L’utilisation du contrôle de conventionnalité par la Cour de cassation ou le paradoxe de l’acceptation
Voilà plus de 40 ans aujourd’hui que la Cour de cassation exerce le contrôle de conventionnalité de la loi. Or, depuis 1975, le moyen d’inconventionnalité est devenu un instrument juridique éprouvé qu’il convient désormais de situer dans une optique de sociologie juridictionnelle et dans un contexte de « crise de légitimité, de confiance et d’identité », selon les propres mots de son premier Président. L’exercice du contrôle de conventionnalité fut « accepté » par la Haute juridiction judiciaire suite à la déclaration d’incompétence du Conseil constitutionnel et il semble qu’un tel contrôle permette désormais le développement d’un pouvoir juridictionnel inédit dans son ampleur et dans ses potentialités. Ce pouvoir, qui constitue un outil d’émancipation à l’égard du législateur ainsi qu’un vecteur de concurrence à l’égard des autres juges internes, façonne tout le paradoxe de l’acceptation. Il se perçoit dans un moyen de droit s’offrant à l’origine comme une tâche laborieuse à accomplir avant d’apparaître comme un formidable outil d’expansion d’une souveraineté juridictionnelle ternie. Il conviendra alors d’apprécier la place qu’occupe le contrôle de conventionnalité dans l’évolution du rôle de la Cour de cassation sur l’échiquier juridictionnel afin de nuancer une controverse délicate opposant la critique acerbe d’un pouvoir prétorien hypertrophié et l’approbation affichée d’un approfondissement de la garantie des droits.
Par Marc Guerrini, Docteur en droit et membre de l’Institut Louis Favoreu – ILF GERJC, UMR 7318 (Université d’Aix-Marseille)
En science politique, le paradoxe de l’acceptation renvoie à la situation dans laquelle une institution consent à assumer une tâche impliquant des responsabilités nouvelles, tout en ayant conscience des avantages qu’une telle tâche pourra, à l’avenir, lui procurer. C’est ainsi que, depuis 1975 1, la Cour de cassation accepte d’assurer le contrôle de conventionnalité de la loi afin de vérifier que la loi française, qu’elle est conduite à appliquer, apparaît compatible avec les traités et accords internationaux liant la France. La Haute juridiction judiciaire a alors su faire fructifier les implications induites par l’exercice d’un tel contrôle qui, d’une manière générale, inaugurait « la possibilité d’un renforcement du pouvoir juridictionnel, soit que les juges inférieurs aient pu s’affranchir de la tutelle de leurs juridictions supérieures soit que les juges aient globalement gagné un ‘‘pouvoir de contrôle juridictionnel du législatif ou de l’exécutif et cela même dans les systèmes judiciaires où ce pouvoir était à l’origine faible voire inexistant’’ » 2. Le champ d’application du contrôle de conventionnalité est, de plus, nécessairement lié au nombre de conventions internationales susceptibles d’être mobilisées devant le juge judiciaire et, de ce point de vue, ces dernières ont augmenté de manière constante, notamment dans le domaine de la protection des droits fondamentaux 3. A cet égard, l’influence de la Convention européenne des droits de l’Homme apparaît grandissante dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui fait preuve d’une remarquable ouverture aux standards déterminés par le juge strasbourgeois des droits et libertés 4. Ainsi, l’attitude de la Haute juridiction judiciaire « a d’ailleurs changé, pourrait-on dire, avec le temps, passant progressivement d’une application ‘‘subie’’ ou ‘‘commandée’’ à une application ‘‘spontanée’’ de cette Convention, grâce à une meilleure diffusion et une compréhension accrue de la jurisprudence européenne » 5.
Ces premiers éléments témoignent de la place et de l’importance grandissantes de l’exercice du contrôle de conventionnalité, notamment exercé au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme, devant la Cour de cassation. Néanmoins, il n’y a finalement rien de bien original dans une telle démarche. Le Conseil d’Etat comme le Conseil constitutionnel ont également témoigné, notamment ces dernières années, d’une ouverture constante au droit européen et international dans le cadre de ce qui est communément désigné sous le vocabulaire de « dialogue des juges ». Pourquoi alors s’intéresser tout particulièrement à la Cour de cassation ? Cet intérêt réside, nous semble-t-il, dans la position actuelle de la Cour et dans la manière dont le renfort du contrôle de conventionnalité pourrait s’inscrire dans le cadre de rapports envisagés sous l’angle de la concurrence des juges et de la souveraineté juridictionnelle. C’est ici que repose le cœur du paradoxe de l’acceptation dans la mesure où l’exercice du contrôle de conventionnalité qui a imposé des responsabilités nouvelles, peut également servir le juge qui l’exerce à travers un affermissement de son influence et modifier profondément sa place et son rôle au sein de l’échiquier institutionnel. En effet, comme a pu l’affirmer le premier Président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, en mars 2015 « c’est cette Cour, semble-t-il immuable, qui est défiée aujourd’hui par le monde extérieur dans le château fort qu’elle occupe sur une île de la Seine, là où s’enfermait jadis l’ancienne Lutèce romaine » 6.
Mais quels sont donc les éléments qui ont pu troubler la consolante quiétude de la Haute juridiction judiciaire ? Cette dernière a vu son rôle de gardienne des libertés individuelles, issu d’une tradition historique, consacré par la Constitution de 1958 à l’article 66 qui dispose que « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Or, ce rôle historique de l’autorité judiciaire s’est trouvé concurrencé d’abord par le rôle des juridictions administratives et, à leur tête, du Conseil d’Etat dans la protection des libertés. De plus, une même concurrence est apparue à travers le développement des autorités administratives indépendantes vers lesquelles le législateur n’hésite pas à se tourner. Sur ce point, « l’image de l’institution judiciaire est incontestablement affectée par la création de ces organismes, et notamment ceux d’entre eux auxquels est confiée, au-delà de la régulation technique, la mission de sanctionner des comportements auxquels la justice est estimée incapable de répondre » 7. De plus, l’acception retenue de la « liberté individuelle » a été réduite à sa portion congrue, pour ne recouvrir finalement que le principe de l’habeas corpus. Ainsi, le juge constitutionnel, dans sa décision Loi relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France du 28 juillet 1989 8 « a centré la notion de liberté individuelle sur ce qui constitue son essence, c’est-à-dire les emprisonnements illicites et la sûreté. Comme cela a été souligné, l’article 66, alinéa 2, ne doit (…) pas être entendu de manière générale mais lu comme le complément de l’alinéa premier qui prohibe les détentions arbitraires ». Ainsi comprise, la compétence du juge judiciaire se limite concrètement à la régularité des mesures de rétention des individus contre leur gré, qu’il s’agisse du placement des étrangers en centre de rétention, de l’internement en hôpital psychiatrique ou de la contestation des détentions et des arrestations arbitraires » 9. De la même manière, les débats récents qui ont accompagné l’adoption des lois sur le renseignement et sur l’état d’urgence, qui ont confié un large rôle au juge administratif au détriment du juge judiciaire, ont alimenté cette problématique. Le premier président de la Cour de cassation regrettait à cette occasion, lors de la rencontre annuelle des premiers présidents de Cour d’appel et de la Cour de cassation en février 2016, que « l’inflexion apportée au contenu de la liberté individuelle, en écartant du contrôle exclusif du juge judiciaire la protection de la vie privée, le secret des correspondances, l’inviolabilité du domicile et la liberté d’aller et venir, a permis notamment que des perquisitions et saisies, ainsi que des assignations à résidence soient contrôlées par le juge de l’administration, lorsqu’elle prescrit elle-même ces mesures. Ce constat amène à s’interroger sur ce qui fondait la légitimité du juge judiciaire à garantir les libertés aux yeux du constituant de 1958 : le principe d’indépendance » 10. Plus récemment encore, le 6 décembre 2016, la Cour de cassation s’est émue, par un communiqué officiel, du décret du 5 décembre 2016 11 plaçant la Haute juridiction judiciaire sous le contrôle du gouvernement par l’intermédiaire de l’inspection des services du Ministre de la justice, décret dont la Cour n’a pris connaissance que lors de sa publication au Journal Officiel. Enfin, dans un autre domaine, l’institution de la question prioritaire de constitutionnalité par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 semble avoir été, au moins dans un premier temps, perçue avec une certaine réticence par la Cour de cassation qui y voyait peut-être un risque d’être placée sous le contrôle d’un Conseil constitutionnel prenant, sous l’impulsion de cette nouvelle réforme, partiellement les traits d’une cour suprême. En témoignent les très nombreuses réactions suscitées au printemps 2010 par la désormais célèbre affaire Melki, affaire à l’occasion de laquelle la Cour de cassation a interrogé par voie préjudicielle la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité avec le droit européen 12.
