Contrôles de l’élaboration et de la mise en oeuvre de la législation antiterroriste
Par Olivier Cahn, MCF-HDR à la Faculté de Droit de Cergy-Pontoise, responsable du LEJEP-PSC et chercheur au CESDIP-CNRS (UMR 8183) 1
« Je le dis donc très simplement mais fermement: les principes du droit commun,
sauf pour la commodité et les arrières-pensées des gouvernants,
permettent de faire face à toutes les situations en matière d’atteinte à la sûreté de l’Etat »
R. Badinter[1]
Les autorités politiques et judiciaires françaises contestent le caractère de législation d’exception des normes qui gouvernent la lutte contre le terrorisme sur le territoire national[2]; elles préfèrent les qualifier de « législation dérogatoire ». L’ambiguïté qui résulte de la quasi synonymie de ces termes autorise deux interprétations qui, au demeurant, ne s’excluent pas: d’un point de vue cynique, une législation dérogatoire est une loi d’exception à vocation permanente; d’un point de vue idéaliste, ce choix sémantique marque la volonté de maintenir l’exception à l’intérieur de la Loi.
Reste que, quel que soit le qualificatif adopté, de nombreuses lois, spécifiques ou non, se sont succédé depuis le milieu des années 1980, constituant un arsenal antiterroriste particulièrement drastique[3]. A partir de 2012, les manifestations du terrorisme « global » sur le territoire national[4] ont provoqué l’accélération de l’activité normative[5] et la consécration d’un dispositif répressif transversal qui, rompant avec la tradition de prééminence du juge pénal dans la lutte contre le terrorisme, renforce les compétences civiles et militaires de l’exécutif. Les commentaires proposés par la doctrine dessinent un dispositif qui s’éloigne progressivement et systématiquement du droit pénal commun, tant matériel[6] que procédural[7]. De surcroît, la fonction du droit pénal est modifiée puisqu’il n’est plus « ni l’unique source de la violence étatique qui s’élève contre le terrorisme, ni l’ultima ratio », et qu’il constitue, par comparaison avec les « dispositifs extrapénaux (…) la réponse la plus protectrice, donc la plus admissible dans la démocratie »[8]. En effet, outre les atteintes aux libertés individuelles sans contrôle juridictionnel préalable qu’autorise le droit administratif[9], il semble qu’à l’instar des Etats-Unis d’Amérique, la France a renoué avec certaines pratiques de la « sale guerre » dans le cadre des opérations militaires extérieures antiterroristes menées depuis 2013 dans la bande saharo-sahelienne[10]. La législation antiterroriste apparaît alors comme une manifestation du « droit pénal de l’ennemi »[11] dans le droit pénal français.
Cette situation ne saurait surprendre. Elle est la conséquence naturelle des spécificités de la criminalité terroriste et de la crise que suscitent les périodes durant lesquelles l’Etat est confronté au terrorisme. En effet, ce dernier implique la remise en cause par la violence de la politique et/ou de l’organisation sociale de l’Etat; il est dirigé contre des cibles symboliques incarnant soit l’autorité publique, soit le modèle social contesté; enfin, les auteurs de ces infractions ne sont pas exclusivement des usual suspects[12]. Le terrorisme est ainsi au nombre des infractions qui peuvent susciter une réaction immodérée de l’Etat[13], susceptible de produire ses effets à l’encontre de l’ensemble de la population[14] mais approuvée par cette dernière à raison du traumatisme qu’elle subit[15]. De surcroît, la situation induite par les vagues d’attentats conduit les gouvernements « à monopoliser et à concentrer l’ensemble des pouvoirs et, au nom de la légitime défense étatique, à prendre des dispositions dites ‘exceptionnelles’ pour éradiquer les menaces qui pèsent sur la nation, la République ou l’Etat »[16]. Il en résulte généralement « une atrophie des libertés et une dilatation de la puissance politique et administrative » et « un renoncement fâcheux à l’exigence de contrôle »[17]. En d’autres termes, les circonstances exceptionnelles résultant d’une campagne d’attentats terroristes offrent à l’exécutif le prétexte justifiant son aspiration naturelle à l’accaparement des pouvoirs.
