Tous discriminés ?
L’auteure interroge la méthode de construction du droit de la non-discrimination en droit français. Le législateur continue à enrichir la liste de motifs de discrimination considérant toujours que la vérité et l’exactitude doivent se trouver dans le texte. Depuis peu, il semble avoir pris conscience des effets indésirables du manque de cohérence du corpus juridique et s’est, en réponse, engagé sur la voie de l’harmonisation. Cette initiative n’est toutefois pas encore concluante.
Tatiana Gründler, Maître de conférences, Université Paris Nanterre Centre de théorie et d’analyse du droit, équipe CREDOF, UMR 7074
Une salariée de la RATP, témoin de Jehovah, a refusé de prononcer l’expression « Je le jure » lors de sa prestation de serment devant le président du Tribunal de grande instance de Paris, préalable nécessaire à l’exercice des fonctions de surveillance auxquelles elle se destinait. L’impétrante a alors proposé l’usage d’une formule alternative, ce à quoi le magistrat s’est opposé, avant de prendre acte de son refus de prêter serment. En raison du défaut d’assermentation, l’employeur a licencié la salariée pour faute grave. La pieuse femme a alors contesté la décision au motif qu’elle était entachée d’une discrimination fondée sur ses convictions religieuses, ce qu’a admis la Cour de cassation en février 2017 1. Ce qu’il y a de remarquable dans la présente affaire, c’est que le comportement discriminatoire imputable au président du TGI rejaillit sur l’employeur qui voit sa décision annulée derechef.
Est-ce à dire que tout à chacun est possiblement coupable de discrimination ?
Si la question de la culpabilité et, avec elle, celle de la responsabilité, sont posées, c’est que des victimes existent. Il est vrai que le sentiment de discrimination est largement partagé et les recours juridictionnels soulevant en nombre le moyen de la discrimination en constituent la traduction juridique. Une récente enquête menée par le Défenseur des droits dévoile que plus de la moitié des personnes interrogées pensent que des discriminations ont lieu à l’occasion des contrôles de police, 47% lors d’une recherche d’emploi et près de 46% lors d’une recherche de logement 2. Plus spécifiquement, un-quart des personnes déclarent avoir été elles-mêmes discriminées au cours de leur vie professionnelle.
Bien entendu, toute perception de discrimination ne renvoie pas à une situation discriminatoire au plan juridique. Pour autant le droit se doit de répondre à la réalité sociale et c’est manifestement à cette entreprise que s’attèle le législateur français. Le droit de la non-discrimination consiste à établir l’illicéité de distinctions en raison des motifs qui les animent. La finalité de ce droit est, comme l’énonce Antoine Lyon-Caen, d’« éradiquer les attitudes, les décisions, les normes qui procèdent d’une telle distinction » 3. Bien qu’il soit difficile de déterminer ce qui définit le caractère arbitraire, donc illégitime et en conséquence illicite, d’une différence de traitement, la catalogue des motifs qu’il est interdit de prendre en compte lors d’une embauche, d’une location d’appartement ou d’une sanction disciplinaire par exemple se densifie sans cesse. Aux cinq motifs originellement visés (race, ethnie, origine, nation et religion) 4, succède une liste actuellement composée d’une trentaine de motifs 5.
La question se déplace alors de la perception de la discrimination à sa qualification juridique. Le droit n’en fait-il pas trop, en faisant de chacun de nous des personnes discriminées ?
La profusion des textes et la sophistication des règles juridiques de lutte contre les discriminations peuvent laisser penser de prime abord à un excès, mais cette critique nous semble devoir être tempérée, voire démentie, au terme d’une analyse plus poussée du corpus juridique. Il paraît en effet délicat d’évoquer un excès quand c’est le manque d’effectivité de ce droit qui est généralement pointé 6. Une des causes souvent avancées de cette ineffectivité réside dans les difficultés rencontrées par les victimes – malgré les aménagements procéduraux conséquents – d’établir devant le juge le comportement discriminatoire. Pour autant, la responsabilité de cet échec n’incombe pas au seul juge. Précisément parce que la démarche des acteurs publics investissant ce champ se caractérise par un privilège accordé au texte. Le maître d’œuvre de la lutte contre les discriminations en droit français est assurément le législateur et non le juge. Les failles de ce droit sont donc à rechercher avant tout dans l’action du premier.
Leurs origines se trouvent tout à la fois dans le modèle du droit de la non-discrimination retenu par le législateur et dans sa mise en œuvre. L’importance conférée à la lettre du texte en droit français, à la différence de nombre d’autres instruments juridiques de lutte contre les discriminations, induit nécessairement, et ce malgré l’activisme dont fait preuve le législateur, des angles-morts (I). S’ajoute à ce premier écueil le fait que l’engagement non démenti du législateur se soit fait de façon empirique, sans vision d’ensemble, ce qui nuit à la lisibilité ainsi qu’à la cohérence de ce droit et donc, in fine, à sa maniabilité (II).
I. Tout désigner, un choix originel pernicieux du droit de la non-discrimination
La méthode choisie en droit de la non-discrimination place les deux acteurs juridiques que sont le législateur et le juge dans des situations extrêmement inconfortables. Au législateur auquel il est demandé d’embrasser le champ potentiellement infini des distinctions que la société ne saurait tolérer (A) fait face un juge dépourvu de la marge de manœuvre nécessaire pour saisir les discriminations dans toute leur variété (B).
A. Un législateur acculé à l’impossible
Parce que le droit français de la lutte contre les discriminations est construit sur la base d’une liste légale et exhaustive de motifs (1), le législateur est tenu de la faire évoluer afin qu’elle corresponde à la réalité sociale (2).
1. Le choix de la liste de motifs
Dès 1987, Danièle Lochak dévoilait « la structure invariante de la notion de discrimination », constituée d’un premier élément que « sont les personnes ou les groupes qui font l’objet d’une différence de traitement », ce qui revient à déterminer « le critère de la distinction opérée » ; d’un deuxième, « le domaine dans lequel cette différence de traitement intervient » ; le troisième enfin : l’absence de « justification de cette différence, son adéquation ou sa non-adéquation au but poursuivi » 7. C’est effectivement sur ce triptyque que s’est élaboré le modèle juridique de lutte contre les discriminations au plan interne. La construction des dispositions de référence 8 contenues dans le Code pénal en offre une parfaite illustration. Alors que son article 225-1 énonce les critères susceptibles de rendre une distinction illégitime, donc illicite, l’article 225-2 identifie les domaines dans lesquels une telle distinction est effectivement illégale dès lors, précise l’article 225-3, qu’aucune justification prédéfinie ne permet de lui donner un satisfecit 9. La discrimination prohibée résulte donc de la rencontre entre un critère posé comme illégitime, d’un côté, et un domaine d’application de l’autre.
Or une spécificité du droit interne qui induit l’importance de la lettre du texte tient au caractère exhaustif de la liste des motifs discriminatoires. Contrairement à ce qui prévaut dans d’autres ordres juridiques 10, le législateur français a fait le choix d’une liste fermée de motifs impliquant que tout ce qui est illégitime et à ce titre interdit doit être nommé, au-delà de ce que le principe de légalité des délits et des peines exige simplement en droit pénal.
Dès lors, l’un des enjeux importants du droit de la non-discrimination réside dans le contenu formel de cette liste de motifs. A défaut d’explicitation textuelle, des situations problématiques du point de vue de l’objectif d’égalité pourraient rester en dehors des mailles du filet juridique.
Le législateur français est donc tenu de faire évoluer constamment la liste de motifs afin qu’elle corresponde le mieux possible à la réalité discriminatoire telle qu’elle se pratique et telle qu’elle est perçue. Mais il s’agit d’une tâche impossible, dont l’image du tonneau des Danaïdes permet de rendre compte.
2. Une tâche impossible
Une tâche sans fin. Le nombre de textes actualisant la liste de motifs et le contenu considérablement enrichi de celle-ci depuis 1972 attestent de l’immensité de la tâche 11. Entre la loi Pleven 12, première loi à se référer à la notion de discrimination, et aujourd’hui, on est passé des seuls et classiques motifs de l’origine, de l’ethnie, de la nation, de la race et de la religion à une trentaine de critères saisis par le droit, et encore si l’on s’en tient aux textes généraux portant sur la non-discrimination que sont la loi de 2008, l’article 225-1 du Code pénal et l’article L 1132-1 du Code du travail (et les articles annexes). Par une telle profusion de motifs, le droit français se distingue du droit de l’Union qui établit une liste de bien moindre envergure avec seulement huit critères explicitement visés par le droit dérivé 13. Cet enrichissement du droit se fait au coup par coup, au gré de l’agenda législatif et d’une prise en compte de plus en plus fréquente de cette question par le législateur.
