Les droits fondamentaux de la personne détenue : une perspective franco-allemande
La personne détenue est-elle « titulaire » de droits fondamentaux de part et d’autre du Rhin ? La comparaison des systèmes français et allemand révèle une convergence quant à la reconnaissance des droits fondamentaux du détenu. Un écart important demeure néanmoins dans la protection juridictionnelle de ses droits fondamentaux qui n’est pas aussi aboutie en France qu’en Allemagne. En comparaison du détenu allemand dont le régime juridique est assimilé à celui des autres individus, le détenu français demeure un titulaire singulier de droits fondamentaux.
Par Pierre-Emmanuel Rodriguez, doctorant en droit public comparé à l’Université de Reims Champagne-Ardenne[*]
« La prison c’est la privation de la liberté d’aller et venir, et rien d’autre ». En s’exprimant ainsi lors de la visite officielle des prisons lyonnaises de Saint-Paul et de Saint-Joseph, le 10 août 1974, Valéry Giscard d’Estaing espérait sans doute apaiser la crise pénitentiaire en France[1]. Ses propos l’ont, au contraire, attisée en engendrant de vives réactions de la part des avocats pénalistes qui reprochaient, en particulier à la sphère politique, son ignorance de la « réalité carcérale ».
Cinquante ans se sont écoulés depuis les propos polémiques de l’ancien Président de la République et force est de constater que la situation des personnes incarcérées s’est nettement améliorée. Le législateur français est intervenu à de multiples reprises pour encadrer l’action de l’administration pénitentiaire, laquelle est désormais tenue de respecter des règles précises lorsqu’elle entend restreindre les droits et libertés de la personne détenue. L’activité des établissements carcéraux et de leur personnel est aussi mieux contrôlée par les juridictions ordinaires. Alors que de nombreuses mesures pénitentiaires échappaient initialement à l’office du juge administratif, celui-ci s’est reconnu compétent pour les contrôler lorsqu’elles portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la personne détenue[2]. La peine a, quant à elle, perdu sa signification seulement punitive avec l’émergence de l’objectif de réinsertion qui vise à traiter le détenu comme un citoyen à part entière[3]. Cette « révolution pénitentiaire »[4] est perceptible dans le monde universitaire. La doctrine, qui s’intéressait encore peu au sort du détenu au début de la Ve République, a produit une quantité importante d’études qui contribuent à une meilleure compréhension de la situation juridique de la personne détenue[5].
Si des progrès significatifs ont été accomplis, des zones d’ombre subsistent en droit français. Les récentes condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) ont rappelé que de nombreuses personnes incarcérées se trouvent encore dans des conditions de détention indignes[6]. Le problème de la surpopulation carcérale est chronique en France et aucune solution satisfaisante ne lui a été apportée[7]. Une autre difficulté tient aux voies de recours françaises qui ne permettent pas toujours au détenu de contester les décisions prises par l’administration pénitentiaire. Pour aller plus loin dans la protection des droits et libertés des personnes détenues, il est nécessaire d’envisager le statut du détenu sous un nouveau jour. À ce titre, le droit comparé est une aubaine pour le juriste qui cherche à saisir les failles de son système. Il permet, en effet, de mieux comprendre son propre droit et parfois d’envisager sous un nouvel angle des sujets que l’on pourrait croire épuisés[8]. Telle est l’ambition de la présente étude portant sur le statut du détenu en France et en Allemagne sous le prisme du concept de « titularité des droits fondamentaux » (Grundrechtsträgerschaft).
Encore discrète en France, l’expression de « titularité des droits fondamentaux » est employée de longue date en Allemagne[9] pour distinguer les titulaires et les destinataires de droits fondamentaux (Grundrechtsträger und – adressaten)[10]. En principe, toutes les personnes physiques (natürliche Personen) sont titulaires de droits fondamentaux, ce qui leur permet de se prévaloir de leur garantie devant les juridictions[11]. À l’inverse, l’État et ses démembrements sont qualifiés de « destinataires » des droits fondamentaux, en raison de l’obligation qui leur incombe d’en assurer la protection. Cette obligation ne « s’arrête pas à la porte des prisons » et s’applique par conséquent aux « détenus », aux « personnes faisant l’objet d’une mesure privative de liberté à l’intérieur d’un établissement pénitentiaire »[12]. Cela comprend les « détenus condamnés », pour lesquels une décision définitive a été rendue, ainsi que les « détenus prévenus » qui se trouvent, quant à eux, « sous le coup de poursuites pénales et [qui] n’ont pas fait l’objet d’une condamnation définitive »[13].
La présente étude entend comparer la situation de la personne détenue de part et d’autre du Rhin afin de déterminer si le détenu français est, à l’image du détenu allemand, titulaire de droits fondamentaux. Dans cette optique, un rapprochement peut être observé entre les systèmes français et allemand quant au processus de reconnaissance des droits fondamentaux du détenu (I). Un écart considérable subsiste néanmoins dans la protection juridictionnelle des droits fondamentaux du détenu (II).
I. La reconnaissance convergente des droits fondamentaux de la personne détenue
À l’évidence, le processus de reconnaissance des droits fondamentaux des détenus français et allemands présente des points communs. En France et en Allemagne, certains obstacles entravaient initialement la reconnaissance des droits fondamentaux des personnes détenues (A). L’émergence de l’objectif de réinsertion de part et d’autre du Rhin a toutefois déverrouillé la situation des personnes détenues qui bénéficient aujourd’hui des droits fondamentaux à l’image des autres citoyens (B).
A. Les obstacles initiaux à la reconnaissance des droits fondamentaux de la personne détenue
Le détenu a longtemps été perçu comme un danger contre lequel les sociétés française et allemande entendaient protéger leurs membres. Pour cette raison, l’incarcération s’accompagnait initialement de la privation totale en France et partielle en Allemagne des droits et libertés des personnes condamnées.
En France, l’article 34 de l’ancien code pénal en vigueur jusqu’en 1994 prévoyait une peine dite de « dégradation civique » qui sanctionnait les personnes condamnées en leur ôtant la possibilité d’exercer leurs droits de citoyen. La privation des droits et libertés conséquente à l’incarcération était automatique, perpétuelle et globale. Elle engendrait la destitution et l’exclusion de toutes fonctions, emplois ou offices publics ; la privation du droit de vote, d’élection, d’éligibilité et de tous les droits civiques et politiques ; la privation du droit de porter une décoration ; l’incapacité d’être juré ou témoin dans le cadre d’une procédure juridictionnelle ; l’incapacité de faire partie d’un conseil de famille, d’être tuteur ou curateur. La dégradation civique engendrait également la privation du droit de porter une arme, de faire partie de la garde nationale, de servir dans l’armée, de diriger une école, d’enseigner et plus largement d’être employé dans un établissement d’instruction comme professeur, maître ou surveillant[14]. La peine d’interdiction « des droits civiques, civils et de famille » prévue à l’article 42 de l’ancien code pénal venait elle aussi frapper le détenu de certaines incapacités[15] dont la durée variait de cinq à dix ans selon le crime ou le délit pour lequel il avait été condamné. La multiplicité et la redondance des privations de libertés inhérentes à l’incarcération soulignent combien le détenu français était initialement mis au ban de la société et de ses concitoyens avec lesquels il ne partageait plus aucun lien juridique.
