Contribution à une théorie africaine des droits de l’Homme : analyse de la Charte de Nairobi à partir des traditions africaines
Les droits de l’Homme sont la grande affaire du monde moderne. Mais la vérité est que les droits de l’Homme ne sont pas que de l’époque contemporaine. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’humanité il est possible d’en trouver quelques traces. Le monde moderne, sous l’influence occidentale tend plutôt à véhiculer une vision unique des droits de l’Homme en voulant imposer une universalité qui ne traduit que sa seule vision sur le sujet. Or, la conception des droits de l’Homme diffère à certains égards dans l’espace et dans le temps. La présente étude s’inscrit dans cette perspective du relativisme des droits de l’Homme pour contribuer à l’analyse d’une théorie africaine des droits de l’Homme.
Human rights are the big business of the modern world. But the truth is that human rights are not just contemporary. As far back as we go in the history of humanity it is possible to find some traces of it. The modern world, under Western influence, tends rather to convey a single vision of human rights by wanting to impose a universality that only translates its only vision on the subject. However, the conception of human rights differs in some aspects in space and time. This study is part of this perspective of the relativism of human rights to contribute to the analysis of an African theory of human rights.
Par Alassane Soufouyanou Abdourahimoune, Docteur en droit public de l’Université Alassane Ouattara (Bouaké, Côte d’Ivoire), enseignant vacataire à l’Université Djibo Hamani de Tahoua (Niger), Chercheur au Centre d’Etudes et de Recherches en Droit et Finances Publiques (CREDFiP).
« L’idée que la personne humaine est détentrice de droits naturels ou de droits octroyés par le Souverain (l’Etat, le Roi), traverse toutes les époques, toutes aires de civilisations, les cultures et traditions… »[1]. Ces mots du Professeur TALL postulent l’idée que les droits de l’Homme sont universels. Cela dénie, normalement tout intérêt à notre sujet d’étude ainsi libellé : « Contribution à une théorie africaine des droits de l’Homme, analyse de la charte de Nairobi à partir des traditions africaines ». Kéba M’Baye n’a-t-il pas affirmé que « parler des droits de l’homme en Afrique est paradoxal dans la mesure où par essence les droits de l’homme concernent tout homme et tous les hommes à la fois »[2]. Et pourtant, le titre de notre étude épouse l’idée d’un certain relativisme des droits de l’Homme même si nous convenons qu’il existe une affirmation universelle pour le respect des droits humains. Essayons donc d’en comprendre les termes avant de revenir sur la « prétendue » universalité des droits de l’Homme qui permet de contextualiser le sujet et de lui donner tout son intérêt. Les expressions « théorie africaine » et « traditions africaines » nous semblent nécessiter une définition pour en cerner les contours.
Étymologiquement, la « theoria » signifie la vision, le regard. Dans une définition plus élaborée, la théorie est conçue comme un « ensemble organisé de principes, de règles, de lois scientifiques visant à décrire et à expliquer un ensemble de faits »[3] ; elle pourrait être aussi une « construction intellectuelle, hypothétique et synthétique, organisée en système et vérifiée par un protocole expérimental »[4]; elle serait également un « ensemble de lois formant un système cohérent et servant de base à une science, ou rendant compte de certains faits »[5]. De manière plus lapidaire, Boris Barraud estime qu’une « théorie est la définition d’un objet d’étude et la prescription d’une méthode d’étude »[6].
Malgré la diversité de ces définitions, l’on peut retenir, pour l’essentiel, que la théorie est un ensemble ordonné de principes, règles et lois qui interagissent, visant à expliquer de manière rationnelle des faits ou des situations selon un point de vue considéré. Surgit alors un autre problème définitionnel posé par Maurice Ahanzo Glélé. Celui-ci se demande, en effet s’il existe « une ou des théories des droits de l’homme en Afrique » ou si l’Afrique a « sécrété […] ou élaboré […] une théorie originale des droits de l’homme et des peuples ? »[7]. Cette interrogation, loin d’être banale nous invite à éluder la question de savoir s’il existe une seule Afrique ou des Afriques. Bien entendu, il serait trop hasardeux de dire qu’il y a, en Afrique, une unicité de culture, de manière de faire et de voir le monde. Par contre, il existe un minimum de valeurs communes que l’on retrouve dans toutes les régions de l’Afrique : la famille, la communauté, le droit d’ainesse, le respect des père et mère, pour ne citer que celles-là. C’est dans ce cadre d’une Afrique partageant des valeurs fondamentales que doit s’entendre l’expression théorie africaine au singulier. Dans la même veine, l’expression « traditions africaines » épouse le même cheminement, prenant en compte, cette fois ci, le pluralisme culturel. Ce pluralisme culturel postule l’idée que les traditions africaines sont multiples mais se réunissent, toutes, autour d’un socle de valeurs communes : c’est cela qui fonde le passage des « traditions africaines » à une « théorie africaine » des droits de l’Homme. Notre analyse portera donc sur la vision, la conception et la perception que l’africain se fait des droits de l’Homme à travers la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples adoptée le 27 juin 1981 par l’OUA, à la lumières des cultures, des traditions et des valeurs communes aux africains.
Pourquoi alors parler d’une théorie africaine dans un monde ou la « prétendue » universalité[8] des droits de l’Homme est à la mode ? Cette mode, il faut le reconnaitre, n’est pas vécue de manière uniforme et unanime. Soixante-quinze ans après l’internationalisation des droits de l’Homme, suite aux affres de la seconde guerre mondiale, l’universalité ou l’universalisme des droits de l’Homme est toujours en questions[9]. Bernard Quelquejeu, semblant accepté de clore le débat doctrinaire sur l’universalité ou la non universalité, préfère réorienter les discussions autour de la question suivante : « de quelle universalité les droits de l’Homme relèvent-ils[10]? »
Certains observateurs relèvent, selon Bernard Quelquejeu, que tels qu’ils figurent dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), « les droits de l’homme sont les fruits de l’histoire européenne, ils reflètent les richesses et les acquis de l’humanisme occidental, ils sont l’expression de conceptions sociales et politiques qui valorisent unilatéralement l’autonomie et l’individualisme aux dépens des liens sociaux traditionnels qui ont pu se tisser dans d’autres cultures ou tels qu’ils dérivent d’autres conceptions anthropologiques et/ou religieuses »[11]. Dans cette perspective, la prétention des droits de l’Homme « à l’universalité serait adossée à la suprématie industrielle et technicienne et à la puissance militaire : elle ne serait que l’expression de l’impérialisme occidental »[12]. Cette analyse rapportée par Bernard Quelquuejeu résume assez bien l’état d’esprit de certains observateurs. En vérité, le processus d’internationalisation des droits de l’Homme a été forgé sous le prisme des influences européennes sur les instances internationales. Dans ce sens, le cheminement des droits de l’Homme sur la sphère internationale a suivi les traces du droit international qui a été, pendant longtemps, un droit européo-centré, véhiculant une vision du monde avec un regard européen. C’est pourquoi Maurice Kamto appelle à décoloniser le droit international[13].
Pour notre part, nous sommes partisans d’une universalité de vocation et de conception. Sous cet angle, l’idée que l’être humain est titulaire de droits est un concept universellement partagé ; quel que soit, par ailleurs la source de ces droits ou le responsable de leur réalisation. Nous convenons de même que le respect des droits de l’Homme est une vocation partagée par toute l’humanité parce que sa survie en dépend. Dans l’atteinte de cette vocation, nous estimons que la diversité humaine doit être prise en compte : la richesse de l’humanité vient de sa diversité culturelle et non d’une volonté d’imposition d’un modèle unique qui prétend être supérieur aux autres. L’universalité comme vocation doit s’inscrire non pas dans « une négation même de tout pluralisme » et se comprendre comme la somme des pluralismes et non comme l’absorption, c’est-à-dire en définitive la synthèse – ou le syncrétisme – de ceux-ci »[14]. On irait dans le sens de la « pluriversalité »[15] : l’unité dans la diversité.
Du reste, il est « intolérable de voir des pays occidentaux venir « donner la leçon » sur les droits, en général civils et politiques, à des peuples africains qu’ils ont des années durant humiliés, bafoués, bâillonnés, voire encore torturés hier »[16]. Cette attitude peut être vue même comme un expansionnisme à connotation néo-impérialiste et néocoloniale. D’où la nécessité d’une diversité des droits de l’Homme. Toutes les sociétés n’ont pas les mêmes préoccupations, donc tous les droits ne sont pas conçus de la même manière en fonction des sociétés. Toute culture exprime son expérience « de la réalité et de l’humanum par des concepts et des symboles qui appartiennent à cette tradition et, comme tels, ne sont pas universels, et, très vraisemblablement pas universalisables »[17]. Les influences culturelles, historiques, philosophiques et religieuses agissent nécessairement dans la manière de concevoir le contenu même des droits de l’Homme, car « […] pour qu’ils soient intelligibles et sciemment évalués, les droits de l’Homme ont besoin d’être situés dans le temps et l’espace qui les ont vu naitre […] où ils prennent tout leur sens et, comme tels, varient selon les sociétés »[18]. Le Professeur TALL relève à juste titre que « l’Afrique, berceau de l’humanité, possède une tradition séculaire d’humanisme »[19]. Les droits de l’Homme ne peuvent, donc, « dériver d’un seul mode de pensée enrobé de références judéo-chrétiennes et de valeurs de la civilisation occidentale »[20]. Comme le dit Panikkar, « les droits de l’Homme accèdent à l’Universel comme expression de valeurs communes au genre humain ».
Des développements qui précèdent, il est clair que l’on ne peut nier à l’Afrique d’avoir une conception propre des droits de l’Homme, même si le continent s’ouvre aux autres conceptions au gré de la mondialisation et de la globalisation. Notre étude s’attache à identifier cette philosophie sous le prisme d’une confrontation entre la Charte de Nairobi et les traditions essentiellement négros africaines. Se pose alors une question : la Charte de Nairobi traduit-elle la philosophie africaine des droits de l’Homme ? Autrement dit, dans quelle mesure cette charte reflète une vision des droits de l’Homme issue des traditions africaines ?
La conception africaine des droits de l’Homme est tributaire de la conception africaine du monde et du droit. L’Africain, a-t-on coutume de le dire, n’est jamais seul. Famille et solidarité sont les socles de sa vision du monde. Comme le relève très justement Maurice Ahanzo Glélé, en Afrique, «l’individu ne se réalise pleinement que dans la société, du lignage à l’ethnie et à l’État. »[21] Il est définitivement l’animal social-type dont parlait Aristote[22]. L’ubuntu sud-africain résume assez bien cette vision : « je suis, parce que nous sommes ». Une vision opposée à celle du cogito : « je pense, donc je suis »[23]. Appliquée aux droits de l’Homme, la conception africaine dégage deux principes fondamentaux auxquels se greffent tous les autres : l’individu n’a pas que des droits, il a aussi des devoirs ; les droits de l’individu ne sauraient méconnaitre les droits des collectivités. Prenant en considération ces principes ancrés dans les sociétés africaines, la Charte de Nairobi adopte une conception fondée les devoirs de l’individu qui cohabitent en toute symbiose avec ses droits (I) et sur la communauté, permettant aux droits individuels de côtoyer harmonieusement les droits collectifs (II).
