutionnalité “même réduit à son minimum” ou encore un “pré-contrôle de constitutionnalité” de la disposition contestée. Le risque est alors que la [Cour de cassation] n’en vienne, par souci de protection de son propre rôle de gardien des droits et libertés fondamentaux, à priver le justiciable d’un examen pourtant légitime de sa question par le Conseil constitutionnel. Si la majorité des arrêts de non-renvoi d’une QPC rendus par la Cour de cassation en droit pénal de l’expression et de la communication semblent parfaitement motivés, d’autres peuvent donner l’impression que “la messe est dite” dans des cas où la constitutionnalité de la disposition critiquée apparaît pourtant douteuse. »[135] En modifiant ainsi la Constitution, la protection du pouvoir médiatique impliquerait le recours systématique à un examen du Conseil constitutionnel dont on sait qu’il applique dans sa jurisprudence la conception extensive de la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, celui qui était le chien de garde de l’Exécutif, serait à son tour le chien de garde « du chien de garde de la démocratie »[136], autrement dit le chien de garde du pouvoir médiatique dont l’utilité pour la préservation du corps politique n’est plus à démontrer.
2. Sa nécessaire revalorisation légale
La revalorisation légale du pouvoir médiatique peut être appréhendée suivant des aspects tantôt endogènes, comme une amélioration de la protection du secret des sources des journalistes (a) ; tantôt exogènes, comme le renforcement de la moralisation de la vie politique (b). Ces revalorisations auraient pour conséquence de renforcer la confiance que les citoyens peuvent avoir dans les médias et ainsi lutter contre la crise des médias traditionnels.
a/ La revalorisation légale endogène
Une des principales revalorisations légales du pouvoir médiatique pourrait consister pour le législateur à remettre sur le métier la question de la protection légale du secret des sources journalistiques, après l’échec essuyé par la censure de l’article 4 de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa décision, n° 2016-738 du 10 novembre 2016, a censuré cet article qui permettait de remédier aux imperfections[137] de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes dont la doctrine a pu estimer qu’elle n’offrait que de bien minces garanties[138]. Il a en effet considéré qu’aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des sources des journalistes[139], ce qui n’a pas permis d’assurer une conciliation équilibrée entre la liberté d’expression et de communication et le droit au respect à la vie privée, le secret des correspondances, la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et la recherche des auteurs d’infractions[140]. Dès lors, les dispositions de la loi du 4 janvier 2010 restent applicables bien qu’elles soient considérées comme insuffisamment protectrices en raison notamment de l’imprécision de la notion d’impératif prépondérant d’intérêt public. Cependant, dans sa décision de 2016, le Conseil constitutionnel fait preuve de suffisamment de précision quant aux raisons pour lesquelles il a censuré la loi, de sorte que toute nouvelle amélioration n’est donc pas impossible, « mais elle devrait veiller à respecter les indications fournies par le Conseil, notamment en ne prévoyant pas de seuil pour l’encadrement des atteintes au secret des sources (mais en conservant le contrôle étroit du juge), ou en délimitant plus étroitement le champ de l’immunité pénale. »[141] Les débats parlementaires sur la loi de 2010 livrent aussi des pistes d’évolutions dans le sens d’une meilleure protection de ce secret[142]. En tout état de cause, on peut s’étonner que le Conseil constitutionnel ait déclaré « qu’aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des sources des journalistes » quand l’on sait par ailleurs que « la valorisation de la liberté de la presse conduit la Cour [européenne des droits de l’homme] à accorder une protection quasi-absolue aux sources journalistiques »[143].
Enfin, une autre revalorisation endogène du pouvoir médiatique pourrait consister pour la loi à mieux encadrer la qualité des intervenants conviés à participer à des débats dans les programmes d’information. Nous avons pu identifier, s’agissant des acteurs du pouvoir médiatique, la porosité de la frontière entre ce qui relève de l’information et ce qui n’en relève pas au regard notamment de la qualité de certains débats dans des programmes pourtant dits d’information. Aussi, pour pallier ces difficultés, la loi pourrait exiger que dans ces programmes, les intervenants à un débat justifient d’une légitimité suffisante pour s’exprimer sur les sujets abordés – par leur expérience professionnelle, leurs contributions scientifiques… – afin que les citoyens puissent effectivement être éclairés en termes d’information politique et générale. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pourrait être chargée de contrôler la conformité à cette exigence. Il est à noter que l’annonce récente de la part du gendarme de l’audiovisuel de ne pas renouveler certaines chaînes de la Télévision numérique terrestre (TNT)[144] constitue un signe encourageant bien que timide. Cette sanction suprême serait au moins partiellement la conséquence d’atteintes récurrentes au pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion, à l’honnêteté de l’information et à son indépendance[145]. Cet exemple illustre aussi les possibilités légales déjà existantes par le simple respect de la loi Léotard[146].
Enfin, une partie de la revalorisation normative du pouvoir médiatique pourrait s’effectuer par ricochet, au moyen d’un meilleur encadrement de certains aspects qui lui sont exogènes et pourtant essentiels.
b/ La revalorisation légale exogène
La revalorisation du pouvoir médiatique peut aussi s’appréhender par l’encadrement de certains aspects qui lui sont exogènes mais qui déterminent le rapport des citoyens aux journalistes. En effet, « la méfiance à l’égard des autorités, des institutions et des médias est un facteur fortement associé aux croyances conspirationnistes (Abalakina-Paap et al., 1999 ; Barkun, 2003 ; Cordonier, 2021). Cette méfiance pourrait être à la fois une conséquence et une cause de la croyance dans les théories du complot [car] dans nombreuses de ces théories, les autorités et les médias sont présentés comme les protagonistes du complot. Cela pourrait conduire les individus convaincus par ces théories à se méfier de leur gouvernement et des journalistes. Parallèlement, les personnes qui se méfient des autorités et des médias auront logiquement tendance à rejeter les “explications officielles” des événements importants. Ces personnes sont donc plus susceptibles que d’autres d’être attirées par les “explications alternatives” conspirationnistes de ces événements. »[147] Or, l’adhésion aux théories du complot est en partie liée au niveau de corruption du secteur public. Il existe une corrélation linéaire entre les deux. Certes en France, ce niveau est relativement bas. Pour autant, il ne faut pas laisser l’occasion à la défiance d’avoir de bonnes raisons de se manifester. Le mensonge politique, l’inobservation par les politiques de règles éthiques, peut conduire à faire prospérer la défiance vis-à-vis des élites dont les médias traditionnels font partie[148]. En conséquence, la revalorisation incidente du pouvoir médiatique peut également passer par le renforcement d’une moralité légale de la vie politique. L’affaire Cahuzac, qui était née du mensonge de ce ministre devant la représentation nationale, n’avait pu faire l’objet de poursuite pénale en l’absence de disposition légale idoine. À l’initiative d’un député, une proposition de loi visant à reconnaître le délit de parjure par un membre d’un gouvernement ou un parlementaire avait été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale dans la foulée de cet épisode[149] : en vain.