En Allemagne, l’obstacle à la reconnaissance des droits fondamentaux des personnes détenues n’était pas aussi dirimant qu’en France. Il ne résultait pas expressément d’un texte, mais des traditions et pratiques contentieuses. Jusqu’au début des années 1970, l’opinion doctrinale majoritaire suivie par les juridictions[16] considérait, en effet, que le statut de détenu était régi par la doctrine des « relations spéciales d’autorité » (besonderen Gewaltverhältnis)[17]. Selon cette « relique de l’État autoritaire »[18], l’État et ses démembrements étaient libres de restreindre les droits et libertés de certains individus sans que ces limitations ne se fondent nécessairement sur une autorisation législative[19]. Tous les individus qui, par leur fonction ou leur situation, se trouvaient dans une relation de proximité avec l’État (Staatsnähe) étaient soumis à ce régime spécial. En pratique, cela ne s’appliquait pas seulement aux détenus, mais aussi aux agents de la fonction publique comme les juges ou les militaires ainsi qu’aux écoliers et aux étudiants[20]. Concernant spécifiquement les personnes détenues, la reconnaissance de leurs droits fondamentaux n’était que partielle, voire inachevée en raison de la doctrine des « relations spéciales d’autorité »[21]. Sur ce point, la situation du détenu allemand était comparable à celle du détenu français dans sa relation avec le service public pénitentiaire. En France, l’administration pénitentiaire a longtemps disposé d’une marge de manœuvre lui permettant de restreindre les droits et libertés des détenus en dehors de tout cadre légal. Ces restrictions étaient « rendues d’autant plus aisées à opérer que le droit pénitentiaire […] laiss[ait] souvent un large pouvoir discrétionnaire aux personnels de l’établissement pénitentiaire »[22]. Le détenu français n’était pas un usager de ce service public, il se trouvait dans une « position de sujétion par rapport à l’Administration pénitentiaire et à ses différents personnels »[23], ce qui justifiait que son régime juridique soit différent de celui des autres citoyens à l’image du détenu allemand.
Les obstacles initiaux à la reconnaissance des droits fondamentaux des détenus français et allemands se sont progressivement effacés avec l’émergence du principe de réinsertion.
B. La disparition progressive des obstacles à la reconnaissance des droits fondamentaux de la personne détenue
La reconnaissance des droits fondamentaux du détenu s’est progressivement imposée dans les deux systèmes étudiés en empruntant des temporalités différentes.
En Allemagne, la situation du détenu a évolué au début des années 1970 avec la décision Strafgefangene[24] rendue par la Cour constitutionnelle fédérale. Le litige qui en est à l’origine portait sur le contrôle des correspondances des détenus par l’administration pénitentiaire. En l’espèce, une personne détenue avait envoyé une lettre à une association pour dénoncer les conditions anormales de sa détention au sein de l’établissement carcéral de la ville de Celle, en Basse-Saxe. Le personnel pénitentiaire en avait interdit la transmission au motif qu’elle contenait des propos injurieux à l’endroit du directeur de l’établissement ainsi que des informations sensibles sur le fonctionnement interne de l’institution. Saisie après épuisement des voies de recours, la Cour constitutionnelle fédérale a considéré que la décision de l’administration pénitentiaire d’entraver l’envoi de la lettre constituait une violation de la liberté d’expression (Art. 5 al. 1 LF) du détenu. La Cour a précisé que la restriction des droits fondamentaux des détenus ne pouvait intervenir que par la loi ou sur le fondement d’une loi comme pour tout autre individu[25]. Cette décision s’inscrit en rupture avec l’ancienne doctrine des « relations spéciales d’autorité » qui n’a dès lors plus été appliquée aux personnes détenues.
La décision Strafgefangene est aussi connue pour l’injonction faite au législateur fédéral allemand d’intervenir pour encadrer les possibilités de restriction des droits fondamentaux du détenu. La loi fédérale relative à l’exécution des peines (Strafvollzugsgesetz, StVollzG) du 16 mars 1976 en est le résultat[26]. Elle fixe sur plus de deux cents paragraphes un cadre exhaustif et contraignant pour l’administration pénitentiaire qui englobe l’ensemble des aspects de la vie quotidienne en détention. Cela comprend notamment l’hébergement et l’alimentation (§17 et s. StVollzG), les visites et les correspondances (§23 et s. StVollzG), le travail pénitentiaire (§37 et s. StVollzG), la pratique de la religion (§53 et s. StVollzG), les règles relatives à la santé avec notamment l’accès aux soins (§56 et s. StVollzG) et le régime disciplinaire (§102 et s. StVollzG). Dès lors, l’incarcération n’a plus été le synonyme de perte partielle de ses droits fondamentaux pour le détenu allemand[27]. Seules demeurent aujourd’hui des hypothèses de privation des droits civiques prévues par le code pénal (Strafgesetzbuch, StGB). Pour illustration, la condamnation à une peine d’emprisonnement d’au moins un an rend inéligible et interdit l’exercice d’une fonction publique pour une durée de cinq ans conformément au §45 al. 1 StGB[28]. Une juridiction ordinaire (Fachgericht) peut aussi prononcer la privation temporaire du droit de vote à l’encontre des auteurs de certains délits et crimes prévus aux §§ 92a, 101, 102, 108c, 108e, 109i StGB[29].
En France, le verrou de la reconnaissance des droits et libertés fondamentaux du détenu n’a véritablement cédé qu’avec l’entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994[30]. La privation des droits et libertés est depuis lors une peine complémentaire[31] qui doit faire l’objet d’une décision de justice et dont la durée est limitée de cinq à dix ans, selon la nature du délit ou du crime pour lequel le détenu a été condamné[32]. Il s’agit donc d’une peine facultative qui ne concerne spécifiquement que les droits civiques, civils et de la famille. La privation des droits et libertés du détenu a aussi perdu son caractère automatique et perpétuel, l’article 132-21 du code pénal disposant qu’une telle peine ne saurait « résulter de plein droit d’une condamnation pénale »[33]. Son champ d’application a aussi été réduit, conformément à la nouvelle logique de réinsertion. Les incapacités qui touchaient à l’exercice d’une profession par le détenu ont été retirées des nouveaux textes français, tout comme la peine de dégradation civique.