Toutefois, s’agissant de ce dernier point et par comparaison avec d’autres démocraties libérales occidentales, la définition des moyens de la lutte contre le terrorisme ne s’est pas accompagnée, en France, d’une altération explicite des pouvoirs dévolus aux institutions chargées d’en contrôler l’adoption ou la mise en oeuvre. Ainsi, le Parlement, le Conseil constitutionnel et les juridictions des deux ordres ne semblent pas a priori avoir vu leur prérogatives affectées tandis que l’exécutif et ses administrations paraissent se soumettre aux exigences démocratiques du contrôle de leurs ambitions et activités par ces institutions[18]. Ce constat suggère l’admission, par l’Etat, d’une contention des mesures dérogatoires antiterroristes dans les limites de la nécessité et de la proportionnalité – ainsi que l’imposent les engagements internationaux contractés par la France[19].
Il faudrait s’en féliciter puisque, d’une part, les mesures d’exception doivent être contrôlées, afin « de prévenir, voire de sanctionner les infractions aux dispositions régissant la déclaration et l’utilisation des états d’exception, les atteintes excessives à la séparation des pouvoirs et à la garantie des droits »[20] et, d’autre part, que « si précaire et fragile soit-il, l’encadrement démocratique de l’exception limite ses dérives possibles (car) (l)es gouvernements eux-mêmes, s’ils tendent à multiplier les dispositions spécifiques pour réprimer ou disciplinariser une partie de la population et accroître par ce biais le contrôle qu’ils exercent sur les activités sociales, n’en sont pas moins soucieux de protéger la légitimité de leur pouvoir. Ils modulent dès lors bien souvent le champ d’application des mesures exceptionnelles en fonction des réactions suscitées et procèdent à des ajustements continuels de leur degré d’atteinte aux droits fondamentaux »[21].
Pourtant, l’analyse oblige à tempérer cette impression. L’étude approfondie du contrôle exercé sur l’élaboration et la mise en oeuvre des dispositions de la législation antiterroriste conduit à constater, d’une part, les obstacles constitués par les ingérences de l’exécutif, qui tendent à restreindre la capacité des institutions chargées du contrôle à exercer pleinement leurs prérogatives et, d’autre part – et surtout -, l’absence de résistance opposée à l’exécutif par ces institutions et la déférence avec laquelle elles adaptent leurs activités pour les mettre en conformité avec la « politique » antiterroriste définie par le Gouvernement. En d’autres termes, l’hypothèse peut être avancée que, si le Gouvernement français n’a pas eu recours à la création de juridictions d’exception, c’est qu’en considération du contrôle effectivement exercé sur la législation antiterroriste, il n’en a pas éprouvé le besoin.
Pour le démontrer, nous distinguerons le contrôle constitutionnel lato sensu (I) du contrôle juridictionnel (II) de la législation antiterroriste.
I- Contrôle constitutionnel
Le contrôle constitutionnel lato sensu de la législation antiterroriste est exercé, d’une part, par le Parlement, en ce qu’il contribue à son élaboration (A), et, d’autre part, par le Conseil constitutionnel, lorsqu’il est appelé à se prononcer sur la conformité de ces dispositions à la norme fondamentale, a priori ou au titre d’une question prioritaire de constitutionnalité (B).
A- Le Parlement
Traiter du Parlement comme d’une institution chargée du contrôle de l’élaboration des normes antiterroristes peut légitimement surprendre.
Toutefois, force est de constater que l’ensemble des normes de lutte contre le terrorisme qui se sont succédés depuis 1986 ont procédé d’un projet de loi gouvernemental. En outre, malgré les dispositions de l’article 34 de la Constitution, la contribution des assemblées à l’élaboration de la loi dans la Vè République est limitée. Sans adhérer à la thèse de « l’humiliation de la loi »[22], il est indéniable que le Parlement français est affaibli[23] dans sa capacité à s’opposer à l’ambition législative de l’exécutif en raison de la maîtrise de son agenda exercée par le Gouvernement, de l’existence de moyens constitutionnels permettant de contraindre la décision de l’Assemblée nationale et des règles de la discipline de groupe. La réforme constitutionnelle opérée en 2008 n’a amélioré qu’à la marge la situation de la représentation populaire et s’avère sans incidence sur l’élaboration des normes pénales; d’autant moins que le consensus des deux partis de gouvernement sur les politiques de lutte antiterroriste – illustré par les lois de 2012-1432 et 2014-1353 qui prolongent, sans la remettre en cause, la législation élaborée par la précédente législature – anéantit la capacité des parlementaires les plus libéraux à s’opposer effectivement aux exigences de l’exécutif.