I. Une théorie des droits de l’homme fondée sur les devoirs de l’individu
Le premier pilier de la théorie africaine est le sens aigüe de la responsabilité de l’individu au sein de la communauté. Autant qu’il a des droits, il a des devoirs qu’il doit remplir pour faire régner l’harmonie, la paix sociale et la prospérité pour tous. Les rédacteurs de la Charte de Nairobi ont compris cet impératif. C’est pourquoi la Charte de Nairobi énumère un certain nombre de devoirs de l’individu[24] envers autrui, la famille, la société, l’État et même la communauté internationale[25]. Or, « les instruments internationaux qui ont précédé [la Charte africaine] et qui ont parlé des devoirs de l’individu l’on fait avec une économie de mots qui trahit le manque de conviction de leurs auteurs »[26]. Quand on connait le sens du commun de la société africaine, les droits et les devoirs ne sont nullement contradictoires. Ils interagissent et s’imbriquent harmonieusement. Les textes africains des droits de l’Homme, en particulier la Charte africaine, traduisent cette dialectique existentielle. Une place de choix est consacrée aux devoirs, avec un contenu assez détaillé et surtout une double destination (B). Ces devoirs ainsi définis sont sous-jacents de l’individu-communautaire que demeure l’africain (A).
A. Les devoirs, une philosophie sous-jacente de l’individu communautaire
En Afrique, l’individu se définit toujours par rapport à son appartenance communautaire. Il se définit d’abord par rapport à son ethnie, par rapport à son clan et par rapport à sa famille. Demandez à un nigérien « vous êtes quoi ? », il répondra spontanément que « je suis haoussa, ba’adaré, bagobiri, zarma songhaï… ». Cette appartenance dont il se réclame lui impose un code de conduite qu’il doit respecter. C’est donc un ambassadeur du groupe, et en tant que tel il doit agir comme tout le groupe l’aurait fait. Les droits qu’il réclame au groupe lui imposent des devoirs, ses droits sont les devoirs du groupe et ceux du groupe ses devoirs ; à cet égard droits et devoirs sont complémentaires et intimement liés (1). Insérés dans des instruments juridiques, les devoirs de l’individu sonnent tantôt comme des injonctions morales, tantôt comme de véritables obligations juridiques ; ceci rend incertaine leur portée juridique (2).
1. La nécessaire complémentarité entre droits et devoirs
Dans les traditions ancestrales africaines la bonne conduite, le respect de la parole donnée et le respect des autres maintiennent l’équilibre et l’harmonie dans le groupe social. Chacun a le devoir d’adopter un comportement exemplaire dans et à l’extérieur du groupe. L’individu africain n’a pas que des droits car, « Le droit africain traditionnel considère les devoirs comme l’autre face des droits subjectifs de l’homme. Les uns et les autres sont intimement mêlés »[27]. Les spiritualités africaines et les grandes religions reconnaissent toutes l’importance des devoirs dans l’accomplissement des droits.
De même que la philosophe européenne des droits de l’Homme fonde leur existence dans l’inhérence à la nature humaine, de même les africains conçoivent et acceptent l’existence des devoirs soit imposés par les « dieux », soit transmis par les ancêtres, soit enfin nécessaires pour la vie en communauté. Ainsi, existe-t-il des devoirs envers Dieu, envers les anciens, envers les géniteurs, les parents, les voisins. Ces devoirs sont divers et leur ampleur tient compte du degré des relations entretenues.
Pour s’en convaincre il suffit de se référer au contenu de deux textes transcrits des traditions orales africaines. Il s’agit de la Charte du Mandé (Serment des Chasseurs) et de la Charte de Kurukan fuga[28]. Ces deux textes dont les contenus sont aussi actuels qu’évocateurs en matière de droit remontent respectivement à 1222 et 1236.
Ainsi, l’énoncé 3 du serment des chasseurs donne des injonctions à tout individu de « veille[r] sur son prochain », de « vénér[er] ses géniteurs », d’« éduque[r] comme il se doit ses enfants » ainsi que d’ « entret[enir et ] pourvoi[r] aux besoins de sa famille ». Ce sont là de véritables devoirs de l’individu envers ses semblables qu’il doit respecter. Plus importants sont les devoirs de l’individu vis-à-vis de ses géniteurs et de sa famille. Il doit vénération et obéissance aux uns et entretien et protection aux autres. Qu’on les appelle obligations, devoirs ou responsabilités, ces injonctions sont, encore de nos jours, le vécu des africains. Un africain qui ne respecte pas ses parents n’a aucune considération dans la société. De même, un africain qui ne prend pas soin de sa famille devient la risée de la société. Il n’y a pas pire humiliation pour un africain que de ne pas s’acquitter de ces deux catégories de devoirs.
L’énoncé 4 du serment des chasseurs quant à lui énumère les devoirs de l’individu vis-à-vis de son pays, de sa communauté. Il est de l’obligation de « chacun [de] veille[r] sur le pays de ses pères ». Par pays de ses père, faso, il ne faut pas seulement entendre l’État, entité morale délimitée par des frontières, il faut également et surtout entendre les êtres humains qui y habitent. Car « toute terre qui verrait les hommes disparaitre de sa surface deviendrait aussitôt nostalgique »[29]. L’individu a donc un devoir de solidarité fondé sur l’humanité. Il y va de la survie de l’humanité toute entière.
Un peu plus élaborée que le serment des chasseurs, la Charte de Kurunkan fuga contient de véritables articles et se rapporte à tous les aspects de la vie sociale. Concernant particulièrement les devoirs de l’individu, l’article 30 institue un devoir d’assistance et de solidarité à l’endroit des nécessiteux[30]. L’éducation des enfants est l’affaire de toute la communauté[31]. Dans cette perspective, l’éducation est une affaire collective ; s’inscrivant dans le tissu social, elle « fait intervenir toutes les composantes de la société : la parenté, les groupes de pairs, les groupes de production, etc. […] Elle permet ainsi d’intégrer l’individu aux activités sociales, productives et de développement »[32]. C’est tirant conséquence de cela que la Charte de Kurukan Fuga argue que « la puissance paternelle incombe […] à tous »[33]. Les enfants ne sont pas seulement ceux de leurs parents biologiques, ce sont les enfants de la tante, de l’oncle et des voisins. En pays haoussa, on utilise volontiers les termes baba ou abba pour désigner le père, le grand père, l’oncle, l’ami du père ou encore le père de la famille voisine. Cette indifférenciation volontaire interdit toute différence de traitement se basant sur le degré de parenté. On retrouve ce schéma dans d’autres sociétés africaines[34]. D’où le sens de l’article 11 de la Charte de Kurukan Fuga qui interdit aux père et mère de poursuivre leur enfant qui se réfugie chez le voisin. Les parents biologiques doivent accepter l’intersession des voisins en faveur de leurs enfants. Mieux encore, l’article 40 place la parenté, le mariage et le voisinage dans le même degré de respect. En effet, le respect et « l’assistance due au voisin sont des vertus essentielles dans la vie de groupe »[35].
Une importance capitale est accordée à la parole donnée. Ainsi, deux articles lui sont consacrés dans la Charte de Kurukan fuga. L’article 23 interdit la trahison et enjoint les individus de respecter la parole d’honneur. L’article 19 quant à lui place la parole donnée au rang de beaux parents pour lesquels « tout homme […] doit respect et considération ».
Enfin, au nom de la survie collective, tout homme doit travailler. Et pour garantir le respect du devoir de travailler, un système de surveillance est institué. Il s’assure que tout individu accomplisse son devoir.
On le voit, les droits et les devoirs sont indivisibles dans la conception africaine de la vie en société. Tout homme qui vit en société a certainement des droits, mais il n’a pas que des droits. Dans l’absolu, le respect de mes droits constitue un devoir pour l’autre. L’inverse est valable car, « il faut bien se rendre compte qu’un droit n’est réel que parce qu’il est le devoir d’un autre : personne physique ou morale »[36]. En réalité, si tout le monde s’acquittait de ses devoirs, il ne serait guère opportun de réclamer quelques droits que ce soit. Ce faisant, les droits s’imposeront d’eux-mêmes et ne seront pas effrités par les revendications.
L’éthique africaine des devoirs, responsabilités et obligations pourrait permettre d’aplanir les conflits et d’asseoir une meilleure gouvernance dans le savoir-vivre, sans nécessiter de la contrainte. L’on ne peut imposer, brusquement, à une société, un mode de vie et de pensée qui lui sont totalement étrangers et s’attendre à ce que cela marche comme ailleurs, l’ailleurs qui a pris des siècles pour se forger ses propres modes de pensée et de vie. Il est heureux de constater que la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples prévoit des devoirs de l’individu et le respect des valeurs africaines de civilisation. Tout de même, la consécration des devoirs laisse planer un doute sur le caractère contraignant puisque ceux-ci vacillent entre valeurs morales et appréhension juridique.
2. L’incertaine portée juridique des devoirs
Les devoirs de l’individu dans la société traditionnelle africaine sont tantôt des obligations morales, tantôt des obligations juridiques. La non satisfaction des premières engendre des remords de conscience, celle des secondes engendre une réclamation au titre de réparation. Dans les sociétés dites modernes on accorde plus d’importance à la contrainte de la loi qu’à la réprimande morale. Or l’africain traditionnel, et dans une certaine mesure le moderne, ne voudrait pas attirer la colère des anciens et des divinités. Leur bénédiction est nécessaire dans la quiétude et la paix des groupes. C’est tout le sens, par exemple, de certains rites traditionnels durant lesquels on rend hommage aux ancêtres tout en implorant leur clémence. Bien sûr l’adoption des religions chrétienne et musulmane amoindrit de plus en plus la proportion de ces rites aux ancêtres. On invoque plutôt « Allah » et Jésus Christ. On doit donc adoration et obéissance à Dieu. Respecter l’autre dans sa différence et bien se conduire font partie des obligations religieuses. Parce qu’en réalité, l’autre représente l’humanité toute entière, ce que je dois comme obligation et responsabilité envers l’humanité je le dois à l’autre. Respecter les autres c’est respecter Dieu et ses commandements.
En tant qu’ils sont prévus par la Charte de Nairobi, une convention internationale, les devoirs de l’individu ont une valeur juridique même si leur fondement reste moral et éthique. Du reste, faut-il nécessairement opposer droit et morale, loi et éthique ? Les unes comme les autres poursuivent l’atteinte de l’ordre, de l’harmonie et de la paix dans la société qu’elles régulent. Bien sûr qu’il faut éviter de succomber à la tentation d’un ordre moralisateur construit uniquement sur la base des interdits.
Dans leur matérialité, les devoirs prévus par la Charte se classent en deux catégories : des obligations positives de faire et des obligations négatives de ne pas faire. Comme pour les États, le régime des devoirs individuels requiert tantôt l’action, tantôt l’abstention. Les obligations qui sont de l’ordre de l’action sont par exemple celles qui se rapportent à l’éducation des enfants, les soins aux parents et à la famille. Celles qui sont de l’ordre de l’abstention se rapportent aux interdictions de toute ingérence dans la jouissance par les autres de leurs droits. Et le devoir d’action et celui d’abstention sont justiciables dans une certaine mesure. Ainsi, le devoir de l’éducation des enfants entraine un droit à la pension par exemple en cas de divorce des parents[37]. Les entraves à la jouissance des droits entrainent un droit à réparation pour la victime.
D’un autre côté, on pourrait analyser ces devoirs comme les conditions d’exercice des droits prévus par la Charte. En cela, ce seraient des moyens d’appréhender le caractère non absolu des droits prévus. L’exercice de ces droits se voit ainsi aménagé. Les devoirs seront alors analysés à la lumière des limitations et restrictions prévues par les autres instruments de protection des droits de l’Homme. Les devoirs doivent être appréhendés comme un mécanisme d’aménagement des conditions d’exercice et de jouissance des droits et libertés prévus par la Charte. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’abonde la Charte africaine en « Considérant que la jouissance des droits et libertés implique l’accomplissement des devoirs de chacun »[38]. Individus et collectivités, tous, doivent pleinement assumer leurs devoirs et obligations pour que les conditions d’une jouissance effective, efficace et efficiente des droits de l’Homme soient réunies. En vérité, la portée juridique véritable des devoirs se perçoit dans leurs contenus, tel qu’invoqués dans la Charte et les instruments subséquents. La lecture de son contenu permet de relever que la Charte africaine a fait une détermination duale des devoirs de l’individu.