La reconnaissance des droits fondamentaux du détenu français est par ailleurs manifeste au regard des interventions du législateur français qui sont venues encadrer leur exercice et leurs éventuelles restrictions par l’administration pénitentiaire[34]. La loi du 18 janvier 1994[35] a précisé les modalités relatives au droit du détenu d’accéder aux soins. La loi du 24 novembre 2009[36] a, quant à elle, précisé les conditions d’exercice et de restriction du droit de vote, du droit au travail, du droit à la formation, du droit de se marier ou de se pacser, de la liberté de pratiquer une religion ou encore du droit au maintien des liens familiaux du détenu. Plus récemment, la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021[37] et le décret du 25 avril 2022 relatif au travail des personnes détenues et modifiant le code pénitentiaire[38] sont venus compléter et préciser les modalités de restriction des droits fondamentaux du détenu en matière de travail pénitentiaire. Enfin, les multiples condamnations de la France par la CEDH ont attiré l’attention sur la protection du droit au respect de la dignité en détention[39] ainsi qu’au droit du détenu d’exercer un recours effectif devant une juridiction sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen[40].
Si elle s’est imposée progressivement en France et en Allemagne, la seule reconnaissance des droits fondamentaux du détenu ne fait pas de lui un « titulaire » de droits fondamentaux. Cette qualité ne peut lui être reconnue que s’il dispose de la possibilité d’agir en justice pour contester les atteintes portées à ses droits fondamentaux. Sur ce point, un écart important peut être observé entre les systèmes français et allemand.
II. La protection juridictionnelle divergente des droits fondamentaux de la personne détenue
En Allemagne, le détenu bénéficie d’une protection juridictionnelle en tout point semblable à celles des autres individus. Il lui est loisible de contester les mesures pénitentiaires qui le visent devant les juridictions ordinaires et en dernier lieu devant la Cour constitutionnelle fédérale. La protection juridictionnelle des droits fondamentaux du détenu allemand est réputée exhaustive (A). Il n’en va pas de même en France où les atteintes portées aux droits et libertés des personnes détenues ne peuvent pas systématiquement être contestées devant le juge ordinaire ni même devant le juge constitutionnel. La protection juridictionnelle des droits fondamentaux du détenu français présente d’importantes lacunes (B).
A. Une protection juridictionnelle exhaustive en Allemagne
En Allemagne, les possibilités offertes au détenu de contester les atteintes portées par l’administration pénitentiaire à ses droits fondamentaux sont structurées et leur portée est conséquente.
En dépit de la marge de manœuvre dont disposent les États fédérés allemands pour l’organisation de leur système carcéral, les administrations pénitentiaires sont soumises au respect de la Loi fondamentale et, partant, aux droits fondamentaux[41]. Leur restriction peut ainsi être contestée devant les juridictions ordinaires (Fachgerichte). Pour les personnes incarcérées, la chambre d’application des peines (Strafvollstreckungskammer) du tribunal régional territorialement compétent (§108 et s. StVollzG) doit être saisie en premier lieu. Comme tout titulaire de droits fondamentaux, la personne détenue a aussi la possibilité d’exercer un recours constitutionnel (Verfassungsbeschwerde) (Art. 93 4a LF) contre la décision d’une juridiction ordinaire, conduisant ainsi la Cour constitutionnelle fédérale à se prononcer sur l’atteinte alléguée à ses droits fondamentaux. Si la décision de la juridiction ordinaire a méconnu l’importance d’un droit fondamental, la Cour est compétente pour en prononcer l’annulation[42]. L’urgence d’une situation peut même soustraire un détenu à l’obligation d’épuisement des voies de recours afin de s’adresser directement à la Cour constitutionnelle fédérale (§ 32 al. 1 BVerfGG). Ce mécanisme est actionné « pour éviter de graves inconvénients, pour prévenir une violence imminente ou pour une autre raison importante dans l’intérêt général »[43]. Le cas échéant, il revient à la Cour de rendre une ordonnance provisoire qui protège les droits fondamentaux du détenu jusqu’à ce qu’une décision définitive ait été rendue par une juridiction ordinaire.
La protection juridictionnelle du détenu allemand est également identique à celle des autres individus au regard de l’intensité du contrôle des atteintes aux droits fondamentaux[44]. Une mesure pénitentiaire qui restreint les droits fondamentaux d’un détenu ne peut être admise que si elle est prise sur le fondement d’une disposition législative et qu’elle poursuit un objectif légitime (Legitimer Zweck). Elle doit aussi être conforme au principe de proportionnalité (Verhältnismäßigkeitsprinzip) qui occupe en Allemagne une place centrale dans le contrôle des atteintes aux droits fondamentaux. Conformément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale, une mesure n’est proportionnée que lorsqu’elle remplit trois conditions cumulatives[45]. Elle doit d’abord être adaptée (geeignet), ce qui implique qu’elle poursuive l’objectif légitime annoncé ou en favorise la réalisation. Elle doit ensuite être nécessaire (erfordlich), ce qui suppose qu’il n’existe pas d’autres mesures permettant d’atteindre le même résultat tout en étant moins contraignantes pour les droits fondamentaux du détenu. Enfin, la mesure pénitentiaire doit être proportionnée au sens strict (verhältnismäßig im engeren Sinne). Ce dernier critère repose sur l’appréciation prétorienne du degré de gravité de l’atteinte aux droits fondamentaux du détenu. Le résultat est obtenu par la mise en balance (Abwägung) des intérêts concurrents dans le cas d’espèce[46]. L’exhaustivité de la protection juridictionnelle dont bénéficie le détenu allemand lui assure de pouvoir contester toutes les mesures de l’administration pénitentiaire le concernant[47].
Le récent arrêt de la Cour constitutionnel fédéral du 20 juin 2023 relative à la rémunération du travail effectué en prison est une excellente illustration du haut niveau de protection des droits fondamentaux octroyé à la personne détenue en Allemagne[48]. La question soulevée dans cette affaire était celle de la conformité à la Loi fondamentale de la législation de Bavière[49] et de Rhénanie du Nord-Westphalie[50] concernant la rémunération des détenus (Gefangenenvergütung). Il ressort de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale que rien n’empêche les législateurs des différentes Länder de prévoir qu’un pourcentage de cette rémunération peut être retenu au titre de la contribution à l’assurance chômage. De la même manière, la Cour a rappelé que les Länder allemands peuvent octroyer des jours de congé aux détenus qui travaillent, ce qui constitue une composante non monétaire de leur rémunération[51]. Néanmoins, le montant de la rémunération du travail effectué en prison doit demeurer en adéquation avec le droit fondamental à la réinsertion des personnes détenues découlant de l’article 2 al. 1 LF en lien avec l’article 1 al. 1 LF. Le travail en prison ne contribue à la réinsertion que si le montant de la rémunération est suffisamment élevé pour que la personne détenue perçoive la nécessité de travailler pour gagner sa vie. Tel n’était pas le cas, en l’espèce, selon la Cour constitutionnelle fédérale qui a estimé que le faible niveau de rémunération des personnes détenues prévu par les législations en Bavière et en Rhénanie du Nord-Westphalie violait le droit fondamental à la réinsertion invoqué par les requérants[52].