Quel est donc le rapport entre un tel contexte et l’exercice du contrôle de conventionnalité par la Cour de cassation ? En réalité, ce contrôle peut parfaitement être analysé sur le terrain, non seulement du droit positif, mais aussi sur celui de la sociologie juridictionnelle. Comme a pu le souligner Pierre Bourdieu, « les pratiques et les discours juridiques sont (…) le produit du fonctionnement d’un champ dont la logique spécifique est doublement déterminée : d’une part, par les rapports de force spécifiques qui lui confèrent sa structure et qui orientent les luttes de concurrence ou, plus précisément, les conflits de compétences dont il est le lieu et, d’autre part, par la logique interne des œuvres juridiques qui délimitent à chaque moment l’espace des possibles et, par là, l’univers des solutions proprement juridiques » 13. On peut ainsi s’interroger sur la question de savoir si le débat portant sur le contrôle de conventionnalité, après avoir nourri de nombreuses réflexions sur le dialogue des juges dans une dimension externe, ne tend pas à se déplacer sur une optique désormais davantage interne dans le cadre d’une problématique renouvelée du dialogue juridictionnel. Ainsi, après avoir largement connu dans les années 1990 l’époque de la constitutionnalisation du droit, l’ère de la conventionnalisation invite à la réflexion sur les nouveaux équilibres qui devront être recherchés et dont l’exemple actuel que fournit la Cour de cassation, dans le contexte précédemment rappelé, apparait particulièrement révélateur. Le contrôle de conventionnalité semblerait alors s’inscrire dans une quête ou plutôt une reconquête de la souveraineté juridictionnelle, apparaissant comme un outil d’émancipation à l’égard du législateur (I) et comme un vecteur de concurrence avec les autres juges internes (II). Mais il sera nécessaire de se montrer ici particulièrement prudent car, en ce domaine, tout est question de point de vue (III).
I. Le contrôle de conventionnalité comme outil d’émancipation à l’égard du législateur
Les conséquences de la supériorité des traités et accords internationaux sur la loi française, prescrite par l’article 55 de la Constitution, se déploient aujourd’hui de manière remarquable dans la jurisprudence des juges judiciaire et administratif, les conventions internationales apparaissant comme une ressource à la vocation émancipatrice pour ces derniers et notamment pour la Cour de cassation. On observe ainsi un effet qui, selon une définition traditionnelle, renvoie à une action de s’affranchir d’un lien, d’une entrave, d’un état de dépendance à l’égard d’un objet, d’une personne ou d’une institution, en l’occurrence le législateur. Cette émancipation du juge judiciaire se produit à l’égard du législateur français, et c’est sur ce point que nous insisterons, mais il convient de préciser qu’un tel effet peut également concerner les législateurs étrangers, ou plus généralement le droit étranger. En effet, dans le champ du droit international privé, la notion d’ordre public permet au juge, au nom de la protection de certaines règles fondamentales du for, d’évincer l’application d’une loi étrangère dont l’applicabilité fut fixée par une règle de conflit de lois. Or, « la réserve de l’ordre public, ultime défense des concepts juridiques du for, se ‘‘conventionnalise’’ de plus en plus en référence aux principes formulés et des droits garantis par la Conv. EDH. (…) C’est ici que prend place le débat sur la nouvelle notion de principes essentiels du droit français, consacrée par la Cour de cassation, et dont on ne peut dire aujourd’hui s’ils modernisent l’antique formulation de l’arrêt Lautour de l’ordre public international ou s’ils en constituent le nouveau noyau dur » 14.
S’agissant des rapports entre le juge judiciaire et le législateur français sous l’angle du contrôle de conventionnalité, la logique émancipatrice que ce dernier implique se perçoit aisément dans la mesure où le juge chargé d’appliquer la loi est également, depuis 1975, chargé de juger la loi au regard des traités et accords internationaux. Cette donnée classique a néanmoins été renouvelée récemment à deux égards.
Premièrement, la rigueur et l’audace avec lesquelles la Cour de cassation mobilise le contrôle de conventionnalité pour prendre ses distances avec le législateur est notable. C’est d’abord la place accordée à l’autorité des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme qui ne manque pas de retenir toute l’attention de l’observateur. Non seulement les motifs de la Cour de cassation laissent clairement transparaître les exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme, notamment dans l’appréciation du caractère légitime et proportionné des restrictions imposées à des droits ou libertés, mais la Cour est allée jusqu’à mentionner explicitement un arrêt de condamnation de la France dans les visas de ses décisions 15. Il est clair qu’une telle méthode tranche avec le jeu d’ombres chinoises auquel se livrent généralement les juridictions internes qui tiennent compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme à travers une interprétation conforme, tout en évitant soigneusement de dévoiler trop explicitement l’origine européenne de la solution retenue. La décision laisse ainsi visible l’ombre de la jurisprudence strasbourgeoise, tout en couvrant habilement la main qui s’agite dans les coulisses éclairées des délibérations. Or, « alors que la première chambre civile et le Conseil d’Etat s’alignaient sur la Cour européenne sans faire la moindre allusion à sa jurisprudence, la Chambre sociale mentionne expressément l’arrêt ayant condamné la France et, mieux (pire ?), lui fait les honneurs du visa : ‘‘Vu l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales tel qu’interprété par l’arrêt Arnolin et autres c/ France du 9 janvier 2007 de la Cour européenne des droits de l’homme, et les articles 29 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 et 2 du code civil, ensemble les articles L. 212-2 et L. 212-4 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige’’ 16.
Le 15 avril 2011, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation est allée plus loin encore en reconnaissant l’autorité interprétative des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme en estimant que « les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation » 17. Ainsi, la Haute juridiction judiciaire considère que la France est liée non seulement aux solutions dégagées par la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt la condamnant mais également aux solutions qui pourraient lui être appliquées alors même qu’elles furent dégagées à propos d’un autre Etat. Une telle solution a pu être qualifiée de « raz-de-marée, une révolution d’une ampleur jamais égalée, en matière de sources du droit, depuis l’arrêt Société des cafés Jacques Vabre rendu par une chambre mixte de la Cour de cassation le 24 mai 1975 » 18. Il est clair qu’une telle solution augmente considérablement les normes de référence du contrôle de conventionnalité, augmentation sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.
Outre la place de plus en plus grande accordée à la Convention européenne des droits de l’Homme et à l’autorité des arrêts du juge de Strasbourg, la jurisprudence relative aux validations législatives et aux lois interprétatives apparat particulièrement éclairante de la dimension émancipatrice du contrôle de conventionnalité exercé par la Cour de cassation 19. Dans une affaire jugée le 23 janvier 2004 par son Assemblée plénière, était en cause une intervention du législateur qui fixait les conditions de révision de loyers après que la Cour de cassation elle-même a procédé à plusieurs revirements de jurisprudence sur ce point. L’Assemblée plénière va alors contrôler la loi au regard de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. La Cour de cassation rappelle en premier lieu que « si le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire des litiges ; que cette règle générale s’applique quelle que soit la qualification formelle donnée à la loi et même lorsque l’Etat n’est pas partie au procès » 20. L’Assemblée plénière précise ensuite « qu’il ne résulte ni des termes de la loi ni des travaux parlementaires que le législateur ait entendu répondre à un impérieux motif d’intérêt général pour corriger l’interprétation juridictionnelle de l’article L. 145-38 du code de commerce et donner à cette loi nouvelle une portée rétroactive dans le but d’influer sur le dénouement des litiges en cours » 21. Autrement dit, la Cour de cassation, tout en prenant le soin de rappeler à dessein dans quelles conditions restrictives le législateur peut s’ingérer dans l’administration de la justice par le truchement de lois rétroactives, conclut que la loi en cause n’avait pas une telle prétention rétroactive. Or, comme il a pu être relevé, « le contrôle opéré sur les motifs de l’intervention du législateur constitue une intervention du juge dans la fonction législative dont il convient de mesurer la portée » 22, générant ainsi la critique selon laquelle « si le Conseil constitutionnel a pris acte de la fin de la souveraineté du législateur en rappelant que ‘‘la loi n’est l’expression de la volonté générale que dans le respect de la Constitution’’, cette subordination de la loi à la Constitution n’impliquait pas la substitution de la légitimité du juge à celle du législateur. C’est pourtant ce qui est en cours avec l’appui de la Cour européenne des droits de l’homme » 23.
