La soft law est-elle l’avenir des droits fondamentaux ?
Mihaela AILINCAI, Professeure de droit public, Université Grenoble Alpes – CRJ EA 1965
Il peut paraître curieux qu’une place ait été réservée à la soft law (ou droit souple) 1 dans le cadre de ce colloque car elle est généralement négligée, voire franchement méprisée, y compris dans le champ des droits fondamentaux où il est d’usage de considérer qu’il n’y a point de salut en dehors du juge 2. Pourtant la soft law est littéralement omniprésente dans la pratique. Elle envahit désormais le champ du droit non plus par défaut, mais de façon délibérée, dans un contexte d’estompement de la contrainte et d’assouplissement de la normativité. Intégrer la soft law dans ce colloque témoigne ainsi, peut-être, d’une lente évolution de la perception à son égard, dans le sens d’une certaine acceptation, au moins par résignation.
La formulation du sujet est tout aussi surprenante, voire amusante. La soft law est-elle l’avenir des droits fondamentaux ? Il y a assurément une dimension provocante dans la question posée, en raison du paradoxe qui la sous-tend. L’histoire du développement du droit des droits de l’homme a été nourrie par un double mouvement de judiciarisation et de juridictionnalisation des droits de l’homme. On a ainsi cherché à dégager les droits fondamentaux de leur « vice » originel majeur, c’est-à-dire leur absence de juridicité. La question posée pourrait donc laisser craindre un retour en arrière. L’interrogation est par ailleurs oppressante puisqu’elle invite en réponse à formuler une prédiction quant à l’avenir des droits fondamentaux. Sans compter que, formulé de manière ramassée, le sujet gomme les aspérités qui accompagnent l’extraordinaire variété des normes couvertes sous la bannière commode de la soft law, ainsi que l’étendue très vaste du droit des droits fondamentaux et la multiplicité des ordres juridiques impliqués. Vaste programme !
Et les difficultés ne s’arrêtent pas là. Commençons par le début. Que signifient exactement les termes du sujet ? Qu’est-ce que la soft law ? Qu’est-ce que les droits fondamentaux ? Qu’est-ce que l’avenir (des droits fondamentaux) ? L’épreuve est redoutable.
Chacun de ces termes est en effet entouré d’un halo d’incertitude. Pour preuve, les droits et libertés fondamentaux sont présentés comme une catégorie à propos de laquelle « le discours juridique véhicule […] une incertitude terminologique qui concerne tant la définition que la portée de son objet même » 3. La soft law est elle-même une notion « large, très large, large au point de ne plus trop savoir ce qu’[elle] recouvre, ou plutôt de pouvoir tout recouvrir » 4 ; c’est « un concept qui ratisse tous les phénomènes atypiques et parfois spontanés » 5. Quant à l’avenir, il désigne « l’état, la situation de quelqu’un [ou de quelque chose] dans le temps à venir » 6, sans précisions concernant l’échéance exacte. On l’aura compris, chercher un sens univoque au sujet proposé est peine perdue. Il reste alors la possibilité de tracer un chemin, parmi d’autres.
La soft law sera ici comprise comme l’ensemble des instruments normatifs dont la juridicité est incertaine et discutée, parce qu’ils ne sont ni juridiquement obligatoires (ils ne créent pas de droits et obligations ; on parle aussi de « droit mou »), ni juridiquement contraignants (ils ne sont pas assortis de sanctions juridiques ; on parle aussi de « droit doux »), mais qui influent quand même le comportement de leurs destinataires. La souplesse sera ainsi recherchée dans l’instrument lui-même (instrumentum) et pas nécessairement dans les normes qu’il porte (negotium). La conception formelle de la soft law est donc privilégiée ici. Cela exclut la soft law au sens matériel du terme, également appelée « droit flou » 7, c’est-à-dire ce droit imprécis qui est formellement hard et matériellement soft. En clair, une disposition législative imprécise ou une disposition vaporeuse d’un traité international ne relèvent pas de la soft law au sens de la présente étude.
Même ainsi circonscrite, la soft law demeure un phénomène extrêmement hétérogène. Cette hétérogénéité impose une démarche empirique et inductive. Cela incite à la modestie quant aux conclusions de l’analyse parce que le choix des instruments étudiés est nécessairement arbitraire compte tenu de la masse de documents disponibles et parce que toutes les conclusions ne sont pas nécessairement universellement applicables à l’ensemble des instruments relevant de la vaste catégorie de la soft law.
Il reste la question centrale : qu’est-ce que « l’avenir des droits fondamentaux » ? Là aussi, plusieurs chemins se profilent.
L’avenir des droits fondamentaux peut être compris dans son sens le plus absolu, le plus extrême, comme la survie des droits fondamentaux. Si la question est de savoir si la soft law va ou doit se substituer globalement à la hard law en matière de droits fondamentaux, la réponse doit être résolument négative. Mais une analyse moins globale peut conduire à une réponse partiellement et temporairement positive. Parfois, la soft law peut délibérément être choisie pour se substituer, peut-être temporairement, à la hard law, dans un contexte particulier. On constate alors que certains aspects du droit des droits fondamentaux se prêtent plus facilement à une intervention de la soft law. L’exemple topique est celui de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), pour des raisons bien connues d’attrait des acteurs économiques pour les modalités non contraignantes de régulation. Dans ces hypothèses, la soft law participe à la sauvegarde des droits fondamentaux.
Le sujet peut être compris autrement, à l’aide d’une reformulation de la question : la soft law annonce-t-elle le futur du droit des droits de l’homme ? La réponse devrait ici être clairement positive. Georges Abi-Saab l’exprimait nettement en soulignant que la soft law joue un « rôle d’étape dans l’évolution du droit » : « le soft law d’aujourd’hui est ou énonce le hard law de demain » 8. Dans bien des domaines, la soft law devance le droit positif, c’est-à-dire constitue une étape vers l’élaboration du droit positif : c’est le cas par exemple à propos des droits des personnes en situation de handicap 9. La soft law participe alors au développement du droit des droits fondamentaux. Lui prêter de l’intérêt permet donc de se positionner au cœur même du mouvement de création du droit positif, notamment en matière de droits fondamentaux. Dans cette optique, la question de savoir si le droit positif est nécessairement l’avenir de la soft law peut être posée.
La soft law n’est pas seulement précurseure ; elle complète aussi le droit positif et se présente comme une normativité concurrente ou plus exactement complémentaire. On pourrait alors comprendre le sujet comme impliquant de se questionner sur la place de la soft law en droit des droits de l’homme, aujourd’hui et dans le futur. La question posée peut alors être de nouveau reformulée : la soft law fera-t-elle partie à l’avenir du droit des droits fondamentaux ? Quelle est, aujourd’hui et à l’avenir, l’utilité de la soft law en matière de droits fondamentaux ?
Finalement, cette démarche par questionnements successifs permet de dégager les principaux éléments constitutifs de « l’avenir des droits fondamentaux ». Celui-ci résiderait classiquement dans la sauvegarde et le développement des droits fondamentaux. La sauvegarde des droits fondamentaux est étroitement liée à leur effectivité, c’est-à-dire à l’application concrète du droit des droits fondamentaux. Le développement implique quant à lui l’approfondissement du droit, lequel suppose une dimension de création normative. Dans un cas il s’agit d’accroître le niveau d’application du droit ; dans l’autre il s’agit d’en augmenter le niveau d’exigence. Ces deux aspects rejoignent en somme l’élaboration et l’application du droit, ce qui résume d’une certaine façon la « vie » du droit, qui mêle passé, présent et futur.
Est-ce à dire pour autant que la soft law pourrait, par elle-même et sans complexes, conduire à la réalisation de la finalité protectrice de la norme et assurer ainsi l’avenir des droits fondamentaux ? Que ce soit sous le prisme de la sauvegarde ou du développement, la même réponse s’impose : la soft law n’est assurément pas l’avenir des droits fondamentaux dans un sens exclusif. Même une approche bienveillante de la soft law ne saurait conduire à affirmer qu’elle porte en elle la capacité intrinsèque de sauvegarder les droits et de développer le droit. La soft law n’est donc pas à proprement parler l’avenir des droits fondamentaux. Mais elle en fait partie, à la fois sous l’angle de la sauvegarde et du développement de ces droits, de concert avec le droit dur. Le lien entre soft et hard law est donc ici déterminant, ce qui n’est guère surprenant compte tenu du contexte de pluralisme juridique très marqué dans lequel se déploie le droit des droits fondamentaux. Etablir ce lien permet alors de mettre en exergue les multiples interactions qui se nouent entre ces normes inégales. A la lumière de ces interactions, la soft law participe de l’avenir des droits fondamentaux en ce qu’elle apparaît tantôt comme un vecteur d’effectivité des droits fondamentaux (I), tantôt comme un facteur de développement du droit des droits fondamentaux (II).
I. La soft law comme vecteur d’effectivité des droits fondamentaux
Sous l’angle de la sauvegarde des droits fondamentaux, la soft law participe à leur avenir au sens où elle joue un rôle de soutien à l’application effective du droit en la matière (A), sous réserve de ne pas être elle-même contre-productive. Parce que cette perspective n’est pas complètement fictive, un contrôle du respect des droits fondamentaux par la soft law se met progressivement en place, ce qui est encore une manière d’assurer, en creux, l’effectivité – et donc l’avenir – des droits fondamentaux (B).
A. Un rôle de soutien à l’application effective du droit des droits fondamentaux
La soft law peut intervenir de différentes façons pour favoriser la mise en œuvre du droit dur. Elle peut servir de relais à sa diffusion (1), en proposer une déclinaison concrète et pragmatique à destination des débiteurs des droits fondamentaux (2) et même mettre ses services à la disposition du juge (3).
1/ La diffusion du droit dur
La soft law est un vecteur utile de diffusion du droit dur, dans une logique de promotion de son contenu et avec un objectif de prévention des atteintes aux droits fondamentaux. La démarche peut alors consister en une synthèse du droit dur, en une « codification » dans un instrument unique, afin d’en permettre une meilleure connaissance et d’en faciliter la compréhension par les destinataires ciblés de l’instrument soft 10. Le droit souple « se fait alors pédagogue et se présente comme un passeur du droit dur. Parce qu’il est didactique, explicatif, facile d’accès et traduit dans un langage simple des règles complexes, il propose aux citoyens une vision adaptée des règles juridiques » 11. L’appropriation du droit dur par le citoyen en est alors facilitée. Les exemples ne manquent pas. L’un des plus significatifs est sans doute celui de la responsabilité sociétale de l’entreprise, dont l’un des ressorts principaux consiste à présenter le respect de la législation en vigueur comme une bonne pratique. Cette démarche, qui peut surprendre en ce qu’elle présente comme un progrès ce qui n’est qu’une exigence minimale, peut se révéler « un moteur puissant » de l’effectivité des droits fondamentaux : « [c]e rappel des règles légales et réglementaires n’est jamais chose vaine [c]ar pour respecter une norme, encore faut-il la connaître » 12.