***
En définitive, il convient de ne pas confondre médias et pouvoir médiatique. Seuls certains aspects de l’activité médiatique relèvent du pouvoir médiatique qui a vocation par la surveillance de la classe politique à informer les citoyens. Le pouvoir médiatique se fait à la fois le relai mais aussi l’artisan de l’opinion publique qu’il façonne en fonction de ce sur quoi il informe et en fonction de la manière dont il informe. Cela doit conduire le législateur à mieux appréhender la manière dont il encadre les réseaux sociaux par exemple. Le législateur doit aussi se saisir de cet aspect pour mieux encadrer – ou davantage inciter l’autorité de régulation des médias à mieux encadrer – certains programmes afin que les programmes d’information éclairent correctement les citoyens. Il en va de la qualité de l’information et de la santé du débat démocratique. Enfin, l’actualisation de la séparation des pouvoirs à l’aune du pouvoir médiatique, s’il doit être considéré comme tel, mérite de prêter une attention particulière aux pistes d’évolutions constitutionnelles ou légales proposées qui nous paraissent essentielles à la revalorisation du pouvoir médiatique et donc de notre modèle de société.
[1] Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première série (1787-1799), Tome VIII : du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789, Paris : Librairie Administrative P. Dupont, 1875, p 482.
Consultable sur : https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1875_num_8_1_4892_t2_0482_0000_6
[2] Article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
[3] Kathy Gill, « What Is the Fourth Estate? », ThoughCo [en ligne], publié le 16 janvier 2020, Disponible sur : https://www.thoughtco.com/what-is-the-fourth-estate-3368058. (Consulté le : 16 mai 2024) : « The term « fourth estate » is often attributed to British politician Edmund Burke. Thomas Carlyle, in « Heroes and Hero-Worship in History, » writes: Burke said that there were three Estates in Parliament, but in the Reporters’ Gallery yonder, there sat a fourth Estate more important far than them all. »
[4] Ibidem (ibid.).
[5] Jacques Attali, Histoires des médias : des signaux de fumée aux réseaux sociaux, et après, Paris : Flammarion, 2023, p. 148.
[6] William Hazlitt, The Character of W. Cobbett, Member of Parliament, Janvier 1835, Londres : J. Watson. Consultable sur :
[7] La lecture de l’ouvrage d’Hazlitt (voir note de bas de page n° 8) prête parfois à confusion à ce propos, et la remarque que fait Jacques Attali dans son ouvrage sur l’histoire des médias (voir note de bas de page n° 7) alimente notre interrogation : « C’est d’ailleurs la première fois que l’expression quatrième pouvoir est employée pour décrire un journaliste, ou la presse en général. » (p. 148).
[8] William Hazlitt, opera citato (op. cit.), p. 8 : « He has no satisfaction but in the chase after truth »
[9] Ibid., p. 6 : « not only no individual, but no corrupt system could hold out against his powerful and repeated attacks »
[10] Étymologie de « Média », in Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Centre national des ressources textuelles et lexicales (CNRTL). [En ligne]. Le terme média vient de l’abréviation usuelle de l’anglais mass-media. Consultable sur : www.cnrtl.fr/etymologie/média
[11] « Média », in Christine Dollo, Jean-Renaud Lambert et Sandrine Parayre, Lexique de sociologie, 6e édition, Paris : Dalloz, 2020, p. 255.
[12] John H. Riggs, « Les difficiles relations entre les médias et les tribunaux aux États-Unis », Les Petites Affiches, n° 140, novembre 1997, p. 12.
[13] David Kessler, « Les médias sont-ils un pouvoir ? », in Mauro Barberis (dir.), La séparation des pouvoirs, Paris, Seuil, 2012, 202 p., pp.105-112.
[14] Victor Castanet, Les fossoyeurs, Paris, Fayard, 2022, 390 p.
[15] « Pouvoir », in Serge Guinchard, Thierry Debard, Jean-Luc Albert, et al. (préf.) Lexique des termes juridiques : 2023-2024, 31e édition, Paris : Dalloz, 2023.
[16] Olivier Gohin, Droit constitutionnel., 5e éd, Paris : LexisNexis, 2022
[17] Lexique des termes juridiques : 2023-2024, Serge Guinchard, Thierry Debard, Jean-Luc Albert, et al. (préf.), 31e édition, Paris : Dalloz, 2023 ; Rémy Cabrillac, Dictionnaire du vocabulaire juridique 2024, 15e éd., Paris : LexisNexis, 2023.
[18] Lexique de science politique, Olivier Nay, Olivier Duhamel, Françoise Dreyfus, et al. (préf.), Paris, Dalloz, 2017.
[19] Conseil de l’Europe, Les médias de service public [en ligne]. (Consulté le 24 juin 2024). Disponible sur : https://www.coe.int/fr/web/freedom-expression/public-service-media
[20] Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris : Flammarion, 2019, 369 p.
[21] John Locke, auteur (1632-1704), et David Mazel, traducteur (16..-1725), Traité du gouvernement civil [en ligne], Royez, Paris, [s. n.], 1690 (traduction de 1794), 368 p., Chapitre VI : De la société civile ou politique, p. 136-163 Disponible sur : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9768457t/f11.item# ; Montesquieu, Chapitre IV, Livre XI, De l’Esprit des Lois, Paris : Gallimard, 1995, p. 325-326, lorsqu’il écrit : « La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n’est pas toujours dans les États modérés ; elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir ; mais c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. »
[22] John Locke, ibid., p. 203 : les propriétés des citoyens sont « leurs vies, […] leurs libertés et leurs biens ».
[23] John Locke, ibid., p. 43.
[24] Montesquieu, « Chapitre III, Ce que c’est que la liberté », in Livre XI Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la Constitution, ibid., p. 325.
[25] Pierre Rosanvallon, La contre-démocratie : la politique à l’âge de la défiance, Paris : Seuil, 2006, p. 11.
[26] Dans le cadre des institutions de la Ve République, il est souvent associé à la figure du président de la République : on parle alors d’état de grâce présidentiel.
[27] Pierre Rosanvallon, La contre-démocratie : la politique à l’âge de la défiance, ibid. p. 19-20.
[28] Les révélations de la presse concernant par exemple l’augmentation de l’avance sur frais de mandat des sénateurs, considérée comme « passée inaperçue », en est une illustration intéressante. Voir : Le Monde avec l’Agence France Presse, « Le Sénat a augmenté l’avance des frais de mandat des sénateurs de 700 euros par mois » [En ligne], 29 janvier 2024. (Consulté le 22 mai 2024). Disponible sur : https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/29/le-senat-a-augmente-l-avance-des-frais-de-mandat-des-senateurs-de-700-euros-par-mois_6213708_823448.html#:~:text=Alors%20qu’ils%20disposaient%20jusque,une%20hausse%20de%20700%20euros.)