Cette entreprise est sans fin. En effet la réalité discriminatoire étant diverse, mouvante et progressivement révélée, elle suppose une adaptation continue. En outre, la méthode de l’explicitation textuelle induit un effet mécanique contraire à l’objectif poursuivi. A mesure que le législateur s’emploie à résorber les vides juridiques en désignant un nouveau motif, il en crée immanquablement de nouveaux. Nommer (des motifs) pour inclure (des discriminations dans le droit), conduit insidieusement à exclure plus sûrement tout ce qui n’est pas nommé.
Voie sans issue, donc, que celle d’inscrire dans la loi tous les motifs possibles de discrimination, mais dans laquelle le législateur montre pourtant une indéniable opiniâtreté. La liste s’accroît ainsi inlassablement au fil des lois qui, de plus en plus souvent, comportent un volet anti-discriminatoire. C’est par exemple à l’occasion de l’examen de la loi portant sur le harcèlement sexuel que la question des discriminations subies par les personnes transgenres est apparue en 2012. La prise en compte de ce sujet a convaincu le législateur d’intégrer l’identité sexuelle parmi les critères illicites. Autre illustration : c’est lors de l’adoption d’une loi générale sur la société du vieillissement que le motif discriminatoire de perte d’autonomie est reconnu. La constante actualisation des motifs témoigne du souci du législateur de répondre plus fidèlement à une réalité sociale mouvante. Parfois avec un certain excès, comme lorsqu’il ajoute des motifs qui ne correspondent pas à autre chose qu’à une discrimination extrêmement factuelle. Même sans ces ajouts intempestifs 14, il y a des revers à une telle agitation législative : incohérences, redondances, vides, qui font parfois penser que, malgré les apparences, le Parlement se moque du droit de la non-discrimination 15.
A l’infinitude de la tâche s’ajoute donc une seconde difficulté, celle de nommer correctement.
Une tâche délicate. Un signe de cette difficulté peut être trouvé dans deux motifs récemment intégrés dans notre droit. Il est en effet difficile de comprendre l’intention du législateur lorsqu’il complète la liste des motifs illicites par le critère de « capacité à s’exprimer dans une autre langue que le français ». Les auteurs n’ont pas tardé à relever la contradiction interne de la formule qui pose comme motif de discrimination, donc comme élément négatif, une capacité, autrement-dit une faculté connotée positivement 16, à railler la fréquence des discriminations dont sont victimes les personnes bilingues 17 et à douter de l’opportunité de l’intégration d’un tel motif dans la liste 18. Sauf à considérer que ce que le législateur cherche à saisir par cette formule, c’est la discrimination subie par les personnes d’origine étrangère. Mais alors, pour légitime que soit un tel objectif, celui-ci ne nécessitait pas l’adaptation de l’arsenal législatif, la discrimination fondée sur l’appartenance ethnique – vraie ou supposée – étant de longue date interdite 19. Et la notion de discrimination indirecte aurait permis d’appréhender juridiquement une pratique apparemment neutre (une question éventuellement posée à un candidat à l’embauche concernant la langue qu’il parle chez lui) mais produisant des effets défavorables (dès lors que la réponse d’une langue autre que le français aurait constitué un désavantage pour le candidat) très majoritairement sur une population d’origine étrangère.
Le législateur devient coutumier du fait de mal nommer quand on songe au récent ajout du critère de « la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur ». Cette intégration illustre la « fuite en avant », la « course contre la montre », la « frénésie » frappant le législateur dans le champ de la non-discrimination. Des auteurs, à l’instar de Gwénaële Calvès, n’ont pas hésité à souligner que l’« on ne fait pas une bonne loi avec de bon sentiments », doutant de l’utilité fonctionnelle d’un tel motif, au-delà même de son éventuelle utilité axiologique 20. Inscrire un tel motif dans la liste répondait à une demande portée toute particulièrement par l’association ATD Quart Monde afin d’appréhender juridiquement les traitements différents, les rejets, dont les pauvres peuvent être victimes en raison de stéréotypes véhiculés par la misère 21. On se souvient de la famille, soutenue par l’association, refoulée du musée d’Orsay. En 2015, cette proposition fut relayée au Sénat par le dépôt d’un texte visant initialement la précarité sociale, mais qui a débouché sur l’insertion, en juin 2016, du motif de la « particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue, de son auteur ». Cette longue expression, peu parlante et peu maniable, montre la difficulté de nommer et de bien nommer 22. Il n’est pas sûr au demeurant qu’elle permette de saisir les situations initialement envisagées. Le terme de vulnérabilité renvoie à un état de faiblesse, qui peut avoir de multiples facteurs tels que l’âge, la maladie, le handicap…, et est « un élément de fait qui s’apprécie au cas par cas », ce qui rend le succès « d’éventuelles actions en justice hautement improbable » 23.
B. Un juge relégué au second plan
Sans tomber dans la caricature d’un juge fantoche on peut constater qu’il n’est pas une figure de proue de la lutte contre les discriminations. Le législateur, très interventionniste, encadre fortement l’action du juge (1) qui semble avoir admis une telle répartition des rôles (2)
1. Un juge bridé
Quand le législateur reprend la main. En 2012 l’identité sexuelle est venue enrichir la liste des motifs illicites, critère remplacé, en 2016, par l’identité de genre. Si ces introductions successives et alternatives illustrent la sophistication dont fait preuve le législateur dans son effort jamais démenti de mieux nommer les discriminations, elles révèlent surtout la prétention de celui-ci à transcrire dans le texte toute discrimination, fût-elle déjà saisie par le juge au moyen des outils mis à sa disposition.
L’ajout du critère de l’identité sexuelle en 2012 déjà mentionné constitue un cas d’école de la façon dont l’intervention du législateur restreint la latitude inventive du juge dans l’appréhension du phénomène discriminatoire, le premier devant nécessairement aiguiller le second. Tout commence ici par la sensibilisation de quelques parlementaires à l’existence de discriminations spécifiques relayées par des victimes, plus souvent, par des associations 24. La conséquence de cette prise de conscience fut l’explicitation textuelle du motif à l’origine de la différence de traitement problématique, non sans un certain flottement sur le sens respectif des termes de sexe, orientation sexuelle, identité sexuelle ou identité de genre aujourd’hui préférée 25. La nécessité du recours au texte n’avait pourtant rien d’évident dès lors que des juges avaient pu se saisir d’un autre critère, celui de l’orientation sexuelle, apprécié il est vrai très souplement, afin de saisir et de sanctionner ce type de discrimination 26. Ainsi la Cour d’appel de Montpellier avait pu constater le caractère abusif d’un licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié en conversion sexuelle fondé sur une discrimination en raison de l’orientation sexuelle. Même en l’absence de motif idoine, le juge avait trouvé le moyen d’appréhender le comportement discriminatoire et de le sanctionner en tant que tel.
L’introduction dernièrement de l’identité de genre dans la liste des motifs de discrimination confirme cet activisme du législateur. Celui-ci intervient une fois encore alors que le juge avait eu l’occasion de saisir juridiquement des décisions guidées par des stéréotypes de genre. Par son arrêt sur l’homme aux boucles d’oreilles, la chambre sociale de la Cour de cassation avait démontré que le juge parvient, en mêlant des critères entre eux (le sexe et l’apparence physique, en l’occurrence), à en saisir d’autres non explicités par le texte (l’identité de genre). En l’espèce, était en cause le licenciement du chef de rang d’un restaurant gastronomique consécutif à son refus d’ôter ses bijoux pendant son travail. La Cour de cassation a considéré que ce licenciement avait pour cause « l’apparence physique du salarié rapportée à son sexe », sans que l’employeur ne justifiât d’éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Ce qui transparaît en filigrane de cette affaire c’est bien la question du genre. « Par cette référence au rapport entre l’apparence physique et le sexe, la Haute Cour désigne implicitement, au-delà du sexe biologique, le genre : la perception sociale de l’homme, son comportement social dont la manifestation la plus visible est l’apparence physique » 27. Malgré ce précédent, le législateur continue de chercher à mieux appréhender les discriminations grâce à une désignation toujours plus sophistiquée. C’est dans cette perspective que se situe la substitution à l’identité sexuelle du critère de l’identité de genre lors de l’adoption de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle 28, comme l’y invitait au demeurant le Défenseur des droits 29. Selon l’autorité constitutionnelle, plusieurs éléments plaidaient en faveur de cette évolution terminologique : d’abord le risque qu’accolées et réunies par l’attribution d’un même adjectif (sexuelle), les notions d’identité sexuelle et d’orientation sexuelle soient confondues ; ensuite l’idée que l’expression « identité de genre » est « plus claire et plus inclusive », englobant l’identité corporelle, notamment sexuelle, mais aussi l’identité sociale et culturelle et permettant de « protéger l’ensemble des personnes transgenres contre toute discrimination » 30, quel que soit leur niveau ou étape de transition. Cette reprise en main du législateur confirme que le juge français, loin de ses homologues nord-américains, n’est pas vu comme un acteur de premier plan du droit de la non-discrimination.
