Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, et la démocratie en Afrique : La gronde d’internet en période électorale, enjeux et perspectives.
Les populations de plusieurs États africains ont été confrontées ces dernières années à un phénomène relativement récent sur le continent, celui des coupures d’internet, le blocage des réseaux sociaux ainsi que des SMS en période électorale et bien au-delà. Cet article se propose d’analyser sous un angle strictement juridique ce phénomène, en mettant en lumière les voies d’actions dont disposent les citoyens afin de le contrer et faire respecter leurs droits fondamentaux Il se veut également une sonnette d’alarme sur les risques et les conséquences désastreuses sur le plan des libertés individuelles de la montée en puissance de cette pratique. Il interroge enfin, dans une approche comparative, la jurisprudence notamment les difficultés liées à une éventuelle reconnaissance de l’accès à internet comme droit fondamental protégé et garanti en tant que tel.
Lyrique Ayouma est Doctorant École doctorale droit et science politique Pierre Couvrat Université de Poitiers.
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication imprègnent tous les domaines de la vie. Elles sont devenues un enjeu stratégique majeur, leur utilisation a révolutionné les modes de fonctionnement traditionnels des entreprises et des organisations et permet une plus grande efficacité dans leur capacité à diffuser, en quelques secondes, des informations à un public de masse.
Dans cet ordre d’idées il est aisé de constater que la conquête du pouvoir étatique à fortiori sa conservation s’appuient elles aussi sur une stratégie visant à contrôler internet et ses différentes plates formes. Cependant cette volonté de contrôle se traduit parfois par des dérives et des abus. C’est ainsi que l’on observe de plus en plus aujourd’hui l’émergence de plusieurs phénomènes tels que les fakes news, les piratages, ou s’agissant précisément de l’objet de notre étude, le blocage d’internet et des réseaux sociaux[1], tout au moins leur restriction, notamment en période électorale. L’on s’intéressera dans le cadre de ce propos au cas de quelques pays d’Afrique francophone.
Lors des élections présidentielles au Congo Brazzaville et au Tchad en mars et avril 2016 internet et les réseaux sociaux ont été coupés durant plusieurs jours. Le Gabon, le Burundi, le Soudan et récemment la RD Congo ainsi que plusieurs autres États africains se sont eux aussi livrés à cette pratique. Très courante, la méthode consiste pour les autorités en place, lors du vote et/ou pendant la période d’attente des résultats de l’élection présidentielle notamment, à procéder à l’interruption des moyens de communications principalement les sms et le réseau internet[2]. Ainsi les populations sont privées, généralement sur l’ensemble du territoire, de moyens de communications et le pays se retrouve isolé et totalement déconnecté du reste du monde.
Il convient de préciser de prime à bord, d’une part que ce phénomène n’est pas une spécificité africaine[3]. D’autre part, il existe plusieurs États au sud du Sahara qui n’y ont jusqu’ici jamais recouru. Ainsi la référence à « l’Afrique » dans notre propos ne l’est que pour les commodités de langage, et ne reflète aucunement une situation de fait pour l’ensemble du continent. Aussi l’ampleur de cette pratique ces dix dernières années dans l’organigramme électoral de plusieurs États du continent mérite qu’on s’y attarde.
L’article vise à analyser l’impact des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le processus électoral en Afrique[4]. L’on verra à l’aune du droit administratif et du droit constitutionnel, et dans une approche comparative, notamment avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les contours juridiques de la notion de restriction d’accès à internet, ainsi que le régime juridique des actes qui concourent à ces restrictions.
La problématique de l’intégration des nouvelles technologies de l’information et de la communication, principalement internet et les réseaux sociaux dans le processus électoral en Afrique, peut être appréhendée sous le prisme d’un paradoxe. En effet d’une part internet et les réseaux sociaux participent au processus de démocratisation des États africains et sont de véritables outils pour la transparence et la sincérité des scrutins électoraux sur le continent. D’autre part et dans le même temps internet peut aussi être un vecteur pour les fakes news, la désinformation, la diffusion via les réseaux sociaux des résultats avant leur publication officielle, dans le but manifeste de manipuler l’opinion et orienter l’issue du processus électoral.
Les états surfent de fait sur cette dernière tendance pour justifier des coupures intempestives d’internet et légitimer une censure dont les réels motifs sont parfois inavoués (Première partie). Nous tenterons dans le cadre de cette analyse de les mettre en lumière.
Dans cette situation où les autorités qui décident des mesures de blocages d’internet en période électorale sont dans la plupart des cas celles qui sollicitent le suffrage des populations pour être reconduites, le rôle du juge des libertés fondamentales apparait déterminant pour prévenir tout abus et trouver le juste milieu (Seconde Partie).
I- Internet, un espace dangereux justifiant des limitations d’accès ?
Il s’agit de déterminer si les restrictions imposées aux populations en matière d’accès aux contenus numériques le sont davantage pour des motifs politiques, lorsque sont en jeu les grandes échéances électorales, ou dans un but légitime de sécurité publique(A). Cette étape devrait ensuite, logiquement, nous conduire à analyser le caractère disproportionné des mesures de blocages d’internet et des réseaux sociaux(B).
A- La nécessité des restrictions en matière d’accès à internet
Internet est devenu le lieu de tous les possibles. Sa capacité de mobilisation et la rapidité avec laquelle circulent les contenus en ligne sont absolument phénoménales. Il apparait que cet outil, en Afrique, peut-être plus qu’ailleurs, peut jouer un rôle fondamental dans le processus de démocratisation des États[5] notamment lors des élections présidentielles. Agathe Lepage affirme ainsi que « les voix des citoyens peuvent se faire mieux entendre, du moins plus facilement s’exprimer, ce qui est en phase avec l’individualisme qui caractérise les sociétés modernes[6] ». Michael Hardt et Antonio Negri avançaient eux aussi l’idée selon laquelle avec Internet « La démocratie à l’échelle global est en train de devenir pour la première fois une possibilité réelle, le projet de la multitude[7] ». Internet se distingue des médias traditionnels, dans le contexte africain, parfois tenus à une ligne éditoriale rigide, par la pluralité de l’information qui découle de la capacité de chaque citoyen connecté à communiquer des informations, à fortiori à jouer un rôle de « chien de garde[8] » selon l’expression de la CEDH, et ce, au-delà de la question de la fiabilité des informations données. Le caractère pluriel de l’information dont internet est le vecteur, la diversité des acteurs est assurément un levier pour le jeu démocratique, et la liberté d’expression.