B. La double destination des devoirs de l’individu-communautaire
Les devoirs individuels prévus par la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ont deux catégories de bénéficiaires. Ils ont une dimension individuelle et une dimension collective, comme les droits prévus. Ceux-ci s’observent soit vis-à-vis des hommes (1), soit vis-à-vis des communautés (2).
1. Les devoirs de l’Homme à l’égard des hommes
Ce sont les articles 27, alinéa 2 et 28 qui consacrent les devoirs de l’individu vis-à-vis d’autrui, son semblable. L’article 27, alinéa 2 prévoit un régime général des devoirs individuels. Il dispose en effet que « les droits et les libertés de chaque personne s’exercent dans le respect du droit d’autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun ». Autrement dit, les droits individuels s’exercent dans le strict respect des autres dans leurs droits et libertés. Contrairement à ce qu’ont pu penser certains auteurs[39], cette disposition n’est pas dangereuse pour l’exercice des droits et libertés. A l’opposé, elle permet de prévenir l’usage abusif des droits au détriment de l’harmonie et du bon ordre social. In fine, cette disposition nous parait tempérer les individualismes à outrance et l’abus de droits.
L’exemple le plus représentatif est l’équilibre qu’il faudrait faire entre le droit à la liberté d’expression[40] et le droit à l’honneur[41], à la réputation et à la dignité. Très souvent, on a une mauvaise compréhension de ce droit ; ce qui conduit naturellement à en faire un usage erroné et corrompu. La liberté d’expression n’est pas la liberté de dire n’importe quoi prévient Gwénaële Calvès[42]. C’est justement pour prévenir et réprimer cet usage abusif qu’en droit pénal il est prévu les infractions[43] telles que la diffamation, la dénonciation calomnieuse, les injures publiques qui portent atteinte à l’honneur et à la réputation d’autrui. En fait, cet alinéa de l’article 27 de la Charte devrait être lu, ni plus ni moins, comme une ligne de conduite pour la vie en société, en société démocratique et pluraliste.
Si l’article 27 (2) pose un régime général de réciprocité entre droits et devoirs envers autrui, l’article 28 revient sur certains devoirs spécifiques. Il dispose en effet que « Chaque individu a le devoir de respecter et de considérer ses semblables sans discrimination aucune, et d’entretenir avec eux des relations qui permettent de promouvoir, de sauvegarder et de renforcer le respect et la tolérance réciproques ». Le respect, la considération, la non-discrimination et la tolérance réciproque sont les piliers qui doivent soutenir les relations interindividuelles. Il s’agit d’un devoir général de savoir-vivre et de bon voisinage[44]. Dans l’accomplissement de ce devoir, tout comme dans la jouissance des droits, aucune discrimination ne doit exister.
La non-discrimination, est un corollaire du principe d’égalité. Ainsi, dans la considération et le respect qu’ils doivent aux autres, les individus doivent traiter les autres de manière égale sans distinction injustifiée et arbitraire. La tolérance, quant à elle, consiste en l’acceptation de l’autre dans sa différence. C’est cette différence qui fonderait l’universalité des droits de l’Homme ; car, malgré tout, nous n’appartenons qu’à une et une seule espèce : l’espèce humaine[45]. Et c’est en raison de cette humanité commune que nous devons accepter et respecter les autres tels qu’ils sont. Ainsi, la tolérance s’impose dans l’exercice du droit à la liberté de conscience, de pensée et de religion. Tolérer, dans ce sens, c’est accepter et prendre conscience que l’on ne possède pas le monopole de la pensée et de la sagesse.
Même si tout homme sensé et « bon citoyen » doit accepter l’autre dans sa différence, le fait pour la Charte de prévoir un devoir individuel tendant à promouvoir et renforcer la tolérance n’est pas une incantation inutile[46]. Car, en effet, « mettre l’accent sur l’intolérance, un des phénomènes qui perturbent les rapports entre les hommes »[47] est à l’avant-garde des problèmes actuels de notre société. Il suffit, pour s’en convaincre, de s’intéresser à la montée de l’extrémisme violent à la fois politique et religieux ainsi qu’aux sentiments anti-étrangers dans le monde.
Si les devoirs de l’individu vis-à-vis des autres individus s’analysent comme une sorte de limitation dans l’exercice des droits et libertés, les devoirs vis-à-vis de certaines communautés comme la famille sont des devoirs réels, autonomes et qui ne s’adossent pas à des droits et libertés quelconques.
2. Les devoirs de l’Homme à l’égard des communautés
L’alinéa 1er de l’article 27[48] pose le champ d’application des devoirs de l’individu à l’égard des communautés. Ceux-ci se classent en trois catégories : les devoir envers la famille, envers les communautés nationales et envers la communauté internationale.
La Charte africaine rappelle que la famille est l’élément naturel de base de la nation. A ce titre elle doit être protégée par l’État et l’individua des devoirs précis à son égard. Selon l’article 29, l’individu a le devoir « de préserver le développement harmonieux de la famille et d’œuvrer en faveur de la cohésion et du respect de cette famille ». Pour l’africain, ce devoir n’est pas nouveau, l’exécution de celui-ci y va de son honneur, de sa morale et de sa place dans la société. De quelle famille s’agit-il ici ? Est-ce la famille nucléaire limitée ou la famille traditionnelle élargie ? Pour le juge Fatsah Ouguergouz il s’agit bien de la famille traditionnelle élargie[49]. La grande famille africaine est, selon KOUASSIGAN, « totalement différente de la famille du type européen par ses structures internes et par les relations qui s’y établissent entre les individus. Cette famille se présente comme une série de cercles concentriques, chaque cercle représentant une génération, la génération des enfants, des parents et des grands-parents, chacune ayant ses droits et ses devoirs bien définis. Les relations sont à la fois verticales et horizontales »[50].
L’individu a par ailleurs le devoir « de respecter à tout moment ses parents, de les nourrir, et de les assister en cas de nécessité ». La notion de parents, comme celle de famille, n’a pas été définie par la Charte. Etant entendu que la Charte elle-même s’inspire de valeurs traditionnelles africaines positives, il convient de définir le contenu du mot « parent » à l’égard de la pratique africaine. Le terme parent englobera non seulement les père et mère mais aussi les ascendants, les descendants et les collatéraux. A l’égard des père et mère, les termes de la Charte sont plutôt faibles. La Charte de Kurunkan Fuga consacre le devoir de « vénérer » les père et mère. Cela correspond mieux à l’idée que l’africain conçoit de ses géniteurs. Il ne s’agit pas d’un simple respect que l’on a l’égard de nos semblables. De manière générale, tout individu qui ne respecte pas ses géniteurs ne peut avoir d’égards pour personne. En plus du respect, l’individu a le devoir de fournir l’alimentation et l’assistance en cas de nécessité. En fait, il s’agit d’une simple dialectique de la vie ; de la même manière que les parents ont nourri leur enfant jusqu’au moment où il n’est plus nécessaire de le faire, les enfants devenus adultes ont le devoir de nourrir leurs père et mère devenus vieux. En Afrique, les vieux ne sont pas bons que pour les maisons de retraite, leurs enfants ont l’obligation d’en prendre soin[51]. Parce qu’en Afrique, la société a une structure gérontocratique où prédomine le respect des aînés[52]. Comme le souligne Alioune Badara Fall, « la place du vieillard et les relations qu’il noue avec la famille, mais aussi avec les habitants du quartier et du village tout entier dans une majorité de sociétés africaines, sont très significatives de la réalité » du communautarisme africain. La personne âgée, ajoute-t-il, « est toujours au centre des préoccupations des autres membres de la communauté »[53]. En plus de la famille, l’individu a des devoirs à l’égard d’autres entités.
L’article 29, dans ses alinéas 2 à 7, exprime les devoirs de l’individu à l’égard des entités telles que la « communauté nationale », la « société », et l’État. Les rédacteurs de la Charte utilisent indistinctement ses notions sans faire l’effort de les définir. L’article 27 prévoit même des devoirs à l’égard des « autres collectivités légalement constituées ». L’utilisation de l’expression légalement constituées peut être analysée de deux points de vue. Une première approche nous permet d’exclure la tribu, le clan et l’ethnie du bénéfice des devoirs mis à la charge des individus. De ce point de vue l’expression a tout son sens et permet de prévenir certains abus et instrumentalisations. Une seconde approche fera relever que l’expression ne fait pas de différence entre les collectivités constituées légalement à l’initiative publique et celle d’initiatives privées. Nous avons la faiblesse de croire que celles qui bénéficient des devoirs mis à la charge de l’individu sont les collectivités légalement constituées à l’initiative publique. Il s’agira alors des collectivités territoriales, locales et celles du même ordre.
A l’égard de la communauté nationale, l’individu doit mettre « […] ses capacités physiques et intellectuelles à son service ». Cet alinéa 2 doit être lu conjointement avec l’alinéa 6 qui prévoit le devoir de « travailler, dans la mesure de ses capacités et de ses possibilités, et de s’acquitter des contributions fixées par la loi pour la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la société ». Deux devoirs fondamentaux se dégagent de la lecture conjointe de ces alinéas. D’une part l’individu a le devoir de travailler, et de l’autre il a le devoir de s’acquitter des contributions fiscales fixées par la loi ; tout ceci dans l’optique de préserver et sauvegarder l’intérêt général.
Le travail est tout à la fois un droit et un devoir dans la société traditionnelle africaine. Ainsi, dans le temps, « le travail s’exerçait [à la fois] au profit du groupe mais également pour le compte de l’individu. Dans certaines unités sociales, dont le caractère communautaire était plus prononcé, une division du travail par âge permettait de mettre chacun à contribution pour assurer, dans les meilleures conditions, la vie et la prospérité de tous »[54]. Un équilibre est trouvé entre la satisfaction des intérêts individuels et la prospérité collective : « j’ai le droit de travailler pour subvenir à mes besoins personnels et j’ai le devoir de travailler car la société a besoin de mes compétences et aptitudes que d’autres personnes ne possèdent pas ».
Les alinéas 3 à 5 mettent à la charge de l’individu de ne pas compromettre la sécurité nationale – de son État de nationalité ou de résidence –, de promouvoir la solidarité sociale et nationale, de préserver et de renforcer l’indépendance nationale, l’intégrité territoriale et la défense nationale. Il s’agit ici, de promouvoir le patriotisme, le nationalisme, la citoyenneté et l’amour de son pays. Ainsi, les individus ont le devoir de ne pas causer des actes subversifs de nature à troubler l’ordre public. Dans la défense de l’intégrité territoriale et de l’indépendance nationale, les individus peuvent, selon les pays, s’enrôler pour effectuer le service militaire. Dans d’autres pays, pour la promotion de la solidarité nationale, ils peuvent effectuer le service civique national[55]. Enfin, l’alinéa 7 consacre pour l’individu le devoir de « veiller, dans ses relations avec la société, à la préservation et au renforcement des valeurs culturelles africaines positives, dans un esprit de tolérance, de dialogue et de concertation et d’une façon générale de contribuer à la promotion de la santé morale de la société ». Cet alinéa n’a pas de contenu identifiable. Il impose un comportement général dans la conduite des individus en société.