De telles explicitations textuelles ne sont pas dénuées de tout intérêt. Elles participent d’une généralisation, d’une diffusion sur l’ensemble du territoire d’une compréhension de la discrimination propre, au départ, à un juge du fond. Il est des cas en revanche où la caractérisation de la situation ne peut relever que d’une approche casuistique très concrète.
Quand le législateur ne laisse pas la main. Le modèle français du droit de la non-discrimination a pour effet, par son système de liste de motifs, d’invisibiliser certains types de discriminations intersectionnelles, en particulier celles nées, non pas du cumul de discriminations simultanées ou successives fondées sur des critères distincts, mais de la rencontre de plusieurs motifs discriminatoires.
Ce cloisonnement voulu par le législateur induit d’abord une inhibition du juge dans sa perception des potentiels effets conjugués de plusieurs motifs illicites et, consécutivement, une nouvelle intervention du législateur pour trouver le motif qui chapeauterait les motifs concernés. Un exemple est révélateur de la mécanique à l’œuvre, celui de la perte d’autonomie. Le projet de loi sur le vieillissement ayant conduit à sa consécration évoquait initialement les discriminations fondées sur l’âge déjà connues du droit positif 31. Puis, à la faveur de deux amendements identiques déposés à l’Assemblée nationale 32, l’idée de faire figurer la perte d’autonomie au nombre des motifs discriminatoires définis par l’article 1er de la loi de 2008 a émergé, dans le but précis de permettre au Défenseur des droits d’être saisi par des personnes victimes de discrimination dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées et dépendantes et de se rendre sur place pour vérification ou enquête. Le Sénat a estimé à juste titre que « ce nouveau critère [était] redondant avec ceux liés à l’âge et au handicap » et a donc proposé sa suppression. L’inutilité d’un tel ajout, trouve sa source dans la présence antérieure de critères qui, seuls ou assemblés, permettent de subsumer les expériences discriminatoires vécues par les personnes en situation de dépendance : « le présent article n’apporte pas d’ajout au droit existant dans la mesure où l’âge et le handicap constituent déjà des motifs susceptibles de fonder une discrimination. Or la perte d’autonomie est, de facto, un handicap, le plus souvent lié à l’âge » 33. Mais les députés l’ont rétabli et le Sénat s’y est résolu, écartant dès lors toute perspective d’interprétation croisée des motifs. Pour autant cette question d’une possible concurrence entre l’ajout d’un motif et le fait de penser les discriminations en termes d’intersection n’est pas propre à la perte d’autonomie. On peut à certains égards, considérer que la grossesse aurait pu être appréhendée, par l’interprétation du juge, sous l’angle des deux motifs que sont le sexe et la santé.
2. Un juge qui s’auto-limite dans son (non) usage des concepts
Discriminations intersectionnelles. On pourrait croire l’enjeu nul. Quelle que soit la méthode – celle privilégiant la précision du texte ou celle faisant le pari de l’audace du juge -, l’essentiel est de parvenir au but que constitue la sanction des discriminations. Mais par l’importance conférée à la lettre du texte, comme nous avons tenté de le montrer, le dispositif juridique français est en retrait sur l’intersectionnalité alors que des foyers de discrimination sont nécessairement omis. Par exemple, l’absence en droit interne du motif des « responsabilités familiales » mentionné dans la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe aurait pu être palliée par une interprétation croisée de la situation de famille et du sexe, deux motifs connus du droit français, si on pense au sens que le Comité européen des droits sociaux lui donne, dans une perspective genrée de la répartition des tâches domestiques correspondant encore largement à la réalité 34.
Cette difficulté à appréhender les discriminations au croisement de deux motifs n’est pas propre au juge national 35. Dans un arrêt de 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a en effet expressément refusé de reconnaître toute « nouvelle catégorie de discrimination résultant de la combinaison de plusieurs de ces motifs [visés à l’article 1er de la directive 2000/78] tels que l’orientation sexuelle et l’âge » 36. Dans la présente affaire, un travailleur irlandais demandait à son employeur que son compagnon avec lequel il avait conclu un partenariat enregistré (terme désignant l’union civile ouverte en Irlande aux personnes de même sexe) bénéficie à son décès d’une pension de survie. Mais le régime de prévoyance professionnelle concerné subordonnait le bénéfice de la prestation par les partenaires enregistrés survivants des affiliés – tout comme par les personnes mariées survivantes – à la condition que le partenariat – ou le mariage – ait été souscrit avant que l’affilié n’ait atteint l’âge de 60 ans. Or cette condition ne pouvait être remplie dans le cas d’espèce, le partenariat enregistré entre personnes du même sexe ayant été légalisé en Irlande postérieurement aux 60 ans du requérant. La Cour de Luxembourg fut donc interrogée à titre préjudiciel sur la compatibilité ou non de cette exigence avec la directive 2000/78 relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, autrement dit sur son éventuel caractère discriminatoire. Après avoir écarté la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle tout comme celle fondée sur l’âge, les juges ont exclu toute discrimination en raison de l’effet combiné des deux critères 37.
Il peut être tentant de voir dans cette absence de confiance envers le juge et dans cette préférence systématique accordée au texte – toutes deux à l’origine d’un cadre législatif replet – la marque de l’attachement à l’universalité et, parallèlement, les réserves à l’égard d’une approche casuistique
Discriminations indirectes. Un contentieux émergeant en France, celui de la restauration collective, rend perceptible la difficulté que rencontre le juge, du moins le juge administratif, dans la manipulation du concept de discrimination indirecte. Saisi de la légalité de la délibération d’un conseil municipal supprimant des cantines scolaires de la ville les repas de substitution proposés aux enfants quand des plats à base de porc leur étaient servis, le tribunal administratif de Dijon 38 a évité de se prononcer sur l’existence d’une discrimination pour se concentrer simplement sur l’absence de prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant tiré de l’article 3-1 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant 39. Pourtant le Défenseur des droits comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme, consultés en tant qu’amici curiae, abordaient le caractère indirectement discriminatoire de la décision litigieuse à l’égard des enfants de confession juive ou musulmane. Dans sa dernière version 40, la loi de 2008 interdit en effet les discriminations indirectes fondées « en matière de protection sociale, de santé, d’avantages sociaux, d’éducation, d’accès aux biens et services ou de fourniture de biens et services ». Il est dès lors possible de considérer qu’une décision de suppression des repas de substitution au porc, ne visant aucune population spécifiquement, crée un désavantage pour les enfants de confession juive ou musulmane, donc est à l’origine d’une discrimination indirecte en raison de la religion dans l’accès à un service – serait-il public. Et ce silence sur le caractère indirectement discriminatoire de la non-fourniture de repas conforme aux exigences religieuses d’un usager de service public n’est pas isolé. L’examen des quelques décisions juridictionnelles relatives à ce contentieux dessine un juge administratif en retrait en matière de discrimination 41. Le cas des prisons est topique. Si certaines demandes d’aménagement de repas sont prises en compte, ce n’est jamais au nom de la discrimination indirecte générée par la distribution d’un repas commun, indifférent à toute prescription religieuse, « neutre », serait-on tenté de dire, mais en raison de l’existence d’un droit juridiquement protégé, en l’occurrence la liberté religieuse du détenu 42. C’est donc toujours par des voies si ce n’est détournées, du moins, autres que la non-discrimination – ici l’intérêt supérieur de l’enfant, là la liberté religieuse – que le juge administratif parvient à neutraliser des décisions défavorables à un groupe minoritaire d’usagers.
La conception du droit de la non-discrimination retenue par le législateur français détermine une répartition très inégalitaire des rôles entre lui et le juge. L’ampleur de la tâche incombant au Parlement est avérée ; le résultat sans doute décevant. Pourquoi ? Certainement parce que, sensibilisé à la question des discriminations, le législateur est absorbé par sa volonté de toujours mieux saisir les nouveaux types de discrimination dévoilés. L’absence de réflexion globale sur les objectifs ainsi que sur la méthode est regrettable car source d’imperfections d’un droit pourtant ambitieux.
II. Nommer sans penser, un processus à l’origine de la fragmentation du droit de la non-discrimination
La fragmentation du droit de la non-discrimination est double 43. Elle tient en premier lieu au fait que celui-ci est constitué d’un empilement de textes destinés à actualiser la liste de motifs illicites. Le procédé qui consiste à ajouter, à superposer, sans repenser globalement le droit induit des transformations subreptices parce que largement inconscientes (A). La fragmentation résulte en second lieu de l’éparpillement de ce droit dans différents corpus, dispersion qui engendre nombre d’incohérences que seule une vision d’ensemble du sujet permettrait d’endiguer (B).