[29] John Locke, op. cit. : « Mais parce que les loix (sic) qui sont une fois et en peu de tems (sic) faites ont une vertu constante et durable, qui oblige à les observer et à s’y soumettre continuellement, il est nécessaire qu’il y ait toujours quelque puissance sur pied qui fasse exécuter ces loix (sic) et qui conserve toute leur force et c’est ainsi que le pouvoir législatif, et le pouvoir exécutif se trouvent souvent séparés. » (p. 229). Nous nous permettons cette citation parce que certains auteurs ont pu dire concernant le pouvoir exécutif qu’il ne consistait pas en l’exécution des lois. C’est peut-être vrai dans une lecture littérale de la théorie de Montesquieu mais pour sa part, tels sont les propos que tient Locke.
[30] La troisième fonction varie suivant Locke ou Montesquieu mais tous deux expriment la nécessité d’établir des juges pour régler les différends entre les individus. Pour Montesquieu les trois fonctions essentielles sont bel et bien les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. John Locke lui identifie le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le « droit ou pouvoir » (p. 230) confédératif dont on se souviendra pour ce dernier qu’il s’agit du « droit de la guerre et de la paix, des ligues, des alliances, de tous les traités qui peuvent être faits avec toutes sortes de communautés et d’états (sic) » (p. 230) mais indépendamment de ce pouvoir confédératif, Locke a pour principale préoccupation la manière dont les hommes et les femmes sortent de l’état de nature. Pour ce faire, il exprime la nécessité d’établir des lois claires, permanentes et communes aux citoyens (ce que ne permet pas l’une des premières formes de société dans laquelle rentre les hommes et les femmes, à savoir la famille, dont les lois sont établies par le père d’abord, et par les honneurs que les enfants doivent à leurs parents ensuite). Et, pour la bonne application des lois que le corps politiques édicte, doivent être établis des juges pour régler les différends, autrement dit il convient d’établir une fonction judiciaire. Locke insiste de façon récurrente sur cet aspect-là, ce que Montesquieu a établi plus clairement.
[31] Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « Nature » (Étymologie), in Centre national des ressources textuels et lexicales (CNRTL) [en ligne]. (Consulté le 13 juin 2024). Disponible sur : https://www.cnrtl.fr/etymologie/nature
[32] John Locke, auteur (1632-1704) et David Mazel, traducteur (16..-1725), op. cit. : Locke souligne son importance mais ne l’identifie pas en tant que tel comme l’un des trois pouvoirs de l’État ; Olivier Gohin, op. cit., 5e éd., Paris : LexisNexis, 2022 : la relecture que fait de Charles Eisenmann de L’Esprit des Lois de Montesquieu et que nous livre Olivier Gohin dans son manuel de Droit constitutionnel souligne le fait qu’il ne s’agit pas d’un pouvoir mais que la lecture déformée que l’on a fait de l’œuvre de Montesquieu a conduit à en faire un pouvoir judiciaire dans un sens moderne.
[33] En tout cas en France. Dans un pays comme les États-Unis, l’organisation des pouvoirs et l’élection de certains juges directement par le peuple, voire la validation de certains juges par le Sénat confèrerait davantage à la fonction judiciaire la qualité de pouvoir au sens du droit public. En tout état de cause, et à la différence des pouvoirs exécutif et législatif qui sont nécessairement élus directement ou indirectement par le peuple, la fonction judiciaire elle n’est pas astreinte à cette exigence, ce qui ouvre la voie à la possibilité pour un pouvoir (si l’on entend ce terme au sens moderne) ou une autorité (dans un sens plus classique) d’assumer un rôle essentiel à la préservation des libertés.
[34] Bernard Manin, op. cit., pp. 177‑178 : « l’attribution du pouvoir politique par concours a été longtemps pratiquée dans la Chine ancienne. Le concours constitue, à côté du tirage au sort, de l’élection, de l’hérédité et de la désignation par les dirigeants en place une des modalités possibles de la sélection des gouvernants ».
[35] Pierre Esplugas-Labatut, Stéphane Caporal-Gréco, Philippe Ségur et al., Droit constitutionnel, 3e éd, Paris : Ellipses, 2022, p. 275.
[36] Olivier Gohin, op. cit., p. 300 ; Bernard Manin, op. cit. p. 13.
[37] Bernard Manin, op. cit., p. 216-217 ; Pierre Rosanvallon, op.cit., p. 43-44.
[38] John Locke, op, cit., p. 46.
[39] Guy Carcassonne, « Du non-droit au droit », in Philippe Ardent et Olivier Duhamel (dir.), L’argent des élections, Paris, Seuil, 1994, 223 p., pp. 7-18.
[40] Pierre Rosanvallon, op. cit., pp. 45-46.
[41] Pierre Rosanvallon, op. cit., pp. 45-46.
[42] Ibid.
[43] Édouard Laferrière, « Les journalistes devant le Conseil d’État », Veuve Joubert Librairie-Éditeur, Paris, 1865, 40 pages. Page 6, l’auteur y cite un avertissement du préfet du Nord à l’attention du gérant d’un journal dont divers numéros critiquaient un décret. Le préfet adresse son avertissement en cette forme (nous soulignons) : « Le devoir de l’administration est de protéger la presse contre ses propres excès, et je ne laisserai point votre journal s’engager dans une voie de nature à égarer l’opinion publique. » ; Christine Dollo, Jean-Renaud Lambert et Sandrine Parayre, op. cit. : voir « Sociologie des médias », p. 255.
[44] Pierre Esplugas-Labatut, Stéphane Caporal-Gréco, Philippe Ségur et al., op. cit., p. 279.
[45] Grégory Derville, « Le pouvoir des médias… selon les classiques de la “com” », Les cahiers de médiologie, 1998, no 1998/2 (N° 6), p. 130 à 135 : dans cet article, le politiste met l’accent sur le pouvoir prêté à la radio et à la télévision, voire à la télévision en particulier. Or, parler du pouvoir de la télévision sans autre forme de précision, ce n’est pas parler du pouvoir des journalistes via un support d’intermédiation qui serait la télévision, c’est parler plus généralement de l’influence des programmes divers et variés du petit écran sur le public, ce qui tend à détacher et à autonomiser l’outil d’intermédiation de l’émetteur.
[46] Charte d’éthique mondiale des journalistes, adoptée lors du 30e congrès mondial de la FIJ à Tunis, le 12 juin 2019, Fédération internationale des journalistes [en ligne]. Consulté le 19 mai 2024. Disponible sur : https://www.ifj.org/fileadmin/user_upload/Global_Charter_of_Ethics_FR.pdf. Elle reprend et complète la déclaration de Bordeaux de 1954.