L’article 27 in fine cite, parmi les entités créancières des devoirs individuels, la communauté internationale. La définition de la communauté internationale n’est pas précisée par la Charte africaine. Est-ce la Communauté de tous les États du monde ? Est-ce une communauté limitée à certains États ? Lesquels ? En plus du problème d’identification de la communauté internationale, il n’existe pas de contenu de devoirs de l’individu à son bénéfice.
Néanmoins, l’article 29.8 met à la charge de l’individu de « contribuer au mieux de ses capacités, à tout moment et à tous les niveaux, à la promotion et à la réalisation de l’unité africaine ». Avec cette précision, on pourra logiquement dire que le devoir de l’individu vis-à-vis de la communauté internationale l’est à l’égard de la communauté africaine. Son contenu se résume donc à la promotion en tous lieux de l’idéal de l’unité africaine. Les africains ont donc le devoir de s’approprier le concept de panafricanisme et d’unité africaine. Cette appropriation devrait logiquement impulser une dynamique qui obligera les gouvernements à faire de l’unité africaine une unité des peuples et non des États et faire de l’Afrique une nation car en ce moment, les africains auront eu le sentiment partagé de vouloir vivre ensemble[56].
La Charte africaine est empreinte de valeurs africaines et de traditions basées sur la famille, les devoirs et responsabilités de l’individu. Dans une autre mesure, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples a une dimension collective en ce qu’elle prévoit des droits pour les peuples et une protection spéciale de la famille à la charge des États parties. Elle consacre ainsi la dimension communautaire de la conception africaine des droits de l’Homme.
II. Une théorie fondée sur la dimension communautaire
L’individu africain ne s’épanouit que dans la communauté. Les sociétés africaines, il est vrai, ont un caractère fondamentalement communautaire et sont fondées sur une solidarité mutuelle[57]. C’est pourquoi, la protection de l’individu en Afrique ne peut se faire sans la protection de la communauté. On n’est plus dans cette conception individualiste dans laquelle les droits de l’individu et ceux de la communauté sont antinomiques. Individu et communauté sont intimement liés. La dimension collective de la théorie africaine des droits de l’Homme s’analyse à deux points de vue. D’une part elle repose sur la protection de la cellule familiale, élément de base de la société – « micro-collectivité » – (B), d’autre part elle consacre un large éventail de droits au profit des peuples – « macro-collectivité » – (A).
A. La protection généreuse de la macro-collectivité
L’une des spécificités de la Charte africaine se perçoit dans sa dénomination. En effet, l’intitulé du texte fait cohabiter deux notions qui, a priori, sont antinomiques : l’individu – Homme – et la communauté – peuples –. On doit l’insertion de la dimension peuples dans l’intitulé et le texte de la Charte à deux pays : la Guinée et le Madagascar[58]. La notion de peuple (1) est une notion qui a fait couler beaucoup d’encre dans la doctrine internationaliste sans qu’une compréhension unanime ne se dégage de cette controverse, ce qui la rend insaisissable. Il est néanmoins satisfaisant de remarquer qu’un nombre important d’articles de la Charte explique le contenu des droits des peuples (2).
1. L’insaisissabilité de la notion de « Peuples »
Tous les textes qui consacrent un quelconque droit aux peuples ne prennent pas la peine de donner une définition[59] de la notion de peuple[60]. Or, la définition de la notion permet de savoir quelles sont les entités qui peuvent prétendre bénéficier des droits reconnus aux peuples. Cela permettrait donc d’exclure certaines entités et ainsi limiter le champ d’application personnel des droits des peuples.
On peut avoir au moins deux appréhensions du mot peuple[61]. Dans une première dimension, peuple et population d’un État seraient synonymes et renvoient ainsi aux habitants d’un pays. Dans ce cas de figure, le mot peuple est utilisé au singulier et est indissociable de l’État dont il est la représentation humaine, l’un des éléments constitutifs. On parlera ainsi de peuple nigérien par opposition au peuple français. Dans sa deuxième appréhension, le mot peuples utilisé au pluriel se réfère aux entités infra étatiques qui se distinguent de l’État. Dans cette optique on parlera de peuples haoussa, Zarma, Touareg[62]. On identifie les peuples – ou ceux-ci s’auto-identifient – à travers des identités culturelles, linguistiques, religieuses. Cette approche des peuples est distinctive, parce qu’elle réclame la différence, à l’opposé de celle du peuple qui préconise l’assimilation basée sur des critères de nationalités.
Quand on se réfère aux travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption de la Charte africaine, l’on se rend bien compte que la notion de peuple est appréhendée comme celle du peuple élément constitutif de l’État. Les droits reconnus aux peuples le sont pour les États. Et ceci semble pertinent quand on se replace dans le contexte de l’époque, celui de la décolonisation des États africains[63] vis-à-vis des colonisateurs européens. Il fallait à la fois se démarquer de l’autre tout en affirmant sans équivoque le droit des pays africains d’exister, de se gouverner et de se développer en toute égalité juridique vis-à-vis des États européens.
La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, malgré son intérêt pour les peuples, n’a pas encore donné de définition pour le terme peuples. En effet, « son très applaudi Rapport du Groupe de travail des Experts sur les populations/communautés autochtones[64], la Commission africaine a décrit le dilemme lié à la définition de ce concept ». Dans sa pratique[65], la Commission apprécie la qualité d’une communauté qui se prétend peuple in concreto. Mais de manière générale, ce sont les critères d’identité culturelle, religieuse, linguistique, historique et l’auto identification, que la Commission retient pour reconnaitre à une entité le droit de se réclamer peuple[66]. Néanmoins, ce droit de se réclamer ou déclarer peuple n’est pas opposable à l’État, celui-ci pouvant de manière discrétionnaire décider d’accorder ou refuser la qualité de peuple. Au surplus, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CAfDHP) ajoute que ceci est possible pour autant « que ces groupes ou communautés ne remettent pas en cause la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’État, sans l’accord de celui-ci »[67].
C’est peut-être l’ambiguïté, l’élasticité et la connotation hautement politique qui font craindre le Professeur Alioune Badara Fall, à la suite de Paul Gérard Pougoué « un risque réel que « la primauté accordée au groupe sur les libertés individuelles n’aboutisse à des régimes autoritaires ou dictatoriaux […] ou à un abaissement de la notion de droits de l’homme qui se dilue dans une conception communautaire » »[68]. Pour notre part, nous épousons plutôt la position de Batyah SIERPINSKI qui explique que « la controverse doctrinale sur les liens entre les Droits de l’Homme et les droits des peuples est un faux débat. Elle repose sur une transposition artificielle d’un autre débat et sur une analyse que les États se refusent apparemment à faire. En persistant, elle occulte l’analyse du rôle de ces droits dans l’ordre juridique international, c’est-à-dire l’analyse de la place réservée par les États aux hommes et aux peuples »[69].
Malgré les craintes exprimées par ces éminents juristes, les États n’ont pas pu aller à cet extrême. En tout cas, les violations des droits de l’Homme sur le continent n’ont pas été justifiées par la dimension collective des droits des peuples utilisée par la Charte africaine.
En tout état de cause, en déterminant les droits auxquels les peuples peuvent prétendre, les rédacteurs de la Charte ont, à notre sens, délimité la marge de manœuvre des États et permis d’éviter les instrumentalisations de la notion de « peuples ». Dans ce sens, une variété des droits des peuples sont protégés.
2. La variété des droits des peuples protégés
Les droits des peuples touchent divers aspects. A l’image des individus, les peuples ont le droit à l’existence[70], le droit à l’égalité et à la dignité[71], le doit au développement[72], le droit à la libre disposition des ressources naturelles[73], le droit au patrimoine commun de l’humanité[74], le droit à la paix et à la sécurité[75], et le droit à un environnement sain[76]. Dans les prochaines lignes, le droit à l’existence, le droit à l’égalité et à la dignité et le droit au patrimoine commun de l’humanité seront analysés pour illustrer l’étendue des droits des peuples et leur complexité.
Relativement aux droits des peuples, bien avant la Charte africaine, un texte de nature privée a été élaboré en 1976. Il s’agit de la déclaration d’Alger sur les droits des peuples[77]. Celle-ci a fait un long développement sur le droit des peuples à l’existence. Son article premier affirme d’emblée que tout peuple a droit à l’existence. L’article 2 consacre le droit au respect de l‘identité nationale et culturelle de tout peuple. Quant à l’article 3, il pose le principe de la conservation des droits territoriaux et fonciers qu’a tout peuple même en cas d’expulsion. Enfin, l’article 4 interdit toute persécution, massacre, déportation ou expulsion qui menacerait l’existence et l’intégrité du peuple. Mais quoiqu’elle ait pu être exhaustive, la Déclaration d’Alger n’a aucune valeur juridique contraignante, abstraction même faite de ce qu’elle fût d’initiative privée. Elle ne peut donc en aucun cas égaler la Charte africaine qui prévoit également le droit des peuples à l’existence.
Le droit des peuples à l’existence est prévu par l’article 20 de la Charte africaine. Cette dernière est le seul instrument juridique international contraignant qui consacre un tel droit aux peuples. Le juge Fatsah Ouguergouz voit dans la formulation de la première phrase de cet article une interdiction contre le génocide[78]. Le génocide est, en effet, un crime contre l’humanité au titre du droit international. Ce crime est défini par la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948[79] comme l’un des actes suivants lorsqu’ils sont commis dans l’intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtres de membres du groupe, soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entrainer sa destruction physique totale ou partielle, mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, transfert forcé d’enfants du groupe à un autre[80]. De ce qui précède, on déduit aisément que le crime de génocide et ses actes constitutifs remettent en cause le droit des peuples à l’existence. Du reste, l’interdiction du crime de génocide n’est pas un « simple » droit de l’Homme. C’est une norme impérative du droit international : une norme de jus cogens.
Quoiqu’il en soit, il est nécessaire de replacer le droit à l’existence des peuples dans le contexte de rédaction de la Charte. D’ailleurs, la suite de l’article nous y aide. Aux côtés du droit à l’existence il consacre le droit « imprescriptible » et inaliénable à l’autodétermination. Cette dernière s’effectuera par le libre choix du peuple de son « statut politique ». C’est donc un droit hautement lié à la colonisation et aux luttes indépendantistes des pays africains. L’alinéa 2 de l’article 20 pose, justement, le principe du droit des peuples « colonisés » ou « opprimés » de se libérer par tous les moyens de lutte reconnus en droit international. Dans cette entreprise de libération, les peuples ont le droit à l’assistance des États parties à la Charte africaine. Cette assistance peut être politique, économique ou culturelle[81]. Mais est-ce à dire qu’il s’agit d’un devoir d’assistance mis à la charge des États parties ? Est-ce que la non satisfaction de ce droit peut donner lieu à réparation ? Si devoir il y a, il ne s’agira que d’un devoir moral, il ne saurait donc donner lieu à réparation. De ce fait, il s’agit d’un droit plus politique que juridique. Il n’en est pas de même du droit à l’égalité.
Les droits des peuples à l’égalité et à la dignité sont garantis par l’article 19 de la Charte africaine. Cet article pose non seulement le principe d’égalité abstraite des peuples mais aussi leur égalité dans la jouissance des droits. Les peuples sont égaux, ils ont des droits égaux. Par ailleurs, cette jouissance des droits se fait dans la dignité. Cet article prône explicitement l’égalité et sous-entend implicitement l’interdiction de la discrimination entre les peuples.
Encore une fois, on décèle une tentative de protection des peuples africains contre les discriminations pratiquées par les occidentaux. Ainsi, non seulement les peuples africains sont égaux entre eux, mais aussi ils sont égaux aux autres peuples d’autres continents et parties du monde.