A. Stratification : des transformations impensées du droit de la non-discrimination
Le droit de la non-discrimination s’est construit par touches successives, au gré des agendas politiques et législatifs, avec des temps forts marqués par l’adoption de lois de transposition des directives de l’Union européenne 44. Cela aboutit à dessiner de manière pointilliste ce droit dont les contours restent relativement flous et difficilement saisissables. Mais cette méthode de construction souffre d’un manque de réflexion. Si le législateur est indéniablement et durablement engagé dans la lutte contre les discriminations, c’est visiblement sans mener préalablement ou parallèlement une réflexion sur ce que doit être l’arsenal juridique anti-discriminatoire. Il en résulte de nombreux impensés, tant sur l’objet de la protection à travers l’énoncé de motifs illicites (1) que, à un niveau plus macro, sur les places assignées respectivement au droit et à la politique dans la gestion des différences (2).
1. Une évolution inconsciente de l’objet protégé : de l’universel au particulier
Du constat de l’hétérogénéité des motifs à l’esquisse de tendances. La grande variété de motifs saisis par le droit est régulièrement soulignée. « Certains motifs prohibent (…) indiscutablement des distinctions inhérentes à la personne humaine (origine, sexe, apparence physique, handicap, âge, caractéristiques génétiques). Mais bien d’autres relèvent bien davantage de l’état (de santé, de grossesse), de l’identité sociale (sexe, situation de famille, patronyme, religion, lieu de résidence, identité sexuelle), des comportements (mœurs, orientation sexuelle) ou des opinions (opinions politiques, activités syndicales) 45. L’absence de tout esprit de systématisation ou de prévision dans l’esprit du législateur et, plus encore, son inconscience du fait que « la discrimination ne porte pas atteinte aux mêmes valeurs (dignité, égalité, solidarité, liberté) selon la nature du mobile de discrimination (race, sexe, handicap, activité syndicale) » ont pu être remarquées 46. Forts de tels constats partagés, les juristes, conformément à leur appétence pour l’ordonnancement et la catégorisation, tentent de dénicher au sein des différentes listes existantes de motifs discriminatoires des critères de classement et de possible mise en cohérence, serait-ce a posteriori 47.
Selon certains auteurs se cacheraient dans cette superposition progressive des évolutions tendancielles du droit de la non-discrimination. Une tendance plus sociale tout d’abord ; une tendance plus libérale ensuite. Ainsi, Grégoire Loiseau souligne que si, traditionnellement, les motifs illicites sont « recensés parmi les différentes données qui font l’individualité de chacun » (comme le sexe, l’âge l’origine…), ils sont désormais marqués par une « orientation plus sociale » (et l’auteur de citer le lieu de résidence et bien entendu la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique apparente ou connue de son auteur 48.).
Bien qu’exprimée et analysée différemment c’est cette même évolution qu’identifie Marie Mercat-Bruns lorsqu’elle évoque une nouvelle génération de critères discriminatoires en droit du travail : aux premiers critères portant sur les caractéristiques des personnes se sont ajoutés, selon elle, des critères qui « reflètent davantage des aspirations à l’autonomie du travailleur dans l’emploi (apparence physique) ou à l’exercice de libertés des salariés (orientation sexuelle, appartenance syndicale) liées parfois à des choix dans leur vie personnelle (identité sexuelle, parentalité, lieu de résidence, religion) » 49. A la suivre, la lutte contre les discriminations ne viserait dès lors plus à « éradiquer les stéréotypes », mais davantage à « préserver une sphère d’autonomie au travailleur » 50.
Cette évolution perçue en droit du travail nous paraît conforme à celle que traverse l’ensemble du droit de la non-discrimination.
Evolution ou mutation ? Dans ce foisonnement de motifs discriminatoires il est difficile de débusquer des évolutions précises pour deux raisons principales que sont, d’une part, l’équivocité fréquente des termes employés et, d’autre part, l’absence de périodes « géologiques » claires. Sans multiplier les exemples sur le premier point, notons simplement la complexité qu’il y a à déterminer avec certitude la logique à laquelle répond un motif. Si l’on prend l’exemple des mœurs, on se souvient qu’il a été intégré dans l’arsenal législatif de non-discrimination en 1985 51 afin d’apporter une réponse aux différences de traitement subies par les personnes homosexuelles 52. Mais on sait aussi qu’il a pu être utilisé par la HALDE pour remettre en cause un refus d’embauche opposé à une personne fumeuse 53 Et force est de reconnaître qu’il n’a pas rendu sans objet la proposition d’introduction ultérieure du motif d’orientation sexuelle 54. Les motifs ont donc une vie au-delà des prévisions du législateur. Quant au second point, s’il est impossible de comptabiliser avec certitude le nombre de lois traitant de façon directe ou incidente de la question des discriminations, il semble aussi difficile d’identifier des périodes, des « âges », de ce droit, séparés par des moments de rupture eux-mêmes peu visibles.
Pourtant des évolutions sont à l’œuvre, que ces écueils n’empêchent pas absolument de révéler. Convenons, à titre liminaire, que l’ensemble des motifs posés comme illicites ne relèvent pas du même paradigme. Sans aller jusqu’à proposer une classification, on peut repérer trois types de motifs : ceux se rapportant à l’identité de la personne d’abord, ceux ayant trait à l’exercice d’une liberté, ensuite, et des motifs plus sociaux, enfin. Dans le premier ensemble constitué de motifs en lien avec l’identité – motifs identitaires –, nous semblent pouvoir être distingués, d’un côté, ceux qui ont trait à des caractéristiques indisponibles de la personne (origine, ethnie, nation, race, sexe 55.) et, de l’autre, ceux qui, tout en apparaissant largement immuables, ne sont pas nécessairement une donnée première, une donnée de naissance. On pense ici à l’état de santé, au handicap ou à l’âge. S’ajoute à ces deux premières catégories constituées autour des identités personnelles le deuxième groupe composé des motifs touchant à l’exercice de libertés – motifs libéraux –. Il est de nouveau loisible de subdiviser cet ensemble entre, d’une part, ceux qui concernent l’exercice des libertés intellectuelles – qui sont aussi souvent des libertés d’engagement (collectif) – comme les opinions politiques, philosophiques, syndicales ou encore l’appartenance religieuse et, d’autre part, les motifs qui font écho à des libertés relevant du droit au respect de la vie privée, tels que les mœurs, l’orientation sexuelle ou la situation de famille. Ces éléments ne sont pas totalement étrangers à l’identité de la personne, ce qui suggère une certaine porosité, tout du moins une imperfection des critères de distinction suggérés ici, mais il s’agirait alors, au travers des derniers motifs recensés, d’une identité choisie plus que donnée, ce qui déplace sensiblement l’objet et l’enjeu de la protection qu’offre le droit de la non-discrimination. Des motifs plus sociaux, tels que le lieu de résidence ou la particulière vulnérabilité économique, forment un dernier ensemble au sein de cette liste. Eloignés de la question de l’identité de la personne ils tentent de protéger « l’homme situé », c’est-à-dire un « homme concret, défini non par son essence ou son appartenance à un type abstrait mais par des particularités qu’il doit à la situation contingente où il se trouve placé » 56.
A l’image de la présentation générationnelle des droits fondamentaux – jugée trop simpliste pour décrire des catégories de droits qui ne se succèdent pas purement et simplement, mais correspondent à trois périodes -, le droit de la non-discrimination se caractériserait par une coexistence de motifs de différentes natures et par des temps au cours desquels une sorte de motifs prédominerait sans que les autres ne soient pour autant occultées.
Une telle temporalité, même relative, rend d’ailleurs visible une transformation plus profonde à laquelle il convient de se montrer attentif : le passage d’un usage de la règle de non-discrimination comme outil au service de l’égalité à son emploi comme moyen d’une plus grande effectivité des libertés fondamentales. Lorsque le législateur commence par interdire les discriminations fondées sur la race, l’origine ou le sexe, c’est encore l’universalité qu’il vise, donc une égalité liée à la même appartenance au genre humain, d’où, d’ailleurs, le fait que le lien soit parfois fait – comme dans le Code pénal – entre non-discrimination et dignité humaine 57. C’est en revanche davantage une protection indirecte des libertés que ce droit propose quand il prohibe des comportements défavorables aux personnes qui font usage de leurs droits et libertés par rapport à celles qui ne les exercent pas. L’égalité serait actuellement de nouveau privilégiée mais transformée car considérée, cette fois-ci, dans une perspective plus sociale et donc plus solidaire. Aussi les divers motifs pourraient-ils être rassemblés autour d’un triptyque constitué progressivement de l’égalité, de la liberté et de la solidarité.