[47] Jacques Attali, op. cit.. p. 88-89.
[48] Jacques Attali, ibid., pp. 146-147 : à la fin du XVIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle en Angleterre, on observe par exemple en Grande-Bretagne une crainte de la part des élites anglaises « toujours masculines et limitées aux plus riches propriétaires », la crainte « de voir se développer une presse populaire, politiquement radicale. »
[49] Gilles Rof, « Le directeur de la rédaction de “La Provence” mis à pied après un titre de “une” dénoncé par des élus macronistes, la rédaction en grève », Le Monde. [En ligne]. Publié le 22 mars 2024, modifié le 23 mars 2024. Consulté le 20 mai 2024. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/03/22/le-directeur-de-la-redaction-de-la-provence-mis-a-pied-apres-la-publication-d-un-titre-de-une-denoncee-par-des-elus-macronistes_6223528_3234.html
[50] Xavier Ternisien, « Lourdes pertes publicitaires pour « Libération » après sa Une sur Bernard Arnault » [en ligne], Le Monde, 13 septembre 2012. Consultable sur : https://www.lemonde.fr/economie/article/2012/09/13/lourdes-pertes-publicitaires-pour-liberation-apres-sa-une-sur-bernard-arnault_1759485_3234.html
[51] Dominique Marchetti et Olivier Baisnée, « L’économie de l’information en continu (À propos des conditions de production dans les chaînes d’information en général et à Euronews en particulier) », Réseaux, 2002, no 2002/4 (n° 114), p. 181 à 214.
[52] Il faut noter que le Conseil supérieur de l’audiovisuel classe au titre des programmes d’information les émissions de débat. Or, on peut s’interroger sur la qualité de l’information lorsque par exemple, à l’occasion d’un débat télévisé de géopolitique, un ancien ministre de l’Éducation nationale confond les pays baltes et les Balkans (Guerre en Ukraine : « Non ils ne sont pas tous dans l’OTAN », quand Luc Ferry confond les pays baltes et les Balkans, La Dépêche, [en ligne], publié le 5 mars 2024. Consulté le 21 mai 2024. Disponible sur : https://www.ladepeche.fr/2024/03/05/video-guerre-en-ukraine-non-ils-ne-sont-pas-tous-dans-lotan-quand-luc-ferry-confond-les-pays-baltes-et-les-balkans-11805594.php).
[53] Mouna El Mokhtari, « “L’Heure des pros” de Pascal Praud, symbole du dérèglement médiatique », Le Monde, [en ligne]. (Consulté le 21 mai 2024). Disponible sur : https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/05/23/l-heure-des-pros-le-dereglement-mediatique_5465791_3246.html. Citant Virginie Spies, sémiologue, maître de conférence à l’université d’Avignon, au sein du département des Sciences de l’Information et de la Communication : « on est comme avec eux au bar » ; « Ici, tout est jugé à l’aune du vécu : on n’écoute pas le savoir, même si je ne doute pas que certains chroniqueurs en ont » ; « L’heure des pros » est surtout celle des « pros des plateaux télévisés » et « le match est d’abord rhétorique avant de porter sur le fond. » On notera aussi la formule utilisée par l’Arcom et qui ressort de la décision n° 463162 du 13 février 2024 du Conseil d’État, dont a été à l’origine l’association Reporters sans frontières qui a demandé au juge de l’excès de pouvoir d’annuler la décision de l’Arcom de ne pas adresser de mise en demeure à CNews l’article 42 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Dans cette décision il est notamment question du respect par l’éditeur de sa qualité de service « consacré à l’information ». Or, il est dit (nous soulignons) qu’« en dépit de la place des émissions de débat dans la programmation de la chaîne, celle-ci ne méconnaissait pas les obligations, résultant de sa convention, qui s’attachent à sa qualité de service consacré à l’information ». C’est bien là une forme d’aveu (« en dépit ») de l’ambivalence de la qualité de l’information qui pour une partie d’entre elle est regrettée.
[54] La citation originale est la suivante : « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite » : Conseil d’État, « La sécurité juridique », in Rapport d’activité, 1991. On retrouve également la formule dans : Conseil d’Etat, « Sécurité juridique et complexité du droit », Rapport public, Études et Documents du Conseil d’État (ECDE) n° 56, 2005.
[55] Gérald Bronner, Président, Roland Cayrol, Laurent Cordonier et al., « Les Lumières à l’ère numérique », [s. l.], Présidence de la République, 2022. https://www.vie-publique.fr/rapport/283201-lumieres-l-ere-numerique-commission-bronner-desinformation. La lettre de mission du président la République, adressée au sociologue français Gérald Bronner s’en fait l’écho : « En quelques années, la façon dont nous nous informons s’est radicalement métamorphosée. Là où l’information était depuis des décennies structurée par quelques grands rendez-vous collectifs très encadrés – les journaux télévisés, la lecture de la presse écrite, elle est aujourd’hui éclatée avec, d’un côté, des médias traditionnels en déclin et, de l’autre, la multiplication de contenus autoproduits rencontrant leur public au gré des affinités idéologiques ou des hasards algorithmiques. » ; voir aussi : Sénat, Commission d’enquête « Concentration des médias en France », Rapport n° 593 (2021-2022) visant à mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France et d’évaluer l’impact de cette concentration dans une démocratie, 2022, p. 12 (tome I). Consultable sur : https://www.senat.fr/rap/r21-593-1/r21-593-1.html
[56] Sénat, Commission d’enquête « Concentration des médias en France », ibid., 2022, p. 12 (tome I).
[57] Voir en ce sens : François Saltiel, « Entretien avec Thierry Breton : quand un commissaire européen défie les GAFAMs », in François Saltiel, Le Meilleur des Mondes [en ligne], France Culture, 14 juin 2024, 1 enregistrement sonore (durée : 60 minutes). Disponible sur : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-meilleur-des-mondes/entretien-avec-thierry-breton-quand-un-commissaire-europeen-defie-les-gafams-9154238. Thierry Breton est commissaire européen en charge notamment de diriger les travaux en vue de l’adoption d’une nouvelle législation sur les services numériques afin de renforcer le marché unique dans ce domaine, de clarifier les obligations des plateformes en ligne, ainsi que d’apporter de la clarté juridique et d’assurer des conditions de concurrence équitables aux petites entreprises. (https://commissioners.ec.europa.eu/thierry-breton_fr).