Une modalité moins passive de diffusion du droit dur consiste en des actions de formation et de sensibilisation des acteurs de terrain, qui impliquent la délivrance de conseils pratiques à dimension normative. Un exemple parmi tant d’autres est fourni par le Défenseur des droits à propos des contrôles d’identité « au faciès ». Le 24 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a rendu une décision QPC à propos des contrôles d’identité sur réquisitions du procureur de la République, dans laquelle il conclut, sous réserve, à la constitutionnalité des articles 78-2 et 78-2-2 du Code de procédure pénale 13. Ce n’est donc pas la loi en elle-même qui est attentatoire aux droits fondamentaux constitutionnellement garantis mais sa mise en œuvre. Sur ce sujet, le Défenseur des droits a multiplié les initiatives depuis plusieurs années. Il a en particulier réalisé en 2016 une enquête, dénommée « Accès aux droits », dont le premier volet porte sur les relations entre la police et la population dans le cadre des contrôles d’identité. Les résultats témoignent des discriminations vécues par certains groupes sociaux. En conséquence, le Défenseur des droits renouvelle sa recommandation d’assurer une traçabilité des contrôles et décide d’intégrer les enseignements de cette enquête aux formations qu’il assure auprès des élèves gardiens de la paix « pour renforcer la prévention des risques de pratiques discriminatoires » 14. La démarche permet là encore d’amener les règles de droit au plus près des acteurs immédiats de leur mise en œuvre, l’objectif étant d’instiller une culture respectueuse des droits fondamentaux. Cela peut être présumé comme un gage d’effectivité à défaut de pouvoir en mesurer les effets.
Si la plupart du temps les efforts de diffusion du droit dur sont tournés vers les destinataires immédiats de la norme contraignante, la soft law permet dans certains cas d’élargir le cercle des entités impactées par le droit. Cela se vérifier par exemple à propos des travaux de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) du Conseil de l’Europe. Cette Commission propose aux Etats intéressés des standards en partie fondés sur la CEDH et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Or, les Etats destinataires des recommandations de la Commission ne sont pas nécessairement parties à cette convention. S’ils s’en inspirent, ces Etats « accept – to a certain extent, implicitly – the legal standards contained in the ECHR […]. In any event, these standards are applied to them as well » 15.
L’effort de diffusion du droit dur peut en outre avoir pour finalité une synchronisation systémique. La soft law devient alors un vecteur d’ordonnancement normatif, au service d’une cohérence systémique et inter-systémique. Ce rôle de la soft law est très visible dans les travaux du Défenseur des droits, qui œuvre en faveur de l’alignement du droit positif français sur le droit de la CEDH en recommandant aux pouvoirs publics d’en respecter les prescriptions 16.
Assurément, la diffusion du droit dur au moyen de la soft law n’est pas la plus spectaculaire. Elle n’est pas non plus la plus dense du point de vue normatif, approchant même le degré zéro de l’apport normatif. Elle n’en reste pas moins utile du point de vue de l’effectivité des droits fondamentaux, ou plus exactement supposément utile tant son impact réel sur le degré de respect des droits de l’homme échappe à l’analyse des juristes. L’impact de la participation de la soft law à la substantialisation du droit dur et tout aussi difficile à établir, mais sa portée normative est accrue.
2/ La déclinaison concrète et pragmatique de la hard law à destination des débiteurs des droits fondamentaux
Il arrive fréquemment que la soft law complète le droit dur en détaillant les modalités concrètes de son application. Elle donne alors « une consistance au droit dur » 17. Cette hypothèse se rencontre très fréquemment à travers les recommandations adoptées par les organes générateurs de soft law 18.
Cette modalité d’action présente des avantages non négligeables. Dans son rapport annuel de 2013 consacré au droit souple le Conseil d’Etat l’a encouragée, parce qu’il y a vu un moyen d’endiguer l’inflation normative 19 et de préserver la cohérence et l’intelligibilité du droit dur. Cette fonction de la soft law a aussi pour intérêt d’offrir une assistance experte aux débiteurs des droits fondamentaux dans la mise en œuvre du droit dur, en leur proposant des solutions, parfois individualisées, adaptées à leur situation et à leurs contraintes et respectueuses de leur marge de manœuvre. Ce résultat peut être atteint au moyen d’une association des destinataires à l’élaboration des recommandations les concernant, lesquelles résultent bien souvent d’un dialogue, qui se veut constructif, entre les acteurs concernés. Un tel dialogue peut être d’autant plus facilement engagé qu’il paraît inoffensif, puisque insusceptible de déboucher sur des normes juridiquement contraignantes, et en même temps valorisant pour le destinataire de la norme qui peut se présenter comme un acteur responsable et impliqué et peut espérer ainsi rehausser à moindre frais l’estime publique à son égard. On peut alors s’attendre à ce que la norme qui en résulte soit perçue comme légitime et qu’elle soit en conséquence mieux acceptée et davantage suivie d’effets 20. L’atout de la soft law réside alors dans sa capacité d’incitation par la persuasion.
Bien évidemment, il ne faut pas se leurrer en surestimant la capacité de la soft law à induire l’effectivité du droit car toutes les recommandations ne sont pas toujours mises en œuvre ou pas intégralement 21. Les analyses d’impact sont extrêmement rares 22, pour ne pas dire inexistantes. Il est d’ailleurs très difficile de mesurer l’impact réel de la soft law sur le comportement de ses destinataires. Il est exceptionnel de pouvoir à coup sûr imputer un changement normatif ou dans la pratique à un facteur unique ; il est plus raisonnable de croire qu’un impact potentiel découle d’une combinaison de facteurs divers, y inclus le contexte politique et socio-économique 23. Sans compter que, généralement, aucun de ces facteurs, dont la norme de soft law, n’est présenté ouvertement comme une source décisive d’influence. Il n’en reste pas moins que la soft law, en tant que modalité non autoritaire de direction des conduites, constitue un mode alternatif par rapport au droit dur qui ajoute à la contrainte ses propres stimuli pour favoriser la mise en œuvre du droit et permettre son effectivité. On comprend alors que les rapports que la soft law entretient avec le juge peuvent se révéler fructueux.
3/ La soft law en tant qu’auxiliaire du juge
Pour accroitre l’effectivité du droit des droits fondamentaux la soft law peut se mettre au service du contrôle juridictionnel, auquel elle peut proposer son assistance au stade de l’élaboration de la solution juridictionnelle (a) et au stade de l’exécution des jugements (b). Son immixtion dans le contentieux peut se réaliser à l’initiative des parties à l’instance, du juge ou des organes générateurs de soft law eux-mêmes, lesquels ont parfois la faculté de présenter des observations orales ou écrites devant les juridictions 24
La présence du droit souple dans le contentieux varie selon les juridictions concernées : elle est désormais bien établie dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, tandis qu’elle est plus discrète, peut-être moins visible parce que moins assumée, dans la jurisprudence nationale.
a/ Au stade de l’élaboration de la solution juridictionnelle
La soft law peut proposer au juge des standards d’évaluation, voire même une solution « clé en main », qu’il est toujours libre d’accepter ou d’écarter en tout ou partie. Si le juge se laisse inspirer par le droit souple, l’effectivité des droits fondamentaux peut en être accrue ne serait-ce que parce que la soft et la hard law conjuguent alors leurs efforts dans une même direction. A défaut, l’effectivité des droits peut reposer exclusivement sur la soft law, ce qui confirme qu’elle participe à la sauvegarde des droits.
La présence contentieuse de la soft law se remarque fréquemment dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’hypothèse concerne aussi les juridictions nationales, dans une proportion moindre.
- Le contentieux de la CEDH
Dans le contentieux de la CEDH, la visibilité de la soft law est doublement accrue. Parce que la Cour européenne des droits de l’homme est une juridiction internationale, elle est astreinte à une motivation abondante, qui fait ressortir l’ensemble des éléments intervenant dans le raisonnement juridique. En outre, la soft law est fréquemment mentionnée dans les opinions séparées des juges, qui s’en servent pour étayer leur argumentation, démontrant ainsi qu’elle occupe une place dans les délibérations y compris lorsque l’arrêt finalement rendu n’en conserve aucune trace. Pour autant, la référence explicite à des instruments de soft law ne saurait être considérée comme un révélateur fidèle de leur influence potentielle. Il ne faut négliger ni les cas – difficilement identifiables – dans lesquels la Cour endosse implicitement leur contenu en utilisant les mêmes mots 25, ni les modalités informelles d’influence liées aux échanges non officiels entre les membres des différentes institutions et à un certain métissage du personnel dû à des changements de poste.
Le droit souple inspire parfois les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme de façon manifeste, ce qui non seulement renforce la légitimité et l’autorité des instruments de soft law mais surtout aboutit à un ordonnancement normatif porteur d’unité de sens dans la protection des droits fondamentaux et donc gage de leur effectivité. Les exemples sont nombreux 26. N’en citons qu’un, très récent. Dans l’affaire Podeschi c. San Marin, la Cour était appelée à se prononcer sur les conditions de détention du requérant sur le terrain de l’article 3 de la CEDH (interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants). Elle rappelle que, outre l’espace personnel disponible, il faut tenir compte d’autres éléments révélateurs des conditions de détention, une attention particulière étant accordée à la possibilité pour les détenus de profiter d’une sortie à l’air libre. La Cour note sur ce point que les standards élaborés par le CPT préconisent un temps d’activités en extérieur d’une durée minimale d’une heure par jour. Constatant que le détenu bénéficiait de deux heures quotidiennes à l’extérieur de la cellule, la Cour souligne que « the CPT standards have been fulfilled » et conclut à l’absence de violation de l’article 3 de la CEDH 27.
Dans d’autres cas, la Cour choisit délibérément de s’écarter de l’option privilégiée par la soft law et assume ainsi une divergence, voire une cacophonie normative, porteuse de risques en termes d’effectivité des droits. Les raisons qui poussent la Cour à agir ainsi sont généralement présentées comme étant d’ordre juridique, ce qui peut être une manière commode de dissimuler des considérations d’ordre politique ou économique qu’il peut paraître légitime de considérer comme déterminantes en réalité. On constate en effet que le juge européen se montre particulièrement réservé à l’égard de la solution suggérée par la soft law dans les affaires politiquement sensibles, ayant de lourdes implications financières et/ou touchant aux politiques économiques et sociales nationales. Elle préfère alors réserver aux Etats une ample marge d’appréciation, laquelle prime sur l’exigence de cohérence systémique et donc d’effectivité des droits. Plusieurs affaires peuvent illustrer le propos.