Cependant, l’article 34 de la Constitution prévoit aussi que « La loi fixe les règles concernant : les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Ainsi, si aux termes de l’article 5 de la Constitution, il appartient au Président de la République de veiller « au respect de la Constitution », le Parlement dispose d’un fondement constitutionnel l’autorisant à s’assurer que la législation soumise à son examen par l’exécutif n’excède pas les contraintes imposées par la norme fondamentale et, dans le cas contraire, à corriger les excès gouvernementaux. Ainsi, si, comme il va être montré, la contribution du Parlement à l’élaboration de la législation anti-terroriste est peu significative[24], au moins devrait-elle se concentrer sur la préservation de l’équilibre entre efficacité répressive et protection des droits fondamentaux.
Pourtant, en l’espèce, les ingérences nombreuses du Gouvernement (1) rencontrent le renoncement de la grande majorité des parlementaires à exercer un contrôle effectif de la volonté gouvernementale lors de l’élaboration des dispositions destinées à lutter contre le terrorisme (2).
1- Ingérences de l’exécutif
L’élaboration de la législation antiterroriste en France est systématiquement le produit d’une même mécanique[25].
Suite à une attaque terroriste qui bouleverse l’opinion publique, l’exécutif adopte en conseil des ministres un projet de loi dont l’exposé des motifs est articulé autour de la nécessité pour les services répressifs de disposer des moyens qu’il prévoit pour éviter des attaques futures[26]. Le Parlement est saisi sans délai selon la procédure accélérée qui limite les débats. Le texte est, depuis quelques années, accompagné d’une « étude d’impact », censée éclairer les parlementaires, mais celle-ci s’apparente souvent à une justification technocratique qui révèle plus par ses omissions que par son contenu[27].
Même lorsqu’ils intègrent des dispositions répressives, les projets de loi de lutte contre le terrorisme ont été systématiquement élaborés et portés par le ministre de l’Intérieur[28], qui incarne la détermination sécuritaire de l’exécutif; les différends entre le ministre de l’Intérieur et son homologue de la Justice sont généralement réglés par des arbitrages favorables au premier; lorsqu’émerge, dans la société civile ou au Parlement, une contestation sérieuse de certaines dispositions, le Premier ministre intervient, rappelant ainsi la majorité à l’ordre. Le débat est, enfin, systématiquement dramatisé par l’exécutif par le rappel des évènements qui l’ont suscité, du soutien de la population et de l’argument d’autorité de la nécessité pour les services répressifs de disposer des moyens proposés pour prévenir la réitération des attentats[29].
Dès lors, les parlementaires sont soumis à l’injonction gouvernementale d’adopter sans (trop) amender les mesures qui leurs sont soumises et sont privés du temps et des conditions nécessaires à un débat technique serein qui permettrait d’améliorer le texte ministériel.
Reste que le Parlement ne semble guère enclin à user des pouvoirs qu’il conserve.
2- Lacunes parlementaires
Il n’est évidemment pas dans notre propos de nous laisser aller à un antiparlementarisme commode. Le contexte systématiquement créé par l’exécutif lors de la discussion des projets de loi relatifs à la lutte contre le terrorisme comme la demande citoyenne de sécurité qui s’exprime à la suite des attentats suffisent à expliquer la difficulté de la tâche assignée aux parlementaires, particulièrement si l’on conserve à l’esprit qu’il leur est intimé l’ordre de délibérer en urgence. De même, le reproche populiste de l’insuffisance du travail fourni n’est pas fondé; la lecture des travaux de la commission des lois permet à elle seule de le contester.
Néanmoins, la contribution du Parlement à l’élaboration de la législation antiterroriste soulève quelques questions, dans la mesure où la perspective historique depuis la loi de 1986 suggère un renoncement progressif de la représentation nationale à contrôler l’ambition du ministère de l’Intérieur et à chercher un équilibre entre efficacité répressive et protection des droits fondamentaux, alors même que le Conseil constitutionnel affirme régulièrement sa responsabilité en la matière[30].
Or, s’il est quelque intérêt à la théorie de la représentation populaire, il nous semble qu’il réside, d’une part, dans la possibilité qu’elle autorise de détacher l’expression de la volonté du peuple de l’émotion qu’il éprouve collectivement et, d’autre part, d’opposer à la légitimité du Gouvernement nommé par le Président de la République élu au suffrage universel et chargé de mettre en oeuvre la politique qu’il décide, une volonté divergente fondée sur une légitimité équivalente.