2. Un déplacement sensible des responsabilités : de la prévalence du juridique sur le politique
L’inclination – largement impensée – du législateur à offrir une orientation plus sociale à la lutte contre les discriminations conduit à s’interroger sur la place du droit de la non-discrimination par rapport à une politique de justice sociale et donc à questionner plus largement la place du droit par rapport à l’action politique 58.
Parmi les derniers motifs intégrés en droit positif, on trouve en effet moins des données faisant l’individualité de la personne que des critères socio-économiques : le fait d’être bénéficiaire de la couverture maladie universelle (2009) 59, le lieu de résidence (2014) ou encore la particulière vulnérabilité économique (2016). Or si la volonté du législateur de répondre à des problèmes sociaux dévoilés par les associations et par le Défenseur des droits est louable, elle ne peut faire l’économie d’une réflexion sur ce qu’est la fonction du droit de la non-discrimination. Est-il l’outil privilégié d’une plus grande égalité de traitement ? N’y a-t-il pas une possible confusion entre action politique et action juridique, avec un risque consécutif de dilution des responsabilités ? N’y aurait-il pas en outre un risque de perte de densité normative ? La multiplication de critères dont la portée symbolique est indéniable mais dont l’effet réel est sans doute plus modeste – du fait de leur manque de maniabilité par le juge notamment – ne risque-t-elle pas d’avoir pour effet pernicieux, à terme, de faire apparaître le droit de la non-discrimination comme un droit mou, réceptacle de bons sentiments et doté d’une faible juridicité ? Pour l’ensemble de ces raisons, il paraît impératif que le législateur engage une politique législative réfléchie sur le droit de la non-discrimination et intervienne de façon plus parcimonieuse mais à meilleur escient dans ce domaine sans que cela n’altère son intérêt pour ce sujet. Le cas de la discrimination pour particulière vulnérabilité économique constitue, aux yeux de Delphine Tharaud, une manifestation de ce risque de « désengagement de l’Etat » 60. Le fait que le législateur ait complété sa prohibition des discriminations fondées sur ce motif par la reconnaissance d’une possibilité pour l’employeur d’adopter des mesures de discrimination positive au profit de ce groupe de personnes, défini par leur situation économique, n’est pas anodin à cet égard. L’article L 1133-6 du Code du travail indique en effet que « les mesures prises en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique et visant à favoriser l’égalité de l’emploi ne constituent pas une discrimination ». On peut être tenté d’y lire un encouragement à l’action privée face à un recul possible de l’action publique 61.
Sans que l’on en ait encore une conscience aigüe, le droit des discriminations évolue. Compte tenu de la place centrale que le législateur joue dans le modèle actuel, il paraît ne pouvoir se dispenser de reconsidérer tant son objet que son positionnement. C’est à cette condition que l’effectivité de ce droit pourra changer d’échelle. Le manque de vision d’ensemble conduit aussi, plus modestement, à des incohérences qui nuisent à leur tour à la bonne réception de ce droit par les acteurs et donc, là encore, à son efficacité.
B. Dispersion : des incohérences au sein du droit de la non-discrimination
La multiplication des textes relatifs aux discriminations engendre des divergences entre eux qui s’apparentent parfois à de véritables incohérences (1). Le législateur s’est récemment employé à y remédier. Le remède s’avère pourtant occasionner le même mal (2).
1. Le constat de l’hétérogénéité
Des non correspondances entre les textes difficilement explicables. Comme cela a déjà été rappelé, trois champs principaux sont traversés par le droit de la non-discrimination : le droit pénal, le droit du travail et le droit de la fonction publique. C’est d’abord la pénalisation de la discrimination raciale qui a occupé le législateur avec l’interdiction des refus de fourniture de bien et service ou d’embauche fondés sur le critère de l’ethnie, la nation, la race ou la religion 62. Précurseur, le Code pénal demeure aujourd’hui le texte de référence, de sorte qu’avant la loi J 21 l’article 225-1 de ce texte ne comportait pas moins de 21 motifs distincts. Cette liste ne couvrait pourtant pas totalement celle figurant dans le Code du travail, autre champ privilégié du droit de la non-discrimination qui lui-même était bien plus complet que son pendant dans l’emploi public. La présence d’une petite quinzaine de critères mobilisables dans le cadre de la fonction publique 63 est l’empreinte d’un droit bien davantage imprégné du principe d’égalité que de la logique de la non-discrimination. Ainsi la loi de 1983 ne mentionne toujours pas, dans sa version actuelle, la grossesse, le lieu de résidence, les mœurs ou encore les caractéristiques génétiques. Si certains motifs absents de la loi sont néanmoins prohibés par le juge 64, ils ne bénéficient ni de la garantie législative ni de la lisibilité offerte par l’explicitation textuelle quand d’autres sont tout simplement oubliés. En dépit de l’ajout en 2016 de la situation de famille à la liste, les différences subsistent entre les travailleurs relevant du droit privé et ceux régis par le droit public sans que des raisons objectives ne puissent les légitimer 65.
A l’inverse, d’autres spécificités peuvent, dans certains domaines du droit, s’expliquer. Ecarter de la liste de droit commun des motifs ou, à l’inverse, en énoncer de nouveaux, plus caractéristiques du champ concerné, peut s’avérer nécessaire pour saisir des risques discriminatoires particuliers. C’est par exemple le cas de l’article L. 2213-9 du Code général des collectivités territoriales qui interdit, en matière d’inhumation, d’opérer une distinction selon « les circonstances de la mort », motif de discrimination que l’on ne trouve logiquement nulle part ailleurs. L’originalité peut également provenir du constat de certaines pratiques sociales discriminatoires auxquelles le législateur tente de répondre en envoyant un message ciblé aux acteurs, tout particulièrement aux auteurs potentiels de discriminations. On peut ici penser à la loi de 2009 déjà évoquée qui ajoute aux motifs de discrimination traditionnels déjà visés par le Code de la santé publique, celui du bénéfice de la couverture maladie universelle, adressant ainsi un signal réprobateur fort aux médecins quant au caractère illégal d’une pratique de refus de soins manifestement non exceptionnelle 66.
Une hiérarchisation sous-jacente. Le droit de la non-discrimination n’est pas unitaire, il est plutôt un « droit stratifié qui accorde une protection différenciée en fonction du critère de la discrimination alléguée » 67. Effectivement la multiplicité des textes portant sur les discriminations et leur non-correspondance engendrent des champs d’application de l’interdiction des discriminations distincts selon les motifs. Au regard des régimes applicables, trois catégories de motifs ont pu être identifiées avant les réformes de 2016 et 2017 : « les motifs unanimement consacrés c’est-à-dire mentionnés dans les quatre corpus législatifs retenus 68 [le sexe, le handicap, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’âge, l’ethnie, la race et la religion], ceux majoritairement consacrés, à savoir dans trois des quatre corpus [l’origine, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, le patronyme, le lieu de résidence, l’état de santé, les opinions politiques et les activités syndicales] et ceux minoritairement retenus [les caractéristiques génétiques, les mœurs, la nation, la perte d’autonomie, les convictions, la maternité, les activités mutualistes et les opinions philosophiques] » 69. La cause de ces différences n’a rien d’évident, l’homogénéité des motifs au sein de chacun des trois ensembles n’étant pas manifeste. La critique porte dès lors non pas sur la coexistence de régimes différents, mais sur l’absence de raison claire et assumée de ces distinctions : « le sentiment d’insatisfaction à cet égard résulte moins de la hiérarchisation que de son caractère apparemment impensé » 70.
L’éparpillement des textes est donc en premier lieu facteur d’illisibilité et de complexité du droit de la non-discrimination, deux caractéristiques qui ne sont sans doute pas étrangères à sa (trop) faible mobilisation par les acteurs sociaux. Il favorise en second lieu l’apparition d’incohérences entre les différentes branches du droit. Or si des spécificités existent et rendent inévitables certaines adaptations de ce droit en fonction des champs concernés, rien n’empêche l’élaboration d’un « tronc commun antidiscriminatoire » 71. C’est justement dans cette voie de l’harmonisation que le législateur s’est récemment engagé 72.
2. La recherche d’une harmonisation
Plusieurs textes adoptés dernièrement font montre de la volonté du législateur de gagner en cohérence. Les différents aller-retours et le résultat mitigé traduisent toutefois la complexité de la tâche.