L’article 21, alinéa 1er de la charte de Nairobi pose le principe que « les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Ce droit s’exerce dans l’intérêt exclusif des populations. En aucun cas, un peuple ne peut en être privé ». Cet alinéa rappelle le caractère fondamentalement collectif du droit de propriété foncière en Afrique. La terre, en effet, appartient, « à une vaste famille dont de nombreux (membres) sont morts, quelques-uns vivants et d’innombrables à naître »[82]. Cette appréhension du foncier se retrouve également ailleurs[83], comme au Gabon chez les Myenne. Un autour rapporte que dans ses sociétés, « l’individu exerce ses droits fonciers dans le cadre d’un village. Ses droits fonciers ne peuvent en aucun cas concerner la propriété de la terre qui est un droit collectif relevant du clan et, à l’intérieur du clan, du lignage. Les droits individuels s’exercent sur les produits de la terre. Le cueilleur, le chasseur, le pêcheur, l’agriculteur exerce leurs droits privatifs sur les produits de leur cueillette, de leur chasse, de leur pêche, de leur champ. La propriété individuelle sur les produits de la terre n’a pas ce caractère absolu que lui reconnaît le droit occidental. Elle est limitée d’abord par la solidarité du groupe qui s’exprime par la notion izo izami (littéralement: le tien, le mien), ce qui est à toi est à moi ; en d’autres termes : za mongiami izami : ce qui est à mon frère est à moi. »[84]. Nourricière, « la terre appartient à une communauté, le canton, le village ou la famille élargie, mais jamais à un individu à titre privatif et exclusif »[85].
Entre autres droits, l’article 22 consacre le droit des peuples au respect strict de leur liberté et de leur identité. Ce droit doit être analysé à la lumière de la domination coloniale, sous toutes ses formes, dont a été victime le continent africain. Ainsi, les africains ont droit à ne pas être soumis au pouvoir des autres peuples et ont le droit de garder et promouvoir leur identité culturelle et religieuse. C’est une réponse aux colonisateurs qui prétendaient venir « apporter la civilisation »[86] sur le continent. C’était une négation de l’existence d’une civilisation en Afrique[87], du moins d’une « bonne » civilisation comme s’il y avait une hiérarchisation des civilisations.
Selon l’article 22 alinéa premier, tous les peuples ont le droit « à la jouissance égale du patrimoine commun de l’humanité ». Mais qu’est-ce que le Patrimoine Commun de l’Humanité (ci-après PCH) ?[88] La notion de PCH a pris sa source dans le droit international, plus particulièrement dans le droit des espaces (aériens et maritimes) et les questions de l’usage et du transfert des technologies. En effet, dans les années 1960, face au « boom » technologique des pays industrialisés, les pays sous-développés ont réclamé et déclaré des droits d’user équitablement des découvertes scientifiques. La mise en œuvre d’un tel droit parait impossible car, à certains égards, il remettrait en cause les droits de propriété intellectuelle. Les domaines sur lesquels la jouissance du droit au PCH peut être exercée concernent les ressources nouvelles des espaces extraatmosphériques et des espaces de haute mer. Pour ce qui est de la portée juridique de la notion de PCH, Selon BEKKOUCHE M. Adda « le concept de patrimoine commun de l’humanité sous-entend l’existence d’une propriété, en tant que richesse, qui appartient de manière indivisible à tous les hommes »[89]. Mohamed Bedjaoui voit dans le PCH un moyen d’assurer la « sécurité économique collective »[90]. Il s’agit d’un droit de propriété collective sur les richesses qui ne sauraient faire l’objet d’appropriation souveraine et égoïste des États. L’exploitation de ses ressources doit être faite de concert avec tous les États du monde, et celle-ci ne doit en aucun cas nuire aux intérêts du genre humain. C’est en quelque sorte un droit de solidarité dont le titulaire est l’espèce humaine. L’article 140 de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer[91] précise que les activités menées dans la zone du PCH le sont dans l’intérêt de l’humanité tout entière, et ce, indépendamment de la situation géographique des États en tenant tout particulièrement compte des intérêts et besoins des États en développement[92] et des peuples encore sous domination coloniale. Mais, dans la pratique, l’on regrette une « appropriation oligarchique de zones internationales »[93] des mers et des espaces extraatmosphériques. Concernant les fonds marins par exemple, l’on constate une approche cavalière des USA qui ont même adopté une loi nationale, le « Deep Seabed Hard Minerai Resources Act »[94].
Le fait que la Charte africaine protège le droit à l’égale jouissance du PCH, en l’état actuel du droit international et des relations internationales, a une portée plus idéologique que juridique. Les violations actuelles et passées de l’égale jouissance de ce droit n’ont pas été condamnées par une instance juridictionnelle ou quasi-juridictionnelle internationale. Les poids économiques, l’avancée technologique et la puissance dans les relations internationales sont les seuls moyens d’user de ce droit. Créé pour les États sous-développés, il est pour l’instant accaparé par les États industrialisés et développés.
La dimension collective du droit africain des droits de l’Homme se rapporte aux droits des peuples. Elle se rapporte également à la protection dont fait l’objet la cellule familiale, élément de base de toute société.
B. La protection réservée de la micro collectivité
Dans les sociétés africaines d’hier, encore d’aujourd’hui et certainement de demain, la famille est la base de toute vie sociale. Sa protection est donc sacrée. Très loin de la conception européenne de la famille, la famille africaine est une famille « étendue, large [et] majeure »[95]. Cette grande famille, qui confère son statut à l’individu, met à la charge de ses membres des obligations. C’est du respect de ces obligations intrinsèques que l’individu tire ses droits et privilèges.
La protection de la cellule familiale, dans la charte africaine, reste minimaliste au regard du rôle qu’elle assigne à la famille (1). De même, les rédacteurs de la Charte ont été amnésiques en ce qui concerne le mariage (2).
1. La protection minimaliste de la cellule familiale
L’article 18 fait de la famille « l’élément naturel et la base de la société »[96]. A ce titre, l’État a l’obligation de la protéger. Cette disposition se rapproche des prescriptions de la DUDH. L’alinéa 3 de son article 16 dispose en effet que « La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État »[97]. Au niveau régional, un tel droit n’existe pas dans le texte de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Par contre, la Charte Sociale Européenne, reconnait comme 16ème principe que la « famille, en tant que cellule fondamentale de la société, a droit à une protection sociale, juridique et économique appropriée pour assurer son plein développement ». La Convention Américaine des Droits de l’Homme (CADH offre la même protection que le texte de la Charte africaine et la DUDH. Elle prévoit en son article 17, alinéa 1er, que la « famille est l’élément naturel et fondamental de la société ; elle doit être protégée par la société et par l’État ».
Dans l’obligation de protection telle que définie par la Charte, l’État veille à la santé physique et morale de la famille. La santé de la famille repose donc en premier sur les épaules de l’État. Ainsi, il a l’obligation de rendre disponibles les formations sanitaires ainsi qu’un personnel soignant. Est-ce à dire que l’État a l’obligation de rendre gratuits les soins médicaux ? Ce n’est pas précis. Mais à la lumière des pratiques étatiques, l’obligation de l’État est infrastructurelle et en ressources humaines compétentes.
Quant à la santé morale de la famille il s’agit de la préservation des bonnes mœurs. La famille en est la gardienne. Et l’État doit l’assister dans le domaine de la sauvegarde de la morale et « des valeurs traditionnelles reconnues par la Communauté »[98]. Il est important à ce stade de retenir que les valeurs traditionnelles dont il s’agit sont celles qui sont compatibles avec l’objet et le but de la Charte : la défense des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Vu l’importance accordée à la famille par la Charte[99], on s’attendait à une protection de la vie privée familiale. Aucune disposition de la Charte n’en fait mention. Pourtant, il y a une quasi-unanimité des instruments internationaux des droits de l’Homme sur la consécration du droit à la vie privée familiale[100]. Le droit à la vie privée est défini non seulement comme le droit permettant de construire une intimité personnelle mais englobe également « le droit pour l’individu de nouer et développer des relations avec ses semblables »[101]. Le droit à la vie privée recouvre la protection de la vie intime, la protection du domicile, des correspondances et de la réputation de l’individu. De même, au contraire de la CSE, la Charte africaine ne prévoit pas un droit à la protection sociale pour la famille, ni d’ailleurs pour l’individu. Or, ayant affirmé son caractère collectif et ayant fait de la famille la base de la société, l’on s’attendait à une protection juridique satisfaisante et une protection matérielle adéquate de ce noyau de base. La protection accordée à la famille ne semble pas être à la hauteur de son importance dans la conception africaine du droit et des droits de l’Homme.
Le texte africain méritait les précisions que l’on retrouve par exemple dans la DUDH. Celle-ci, après avoir rappelé l’importance de la famille, explique que cette dernière a droit à une existence conforme à la dignité humaine. Dans ce sens, la protection sociale devrait combler les insuffisances des rémunérations perçues par les travailleurs dans le but t’entretenir leur famille[102]. De même, l’article 25, alinéa 1er pose le principe que « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant », ce droit individuel ainsi posé doit lui assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires. Ces besoins fondamentaux de l’individu et de la famille doivent être assurés par l’État et ses démembrements. A tout le moins, l’État a l’obligation de définir les principes généraux relatifs à l’atteinte de conditions de vie saines, suffisantes et décentes. A défaut de telles précisions dans la Charte africaine, nous estimons que la protection de la famille prescrite est minimaliste. Au-delà du silence sur le contenu des droits de la famille, la Charte s’est abstenue de faire mention du droit au mariage dans son corpus. Cet « oubli » est pour le moins assez curieux.
2. L’oubli curieux du mariage comme base de la famille
Il est communément admis en Afrique, encore aujourd’hui – à plus forte raison dans le contexte de rédaction de la Charte –, que le mariage est le moyen privilégié, si ce n’est l’unique de formation de la famille. La Charte africaine marque encore une fois sa singularité par rapport aux autres instruments généraux, universels comme régionaux de protection des droits de l’Homme. C’est absurde de relever qu’il n’existe ni la notion de mariage, ni le droit au mariage dans une convention qui accorde une place importante à la protection de la famille.
Sur ce point, l’Afrique concède un retard par rapport aux conventions universelles et régionales des droits de l’Homme. Au plan universel, la DUDH avant de faire de la famille l’élément naturel de base de la société, dans son article 16 alinéa 3, a commencé par prévoir un droit au mariage à la fois pour l’homme et la femme dès « l’âge nubile »[103]. Il est clair que dans la lettre et l’esprit de cet article le mariage a pour vocation principale et peut-être exclusive de permettre aux futurs époux de « fonder une famille ». Sans s’attarder sur l’existence ou non d’un droit au mariage, le PIDESC précise que « Le mariage doit être librement consenti par les futurs époux »[104]. Pour sa part, le PIDCP précise, en des termes quasiment identiques que la DUDH que « Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme à partir de l’âge nubile »[105].
Au plan régional, la Convention EDH consacre sans équivoque le droit au mariage. Son article 12 dispose que « A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ». Le système européen renvoie donc aux droits nationaux la latitude de déterminer les conditions nécessaires à la jouissance du droit au mariage. Dans le système interaméricain, le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme « s’ils ont l’âge requis et réunissent les conditions exigées à cet effet par les lois nationales, dans la mesure où celles-ci ne heurtent pas le principe de la non-discrimination établi dans la présente Convention »[106]. La Charte arabe des droits de l’Homme est plus détaillée sur ce droit. Son article 33, alinéa 1er dispose que « La famille est la cellule naturelle et fondamentale de la société; elle est fondée sur le mariage entre l’homme et la femme; le droit de se marier et de fonder une famille selon les règles et les conditions régissant le mariage, est reconnu à l’homme et à la femme dès qu’ils sont en âge de contracter un mariage. Il ne peut y avoir de mariage sans le plein et libre consentement des deux parties […]»
Cette quasi-unanimité des conventions internationales, universelles et régionales, sur l’existence d’un droit au mariage nous conforte dans l’idée qu’en ne prévoyant pas un tel droit les rédacteurs de la Charte africaine laissent perplexes.