Une illustration d’un contentieux politiquement sensible est fournie par l’arrêt S.A.S. c. France, rendu par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme le 1er juillet 2014, à propos de la conventionnalité de la loi française sur le voile intégral. Sur la question de la proportionnalité de la mesure, elle cite la position de divers acteurs nationaux et internationaux de protection non juridictionnelle des droits de l’homme, qui considèrent qu’une interdiction générale est disproportionnée. La Cour conclut pourtant en sens inverse, au regard de la marge d’appréciation reconnue aux Etats. Dans une opinion séparée, les juges Nussberger et Jäderblom concluent au contraire que la mesure est disproportionnée en s’appuyant précisément sur les instruments de soft law cités par la Cour.
L’affaire National Union of rail, maritime and transport workers c. Royaume-Uni permet d’illustrer la réserve de la Cour dans les affaires touchant aux politiques économiques et sociales nationales 28. Le syndicat requérant arguait que les restrictions imposées à une action de grève secondaire étaient constitutives d’une violation de l’article 11 de la CEDH protégeant la liberté d’association. Le Gouvernement soutenait que l’article 11 de la CEDH ne couvre pas le droit de mener une action secondaire. S’appuyant notamment sur la soft law (travaux de la commission d’experts de l’OIT et du Comité européen des droits sociaux – CEDS), la Cour juge l’article 11 applicable en l’espèce, c’est-à-dire qu’elle inclut les actions revendicatives secondaires dans le champ de cet article.
Sur la question de savoir si l’ingérence était justifiée, la Cour diverge de la position apparemment retenue par le comité d’experts de l’OIT et le CEDS à propos de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure. Elle reconnait aux Etats une marge d’appréciation quant à la manière d’assurer la liberté syndicale, compte tenu des liens évidents entre cette question et les stratégies économiques et sociales nationales. Restait à déterminer l’ampleur de cette marge d’appréciation. Celle-ci peut varier en présence d’un consensus, lequel se dégage de l’examen des législations et pratiques nationales (consensus subjectif) ou des instruments internationaux applicables (consensus objectif) 29. A propos du consensus subjectif, la Cour souligne qu’ « en interdisant totalement les actions secondaires, l’Etat défendeur […] fait […] partie du petit groupe d’Etats européens à avoir adopté une position aussi catégorique en la matière ». A propos du consensus objectif, la Cour relève que le Royaume-Uni « fait […] l’objet de commentaires critiques de la part de la commission d’experts de l’OIT et du CEDS » 30. Le Gouvernement contestait l’autorité de ces critiques, notamment parce que les avis de ces organes ne constitueraient pas « une source de droit faisant autorité » 31. La Cour écarte cette prétention en reconnaissant leur influence potentielle 32. Elle conclut qu’il existe « une tendance perceptible sur le plan international qui consiste à appeler à une approche moins restrictive » que l’interdiction totale des actions revendicatives secondaires 33. La juridiction européenne considère malgré tout que « les appréciations négatives émanant des organes de surveillance pertinents de l’OIT et de la Charte sociale européenne ne sont pas d’un poids décisif » en l’espèce 34. La justification réside dans la nature différente de l’examen effectué par la Cour d’une part et par les instances de contrôle de l’OIT et de la Charte sociale européenne d’autre part : la première procède à une appréciation in concreto, tandis que les seconds examinent la législation nationale pertinente in abstracto. S’en suit pourtant une motivation marquée par une très grande déférence à l’égard de l’appréciation du législateur national et par des considérations d’ordre général peu individualisées, qui conduit à un constat de non violation de l’article 11 de la CEDH. Puis la Cour achève sa motivation par un paragraphe qui s’efforce, tant bien que mal et plutôt mal, d’épargner l’autorité de la commission d’experts de l’OIT et du CEDS. La Cour juge nécessaire de souligner que « sa compétence se limite à la Convention. Elle n’a pas compétence pour se prononcer sur le respect par l’Etat défendeur des textes pertinents de l’OIT ou de la Charte sociale européenne, cette dernière renfermant des normes plus spécifiques et exigeantes en matière d’action revendicative. Par ailleurs, la conclusion rendue en l’espèce ne doit pas être interprétée comme remettant en cause l’analyse effectuée sur la base de ces normes et de leurs buts par la commission d’experts de l’OIT et par le CEDS » 35. Ce paragraphe surabondant affiche l’impuissance de la Cour sur les questions touchant aux politiques économiques et sociales nationales, qu’elle renvoie à la soft law, entérinant ainsi un partage des tâches sur la base éminemment politique des sensibilités nationales protégées par la marge d’appréciation 36. La vieille catégorisation des droits en trois générations est ressuscitée, ce qui sous-entend que l’avenir des droits économiques et sociaux repose encore largement sur la soft law.
- Le contentieux national français
L’expérience nationale est sans commune mesure avec la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme. La présence de la soft law dans le contentieux interne est nettement plus discrète parce que le juge est bien plus pudique concernant ses sources d’influence. L’influence réelle de la soft law est donc beaucoup plus difficile à déterminer. De l’aveu même du Conseil d’Etat « [l]e mode de rédaction actuel » de ses décisions « ne se prête pas à l’affichage de [la] prise en compte [du droit souple], qui n’apparaît le cas échéant que dans les conclusions du rapporteur public » 37. Le Conseil d’Etat encourage néanmoins une évolution dans la prise en compte par le juge des instruments de droit souple, en considération de ce qu’il peut « conforter un raisonnement, par exemple en ce qu’il éclaire l’interprétation d’une convention internationale » 38.
Certaines décisions témoignent déjà des interactions qui peuvent se nouer entre la soft law et le juge national. L’arrêt de la Cour d’appel de Nantes en est un exemple. Le requérant demandait l’annulation d’un arrêté du préfet l’obligeant à quitter le territoire français. Le préfet a fait procéder à un test osseux qui a conclu à la majorité du requérant, ce qui a fondé le préfet à juger frauduleux l’extrait d’un acte d’état civil témoignant de sa minorité. Le juge d’appel s’est ostensiblement appuyé sur la soft law, et en particulier sur un rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui se réfère à une décision du Défenseur des droits, et sur un rapport de l’Académie nationale de médecine, pour invalider la pertinence des tests osseux litigieux 39. Le droit souple a donc aidé à la protection des droits du requérant.
Les travaux du Défenseur des droits témoignent également des interactions entre le droit souple et la décision contentieuse. Le site internet de l’Institution ainsi que ses rapports annuels se font l’écho enthousiaste des décisions juridictionnelles témoignant d’un alignement du juge sur sa position 40, en gommant parfois les divergences persistantes. L’impact réel des prises de position du Défenseur des droits sur le juge est toutefois difficile à évaluer car il est rare que le juge s’y réfère expressément. Un contre-exemple est fourni par une ordonnance de référé du 12 octobre 2016, dans laquelle le TGI de Béthume s’appuie ouvertement sur l’argumentaire du Défenseur des droits, lui-même fondé sur des normes européennes et internationales, pour rejeter une demande d’expulsion de quelques centaines de personnes occupant un terrain municipal qui avait initialement été mis à leur disposition 41. Cet exemple témoigne non seulement de l’aide à la décision que peut fournir la soft law, mais aussi de ses effets positifs sur la diffusion du droit international et européen dans l’ordre juridique interne moyennant une mise en synergie inter-systémique
L’intervention de la soft law au stade de l’exécution des jugements est susceptible de produire les mêmes effets.
b/ Au stade de l’exécution des jugements
Il arrive que les organes générateurs de soft law s’impliquent dans le suivi de l’exécution des décisions juridictionnelles de façon plus ou moins organisée et assidue. Cela se dégage avec la plus grande netteté de la pratique de l’Assemblée parlementaire et du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui exercent depuis les années 2000 un suivi de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans les hypothèses de retard excessif 42. C’est ainsi que, au cours de ses visites in situ, le Commissaire aborde la question avec les autorités nationales qu’il rencontre. Pour sa part, l’Assemblée parlementaire adopte périodiquement des rapports, des résolutions et des recommandations sur l’état d’exécution des arrêts de la Cour 43. En janvier 2015 elle a même créé une nouvelle sous-commission sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, au sein de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme 44, ce qui témoigne largement de l’importance accordée à ce sujet. La participation de ces deux organes au suivi de l’exécution des arrêts de la Cour européenne a été entérinée et encouragée par les conférences intergouvernementales dont la dernière en date, la Conférence de Bruxelles qui s’est déroulée en mars 2015 45.
Le début des années 2010 marque quant à lui l’engagement du Défenseur des droits dans le suivi de l’exécution des arrêts de la Cour européenne. Ce rôle a émergé de la pratique institutionnelle. Il a été initié à la suite de l’arrêt Popov c. France du 19 janvier 2012 concernant la rétention de mineurs migrants accompagnant leurs parents dans des centres de rétention administrative. Le rapport annuel d’activité de 2011 explique que l’intervention du Défenseur des droits ne se justifie qu’ « en cas d’absence de suivi ou d’exécution seulement partielle des recommandations du Comité des Ministres ». Il peut alors « informer le Comité de l’état de la législation nationale qui est à l’origine de la condamnation de la France, et proposer ainsi des modifications législatives ou des pratiques en vigueur ». Au moyen d’une « veille jurisprudentielle », l’action vise à « accroitre la sensibilisation des autorités nationales aux standards de la Convention » en vue d’ « éviter les condamnations répétitives » 46. Le Défenseur se préoccupe également du suivi de l’exécution des décisions juridictionnelles nationales ainsi que des décisions du Conseil constitutionnel, même si le nombre d’interventions publiquement revendiquées semble faible pour l’instant 47.
Cette fonction de soutien à l’exécution des décisions de justice complète utilement l’intervention du juge et consolide en définitive la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux, au profit de leur effectivité. L’action du juge est nécessairement limitée, notamment parce que « le caractère contraignant et coercitif [des décisions de justice] n’est pas toujours bien perçu par les destinataires » 48. Dans ce contexte, la soft law présente l’intérêt de proposer une méthode complémentaire, basée sur le dialogue, la persuasion et, en dernier recours, la publicité du comportement défaillant, ce qui est supposé porter atteinte à l’honorabilité du débiteur défaillant. En définitive, parce qu’elle « cherche à convaincre et à expliquer davantage qu’à imposer, […] [la soft law] se montre en mesure de conférer à l’autorité de la chose jugée ce qui lui fait parfois défaut : la qualité de la chose acceptée » 49. Sans doute ne faut-il pas tout attendre de la soft law en la matière.
Si la soft law peut se présenter comme un collaborateur utile du juge au service de l’effectivité des droits fondamentaux, elle peut aussi constituer un risque sur ce terrain lorsqu’elle est elle-même attentatoire aux droits fondamentaux. L’effectivité de ces droits suppose alors la mise en place d’un contrôle de la soft law, qui est à ce stade embryonnaire.