Tentative d’harmonisation. Avec la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, le législateur, presque malgré lui – on se souvient que c’est à la faveur d’un amendement 73 déposé tardivement et contre l’avis du Gouvernement -, entreprend autour du texte de 2008 un double mouvement d’harmonisation. Le premier consiste en ce que l’on pourrait appeler une harmonisation externe c’est-à-dire l’harmonisation de l’ensemble des textes généraux traitant de la non-discrimination. Elle vise à faire de la loi de 2008 le texte de base du droit de la non-discrimination. En ce sens, le législateur commence par compléter la liste de motifs qui y sont visés puis fait de ce texte la norme de référence à laquelle d’autres peuvent renvoyer comme l’article L 1132 du Code du travail. Si ce procédé du renvoi a pu être critiqué par des auteurs le qualifiant de « pas vraiment user friendly » 74, il permettait l’harmonisation automatique des « différents motifs discriminatoires existant en droit français et disséminés dans trois corps de règles : la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 (…), les articles 225-1 et suivants du Code pénal et les articles L 1132-1 et suivants du Code du travail » 75. Le second axe repose sur une harmonisation interne de la loi de 2008. Il s’agit de généraliser l’applicabilité de l’ensemble des motifs inclus dans ce texte à tous les domaines qu’il vise, à savoir l’emploi, la protection sociale, la santé, les avantages sociaux, l’éducation ainsi que l’accès et la fourniture de biens et services. Cela n’était pas le cas auparavant puisque seules les différences opérées sur le fondement de la race, l’ethnie, la grossesse ou la maternité permettaient une action au plan civil en matière de protection sociale, de santé, d’avantages sociaux et d’éducation.
Limites. Le législateur semble s’être arrêté au milieu du gué 76. Ce constat ressort en premier lieu du fait qu’a été laissée à l’écart du processus la loi Le Pors, accentuant encore les différences entre le régime de protection contre les discriminations des employés du secteur privé et celui prévalant dans le champ public. Il s’impose en second lieu en raison de l’absence de généralisation de la technique du renvoi au texte de 2008. Certes, le Code du travail a bien abandonné l’énumération, mais d’une part, l’article 225-1 du Code pénal l’a maintenue quand d’autre part l’innovation de l’article L 1132 du Code du travail fut de courte durée puisque, dès le début de l’année 2017, la liste, enrichie de quelques ajouts et au passage de nouvelles incohérences, retrouvait sa place dans le Code du travail 77. Indépendamment de la question du procédé utilisé pour l’atteindre, l’objectif d’harmonisation n’est pas toujours synonyme de cohérence sur le fond 78. Ainsi le motif de perte d’autonomie devient un motif illicite de discrimination dans l’emploi à la faveur de la loi J 21. On comprend mal quelle réalité avait en vue le législateur en interdisant à l’employeur de moins bien traiter les personnes devenues incapables d’assumer les actes de la vie courante du fait de leur âge ou de leur handicap. Cela dénote une recherche exagérée de cohérence de la part du législateur. De même, l’intégration du nouveau motif de domiciliation bancaire, aussi bien dans la loi de 2008 que dans le Code du travail, surprend. Ce qui était à l’origine visé par le législateur et justifiait la présence de ce critère dans son texte de février 2017 sur l’outre-mer, c’était la discrimination dont les populations ultra-marines font l’objet dans l’accès au logement ou au crédit, deux champs effectivement couverts par la loi de 2008. Comment expliquer autrement que par un souci excessif d’harmonisation son insertion concomitante dans le Code du travail ? Comme se plaisent à le remarquer les auteurs, il est effectivement peu probable qu’un employeur discrimine un salarié ou un candidat à l’embauche en raison de sa domiciliation bancaire, excepté « le cas très hypothétique d’un employeur particulièrement attaché au Crédit Agricole à l’encontre d’un salarié titulaire d’un compte au Crédit Lyonnais » 79.
*
La méthode de construction du droit de la non-discrimination est immuable. Le législateur continue à enrichir la liste de motifs considérant toujours que la vérité et l’exactitude doivent se trouver dans le texte. Depuis peu, le législateur semble avoir pris conscience des effets indésirables du manque de cohérence du corpus juridique et s’est, en réponse, engagé sur la voie de l’harmonisation. Cette initiative n’est toutefois pas encore concluante. Il faut dire qu’il est difficile de rompre avec certains travers. Ainsi on notera avec amusement ou regret selon l’humeur le fait que le législateur laisse en dehors de ce processus la loi Le Pors sur les fonctionnaires, que ce travail n’assure pas à l’heure actuelle la parfaite concordance des multiples listes de multiples motifs et que l’attention portée à la terminologie est pour le moins insuffisante si on pense aux divers vocables utilisés pour désigner un même motif ou aux longues et inutilement complexes expressions récemment ajoutées.
Notes:
- Soc. 1er février 2017, n° 16-10.459. ↩
- Défenseur des droits, Organisation international du travail, 10e baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, mars 2017, p. 4 (https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=16344). Enquête réalisée sur un échantillon de 5117 personnes interrogées. ↩
- Antoine Lyon-Caen, « Variations sur la discrimination ou le pluriel derrière le singulier », in Georges Borenfreund, Isabelle Vacarie (Dir.), Le droit social, l’égalité et les discriminations, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2013, p. 52. ↩
- La loi du 1er juillet 1972 (loi n° 72-546 relative à la lutte contre le racisme) visait 5 motifs : l’origine l’ethnie, la nation, la race et la religion déterminée. Son article 6 insérant l’article 187-1 dans le Code pénal affirmait : « Sera puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 3.000 F à 30.000 F ou de l’une de ces deux peines seulement, tout dépositaire de l’autorité publique ou citoyen chargé d’un ministère de service public qui, à raison de l’origine ou de l’appartenance ou de la non appartenance d’une personne à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, lui aura refusé sciemment le bénéfice d’un droit auquel elle pouvait prétendre ». ↩
- On pourrait s’accorder sur le nombre de 31 motifs visés par les textes formant le droit commun de la non-discrimination, à savoir la version actuelle de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, les articles L 1132 et suivants du Code du travail et les articles 225-1 et suivants du Code pénal. Ainsi, 23 motifs sont communs aux trois textes : l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, la situation de famille, la grossesse, les caractéristiques génétiques, la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, l’ethnie, la nation, la prétendue race, les opinions politiques, les activités syndicales, les convictions religieuses, l’apparence physique, le nom de famille, le lieu de résidence, l’état de santé, la perte d’autonomie, le handicap, la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français. Seules deux différences terminologiques sont à signaler : l’une sans conséquence – le Code pénal (et la loi de 2008) ayant conservé le terme de « patronyme » quand le Code du travail a écarté la référence genrée en retenant le « nom de famille » – ; l’autre moins anodine, le Code pénal (et la loi de 2008) préférant au critère des convictions religieuses celui plus fermé de l’appartenance à une religion déterminée. Au sein du Code du travail, 2 motifs supplémentaires figurent dans la liste établie par l’article L 1132-1, à savoir les activités mutualistes (motif absent du Code pénal comme de la loi de 2008) et la domiciliation bancaire (motif absent du Code pénal mais inclus dans la loi de 2008) et 4 motifs sont visés dans les articles suivants : les discriminations en raison de l’exercice normal du droit de grève (art. L 1132-2), de l’exercice des fonctions de juré ou de citoyen assesseur (art. L 1132-3-1), la discrimination pour avoir refusé, en raison de son orientation sexuelle, une mutation dans un Etat incriminant l’homosexualité (art. L 1132-3-2) et, depuis la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, la discrimination pour avoir lancé une alerte professionnelle (art. L 1132-3-3). Ainsi, au total, 29 motifs de discrimination sont énoncés dans le Code du travail. S’agissant du Code pénal, il faut ajouter aux 23 motifs communs figurant à l’article 225-1 les distinctions fondées sur le fait d’avoir subi ou refusé de subir un harcèlement sexuel (art. 225-1-1) ou un bizutage (article 225-1-2 depuis la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté). D’où le chiffre de 31 motifs illicites avancé. ↩
- Tatiana Gründler, Jean-Marc Thouvenin, La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité. Les obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations, Mission de recherches droit et justice, juin 2016, http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2016/12/Rapport-discri.-Juin-2016-REVIS-def-8.11.pdf. ↩
- Danièle Lochak, « Réflexions dur la notion de discrimination », Droit social, 1987, n° 11, p. 779. ↩