En somme, l’essentiel du contentieux des droits fondamentaux du détenu allemand est chapoté par la Cour constitutionnelle fédérale, dont les décisions sont très largement respectées par les juridictions ordinaires. L’arsenal juridique et l’autorité des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale assurent au détenu allemand le bénéfice d’une protection juridictionnelle conséquente de ses droits fondamentaux face à l’administration pénitentiaire. Tel n’est pas le cas du détenu français dont la protection juridictionnelle des droits fondamentaux demeure lacunaire.
B. Une protection juridictionnelle lacunaire en France
Les possibilités pour le détenu français de contester la restriction de ses droits et libertés fondamentaux par l’administration pénitentiaire sont comparativement moins développées qu’outre-Rhin.
En France, l’essentiel du contentieux des libertés du détenu se joue devant les juridictions ordinaires[53]. Les décisions prises par les établissements pénitentiaires ont toutefois longtemps constitué des « mesures d’ordre intérieur »[54] qui échappaient à tout contrôle juridictionnel[55]. Cette situation n’a fait l’objet d’une évolution qu’en 2007 avec la décision Boussouar[56] par laquelle le Conseil d’État a étendu le contentieux de l’excès de pouvoir à de nombreux actes administratifs qui n’en relevaient pas jusqu’alors. Il suffit désormais qu’un acte ou qu’une décision de l’administration pénitentiaire touche aux conditions de détention pour qu’un recours puisse être exercé par le détenu concerné. La jurisprudence du Conseil d’État témoigne à cet égard un net recul des mesures d’ordre intérieur et d’une « justiciabilité » accrue des mesures pénitentiaires[57]. Le transfert d’un détenu d’un établissement vers une maison d’arrêt[58], une mesure de déclassement d’emploi[59] ou encore l’avertissement donné à un détenu[60] peuvent désormais être contestés par la voie de l’excès de pouvoir. L’office du juge administratif s’étend également aux mesures qui, sans toucher aux conditions de détention, vont à l’encontre « des libertés et des droits fondamentaux des détenus »[61]. Concernant l’intensité du contrôle des atteintes aux droits fondamentaux du détenu français, celle-ci a été renforcée en 2015 pour la rapprocher de celle dont bénéficient les autres administrés[62]. Le Conseil d’État soumet les sanctions prises contre le détenu au contrôle de proportionnalité, ce qu’il ne faisait pas auparavant. Il annule ainsi les actes administratifs « qui portent [aux] droits et libertés [du détenu] une atteinte qui excède les contraintes inhérentes à leur détention »[63]. Cependant, le Conseil d’État ne fait pas toujours une utilisation très précise du principe de proportionnalité. L’examen des différentes étapes qui le composent n’apparaît pas aussi clairement qu’en Allemagne et se résume le plus souvent à la vérification de la proportionnalité au sens strict, à la mise en balance des intérêts contradictoires dans le cas d’espèce. Le caractère adapté ou nécessaire de la mesure administrative contestée par le détenu ne semble, quant à lui, pas entrer en ligne de compte[64].
Si la protection juridictionnelle du détenu français s’est nettement améliorée ces dernières années, une partie significative de l’activité de l’administration pénitentiaire bénéficie encore d’une immunité juridictionnelle. Le juge administratif refuse de connaître des sanctions qui ne produisent par « [leur] nature ou [leur] gravité » que des effets dérisoires sur la situation du détenu[65]. Tel est le cas de l’affectation initiale dans un établissement pénitentiaire[66], du refus opposé à une demande d’emploi[67] ou du changement d’affectation d’un détenu dans un autre établissement de même nature que celui dans lequel il purge sa peine[68]. Par ailleurs, la procédure d’urgence du référé-liberté (Art. L 521-2 CJA) ne fournit pas de solution satisfaisante aux conditions de détentions inhumaines ou dégradantes qui concernent de nombreux détenus du fait de la surpopulation carcérale chronique en France[69]. Les mesures d’injonction prises par le juge des référés ne sont que transitoires et peu contraignantes vis-à-vis de l’administration pénitentiaire[70]. Le juge administratif refuse en particulier de délivrer des injonctions visant à la rénovation des locaux carcéraux ou plus largement à la réorganisation du service public pénitentiaire pour faire face au problème de surpopulation des prisons françaises[71]. Dans le même ordre d’idées, le Conseil d’État a estimé récemment que le refus opposé à la demande d’extraction d’une personne détenue en vue de sa comparution devant une juridiction ne porte pas atteinte à son droit à un procès équitable en raison des « très sérieuses contraintes en termes d’ordre public » auxquelles se heurte la demande de l’intéressé[72]. En l’espèce, le Conseil d’État a retenu que cette décision ne portait pas atteinte aux libertés fondamentales du requérant dès lors qu’elle permettait de prévenir « tout risque d’évasion ainsi que toute atteinte à la sécurité des tiers »[73].
Les zones d’ombre de la protection des droits fondamentaux du détenu dans la jurisprudence ordinaire ne sont en outre pas comblées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Outre les strictes conditions de recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui entravent souvent l’accès au Conseil constitutionnel[74], l’analyse de sa jurisprudence révèle que les QPC initiées par les détenus ou par les associations qui les représentent n’interviennent que dans un domaine restreint[75]. Elles portent essentiellement sur le régime de la détention provisoire[76] et sur la garantie de l’exercice d’un recours effectif devant les juridictions[77]. En dehors de ces matières, les QPC sont rares et l’attitude du Conseil constitutionnel vis-à-vis du législateur est timorée[78]. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel ne semble pas favorable à la reconnaissance de nouveaux droits ou libertés en faveur des détenus. En témoigne le refus de consacrer un droit au rapprochement familial des détenus prévenus dans une décision QPC du 21 janvier 2021 pour des motifs de bonne administration de la justice[79]. Le Conseil constitutionnel a toutefois réaffirmé récemment son attachement à la lutte contre la surpopulation carcérale en rappelant le droit des personnes détenues de saisir un juge afin qu’il soit mis fin à des conditions de détention indignes[80]. L’essentiel de sa jurisprudence reconnait cependant une marge de manœuvre importante aux juridictions ordinaires pour décider du maintien en détention d’une personne détenue[81]. Si la jurisprudence constitutionnelle française s’est progressivement étoffée sur la question des droits et libertés fondamentaux de la personne détenue, force est ainsi de constater qu’elle n’octroie pas de garanties équivalentes à celles dont bénéficie le détenu allemand. Encore aujourd’hui, le détenu français n’a souvent d’autres choix que de se rendre devant la CEDH pour obtenir la protection de ses droits fondamentaux[82].