L’enjeu s’agissant des processus électoraux en Afrique, réside dans la transparence du scrutin et le droit à des élections libres. Concrètement, cela signifie que l’opacité dans l’organisation des élections dans certains pays en Afrique, peut être atténuée par la vigilance des citoyens par le canal d’internet et des réseaux sociaux. À cet égard on a pu observer, lors de l’élection présidentielle au Gabon en 2016 par exemple, que certains internautes retransmettaient en direct sur leur compte Facebook, ou sur des plates formes telles que Twitter ou WhatsApp, les vidéos des opérations de dépouillement de bulletins dans certains bureaux de vote. S’il est vrai qu’il faut relativiser l’efficacité de ces pratiques qui nécessitent une grande coordination, et compte tenu surtout des disparités ou de l’absence de connexion sur l’ensemble du territoire national, force est de reconnaitre qu’elles peuvent avoir un effet dissuasif contre des tentatives de fraudes.
L’on ne saurait pour autant occulter l’utilisation malveillante de ce même internet. C’est le cas avec la pratique des fakes news. Il s’agit d’un véritable fléau qui consiste à répandre des fausses informations en ligne et permet ainsi d’alimenter des rumeurs en instrumentalisant par exemple les premières tendances de l’élection présidentielle, dans le but délibéré d’induire les sympathisants d’un bord ou de l’autre en erreur. L’on pourrait citer d’autres faits tels que le piratage, les revendications de victoire ou encore la prestation de serment des candidats déclarés perdants à l’élection présidentielle. Ce fut le cas lors des élections présidentielles de 2016 au Gabon et de 2018 au Cameroun où les candidats déclarés perdants notamment ceux de l’opposition ont non seulement revendiqué la victoire mais aussi prêté serment sur la constitution se déclarant ainsi Président de la République élu, ils ont par la suite nommé et mis en place un gouvernement un parallèle. Ces actes, au-delà d’être diffusés sur internet sont très largement relayés sur les réseaux sociaux par les internautes. De ce point de vue des restrictions d’accès peuvent s’avérer indispensables afin de préserver l’ordre public. La CEDH a souligné cette complexité du rôle d’internet dans la vie démocratique faisant état de « deux réalités contradictoires ». Elle évoquait très justement à l’occasion que « L’Internet est certes un outil d’information et de communication qui se distingue particulièrement de la presse écrite, notamment quant à sa capacité à emmagasiner et diffuser l’information. Ce réseau électronique, desservant des milliards d’usagers partout dans le monde, n’est pas et ne sera peut-être jamais soumis aux mêmes règles ni au même contrôle. Assurément, les communications en ligne et leur contenu risquent bien plus que la presse de porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit au respect de la vie privée[9]». Un autre argument qui milite en faveur des mesures de blocages d’internet et qui est d’ailleurs invoqué souvent consiste dans l’annonce des résultats en ligne avant leur publication par les instances agrées. De tels actes sont susceptibles d’engendrer des troubles à l’ordre public.
Face à des tels phénomènes les mesures de restrictions d’accès à internet, qui sont des atteintes au droit fondamental à la liberté d’expression et d’information semblent nécessaires[10] dans des démocraties encore particulièrement fragiles comme c’est le cas de beaucoup d’États africains. En en effet, la force d’internet vient de sa capacité à toucher une masse importante de la population en quelques instants. Limiter l’accès à internet par des mesures de blocages des réseaux sociaux reviendrait à se prémunir contre les risques de revendications de victoire d’un bord ou de l’autre avec les mouvements de foules et de troubles à l’ordre public que cela peut engendrer dans une période sensible que représente une élection. Néanmoins ces restrictions doivent rester légales, c’est-à-dire non seulement justifiées par le contexte mais aussi adaptées et proportionnées. Ces mesures doivent donc être encadrées en s’appuyant sur un cadre législatif spécifique. Ce qui ne semble pas toujours être le cas.
B- Des mesures de blocages d’internet disproportionnées.
L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 laquelle a valeur constitutionnelle en vertu du Préambule de la Constitution de 1958 dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Cette disposition qui consacre le caractère fondamental de la liberté d’expression a été repris par la plupart des constitutions africaines et instruments juridiques internationaux[11]. S’agissant précisément d’internet le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a affirmé dans une résolution que « les droits dont les personnes jouissent hors ligne doivent également être protégés en ligne [12]». Même s’il est « l’un des droits les plus précieux de l’homme » la liberté d’expression comme on le sait peut faire l’objet de limitations. Pour rester légales ces atteintes doivent être strictement encadrées.
Dans le cadre de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples par exemple les restrictions à la liberté d’expression doivent rester « Exceptionnelles », et ne sont autorisées que s’il existe de toute évidence un lien de cause à effet entre l’expression d’une opinion et le risque de remettre en cause des intérêts légitimes. La Convention européenne des droits de l’homme prévoit pour sa part dans son article 10, que les entorses au droit à la liberté d’expression, d’information et de communication qui en sont les corollaires nécessaires sont strictement subordonnées aux conditions de légalité, de légitimité et de proportionnalité. Il s’agit de conditions cumulatives. Pour les besoins de notre démonstration et dans le cadre de cette étude restreinte nous ne développerons que la dernière.