De même, c’est au visa de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme que l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a mis en cause l’impartialité objective de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail 24. Elle a en effet estimé « qu’il résulte du dossier de la procédure que la décision attaquée a été rendue par une formation de jugement de la Cour nationale, comprenant parmi ses membres un fonctionnaire honoraire d’administration centrale ; que cet élément et le fait que la juridiction comprend des fonctionnaires de catégorie A, en activité ou honoraires, du ministère chargé de la Sécurité sociale ou du ministère chargé de l’Agriculture, nommés sans limitation de durée de sorte qu’il peut être mis fin à tout moment et sans condition à leurs fonctions par les autorités de nomination qui comprennent le ministre, exerçant ou ayant exercé, lorsqu’ils étaient en activité, le pouvoir hiérarchique sur eux, constituaient des circonstances de nature à porter atteinte à l’indépendance de la Cour nationale et à faire naître un doute légitime sur son impartialité ; d’où il suit que la cause n’a pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » 25. Un certain nombre de critiques ont accompagné cette décision qui a paralysé le fonctionnement de la juridiction en cause et « certains se sont inquiétés du pouvoir donné ainsi au juge et ont dénoncé un ‘‘déclin de la loi’’. Pour d’autres, a relevé Guy Canivet, la Convention européenne et la Cour de cassation ont été même regardées ensemble comme des facteurs de ‘‘subversion’’ du droit national » 26.
Par ailleurs, le second élément de la potentialité émancipatrice du contrôle de conventionnalité est certainement le plus remarquable. Ce dernier réside dans la nouveauté que constitue l’exercice d’un « contrôle de proportionnalité » entrepris par la Cour de cassation. Ce contrôle consiste pour cette dernière à évaluer, in concreto, la proportionnalité d’une ingérence à un droit ou à une liberté au regard du but poursuivi. Un tel contrôle conduit la Cour à contrôler le fait autant que le droit, rompant ainsi avec la mission qui lui est traditionnellement dévolue en tant que juge de cassation. Cette nouveauté est apparue en 2013 à l’occasion d’une affaire jugée par la première chambre civile de la Cour de cassation à propos de la nullité d’un mariage découlant de l’empêchement à mariage entre un beau-père et sa bru posée par le Code civil 27. La Cour de cassation a estimé à cette occasion qu’en l’espèce, le prononcé de la nullité du mariage revêtait pour l’épouse « le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans » 28. Le modèle de cassation légaliste se trouve ainsi remis en cause dans l’exercice du contrôle de conventionnalité, ce que le Premier président de la Cour justifie par référence à la méthode de jugement de la Cour européenne des droits de l’Homme. Ce dernier a, en effet, eu l’occasion de préciser cette nécessité d’adaptation de la méthode de cassation de la manière suivante : « C’est que la Cour européenne des droits de l’homme est entrée en scène pour exercer, après la Cour de cassation, un contrôle faisant appel à la notion d’équité venue de la Common Law. Là où le juge français était habitué à user de l’aphorisme ‘‘la loi, toute la loi, rien que la loi’’, la CEDH répond : oui, à condition que le résultat soit équitable, c’est-à-dire que l’application de la loi soit adaptée aux circonstances de l’espèce, nécessaire en raison de ces circonstances, et proportionnée à ces circonstances. Jus id quod justum est : ‘‘le droit, c’est ce qui est juste’’, dit la doctrine naturaliste. Nous sommes au cœur de notre sujet. (…) En réalité, notre droit d’inspiration écrite est ici confronté à l’héritage de la tradition coutumière passé à la Cour européenne des droits de l’homme qui en est profondément imprégnée à travers les notions d’équité et de proportionnalité » 29. Ainsi, sous l’effet de la promotion de cette forme de contrôle de proportionnalité parfois perçu comme une « contre-révolution » 30, la Cour de cassation peut être conduite à écarter une loi, non pas qu’elle se présente à son office sous des traits inconventionnels, mais en tant que son application fait apparaître une ingérence disproportionnée à l’égard d’un droit garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme. Tel était le cas dans l’affaire précédemment évoquée dans la mesure où l’interdiction du mariage entre un beau-père et sa bru n’est pas en soi inconventionnelle car elle répond à des objectifs légitimes notamment de sauvegarde de l’homogénéité de la famille et de préservation des enfants qui peuvent être affectés par le changement de statut et des liens entre les adultes autour d’eux, mais le fait qu’une telle interdiction soit appliquée à un mariage qui a été contracté il y a vingt ans sans rencontrer d’opposition constituait une ingérence disproportionnée. Certains auteurs ont alors pu s’interroger sur le sens actuel de la cassation à l’aune de la méthode proportionnelle, qui « n’est pas simplement affranchie de la loi, elle est légicide, car elle permet au juge, par un simple raisonnement européen, de s’émanciper de la loi » 31.
Ces évolutions accentuant la place de la Convention européenne des droits de l’Homme dans la jurisprudence de la Cour de cassation et cette prise de distance avec le législateur ne vont pas sans soulever un certain nombre de questions. On ne peut aujourd’hui que souligner le coup de canif qui est porté à la stabilité de la loi dans la mesure où, une fois promulguée, le juge pourra s’en émanciper dès lors que cette dernière comporte une contrariété avec une convention internationale, notamment en matière de droits fondamentaux. Ces derniers sont ainsi devenus un mètre étalon normatif de premier plan dans l’applicabilité de la loi et « cette apparente dévaluation de la loi au profit des droits fondamentaux passe par un transfert de la force symbolique de la première aux seconds » 32. Ce glissement interroge de manière fondamentale notre modèle démocratique et la place qui est accordée au juge et ne manquera pas de revigorer un débat qui est traditionnellement induit par l’activité du juge constitutionnel. En effet, le développement du contrôle de conventionnalité et son approfondissement nourrissent les réflexions sur la préférence accordée à la démocratie par le droit et place cette question de l’intégration des conventions internationales dans l’ordre interne sur un terrain particulièrement glissant et sur lequel les juristes sont conduits à se positionner. Le contrôle de conventionnalité procure ainsi un pouvoir immense entre les mains des juges et le malaise qu’un tel pouvoir peut provoquer est certainement la conséquence de deux données cumulées.
D’une part, les droits fondamentaux possèdent une portée fortement évolutive et les jurisprudences européennes en la matière relèvent généralement de la casuistique. Cela implique qu’il est parfois délicat de déterminer à l’avance et de manière tout à fait prévisible la manière dont un droit ou une liberté trouvera à s’appliquer dans les circonstances d’une affaire donnée, tout comme dans le cadre d’un Etat déterminé ou encore, en cas de confrontation entre droits fondamentaux, lequel sera privilégié au détriment de l’autre. Ces derniers ne sont ainsi « jamais formulés de manière suffisamment détaillée pour qu’il soit possible d’en déduire l’étendue exacte d’application sans qu’aucune controverse à propos de cette extension ne puisse voir le jour » 33. Cette part d’indétermination, cette « texture ouverte » 34, accentue considérablement le pouvoir du juge en plaçant entre ses mains des normes de référence mobilisables à l’encontre du législateur national dont la portée présente une texture relativement souple. C’est bien de ce pouvoir dont la Cour de cassation s’est saisi le 15 avril 2011 en reconnaissant l’autorité interprétative des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme 35 car, par ce biais, s’ouvre un champ immense de solutions européennes de référence qui, bien qu’ayant été dégagées à l’égard d’autres Etats, pourraient être appliquées à la France par la Cour de cassation dans des situations que cette dernière jugerait analogues.