B. Un contrôle embryonnaire du respect des droits fondamentaux par la soft law
La contribution de la soft law à l’effectivité des droits fondamentaux s’arrête net lorsqu’elle vise ou a pour effet de diminuer le niveau de protection des droits reconnu en droit positif, et davantage encore lorsqu’elle constitue elle-même la cause de leur méconnaissance. Le danger existe. Compte tenu des modalités souples, informelles et rapides de son élaboration, la soft law peut facilement être instrumentalisée pour lui faire porter un contenu illicite, empreint de considérations politiques et d’intérêts catégoriels insensibles aux droits de l’homme, avec l’espoir qu’elle produise malgré tout des effets juridiques. Pour s’en prémunir, est affirmée une primauté logique de la hard law sur la soft law, qui constitue un critère clair d’ordonnancement du pluralisme normatif induit par leur coexistence. Cette primauté trouve un certain nombre de prolongements contentieux, dont la finalité (pas nécessairement exclusive) est de préserver l’effectivité des droits fondamentaux.
En droit interne, cette hiérarchisation a été initiée par le Conseil d’Etat dans son rapport annuel de 2013 consacré au droit souple. Il énonce clairement que le droit souple ne peut jouer qu’un rôle auxiliaire en matière de libertés fondamentales puisqu’il ne doit pas « fixe[r] […] de prescriptions restant en-deçà des règles de droit dur ». Le Conseil d’Etat propose en conséquence de s’assurer que « le droit souple n’est susceptible, en aucun cas, de porter atteinte à une liberté ou un droit fondamental et, d’une manière générale, à des règles de droit international fixant des minimas indérogeables » 50.
Pour éviter d’une manière plus générale que le droit souple émanant des acteurs publics ne viole le droit positif, le Conseil d’Etat a ouvert le recours pour excès de pouvoir à l’encontre de tels actes au printemps 2016 51. Ceux-ci sont donc désormais soumis à un contrôle de légalité tant au regard de la loi qu’au regard des conventions internationales pertinentes, à commencer par la CEDH. Un premier arrêt concernant directement les droits fondamentaux a été rendu le 10 novembre 2016 dans l’affaire Mme. L. et autres. En l’espère, plusieurs chaînes de télévision avaient diffusé un message de sensibilisation à la trisomie 21 qui prêtait à confusion parce qu’il était noyé parmi des messages publicitaires et surtout parce qu’il s’agissait de donner une image positive de la trisomie, mais en s’adressant explicitement à des femmes enceintes confrontées au choix de recourir ou non à une IVG. On comprend que la finalité du message était pour le moins ambigüe. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a envoyé aux responsables de ces chaînes un courrier les invitant à faire attention aux modalités de diffusion d’un message d’intérêt général au sein d’écrans publicitaires. La décision du CSA d’envoyer ce courrier ainsi qu’un communiqué ultérieur expliquant sa démarche ont fait l’objet d’une demande d’annulation par la voie du recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi au motif que, contrairement à ce que prétendaient les requérants, le CSA n’a pas porté à la liberté d’expression une atteinte disproportionnée puisqu’il n’avait pas interdit la diffusion du message mais seulement alerté sur l’opportunité de l’insérer dans des écrans publicitaires 52. En dépit d’un apport incontestable à l’effectivité des droits fondamentaux, le contrôle de légalité exercé par le juge administratif à l’encontre de la soft law ne doit peut-être pas être surestimé compte tenu de ce que, plus d’un an après sa mise en place, seuls six arrêts ont été rendus en la matière, dont un seul concernant les droits fondamentaux.
Le contrôle est étendu, dans une certaine mesure, aux actes de droit souple émanant des acteurs privés, mais il est là aussi globalement confiné, en l’occurrence au droit du travail. Cette hypothèse, historiquement plus ancienne, a pour fondement l’article L 1121-1 du Code du travail. Cet article dispose que « [n]ul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Il a déjà été utilisé à plusieurs reprises pour contrôler le respect des droits fondamentaux par les codes de conduite d’entreprise, même si le contentieux n’est pas encore très développé. Un exemple récent est fourni par un arrêt de la Cour d’appel d’Angers en date du 31 mars 2015. Un manager avait été licencié parce qu’il avait séduit ses subordonnées et eu des relations sexuelles avec elles. Son comportement avait été considéré comme fautif uniquement parce qu’il était contraire aux « règles d’éthique » de l’entreprise telles que posées par une « charte éthique de management ». La Cour d’appel a jugé ce licenciement nul parce que son fondement violait le droit à la vie privée. Elle a expliqué qu’à travers son code d’éthique, la société cherchait à « contourner » l’article 9 du Code civil, qui protège le droit à la vie privée, et que l’exercice de ce droit « ne peut être considéré comme fautif au seul motif qu’il serait contraire à une quelconque règle éthique entrepreunariale illégale » 53.
Sur le plan international et européen, il n’existe pas à ce jour de mécanisme d’endiguement d’une soft law attentatoire aux droits fondamentaux. Il semblerait néanmoins que le risque de concrétisation d’une telle hypothèse commence à être perçu. C’est ainsi que pourrait être comprise l’affirmation du juge Pinto de Albuquerque dans son opinion séparée sous l’arrêt Muršić c. Croatie selon laquelle, « lorsqu’il y a de la hard law, la soft law peut l’enrichir, mais pas l’affaiblir. Si la soft law pouvait affaiblir le droit existant, il s’agirait d’une fraude, d’une violation du seuil normatif du droit européen des droits de l’homme et donc d’un phénomène pathologique de la normativité internationale. La soft law est l’un des moyens par lesquels on peut développer le droit européen, pas un moyen de le faire reculer ». Et il ajoute : « la soft law ne peut pas être le véhicule de considérations politiques ayant pour but de diluer ou amoindrir la force juridique des obligations existantes » 54.
Même si le risque d’une soft law attentatoire aux droits de l’homme commence à être perçu, la pratique rend généralement compte de l’effet protecteur du droit souple, en raison de ses exigences élevées en matière de droits de l’homme. De ce fait, il faut admettre que la soft law fait partie de l’avenir des droits fondamentaux en ce sens qu’elle participe à leur sauvegarde. Cet effet protecteur peut déteindre sur le droit positif et induire ainsi un développement du droit des droits fondamentaux. La soft law a alors la potentialité d’accélérer l’avenir des droits fondamentaux.
II. La soft law comme facteur de développement du droit des droits fondamentaux
Il est de notoriété publique que soft law peut jouer un rôle de précurseur du droit dur, qu’il soit textuel ou jurisprudentiel. Cette caractéristique a déjà été mise en exergue par la doctrine, par exemple à propos des droits des personnes en situation de handicap 55. L’intérêt porté à la soft law peut alors attester des modalités concrètes de construction du droit dur, à travers toutes les sources d’influence qui l’irriguent par capillarité et toutes les phases d’incubation qui en permettent la maturation.
Lorsqu’il est révélateur de l’influence de la soft law dans l’élaboration du droit dur, ce processus aboutit bien souvent à un développement du droit des droits fondamentaux. Autrement dit, le droit souple peut jouer un rôle de catalyseur de l’approfondissement du droit des droits fondamentaux. Mais ce rôle lui est parfois refusé. Dans un cas comme dans l’autre, en creux ou par une bosse, la soft law peut être considérée comme un marqueur de l’avenir des droits fondamentaux.
Reste à savoir dans quel cas le droit souple influence de façon déterminante la construction du droit dur. La tâche n’est pas aisée parce que cette influence n’est pas toujours visible, pas toujours affichée. Or le simple constat d’une concordance entre le droit souple et le droit dur ou d’un alignement du second sur le premier ne saurait suffire. De ce point de vue encore, on constate une différence nette entre le droit européen (celui de la CEDH plus précisément) et le droit interne français, ce qui s’explique sans doute par le fait que ces deux ordres juridiques en sont à des stades différents d’acclimatation à la soft law. Alors que la soft law constitue une source d’inspiration assumée mais controversée pour la Cour européenne des droits de l’homme (A), son impact est dissimulé dans l’ordre juridique interne (B).
A. Une source d’inspiration controversée de la Cour EDH
La soft law étant très développée au sein du Conseil de l’Europe, et plus largement en droit international, il n’est pas étonnant qu’elle côtoie fréquemment le juge des droits de l’homme et que les parties au procès l’invoquent pour tenter de faire triompher leurs prétentions. Ils le font notamment lorsque le contentieux soulève une question nouvelle, qui requiert une interprétation de la CEDH.
De ce fait, la question de savoir si l’interprétation de la Convention peut s’inspirer de la soft law, et si oui dans quelles proportions, est ouvertement posée depuis les années 2000. C’est même devenu l’une des questions centrales du droit de la CEDH, en ce sens que la soft law est au cœur des débats actuels sur les méthodes d’interprétation de la Cour et, par extension, sur sa nature et celle du mécanisme de garantie mis en place par la Convention. L’interprétation évolutive de la Convention, celle-là même qui peut impliquer une mobilisation de la soft law, est-elle légitime et dans quelles limites ? La Cour est-elle une Cour constitutionnelle, auquel cas elle serait légitimement appelée à poser des règles communes éventuellement en recourant à la soft law, ou simplement une juridiction du cas d’espèce ? Le système de garantie mis en place par la Convention est-il un simple mécanisme de coopération entre les Etats parties ou est-il imprégné d’une dimension d’intégration qui justifierait que l’interprétation de la Convention ne repose pas exclusivement sur la volonté unanime des Etats parties ? Bref, la place de la soft law dans le contentieux de la CEDH constitue un enjeu important, qui la dépasse largement. D’ailleurs, lorsqu’elle est citée dans la partie « en droit » des arrêts de la Cour 56, c’est souvent dans des arrêts importants, y compris des arrêts de Grande chambre classés d’importance 1 dans la base de données hudoc 57.
Sans surprise, il arrive que la Cour procède à une interprétation dynamique de la Convention en s’appuyant ouvertement sur la soft law. La méthode de l’interprétation évolutive suppose l’identification d’un consensus de nature à faire évoluer le niveau de protection offert par la Convention. Le mode d’établissement d’un tel consensus a lui-même évolué au fil du temps. Traditionnellement, le consensus se dégage (ou pas) d’une comparaison des législations et pratiques des Etats parties à la Convention. Le consensus est donc subjectif, en ce sens qu’il est strictement centré sur l’Etat. Cette conception du consensus est désormais concurrencée par une approche plus ouverte, moins stato-centrée. Il peut s’agir d’un consensus international, de nature objective, tel qu’il découle d’un corpus juris du droit international des droits de l’homme, c’est-à-dire de l’ensemble des textes européens et/ou internationaux de protection des droits de l’homme, quelle que soit leur nature juridique soft ou hard. La méthode est expliquée avec beaucoup de pédagogie dans l’arrêt de principe Demir et Baykara c. Turquie :
« La Cour, quand elle définit le sens des termes et des notions figurant dans le texte de la Convention, peut et doit tenir compte des éléments de droit international autres que la Convention, des interprétations faites de ces éléments par les organes compétents et de la pratique des Etats européens reflétant leurs valeurs communes. Le consensus émergeant des instruments internationaux spécialisés et de la pratique des Etats contractants peut constituer un élément pertinent lorsque la Cour interprète les dispositions de la Convention dans des cas spécifiques » 58.