En somme, d’importants progrès devront encore être réalisés avant que le détenu français se voie octroyer une protection juridique équivalente à celle des autres titulaires de droits fondamentaux. Pour y parvenir, des enseignements peuvent être tirés du développement remarquable des droits fondamentaux de la personne détenue en Allemagne. Les récentes décisions de la Cour constitutionnelle fédérale, notamment celle relative au droit au travail en prison[83], suggèrent qu’une protection plus concrète des droits fondamentaux de la personne détenu est possible et souhaitable dans le système français. Pour l’heure, une telle évolution se heurte néanmoins à des obstacles d’ordre structurel et institutionnel tels que l’architecture des voies de recours ou la réticence des juges à se reconnaître pleinement compétents pour contrôler les atteintes aux droits fondamentaux des personnes incarcérées. La comparaison des systèmes français et allemand souligne donc le statut particulier de la personne détenue en France, qui peut être perçue encore aujourd’hui comme un titulaire singulier de droits fondamentaux.
[*] Cette contribution est l’adaptation d’une communication réalisée à l’occasion de la seconde édition des Semestrielles, une journée d’étude organisée par l’école doctorale de droit de Paris I – Panthéon-Sorbonne le 14 novembre 2023 sur le thème « La protection des droits et libertés en milieu carcéral ». La communication originelle a été modifiée et enrichie sur le fondement des observations et questions formulées à son auteur.
[1] La visite de Valéry Giscard d’Estaing dans les prisons lyonnaises est intervenue dans un climat de tension marqué par une grève du personnel pénitentiaire et de nombreuses émeutes de détenus survenues dans les prisons françaises au début des années 1970.
[2] Conseil d’État, Ass., 14 décembre 2007, Garde des Sceaux c/ Boussouar, Planchenault et Payet, n°290420.
[3] Depuis sa décision du 20 janvier 1994, le Conseil constitutionnel considère que « L’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion », voir Cons. const., décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994, Loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale, par. n°12.
[4] HERZOG-EVANS (M.), « La révolution pénitentiaire française », in DE SCHUTTER (O.), KAMINSKI (D.) (dir.), L’institution du droit pénitentiaire : enjeux de la reconnaissance de droits aux détenus, Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, 2002, pp. 17-41
[5] LARRALDE (J.-M.), « Les droits des personnes incarcérées : entre punition et réhabilitation », Cahier de la recherche sur les droits fondamentaux, vol. 2, 2003, pp. 63-75. L’étude des droits et libertés du détenu a aussi parfois conduit la doctrine à mener des enquêtes de terrain et à s’intéresser concrètement aux conditions de vie en détention, voir notamment CHAUVENET (A.), « Privation de liberté et violence : le despotisme ordinaire en prison », Déviance et Société, vol. 30, n°3, 2006, pp. 373-388. Plus récemment, dans une perspective comparée, voir MANSUY (I.), « La protection des droits des détenus en France et en Allemagne », Paris, L’Harmattan, 2022, 371 p.
[6] Cour européenne des droits de l’Homme, 6 juillet 2023, Mme B et autres c./ France, n°84187/17 ; Cour européenne des droits de l’Homme, 30 janvier 2021, J.M.B. et autres c/ France, n°9671/15.
[7] Pour les études récentes dédiées à cette problématique, voir entre autres QUINQUIS (M.), « Réflexions autour de la surpopulation carcérale », Les cahiers de la justice, 2023, p. 243 ; RIGAUDEAU (P.), « Les juridictions suprêmes face à la surpopulation carcérale en France », RDP, n°4, 2021, p. 987 ; KENSEY (A.), JEAN (J.-P.), « Une diminution volontariste de la surpopulation carcérale », AJ pénal, 2020, pp. 258-264.
[8] SACCO (R.), La comparaison juridique au service de la connaissance du droit, Paris, Dalloz, 1991, 175 p.
[9] Dans le même sens, voir CLASSEN (C. D.), « Französisches Grundrechtsverständnis: kaum Dogmatik, objektiv-rechtliche Traditionen, subjektiv-rechtlichen Perspektiven? », JöR, vol 68, n°1, 2020, pp. 213-240.
[10] On retrouve cette distinction dans le récent ouvrage de droit constitutionnel, voir HOCHMANN (Th.), « Droits fondamentaux », in GAILLET (A.), HOCHMANN (Th.), MARSCH (N.), VILAIN (Y.), WENDEL (M.) (dir.), Droits constitutionnels français et allemand. Perspective comparée, 1ère, Issy-les-Moulineaux, LGDJ, 2019, p. 372, par. n°665 et s. La distinction est aussi opérée chez FAVOREU (L.) (dir.) & alii., Droits des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, p. 961 et s.
[11] Conformément à l’article 19 al. 3 LF, les personnes morales nationales peuvent aussi être titulaires de droits fondamentaux lorsque leur nature le permet. (« Die Grundrechte gelten auch für inländische juristische Personen, soweit sie ihrem Wesen nach auf diese anwendbar sind ».)
[12] Article D50 CPP.
[13] Ibid. Les régimes spéciaux de certaines catégories de détenus, comme celui du mineur ou du parent incarcérés, ne sont pas traités spécifiquement. Sur le détenu mineur en langue française, voir GALLARDO (E.), « Les droits fondamentaux du mineur détenu : entre protection et éducation », in PUTMAN (E.), GIACOPELLI (M.) (dir.), Les droits fondamentaux des personnes privées de liberté, Paris, Mare et Martin, 2015, pp. 241-266.
[14] La dégradation civique est décrite comme une peine « infamante et inefficace », voir LE GAL S., « Réflexions sur le crime d’indignité nationale et la peine de dégradation nationale », Résistance, n°1, 2015 ; RENAUT (M. H.), « Interdiction des droits civiques, civils et de la famille », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, 2023.
[15] Il en allait ainsi notamment de l’interdiction faite au détenu de voter ou de participer au suffrage dans les délibérations de famille, de devenir tuteur ou curateur ou encore d’être nommé aux fonctions publiques.