D’autre part, en la matière, le lit de justice apparaît bien délicat à réaliser. En effet, si le législateur peut toujours intervenir pour mettre un terme à une jurisprudence à l’égard de laquelle il serait en désaccord, cela est difficilement réalisable dès lors que le juge se prononce sur le terrain de la conventionnalité de la loi, notamment au regard des droits fondamentaux européens et cela pour deux raisons. Premièrement, dans cette tâche, les juges internes trouvent dans la Cour de justice de l’Union européenne et dans la Cour européenne des droits de l’Homme des alliés de poids et le législateur, en procédant à un lit de justice, prendrait le risque de se mettre en contrariété avec les droits fondamentaux européens et de s’attirer les foudres des juges supranationaux. Deuxièmement, la loi nouvelle venant briser une déclaration d’inconventionnalité ayant privé une loi d’application pourrait elle-même être privée d’application par les juges internes sur ce même fondement. Dans un tel schéma, une déclaration d’inconventionnalité prononcée par un juge national s’apparente à une décision quasi-définitive. Le pouvoir que le contrôle de conventionnalité confère aux juges se révèle donc considérable. La problématique de fond, pour reprendre les formules employées par le Professeur Denys de Béchillon, réside alors dans la question de savoir : « jusqu’où admettre la banalisation intégrale de la loi parlementaire ? Jusqu’où tolérer que le pouvoir de la juger puisse s’acquérir par des voies plus ou moins purement prétoriennes ? Jusqu’où accepter le trouble en ces matières ? » 36.
II. Le contrôle de conventionnalité comme vecteur de concurrence à l’égard des juges internes
Le contrôle de conventionnalité de la loi qu’opère la Cour de cassation ne lui permet pas uniquement de s’émanciper du législateur, il constitue également un vecteur de concurrence à l’égard des autres juridictions internes. Si c’est à l’égard du Conseil constitutionnel que le contrôle de conventionnalité a vocation à introduire une concurrence accrue, il convient de préciser qu’une telle concurrence peut également apparaître entre le juge judiciaire et le juge administratif, permettant au premier d’étendre sa compétence sur le pré-carré traditionnellement dévolu au second. C’est dans un tel cadre d’analyse qu’il est possible de ranger la jurisprudence de la Cour de cassation 37 et du Tribunal des conflits 38 qui, par dérogation à la jurisprudence Septfonds 39, s’accorde sur la compétence du juge judiciaire pour se prononcer par voie d’exception sur la compatibilité d’un acte administratif au droit de l’Union européenne. Si une telle solution n’écorne pas réellement la compétence constitutionnelle du juge administratif dans l’annulation et la réformation des actes administratifs, les juridictions judiciaires ne pouvant formellement annuler l’acte mais seulement l’écarter du litige, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là, par le biais du contrôle de conventionnalité, d’une incartade dans le domaine de la juridiction administrative et constitue « une pierre dans le jardin du juge administratif sur le terrain discuté des questions préjudicielles. Le monopole du juge administratif pour l’appréciation de la légalité de l’acte administratif s’étiole. Il est déjà sérieusement entamé en raison des compétences reconnues au juge pénal et au juge judiciaire fiscal » 40.
Mais c’est à l’égard du juge constitutionnel que le contrôle de conventionnalité nourrit une concurrence particulièrement visible et récemment accentuée. Nous l’avons évoqué, la question prioritaire de constitutionnalité n’a pas, semble-t-il, été accueillie avec enthousiasme par la Cour de cassation qui a souhaité d’emblée confronter cette nouvelle procédure au principe de primauté du droit de l’Union européenne par le biais d’un renvoi préjudiciel à la Cour de justice. Néanmoins, la Cour de cassation a par la suite renvoyé de nombreuses QPC au Conseil constitutionnel 41 et semble désormais accoutumée à ce mécanisme de question de constitutionnalité, passant ainsi « de la réticence à la diligence » 42. Or, il est possible de discuter cette forme de diligence au regard, précisément, du contrôle de conventionnalité de la loi mis en œuvre par la Cour de cassation.
A titre liminaire, nous soulignerons le fait que si les conventions internationales pourront servir la Cour de cassation en concurrençant la question prioritaire de constitutionnalité, la Convention européenne des droits de l’Homme va également encadrer a minima la Haute juridiction judiciaire dans son rôle de juge du filtre de la QPC. En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme fut conduite à se prononcer pour la première fois dans son arrêt Jacky Renard c/ France du 17 septembre 2015 43 sur la compatibilité avec l’article 6§1 de la Convention des non renvois de questions prioritaires de constitutionnalité par la Cour de cassation. Le juge strasbourgeois des droits et libertés a en premier lieu rappelé que l’article 6 de la Convention européenne ne garantit pas le droit d’accès à un tribunal afin de contester la constitutionnalité d’une loi, notamment lorsque la procédure n’est pas à l’entière disposition du requérant mais passe par un mécanisme de renvoi préjudiciel. De la même manière, la Cour souligne l’important pouvoir d’appréciation dont disposent les juridictions du filtre lorsqu’elles sont chargées de se prononcer sur les conditions de recevabilité d’une question prioritaire de constitutionnalité. Elle précise à cet égard que « la Cour de cassation et le Conseil d’Etat ne sont pas tenus, en dernier lieu, de renvoyer la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, notamment si ces juridictions estiment que celle-ci n’est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux. Ce faisant, le droit interne leur confère un certain pouvoir d’appréciation, visant à réguler l’accès au Conseil constitutionnel. La Cour relève que ce pouvoir n’est pas en contradiction avec la Convention et qu’elle se doit par ailleurs d’en tenir compte dans l’exercice de son contrôle » 44. Cependant, la Cour européenne des droits de l’Homme précise également qu’elle « n’exclut toutefois pas que, lorsqu’un tel mécanisme de renvoi existe, le refus d’un juge interne de poser une question préjudicielle puisse, dans certaines circonstances, affecter l’équité de la procédure. Il en va ainsi lorsque le refus s’avère arbitraire, c’est-à-dire lorsqu’il y a refus alors que les normes applicables ne prévoient pas d’exception au principe de renvoi préjudiciel ou d’aménagement de celui-ci, lorsque le refus se fonde sur d’autres raisons que celles qui sont prévues par ces normes, et lorsqu’il n’est pas dûment motivé au regard de celles-ci ». Ce dernier considérant expose les situations dans lesquelles un non renvoi de QPC pourrait être analysé, malgré le large pouvoir d’appréciation dont disposent les juridictions du filtre, comme une atteinte au droit au procès équitable. Il est donc à la fois nécessaire que le non renvoi soit motivé mais aussi qu’il ne s’écarte pas du cadre posé par les normes prévoyant les conditions de recevabilité. Sur ce dernier point, il est possible de relever que la Cour de cassation s’écarte parfois légèrement des critères de recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité.
Il en est allé ainsi dans un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 10 mai 2016 45 s’agissant d’une question prioritaire de constitutionnalité contestant notamment la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 424-24 alinéa 1 du Code pénal instituant le délit d’outrage à magistrat. La question était ainsi posée : « L’article 434-24, alinéa 1er, du code pénal, qui inclut dans le champ du délit d’outrage à magistrat les paroles qu’elles soient ou non rendues publiques, lorsque les écrits ou dessins rendus publics en sont exclus, porte-t-il atteinte au principe de nécessité des incriminations, au droit à la liberté d’expression ainsi qu’au principe d’égalité, tels qu’ils sont garantis par les articles 6, 8, 10, 11 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? ». Le requérant, le député Henri Guaino, fut en effet poursuivi pour outrage à magistrat sur le fondement de cette disposition qui constituait ainsi le fondement des poursuites et n’avait jamais été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel. Sans entrer dans l’examen du caractère sérieux de la question posée, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel au motif que « la question posée n’est plus applicable au litige ». En effet, le juge judiciaire estima que « la question posée n’est plus applicable au litige, dès lors qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que les expressions diffamatoires ou injurieuses proférées publiquement par l’un des moyens énoncés à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, comme tel est le cas en l’espèce, contre un magistrat de l’ordre administratif ou judiciaire en raison de ses fonctions ou à l’occasion de leur exercice, sans être directement adressées à l’intéressé, n’entrent pas dans les prévisions de l’article 434-24 du code pénal incriminant l’outrage à magistrat, et ne peuvent être poursuivies et réprimées que sur le fondement des articles 31 et 33 de ladite loi » 46. La Cour de cassation a ainsi considéré que, conformément à sa propre jurisprudence – jurisprudence postérieure au pourvoi formé par le requérant – les expressions diffamatoires ou injurieuses proférées dans les médias à l’encontre des magistrats dont il était ici question ne relevaient pas de l’outrage à magistrat et donc de l’article 434-24 du Code pénal mais des dispositions relatives à l’injure et à la diffamation de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La question prioritaire n’avait donc pas à être renvoyée au Conseil constitutionnel. Si cette solution pourrait sembler légitime après une lecture rapide de l’arrêt, la motivation de ce non renvoi pose problème dans la mesure où la Cour de cassation le justifie par le fait que « la question posée n’est plus applicable au litige ». Or, d’après l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée, le juge doit déterminer si la disposition législative contestée est applicable au litige ou si elle constitue le fondement des poursuites et non pas si la « question posée » lui est applicable. Il y a donc ici un écart par rapport aux conditions de recevabilité telles que posées par l’ordonnance organique du 7 novembre 1958 et « le défaut d’applicabilité au litige de la ‘‘question posée’’, et non de la disposition législative, s’écarte de la lettre et de l’esprit de la loi organique et entre en contradiction avec le maniement de la QPC par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat. En effet, l’examen de cette nouvelle condition du renvoi au Conseil constitutionnel intervient après que l’arrêt a constaté que la disposition contestée ‘‘constitue le fondement des poursuites’’, ce qui signifie que la première condition posée par la loi organique était remplie » 47.
La jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’Homme mentionnée plus avant appelle donc à la prudence dans le maniement des critères de recevabilité par les juridictions du filtre, et notamment par la Cour de cassation, dont l’ample pouvoir d’appréciation ne permet pas pour autant de s’en écarter trop largement. Cet aspect démontre ainsi, en nuançant légèrement le propos, que le droit conventionnel n’est pas totalement un outil d’émancipation ou de concurrence mais qu’il sait également encadrer les juridictions internes qui, mues par une volonté d’expansion de leur souveraineté juridictionnelle, pourraient être tentées de malmener un outil procédural mis à la disposition du justiciable. Mais le contrôle de conventionalité peut, par ailleurs, constituer effectivement un vecteur de premier ordre dans la concurrence entre juges internes. Cet aspect est particulièrement perceptible du point de vue de la question prioritaire de constitutionnalité et des rapports entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel. En effet, l’exercice du contrôle de conventionnalité par la Cour de cassation va avoir pour effet de réduire le rôle du Conseil constitutionnel en concurrençant directement la question prioritaire de constitutionnalité, faisant apparaître l’examen de la compatibilité de la loi avec les conventions internationales plus rapide et plus concret que la QPC et donc, plus efficient et plus performant. Est menée ici, d’une certaine manière, une véritable opération de séduction conventionnelle en direction du justiciable qui peut se révéler bien plus efficace qu’une hostilité affichée à l’égard de la QPC.
C’est d’abord la célérité du contrôle de conventionnalité, que la doctrine n’a pas manqué de souligner, qui porte incontestablement préjudice à la question prioritaire de constitutionnalité. Pourtant, l’harmonie semblait s’imposer au départ entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. En effet, dans les premières décisions juridictionnelles de 2010 relatives à la garde à vue, le Conseil constitutionnel avait pointé du doigt certaines contrariétés aux droits et libertés que la Constitution garantit tout en différent l’effet de l’abrogation au 1er juillet 2011 48. Dans un esprit fort conciliant, la Chambre criminelle de la Cour de cassation 49, relevant à son tour certaines incompatibilités avec le droit européen des droits de l’Homme, décida de différer l’effet du contrôle de conventionnalité à la même date que celle retenue par le Conseil constitutionnel afin d’harmoniser les rapports entre les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité et de laisser le temps au législateur de revoir sa copie 50. Or, cela est désormais bien connu, l’harmonie n’a eu qu’un temps… En effet, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation n’allait pas tarder à donner plein effet au contrôle de conventionnalité en imposant immédiatement que soient appliqués les standards de la Convention européenne des droits de l’Homme sans tenir compte de l’effet différé de la décision du Conseil constitutionnel, report de la légalité conventionnelle d’autant moins acceptable qu’était intervenu entre temps l’arrêt Brusco c/ France 51 qui ne laissait plus aucun doute sur l’incompatibilité de la procédure française de la garde à vue avec l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Une solution analogue fut retenue par la Cour de cassation le 9 mars 2013 52 qui, ne tenant pas compte de l’effet différé au 1er janvier 2014 d’une déclaration d’inconstitutionnalité prononcée par le Conseil constitutionnel 53, donna plein effet à la déclaration d’inconventionnalité à laquelle elle a abouti s’agissant de l’article L.224-8 du Code de l’action sociale et des familles.
L’effet immédiat que confère la Cour de cassation 54 au contrôle de conventionnalité réduit considérablement l’intérêt de la question prioritaire de constitutionnalité et « le rôle qu’elle permettra au Conseil constitutionnel de jouer sera équivalent à celui d’un croque-mort dont on attendra qu’il retire lestement de la scène juridique des cadavres de lois que la décision de la Cour de Strasbourg aura dévitalisées » 55. Mais l’efficacité du contrôle de conventionnalité devant la Cour de cassation s’est également récemment accentuée et ne se résume plus à son immédiateté. En effet, l’aspect concret du contrôle effectué par la Haute juridiction judiciaire diminue encore l’intérêt de la question prioritaire de constitutionnalité. Nous l’avons précédemment évoqué, ce type de contrôle, apparue en 2013 à l’occasion d’une affaire de nullité d’un mariage découlant de l’empêchement à mariage entre un beau-père et sa bru 56, consiste pour la Cour de cassation à contrôler de manière concrète, rompant avec son rôle traditionnel de juge du droit et non du fait, la proportionnalité d’une ingérence à un droit où à une liberté au regard du but poursuivi. Le contrôle de constitutionnalité de la loi opéré par le Conseil constitutionnel demeure un contrôle abstrait caractérisé par une confrontation de norme à norme détachée du contexte de son application. Or, comme l’a relevé le professeur Pascale Deumier, « dès lors, quel intérêt reste-t-il à exercer un contrôle de conventionnalité abstrait ? Soit la disposition a été déclarée inconstitutionnelle, et elle disparaît – il n’y a plus rien à contrôler ; soit la disposition a été déclarée constitutionnelle et, les protections fondamentales étant peu ou prou équivalentes, les possibilités qu’elle soit reconnue abstraitement inconventionnelle sont minces. Si le contrôle abstrait de conventionnalité apparaît dès lors comme un doublon un peu superflu du contrôle de constitutionnalité, le contrôle concret de conventionnalité peut au contraire se présenter comme un bon complément à la question prioritaire de constitutionnalité, puisqu’il porte sur une dimension qui n’a pas été vérifiée par le Conseil constitutionnel, celle de l’application de la loi dans le litige » 57. Cette question renouvelle de manière profonde les rapports entre les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité dans la mesure où leurs méthodes respectives d’exercice tendent ainsi à se distinguer très nettement tout comme leur intérêt. L’exercice d’un contrôle concret de conventionnalité permet ainsi à la Cour de cassation, à la fois d’acquérir une forme de compétence nouvelle, mais aussi de se départir d’une influence indirecte du Conseil constitutionnel qui, intégrant largement – bien qu’implicitement – le droit conventionnel dans ses motivations 58, prive indirectement d’utilité le contrôle de conventionnalité exercé par les juges ordinaires, utilité qui se trouve désormais très largement rehaussée et qui tend à marginaliser le contrôle abstrait de constitutionnalité exercé par la voie de la QPC. Il y a donc ici un enjeu de pouvoir immense qui se loge dans la concrétisation du contrôle de conventionnalité à laquelle le Conseil d’Etat a également souscrit 59.
III. la reconquête de la souveraineté juridictionnelle par l’utilisation du contrôle de conventionnalité : une question de point de vue…
Nous l’avons constaté, l’exercice du contrôle de conventionnalité par la Cour de cassation lui permet incontestablement d’étoffer sa souveraineté juridictionnelle dans un contexte où elle lui apparaît peut-être, à tort ou à raison, largement écornée. Sa place sur l’échiquier juridictionnel se trouve renouvelée et renforcée sous l’effet du contrôle qu’elle exerce à la lumière des conventions internationales, et tout particulièrement du droit de l’Union européenne et de la Convention européenne des droits de l’Homme. La Haute juridiction judiciaire gagne du terrain, s’émancipe du législateur censé exprimer la volonté générale, empiète légèrement sur la compétence du juge administratif et fait pâlir largement la question prioritaire de constitutionnalité et son juge. Cela irait trop loin selon certains auteurs mais, au fond, ces éléments ne sont que des conséquences de l’article 55 de la Constitution qui prescrit la supériorité des traités et accords internationaux sur la loi dans l’ordre interne et de la décision IVG du Conseil constitutionnel se déclarant incompétent pour contrôler la compatibilité de la loi avec les conventions internationales.