Le choix de l’une ou l’autre de ces approches a des implications très fortes. La préférence pour le consensus subjectif maintien le mécanisme de protection juridictionnelle mis en place par la CEDH dans une logique de type Lotus 59, celle d’un mécanisme de simple coopération entre les Etats parties, stato-centré, « exclusivement volontariste et top-down » 60. Le développement des droits de l’homme est alors freiné car guidé par les seuls Etats. A l’inverse, le consensus objectif, construit par référence non seulement aux Etats européens, mais aussi aux Etats non européens, aux organes indépendants de protection des droits de l’homme et aux acteurs non étatiques, donne une coloration d’intégration au mécanisme de la CEDH qui peut être pensé comme un mécanisme « centré sur l’individu, largement multilatéral, résolument consensuel et bottom-up » 61. Le développement des droits de l’homme est alors facilité car il peut être déconnecté de la seule volonté des Etats. Selon une autre approche, le recours au seul consensus subjectif annihile pour ainsi dire tout pouvoir normatif de la Cour et l’enferme dans la logique de l’interprétation comme acte de connaissance, tandis que la recherche d’un consensus objectif est de nature à favoriser le pouvoir normatif de la Cour dans la logique de la théorie réaliste de l’interprétation. Enfin, d’un point de vue plus pragmatique, la méthode du consensus objectif a pour mérite essentiel de permettre une mise en synergie des différents instruments internationaux de protection des droits de l’homme en vue d’aboutir à une cohérence systémique d’ensemble. Au regard de tous ces prolongements, on comprend bien que le seul consensus objectif ne peut suffire à impulser un changement dans l’interprétation de la CEDH, du moins pas ouvertement. La Cour prend le soin d’ajouter qu’il est confirmé par le consensus subjectif 62.
Dans ce contexte, l’enjeu ici est de déterminer le poids de la soft law dans le constat d’un consensus. La question n’est pas spécifique au droit souple puisque la Cour ne prête pas vraiment attention au caractère juridiquement contraignant ou non d’un texte qu’elle juge pertinent. Ce qui importe, c’est qu’il s’en dégage « une communauté de vue dans les sociétés modernes » 63. Toutefois, c’est bien la potentialité que la soft law influe sur l’interprétation de la CEDH et la portée des droits qu’elle garantit qui irrite voire choque tout à la fois les Etats, une partie de la doctrine et même certains juges de la Cour 64, surtout lorsqu’elle n’émane pas d’un organe représentatif des Etats comme le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Le nœud du problème réside dans le fait que la méthode du consensus objectif, qui implique donc la soft law mais pas seulement, favorise une lecture progressiste de la CEDH, c’est-à-dire qu’elle peut accroître les obligations à la charge des Etats parties. Comme l’explique la Cour, « [i]l ne serait pas cohérent avec cette méthode [celle qui a été exposée dans l’arrêt Demir et Baykara] que la Cour adopte […] une interprétation de la portée [d’une disposition de la CEDH] beaucoup plus étroite que celle qui prévaut en droit international » 65. Autrement dit, ce qui choque, c’est que des normes juridiquement non contraignantes, c’est-à-dire pas toujours élaborées par les Etats eux-mêmes ou avec leur assentiment, aient la capacité de contribuer au développement du droit contraignant des droits de l’homme. En définitive, ce qui déplaît, c’est que le recours à la soft law signe parfois une approche non volontariste de l’interprétation de la CEDH, qui découle pourtant elle-même, de façon tout à fait légitime, d’une lecture non volontariste de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 qui fixe les directives d’interprétation des traités internationaux 66. La place de la soft law dans l’interprétation de la CEDH renvoie donc à une posture de doctrine qui divise manifestement jusque dans les rangs de la Cour.
L’irritation provoquée par une telle perspective 67 semble avoir réussi à infléchir la position de la Cour. Il est vrai que la juridiction européenne n’a pas toujours donné suite aux prétentions des requérants ou tiers intervenants qui sollicitaient une évolution de la jurisprudence en s’appuyant sur des textes de soft law. Mais la Cour donnait le sentiment d’assumer cette source d’inspiration. Une illustration est fournie par l’arrêt Bochan c. Ukraine (n° 2), dans lequel la Cour refuse de consacrer une obligation de réouverture d’une procédure juridictionnelle nationale terminée en tant que modalité d’exécution de l’un de ses arrêts sur le terrain de l’article 6 de la Convention (droit à un procès équitable), au motif qu’il n’existe pas de consensus sur ce point au sein de la communauté des Etats contractants. Pourtant, la Cour encourage les Etats à agir de la sorte en rappelant la Recommandation n° R (2000) 2 du Comité des Ministres allant en ce sens 68.
Depuis peu, la jurisprudence semble toutefois témoigner d’une certaine réserve, voire même d’une certaine réticence à l’encontre de la soft law. Ce constat doit être considéré avec prudence parce que l’évolution identifiée est beaucoup trop récente pour autoriser des conclusions définitives. Il s’agit plutôt ici de rendre compte de quelques signaux dont il faut attendre l’éventuelle consolidation.
Un premier signal, peut être innocent, est fourni par les affaires dans lesquelles la Cour passe délibérément sous silence la soft law alors qu’elle y avait fait référence dans des affaires antérieures portant sur le même sujet. L’arrêt Jeronovics c. Lettonie illustre cette hypothèse. En l’espèce, le requérant se plaignait de l’absence de réouverture d’une enquête pénale suite à un constat de violation de la CEDH. Pour rejeter ses prétentions, la Cour se contente de rappeler que « [s]elon sa jurisprudence ancienne et constante, la Convention ne garantit pas en principe un droit à la réouverture d’une procédure clôturée » et renvoie à l’arrêt Bochan c. Ukraine 69. Elle s’abstient donc de toute référence à la Recommandation n° R (2000) 2 du Comité des Ministres, ce qui tranche nettement avec l’arrêt Bochan rendu dix sept mois plus tôt. Ce silence surprend d’autant plus que le Gouvernement, à la suite du requérant, se référait lui-même à cette recommandation, qu’il jugeait pertinente « à titre indicatif » en l’espèce, mais dont il écartait l’application au regard des circonstances de la cause 70.
Un signal plus puissant est envoyé par des arrêts de principe, rendus en Grande chambre, qui fixent une nouvelle interprétation de la CEDH, certes inspirée de textes internationaux et européens de hard et de soft law, mais à travers lesquels on perçoit que la Cour est extrêmement prudente et que les juges sont partagés quant à l’impact que peuvent avoir des sources externes, dont les textes de soft law, sur l’interprétation de la CEDH. L’arrêt Magyar Helsinki Bizottsag c. Hongrie en constitue une illustration éclatante. Il s’agissait de savoir si l’article 10 de la CEDH (liberté d’expression) couvre le droit d’accéder à des informations détenues par les autorités publiques, en plus du droit acquis de recevoir et de communiquer des informations. Le requérant l’affirmait, en s’appuyant notamment sur l’observation générale n° 34 du Comité des droits de l’homme au titre de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (liberté d’expression). Au contraire, le gouvernement défendeur et le gouvernement britannique, tiers intervenant dans la procédure, priaient fermement la Cour de se laisser guider par la seule volonté des Etats témoignant, selon eux, de l’exclusion délibérée de la liberté de rechercher des informations du champ d’application de l’article 10 de la CEDH. La Cour réfute la pertinence des travaux préparatoires en l’espèce et établit que,
« depuis l’adoption de la Convention, le droit interne de l’écrasante majorité des États membres du Conseil de l’Europe ainsi que les instruments internationaux pertinents ont effectivement évolué au point qu’il se dégage un large consensus, en Europe et au-delà, quant à la nécessité de reconnaître un droit individuel d’accès aux informations détenues par l’État afin d’aider le public à se forger une opinion sur les questions d’intérêt général » 71.
Pour établir le consensus international, la Cour se montre très prudente. Elle se réfère principalement à des textes de hard law, mais aussi à quelques instruments de soft law essentiellement élaborés par des organes représentatifs des Etats ou des organes indépendants à propos desquels elle prend la peine de souligner que la quasi-totalité des Etats parties ont accepté leur compétence 72. Avant de consacrer un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique dans certaines circonstances, la Cour souligne qu’ « [e]lle a conscience […] de ce que l’on ne peut attendre des Etats qu’ils mettent en œuvre une obligation internationale qu’ils n’ont pas d’abord acceptée » 73.
L’arrêt est accompagné de deux opinions séparées, l’une concordante, l’autre dissidente, qui témoignent de débats internes vifs au sujet de la pertinence de la méthode d’interprétation évolutive et de ses limites. L’opinion concordante, signée par les juges Sicilianos et Raimondi, se montre favorable à l’interprétation évolutive en ce qu’elle est un vecteur d’expression de la volonté des Etats parties ultérieurement à l’adoption de la Convention. En conséquence, les deux juges sont favorables à l’interprétation par référence à des sources externes, à condition que ces sources témoignent de la volonté des Etats, c’est-à-dire à la condition, non expressément énoncée, que la soft law utilisée émane d’organes représentatifs des Etats. Au contraire, dans leur opinion dissidente, les juges Spano et Kjølbro optent ostensiblement pour une méthode volontariste d’interprétation de la CEDH, ce qui les fonde à limiter le périmètre de l’interprétation évolutive et de l’interprétation harmonieuse avec les autres normes pertinentes du droit international. Sur ce derniers point, les juges Spano et Kjølbro assument parfaitement que les droits aient une portée différente d’une Convention à une autre. A fortiori, ils rejettent fermement toute référence à des instruments de soft law, dont ils nient au passage toute once de juridicité 74.
Un autre indicateur très puissant découle d’arrêts de principe, toujours rendus en Grande chambre, qui refusent, ostensiblement mais péniblement, la solution plus protectrice des droits soufflée par la soft law. L’arrêt Muršić c. Croatie fait incontestablement partie de cette catégorie d’arrêts. La Cour était appelée à établir une norme chiffrée pour évaluer la surpopulation carcérale, étant entendu que le CPT l’a fixée à 4 m2 par détenu dans une cellule collective. La Grande chambre fixe pour sa part une exigence minimale de 3 m2 de surface au sol par détenu 75, en deçà de laquelle est établie une simple présomption réfragable de violation de l’article 3 de la CEDH (interdiction des traitements inhumains ou dégradants). Elle choisit donc délibérément de s’écarter du standard prôné par le CPT.