Il s’agit plus largement des conditions de nécessité et de proportionnalité courant en droit international des droits de l’homme. La nécessité signifie que toute restriction de l’accès à Internet doit être limitée aux mesures strictement et manifestement nécessaires pour atteindre un objectif légitime, de préservation de l’ordre publique ou de sécurité nationale. Il devrait être démontré qu’aucune autre mesure n’obtiendrait des effets similaires avec plus d’efficacité et moins de dommages collatéraux. La nécessité implique également une évaluation de la proportionnalité des mesures. Toute restriction d’accès à Internet doit également être proportionnée. Une évaluation de la proportionnalité devrait garantir que la restriction est « l’instrument le moins intrusif parmi ceux qui pourraient atteindre le résultat souhaité ». La limitation doit viser un objectif spécifique et ne pas empiéter indûment sur d’autres droits des personnes visées. Dans cette perspective seraient plus appropriées, des restrictions d’accès individuels ou catégoriels plutôt que les coupures de masses auxquelles on assiste à chaque élection sur le continent.
Prenons l’annonce des résultats de certaines circonscriptions électorales sur les plates formes numérique par des groupements non agrées. L’on a vu que les autorités sur la base des troubles à l’ordre public que ces annonces sont susceptibles d’engendrer décidaient des mesures de blocages d’accès à internet. Si on peut admettre que la condition de légitimité est remplie, ces mesures n’en sont pas moins contestables dans la mesure ou les autres conditions de proportionnalité notamment ne semble pas être respectée. En effet la proportionnalité évoquée par l’article 10 de la Convention européenne signifie que la mesure prise par l’autorité publique doit être strictement nécessaire et adaptée à la situation de risque qu’elle entend réguler. En d’autres termes la mesure de blocage de l’Internet décidée par les autorités publiques devrait être ciblée en identifiant précisément les sites, les personnes, propageant des informations de façon illégale, mais aussi limitée dans le temps. Les mesures de blocages sont disproportionnées car elles font l’objet d’une généralisation[13]. C’est-à-dire qu’elles concernent dans la plupart du temps tout le monde sur tout le territoire.
La dernière élection présidentielle en République démocratique du Congo a donné lieu à une suspension d’internet pour une durée indéterminée. Les autorités craignant « un soulèvement des populations » à cause des chiffres qui étaient avancés sur les réseaux sociaux concernant l’élection, avaient alors décidé de couper les SMS et internet pendant la période des opérations de centralisation de résultats. L’élection présidentielle de 2016 au Gabon a été suivie d’une coupure d’internet de 5 jours. Il s’agit de coupures totales et à durée indéterminée. Le Groupe Access Now, une ONG tournée vers la défense des droits en ligne, indique pour corroborer ces faits qu’en Afrique, la plupart des restrictions d’internet ont tendance à affecter des pays entiers plutôt que des régions ou des groupes de personnes spécifiques. Ainsi la condition de proportionnalité n’est pas respectée. Dans ces conditions, Quentin Van Enis affirme en reprenant le Comité des droits de l’homme des Nations unies que « dans certains États, ces techniques sont utilisées pour restreindre la diffusion de contenus critique à l’égard du gouvernement ou du système politique et sociale épousé par le gouvernement »[14]
Ces manœuvres rendent comptent des défis démocratiques énormes que pose internet et les nouvelles technologies de l’information.
S’il est vrai que certains de arguments avancés par les gouvernements pour justifier le blocage des canaux de communication et la coupure d’internet peuvent être entendus, le recours de plus en plus fréquent à cette méthode et les violations qui en résultent nécessitent que l’on s’interroge sur les réponses à y apporter afin de freiner ce phénomène relativement récent sur le continent.
II- La protection juridictionnelle du droit d’accès à Internet en Afrique.
Les moyens modernes de communication et L’internet sont un atout pour la démocratie, en particulier en Afrique où ils permettent à chaque citoyen de faire entendre sa voix et de participer au processus démocratique. Mais pour se rapprocher de cet objectif internet et l’utilisation qui est en faite par les gouvernants et les citoyens doivent être protégés et encadrés. Cela passe par la consécration d’un véritable droit fondamental d’accès à internet (A). Si cette consécration semble difficile au regard du contexte africain, les citoyens ont toujours la possibilité, comme on l’a déjà vu de se prévaloir de leur droit à la liberté d’expression, d’information et de communication. En tout état de cause, un droit procédural du numérique se présente aujourd’hui dans plusieurs États africains comme une véritable nécessité dont l’effectivité doit garanti par le juge des libertés (B).
A- Le droit d’accès à internet, un droit fondamental ?
Le Conseil constitutionnel français a affirmé dans sa décision Hadopi de 2009 « qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit [le droit à la libre communication des pensées et des opinions] implique la liberté d’accéder à ces services ». Cette position de la haute juridiction française a été réaffirmée en 2017 dans une autre décision Délit de consultation habituelle de sites terroristes[15]. Dès lors, s’est posée la question de savoir si les juges constitutionnels ont entendu consacrer un véritable droit d’accès à internet, c’est-à-dire un droit autonome qui ne soit pas seulement le pendant du droit à la liberté d’expression. Le commentaire officiel de la décision précitée nous fournit une réponse. En effet on y lit « Le conseil n’a pas seulement affirmé que le droit d’accès à internet entre dans le champ du droit constitutionnel de s’exprimer et de communiquer librement […]. Mais a jugé que ce droit implique la liberté d’accéder à Internet. […] La reconnaissance d’une telle liberté ne revient pas à affirmer que l’accès à internet est un droit fondamental[16] »
Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU dans sa résolution 2012 pour « La promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur internet » déjà citée semble avoir suivi le même raisonnement. D’abord il affirme que « Les droits dont les personnes jouissent hors ligne doivent également être protégés en ligne, en particulier le droit de toute personne à la liberté d’expression qui est applicable sans considérations de frontières et par le moyen de son choix, conformément aux articles 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques », puis il a fini par conclure que « l’accès à internet n’est pas encore un droit de l’homme en tant que tel ».[17]Par ailleurs cette résolution condamne « sans équivoque les mesures qui visent à empêcher ou à perturber délibérément l’accès à l’information ou la diffusion d’informations en ligne» et réaffirme que « les États ont pour obligation de promouvoir ou de faciliter l’exercice de la liberté d’expression et de fournir les moyens nécessaires à l’exercice de ce droit, notamment Internet ».