- En sus du poids symbolique attaché au droit pénal ces dispositions méritent attention parce qu’elles constituent « un texte de référence – y compris au sens strict, c’est-à-dire un texte auquel les autres textes se réfèrent » (Céline Fercot, Marc Pichard, « La lutte contre les discriminations dans le discours législatif. Étude légistique », in Tatiana Gründler, Jean-Marc Thouvenin, La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité. op.cit., p. 141). Pour ne citer qu’un exemple, l’article 1er de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs dispose qu’« aucune personne ne peut se voir refuser la location d’un logement pour un motif discriminatoire défini à l’article 225-1 du Code pénal ». ↩
- Pour une analyse de ces dispositions pénales, voir Robin Médard, « L’intelligibilité par l’harmonisation des définitions de la discrimination en droit interne », in Tatiana Gründler, Jean-Marc Thouvenin, La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité, op. cit., p. 177. L’auteur y montre que deux niveaux de discrimination sont visés par le Code pénal, d’une part, les discriminations licites et, d’autre part, les discriminations illicites, ces dernières ressortant de l’article 225-2 en ce qu’il définit les champs dans lesquels la prise en compte des critères définis à l’article précédent pour fonder une distinction rend celle-ci discriminatoire et illicite. ↩
- L’emploi de l’expression « toute autre situation » (article 2 du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels de 1966) à la suite des critères explicités, ou de l’adverbe « notamment » qui précède l’énumération ou encore, de façon quelque peu surabondante, des deux (article 2 du Pacte international des droits civils et politiques de 1966, article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, article E de la Charte sociale européenne de 1996) rendent manifeste le caractère ouvert de la liste de critères prohibés de distinction. ↩
- On peut citer quelques lois ayant participé de cette densification. La loi n° 75-625 du 11 juillet 1975 intégrant les motifs du sexe et de la situation de famille, loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 insérant le motif des mœurs, loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 intégrant celui du handicap (limité au départ au refus de vente ou de prestation de service puis étendu par la loi n° 90-602 du 12 juillet 1990), loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 intégrant les caractéristiques génétiques, loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 intégrant l’état de grossesse, loi n° 2014-173 du 23 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine complétant la liste par le lieu de résidence, loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement ajoutant la perte d’autonomie. ↩
- Loi n° 72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme. ↩
- En plus de la discrimination en raison de la nationalité mentionnée dans les traités, le droit de l’Union interdit les discriminations fondées sur le sexe (article 157§1 et 2 du TFUE et diverses directives), l’origine raciale ou ethnique, la religion ou les convictions, le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle. On relèvera toutefois que la Charte des droits fondamentaux énonce une liste ouverte, mentionnant « notamment » le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. ↩
- Pour une critique récente de cette frénésie, voir Patrick Thiébart, Déborah David, « La discrimination au travail : ce qui change », La semaine juridique, 14 mars 2017, évoquant le « bon cru 2016 ». ↩
- Gwénaële Calvès, « Le droit de la non-discrimination, un droit pour rire », Dalloz, 2017, p. 653. ↩
- « Capacité renvoie à la possibilité mais non nécessairement la mise en pratique… » (Joël Colonna, Virginie Renaux-Personnic, « Loi J 21 : l’article L 1132 du Code du travail dans la tourmente », Gazette du Palais, n° 20, p. 83. ↩
- Gwénaële Calvès, « Le droit de la non-discrimination, un droit pour rire », op.cit. ↩
- Le Défenseur des droits avait exprimé devant le Parlement (dans le cadre de la procédure d’adoption de la loi Citoyenneté et égalité) sa crainte que des régionalistes ou des étrangers déclarant ne pas maîtriser la langue française ne s’en réclament, Avis n° 16-19, 21 juillet 2016 : « Ainsi est subrepticement introduite dans notre législation la notion de discrimination linguistique, permettant ainsi à un régionaliste ou à un étranger déclarant ne pas maîtriser le français de se réclamer de l’arsenal anti-discriminatoire pour contester un refus d’emploi ou de service. Une sorte de substitut pénal à la charte des langues régionales ou minoritaires jamais ratifiée en raison de son caractère inconstitutionnel. ». ↩
- Patrick Thiébart, Déborah David, « La discrimination au travail : ce qui change », op.cit. ↩
- Gwénaële Calvès, « La discrimination à raison de la précarité sociale : progrès ou confusion ? », Revue du droit du travail, 2016, p. 526 ; Grégoire Loiseau, « Regard sur la précarité sociale », Dalloz, 2016, p. 1753. Pour une opinion contraire, voir Diane Roman, « La discrimination à raison de la précarité sociale : progrès ou confusion ? », Revue du droit du travail, 2016, p. 526. ↩
- ATD Quart Monde, En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, éd. de l’Atelier, 2013. ↩
- Le fait de mal nommer n’était en aucun cas une fatalité puisque dès lors que la loi n° 2016-832 du 24 juin 2016 portait comme titre « loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale ». ↩
- Gwénaële Calvès, « La discrimination à raison de la précarité sociale : progrès ou confusion ? », Revue du droit du travail, 2016, p. 526. ↩
- « Il nous a été indiqué que près de la moitié des personnes transgenres ou transsexuelles sont victimes de harcèlement sexuel durant leur transition » (Esther Benbassa, Commission des lois du Sénat, 11 juillet 2012). ↩
- Jean-Pierre Sueur : « En tout état de cause, je dirai en séance que la notion de « transgenre » est bien incluse dans la notion d’orientation sexuelle mentionnée dans le texte » (Sénat, Commission des lois, 11 juillet 2012). Voir aussi les propos de la sénatrice M. Meunier, auteure de l’un des amendements en faveur de l’ajout du motif d’identité sexuelle, dans lesquels elle ne semble pas totalement distinguer identité et sexualité : « il est nécessaire (…) de compléter la loi sur les discriminations et de modifier l’article 225-1 du Code pénal en ajoutant aux discriminations la notion d’identité sexuelle. En effet, notre société est fortement normée en matière de sexualité. Le modèle dominant reste celui du couple hétérosexuel. Toute personne qui, de manière évidente, s’en éloigne s’expose à la critique, aux railleries… Les personnes transsexuelles ou transgenres nous ont fait part de la fréquence importante des harcèlements » (Sénat, séance du 11 juillet 2012). ↩
- Cour d’appel de Montpellier, 3 juin 2009, n° 08/06324. ↩
- Marie Mercat-Bruns, « ˮL’apparence physique du salarié rapportée à son sexeˮ : l’émergence de la discrimination fondée sur le genre ? », La semaine juridique, 2012, n° 10, p. 491. Et l’auteure de montrer que ce mode de raisonnement en termes de genre, à partir du critère sexe, est connu outre atlantique. Dans l’arrêt Price Waterhouse contre Hopkins (490 U.S. 228, 1989) a été jugé discriminatoire le refus de promouvoir une salariée comme associée en raison de son comportement masculin qui ne correspondait pas à l’idée que l’employeur se faisait d’une femme. Celui-ci lui avait même conseillé de « marcher de manière plus féminine, de s’exprimer de manière plus féminine, de s’habiller de manière plus féminine, de mettre du maquillage, de prêter attention à sa coiffure et de mettre des bijoux ». ↩
- Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite loi J 21. ↩
- Gwénaële Calvès évoque la « dernière tocade en date », (« Motifs illicites de discrimination : poussée de fièvre à l’Assemblée nationale », Dalloz 2016, p. 1500). ↩
- Recommandation du Défenseur des droits, in Avis 16-19, 22 juillet 2016. ↩
- Exposé des motifs, p. 8, §16, §172, §246. ↩
- Amendement n° 608 rectifié et amendement n°618 rectifié, Assemblée nationale, 10 septembre 2014. ↩
- Rapport n°101 (2015-2016) de MM. Georges Labazée et Gérard Roche, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 21 octobre 2015, p. 45. ↩
- Tatiana Gründler, « Quelle effectivité de la lutte contre les discriminations ? Les enseignements du système de la Charte sociale européenne », in Tatiana Gründler, Jean-Marc Thouvenin, La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité, op. cit., p. 120. ↩
- Conclusions présentées le 30 juin 2016, point 4. ↩
- CJUE 24 novembre 2016, C-443/15, David L. ↩
- Il s’agissait donc de déterminer si « l’éventuelle discrimination de l’intéressé (…) peut-être due au concours de deux facteurs, à savoir l’âge et l’orientation sexuelle » (Conclusions présentées le 30 juin 2016, point 4). ↩
- TA Dijon, 28 août 2017, n° 1502100, 1502726, Ville de Chalon-sur-Saône. Deux ans auparavant, le juge des référés avait refusé de suspendre l’exécution de la décision litigieuse (TA Dijon Ord., 21 octobre 2015, Ligue de défense judiciaire des musulmans). Eu égard au nombre limité de repas contenant du porc et à l’information préalable fournie aux parents sur la composition des menus, le tribunal avait estimé que ceux-ci étaient en mesure de soustraire leur enfant à ces menus, de sorte que la condition d’atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts des requérants n’était pas remplie. ↩