De ce point de vue, les positions de la Cour de cassation sont conformes à ce que souhaitent les juges de Strasbourg et au principe de subsidiarité se trouvant au fondement du droit de la Convention européenne des droits de l’Homme. Finalement, toutes ces évolutions vont dans le sens d’une meilleure protection des droits fondamentaux. Elles nécessiteront certainement des adaptations parfois délicates et posent des difficultés non négligeables que nous avons soulignées, mais les juges internes doivent prendre la mesure de leur rôle, protéger de manière concrète et effective les droits et libertés et anticiper au maximum d’éventuelles condamnations de la France par les juges européens en s’inscrivant dans une optique qui dépasse les cadres traditionnellement établis. Le Président de la Cour européenne des droits de l’Homme a exprimé cette idée de la manière suivante : « Le vice-président Jean-Marc Sauvé a eu parfaitement raison de parler de ‘‘rapatriement de la garantie des droits fondamentaux au sein des Etats’’. On assiste, en quelque sorte, à une mutualisation du contrôle de l’application de la Convention européenne des droits de l’homme. Nous sommes effectivement passés de la pyramide au réseau. Le monde idéal serait d’ailleurs celui où notre Cour ne serait saisie que des questions les plus essentielles, laissant aux juges nationaux le soin d’assurer la protection quotidienne » 60.
La Cour de cassation ne s’inscrit guère dans un schéma différent et si selon Kelsen nul « ne peut servir deux maîtres » 61, peut-être a-t-elle légèrement modifié son allégeance, restant fidèle à son législateur national mais trouvant aussi, au-delà des frontières hexagonales, des directions que lui imposent les prescriptions de la Constitution elle-même. Le contrôle concret de conventionnalité que la Cour de cassation – comme le Conseil d’Etat – a récemment développé présente au moins deux intérêts majeurs. D’une part, ce contrôle permet plus largement d’éviter de futures condamnations des cours strasbourgeoise et luxembourgeoise en matière de protection des droits fondamentaux et, d’autre part, on peut légitimement s’interroger sur la question de savoir s’il ne correspond pas mieux à la mission qu’est celle du juge de l’applicabilité de la loi. En effet, « il est possible de se demander quel contrôle dénature le plus l’office du juge judiciaire ou administratif : celui par lequel, depuis plusieurs décennies, il condamne les vues générales du législateur ou celui par lequel, depuis quelques années, il en conteste une application particulière, sans remettre en cause son applicabilité générale » 62. Ainsi, la logique qui consiste, à la fois, à assurer une efficacité accrue des conventions internationales et notamment de la Convention européenne des droits de l’Homme et, dans le même temps, à poser les jalons d’une souveraineté juridictionnelle renouvelée sous l’effet du contrôle de conventionnalité, ne sont pas des éléments nécessairement contradictoires. Bien au contraire, ils arpentent le chemin judiciaire main dans la main. Comme l’estimait Bossuet, il est toujours bien délicat de chérir les causes et de déplorer les conséquences. Nous ajouterons qu’il est encore plus délicat de mettre à l’index certaines conséquences en en déplorant les causes cachées. Bien sûr, du point de vue de la sociologie juridictionnelle, est perceptible derrière ces évolutions un enjeu immense de pouvoirs mais il n’y a pas selon nous, de la part de la Cour de cassation, de positionnement qui se situerait hors du droit. Il n’y a pas de « révolution » à proprement parler. De l’audace, certainement, mais toutes les avancées dans la protection des droits fondamentaux passent par un repositionnement sur l’échiquier institutionnel, par une conquête ou une reconquête d’une souveraineté juridictionnelle absente ou simplement ternie. La décision Liberté d’association du Conseil constitutionnel en est le meilleur exemple.
La question de la reconquête de la souveraineté juridictionnelle de la Cour de cassation est ainsi largement dépendante du point de vue que l’on retiendra. Une avancée louable dans la protection des droits fondamentaux ou, plus négativement, une excroissance problématique des pouvoirs du juge entreprise de manière exclusivement prétorienne. Difficile d’échapper en ce domaine à une forme de subjectivité. Nous sommes nous-même tombés dans le positionnement de vue en présentant les choses en termes d’émancipation et de concurrence. Nous aurions tout aussi bien pu les présenter en termes d’approfondissement salutaire du contrôle de conventionnalité et de son déploiement tout aussi louable. On pourrait considérer que l’émancipation et la concurrence ne sont que des conséquences d’une évolution favorable à la protection des droits et libertés, conséquences sur lesquelles nous souhaitions insister car elles soulèvent des questions fondamentales pour notre ordre juridique. D’autres objecteront peut-être que l’accroissement des pouvoirs du juge, la quête du pouvoir, est la véritable cause, l’inavouable fondement d’une évolution dont la conséquence secondaire est une meilleure protection des droits. Peu importe, dans tous les cas, quel que soit le point de vue adopté, tout progrès dans la protection des droits et libertés se doit d’être salué.
La Cour de cassation a indubitablement réalisé le paradoxe de l’acceptation. Elle a accepté d’assumer, suite à une déclaration d’incompétence du juge constitutionnel, une tâche dont son office tire effectivement aujourd’hui des « avantages » considérables en termes de souveraineté juridictionnelle. Mais, selon nous, cette évolution est inéluctable et finalement, la question n’est plus tellement de savoir, pour reprendre les termes du Professeur Denys de Béchillon, « jusqu’où admettre la banalisation de la loi ? » 63, mais davantage de savoir qui sera en charge de banaliser la loi. En effet, ce n’est pas le déploiement du contrôle de conventionnalité qui pose réellement problème, mais le fait que ce déploiement se fasse au profit du juge judiciaire et, plus généralement, du juge ordinaire. Au cœur de cette question, nous en retrouvons une autre qui, inlassablement, ressurgit depuis 1975 : doit-on revenir sur la jurisprudence Interruption volontaire de grossesse et faire du Conseil constitutionnel un juge de la « fondamentalité » de la loi, chargé d’assurer le respect de cette dernière à l’égard, non seulement de la Constitution, mais aussi des instruments européens et internationaux de protection des droits fondamentaux ?