Dans l’arrêt Yildirim[18] la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la mesure litigieuse, la coupure d’accès à internet est « constitutive d’une ingérence d’autorités publiques dans le droit de l’intéressé à la liberté d’expression, dont fait partie intégrante la liberté de recevoir et de communiquer des informations. »
En somme le droit d’accès à internet n’est pas un droit fondamental mais une composante indispensable de la liberté d’expression et dans le même temps il dépasse le cadre de cette liberté puisqu’il est indispensable à l’exercice d’autres droits tels que le droit à l’éducation, le droit de manifestation, d’association ou de réunion. L’enjeu de cette consécration de l’accès à internet comme droit fondamental est double : « L’on conviendra que l’internet finit dans certains domaines, par être le seul mode d’accès à des informations, des procédures, alors il deviendra essentiel que chacun puisse y avoir accès dans des conditions de parfaite égalité, que la continuité du service soit garantie, ainsi que sa constante adaptabilité à l’évolution des technologies ;et ainsi se posera nécessairement un problème de gratuité de l’accès [19]». Il s’agit d’abord de lui garantir une meilleure protection en cas de violation. D’autre part, la reconnaissance de ce droit induit une obligation positive pour les États de fournir l’accès à internet sur l’ensemble du territoire et par voie de conséquence pour les populations la possibilité de se prévaloir d’un droit subjectif d’accès à internet, ce qui dans le contexte particulier des États africains reste peu probable au regard des investissements que cela nécessitera.
B- L’intervention nécessaire du juge des libertés, pour l’effectivité du droit d’accès des personnes à internet en Afrique.
Le phénomène de coupures d’internet et des réseaux sociaux en période électorale prend de l’ampleur[20]. La question est d’autant plus prégnante qu’elle déborde le cadre des échéances électorales auquel elle était restreinte jusqu’ici. Elle s’est étendue aux manifestations contre les politiques publiques ou de contestation. Ce fut le cas par exemple en décembre 2018 au Soudan, en janvier 2017 au Cameroun lors de la crise anglophone où l’internet est resté coupé pendant 97 jours, ou en 2015 au Congo Brazzaville lors du referendum pour le changement de constitution.
Malgré la monté en puissance de cette pratique il existe très peu de procédures judiciaires de la part des populations sur le continent. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette absence de contentieux : le manque d’intérêt de la part des justiciables, qui pour certains ont perdu confiance au système judiciaire, une méconnaissance des procédures juridictionnelles etc. L’intérêt pour la présente étude consiste aussi à vulgariser une espèce de droit procédural du numérique qui du reste n’est pas très diffèrent des procédures contentieuses de droit commun. L’objectif étant d’inciter les différents acteurs sociaux impactés par ces mesures à pouvoir initier des recours en justice afin non seulement de dissuader les pouvoirs publics de recourir systématiquement à cette pratique mais aussi de faire respecter leurs droits fondamentaux.
Le propos vise dans cette dernière partie à déterminer la nature juridique des actes sur la base desquelles ces mesures de blocages sont décidées, les juges normalement compétents et à interroger les recours juridictionnels possibles à l’aune de la pratique juridique française et européenne en la matière.
Pour le moment plusieurs d’États africains sont dépourvus de législations spécifiques sur la question du blocage d’internet ou du filtrage de contenus. C’est-à-dire qu’ils ne disposent pas de cadre législatif et réglementaire qui définit les conditions et les procédures à respecter dans le cadre d’une mesure de blocage d’internet ou de filtrage de contenu. Ils s’appuient sur un cadre juridique général existant mais non spécifique à Internet.
La France par exemple a adopté récemment une loi visant à lutter contre la manipulation de l’information sur internet notamment en période électorale[21]. Cette législation s’inscrit entre autres dans les hypothèses d’ingérence d’une puissance tierce dans le processus électoral français en vue d’orienter une partie de l’électorat ou d’influencer d’une façon ou d’une autre l’issue du scrutin. En effet la loi a été adoptée à la suite de nombreuses suspicions d’ingérence et le rôle supposé de la Russie lors des élections présidentielles américaines et françaises en 2016 et 2017. Il s’agit de diffusion massive de fausses rumeurs. Afin de lutter contre la propagation de ces fakes news le texte propose de faire participer les géants du web tels que Facebook ou Twitter en leur demandant plus de coopération et de transparence. Ainsi par exemple ces plateformes devraient permettre à leurs utilisateurs de signaler des informations erronées, la suspension par le Conseil supérieur de l’audiovisuel français de la diffusion d’une chaîne étrangère en France dès lors que celle-ci propage de fausses informations sur le territoire français ou encore la saisine du juge des référés pour que celui-ci ordonne la suppression dans les 48h d’une fake news sur internet. Cela se traduirait concrètement par le déférencement d’un site qui diffuse l’information ou la fermeture d’un compte Facebook qui le relai.
Le parallèle avec la situation en Afrique est intéressant à plus d’un titre. D’une part et contrairement à plusieurs États africains qui ne disposent pas d’un tel instrument juridique spécifique, le texte français pour sa part, permet de circonscrire dans le temps et dans l’espace la censure numérique mais aussi de l’encadrer, notamment par l’institution d’une procédure d’urgence devant le juge des référés par exemple pour le blocage d’un site internet. D’autre part Alors que la loi française vise à lutter contre la manipulation de l’information, les coupures d’internet en Afrique outre les nécessaires questions de sécurité nationale et de maintien de l’ordre public, nous l’avons évoqué dans les précédents développements, semblent également viser des enjeux politiques, au regard de leur ampleur et de leur durée.
Ces mesures sont décidées par les autorités gouvernementales dans le cadre de leur mission de service public, il s’agit donc dans la plupart des cas d’actes administratifs unilatéraux. Ce fut le cas par exemple au Gabon en 2016 où la mesure de suspension d’internet et des réseaux sociaux avait été prise par le ministre de la communication. Dans le cas du Gabon ou du Bénin c’est le juge constitutionnel qui sera en dernier ressort compétent pour connaître du recours[22]. Il lui reviendra de déterminer si l’acte administratif ou la loi ayant servi de fondement à l’acte administratif attaqué est contraire à la constitution[23]. Autrement dit c’est la cour constitutionnelle qui va statuer sur la violation du droit à la liberté d’expression par la mesure de blocage d’internet. Seront alors examinées dans le cadre de ce contrôle les conditions de légalité de nécessité et de proportionnalité de la mesure attaquée.