[16] En matière de détention préventive dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale, voir par exemple BVerfGE 15, 288 (293) – Beschluß, 19 février 1963, 1 BvR 610/62.
[17] KRÜGER (H.), ULE (C. H.), « Das besondere Gewaltverhältnis », in MENGER (C.-H.), WEHRHAHN (H.), KRÜGER (H.), ULE (C. H.) (dir.), Das Gesetz als Norm und Massnahme. Das Besondere Gewaltverhältnis, Berlin, De Gruyter, 1957, pp. 109-188.
[18] PARTSCH (K. J.), Verfassungsprinzipien und Verwaltungsinstitutionen, Tübingen, Mohr Siebeck, 1958, p. 24 : « Relikt des Obriegkeitsstaates ».
[19] Selon Forsthoff, la doctrine des « relations spéciales d’autorité » constituait une lacune de l’État de droit (Lücke des Rechtsstaats), voir FORSTHOFF (E.), Lehrbuch des Verwaltungsrechts, Band I, Allgemeiner Teil, 1ère, München, C. H. Beck, 1950, p. 104. Cette doctrine s’est pourtant perpétuée après l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale sans que cela ne suscite de débat ou de controverse doctrinale d’ampleur, voir MÜNCH (I. von), « Die Grundrechte des Strafgefangen », JZ, vol. 13, n°3, 1958, pp. 73-76 ; THIEME (W.), « Der Gesetzesvorbehalt im besonderen Gewaltverhältnis », JZ, vol. 19, n°3, 1964, pp. 81-85.
[20] Pour chacune de ces catégories d’individus, la notion de « relation spéciale d’autorité » (besonderes Gewaltverhältnis) apparait de manière explicite dans les décisions de la Cour constitutionnelle fédérale ainsi que dans la jurisprudence des juridictions ordinaires en Allemagne. Voir entre autres BVerfGE 3, 58 (149 et 153) – Beamtenverhältnisse – Urteil, 17 décembre 1953, 1 BvR 147/52 ; BVerfGE 15, 288 (293) – Beschluß, 19 février 1963, 1 BvR 610/62 ; BVerfGE 16, 94 (114) – Wehrmachtspensionäre – Beschluß, 7 mai 1963, 2 BvR 481/60 ; BVerfGE 23, 191 – Dienstflucht – Beschluß, 7 mars 1968, 2 BvR 354, 355, 524, 566, 567, 710/66 et 79, 171, 431/67 ; OVG Rhénanie-Palatinat, 8 juin 1954, 2 A 79/53, JZ, 1955, p. 17 ; OVG Berlin, 13 octobre 1954, I B 38.54, JZ, 1955, p. 272.
[21] Pour une illustration relative à la restriction de la liberté d’opinion (Art. 5 LF) d’un détenu en dehors de tout cadre législatif, voir BVerfGE 15, 288 – Beschluß, 19 février 1963, 1 BvR 610/62.
[22] LARRALDE (J.-M.), « Les droits des personnes incarcérées : entre punition et réhabilitation », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n°2, 2003, p. 70 et 71.
[23] Ibid. Sur l’évolution du statut du détenu français au regard du service public pénitentiaire, voir GONÇALVES (B.), Le détenu : du statut d’assujetti au service public au statut d’usager du service public, 2019, thèse de l’Université de Clermont Auvergne.
[24] BVerfGE 33, 1 – Strafgefangene – Beschluß, 14. März 1972, 2 BvR 41/71.
[25] BVerfGE 33, 1 (1) : « Auch die Grundrechte von Strafgefangenen können nur durch Gesetz oder aufgrund eines Gesetzes eingeschränkt werden ». Dans la littérature allemande, certains auteurs se sont étonnés que la reconnaissance de la titularité des droits fondamentaux du détenu ne soit pas intervenue avec l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale, voir STARCK (Ch.), « Verfassungsrecht. Strafvollzug », JZ, vol. 21, n°11/12, 1972, pp. 357-362, spéc. p. 360. D’autres auteurs considéraient, à rebours, que le détenu était bien titulaire de ses droits fondamentaux depuis l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale en 1949, mais que la doctrine des « relations spéciales d’autorité » emportait des possibilités supplémentaires de limitation de l’exercice des droits fondamentaux du détenu en faveur de l’administration pénitentiaire, voir PETERS (K.), « Freiheit und Gebundenheit des Strafgefangenen », JR, 1972, pp. 489- 493, spéc. p. 492.
[26] Loi fédérale relative à l’exécution des peines (Strafvollzugsgesetz), 16 mars 1976, BGBl. I, p. 581.
[27] La décision Strafgefangene illustre combien l’intervention de la Cour constitutionnelle fédérale est nécessaire dans certains cas pour que la protection des droits fondamentaux soit respectée, ce qui témoignerait de la fragilité d’une consécration simplement formelle des droits fondamentaux dans un texte constitutionnel, voir GÜNTHER (K.), « Die Konstitutionalisierung des Strafvollzuges durch das Bundesverfassungsgericht – Ein Beispiel für die Fragilität der Verfassungsdynamik (BVerfGE 33, 1 ff.) », KritV, vol. 83, n°3/4, 2000, pp. 298-312, spéc. p. 311.
[28] §45 al. 1 StGB : « Wer wegen eines Verbrechens zu Freiheitsstrafe von mindestens einem Jahr verurteilt wird, verliert für die Dauer von fünf Jahren die Fähigkeit, öffentliche Ämter zu bekleiden und Rechte aus öffentlichen Wahlen zu erlangen ».
[29] Ces hypothèses d’interdiction temporaire d’exercice des droits fondamentaux du détenu prononcées par les juridictions ordinaires (Fachgerichte) ne doivent pas être confondues avec la déchéance des droits fondamentaux (Grundrechtsverwirkung) qui ne peut être décidée que par la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne (Bundesverfassungsgericht) sur le fondement de l’article 18 de la Loi fondamentale. Il s’agit toutefois seulement d’une garantie contre les dérives politiques autoritaires et non d’un outil destiné à sanctionner les détenus. Pour plus de détails, voir ISENSEE (J.), « Verfassungsnorm in Anwendbarkeitsnöten: Artikel 18 des Grundgesetzes – Grundrechtsverwirkung in rechtsdogmatischer Sicht und im internationalen Menschenrechtskontext », in PFEIFFER (G.), BURGMEISTER (U.), ROTH (G.) (dir.), Der verfaßte Rechtsstaat. Festgabe für Karin Graßhof, Heidelberg, C. F. Müller, 1998, pp. 289-324.
[30] RENAUT (M.-H.), « Les conséquences civiles et civiques des condamnations pénales. Le condamné reste citoyen à part entière », RSC, 1998, p. 265.