[58] France Culture, « Aux États-Unis, Fox News poursuit son œuvre de réécriture mensongère du récit de l’attaque du Capitole, publié le 8 mars 2023, [En ligne]. Consulté le 22 mai 2024. Disponible sur :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mercredi-08-mars-2023-6974037 ; Libération, « Assaut du Capitole : un vétéran attaque Fox News en diffamation », publié le 13 juillet 2023, [En ligne]. Consulté le 22 mai 2024. Disponible sur : https://www.liberation.fr/international/amerique/assaut-du-capitole-un-veteran-attaque-fox-news-en-diffamation-20230713_KPYTFLDVQRBPZHGC7MSVYPXUMQ/
[59] Voir notamment : Constantin Pavléas, « DSA : un instrument puissant pour instaurer un environnement en ligne sûr et transparent et propager les valeurs européennes », Revue Lamy droit des affaires, nº 184, 1er septembre 2022 ; Cabinet Racine, « DSA : Ouverture par la Commission européenne d’une procédure formelle à l’encontre de Facebook et d’Instagram », Communication Commerce électronique (LexisNexis), n° 6, Juin 2024, alerte 204 : « La Commission européenne, par l’ouverture d’une procédure formelle, a pour objectif de déterminer si Meta, qui détient Facebook et Instagram, a enfreint le DSA. Diverses infractions sont présumées, incluant le non-respect des obligations en matière de publicités trompeuses et de désinformation, la rétrogradation du contenu politique dans les systèmes de recommandation (mis en exergue par nous), la non-conformité du mécanisme de signalement de contenus illicites, et l’absence d’un outil efficace de suivi en temps réel du discours civique et des élections fourni par un tiers en amont d’élections. »
[60] Gustavo Cerqueira, « Le tribunal médiatique », Mélanges en l’honneur de Jean-François Renucci, Liber amicorum, Paris, Lefebvre Dalloz, 2024, pp. 171-184.
[61] Ibid.
[62] Ibid. En ce sens et citant en partie Serge Guinchard, « Les procès hors les murs », in Droit civil, procédure, linguistique juridique – Écrits en l’hommage à Gérard Cornu, PUF, 1994, p. 201‑216 :« S’intéressant aux procès hors les murs – à l’instar de l’affaire Palmade aujourd’hui ou des affaires Julien Bayou et Adrien Quatennens encore hier –, Serge Guinchard en identifiait la cause en ces termes : “Et [tout] cela au nom de la morale, de l’éthique, [sans que l’on sache bien] d’ailleurs de quelle morale et de quelle éthique il s’agissait”. Une morale néanmoins pervertie, selon l’auteur, car chacun ayant sa morale, l’enjeu consiste à la faire prévaloir sur celle de l’autre dans une sorte de marché de l’éthique. »
[63] Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Paris : LGDJ, 2010, p. 40.
[64] Ibid.
[65] Bertrand Mathieu, « La règle non écrite de démission des ministres mis en examen face à la présomption d’innocence et la séparation des pouvoirs », Le Club des Juristes, 16 juillet 2021, [en ligne]. Bertrand Mathieu lui y voit une atteinte à la séparation des pouvoirs en considération du fait que la règle de la démission d’un ministre mis en examen placerait l’autorité judiciaire dans une situation qui n’est pas supposée être la sienne en vertu de la Constitution de 1958, à savoir que la justice aurait une incidence trop importante sur la vie administrative. Article consultable sur : https://www.leclubdesjuristes.com/archives-cdj/la-regle-non-ecrite-de-demission-des-ministres-mis-en-examen-face-a-la-presomption-dinnocence-et-la-separation-des-pouvoirs-3646/
[66] Le Monde, « François Bayrou relaxé dans l’affaire des assistants parlementaires européens du MoDem », 5 février 2024. Consultable sur : https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/05/francois-bayrou-relaxe-dans-l-affaire-des-assistants-parlementaires-europeens-du-modem_6214845_823448.html
[67] Cet exemple a le mérite de renforcer la nature de pouvoir au sens de la séparation des pouvoirs du pouvoir médiatique en ce qu’il a une incidence sur le pouvoir exécutif.
[68] Sur un éclairage de la manière le droit permet le maintien en poste de ce ministre mis en examen : Julien Padovani, « L’affaire Dupond-Moretti et l’irresponsabilité politique sous la Ve République », Recueil Dalloz 2023, p. 2247.
[69] Stéphane Gerry-Vernieres, « La pratique du Name and Shame est-elle licite ? », Le Club des Juristes, 14 septembre 2023, [en ligne]. Consultable sur : https://www.leclubdesjuristes.com/economie/la-pratique-du-name-and-shame-est-elle-licite-1040/
[70] Ibid.
[71] Hans Kelsen, op. cit. p. 71 : l’auteur l’explique très bien, « il n’existe pas de morale absolue, c’est-à-dire seule valable, excluant la possibilité qu’une autre soit valable ; l’on admet pas que ce qui est bon ou juste selon un ordre moral soit bon ou juste en toute circonstance, ou que ce qui est mauvaise selon un ordre moral soit mauvais en toutes circonstances ; l’on accorde au contraire qu’à des époques différentes, chez des peuples différents, et même à l’intérieur d’un même peuple, dans des classes, ordres et professions différents, valent des systèmes moraux très différentes et contraires les uns aux autres, qu’il est possible que, dans des circonstances différentes, des choses différentes soient tenus pour bonnes ou pour mauvaises, pour justes ou pour injustes, et que rien ne doit nécessairement être tenu pour bon ou pour mauvais, pour juste ou injuste dans toutes les circonstances ; de ce point de vue, toutes les valeurs morales sont relatives. »
[72] Grégory Derville, loc. cit.
[73] Au sens de ce qui est juste, éthique et non au sens de pouvoir juridictionnel.
[74] Jacques Attali, op. cit., p. 88.