Les requérants peuvent aussi saisir les juridictions au niveau régional notamment la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pour demander la condamnation d’un État qui aurait manqué à ses obligations en vertu de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Ce recours demeure toutefois limité à l’épuisement des voies de recours internes et surtout à l’acceptation de la juridiction de la Cour par l’État dont les ressortissants ont initié le recours. Cette Déclaration spéciale d’acceptation de la compétence de la Cour par l’État permet aux citoyens de saisir directement la Cour. Or à ce jour moins d’une dizaine d’États sur le continent ont expressément reconnu la compétence de la Cour ADHP[24]. Pour le moment aucune affaire liée au droit d’accès à internet n’a été porté devant la haute juridiction africaine.
En revanche des actions ont été introduites contre certains États comme le Cameroun ou le Togo respectivement au niveau national et sous régional. Ces recours sont le plus souvent portés par des ONG installées sur place. C’est le cas par exemple au Cameroun où une affaire est actuellement devant le Conseil constitutionnel. En janvier 2020, Internet a été fermé à la suite de protestations contre l’arrestation de dirigeants de la société civile résistant aux efforts du gouvernement pour imposer les systèmes juridiques et éducatifs francophones dans ces régions à majorité anglophone. Internet est resté fermé pendant 93 jours et a été réactivé des heures après que Veritas Law, une ONG, ait déposé une requête devant le Conseil constitutionnel Camerounais aux fins non seulement de déclarer cette mesure contraire à la constitution mais aussi d’empêcher le gouvernement de fermer Internet à l’avenir. La décision du Conseil constitutionnel est attendue. Une décision importante récente vient cependant d’être rendue sur le continent.
Le 25 juin 2020, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a rendu une décision à la suite d’une plainte déposée en décembre 2018 contre l’État du Togo par sept organisations non gouvernementales (ONG) basées au Togo et une journaliste blogueuse. Les plaignants contestaient sur le fondement l’art 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la légalité des coupures d’internet survenues du 5 au 10 septembre et du 19 au 21 septembre 2017, lors des manifestations de l’opposition organisées depuis la mi-août 2017 appelant à des réformes constitutionnelles, dont la limitation du nombre de mandats présidentiels.
La cour a d’abord rappelé dans le paragraphe 38 de sa décision que l’accès à internet « n’est pas un droit fondamental stricto sensu » mais qu’il s’agissait d’une composante, un droit dérivé du droit à la liberté d’expression qui méritait d’être protégé au même titre : « Il est nécessaire que l’accès à internet et la liberté d’expression soient considérés comme faisant partie intégrante des droits de l’homme. Dans ce contexte, l’accès à internet doit être considéré comme un droit qui requiert la protection de la loi et toute ingérence dans celle-ci doit être prévue par la loi en précisant les motifs d’une telle ingérence. »
Cette position s’inscrit dans la lignée de la conception « classique » du droit d’accès à internet, c’est-à-dire celle adoptée par la plupart des juridictions internationales. Comme nous l’avons vu, elle permet au juge de contourner les difficultés matérielles liées à la reconnaissance d’un droit fondamental d’accès à internet, notamment les droits subjectifs qui en naîtraient au profit des justiciables, tout en protégeant le libre accès des populations à cet outil en s’appuyant sur la liberté d’expression, en particulier le droit de rechercher, de recevoir et de partager des informations garanti par l’art 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples à laquelle le Togo est partie.
Compte tenu du rôle désormais prépondérant d’internet dans la vie démocratique et la réalisation et la jouissance non seulement du droit à la liberté d’expression mais aussi de plusieurs autres droits, tels que le droit au travail pour certaines professions dont les activités sont principalement en ligne, une évolution de la jurisprudence sur ce point dans un avenir relativement proche n’est pas à exclure.
Il s’agit d’une décision majeure pour le droit d’accès à internet, qui crée un précèdent puisque la Cour de justice communautaire de la CEDAO a reconnu pour la première fois sur le continent que la mesure de coupure d’internet décidée par le Togo en 2017 constitue une violation de la liberté d’expression : « La Cour note que le défendeur justifie l’action de l’État togolais de fermer l’accès à Internet sur la base de manifestations qui ont eu lieu. Selon le défendeur, lesdites manifestations risquaient de dégénérer en guerre civile et il était donc impératif pour l’État de protéger la sécurité nationale du pays. Si cet argument a du mérite et été internationalement reconnu comme un moyen de défense valable pour déroger à certains droits, le fondement essentiel de de l’exercice de ce pouvoir de dérogation est qu’il doit être fait conformément à la loi. En d’autres termes, il doit exister une législation nationale garantissant l’exercice de ce droit tout en prévoyant les conditions dans lesquelles il peut y être dérogé. Ces conditions peuvent inclure, mais sans s’y limiter, l’intérêt public, la sécurité nationale, la santé publique, l’ordre public, etc. la Cour a donc estimé que le défendeur n’a présenté ni par référence, ni autrement la preuve d’une telle loi. Sur cette note la Cour conclut que le défaut du défendeur de fournir ladite loi est une preuve que son action n’a pas été faite conformément à la loi et, par conséquent, soutient la maxime latine « Ex turpi causa non oritur actio ». Dans ces circonstances, il est clair qu’en l’absence de toute loi, le défendeur a violé l’art 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. La Cour estime donc que le fait pour le défendeur de fermer l’accès à Internet est une violation du droit des demandeurs à la liberté d’expression ». [25]
Le raisonnement de la Cour est logique. Elle s’appuie sur l’article 9 de la CADHP qui prévoit que « Toute personne a droit à l’information. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements ». Elle reconnaît dans un premier temps que les impératifs de maintien de l’ordre public, la sécurité nationale, la santé publique etc. peuvent être soulevés et justifier des dérogations au droit à la liberté d’expression[26]. Cependant la Cour relève que ces conditions doivent être prévues par la loi. Or en l’espèce aucune législation nationale n’a servi de fondement juridique à cette mesure de coupure des réseaux sociaux et d’internet. Ainsi l’absence de législation nationale spécifique prévoyant les conditions dans lesquelles les autorités publiques togolaises peuvent déroger ou restreindre la liberté d’expression en ligne tel que le prévoit l’article 9 de la CADHP frappe la mesure d’illégalité. L’exigence d’un cadre législatif est une sorte de canevas qui vise à se prémunir contre l’arbitraire étatique en permettant aux justiciables d’avoir des moyens de défense clairs sur une éventuelle méconnaissance de leurs droits par les autorités administratives.