Elle s’en explique longuement en mettant en avant la différence d’approche entre sa démarche et celle du CPT. La justification peine à emporter la conviction 76. La Cour se justifie en soulignant que, « dans le cadre de son appréciation au regard de [l’article 3], elle doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes de la cause, tandis que les autres organes internationaux tels que le CPT élaborent des normes générales en la matière à des fins de prévention des mauvais traitements » 77. Pourtant le contentieux de la surpopulation carcérale ne s’assimile pas à un contentieux individualisable ; il relève d’un problème systémique qui appelle une réponse d’ordre systémique 78.
La Cour ajoute qu’elle « joue un rôle conceptuellement différent de celui confié au CPT ». Celui-ci « n’a pas pour tâche de dire si des faits donnés sont constitutifs de peines ou de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 […]. Il agit principalement en amont dans un but de prévention, démarche qui tend par sa nature même vers un degré de protection plus élevé que celui qu’applique la Cour lorsqu’elle statue sur les conditions de détention d’un requérant » 79. Pourtant, le CPT a récemment établi une distinction entre une norme minimale (4 m2 par détenu dans une cellule collective, soit 8 m2 pour deux détenus) et une norme souhaitable qu’il souhaite promouvoir (6 m2 auxquels s’ajoutent 4 m2 par détenu supplémentaire, soit 10 m2 pour deux détenus) 80. Même si la Cour avait retenu le seuil de 4 m2, le CPT tendrait toujours vers un degré de protection plus élevé.
La solution étonne et détonne. Dans les affaires de surpopulation carcérale la grande difficulté est d’établir une norme chiffrée claire. Or le CPT, qui a une expertise reconnue dans le domaine pénitentiaire et une connaissance fine des conditions de détention en Europe, propose une norme précise établie au regard des connaissances actuelles en sciences sociales. Il estime que, pour évaluer l’existence de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3, la surface disponible par personne est « souvent un facteur très significatif, voire décisif ». Si bien que « des conditions de détention qui offrent aux détenus moins de 4 m² par personne dans des cellules collectives […] ont constamment été critiquées par le CPT, et les autorités ont été régulièrement appelées […] à diminuer le nombre de détenus dans des cellules collectives » 81. En prenant ostensiblement le contrepied du CPT, la Grande chambre prend donc le risque d’entacher l’autorité du CPT et pourrait involontairement inciter les Etats à ne pas suivre ses recommandations. La Cour ne l’ignore pas. Signe de son embarras évident, elle « tient néanmoins à souligner qu’elle demeure attentive aux normes élaborées par le CPT et que, nonobstant cette différence de fonctions, elle examine soigneusement les cas où les conditions de détention ne respectent pas la norme de 4 m² fixée par lui » 82.
En définitive, on peut être porté à croire que le facteur décisif, mais nécessairement inavoué, est le coût financier du standard spatial érigé en critère d’appréciation des conditions de détention. Des considérations budgétaires rentreraient alors en compte dans l’évaluation du respect de l’interdit des traitements inhumains et dégradants, ce qui cadre mal avec le caractère absolu de cet interdit.
Un dernier signal tout aussi puissant est produit par l’arrêt de Grande chambre Khamtokhu et Aksenchik c. Russie du 24 janvier 2017. La question était de savoir si le fait de limiter les condamnations à la réclusion à perpétuité aux seuls hommes âgés de 18 à 65 ans est constitutif d’une discrimination fondée sur le sexe et l’âge en violation de l’article 14 (interdiction de discrimination) combiné avec l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la CEDH. Fait déterminant en l’espèce, le Gouvernement refusait d’abolir purement et simplement la réclusion à perpétuité. Il expliquait que si la mesure était jugée discriminatoire, il n’aurait d’autre choix que d’étendre la réclusion à perpétuité aux femmes et aux enfants ce qui, selon lui, serait interdit par différentes textes internationaux et européens des droits de l’homme dont de nombreux textes de soft law. Il procédait donc à un chantage : soit la Cour admettait la conventionalité de la différence de traitement, soit elle admettait qu’un constat de discrimination aboutirait à une solution en contradiction avec la soft law. La Cour était donc complètement prise en étau entre deux exigences présentées comme inconciliables : développer la protection offerte par la Convention d’une part et concilier le droit de la CEDH avec la soft law d’autre part. L’affaire illustre donc l’hypothèse – très rare pour l’instant – dans laquelle la soft law est invoquée, ou plus exactement instrumentalisée ici, pour justifier une législation pénale restrictive.
La Cour cède au chantage du gouvernement russe. Elle commence par rappeler son arrêt Vinter et al. c. Royaume-Uni, dans lequel elle s’est largement appuyée sur la soft law pour juger que la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération est contraire à l’article 3 de la CEDH 83. Elle constate ensuite que la soft law « interdit » la condamnation de mineurs à la réclusion à perpétuité 84. Mais faute de consensus subjectif et objectif, elle se trouve empêchée de condamner en soi la perpétuité compressible 85 et reconnaît donc aux Etats une marge d’appréciation sur ce point. La Cour s’abstient donc de développer la protection offerte par la Convention, en conséquence de quoi le Gouvernement est fondé à refuser d’abolir la réclusion à perpétuité pour tous. La Cour se réserve néanmoins la possibilité de faire évoluer sa jurisprudence ultérieurement 86. Finalement, la Cour valide la différence de traitement fondée sur l’âge à une écrasante majorité et la différence de traitement fondée sur le sexe à une courte majorité de dix voix contre sept. Autrement dit, la Cour admet, péniblement et sans la cautionner véritablement, une législation pénale établissant une différence de traitement au profit des femmes mais au détriment des hommes, dans une logique de protection des femmes supposée conforme à la soft law invoquée par le Gouvernement. Celle-ci est donc déterminante en l’espèce. On pourrait y voir l’illustration d’une hypothèse dans laquelle la soft law empêche le développement de la protection des droits de l’homme sous l’angle de la CEDH. Sauf que le Gouvernement a clairement instrumentalisé la soft law en l’espèce. Comme l’ont souligné plusieurs juges, les instruments de soft law qu’il a invoqués « ne touchent aucunement à l’imposition ou non aux femmes de la réclusion à perpétuité, voire plus généralement à des questions de politique pénale à l’égard des femmes » ; ils « concernent essentiellement un sujet distinct, à savoir les conditions de leur détention et notamment celles des catégories de femmes qui sont les plus vulnérables (femmes enceintes, allaitantes et mères ayant des enfants en bas âge) » 87.
Dans toutes les hypothèses dans lesquelles la Cour assume que la CEDH n’est qu’un standard minimum qui n’est pas nécessairement le plus protecteur des droits de l’homme, la soft law reste finalement le seul vecteur de développement des droits de l’homme, ce qui en fait un marqueur de leur avenir potentiel.
En tout état de cause, l’intensité des débats au sein et autour de la Cour européenne des droits de l’homme au sujet du poids de la soft law tranche nettement avec le caractère beaucoup plus feutré des enjeux dans l’ordre juridique interne.
B. Une source d’inspiration dissimulée en droit interne
Dans l’ordre juridique interne il est difficile de dépasser une approche consistant à postuler la contribution de la soft law au développement du droit des droits fondamentaux car son impact est plus discret, moins assumé. La présomption d’impact concerne tant le juge que le législateur. A défaut de pouvoir procéder à une analyse exhaustive, l’exemple du Défenseur des droits paraît éclairant.
Les rapports annuels d’activité du Défenseur affichent un bilan chiffré très instructif. Le rapport annuel 2014 indique que onze des vingt-six propositions de réforme adressées aux pouvoirs public ont été satisfaites, soit un taux de succès élevé de 42%. Le rapport annuel 2016 indique quant à lui que vingt-six des cent cinquante-deux propositions de réforme ont reçu une suite favorable, soit un taux de succès plus modeste de 17%. Ces chiffres sont difficiles à vérifier sans s’engager dans une étude de grande ampleur. Il est tout aussi difficile d’affirmer avec certitude que les taux de réussite affichés correspondent à une contribution du Défenseur des droits à un approfondissement du droit des droits de l’homme. Compte tenu de ses modalités de fonctionnement, une présomption simple en ce sens paraît plausible 88.
Les chiffres sont beaucoup plus élevés à propos des observations effectuées devant les juridictions. Le rapport annuel de 2014 indique que dans 72% des cas les décisions des juridictions confirment les observations de l’institution. Le chiffre grimpe à 83% pour l’année 2016. Il est là encore très difficile de vérifier ces chiffres, non seulement en raison de la masse de documents qu’il faudrait traiter, mais aussi parce que le poids de l’Institution dans la solution retenue n’est jamais clairement affiché. Un exemple permet toutefois de montrer que le Défenseur des droits contribue au développement du droit des droits fondamentaux en France, même si les chiffres affichés sont peut-être un peu ambitieux en ce sens que les juridictions ne suivent pas toujours intégralement les solutions préconisées par la soft law.
Les affaires concernant les contrôles d’identité « au faciès » permettent d’illustrer le propos. Par treize arrêts datés du 9 novembre 2016 89, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la responsabilité de l’Etat pour le fonctionnement défectueux du service public de la justice résultant du caractère discriminatoire de contrôles d’identité. Le Défenseur des droits est intervenu volontairement, en présentant des observations écrites 90. Après une présentation du cadre juridique de la lutte contre les discriminations, mêlant soft et hard law, et des travaux du Défenseur et d’autres instances non juridictionnelles de protection des droits de l’homme, le Défenseur des droits prend position en faveur d’un aménagement de la charge de la preuve pour faciliter la tâche des victimes de discrimination. En se fondant sur les exigences du droit européen relatif à la lutte contre les discriminations, il proposait un aménagement probatoire à double détente. D’une part, il était favorable à un partage plus équitable du fardeau de la preuve entre le demandeur et le défendeur au moyen d’une présomption de discrimination. D’autre part, il appelait de ses vœux une approche souple à l’égard des éléments de preuve recevables. Sur ce point, il contestait l’exigence posée par la Cour d’appel d’un « faisceau de circonstances graves, précisés et concordantes ». Les difficultés pour la personne contrôlée de présenter des preuves irréfutables de la motivation discriminatoire justifient, aux yeux du Défenseur des droits, l’appréhension des données statistiques comme un commencement de preuve suffisant pour renverser la charge de la preuve. La Cour de cassation a suivi en partie les propositions du Défenseur. Elle accepte d’aménager la charge de la preuve au profit de la personne contrôlée, en transposant la méthode de preuve de la discrimination appliquée en droit du travail 91 : « il appartient à celui qui s’en prétend victime d’apporter des éléments de fait de nature à traduire une différence de traitement et laissant présumer l’existence d’une discrimination, et, le cas échéant, à l’administration de démontrer, soit l’absence de différence de traitement, soit que celle-ci est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination » 92. En revanche, la Cour de cassation se montre insensible à l’appel du Défenseur à la souplesse dans la recevabilité des éléments de preuve : elle juge que les études et statistiques sur la pratique du contrôle en France produites par les plaignants « sont à eux seuls, insuffisants à laisser présumer une discrimination » 93. Il est légitime d’en déduire que la soft law a exercé une certaine influence sur le juge, même si la pudeur du juge empêche d’établir le caractère déterminant ou accessoire de cette influence, faute de trouver dans sa motivation la moindre référence à l’observation du Défenseur des droits.