[75] Ibid., p. 123 : « En 1768, le Royal Council, la branche législative du gouvernement de la colonie, demande à la Cour du Massachusetts de fermer la Boston Gazette, alors le journal colonial le plus diffusé avec seulement 2000 exemplaires. Mais la Cour refuse, confirmant la jurisprudence de 1734, et cite deux écrivains britanniques, Trenchard et Gordon, qui avaient écrit en 1720 […] sous le pseudo de Caton : “La liberté de la presse est le grand rempart de la liberté du peuple.” »
[76] Didier Primault, « Du sexisme ordinaire aux violences faites aux femmes », Jurisport 2020, n° 206, p. 3 : le mouvement « Me too » a fini par permettre une libération de la parole des femmes dans le sport ; « Harcèlement », in Patrick Mistretta, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Paris : Encyclopédie Dalloz, mai 2019 (actualisation avril 2022), p. 1-8 : « Il apparaît donc que dans le langage courant, la définition du harcèlement relève plus de la tactique guerrière ou de techniques psychologiques que du phénomène juridique proprement dit même si le mouvement Me Too qui s’est largement diffusé sur les réseaux sociaux pour dénoncer l’agression sexuelle et le harcèlement a certainement contribué à davantage populariser l’acception juridique du harcèlement. »
[77] L’article 11 de la DDHC est le seul article de la déclaration à particulièrement préciser que la liberté de communication est « l’un des droits les plus précieux de l’homme ». Sa rédaction est porteuse d’une aura et d’une solennité particulières que l’on ne retrouve par ailleurs dans la DDHC qu’à l’article 17 lorsqu’il dispose que « La propriété étant un droit inviolable et sacré ». Les autres articles de la DDHC se contentent d’être plus déclaratifs. Ensuite, et « Alors que [la DDHC] proclame un principe général de liberté, ses auteurs jugent nécessaire de consacrer son article 11 spécifiquement à la liberté des moyens d’expression de la pensée qui sont à l’époque la parole et l’écrit. » (Bertrand de Lamy, « La Constitution et la liberté de la presse », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2012, no 2012/3 (N° 36), p. 19 à 29.), ce qui, outre la solennité de la rédaction de l’article 11 renforce de surcroît la liberté de communication, ou pour l’époque la liberté de la presse particulièrement. On se souviendra également de la citation du duc de la Rochefoucauld-Liancourt, énoncée en introduction, qui faisait de la liberté de la presse un moyen d’éradiquer à lui seul le despotisme et le fanatisme. Emmanuel Derieux, quant à lui, parle du « caractère fondateur et fondamental de la liberté de communication » (Emmanuel Derieux, « Liberté de communication », Fondements et Principes du droit des médias et de la communication, in Le Lamy Droit des Médias et de la Communication Lamy : Expert, article n° 109-6, mai 2020). Le Conseil constitutionnel, quant à lui, parle dans sa décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, d’une « liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale ».
[78] Emmanuel Derieux, « Liberté de communication », Fondements et Principes du droit des médias et de la communication, in Le Lamy Droit des Médias et de la Communication, Lamy : Expert, article n° 109-6, mai 2020.
[79] Emmanuel Derieux, « Liberté de communication », ibid., article n° 109-1, mai 2020 ; Bertrand de Lamy, « La Constitution et la liberté de la presse », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2012, no 2012/3 (N° 36), p. 19 à 29 : « Fortement consacrée par le Conseil constitutionnel, la liberté de la presse a également vu sa valeur constitutionnelle affirmée par la Cour d’appel de Paris qui tire de l’article 1er de la loi de 1881, selon lequel l’imprimerie et la librairie sont libres, un “principe fondamental à valeur constitutionnelle” » (Cour d’appel de Paris, 1re Ch. A, 18 février 1992, n° 91-15544).
[80] Thomas Besse, « L’irrésistible rétrécissement du droit pénal de la presse », Recueil Dalloz, 2022, p. 407.
[81] Voir en première partie la sous-partie B. 1. Voir aussi en ce sens : Thomas Besse, ibid. Recueil Dalloz, 2022, p. 407 : « Un discours haineux prononcé par un essayiste au cours d’une émission télévisée à une heure de grande écoute est-il moins dangereux que celui publié par un internaute dans un commentaire isolé ? ».
[82] Jurisprudence constante depuis (CEDH, 4 novembre 1976, n° 5493/72, Handyside c/ Royaume-Uni) jusqu’à plus récemment (CEDH, 13 octobre 2022, n° 22636/19, Bouton c/ France).
[83] CEDH, 26 novembre 1991, n° 13585, 88, Observer et Guardian c/ Royaume-Uni
[84] Conseil constitutionnel, 10-11 octobre 1984, n° 84-181 DC, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse : « le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale […] est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; […] la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ; […] en définitive l’objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu’on puisse en faire l’objet d’un marché ».
[85] Conseil constitutionnel, 29 juillet 1986, n°86-210 DC, Loi portant réforme du régime juridique de la presse ; Conseil constitutionnel, 18 septembre 1986, n° 86-217 DC, Loi relative à la liberté de communication : « le pluralisme des courants d’expression socioculturels est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; que le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie ; que la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent les moyens de communication audiovisuelle n’était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur public que dans celui du secteur privé, de programmes qui garantissent l’expression de tendances de caractères différents dans le respect de l’impératif d’honnêteté de l’information ; qu’en définitive, l’objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché ».
[86] Michel Sénamaud, « La statut professionnel des journalistes », in Le Lamy Droit des Médias et de la Communication, Lamy : Expert, article n° 224-60, mai 2020 : « Ce dispositif, exorbitant du droit commun, associé à des montants légaux d’indemnités de licenciement plus élevés que pour de nombreuses professions, marque la volonté du législateur de 1935 de protéger l’indépendance du journaliste ».
[87] Michel Sénamaud, ibid. : la transparence financière des entreprises présente un certain nombre de limites que Michel Sénamaud questionnent.
[88] Le Monde, « Crise au “JDD” : un passage en force dommageable », publié le 27 juin 2023, [En ligne]. (Consulté le 29 mai 2024). Disponible sur : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/27/crise-au-jdd-un-passage-en-force-dommageable_6179392_3232.html
[89] Conseil d’État, 13 février 2024, n° 463162, Association Reporters sans frontières.
[90] Didier Truchet, « Le législateur peut-il imposer aux médias l’indépendance de leur rédaction ? », Revue de droit public, 2023, n°6, page 1427.
[91] Jean-Jacques Urvoas, « Le secret de la Défense nationale », Titre VII, 2023/1 (n° 10), éd. Conseil constitutionnel, p. 11 à 18.
[92] L’Assemblée nationale indique la concernant qu’elle a siégé dans le secret pour la dernière fois le 19 avril 1940, soit sous la IIIe République (Assemblée nationale, Fiche n°50 La séance plénière [en ligne], septembre 2023. (Consulté le 3 juin 2024). Disponible sur : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/synthese/fonctionnement-assemblee-nationale/travail-legislatif/la-seance-pleniere
[93] Olivier Gohin, « Le secret des délibérations des institutions politiques et administratives », Titre VII, 2023/1 (n° 10), éd. Conseil constitutionnel, p. 71 à 78.
[94] Ibid.
[95] Sur la condamnation d’un ministre pour atteinte au respect du secret professionnel, voir : Cour de Justice de la République, 30 septembre 2019, Jean-Jacques Urvoas. On peut y lire que « l’article 226-13 du code pénal, qui vise la révélation d’une information secrète par une personne qui en est dépositaire à raison de sa fonction, n’exige pas que la dépositaire soit astreint au secret en vertu d’un texte spécifique, auquel ledit article ne renvoie pas. Si l’obligation au secret peut, pour certaines personnes, résulter d’un texte spécifique, le fait qu’aucun texte n’impose au garde des Sceaux le respect d’un secret en raison de sa fonction est sans incidence sur l’application de l’article 226-13 du code pénal, dont le domaine d’application n’a pas été ainsi limité par le législateur ».
[96] Jean-Jacques Urvoas, « Le secret de la Défense nationale », Titre VII, 2023/1 (n° 10), éd. Conseil constitutionnel, p. 11 à 18.