Le refus de faire toute allusion au mariage par les rédacteurs de la Charte de Nairobi nous invite à un certain questionnement relativement au mode de formation de la famille en prenant en compte les traditions et civilisations africaines. Est-ce à dire que la famille, cellule de base de la société, peut être fondée autrement que par le mariage ? Si tel est le cas, ne serait-ce pas incompatible avec sa mission de « gardienne de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la Communauté »[107] ? Ne serait-ce pas là une passerelle dangereuse pour le travestissement des mœurs et des valeurs traditionnelles africaines ?
Au demeurant, ce silence peut être diversement interprété. On pourrait en déduire que la famille peut être formée par tout moyen. Ou même que deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage, chose qui, même si elle est admise ailleurs, fait débat en Afrique. Ou encore que les rédacteurs ont eu peur de ne pas dresser les contours du droit au mariage quand on sait qu’en Afrique le mariage ne lie pas seulement un homme et une femme : il peut s’entendre de l’union entre un homme et plusieurs femmes[108]ou une femme et plusieurs hommes[109], même si cette dernière hypothèse est des plus rares.
C’est peut-être par mesure de prudence que les rédacteurs de la Charte se sont abstenus de toute référence au mariage. En tout état de cause, prévoir un droit au mariage aurait permis aux rédacteurs de la Charte de préciser les conditions de formation du mariage telles que le consentement et son expression, l’âge du mariage et peut être les potentielles parties au mariage ainsi que de canaliser le rôle des familles tant il est vrai que le mariage africain n’est jamais exclusivement une affaire entre deux époux isolés mais entre des familles, des lignées et même dans une certaine mesures des villages. KOUASSIGAN schématise assez bien le caractère collectif et non interindividuel du mariage traditionnel africain[110]. Même de nos jours ce caractère du mariage survit à l’étatisation des sources du droit. Les cérémonies de fiançailles ou de dot sont la preuve que le mariage échappe encore à la maitrise absolue des futurs époux. Les familles sont hyper-présentes à travers les symboles qui rappellent, à chaque étape de l’engagement matrimonial, l’origine sociale ou ethnique des époux. Le droit moderne des Etats indépendants consacrent un certain pluralisme juridique favorable à la perpétuation des droits traditionnels en matière de mariage. C’est ce conservatisme coutumier et le poids des religions qui font que dans certains pays comme le Niger il n’y a pas encore un Code de la Famille.
Tout de même, certains textes subséquents à la Charte africaine ont évoqué le mariage et le droit au mariage. Il en est ainsi du Protocole de Maputo sur les droits de la femme en Afrique (ci-après protocole de Maputo). Celui-ci, étant un texte relatif aux droits de la femme, a évoqué son droit au mariage, ses droits dans le mariage et après la dissolution du mariage. L’article 6 du protocole de Maputo précise que « Les États veillent à ce que l’homme et la femme jouissent de droits égaux et soient considérés comme des partenaires égaux dans le mariage ». Plus concrètement, ils doivent s’assurer que le mariage soit formé par consentement mutuel[111], de définir l’âge minimum du mariage pour la fille à 18 ans[112], d’encourager la monogamie[113], de privilégier le mariage civil devant l’officier d’état civil[114], etc.
Pour sa part, la CADBE a évoqué le mariage sur deux aspects : d’une part pour fixer des limites liées à l’âge des futurs époux et d’autre part pour préserver l’intérêt supérieur de l’enfant pendant et après le mariage. Ainsi, concernant l’âge du mariage, elle prévoit que « Les mariages d’enfants et la promesse de jeunes filles et garçons en mariage sont interdits et des mesures effectives, y compris des lois, sont prises pour spécifier que l’âge minimal requis pour le mariage est de 18 ans […] »[115]. Pour ce qui concerne la préservation des intérêts de l’enfant, l’article 18 dispose que « […] Les États à la présente Charte prennent des mesures appropriées pour assurer l’égalité de droits et de responsabilités des époux à l’égard des enfants durant le mariage et pendant sa dissolution. En cas de dissolution, des dispositions sont prises pour assurer la protection des enfants. Aucun enfant ne peut être privé de son entretien en raison du statut marital de ses parents ».
Malgré les précisions apportées par ces textes, le besoin de définir le droit au mariage et d’en dresser les contours demeure au regard de nouvelles orientations sociales en cours dans le monde. Un protocole additionnel à la Charte pourrait intervenir pour consacrer sans équivoque le droit au mariage et dresser le régime juridique de celui-ci.
Conclusion
Devoirs et communauté sont les deux piliers principaux de la vision africaine du droit et des droits de l’Homme. La Charte de Nairobi reflète suffisamment cette vision. Du point de vue juridique, des questions demeurent sans réponses relativement aux devoirs de l’individu. Ce dernier est tributaire de devoirs à l’égard de plusieurs entités. Par contre, quid de la justiciabilité de ces devoirs ? Si concernant les droits, leurs mécanismes de justiciabilité sont réglés par les textes, il n’en est pas de même pour les devoirs. Aucun mécanisme n’est prévu par la Charte pour obliger les individus à s’acquitter de leurs devoirs. N’est-ce pas là une fidélité à demi-mesure aux traditions africaines ? Pour quelle finalité prévoir des devoirs, au titre d’obligations juridiques, sans s’assurer que les tributaires s’en acquitteront ou assumeront les éventuelles sanctions consécutives à leurs inexécutions ?
Les récents développements du système judiciaire de l’Union africaine consacrent le régionalisme africain en matière de droit pénal international. La future Cour Africaine de Justice, des Droits de l’Homme et des Peuples (CAJDHP) aura en son sein une section de droit pénal international. Cela implique qu’elle sera compétente pour juger des individus qui commettraient des infractions qui relèvent de sa compétence. Les Etats pourraient inclure des dispositions pour s’assurer que les individus contrevenant à leurs devoirs en vertu de la Charte puissent être poursuivis par la future CAJDHP. Cela permettrait une pleine justiciabilité des devoirs des individus.
[1] TALL S.N., Droit des organisations internationales africaines, L’Harmattan, Dakar, 2015, p.313.
[2] M’BAYE K., « Les droits de l’homme en Afrique », in Unesco, Les dimensions internationales des droits de l’homme, 1980, p. 644.
[3] V° « Théorie », in Le petit Larousse illustré 2011, Larousse, 2010.
[4] V° « Théorie », in Trésor de la langue française.
[5] Idem.
[6] BARRAUD B., « La théorie du droit », in La recherche juridique (les branches de la recherche juridique), L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2016, p. 21.
[7] GLELE AHANHANZO M., « Théorie et pratique des droits de l’homme dans l’Afrique contemporaine », Annales africaines, Dakar, Université de Dakar, 1986-1987-1988, p. 132.
[8] Si les droits de l’Homme ont accédé à l’universalisme ou à l’universalité, il faut encore déterminer le sens à donner à ce concept, tant les positions se trouvent diamétralement opposées même chez ses défenseurs. Ainsi, selon Bernard Quelquejeu, Paul Ricoeur propose une distinction entre deux démarches qui se réclament l’une et l’autre de l’universalité, mais qui sont de nature et de visée très différentes : « l’une revendique un universel de prétention, qui prétend imposer l’universalité de ses références en invoquant un universalisme d’entendement, de type scientifique ; l’autre atteste un universel d’intention, porteur…d’une universalité en quelque sorte potentielle, mais non d’une universalité actuelle (au moins dans ses expressions contemporaines) […]» Voir QUELQUEJEU B., « De quelle universalité les droits de l’homme relèvent-ils ? », Revue des sciences philosophiques et théologiques 2011/3 (Tome 95), pp. 619-630, pp.621-622. Cette distinction a le mérite de faire comprendre que l’universalité en elle-même est diverse, elle n’est pas unique. Pour sa part, Etienne Le Roy suggère que l’universalité des droits de l’Homme doit être entendue comme un « requis » et non un « acquis ». Voir, LE ROY É. (1995). L’accès à l’universalisme par le dialogue interculturel. Revue générale de droit, 26(1), 5-26. Il rejoint, la deuxième conception de l’universalité proposée par Paul Ricœur. C’est-à-dire l’universalité des droits de l’Homme comme intention, comme souhait et non comme quelque chose d’actuel et de réalisé, mais peut être de réalisable. Dans cette grille de lecture, l’universalité des droits de l’Homme est une recherche permanente et un défi quotidien. Lauréline FONTAINE fait la distinction entre l’universalisme comme qualité et l’universalisme comme conséquence. En tant que qualité, l’universalisme « est un ensemble de revendications liées aux différenciations établies artificiellement des hommes, voire parfois, de différenciations « naturelles » (le sexe) ». Cet universalisme serait donc une forme de contestation des discriminations, un universalisme pour les « dominés ». En tant que conséquence, l’universalisme véhiculerait un certain formalisme qui fait de la norme un moyen de l’effectivité des droits. Dans ce sens, comme conséquence, l’universalisme « se jugerait…à l’aune de la garantie juridique effective attachée aux droits… universels parce que juridiques ». Voir FONTAINE L. (dir.), Cahiers de la Recherche sur les Droits Fondamentaux, n°7, « L’universalité des droits de l’homme en question(s), la Déclaration universelle des droits de l’Homme, 60 ans après », 2009, pp12-13. Jack Donnely établit la distinction entre l’universalité conceptuelle et l’universalité substantielle. La première est liée à l’idée de l’existence de droits en raison de la simple nature humaine. L’universalité substantielle se rattache à l’universalité des sources formelles des droits. Ainsi, certains droits sont universels parce que consacrés par des textes universels. On se retrouve dans le vieux débat qui oppose les jus naturalistes et les positivistes à propos du droit et des droits de l’Homme. Voir DONNELLY J., « The Relative Universality of Human Rights », 29 Hum. Rts. Q. 281, 2007, p. 282, cité par ABAMBRES JORGE M.Z. La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples : une Charte de l’homme africain ? Etude contextuelle au regard des aspects culturels des juridicités africaines, Thèse de doctorat en droit, Université Paris, Panthéon Sorbonne, 2021, pp.269-270.
[9] FONTAINE L. (dir.), Cahiers de la Recherche sur les Droits Fondamentaux, n°7, « L’universalité des droits de l’homme en question(s), la Déclaration universelle des droits de l’Homme, 60 ans après », 2009, 207p.
[10] QUELQUEJEU B., op. cit., pp. 619-630.
[11] QUELQUEJEU B., idem.
[12] QUELQUEJEU B., op. cit., p.620.
[13] KAMTO Maurice, « Le droit international et la décolonisation inachevée », conférence, Université du Québec à Montréal, le 7 février 2020.
[14] MILHAT C., « Le constitutionnalisme en Afrique francophone. Variations hétérodoxes sur un requiem », Politéia, nº 7, 2005, p. 692.
[15] EBERHARD Chr., « Penser le pluralisme juridique de manière pluraliste. Défi pour une théorie interculturelle du droit », Cahiers d’anthropologie du droit, nº 2, 2003. Cet auteur invite à « quitter l’univers pour le “plurivers” pour pouvoir penser le pluralisme juridique de manière pluraliste ».