Au demeurant, dans une récente interview, B. Manin rappelle que, dans la tradition française, l’institution d’exception « reflète l’attachement à deux principes, celui du primat de la loi et celui de la suprématie parlementaire. Aux yeux des juristes français, les gouvernements constitutionnels sont inévitablement confrontés à des périls graves exigeant parfois une certaine limitation de la liberté, mais il est possible de réglementer l’exercice du pouvoir en temps de crise par des lois soigneusement pensées, conçues et débattues par les élus du peuple dans des périodes paisibles »[31]. Or, il est peu contestable que le Parlement s’est progressivement éloigné de cette exigence
Ainsi, malgré un contexte instrumentalisé par l’exécutif, les lois du 9 septembre 1986 et du 22 juillet 1996 ont résulté de débats parlementaires sur les conséquences juridiques des dispositions proposées par l’exécutif, l’opposition a effectivement cherché à tempérer la volonté gouvernementale pour préserver l’équilibre entre prérogatives des institutions de sécurité et droits des individus qu’elles viendraient à réprimer, le Conseil constitutionnel a chaque fois été saisi; enfin, les règles ont été conçues, non comme d’exception, mais comme vouées à s’appliquer à long terme à la seule répression du terrorisme.
Selon J. Alix, « les attentats commis aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 ont constitué un tournant dans la lutte contre le terrorisme en faisant de cette lutte un sujet consensuel, presque apolitique ». L’auteure souligne « le dévoiement de la procédure parlementaire et l’incidence de cette procédure sur la qualité de la loi antiterroriste » et les conséquences démocratiques et juridiques délétères de cette évolution[32].
L’analyse des travaux parlementaires relatifs aux lois antiterroristes adoptées depuis 2006 confirme l’effet du consensus existant entre les partis de gouvernement. Les débats juridiques sont ainsi concentrés durant les échanges entre le Gouvernement et le Président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale[33]; or, la composition de cette dernière et la discipline qui y règne assurent au gouvernement que son projet ne sera pas dénaturé. Les avis des institutions censées assister le législateur sont négligés dès lors qu’ils ne confortent pas la volonté gouvernementale[34]. Ainsi, un texte quasi définitif, sur lequel les arbitrages essentiels ont déjà été opérés hors de tout débat démocratique, peut être soumis aux parlementaires. Les débats apparaissent alors comme un « jeu de rôles » durant lesquels semblent prévaloir des postures politiques à destination de l’électorat respectif des protagonistes[35] et au cours desquelles les implications juridiques des dispositions des projets de loi sont peu, ou mal, abordées[36], tandis que les résultats des votes trahissent l’indifférence des parlementaires à la protection des libertés dès lors qu’est invoquée la lutte contre le terrorisme[37]. Enfin, le recul du contrôle parlementaire ne saurait être mieux illustré que par le renoncement, en 2006, 2012 et 2014, à déférer au Conseil constitutionnel des textes portant des atteintes non négligeables aux droits fondamentaux[38].
Dans ces conditions, l’initiative du président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale d’instaurer une autorité de contrôle parlementaire des mesures prises pendant l’état d’urgence[39] suscite une certaine circonspection[40]. La signification de la démarche est malaisée à déterminer. Pourquoi, après avoir éludé par des arguments d’autorité les atteintes potentielles aux droits individuels portées par le projet de loi[41] et après une adoption à la quasi unanimité du texte, instaurer a posteriori un contrôle de la mise en oeuvre des dispositions ainsi approuvées? Certains y verront le souci, revendiqué, de « conférer au Parlement un pouvoir de contrôle étroit et constant sur les mesures adoptées et appliquées par l’exécutif en ce temps de crise, qui par définition emporte des limitations des droits et libertés »[42]; d’autres estimeront que cet exercice de « veille parlementaire » conduisant à « inciter le Gouvernement à réaliser (les) progrès indispensables »[43] est un moyen habile pour le Parlement de se soustraire à sa responsabilité, voire un moyen indirect de légitimer l’action gouvernementale. Mais il est aussi possible d’interpréter cette initiative comme la marque d’une inquiétude, voire les prémices d’une défiance du Parlement à l’égard de l’évolution de la politique antiterroriste du Gouvernement – ce que semble confirmer le deuxième rapport de cette commission[44]. L’occasion sera offerte de le vérifier lors de la discussion sur le projet de reforme constitutionnelle de protection de la Nation et, surtout, du projet de loi renforçant la lutte contre la criminalité organisée et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Par ailleurs, une telle initiative suggère aussi que le Parlement reconnaît implicitement qu’il n’exerce plus qu’un contrôle modeste sur l’élaboration de la loi et qu’il cherche à déplacer son influence vers un contrôle a posteriori, dont l’efficacité est cependant discutable dans un contexte de défiance envers le personnel politique[45].
Le contrôle exercé sur l’élaboration de la législation antiterroriste par le Parlement s’avérant peu satisfaisant, il serait souhaitable celui opéré par le Conseil constitutionnel permette de pallier les carences de la représentation nationale.