L’on peut cependant regretter que la Cour de la CEDEAO ne se soit pas prononcée sur les conditions de nécessité et de proportionnalité de ces coupures d’internet et des réseaux sociaux, ce qui aurait constitué une lecture audacieuse dépassant la simple lettre de l’article 9 de la CADHP relatif à la liberté d’expression, puisque cet article ne fait pas mention de ces formalités, laissant le soin aux États d’en déterminer les modalités d’application. Une telle approche aurait en outre donné une assise plus consistance et solide à sa décision. Néanmoins la reconnaissance de la violation du droit d’accès à Internet et l’injonction de non-répétition formulées par la haute juridiction Ouest Africaine à l’endroit de l’État togolais peuvent être considérées comme un signal fort pour la liberté d’accès à internet et les mesures de blocages récurrents sur le continent.
Au regard de ce qui précède un citoyen dispose donc de la possibilité d’attaquer une mesure de limitation d’accès à internet en période électorale, en invoquant d’une part son droit fondamental à la liberté d’expression, et en établissant d’autre part le caractère disproportionné entre autres, de ladite mesure. Cette voie d’action, est possible contre l’État aussi bien devant la juridiction nationale et régionale, que contre le fournisseur d’accès à internet en droit interne.[27]
En somme, il faut un cadre législatif et réglementaire spécifiques à internet définissant les contours et les conditions pour les mesures de blocages. Une des solutions consiste à subordonner les restrictions et les coupures d’internet à une décision préalable du juge. Ainsi lors du contrôle de constitutionnalité de la loi HADOPI adoptée le 13 mai 2009[28] le Conseil constitutionnel français se basant sur l’article 11 de la DDHC de 1789, a censuré l’article 11 de cette loi en ce qu’il conférait à une autorité administrative, sans autres garanties, le pouvoir de suspendre l’accès à internet d’un usager ayant procéder à des téléchargements illégaux et méconnu les droits de la propriété intellectuelle.
Que l’on soit en période électorale ou non, les limitations d’accès à internet de masse doivent rester exceptionnelles, être fondées sur la loi, respecter les conditions de proportionnalité et de nécessité et surtout être ordonnées par un juge. Or la tendance actuelle laisse à penser que l’on s’achemine vers une banalisation de ces coupures. Il appartient aux citoyens, aux membres de la société civile africaine de faire valoir pleinement leurs droits devant les instances juridictionnelles nationales et africaines pour exercer une pression sur les gouvernements.
[1] Voir par exemple Q. Van Enis, « Les mesures de filtrages et de blocages de contenus sur internet : Un mal (vraiment) nécessaire dans une société démocratique ? Quelques réflexions autour de la liberté d’expression », Rev.Trim D.H., 2013 pp 859-886 et ID., « Le droit de recevoir des informations ou des idées par le biais d’internet, parent pauvre de la liberté d’expression dans l’ordre juridique européen », J.E.D.H., 2015 pp173-201.
[2] Le Rapporteur spécial des Nations-Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression définit le blocage d’internet comme « Les mesures prises pour empêcher un utilisateur final d’avoir accès à certains contenus », ONU Assemblée Général 16 mai 2011, Rapport A/HRC/17/27, §29. Pour le filtrage voir par exemple Le rapport du Groupe de spécialistes sur les droits de l’homme dans la société de l’information sur l’utilisation et l’impact des mesures de filtrage techniques pour divers types de contenus dans l’environnement numérique. 26 février 2008. Le filtrage y est décrit comme « L’application d’une limite technique à l’accès aux contenus internet ».
Le rapport CIPESA « Dictateurs et restrictions : cinq dimensions des coupures d’internet en Afrique » publié en février 2019 donne une définition de cette pratique : « Une restriction d’accès à Internet, souvent appelée coupure d’Internet, est le blocage intentionnel de l’accès à Internet ou à certains services d’Internet comme les réseaux sociaux. La coupure d’Internet est principalement ordonnée par les gouvernements désireux de perturber les communications et de restreindre l’accès à l’information aux citoyens, afin de réduire ce que les citoyens peuvent y voir, faire ou transmettre. ».
[3] Dans un rapport du Site TOp10VPN sur « le coût mondial des coupures d’internet en 2019 », l’Inde est le pays le plus touché par ce phénomène avec plus de 100 coupures d’internet recensées pour la seule année 2019. D’autres États comme la Chine ont procédé à des coupures d’internet à grande échelle https://www.accessnow.org/cms/assets/uploads/2020/02/KeepItOn-2019-report-1.pdf
[4]Susana SALGADO, The Internet and Democracy Building in Lusophone African Countries, Londres / New York, Routledge, 2016. Muzammil M. HUSSEIN et Philip N. HOWARD (dir.), State Power 2.0 : Authoritarian Entrenchment and Political Engagement Worlwide, Londres / New York, Routledge, 2016. Peter FERDINAND, The Internet, Democracy and Democratization, Hoboken, Taylor and Francis, 2013 (livre numérique).
Rongbin HAN, Contesting Cyberspace in China : Online Expression and Authoritharian Resilience, New York, Columbia University Press, 2018.
[5] M. Béra et E. Mechoulan, La machine Internet, Odile Jacob 1999, P.79 et S. Rodota, La démocratie électronique, éd. Apogée 1999.
[6] A. Lepage, Libertés et droits fondamentaux à l’épreuve d’internet, droits de l’internaute, liberté d’expression sur l’internet, Responsabilité ; éditions du Juris Classeur, P.2, 2002.