[31] Art. 130-10 Code pénal.
[32] Art. 130-11 Code pénal.
[33] Cette interdiction de principe a conduit le Conseil constitutionnel français à abroger l’article L. 7 du code électoral qui prévoyait la privation automatique des droits civiques pour certaines personnes condamnées, voir Cons. const., décision n°2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, M. Stéphane A. et autres.
[34] L’amélioration de la prise en compte des droits et des libertés du détenu par le droit français est visible dans la littérature qui s’est fait l’écho des avancées en la matière, voir HERZOG-EVANS (M.), « La révolution pénitentiaire française », in DE SCHUTTER (O.), KAMINSKI (D.) (dir.), L’institution du droit pénitentiaire : enjeux de la reconnaissance de droits aux détenus, Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, 2002, pp. 17-41 ; LARRALDE (J.-M.), « Les droits des personnes incarcérées : entre punition et réhabilitation », Cahier de la recherche sur les droits fondamentaux, vol. 2, 2003, pp. 63-75.
[35] Loi n° 94-43 du 18 janvier 1994, JORF, 19 janvier 1994, p. 960.
[36] Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, JORF, 25 novembre 2009, texte n°1.
[37] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, JORF, 23 décembre 2021, texte n°1.
[38] Décret n° 2022-655 du 25 avril 2022, JORF, du 26 avril 2022, texte n°5.
[39] Loi n° 2021-403 du 8 avril 2021, JORF, 9 avril 2021, texte n°3.
[40] Art. 16 DDHC : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. ».
[41] L’obligation qui leur incombe de respecter les droits fondamentaux du détenu trouve son fondement dans l’article 1 alinéa 3 de la Loi fondamentale qui prévoit que « les droits fondamentaux […] lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à titre de droit directement applicable ». Art. 3 al. 1 LF : « Die nachfolgenden Grundrechte binden Gesetzgebung, vollziehende Gewalt und Rechtsprechung als unmittelbar geltendes Recht ».
[42] Jurisprudence constante depuis BVerfGE 2, 336 – Armenanwalt – Beschluß, 17 juin 1953, 1 BvR 668/52.
[43] § 32 al. 1 BVerfGG : « Das Bundesverfassungsgericht kann im Streitfall einen Zustand durch einstweilige Anordnung vorläufig regeln, wenn dies zur Abwehr schwerer Nachteile, zur Verhinderung drohender Gewalt oder aus einem anderen wichtigen Grund zum gemeinen Wohl dringend geboten ist ».
[44] Jurisprudence constante depuis BVerfGE 33, 1 – Strafgefangene – Beschluß, 14 mars 1972, 2 BvR 41/71.
[45] GRABITZ (E.), « Der Grundsatz der Verhältnismäßigkeit in der Rechtsprechung des Bundesverfassungsgericht », AöR, vol. 98, n°4, 1973, pp. 518-616 ; SCHLINK (B.), « Der Grundsatz der Verhältnismäßigkeit », in BADURA (P.), DREIER (H.) (dir.), Festschrift 50 Jahre Bundesverfassungsgericht, Band II, Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, pp. 445-465.
[46] Une bonne illustration de l’application du principe de proportionnalité peut être tirée de la décision récente de la Cour constitutionnelle fédérale relative à la liberté de profession des détenus à l’aune de l’exigence constitutionnelle de réinsertion sociale (verfassungsrechtliche Resozialisierungsgebot), voir BVerfG – Urteil, 20 juin 2023, 2 BvR 166/16, 2 BvR 166/16, 2 BvR 1683/17.
[47] En témoigne notamment l’obligation faite à un détenu de couper ses cheveux sur laquelle la Cour constitutionnelle fédérale a été amenée à se prononcer, voir BVerfGE 47, 239 – Zwangsweiser Haarschnitt – Beschluß, 14 février 1978, 2 BvR 406/77.
[48] BVerfG, Gefangenenvergütung II – Urteil, 20 juin 2023, 2 BvR 166/16, 2 BvR 166/16, 2 BvR 1683/17.
[49] Était contestée la conformité à la Loi fondamentale de l’article 46 de la loi bavaroise sur loi sur l’exécution des peines privatives de liberté et des peines pour mineurs (Vollzug der Freiheitsstrafe und der Jugendstrafe) du 10 décembre 2007, dite « BayStVollzG ».
[50] Était contestée la conformité à la Loi fondamentale des articles 32 et 34 de la loi réglementant l’exécution des peines (Strafvollzugsgesetz) en Rhénanie du Nord-Westphalie du 13 janvier 2015, dite « StVollzG NRW ».
[51] Les précisions apportées par la Cour constitutionnelle fédérale quant à la rémunération des détenus et à la marge de manœuvre des législateurs fédérés en la matière s’inscrivent dans la continuité de sa décision BVerfG – Gefangenenvergütung I – Urteil, 16 décembre 2015, 2 BvR 1017/14. Cette jurisprudence trouve son origine dans la décision BVerfGE 98, 169 – Arbeitspflicht – Urteil, 1 juillet 1998, 2 BvR 441, 493/90, 618/92, 212/93 et 2 BvL 17/94.
[52] Voir sur ce point l’analyse critique de MANN (L.), STEIN (J.), « Prekariat Gefängnis. Warum das Urteil des BVerfG zur Gefangenenvergütung nicht im Sinne der arbeitenden Inhaftierten ist », Verfassungsblog, 22 juin 2023, disponible en ligne à l’adresse : https://verfassungsblog.de/prekariat-gefangnis/.
[53] GUYOMAR (M.), « Le juge administratif, juge du service public pénitentiaire », in BOUSSARD (S.), Les droits de la personne détenue : après la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, Paris, Dalloz, 2013, pp. 147-155.
[54] Selon le Professeur ODENT, « Les mesures individuelles d’ordre intérieur, insusceptibles de recours contentieux, sont […] celles qui, d’une part, ont un caractère exclusivement interne à l’administration qui les prend, d’autre part, n’ont aucun effet sur la situation juridique de ceux qui les subissent et, enfin, sont purement discrétionnaires. Ainsi comprises, les mesures d’ordre intérieur peuvent concerner des fonctionnaires ou les usagers de certains services publics », voir ODENT (R.), Cours de contentieux administratif, Les cours du droit, édition 1976-1981, fascicule III, pp. 981-982.
[55] Pour illustration, le transfert d’un détenu d’une prison centrale vers une maison d’arrêt constituait une mesure d’ordre intérieur, voir Conseil d’État, 8 décembre 1967, Sieur K., n° 69544.
[56] Conseil d’État, Ass., 14 décembre 2007, Garde des Sceaux c/ Boussouar, Planchenault et Payet, n°290420.