[97] Conseil constitutionnel, 10 novembre 2011, décision n° 2011-192 QPC, Mme Ekaterina B., épouse D., et autres (Secret défense)
[98] Ibid.
[99] Le Monde, « “Disclose” : la DGSI a entendu à cinq reprises des journalistes du média d’investigation depuis 2018 » [en ligne]. Paru le 22 septembre 2023. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2023/09/22/disclose-la-dgsi-a-entendu-a-cinq-reprises-des-journalistes-du-media-d-investigation-depuis-2018_6190586_3236.html. (Consulté le 3 juin 2024).
[100] François Molins, « Le secret dans l’investigation et l’instruction », Titre VII, 2023/1 (n° 10), éd. Conseil constitutionnel, p. 44 à 52.
[101] Ibid.
[102] Article 353 du Code de procédure pénale : « […] [la loi] leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. […] ».
[103] Mis en exergue par nous.
[104] Article 10 al. 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme : « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
[105] Conseil d’État, 3 juin 2020, n° 421615, Associations « Pouvoir citoyen » et « Les Effronté-e-s »
[106] Bénédicte Delaunay, « Le secret administratif », Titre VII, 2023/1 (n° 10), éd. Conseil constitutionnel, p. 61 à 70.
[107] Ibid.
[108] Jean-Marc Pastor, « L’accès encadré aux archives des membres du gouvernement », Dalloz actualité, 17 juin 2020.
[109] Crim. 1er déc. 2020, n° 20-82.078 P
[110] Sabrina Lavric, « Affaire Benalla. Preuve pénale : n’est pas irrégulière la preuve dont les conditions de recueil sont restées incertaines », Dalloz actualité, 18 janvier 2021.
[111] François Molins, « Le secret dans l’investigation et l’instruction », Titre VII, 2023/1 (n° 10), éd. Conseil constitutionnel, p. 44 à 52, à propos de l’affaire (Crim. 1er déc. 2020, n° 20-82.078 P).
[112] François Molins, « Le secret dans l’investigation et l’instruction », ibid.
[113] Crim. 8 juillet 2015, n° 14-80808. Voir : Sabrina Lavric, « Presse : droit de communication du procureur et devoirs des journalistes », Dalloz actualité, 17 septembre 2015.
[114] Nous la différencions toutefois de la présomption d’origine privée de la preuve fournie par un journaliste, que l’on a vu précédemment, en ce que cette dernière concerne la relation particulière entre le pouvoir médiatique et le pouvoir judiciaire.
[115] CEDH, Grande chambre, Aff. Goodwin contre c/ Royaume-Uni, n° 17488/90.
[116] CEDH, 25 février 2003, Aff. Roemen et Schmit c. Luxembourg, n° 51772/99.
[117] Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 qui dispose à l’article 109 que « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillis dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine », ce qui en fait une exception au principe selon lequel « Toute personne citée pour être entendu comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer » (code de procédure pénal, article 109 al. 3)
[118] Michel Sénamaud, « La statut professionnel des journalistes », in Le Lamy Droit des Médias et de la Communication, Lamy : Expert, article n° 224-78, mai 2019
[119] Michel Sénamaud, « Le régime économique et fiscal de la presse », in Le Lamy Droit des Médias et de la Communication Lamy : Expert, article n° 215-2, juin 2018.
[120] Les consécrations constitutionnelles dont la liberté de communication ou la liberté d’imprimerie et de librairie ont pu être l’objet garantissent le pouvoir médiatique dans sa « dimension intellectuelle ». Voir la sous-partie supra sur La consécration constitutionnelle tardive de la liberté de communication.
[121] Michel Sénamaud, « Le régime économique et fiscal de la presse », ibid..
[122] Ministère de la Culture, Tableaux des titres de presse aidés [en ligne] (paru le 8 septembre 2023). Disponible sur : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Presse-ecrite/Tableaux-des-titres-de-presse-aides2 (Consulté le 7 juin 2022). Voir le tableau des titres aidés en 2022 : Opéra Magazine, qui est un mensuel spécialisé consacré à l’art lyrique, et Le Moniteur des Pharmaciens, qui est un site internet qui se présente comme « au service des pharmaciens » cumulent à eux deux, suivant les chiffres présentés dans le tableau pour 2022 : 541 700 euros d’aides directes.
[123] Un rapport remis en avril 2013 à la ministre de la Culture et de la Communication sur les aides à la presse indiquait que l’État doit « “cibler” davantage son action en faveur de la presse d’information politique et générale. » (Dominique Antoine, Françoise Benhamou, Patrick Eveno, Michel Françaix, Roch-Olivier Maistre, Bruno Patino, Rapport à Madame Aurélie Filippetti Ministre de la Culture et de la Communication sur Les aides à la presse, avril 2013).
[124] Didier Truchet, loc. cit..
[125] Ibid.
[126] « 56 % [des Français] pensent que les journalistes ne sont pas indépendants des pressions de l’argent et du pouvoir. La part des Français qui estiment que les journalistes sont indépendants des pressions de l’argent est en recul de 3 points par rapport au précédent baromètre. Ils ne sont plus que 23 % à le penser, après plusieurs années de stagnation autour de 26 %. La part de ceux qui pensent que les journalistes ne sont pas indépendants des partis politiques et du pouvoir reste stable, avec 59 %. Un chiffre qui grimpe à 67 % chez les partisans de droite, contre 57 % chez les partisans de gauche. 43 % estiment que l’appartenance des médias à de grands groupes industriels est une mauvaise chose pour l’indépendance des journalistes » (Baromètre Kantar Public pour La Croix, 2023, voir : Marie Boëton et Maud Guilbeaut, « Le Baromètre des médias en 8 chiffres », La Croix, n° 42779, 25 novembre 2023).
[127] Didier Truchet, loc. cit. L’auteur y rappelle que « Prévue par l’article 83 de la loi de finances pour 1969, une commission présidée par Raymond Lindon rendit en 1970 un Rapport sur les problèmes posés par les sociétés de rédacteurs (une trentaine existait alors). Soucieux d’éviter les risques de blocage que susciterait un partage trop rigide du pouvoir entre la propriété et la gestion, la commission préconisa de reconnaître aux journalistes des « pouvoirs spécifiques » et consultatifs dans la désignation du directeur de la publication, en cas de transfert de propriété et pour la définition de la ligne éditoriale.
[128] Des médias comme Le Monde ou Médiapart ont organisé leur indépendance.
Pour Le Monde, voir : https://www.lemonde.fr/le-monde-et-vous/article/2024/04/23/groupe-le-monde-communiques-du-pole-d-independance-et-du-fonds-pour-l-independance-de-la-presse_6229436_6065879.html.
Pour Médiapart, voir : Sénat, Commission d’enquête « Concentration des médias en France », Rapport n° 593 (2021-2022) ibid., p. 99-100 (tome I).