Notes:
- CCass., ch.mixte, 24 mai 1975, Société des Cafés Jacques Vabre, D. 1975, concl. Touffait. Cet arrêt fait suite à la déclaration d’incompétence formulée par le Conseil constitutionnel s’agissant du contrôle de conventionnalité de la loi : CC, décision n° 75-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, Rec. p. 19. ↩
- CORON G., « Les juristes ont-ils des idées ? Réflexions autour du droit communautaire », Savoir/Agir, 2010, n° 14, p. 105. ↩
- V. notamment en ce sens : TRICOIT J.P, « La chambre sociale de la Cour de cassation face à la prolifération des instruments internationaux de protection des droits fondamentaux », Droit social, 2012, p. 178. L’auteur évoque ainsi « la diffusion de la CEDH en France mais également d’autres textes quantitativement moins invoqués comme les Pactes internationaux de 1966, un certain nombre de conventions internationales de l’Organisation internationale du Travail – dont la célèbre Convention OIT n° 158 – la Charte sociale européenne ou encore, dernièrement, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». V. également en ce sens : CANIVET G., « La Cour de cassation et la Convention européenne des droits de l’homme », in TEITGEN-COLLY C. (dir.), 50e anniversaire de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, 2002, p. 257. ↩
- V. notamment en ce sens : RAVANAS J., « Le contrôle de conventionnalité, exercé par la Cour de cassation, d’une mesure judiciaire ordonnée au titre de l’article 9 alinéa 2 du Code civil », Recueil Dalloz, 2001, p. 1571. L’auteur souligne néanmoins une « certaine frilosité des juridictions du premier et du second degré {qui} s’expliquerait par une approche quelquefois trop anglo-saxonne des problèmes jugés par la Cour européenne ». ↩
- DE GOUTTES R., « L’influence de la Convention européenne des droits de l’Homme sur la Cour de cassation », Gazette du Palais, juin 2007, n° 163, p. 19. ↩
- LOUVEL B., La Cour de cassation face aux défis du XXIème siècle, réflexions sur la réforme de la Cour de cassation, Mars 2015, p. 1. ↩
- CASORLA F., « La justice séparée », Petites affiches, juillet 2007, n° 139, p. 4. ↩
- CC, décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, Loi relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France, Rec. p. 81. Le Conseil constitutionnel précise au considérant 24 de sa décision « qu’aux termes de l’article 66 de la Constitution l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ; que l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 satisfait à cette exigence en soumettant au contrôle de l’autorité judiciaire toute prolongation au-delà de vingt-quatre heures du maintien dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire d’un étranger qui soit n’est pas en mesure de déférer immédiatement à la décision lui refusant l’autorisation d’entrer sur le territoire français soit, faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion ou devant être reconduit à la frontière, ne peut quitter immédiatement le territoire français ». ↩
- DESGORCES R., « Les armes du juge judiciaire dans la protection des libertés fondamentales : le point de vue de la doctrine », in ÉVEILLARD G. (dir.), La guerre des juges aura-t-elle lieu ? – Analyse comparée des offices du juge administratif et du juge judiciaire dans la protection des libertés fondamentales, 2016, disponible en édition numérique sur le site de la Revue générale du droit, p. 9. ↩
- LOUVEL B., « L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle ou des libertés individuelles », Réflexions à l’occasion de la rencontre annuelle des premiers présidents de Cour d’appel et de la Cour de cassation, 2 février 2016, disponible sur le site de la Cour de cassation. Le premier président de la Cour de cassation revenait également à cette occasion sur la conception restrictive de la liberté individuelle retenue par le Conseil constitutionnel : « En séparant la liberté individuelle, strictement entendue comme protection contre la détention arbitraire, des autres libertés ‘‘essentielles’’ reconnues comme composantes de la liberté personnelle (elle-même rattachée aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), le Conseil constitutionnel a dissocié le lien entre la défense de ces libertés et la garantie du juge judiciaire, recherché par le constituant de 1958 ». ↩
- Décret n° 2016-1675 du 5 décembre 2016 portant création de l’inspection générale de la justice, JORF n° 0283 du 6 décembre 2016. ↩
- Sur cette affaire et son épilogue, V. notamment : LEVADE A., « Primauté du droit de l’Union versus priorité constitutionnelle ou quand la Cour de cassation demande aux juges de Luxembourg de trancher », Constitutions, 2010, p. 385 ; CAMBY J.P., « Le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et les jeux en ligne: le contrôle de constitutionnalité a posteriori ne peut nuire au contrôle de conventionnalité », Petites affiches, juillet 2010, n° 134, p. 6. ↩
- BOURDIEU P., « La force du droit. Eléments pour une sociologie du champ juridique », in Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 64, septembre 1986, p. 3. ↩
- CHEVALIER P., « De nouveaux horizons pour le contrôle de conventionnalité à la Cour de cassation ? », Constitutions, 2014, p. 350. ↩
- CCass. ch. sociale, 13 juin 2007, pourvoi n° 05-45.694. ↩
- DEUMIER P., « L’avènement des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme au visa des arrêts de la Cour de cassation », RTD Civ., 2007, p. 536. ↩
- CCass., Assemblée plénière, 15 avr. 2011, n° 10-17.049, D. 2011. 1080. ↩
- MARGUENAUD J.P, « La reconnaissance par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation de l’autorité interprétative des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ou : la révolution du 15 avril », RTD Civ., 2011, p. 725. ↩
- V. notamment sur ce point : FROUIN J.Y., MATHIEU B., « Les validations législatives devant la Cour de cassation », RFDA, 2001, p. 1055. ↩
- CCass. Assemblée plénière, 23 janvier 2004, D.2004, p. 1108, note GAUTIER P.Y. ↩
- Ibid. ↩
- MATHIEU B., « La Cour de cassation et le législateur : ou comment avoir le dernier mot », RFDA, 2004, p. 224. ↩
- Ibid. ↩
- CCass. Assemblée plénière, 22 décembre 2000, Bull., n° 12. ↩
- Ibid. ↩
- DE GOUTTES R., « L’influence de la Convention européenne des droits de l’Homme sur la Cour de cassation », Gazette du Palais, juin 2007, n° 163, p. 19. ↩
- CCass., 1ère Chambre civile, 4 décembre 2013, n° 12-26.066. ↩
- Ibid. ↩
- LOUVEL B., La Cour de cassation face aux défis du XXIème siècle, réflexions sur la réforme de la Cour de cassation, Mars 2015, p. 2. ↩
- CHENEDE F., « Contre-révolution tranquille à la Cour de cassation ? », Recueil Dalloz, 2016, p. 796. ↩
- ZENATI-CASTAING F., « La juridictionnalisation de la Cour de cassation », RTD Civ., 2016, p. 511. Le contrôle de proportionnalité a été diversement accueilli, souvent critiqué, parfois considéré comme bienvenu comme le résume le professeur Hugues Fulchiron : « La nouvelle fonction assumée par le juge a été contestée, parfois violemment, par une partie des commentateurs de l’arrêt de 2013. Comment admettre que des juges puissent refuser d’appliquer une règle claire et précise, édictée par le législateur au terme d’arbitrages complexes et parfaitement assumés (c’était le cas en matière d’inceste, ce l’est plus encore en matière de filiation) ? Ne risque-t-on pas de priver ainsi ladite règle de toute prévisibilité puisqu’elle sera toujours susceptible de mises en balance qui ont nécessairement leur part de contingence et de subjectivité ? De façon générale, le juge judiciaire doit-il s’ériger en juge des droits de l’homme ? À l’inverse, on a pu souligner que, sur ces questions délicates, parce que profondément ancrées dans les réalités humaines, il n’était pas forcément inopportun de donner à la règle une certaine flexibilité » : FULCHIRON H., « Le juge judiciaire et le contrôle de proportionnalité », Recueil Dalloz, 2015, p. 2365. Pour une appréciation positive du contrôle de proportionnalité V. notamment le point de vue des Professeurs Serge Guinchard et Frédérique Ferrand ainsi que de Monsieur le conseiller Tony Moussa : « Les auteurs précités ne traduisent pas, nous semble-t-il, toutes les nuances, les subtilités, de la démarche de la Cour de cassation, lorsqu’ils affirment que la technique de cassation aboutirait nécessairement à la mise en place d’un carcan rigide qui interdirait au juge de cassation d’apprécier les affaires au cas par cas. En réalité, la technique de cassation comporte une part de souplesse et c’est méconnaître la construction historique des cas d’ouverture du pourvoi et le degré de perfection auquel elle est arrivée, que de voir en elle un obstacle à une appréciation casuistique. Il suffit de lire, dans les ouvrages spécialisés en la matière, la liste des cas d’ouverture pour s’en rendre compte ; surtout, il faut se souvenir qu’au moment de l’élaboration du (nouveau) code de procédure civile, l’article 604 du code de procédure civile a été rédigé de façon lapidaire pour deux raisons : il aurait fallu une loi pour préciser les cas d’ouverture et il fallait laisser à la Cour la possibilité de peaufiner, si elle le souhaitait, cette liste qu’elle avait construite elle-même en deux siècles d’exercice de son contrôle ; cela fut, à notre sens, le plus bel hommage rendu au pragmatisme jurisprudentiel de la haute juridiction. La technique de cassation est une mécanique de précision, patiemment élaborée au cours des deux cents ans écoulés » : GUINCHARD S., FERRAND F., MOUSSA T., « Une chance pour la France et le droit continental : la technique de cassation, vecteur particulièrement approprié au contrôle de conventionnalité », Recueil Dalloz, 2015, p. 278. ↩
- BEGIN L., « L’expansion du pouvoir des juges : enjeux et lieux communs », Revue internationale d’éthique sociale et gouvernementale, 2001, vol. 3, n° 2, §17. ↩