- Voir les visas du jugement. ↩
- Version issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. ↩
- Tatiana Gründler, « Des aménagements raisonnables au bénéfice des usagers du service public ? Le cas des repas confessionnels », in Tatiana Gründler (Dir.), Aménagements raisonnables et non-discrimination, Région Ile de France-ARDIS, http://www.ardis-recherche.fr/files/files_file_803.pdf, p. 110. ↩
- CE 10 février 2016, n° 385929. ↩
- Robin Médard Inghilterra a mis en évidence ce double mouvement in « Face à la fragmentation matérielle et formelle, plaider la consolidation du droit antidiscriminatoire en France », Les Cahiers de la LCD – Lutte contre les discriminations, n° 6, 2018, à paraître. Sur ce terme de fragmentation, voir la Journée des doctorants à venir du CREDOF, Fragmentations et droits de l’Homme, Université Paris Nanterre, 8 février 2018 et, en particulier, la communication de Robin Medard Inghilterra. ↩
- Loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations et loi de 2008 précitée. ↩
- Serge Slama, « La disparité des régimes de lutte contre les discriminations : un frein à leur efficacité ? », in Thomas Dumortier, Tatiana Gründler, Jean-Marc Thouvenin, Dossier thématique : Les freins à la lutte contre les discriminations, La revue des droits de l’homme, 2016, n° 9, §67. ↩
- Stéphane Detraz, « La discrimination par ricochet : un aspect latent du délit de discrimination », Droit pénal, 2008, n° 6, étude 10, note 5. ↩
- Robin Médard plaide ainsi « en faveur d’un ordonnancement unique, cohérent, structuré par exemple autour de cinq principaux domaines » : l’appartenance collective (origine, ethnie, nation, race) ; l’engagement personnel (convictions, mœurs, religion, opinons politiques, philosophiques, activités syndicales et mutualistes) ; l’état civil (patronyme, âge, lieu de résidence, situation familiale) ; le sexe (sexe, orientation sexuelle, identité sexuelle, grossesse, maternité) et la situation physique ou psychique (perte d’autonomie, handicap, santé, caractéristiques génétiques, apparence physique), in Tatiana Gründler, Jean-Marc Thouvenin, La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité. Les obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations, op. cit., p. 189. ↩
- Grégoire Loiseau, « Regard sur la précarité sociale », Dalloz, 2016, p. 1753. ↩
- Marie Mercat-Bruns, « Les discriminations multiples et l’identité au travail au croisement des questions d’égalité et de libertés », Revue de droit du travail 2015, p. 28. ↩
- Ibid. ↩
- Loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d’ordre social. ↩
- Cela ressort de l’opposition de la commission des lois du Sénat à cet ajout ( cela visera « les homosexuels mais également ceux, qui par leur comportement ou leur manière de vivre, voire leur mode vestimentaire ou leur coupe de cheveux, pourraient se voir refuser un droit ou pénaliser dans l’exercice d’une activité économique » (Rapport n° 341 de MM. Louis Boyer et Louis Souvet, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 5 juin 1985, p. 10), mais plus encore de la réponse du député Jean-Pierre Sueur défendant l’insertion de ce motif et précisant que le terme « mœurs » a été préféré à celui de « pratiques sexuelles licites » (Rapport n° 394 de MM. Louis Boyer, sénateur, Jean-Pierre Sueur, député, et Louis Souvet, sénateur, fait au nom de la commission mixte paritaire, déposé le 19 juin 1985, p. 2). ↩
- HALDE, décision n°2007-32 du 12 février 2007. ↩
- Loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations. ↩
- Même si, sur ce dernier point, la chose est éminemment discutable eu égard aux pratiques médicales de (ré)assignation sexuelle et aux implications juridiques de celles-ci en termes de modification de l’état civil. ↩
- Georges Burdeau, Libertés publiques, 1972, 4e éd., p. 17. Delphine Tharaud évoque à ce propos le « glissement d’une discrimination d’état à une discrimination de situation » ou encore « une discrimination situationnelle et non plus identitaire » (Delphine Tharaud « Etude critique du motif de discrimination résultant de la vulnérabilité économique », RDLF, 2017, chron. n°5.). ↩
- Les articles 225-1 et suivants du Code pénal s’insèrent dans le chapitre relatif aux atteintes à la dignité de la personne. ↩
- Un arrêt de 2016 de la Cour européenne des droits de l’homme témoigne à l’inverse de la non-confusion entre politique et juridique (CEDH 16 février 2016, Soares de Melo c. Portugal, req. N° 72850/14). La requérante contestait le placement de sept de ses dix enfants décidé par les services sociaux en raison de ses seules – mais néanmoins réelles – difficultés économiques. Elle se fondait sur l’atteinte à son droit au respect de la vie familiale tiré de l’article 8 de la Convention, sans rechercher le lien avec une discrimination fondée sur l’origine sociale ou la fortune, deux motifs visés par l’article 14 du même texte. La qualification juridique de discrimination est donc exclue. Pour autant, le juge reproche à l’Etat de ne pas avoir aidé financièrement cette femme ou permis d’accueillir en crèche ses enfants de façon à lui permettre de travailler et de subvenir ainsi aux besoins de sa famille, autrement dit d’avoir failli à ses responsabilités de nature politique (voir en particulier, §106). ↩
- Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, article 54. ↩
- Delphine Tharaud, « Etude critique du motif de discrimination résultant de la vulnérabilité économique », in RDLF, 2017, chron. n°5. ↩
- Voir, sur le changement paradigmatique entre logique d’Etat providence et lutte contre les discriminations, Véronique Champeil-Desplats, « Le droit de la lutte contre les discriminations face aux cadres conceptuels de l’ordre juridique français », in La revue des droits de l’homme, 2016, n° 9. ↩
- Articles 187-1 et 416 de l’ancien Code pénal. ↩
- Quinze motifs à l’article 6 et un à l’article 6 bis de la loi de 1983. La moindre protection contre les discriminations des agents publics par rapport aux salariés est fréquemment relevée par la doctrine (Voir, notamment, Robin Médard, « Le droit à la non-discrimination fait peau neuve : brèves considérations sur les incidences de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle », RDLF, 2016, chron. n°27). ↩
- On pense au motif de grossesse dont le Conseil d’Etat a fait, dès 1973, un « principe général, dont s’inspire l’article 29 du livre 1er du Code du travail, selon lequel aucun employeur ne peut, sauf dans certains cas, licencier une salariée en état de grossesse, s’applique aux femmes employées dans les services publics lorsque, comme en l’espèce, aucune nécessité propre à ces services ne s’y oppose » (CE 8 juin 1973, Dame Peynet). ↩
- Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016. ↩
- Pour d’autres exemples, voir Céline Fercot et Marc Pichard, « La lutte contre les discriminations dans le discours législatif. Etude légistique », in Tatiana Gründler, Jean-Marc Thouvenin, La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité. Les obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations, op. cit., p. 162 et s. ↩
- Gwénaële Calvès, « ˮDe manière générale…ˮ : le Conseil d’Etat face au droit communautaire de la non-discrimination », Dalloz, 2010, p. 555. ↩
- La loi de 2008, la loi de 1983, les dispositions du Code pénal et celles du Code du travail. ↩
- Tatiana Gründler, Jean-Marc Thouvenin, La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité. Les obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations, op. cit., p. 33. ↩
- Ibid., p. 35. ↩
- Serge Slama, « La disparité des régimes de lutte contre les discriminations : un frein à leur efficacité », La revue des droits de l’homme, 2016, n° 9, § 71. ↩
- La Commission des lois de l’Assemblée nationale explicite son objectif avec l’amendement déposé lors de l’examen du projet de loi sur la modernisation de la justice du XXIe siècle : « Complét[er] la liste des motifs de discrimination établie à l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, afin de l’harmoniser avec celle précisée dans le code pénal. » (Commission des lois, 17 mai 2016). Nous soulignons. ↩
- Amendement reprenant ce qui devait être contenu dans l’article 41 de la loi Egalité et citoyenneté. ↩
- Gwénaële Calvès, « Le droit de la non-discrimination, un droit pour rire », Dalloz, 2017, p. 653. ↩
- Joël Colonna, Virginie Renaux-Personnic, « Loi J 21 : l’article L1132 du Code du travail dans la tourmente », Gazette du Palais, n° 20, p 84. ↩
- Robin Médard, op.cit. ↩
- Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, article 70. ↩
- Gwénaële Calvès souligne à juste titre le fait que l’illicéité de la prise en compte du don d’organes par une personne n’a de sens qu’en matière d’assurance pour la simple raison que le bailleur n’en a cure. (« Motifs illicites de discrimination : poussée de fièvre à l’Assemblée nationale », Dalloz, 2016, p. 1500). ↩
- Gwénaële Calvès, « Le droit de la non-discrimination, un droit pour rire », Dalloz, 2017, p. 653. ↩