***
L’étude de la soft law incite à dompter la tendance naturelle du juriste à considérer que la contrainte et le recours au juge constituent les alliés les plus fidèles des droits de l’homme. Même si elle incite plus qu’elle ne contraint, la soft law contribue elle aussi à la sauvegarde et au développement des droits de l’homme. Ce constat appelle à considérer que, même si elle ne saurait prétendre incarner l’avenir des droits fondamentaux, elle y contribue. L’un de ses mérites réside dans sa capacité d’entrer en interaction avec le droit dur pour révéler la mise en place, dans et surtout entre les différents systèmes de protection des droits de l’homme, d’un droit global des droits fondamentaux, aussi chaotique soit-elle.
Notes:
- L’expression « soft law » est privilégiée en droit international, tandis que l’appellation « droit souple » prime en droit interne. Ces deux expressions seront considérées comme des synonymes ici. ↩
- B. DELAUNAY, « Les protections non juridictionnelles des droits publics subjectifs des administrés », in Les droits publics subjectifs des administrés, Actes du colloque organisé les 10 et 11 juin 2010 par l’Association française pour la recherche de droit administratif à Bordeaux, 2011, Paris, Litec, p. 211 : les droits fondamentaux, selon la doctrine allemande, « doivent être protégés par un système de recours à procédure contentieuse susceptibles d’aboutir à des sanctions » ; M. VIRALLY, « Préface », in G. MALINVERNI, Le règlement des différends dans les organisations internationales économiques, Leiden, Sijthoff, 1974, p. 3 : « Par une incitation bien naturelle, le juriste a tendance à considérer que la méthode la plus parfaite pour résoudre les différends sociaux, quels qu’ils soient, est le règlement judiciaire ». ↩
- O. DORD, « Droits fondamentaux (Notion de – et théorie des -) », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA et al. (dir.), Dictionnaire des Droits de l’Homme, Paris, PUF, 2012, p. 332. ↩
- P. DEUMIER, « La réception du droit souple par l’ordre juridique », in Le droit souple, Association Henri Capitant, Journées nationales, Boulogne-sur-Mer, t. XIII, Paris, Dalloz, 2009, p. 113. ↩
- B. LAVERGNE, Recherche sur la soft law en droit public français, Paris, L.G.D.J., 2013, p. 26. ↩
- Dictionnaire Le petit Robert, 2013, p. 195. ↩
- La trilogie « droit mou, doux, flou » a été initiée par M. DELMAS-MARTY, « Le mou, le doux et le flou sont-ils des garde-fous ? », in J. CLAM ; G. MARTIN (dir.), Les transformations de la régulation juridique, Paris, L.G.D.J., 1998, pp. 209 et s. Elle a été reprise notamment par C. THIBIERGE, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit », R.T.D. Civ., 2003, pp. 599 et s. ↩
- G. ABI-SAAB, « Eloge du « droit assourdi ». Quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international contemporain », in Nouveaux itinéraires en droit, Hommage à François Rigaux, Bibliothèque de la Faculté de droit de l’Université catholique de Louvain, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 66. ↩
- I. HACHEZ, « L’inclusion des personnes en situation de handicap : du soft law au hard law et inversement », in M. A. AILINCAI (dir.), Soft law et droits fondamentaux, Pedone, Paris, 2017, pp. 241-263. ↩
- Pour un exemple, voir Manuel de droit européen en matière de droits de l’enfant, juin 2015, 268 p. Ce manuel a pour ambition de « donne[r] une vue d’ensemble des droits fondamentaux des enfants dans les Etats membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe » (p. 13). Disponible ici : http://www.echr.coe.int/Documents/Handbook_rights_child_FRA.PDF ↩
- S. GERRY-VERNIERES, « Soft law et sécurité juridique », in M. A. AILINCAI, Soft law et droits fondamentaux, op. cit., p. 152. ↩
- P. DEUMIER, « Les codes de conduite des entreprises et l’effectivité des droits de l’homme », in L. BOY ; J.-B. RACINE ; F. SIIRIAINEN (coord.), Droit économique et droits de l’homme, Larcier, Louvain-la-Neuve, 2009, p. 689. Voir aussi P. DEUMIER, « « La responsabilité sociétale de l’entreprise et les droits fondamentaux », Rec. Dalloz, 2013, pp. 1564 et s. ↩
- Cons. Const., 24 janvier 2017, Contrôles d’identité sur réquisitions du procureur de la République, déc. n° 2016-606/607 QPC. ↩
- Défenseur des droits, « Relations police/population : le Défenseur des droits publie une enquête sur les contrôles d’identité », communiqué de presse, 20 janvier 2017. ↩
- W. HOFFMANN-RIEM, « The Venice Commission of the European Council – Standards and Impact », The European Journal of International Law, 2014, vol. 25, n° 2, p. 582. ↩
- Pour un exemple parmi tant d’autres, voir Décision du Défenseur des droits n° MDS-2013-33 du 26 mars 2013 relative aux carences constatées dans la conduite d’une enquête interne dans un établissement pénitentiaire sur des allégations de violence commises sur une personne détenue. ↩
- S. GERRY-VERNIERES, « Soft law et sécurité juridique », op. cit., p. 151. ↩
- Pour un exemple, voir l’avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 21 octobre 2009 relatif à l’exercice de leur droit à la correspondance par les personnes détenues, JORF du 28 octobre 2009. ↩
- Conseil d’Etat, Le droit souple, Etude annuelle 2013, Paris, La Documentation française, p. 13. ↩
- Les liens entre la légitimité et l’effectivité de la nome sont mis en avant par Marie-Anne Cohendet : « plus une norme est légitime, plus elle a de chances d’être effective. Et plus elle est effective, plus l’image de ce qui doit être sera marquée par cette pratique et donc plus la norme sera légitime ». Cf. M.-A. COHENDET, « Légitimité, effectivité et validité », in La République, Mélanges en l’honneur de Pierre Avril, Paris, Montchrestien, 2001, p. 226. ↩
- A propos des recommandations de la Commission de Venise, voir W. HOFFMANN-RIEM, « The Venice Commission of the European Council – Standards and Impact », op. cit., pp. 588-590. ↩
- Voir toutefois R. KICKER ; M. MÖSTL, Standard-setting through monitoring ? The role of Council of Europe expert bodies in the development of human rights, Strasbourg, Council of Europe Publishing, 2012, pp. 143-175 ; Conseil de l’Europe, Direction générale Droits de l’homme et Etat de droit, L’impact réel des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe pour l’amélioration du respect des droits de l’Homme et de la prééminence du droit dans les Etats membres, 2014, 62 p., disponible ici : https://edoc.coe.int/fr/liberts-fondamentales/6597-practical-impact-of-the-council-of-europe-monitoring-mechanims.html ↩
- A propos des recommandations de la Commission de Venise, voir W. HOFFMANN-RIEM, « The Venice Commission of the European Council – Standards and Impact », op. cit., pp. 590-595. ↩
- Tel est le cas par exemple du Défenseur des droits ou du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (article 36 § 3 de la CEDH). ↩
- Pour un exemple concernant une Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, voir CourEDH, 28 février 2017, Bivolaru c. Roumanie, par. 100-107. ↩
- Pour des illustrations, voir M. AILINCAI, Le suivi du respect des droits de l’homme au sein du Conseil de l’Europe. Contribution à la théorie du contrôle international, Paris, Pedone, 2012, spéc. pp. 467-488 ; F. TULKENS ; S. VAN DROOGHENBROECK ; F. KRENC, « Le soft law et la Cour européenne des droits de l’homme. Questions de légitimité et de méthode », in I. HACHEZ et al. (dir.), Les sources du droit revisitées, vol. 1, Limal/Bruxelles, Anthemis/Université Saint-Louis, 2012, pp. 381-431 ; S. VAN DROOGHENBROECK, « Le soft law et la Cour européenne des droits de l’homme », in M. A. AILINCAI, Soft law et droits fondamentaux, op. cit., pp. 185-203 ; L. R. GLAS, « The European Court of Human Rights’ Use of Non-Binding and Standard-Setting Council of Europe Documents », Human Rights Law Review, 2017, n° 17, pp. 97-125. ↩
- CourEDH, 13 avril 2017, Podeschi v. San Marino, par. 115 (arrêt non définitif à ce jour). ↩
- Un autre exemple se dégage de la comparaison entre la décision Koufaki et Adedy c. Grèce rendue par la Cour européenne des droits de l’homme le 7 mai 2013 et la décision que le Comité des droits économiques et sociaux a rendue le 7 décembre 2012 dans l’affaire Fédération des pensionnés salariés de Grèce (IKA-ETAM), réclamation n° 76/2012. ↩
- Cf. infra. ↩
- CourEDH, 8 avril 2014, National Union of rail, maritime and transport workers c. Royaume-Uni, par. 91 et 92. ↩
- Ibid., par. 94. ↩
- La Cour souligne que « la valeur interprétative des avis du CEDS apparaît généralement admise par les Etats et par le Comité des Ministres. Elle est en tout cas reconnue par la Cour, qui a tenu compte à maintes reprises des interprétations de la Charte données par le CEDS et des avis de celui-ci sur le respect par les Etats de diverses dispositions de ce texte ». Quant à la commission d’experts de l’OIT, la Cour note qu’elle a « un rôle de référence et de guide pour l’interprétation de certaines dispositions de la Convention » (par. 97). ↩
- Ibid., par. 98. ↩
- Ibid., par. 98. ↩
- Ibid., par. 106. ↩
- Cette répartition des rôles est clairement assumée dans l’opinion concordante commune aux juges Ziemele, Hirvelä et Bianku : « Eu égard à la nature de ces grèves et à leur incidence dans le domaine de la politique économique, il est préférable de traiter la question dans le cadre du dialogue engagé avec les organes de surveillance spécialisés en matière de droits sociaux et du travail. Ce genre de processus plus souple permet à l’État défendeur de continuer à réfléchir à ses choix économiques alors qu’un arrêt de la Cour concluant à la violation mettrait un coup d’arrêt brutal à un tel processus » (par. 3). ↩
- Conseil d’Etat, Le droit souple, op. cit., p. 177. ↩
- Ibid., p. 177. ↩
- CAA Nantes, 31 mai 2016, n° 15NT03165, cons. 4. ↩
- A en croire le rapport annuel du Défenseur des droits pour 2016, les décisions juridictionnelles confirment les observations de l’Institution dans 83% des cas (p. 9). ↩