- Ibid. ↩
- Ibid. ↩
- CCass., Assemblée plénière, 15 avr. 2011, n° 10-17.049, D. 2011. 1080. ↩
- DE BECHILLON D., « Conflits de sentences entre les juges de la loi », Pouvoirs, 2001/1, n° 96, p. 108. ↩
- CCass, chambre sociale, 18 décembre 2007, n° 06-45.132 ; CCass, 2ème chambre civile, 20 décembre 2007, n° 06-20.563. ↩
- TC, 17 octobre 2011, SCEA du Chéneau c/INAPORC et M. Cherel et autres c/ CNIEL, n°3828-3829, Rec. p. 698. Le Tribunal des conflit a ici rappelé dans un premier temps qu’en « vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, sous réserve des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, il n’appartient qu’à la juridiction administrative de connaître des recours tendant à l’annulation ou à la réformation des décisions prises par l’administration dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique ; que, de même, le juge administratif est en principe seul compétent pour statuer, le cas échéant, par voie de question préjudicielle, sur toute contestation de la légalité de telles décisions, soulevée à l’occasion d’un litige relevant à titre principal de l’autorité judiciaire ». Or, dans un second temps, le tribunal des conflits est largement revenu sur sa position antérieure qui consistait à réserver au juge administratif la compétence pour connaître de la légalité d’un acte administratif tant au regard du droit de la Convention européenne des droits de l’Homme (TC, 23 octobre 2000, B. , n° 3227, Rec. p. 775) que du droit de l’Union européenne (TC, 19 janvier 1998, Union française de l’Express c/ La Poste, n° 3084, Rec. p. 329). Le juge des conflits a en effet précisé que « s’agissant du cas particulier du droit de l’Union européenne, dont le respect constitue une obligation, tant en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qu’en application de l’article 88-1 de la Constitution, il résulte du principe d’effectivité issu des dispositions de ces traités, telles qu’elles ont été interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, que le juge national chargé d’appliquer les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; qu’à cet effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d’interprétation de ces normes, en saisir lui-même la Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu’il s’estime en état de le faire, appliquer le droit de l’Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d’une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d’un acte administratif au droit de l’Union européenne ». ↩
- TC, 16 juin 1923, Septfonds, Rec. p. 498. Le Tribunal des conflits a estimé ici que si le juge judiciaire est compétent pour interpréter un acte règlementaire, seul le juge administratif peut en apprécier la légalité. ↩
- DUPRE DE BOULOIS X., « Exception d’inconventionnalité des règlements administratifs : la Cour de cassation persiste et signe », RFDA, 2008, p. 499. ↩
- PERRIER J.B, « Le non-renvoi des questions prioritaires de constitutionnalité par la Cour de cassation », RFDA, 2011, p. 711. L’auteur souligne que « passées les premières réticences, la Cour de cassation a procédé au renvoi d’un nombre important de questions, la quantité n’ayant ici d’égale que la diversité. Garde à vue, adoption, propriété privée, peines obligatoires, mariage entre personnes de même sexe, motivation des arrêts d’assises, pour n’en citer que quelques-unes, l’énumération prouve ici l’intérêt de l’introduction de cette nouvelle procédure de contrôle de la conformité des dispositions législatives ». ↩
- PERRIER J.B, « La Cour de cassation et la question prioritaire de constitutionnalité : de la réticence à la diligence », RFDC, 2010/4, n°84, p. 793. ↩
- CourEDH, 17 septembre 2015, Renard c/ France et autres, req. n° 3569/12. ↩
- Ibid., §23. ↩
- CCass, chambre criminelle, 10 mai 2016, n° 15-86600. ↩
- Ibid. ↩
- BONNET J., ROBLOT-TROIZIER A., « Le filtrage des QPC à l’épreuve du pouvoir prétorien de la Cour de cassation », Chronique de droits fondamentaux et libertés publiques, Les nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 1 octobre 2016, n° 53, p. 99. ↩
- CC., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres [Garde à vue], Rec. p. 179. ↩
- CCass., chambre criminelle, 19 oct. 2010, n° 5699, 5700 et 5701. ↩
- V. notamment sur ce point : LEVADE A., « Quand la foudre frappe deux fois ou comment la Cour de cassation impose son rythme à la réforme de la garde à vue ! », Constitutions, 2011, p. 326. ↩
- CourEDH, 14 octobre 2010, Brusco c/ France, n° 1466/07. La Cour européenne des droits de l’Homme a rappelé dans cette affaire « le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable. Ils ont notamment pour finalité de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention ». Elle indique également que « la personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire » (§44-45). ↩
- CCass, 1ère chambre civile, 9 mars 2013, n° 11-27.071, D. 2013. 1106. La Cour de cassation estima que « si le droit à un tribunal, dont le droit d’accès concret et effectif constitue un aspect, n’est pas absolu, les conditions de recevabilité d’un recours ne peuvent toutefois en restreindre l’exercice au point qu’il se trouve atteint dans sa substance même ; qu’une telle atteinte est caractérisée lorsque le délai de contestation d’une décision, tel que celui prévu par l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles, court du jour où la décision est prise non contradictoirement et que n’est pas assurée l’information des personnes admises à la contester ». ↩
- CC, décision n°2012-268 QPC du 27 juillet 2012, Mme Annie M. [Recours contre l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’Etat], Rec. p.441. ↩
- Le Conseil d’Etat a également donné un effet immédiat à une déclaration d’inconventionnalité d’une disposition législative au regard du droit de l’Union européenne, sans tenir compte de l’abrogation différée prononcée à son égard par le Conseil constitutionnel : CE, 10 avril 2015, Redbull, n°377207. Le juge administratif estime ici que « le Conseil constitutionnel ayant ainsi différé jusqu’au 1er janvier 2015 les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité qu’il prononçait, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à s’en prévaloir à l’appui de leur recours pour excès de pouvoir contre la circulaire du 6 mars 2014 ; (…) toutefois, les juridictions administratives et judiciaires, à qui incombe le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l’Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peuvent déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l’Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu’elles ont à trancher ; qu’il appartient, par suite, au juge du litige, s’il n’a pas fait droit aux conclusions d’une requête en tirant les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition législative prononcée par le Conseil constitutionnel, d’examiner, dans l’hypothèse où un moyen en ce sens est soulevé devant lui, s’il doit écarter la disposition législative en cause du fait de son incompatibilité avec une stipulation conventionnelle ou, le cas échéant, une règle du droit de l’Union européenne ». ↩
- MARGUENAUD J.P, « La reconnaissance par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation de l’autorité interprétative des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ou : la révolution du 15 avril », RTD Civ., 2011, p. 725. ↩
- CCass., 1ère Chambre civile, 4 décembre 2013, n° 12-26.066. ↩
- DEUMIER P., « Contrôle concret de conventionnalité : l’esprit et la méthode », RTD Civ., 2016, p. 578. ↩
- V. notamment sur ce point : AKANDJI-KOMBE J.F, « Les appréciations en conventionnalité du Conseil constitutionnel », AJDA, 2015, p. 732. ↩
- En effet, le Conseil d’Etat a également consacré ce type de contrôle concret de conventionnalité : CE Ass., 31 mai 2016, Gonzalez-Gomez, n° 396848. Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat précise en premier lieu la place du contrôle de conventionnalité dans le cadre des procédures de référés en estimant que « eu égard à son office, qui consiste à assurer la sauvegarde des libertés fondamentales, il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de prendre, en cas d’urgence, toutes les mesures qui sont de nature à remédier aux effets résultant d’une atteinte grave et manifestement illégale portée, par une autorité administrative, à une liberté fondamentale, y compris lorsque cette atteinte résulte de l’application de dispositions législatives qui sont manifestement incompatibles avec les engagements européens ou internationaux de la France, ou dont la mise en œuvre entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagements ». La Haute juridiction admet ensuite le contrôle concret de conventionnalité en précisant que « la compatibilité de la loi avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l’application de dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention. Il appartient par conséquent au juge d’apprécier concrètement si, au regard des finalités des dispositions législatives en cause, l’atteinte aux droits et libertés protégés par la convention qui résulte de la mise en œuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n’est pas excessive ». ↩
- RAIMONDI G., « La relation de la Cour de Strasbourg avec les juges internes », AJDA, 2016, p. 2434. ↩
- KELSEN (Hans), Théorie pure du droit (traduction française de la 2ème édition par Charles Eisenmann), LGDJ, Paris, 1999, p. 322. ↩
- DEUMIER P., « Contrôle concret de conventionnalité : l’esprit et la méthode », RTD Civ., 2016, p. 578. ↩
- DE BECHILLON D., « Conflits de sentences entre les juges de la loi », Pouvoirs, 2001/1, n° 96, p. 108. ↩
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