[7] M. Hardt et A. Negri, Multitude. Guerre et démocratie à l’âge de l’empire, Paris, La Découverte, 204, P408, cité par A. Lepage.
[8] Dans plusieurs décisions les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont usé de cette expression pour souligner l’importance et le rôle essentiel des journalistes et plus largement des citoyens dans le débat démocratique et les sujets d’intérêt général en communiquant des idées et des informations sur internet : Voir par exemple : CourEDH, 15 février 2005, Steel et Morris c. Royaume-Uni, n°68416/01. « Dans une société démocratique, même des petits groupes militants non-officiels (…) doivent pouvoir mener leur activité de manière effective et qu’il existe un net intérêt général à autoriser de tels groupes et les particuliers en dehors du courant dominant à contribuer au débat public par la diffusion d’informations et d’opinions sur des sujets d’intérêt général comme la santé et l’environnement […], En tant qu’organisation non gouvernementale spécialisée en la matière, la requérante a donc exercé son rôle de “chien de garde” conféré par la loi sur la protection de l’environnement ».; Voir aussi CourEDH, 27 mai 2004, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, n°57829/00, §42 ; cité par F. Tréguer, Internet dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, RDLF 2013, chron. n°13.
[9] Affaire Pravoye §63 citée par Félix Treguer, In Internet dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, RDLF
[10] Dans l’affaire Bowman c. Royaume-Uni – 24839/94 Arrêt du 19 février 1998, la Cour EDH a indiqué que Les États disposent d’une marge d’appréciation en ménageant un équilibre entre le droit à des élections libres et la liberté d’expression. Elle a « jugé nécessaire avant ou pendant une élection de prévoir des restrictions à la liberté d’expression, alors qu’elles ne seraient pas habituellement pas admissibles. »
[11] La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples par exemple fait référence au « Droit de toute personne à l’information. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et des règlements ». De même l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), de 1948 fait lui aussi mention du « Droit de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières les informations et les idées par quelques moyens que ce soit », ou l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose « Toute personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ». Il s’agit du noyau dur du système de protection des droits de l’homme. Ces instruments ont été ratifiés par la majorité d’États africains
[12] Résolution 20/8 du Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur la promotion et la protection des droits de ‘homme sur internet.
[13] Voir par exemple l’Affaire Scarlet c. Sabam, C670/10, C.J.U.E 24 novembre 2011, l’Affaire Sabam c. Netlog, C-360/10 C.J.U.E 16 février 2012, dans lesquelles la Cour de Justice de l’Union Européenne a condamné l’imposition d’une mesure de filtrage généralisée à l’égard respectivement d’un fournisseur d’accès et d’un hébergeur.
[14] Quentin Van Enis, Filtrage et Blocage de contenus sur internet au regard du droit à la liberté d’expression, in L’Europe des Droits de l’homme à l’heure d’internet, Bruyant,2019, P 134. Voir aussi, Comité des Droits de l’Homme, Observation n°34, sur l’art 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques protégeant la liberté d’opinion et la liberté d’expression, CCPR/C/GC/34, 12 Septembre 2011 §43.
[15] Cons. Const., 10 février 2017, n°2016-611, QPC, M. David P. (Délit de consultation habituelle de sites terroristes). Le Conseil a retenu dans cette décision, une atteinte de l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.
[16] Conseil constitutionnel, « Commentaire de la décision n°2009-580 DC, 10 juin 2009, Loi relative à la diffusion et à la protection de la création sur internet », Les cahiers du Conseil constitutionnel, 2009, n°27, p. 7.
[17] A/HRC/20/L.13 du 29 juin 2012
[18] CourEDH Yildirim c. Turquie 18/03/2013, dans cet arrêt qui opposait l’exploitant d’un site internet à l’État de Turquie, La Cour EDH a estimé que la mesure litigieuse équivalait à une restriction résultant d’une ordonnance préventive bloquant l’accès à un site Internet. La Cour EDH considère que la mesure litigieuse produisait des effets arbitraires et ne pouvait pas être considérée comme visant uniquement à bloquer l’accès au site Web incriminé, puisqu’elle consistait à bloquer en gros tous les sites Web hébergés par Google Sites.
La Cour EDH a estimé que des dispositions légales spécifiques sont nécessaires, car les dispositions générales et les clauses régissant la responsabilité civile et pénale ne constituent pas une base valable pour ordonner le blocage d’Internet.
[19] J-F Théry, le droit public et internet : petites affiches 10 nov.1999, p43 cité par Agathe Lepage, Libertés et droits fondamentaux à l’épreuve d’internet, p20.
[20] Dans son rapport intitulé «Dictateurs et restrictions : cinq dimensions des coupures d’Internet en Afrique », La Collaboration sur la politique internationale des TIC en Afrique orientale et australe (CIPESA), l’un des deux centres créés dans le cadre de l’initiative «Catalyser l’accès aux TIC en Afrique» (CATIA) et financé par le Département britannique du développement international (DfID), révèle que pas moins 22 gouvernements africains ont ordonné des coupures du réseau Internet au cours des quatre dernières années. En 2018, il y a eu 21 cas de pannes partielles ou totales d’Internet, contre 13 en 2017 et 4 en 2016, selon Access Now, un groupe de surveillance indépendant.