[16] MEYER-BISCH P., le corps des droits de l’Homme : l’indivisibilité comme principe d’interprétation et mise en œuvre des droits de l’Homme, Fribourg, Editions Universitaires Fribourg Suisse, 1992, p. 299.
[17] PANIKKAR R., « La notion des droits de l’homme est-elle un concept occidental? », Interculture, 1984, vol. 82, p.14
[18] YACOUB J., Les droits de l’Homme sont-ils exportables ? Géopolitique d’un universalisme, Paris, Ellipses, 2005, pp.5-6.
[19] TALL S.N., Droit des organisations internationales africaines, l’Harmattan, Dakar, 2015, p.315.
[20] TALL S. N., Droit des organisations internationales africaines, op. cit., p. 329.
[21] GLELE AHANHANZO M., « Introduction à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples », Mélanges Claude-Albert Colliard, Pedone, 1984, p.511.
[22] Voir ARISTOTE, Les Politiques, traduit du grec ancien par PELLEGRIN PIERRE, Flamarion, 2015, 592p.
[23] FRATH. P. « Cogito versus ubuntu : sauvegarder les langues et les cultures africaines ». Les Cahiers de l’ACAREF (Vol. 1/N°3– décembre 2019,), Collection Plurilinguisme dirigée par l’Observatoire Européen du Plurilinguisme., pp 217-239.
[24] ETEKA YEMET V., La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, Paris, l’Harmattan, 1996, p. 237.
[25] Articles 27 et s. de la Charte.
[26] IBIABAG I., « Les sources des libertés publiques », in MELONE S. (dir.), Encyclopédie Juridique de l’Afrique, Tome sixième, Droit des personnes et de la famille, Abidjan, Dakar Lomé, Nouvelles Editions Africaines, 1982, p. 151.
[27] M’BAYE K., Les droits de l’Homme en Afrique, A. Pédone, Paris, 1992, p.38
[28] Les deux textes sont reproduits intégralement dans par le CELTHO, CELTHO (collectif), La Charte de Kurukan Fuga. Aux sources d’une pensée politique en Afrique, L’Harmattan, Paris, 2008, 164p.
[29] Le Serment des Chasseurs, énoncé 4.
[30] Article 30 « Venons en aide à ceux qui en ont besoin ».
[31] Le Juge M’BAYE Kéba explique mieux que nous la portée du droit-devoir à l’éducation en Afrique traditionnelle. En effet, le droit à l’éducation « s’exprimait sous la forme d’un devoir mis à la charge de la communauté pour faire de chaque enfant un élément adapté et utile au groupe. L’éducation incombait non pas seulement aux parents, mais également aux grands-parents, aux frères et sœurs, aux oncles et tantes, aux cousins et cousines, et même aux amis et aux voisins. Chacun participait activement à la formation et à la surveillance des jeunes gens et des jeunes filles pour faire d‘eux de « bons citoyens »». M’BAYE K., « Les droits de l’Homme en Afrique » in VASAK K., Dimensions internationales des droits de l’Homme, Manuel destiné à l’enseignement des droits de l’Homme dans les universités, UNESCO, Paris, 1978, p. 654, voir également M’BAYE K., Les droits de l’Homme en Afrique, A. Pédone, Paris, 1992, p. 55.
[32] BABA-MOUSSA A. R., MOUSSA L. M. et RAKOTOZAFY J., Fondements et philosophie de l’éducation des adultes en Afrique, Yaoundé, Presses Universitaires d’Afrique, 2014, p.97.
[33] Charte de Kurukan Fuga, article 9.
[34] Un auteur rapporte que « chez les peuples du Bénin, il n’existe pas de mots propres pour distinguer le père de ses frères et sœurs, comme en Europe où ceux-ci sont appelés oncles et tantes, mots totalement différents de celui de père tant par leur étymologie que par leur consonance. Chez les Mina, par exemple, la distinction intervient à partir d’un mot-clé, celui de “ tata ” ou “ ata ” qui désigne le père. Le frère aîné du père, c’est “ ata-gan ” ou pèreaîné et le frère cadet “ ata-vi ” ou père-cadet. Les suffixes “ gan ” et “ vi ” permettent d’apprécier l’âge des oncles par rapport au père, mais n’introduisent pas une différence dans le comportement de l’enfant à l’égard de son père d’une part et des frères de ce dernier d’autre part ». Voir KOUASSIGAN G. A. QUELLE EST MA LOI ? Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille en Afrique noire francophone, A. Pédone, Paris, 1974, p.224.
[35] TAMSIR NIANE D., « Introduction », in CELHTO, La Charte de Kurukan Fuga, aux sources d’une pensée politique africaine, l’Harmattan, Paris, 2008, p.19.
[36] M’BAYE K., op. cit., p 164
[37] Dans ce sens, l’article 18 de la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant dispose que « 2. Les Etats à la présente Charte prennent des mesures appropriées pour assurer l’égalité de droits et de responsabilités des époux à l’égard des enfants durant le mariage et pendant sa dissolution. En cas de dissolution, des dispositions sont prises pour assurer la protection des enfants ; 3. Aucun enfant ne peut être privé de son entretien en raison du statut marital de ses parents. »
[38] Voir le préambule de la Charte africaine.
[39] Par exemple, le juge Fatsah Ouguergouz a soutenu que « Prima facie […] le chapitre II de la première partie de la Charte Africaine donne au lecteur l’impression que cette dernière reprend d’une main ce qu’elle offre de l’autre et qu’elle marque, en réalité, une régression plutôt qu’un progrès dans le processus de libération de l’individu en Afrique ». Voir OUGUERGOUZ F., « Chapitre VI : les devoirs de l’individu » in OUGUERGOUZ F., La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples : une approche juridique des droits de l’Homme entre tradition et modernité [en ligne], Graduate Instute Publications, pp.2-3, consulté le 22-01-2018, disponible sur internet à l’adresse http://books.openedition.org/ihrif/2184
[40] L’article 9 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples explique que « 1. Toute personne a droit à l’information. 2. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements ». De même, la Constitution nigérienne du 25 novembre 2010 prévoit en son article 30 que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, d’opinion, d’expression, de conscience, de religion et de culte. L’Etat garantit le libre exercice du culte et l’expression des croyances. Ces droits s’exercent dans le respect de l’ordre public, de la paix sociale et de l’unité nationale ».
[41] C’est ainsi que le PIDCP le consacre à son article 17 qui dispose que « 1. Nul ne sera 1’objet […] d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes » la CADH le prévoit comme suit : « Article 11. Protection de l’honneur et de la dignité de la personne 1. Toute personne a droit au respect de son honneur et à la reconnaissance de sa dignité. 2. Nul ne peut être l’objet d’ingérences arbitraires ou abusives dans sa vie privée, dans la vie de sa famille, dans son domicile ou sa correspondance, ni d’attaques illégales à son honneur et à sa réputation. 3. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles ingérences ou de telles attaques. ». L’article 13 de la même CADH tout en consacrant le droit à la liberté d’expression en précise les conditions de son exercice. En effet, « […] 2. L’exercice du droit [à la liberté d’expression] comporte des responsabilités ultérieures qui, expressément fixées par la loi, sont nécessaires : a. Au respect des droits ou à la réputation d’autrui ; ou b. à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, ou de la santé ou de la morale publiques. ». Voir également l’article 10 de la CEDH dont l’alinéa 2 explique que l’exercice du droit à la liberté d’expression et des libertés corrélatives comporte « […] des devoirs et des responsabilités […] qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, [interdisant toute atteinte] à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
[42] CALVES G., « La liberté d’expression n’est pas la liberté de dire n’importe quoi », Constructif, n°56, volume 2, 2020, pp.54-57.
[43] Selon l’article 60 du Code pénal nigérien, « Sont considérés comme délits […] 10) [les] outrages aux bonnes mœurs, publications interdites ou dangereuses pour la jeunesse […] 12) faux témoignage, subornation de témoins, faux serment, dénonciation calomnieuse; 13) diffamation, injures ou outrages […] ».
[44] OUGUERGOUZ F., op. cit., p.15
[45] Le juge Fatsah Ouguergouz estime que la non-discrimination ainsi envisagée par l’article 28 peut être élargie dans les rapports entre les hommes et les femmes. Il interdit en cela les discriminations basées sur le genre. Cf, OUGERGOUZ F., op. cit., idem.
[46] MBAYE K., Les droits de l’Homme en Afrique, A. Pedoné, Paris, 1992, p. 216
[47] MBAYE K., op. cit., idem.
[48] Article 27. « […] Chaque individu a des devoirs envers la famille et la société, envers l’État et les autres collectivités légalement reconnues et envers la Communauté internationale ».
[49] OUGERGOUZ F., op. cit.,p. 17.
[50] KOUASSIGAN G. A. QUELLE EST MA LOI ? op. cit. p.223.
[51] Le juge Kéba M’Baye explique les devoirs de l’individu vis-à-vis des parents en ces termes « En Afrique, selon la tradition, les parents font l’objet de profond respect de la part de leurs enfants, mais également sont secourus quand leur situation le nécessite. D’ailleurs ces secours ne se limitent pas seulement aux père et mère, mais s’étendent aux ascendants et même aux collatéraux. », Voir MBAYE Kéba, op. cit., idem.
[52] BABA-MOUSSA A. R., MOUSSA L. M. et RAKOTOZAFY J., Fondements et philosophie de l’éducation des adultes en Afrique, Yaoundé, Presses Universitaires d’Afrique, 2014, p.96.
[53] FALL A. B., « La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme », Le Seuil, Pouvoirs, N° 129, Vol.2, 2009, pp.90-91.
[54] M’BAYE K., « Les droits de l’Homme en Afrique » in VASAK Karel (dir.), Les dimensions internationales des droits de l’Homme, Manuel destiné à l’enseignement des droits de l’Homme dans les universités, UNESCO, Paris, 1978, pp. 653-654. L’auteur explique cette division de travail par âge en ces termes « Ainsi, dans le Gandoul (îles du Sangomar à l’embouchure du Saloum, au Sénégal), les enfants surveillaient les champs et le bétail, les jeunes gens pêchaient, les hommes adultes cultivaient les champs, les femmes préparaient les repas et assuraient la propreté des maisons et des rues, alors que les personnes âgées tissaient les pagnes. Ainsi, chacun mettait ses compétences et son industrie à la disposition du groupe ».
[55] Il en est ainsi au Niger.
[56] Définition traditionnelle de la nation. Voir RENAN E., « Qu’est-ce qu’une nation ? », Conférence à la Sorbonne, le 11 mars 1882.
[57] BABA-MOUSSA A. R., MOUSSA L. M. et RAKOTOZAFY J., op.cit., idem.
[58] Selon M’BAYE Kéba, ses deux pays « traduisaient [ainsi] leur conception des droits de l’Homme et donnaient ainsi à la future charte une signification et un contenu idéologique ». MBAYE K., Les droits de l’Homme en Afrique, A. Pedone, Paris, 1992, p. 150. Pour Mutoy Mubiala, les motivations sont à rechercher dans « […] les relations internationales africaines avec les autres régions du monde mais tout particulièrement avec l’Occident, impliquant ainsi que les droits des peuples étaient des droits des États. L’explication officielle toutefois donnée à cette adjonction des droits des peuples consista à légitimer ceux-ci sur le droit traditionnel africain, d’essence communautaire ». MUBIALA M., « Les droits des peuples en Afrique », Rev. trim. dr. h. (60/2004), p. 985., voir aussi MUBIALA M., « Le système africain de protection des droits de l’Homme », p. 3 communication lors de la 6ème session de formation délocalisée de l’Institut International des Droits de l’Homme IDDH-Fondation René Cassin, Dakar, 2015. Voir aussi DISMAS NDAYAMBAJE O., « La contribution de la reconnaissance des droits des peuples autochtones à la protection de l’environnement à la lumière de l’affaire Endorois c Kenya », RQDI, (29.2) 2016, pp. 174-190. Cet auteur qualifie le fait que la Charte africaine prévoit des droits pour les peuples de mérite même si son étude porte sur une catégorie spécifique des peuples, les autochtones cf p. 175.