[57] GUYOMAR (M.), « La justiciabilité des mesures pénitentiaires devant le juge administratif », AJDA, n° 8, 2009, pp. 413-415.
[58] Conseil d’État, Ass., 14 décembre 2007, Garde des Sceaux c/ Boussouar, Planchenault et Payet, n°290420.
[59] Ibid.
[60] Conseil d’État, 21 mai 2014, Mlle B., n°359672 ; Conseil d’État, 21 mai 2014, Garde des sceaux, ministre de la Justice c/ Mme Guimon, n°359672. Le juge administratif considère qu’un tel avertissement touche aux conditions de détention dès lors qu’il peut être pris en considération par le juge d’application des peines lors de l’octroi d’une liberté conditionnelle au détenu. Le cas échéant, la prononciation d’une sanction pour avertissement par le chef d’établissement pénitentiaire peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir par le détenu visé.
[61] Conseil d’État, Ass., 17 février 1995, Hardouin et Marie, n°97754 ; Conseil d’État, Ass., 14 décembre 2007, garde des Sceaux c/ Boussouar, Planchenault et Payet, n°290420 ; Conseil d’État, Sect., 25 septembre 2015, Mme B., n°372624.
[62] Conseil d’État, 2015, M. BA, n°385332.
[63] Conseil d’État, 13 novembre 2013, Agamemnon, n°338720. Plus récent et dans le même sens, voir Conseil d’État, 21 novembre 2018, Ba, n°412741.
[64] Sur l’examen de la proportionnalité au sens strict de la mesure de placement en cellule disciplinaire d’un détenu et l’absence de contrôle des autres composantes du principe de proportionnalité par le juge administratif français, voir Conseil d’État, 1er juin 2015, M. B. A., n°380449.
[65] Sur la persistance des mesures d’ordre intérieur, voir HABOUZIT (F.), « Le contrôle des décisions de l’administration pénitentiaire relatives aux conditions d’exécution de la peine », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, vol. 2, n°2, 2022, pp. 275-288.
[66] Conseil d’État, Ass., 14 décembre 2007, garde des Sceaux c/ Boussouar, Planchenault et Payet, n°290420.
[67] Ibid.
[68] Conseil d’État, 13 novembre 2013, Agamemnon, n°338720.
[69] La procédure du référé liberté permet de pallier le manque de réactivité de l’administration pénitentiaire sans toutefois résoudre les problèmes structurels sur le long terme. Voir PECHILLON (E.), « Contrôle des conditions de détention : l’arme du référé face au manque de réactivité de l’administration pénitentiaire », AJ Pénal, 2013, p. 232.
[70] PARINET-HODIMONT (P.), « Le référé-liberté face aux conditions de détention : la France doit revoir sa copie ! », RDLF, 2020, chron. n°25.
[71] Sur l’insuffisance du référé-liberté face aux difficultés structurelles, voir JACQUEMET-GAUCHÉ (A.), GAUCHÉ (S.), « Des tensions », AJDA, n°23, 2015, p. 1289.
[72] Conseil d’État, Ord., 1er mars 2024, n°492291.
[73] Ibid.
[74] Le taux de transmission des QPC au Conseil constitutionnel par le Conseil d’État ou la Cour de cassation est bas. Il avoisine les 25 % des questions formées devant les juridictions ordinaires pour chaque ordre de juridiction. Sur ce point, voir STIRN (B.), « Le non-renvoi des questions prioritaires de constitutionnalité », discours prononcé à l’occasion du colloque organisé par l’Université de Clermont-Ferrand les 26 et 27 octobre 2017.
[75] Dans le même sens ALCARAZ (H.), « QPC et détenus en France », in SEVERINO (C.), ALCARAZ (H.) (dir.), Systèmes de contrôle de constitutionnalité par voie incidente et protection des personnes en situation de vulnérabilité, Aix-en-Provence, DICE Éditions, 2021, pp. 463-475.
[76] Sur l’absence de conformité à la Constitution du prolongement d’une détention provisoire dans le contexte d’urgence sanitaire, voir Conseil constitutionnel, décision n° 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021, M. Ion Andronie R. et autre. Sur la conformité avec réserve à la Constitution de la durée de la détention provisoire d’un individu accusé en cas de renvoi d’audience, voir Conseil constitutionnel, décision n° 2023-1056 QPC du 7 juillet 2023, M. Abdelhalim R.
[77] Conseil constitutionnel, décision n° 2018-709 QPC du 1er juin 2018, Section française de l’observatoire international des prisons et autres ; Conseil constitutionnel, décision n° 2019-791 QPC du 21 juin 2019, Section française de l’Observatoire international des prisons. Conseil constitutionnel, décision n° 2021-898 QPC du 16 avril 2021, Section française de l’observatoire international des prisons.
[78] Sur l’attitude timorée du Conseil constitutionnel au regard du législateur pour la protection de la liberté professionnelle du détenu (§§ 5 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946), voir Conseil constitutionnel, décision n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013, M. Yacine T. et autre ; Conseil constitutionnel, décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, M. Johny M. La frilosité du Conseil constitutionnel n’est pas restée inaperçue dans la littérature française, voir notamment BONNET (J.), ROBLOT-TROIZIER (A.), « Travail en prison : le renoncement du Conseil constitutionnel », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n°50, 2016, p. 85.
[79] Cons. const., décision n°2020-874/875/876/877 QPC, 21 janvier 2021, M. Christophe G. Sur ce point, voir les observations de LARRALDE (J.-M.), « Le Conseil constitutionnel refuse de reconnaître un droit au rapprochement familial pour les personnes détenues avant jugement », LEFP, n°113, 2021, p. 5.
[80] Cons. const., décision n°2021-898 QPC, 16 avril 2021, Section française de l’observatoire international des prisons.
[81] Cette observation est valable que la personne détenue soit majeure ou mineure. Sur les conditions de placement ou de maintien en détention des mineurs, voir la décision récente Cons. const., décision n°2022-1034 QPC, 10 février 2023, Syndicat de la magistrature et autres.
[82] FERRAN (N.), « La personne détenue encore à la recherche de son juge en France », Déviance et Société, vol. 38, n°4, 2014, pp. 469-489. Sur les récentes condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme en raison des conditions indignes de détention, voir Cour européenne des droits de l’homme, 30 janv. 2020, JMB et autres c/ France, n° 9671/15 ; Cour européenne des droits de l’homme, 6 juillet 2023, B.M. et autres c/ France, n° 84187/17.
[83] BVerfG, Gefangenenvergütung II – Urteil, 20 juin 2023, 2 BvR 166/16, 2 BvR 166/16, 2 BvR 1683/17.