[21] Loi N°2018-1202 du 26 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, JORF n°0297 du 23 décembre 2018. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037847559&categorieLien=id
[22]Selon l’article 84 de la Constitution du Gabon du 26 mars 1991, « la Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur la constitutionnalité […] des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques ». Ces actes réglementaires, aux termes de l’article 85, « […] peuvent être déférés à la Cour constitutionnelle […] par tout citoyen ou toute personne lésée par […] l’acte querellé ». Bien plus, « Tout justiciable peut, à l’occasion d’un procès devant un tribunal ordinaire, soulever une exception d’inconstitutionnalité à l’encontre […] d’un acte qui méconnaîtrait ses droits fondamentaux… » (article 86). Non seulement le constituant gabonais a attribué le contrôle de constitutionnalité des actes administratifs réglementaires au juge constitutionnel mais il confère aussi au citoyen la possibilité de saisir le juge constitutionnel pour faire respecter effectivement ses droits et libertés fondamentaux, soit par voie d’action soit par le biais de l’exception d’inconstitutionnalité dans le cadre d’un procès en cours devant la juridiction administrative ou judicaire. Sur la question de la compétence, la Cour constitutionnelle du Gabon dans une décision n°006/94/CC du 15 septembre 1994 s’est reconnue compétente pour connaître du « contentieux de la régularité juridique des actes réglementaires ». Elle a confirmé cette position dans une autre décision n° 008/ CC du 17 avril 2001, COGAPNEU. V. « Note sous Cour constitutionnelle du Gabon, décision n° 008/CC du 17 avril 2001 », in Afrique Juridique et Politique, La Revue du CERDIP, vol. 2, n° 1, janvier-juin 2003, p. 171-181, spéc. p. 172, note n° 2.
Il s’agit d’une singularité que le Gabon partage avec le Benin. Voir à ce sujet, V. C. Keutcha Tchapnga, « Droit constitutionnel et conflits politiques dans les États francophones d’Afrique noire », Cette Revue, 63,2005, p. 451-491 et A. Bourgi, « L’évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l’effectivité », cette Revue, 52, 2002, p. 721-748.86. V. C. Keutcha Tchapnga, « Le juge constitutionnel, juge administratif au Bénin et au Gabon ? », Revue française de droit constitutionnel, 2008/3 n°75, pp551-5583. Sylvestre Kwahou, Le contentieux administratif gabonais en 13 leçons, Droit et science politique, 2016, PP226 ; Téléphone Ondo, Les bases constitutionnelles du droit processuel gabonais, Libreville, Éditions Raponda-Walker, 2010, 235
[23] Il s’agit de la théorie de la loi écran. Dans la plupart des États, le juge administratif est compétent pour connaître des recours contre les actes administratifs. Cependant selon la théorie de l’écran législatif, un acte administratif peut être confronté à la Constitution s’il n’est pas pris sur la base d’une loi, mais qu’en revanche il ne peut lui être opposé le respect de la Constitution dès lors qu’il s’appuie sur une loi. Celle-ci fait écran, elle s’interpose entre la Constitution et l’acte administratif. Cf. C. Debbasch, Droit administratif, 6e éd., Paris, Economica, 2002, p. 86.
[24] Voir le site de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, http://www.african-court.org/fr/index.php
(Consulté le 11/01/2021). Seuls Six (06) États ont fait cette Déclaration d’acceptation de compétence de la Cour ADHP. Il s’agit du Burkina Faso, de la Gambie, du Ghana, du Malawi, du Mali, et de la Tunisie.
[25] http://prod.courtecowas.org/wp-content/uploads/2020/09/JUD_ECW_CCJ_JUD_09_20.pdf
[26] De façon plus globale la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples ne contient pas de clauses dérogatoires, échappatoires ou libératoires, au contraire des principaux instruments de protection des droits de l’homme au niveau universel ou régional à l’instar du système onusien, américain ou du Conseil de l’Europe. Michel Virally les définit comme les clauses permettant de « suspendre temporairement ou définitivement, soit l’ensemble des obligations assumées, soit, le plus souvent, certaines d’entre elles seulement, ou bien encore de rendre applicable un système alternatif d’obligations moins contraignant que celui qui s’applique normalement, lorsque se présentent certaines circonstances plus ou moins précisément définies qui justifient le recours à cette possibilité ». Sur cette question lire par exemple, Fatsah Ouguergouz, La charte africaine des droits et des peuples, Une approche juridique des droits de l’homme entre traditions et modernité, Institut de hautes études internationales, Presses universitaires de France, Paris, 1993.
[27] Sur l’organisation, le fonctionnement et les pouvoirs de ses deux organes du système africains de protection des droits de l’homme, voir Nisrine Eba Nguema « La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et sa mission de protection des droits de l’homme », La Revue des droits de l’homme (en ligne), Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux Décembre 2017, Consulté le 21/05/2019 à 20h http://journals.openedition.org/revdh/2844 ; DOI :10.4000/revdh.2844
Pour des approfondissements sur le régime de responsabilité des intermédiaires, voir par exemple F. Dubuisson et I. Rorive, « La liberté d’expression à l’épreuve d’Internet », in Entre Ombres et Lumières. Cinquante ans d’application de la Convention des droits de l’homme en Belgique, Bruxelles, Bruyant, 2008, pp 362-394. Voir également K. Lemmens, « La liberté de la presse à l’époque d’internet. Vers une jurisprudence Strasbourgeoise 2.0 ? in L’Europe des droits de l’homme à l’heure d’internet, (Dir) Q. Van Enis et Cécile de Terwangne, pp 271-294
[28] Aussi appelée loi « Création et Internet « , elle vise à lutter contre le piratage. Ce projet de loi présenté en juin 2008, prévoit notamment de lutter contre le téléchargement illégal via le dispositif de » riposte graduée « . Une série d’avertissements serait adressée à l’internaute puis, en cas de récidive, une suspension temporaire de la connexion à Internet pourrait être prononcée par l’autorité administrative nouvellement créée, HADOPI (Haute Autorité pour la Diffusion, des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet). Nombreuses ont été les critiques, tant sur le caractère disproportionné de la sanction, l’accès à Internet étant considéré par certains comme un droit fondamental à l’information et à la libre expression, que sur la nature administrative – et non judiciaire – de l’autorité en charge de ce dispositif. Décision n°2009-580 DC du 10 juin 2009 sur la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.
Sujet très édifiant qui s’inscrit dans l’ère du temps en Afrique. Ce fut plaisir de lire
Bonjour Madame très belle article félicitations. Étant étudiant camerounais à l’institut des relations internationales du cameroun cet article pourrait réellement m’aider dans le cadre de mon mémoire de recherche sur le thème : les nouveaux media dans les processus de credibilisation des scrutins électoraux en Afrique Francophone : une analyse à partir de la présidentielle de 2018 au cameroun.
Si possible je voudrais avoir des éléments dans ce sens
Merci.