[59] La CAfDHP a dressé le constat suivant dans l’affaire CADHP c. Kenya, Requête 006/2012, Arrêt au fond du, 26 mai 2017, §196. : « la Charte ne définit pas la notion de « peuple ». À cet égard, il a été relevé que c’est de façon délibérée que les rédacteurs de la Charte ont omis de définir le concept […]»
[60] FALL A. B., « La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme », Le Seuil, Pouvoirs, N° 129, Vol.2, 2009, p.88.
[61] Pour une présentation détaillée des deux approches, voir MUBIALA M., « Les droits des peuples en Afrique », Rev. trim. dr. h., n°60, 2004, pp. 985-1000.
[62] En fait, prise sous cet angle la notion de peuples, surtout en Afrique, peut être une réalité transnationale qui échappe au contrôle des États qu’elle traverse. Par exemple, les peuples haoussas sont une réalité sociale transnationale qui s’étale sur le Niger et le Nigéria. Et l’on se reconnait d’abord Haoussa avant de se réclamer nigérien ou nigérian.
[63] CAfDHP, affaire CADHP c. Kenya, op.cit., §197.
[64] Elle explique dans ce rapport que malgré « son mandat d’interprétation de toutes les dispositions de la Charte africaine en vertu de l’Article 45(3), la Commission africaine n’a pas initialement interprété le concept de ‘peuples’. La Charte africaine n’en définit pas le concept elle-même. Initialement, la Commission africaine avait du mal à élaborer des droits qui n’étaient guère liés à une jurisprudence internationale concrète. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ne définissent pas les ‘peuples’. Il est évident que les rédacteurs de la Charte africaine avaient l’intention de distinguer les droits individuels traditionnels des sections précédant l’Article 17 en faisant référence aux “individus”. L’Article 18 introduit une rupture en faisant référence à la famille. Les Article 19 à 24 font spécifiquement référence à “tous les peuples. » Voir CADHP, Rapport du Groupe de Travail d’experts de la CADHP sur les Populations/Communautés Autochtones, adopté par la Commission à sa 28 session ordinaire, 135 p.
[65] CADHP, affaire Mgwanga Gunme et al /Cameroun Communication n°266/2003, §.174.
[66] CADHP, op. cit., §. 179.
[67] CAfDHP, affaire CADHP c. Kenya, op.cit., §199
[68] FALL A. B., op. cit., p.88.
[69] SIERPINSKI B.,« Droits de l’Homme, droits des peuples : de la primauté à la solidarité », L’Homme et la société, N°s 85-86, 1987, Les droits de l’homme et le nouvel occidentalisme, pp. 130-141.
[70] Article 20.
[71] Article 19.
[72] Article 22.
[73] Article 21.
[74] Article 22.
[75] Article 23.
[76] Article 24.
[77] Déclaration d’Alger sur les droits des peuples adoptée le 4 juillet 1976 par la Conférence mondiale sur les peuples autochtones.
[78] OUGUERGOUZ F., « Chapitre V : les droits des peuples », in OUGUERGOUZ Fatsah, La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples : une approche juridique des droits de l’Homme entre tradition et modernité [en ligne], Graduate Instute Publications, p.13 consulté le 22-01-2018, disponible sur internet à l’adresse http://books.openedition.org/ihrif/2200. Le juge Kéba Mbaye fait la même en analyse. Voir MBAYE Kéba, Les droits de l’Homme en Afrique, A. Pedone, Paris, 1992, p. 183.
[79] Entrée en vigueur le 12 janvier 1951.
[80] A cette définition, le protocole de Malabo sur le Statut de la Cour Africaine de Justice, des Droits de l’Homme et des Peuples ajoute à son article 28B les « (f) viols ou autres formes de violence sexuelle » comme pouvant constituer un acte de génocide.
[81] Article 20, alinéa 3.
[82] Discours d’un chef coutumier nigérien en 1912 devant le « West African Lands Committee » cité par M. DEBENE, « Regards sur le droit foncier sénégalais : Un seul droit pour deux Rêves », RIDC, 1986, p. 79
[83] Chez les Basundi du Congo par exemple, « la terre n’est pas une propriété privée individuelle. Elle est gérée par les chefs de lignage (mfumu kanda). Ils contrôlent l’accès à la terre pour les membres du lignage (bissi kanda), les alliés (nkuezi) et les locataires. Il n’y a donc pas de « propriétaire foncier », ni de « propriété féodale », mais une appropriation collective des terres et une gestion lignagère ». Voir DESJEUX D., « L’accès à la terre chez les paysans Basundi (région du Pool, Congo) », LE BRIS E., LE ROY E. et LEIMDORFER F. avec la participation de GRÉGOIRE E. Enjeux fonciers en Afrique noire, Paris, KARTHALA. 1982, p.126.
[84]AGONDJO-OKAWE P.L, « Représentations et organisations endogènes de l’espace chez les MYENE du Gabon (NKOMI ETMPONGWE) », LE BRIS E., LE ROY E. et LEIMDORFER F. avec la participation de GRÉGOIRE E. Enjeux fonciers en Afrique noire, Paris, KARTHALA. 1982, p.104
[85] KOUASSIGAN G.-A., L’homme et la terre – Droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique occidentale, Paris, ORSTOM, 1966, p.54.
[86] C’est l’excuse des occidentaux lors de la colonisation. Cette thèse est encore reprise par les nostalgiques de la période coloniale. Ceux-ci ignorent encore, à dessein, les atrocités commises lors de cette entreprise de « civilisation ». On dirait, sans risque de se tromper, qu’il s’agit d’un déni de justice flagrant et d’une amnésie collective. La meilleure réponse à cette thèse a été donnée par Cheikh Anta Diop rien qu’avec son livre intitulé Civilisation ou barbarie.
[87] L’on se rappelle encore des mots malheureux de Nicolas Sarkozy qui disait que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire » SARKOZY N, « Discours de Dakar » prononcé le 26 juillet 2007.
[88] Dans une étude consacrée à la notion, un auteur se demande si le patrimoine commun de l’humanité a encore un sens. Au terme de son analyse, cet auteur explique que « Comme l’ordre public, l’intérêt général et bien d’autres concepts, la notion de « patrimoine commun de l’humanité » est une notion toujours aussi fuyante et toujours aussi ambiguë ». YÉO A., « Le patrimoine commun de l’humanité a-t-il encore un sens ? » RISJPO, n°5, 2017, p.141
[89] BEKKOUCHE M. A. « La récupération du concept de patrimoine commun de l’humanité (P.C.H.) par les pays industriels » in RBDI, 1987.1, p. 133. Pour aller plus loin sur la question d’humanité, de P.C.H. et leurs implications juridiques, voir BELAIDI N. et EUZEN A/, « « De la chose commune au patrimoine commun. » Regards croisés sur les valeurs sociales de l’accès à l’eau » in Mondes en développement, 2009/1 n° 145, p. 55-72., KROLIK Ch., « Les grands fonds marins, patrimoine commun de l’humanité, vont être exploités. Mais selon quel régime juridique ? », Revue juridique de l’environnement 2011/1 (Volume 36), p. 191-194., LE BRIS C., « Esquisse de l’humanité juridique. L’humanité juridique, une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part », Revue interdisciplinaire d’études juridiques 2012/2 (Volume 69), p. 1-50.
[90] BEDJAOUI M., Pour un nouvel ordre économique international, Unesco, 1978, p. 228
[91] Convention des Nations Unies sur le droit de la Mer adoptée à Montego Bay le 10 décembre 1982, dite Convention de Montego Bay
[92] BEKKOUCHE M. A., op. cit., p.135
[93] Idem.
[94] Pour une critique de cette loi, voir BEKKOUCHE M. A., op. cit. pp.134-136.
[95] NENE BI BOTI S., Histoire des institutions et des faits sociaux, Abidjan, Les Editions ABC, 1ère éd., 2009, p. 227.
[96] Alinéa 1er.
[97] L’article 10 du PIDCP dispose que : « Les États parties au présent Pacte reconnaissent que : 1. Une protection et une assistance aussi larges que possible doivent être accordées à la famille, qui est l’élément naturel et fondamental de la société […] ». L’article 23 du PIDCP dispose quant à lui que « 1. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État […] ».
[98] Alinéa 2.
[99] Voir HENNEBEL L. et TIGROUDJA H., Traité de droit international des droits de l’Homme, A. Pedone, Paris, 2016, p. 1032 et s.
[100] L’article 12 de la DUDH dispose que « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes », les article 17 du PIDCP et 16 de la CDE reprennent la même formulation. Au plan régional, l’article 8 de la CEDH est ainsi formulé « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ». L’article 11 de la CADH a une formulation similaire mais tout de même plus large que celle de la DUDH. Il dispose en effet que « 1. Toute personne a droit au respect de son honneur et à la reconnaissance de sa dignité. 2. Nul ne peut être l’objet d’ingérences arbitraires ou abusives dans sa vie privée, dans la vie de sa famille, dans son domicile ou sa correspondance, ni d’attaques illégales à son honneur et à sa réputation. 3. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles ingérences ou de telles attaques ». Enfin, l’article 21 de la Charte arabe de 2004 reprend les termes de la DUDH.
[101] CEDH, affaire Niemietz c. Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, §. 29.
[102] Voir l’article 23, alinéa 3 de la DUDH.
[103] Article 16, alinéa 1er.
[104] Article 10, alinéa premier in fine.
[105] Article 23, alinéa 2.
[106] Article 17, alinéa 2 de la CADH.
[107] Article 18, alinéa 2 de la Charte africaine.
[108] GEORGES COLI RADE et CHRISTINE TICHIT expliquent que « la famille polygamique pouvait comporter jusqu’à 150 femmes comme dans certaines chefferies de l’Ouest du Cameroun ». COLI RADE G. et TICHIT Ch., « Les africains sont tous polygames!», COURADE G. (dir.), L’Afrique des idées reçues, Paris, Belin, 2006, p. 252.
[109] C’est le cas par exemple chez les Bashilele, « une ethnie du Kasaï occidental au Zaïre, pratiquent une forme de polyandrie, ou mariage collectif d’une femme par plusieurs hommes ». Voir NGONDO PITSHANDENGE A S., « La polyandrie chez les Bashilele du Kasaï occidental (Zaïre) : fonctionnement et rôles », Les dossiers du CEPED, n° 42 paris, juillet 1996, p.3.
[110] Ainsi,« selon les droits traditionnels négro-africains, le mariage est le contrat par lequel le chef d’une famille agissant au nom et pour le compte de cette dernière engage une jeune fille avec ou sans son consentement et sur laquelle il exerce la puissance paternelle dans des liens conjugaux avec un homme, membre d’une autre famille représentée par son chef et moyennant une contrepartie telle qu’elle est définie par la coutume de la jeune fille. Le mariage coutumier africain diffère du mariage européen sur plusieurs points. C’est d’abord un engagement de groupe à groupe ; […] le consentement des futurs époux et notamment celui de la jeune fille n’est pas indispensable à la validité de cet engagement ». Voir KOUASSIGAN G. A. QUELLE EST MA LOI ? op. cit. p.234.
[111] Article 6 (a).
[112] Article 6 (b).
[113] Article 6 (c).
[114] Article 6 (d).
[115] Article 21, alinéa 2.