- TGI Béthune, ord. 12 octobre 2016, n° 16/00170 ; Décision MLD-MSP-2016-197 du Défenseur des droits du 25 juillet 2016 relative à une procédure d’expulsion d’occupants sans droit ni titre d’un terrain (observations). ↩
- Voir M. AILINCAI, Le suivi du respect des droits de l’homme au sein du Conseil de l’Europe. Contribution à la théorie du contrôle international, op. cit., pp. 377-380. ↩
- Pour les derniers documents en date, voir Doc. 13864 et addendum, 9 septembre 2015, La mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Rapport de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme ; Résolution 2075 (2015) et Recommandation 2079 (2015), 30 septembre 2015. ↩
- Doc. 13864, ibid., par. 44-45. ↩
- Conférence de haut niveau sur la mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l’homme, Déclaration de Bruxelles, 27 mars 2015, Plan d’action, point C.3 e) et f). ↩
- Défenseur des droits, Rapport annuel 2011, p. 30. ↩
- D. LÖHRER, « Le soutien du Défenseur des droits à l’exécution des décisions de justice », R.F.D.A., 2016, pp. 727 et s. ↩
- Ibid. ↩
- Ibid. ↩
- Conseil d’Etat, Le droit souple, op. cit., p. 138. ↩
- Conseil d’Etat, 21 mars 2016, Fairvesta International GmbH, Fairvesta Europe AG, Fairvesta Europe AG II et Fairvesta Vermögensverwaltung International AG, n° 368082, Lebon ; Cons. Etat (fr.), 21 mars 2016, société NC Numericable, n° 390023. Pour des réactions doctrinales, voir notamment P. DEUMIER, « Quand le droit souple rencontre le juge dur », R.T.D. Civ., 2016, pp. 571 et s. ; L. DUTHEILLET DE LAMOTHE et G. ODINET, « Un recours souple pour le droit souple », A.J.D.A., 2016, pp. 717 et s. ; F. MELLERAY, « Le contrôle juridictionnel des actes de droit souple », R.F.D.A., 2016, pp. 679 et s. ; A. SEE, « Contrôle des actes de droit souple – Le droit souple des autorités de régulation », Droit administratif, 2016, n° 5, comm. 34. ↩
- Conseil d’Etat, 20 novembre 2016, n° n° 384691, 384692 et 394107 ↩
- CA Angers, 31 mars 2015, n° 13/ 01949. ↩
- Opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque sous l’arrêt de Grande chambre Muršić c. Croatie du 20 octobre 2016, par. 33. ↩
- I. HACHEZ, « L’inclusion des personnes en situation de handicap : du soft law au hard law et inversement », in M. A. AILINCAI (dir.), Soft law et droits fondamentaux, op. cit., pp. 241-263. ↩
- La soft law est le plus souvent citée dans la partie « droit pertinent » des arrêts, auquel cas son influence est incertaine mais peut être présumée dérisoire ou minime. ↩
- L. R. GLAS, « The European Court of Human Rights’ Use of Non-Binding and Standard-Setting Council of Europe Documents », Human Rights Law Review, 2017, n° 17, pp. 102-103. ↩
- CourEDH, GC, 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie, par. 85. ↩
- Dans son célèbre arrêt Lotus de 1927, la Cour permanente de justice internationale énonce que « [l]es règles de droit liant les Etats procèdent […] de la volonté de ceux-ci ». Cet arrêt fonde la théorie volontariste du droit international. ↩
- Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque sous l’arrêt de Grande chambre Khamtokhu et Aksenchik c. Russie du 24 janvier 2017, par. 35. ↩
- Ibid. ↩
- Un exemple récent est fourni par l’arrêt Taddeucci et McCall c. Italie, dans lequel la Cour se fonde sur une étude de droit comparé confirmée par une « tendance significative » au niveau mondial consistant à permettre le regroupement familial et à accorder en conséquence un permis de séjour non seulement aux conjoints, mais aussi aux partenaires non mariés, ce qui permet d’inclure les couples de même sexe. Cf. CourEDH, 30 juin 2016, Taddeucci et McCall c. Italie, par. 97. Pour un autre exemple, voir CourEDH, National Union of rail, maritime and transport workers c. Royaume-Uni, op. cit., par. 75-77 : la Cour étend le champ d’application de l’article 11 de la CEDH en admettant que les grèves secondaires relèvent de cette disposition. Pour ce faire, elle renvoie certes à une conception partagée par les Etats parties à la CEDH mais s’inspire surtout ostensiblement de la Convention n° 87 de l’OIT et de la Charte sociale européenne, telles qu’interprétées par les organes de contrôle qu’elles instituent. ↩
- CourEDH, GC, 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie, par. 86. ↩
- Les réactions provoquées par l’arrêt de chambre Demir et Baykara sont à cet égard significatives. Voir CourEDH, GC, 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie, par. 61 et 62 ; RENUCCI, J.-F., « Les frontières du pouvoir d’interprétation des juges européens », Note sous l’arrêt Demir et Baykara c. Turquie du 21 novembre 2006, JCP.G, n° 11, 14 mars 2007, act. 120 ; RENUCCI, J.-F. ; BÏRSAN, C., « La Cour européenne des droits de l’homme et la Charte sociale européenne : les liaisons dangereuses », Note sous l’arrêt Demir et Baykara c. Turquie du 21 novembre 2006, Dalloz, 2007, n° 6. ↩
- CourEDH, National Union of rail, maritime and transport workers c. Royaume-Uni, op. cit., par. 76. ↩
- En droit international, un débat récurrent oppose les volontaristes aux objectivistes. Les premiers prônent une interprétation des traités internationaux basée sur la volonté, initiale ou actualisée des Etats, tandis que les seconds refusent à l’intention des parties l’exclusivité dans le processus d’interprétation. Or, à défaut d’admettre que la conception objective prévaut dans le texte des articles 31 à 33 de la Convention de Vienne intéressant l’interprétation des traités, il faut au moins accepter que « les approches objectivistes et volontariste ne p[euve]nt être départagées scientifiquement » ; elles traduisent « des sensibilités différentes que la science du droit ne peut hiérarchiser ». Voir O. CORTEN, « Les techniques reproduites aux articles 31 à 33 des Conventions de Vienne : approche objectiviste ou approche volontariste de l’interprétation ? » R.G.D.I.P., Dossier : Les techniques interprétatives de la norme internationale, 2011, n° 2, t. 115, pp. 351-366 (p. 352). ↩
- Voir par exemple l’opinion concordante très volontariste du juge Wojtyczek sous l’arrêt National Union of rail, maritime and transport workers c. Royaume-Uni, op. cit. ↩
- CourEDH, GC, 5 février 2015, Bochan c. Ukraine (n° 2), par. 58. Il s’agit de la Recommandation n° R (2000) 2 sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne suite à des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, adoptée le 19 janvier 2000. ↩
- CourEDH, GC, 5 juillet 2017, Jeronovics c. Lettonie, par. 121. ↩
- Ibid., par. 43. ↩
- CourEDH, GC, 8 novembre 2016, Magyar Helsinki Bizottsag c. Hongrie, par. 140. ↩
- Ibid., par. 140 : la Cour signale que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été « ratifié par l’ensemble des quarante-sept Parties contractantes à la Convention, y compris la Hongrie » et que « toutes, sauf la Suisse et le Royaume-Uni, ont accepté le droit de recours individuel en vertu du Protocole facultatif s’y rapportant ». ↩
- Ibid., par. 150. ↩
- Opinion dissidente du juge Spano, à laquelle se rallie le juge Kjølbro, par. 36 : « Dans la mesure où la Cour se réfère à d’autres instruments, recommandations et rapports du Rapporteur spécial des Nations unies au niveau international relevant de la « »soft law« , j’estime que ceux-ci ne peuvent être qualifiés dans ce contexte que d’ « aspirations générales » ayant valeur d’orientation ». ↩
- CourEDH, GC, 20 octobre 2016, Muršić c. Croatie, par. 110. ↩
- Voir A.-G. ROBERT, « Conséquences du manque flagrant d’espace personnel », AJ Pénal, 2017, p. 47 ; L. BURGORGUE-LARSEN, « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme (août-décembre 2016) », AJDA, 2017, pp. 157 et s. : « La nouvelle approche de la Cour […] est agrémentée d’une piètre justification qui s’articule autour de deux arguments qui n’emportent absolument pas la conviction ». ↩
- CourEDH, Muršić c. Croatie, op. cit., par. 112. ↩
- Opinion en partie dissidente commune aux juges Lazarova Trajkovska, De Gaetano et Grozev sous l’arrêt de Grande chambre Muršić c. Croatie, par. 4. ↩
- CourEDH, Muršić c. Croatie, op. cit., par. 113. ↩
- CPT/Inf (2015)44, 15 décembre 2015, Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires : normes du CPT, par. 15-18. ↩
- Ibid., par. 24 et 25. ↩
- CourEDH, Muršić c. Croatie, op. cit., par. 113. ↩
- CourEDH, GC, 9 juillet 2013, Vinter et al. c. Royaume-Uni, par. 106-121. ↩
- CourEDH, GC, 24 janvier 2017, Khamtokhu et Aksenchik c. Russie, § 80 : la Cour se réfère à une recommandation du Comité des droits de l’enfant et à une Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies. ↩
- Ibid., par. 83 et 86. ↩
- Ibid., par 87. ↩
- Opinion en partie dissidente commune aux juges Sicilianos, Møse, Lubarda, Mourou‑Vikström et Kucsko-Stadlmayer, par. 7. Voir aussi l’opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque, par. 41. ↩
- Dimitri Löhrer montre que le Défenseur des droits a la faculté de promouvoir la modernisation des normes de droits fondamentaux. Voir D. LÖHRER, La protection non juridictionnelle des droits fondamentaux en droit constitutionnel comparé, thèse dact. dir. Olivier Lecucq, Université de Pau et des pays de l’Adour, pp. 365-368. ↩
- n° 15-24.207 ; n° 15-24.208 ; n° 15-24.209 ; n° 15-24.213 ; n° 15-25.876 ; n° 15-25.877 ; n° 15-25.873 ; n° 15-24.210 ; n° 15-24.211 ; n° 15-24.212 ; n° 15-24.214 ; n° 15-25.872 ; n° 15-25.875. ↩
- Décision du Défenseur des droits MDS-2016-132 du 29 avril 2016 relative à des contrôles d’identité discriminatoires. ↩
- Cela ressort implicitement mais clairement du communiqué de presse de la Cour de cassation en date du 9 novembre 2016. ↩
- Not. Cass., civ. 1, 9 novembre 2016, n° 15-25.876, arrêt n° 1247 et n° 15-25.877, arrêt n° 1248. ↩
- Cass., civ. 1, 9 novembre 2016, n° 15-24.208, arrêt n° 1237. ↩
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