[129] L’article 11-7 de la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques a disposé de l’obligation pour les partis politiques qui souhaitent bénéficier d’un financement public, du dépôt de leur compte auprès de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques, dans un objectif de transparence et de respect des obligations légales qui visaient à prévenir notamment de l’indépendance des partis vis-à-vis des intérêts privés.
[130] Patrick Bloche, « Le renforcement de la liberté et de l’indépendance des médias passe aussi par celui de la protection du secret des sources des journalistes », Légipresse, 2016, p. 507 ; Sénat, Commission d’enquête « Concentration des médias en France », Rapport n° 593 (2021-2022), ibid., p. 214 (tome I).
[131] OTAN, Communiqué du sommet de Vilnius, 11 juillet 2023.
[132] En sachant que le total des dépenses publiques de la France s’élève pour 2023 à 57 % du PIB, voir : Institut nationale des études statistiques et économiques (Insee), Tableau de bord de l’économie française. Le PIB de la France pour 2023 était de 2 565,3 milliards d’euros, voir : Insee, Évolution du produit intérieur brut et de ses composantes [en ligne] (Paru le 3 juin 2024). Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2830613#figure1_radio2 (Consulté le 7 juin 2024).
S’agissant de la dotation publique à France Télévisions pour 2023, elle s’élevait à 3,8157 milliards d’euros, voir : Assemblée nationale, Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, Avis sur le projet de loi de finances pour 2023, 20 octobre 2022. Disponible sur : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-cedu/l16b0374-ti_rapport-avis#:~:text=Pour%202023%2C%20la%20dotation%20publique,effets%20de%20l’inflation%20(47
[133] Le 6 juin 2024, lors de son audition au Sénat dans le cadre la Commission d’enquête sur les influences étrangères, la présidente-directrice générale de France Médias Monde, Marie-Christine Saragosse, a terminé son exposé en rappelant que l’indépendance des financements de l’audiovisuel public avait été questionné en Allemagne en raison du financement de l’audiovisuel public français sur le budget de l’Etat, elle a indiqué que le renouvellement de l’attribution de la fréquence de RFI à Berlin avait été sujet à débat en raison d’inquiétudes quant à l’indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir politique. Propos tenus entre la 23’16’’ et la 24’25’’, audition disponible sur : https://videos.senat.fr/video.4706068_6661d60ce8706.influences-etrangeres–audition-de-france-medias-monde?timecode=1472000. Voir aussi : Le Figaro avec l’Agence France-Presse, « RFI conserve sa fréquence FM à Berlin pour 7 ans supplémentaires » [en ligne]. (Consulté le 10 juin 2024). Disponible sur :
[134] La mécanique des autorisations d’engagements et crédit de paiement mise en place par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) du 1er août 2001 constitue une atténuation du principe de l’annualité budgétaire.
[135] Lyn François, Damien Roets, Thomas Besse, Nathalie Droin, Baptiste Nicaud, « Dix ans de QPC en droit pénal de l’expression et de la communication », Titre VII, hors-série, éd. Conseil constitutionnel, octobre 2020, p. 209-220.
[136] CEDH, Grande Chambre, 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni, n° 17488/90.
[137] Michel Sénamaud, « La statut professionnel des journalistes », in Le Lamy Droit des Médias et de la Communication, Lamy : Expert, article n° 224-78, mai 2019
[138] Ibid.
[139] Voir aussi en ce sens : Conseil constitutionnel, 24 juill. 2015, n° 2015-478 QPC, Association French Data Network et autres.
[140] Michel Sénamaud, ibid..
[141] Jean-Baptiste Perrier, « Secret des sources des journalistes », JurisClasseur Communication, Lexis360, Fascicule n° 314, 1er novembre 2019 (dernière mise à jour : 1er décembre 2022)
[142] Michel Sénamaud, ibid. : un député relevait par exemple « que le texte était muet au sujet des opérateurs de téléphonie qui […] fournissent en dehors de tout contrôle juridictionnel les factures détaillées de leurs clients journalistes et permettent ainsi d’avoir accès à l’intégralité de leurs interlocuteurs sur l’année expirée. » Ou, en l’état actuel du droit et malgré la présence requise d’un magistrat lors de la perquisition d’une entreprise de presse, rien n’exclut que ce magistrat prenne connaissance des informations recherchées lors d’une perquisition quitte à ce la perquisition soit annulée par le juge des libertés et de la détention. Or, et ainsi que nous le disions supra au sujet de la protection du secret de la Défense nationale, pour l’État peut primer sur le droit la nécessité de connaître la source à l’origine d’une fuite d’information.
[143] Frédéric Sudre, Droit international et européen des droits de l’Homme, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Droit fondamental », 7e éd. 2005, p. 535.
[144] Arcom, « Appel aux candidatures pour 15 services de la TNT : présélection des candidats » [en ligne], Communiqué de presse, 24 juillet 2024. Consultable sur : https://www.arcom.fr/presse/appel-aux-candidatures-pour-15-services-de-la-tnt-preselection-des-candidats.
[145]Pierre Lefébure, Patrick Eveno et Benoît Huet, « La télévision doit-elle faire son aggiornamento ? » [En ligne], in Astrid de Villaines, Le Temps du débat, France Culture, 11 juillet 2024, Enregistrement sonore (durée : 44 minutes). Disponible sur : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/la-television-doit-elle-faire-son-aggiornamento-7437441. Voir aussi Adel Miliani, « Nouvelle amende contre Cyril Hanouna : retrouvez toutes les sanctions de l’Arcom contre C8 et CNews » [en ligne], 25 juillet 2024. Consultable sur : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/07/25/c8-perd-sa-frequence-sur-la-tnt-retrouvez-toutes-les-sanctions-de-l-arcom-contre-c8-et-cnews_6223105_4355771.html
[146] La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Voir en particulier l’article 29 qui dispose des critères d’attribution des autorisations d’émettre sur les fréquences de la TNT.
[147] Laurent Cordonier, Florian Cafiero, Gérald Bronner, Why are conspiracy theories more successful in some countries than in others? An exploratory study on Internet users from 22 Western and non-Western countries [en ligne], 18 juin 2021, Working paper n° hal-03264549, 22 p., disponible sur : https://hal.science/hal-03264549 (consulté le 11 juin 2024).
[148] Laurent Cordonier, Florian Cafiero, Gérald Bronner, Why are conspiracy theories more successful in some countries than in others? An exploratory study on Internet users from 22 Western and non-Western countries [en ligne], 18 juin 2021, ibid.
[149] Proposition de loi n° 967 [en ligne], XIVe Législature, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2013. (Consulté le 12 juin 2024). Disponible sur : https://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/14/propositions/pion0967/(index)/propositions-loi/(archives)/index-proposition