B- Le Conseil constitutionnel
Avant d’envisager la contribution du Conseil constitutionnel au contrôle de la législation antiterroriste, quelques points doivent être mentionnés afin de situer notre propos.
En premier lieu, il doit être rappelé que, dans l’esprit du Constituant, le rôle dévolu au Conseil constitutionnel se limitait à veiller au respect par l’exécutif et le législateur de leurs domaines de compétence respectifs[46]. La décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971, qui consacre le « bloc de constitutionnalité », a procédé de l’audace de son président d’alors tandis que le Conseil constitutionnel ne s’est érigé en garant des droits fondamentaux et de l’État de droit qu’à raison de la volonté de ceux qui lui ont succédé de faire prospérer cet héritage[47].
En deuxième lieu, aussi regrettable que puisse être la jurisprudence contemporaine du Conseil constitutionnel relative à la législation antiterroriste, l’apport des Sages au renforcement des droits individuels dans le cadre de la procédure pénale ne doit pas être négligé. Le bénéfice d’inventaire n’est pas contestable[48], d’autant moins que les critiques qui peuvent être adressées aux décisions du Conseil en matière de lutte contre le terrorisme portent essentiellement sur son refus de protéger effectivement, en l’espèce, des droits qu’il avait auparavant consacrés en droit pénal commun.
En troisième lieu, le Conseil constitutionnel s’est toujours refusé à procéder à un contrôle de la conventionnalité des normes qui lui sont déférées et en conséquence, faute de support légal, il ne s’autorise pas toujours une jurisprudence aussi extensive que celle des cours européennes[49].
En quatrième lieu, a fortiori en une matière aussi sensible, le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel n’est en aucune manière un contrôle de l’opportunité de la législation mais uniquement de sa conformité à la Constitution[50]. En matière de législation antiterroriste, ce contrôle consiste essentiellement dans un contrôle de proportionnalité[51].
Enfin, le Conseil constitutionnel ne disposant pas du droit de s’auto-saisir, nombre de dispositions pénales « antiterroristes » n’ont pas été soumises à son examen, les parlementaires ayant résolu de ne pas déférer le texte[52].
Cependant, la lutte contre le terrorisme pouvant être comptée au nombre des domaines dans lesquels l’exécutif est le plus susceptible de céder à sa pente naturelle, dont on sait depuis Montesquieu qu’elle le porte à l’abus de son pouvoir, et les dispositions répressives antiterroristes autorisant nécessairement des ingérences sérieuses dans la jouissance des droits fondamentaux, il aurait été légitime que le Conseil constitutionnel exerçât un contrôle sévère du respect par le législateur des droits garantis par la norme fondamentale.
Or, comme le relève K. Roudier[53], « l’objet même des lois antiterroristes fait glisser le contrôle de constitutionnalité dans une zone de tolérance plus importante, en dehors de laquelle ses spécificités devraient être occultées. Or, ce sont elles qui permettent au juge constitutionnel d’accepter le principe même de la mise en place de mesures dérogatoires au droit commun. Ces mesures imprègnent donc le contrôle de constitutionnalité en en conditionnent le cadre, sous le regard que l’on pourrait penser passif du juge constitutionnel, pour ensuite le modeler de sorte qu’il intègre une dose de flexibilité permettant d’absorber les imperfections et la sévérité des mesures antiterroristes, inhérentes à cette lutte. L’adaptation du contrôle de constitutionnalité, induite par l’objet même de la législation déférée, va être également favorisée par le constat du caractère nécessaire, ou même obligatoire, de lutter contre le terrorisme »[54]. En conséquence, le juge constitutionnel a développé une jurisprudence « élastique » qui se traduit par un « repli » du contrôle de constitutionnalité, exercé de manière plus retenue. Cette « altération de l’équilibre entre l’ordre et la liberté »[55] se manifeste par la « restriction » du contrôle de proportionnalité[56] et par « l’assouplissement de la norme constitutionnelle qui répond au nouvel équilibre mis en place par le législateur, entre l’ordre et la liberté, au bénéfice du premier » d’où résulte « un relâchement du contrôle »[57]. Ainsi, ce contrôle « légitime une invasion toujours plus poussée de la sphère individuelle »[58] et, alors même que « la pérennisation des moyens de lutte contre le terrorisme plaide pour une qualification de la législation plus ordinaire, qui devrait alors être soumise à un contrôle de constitutionnalité plus classique (…), la sévérité intrinsèque des lois antiterroristes bloque une telle évolution, sauf à revoir l’esprit de l’Etat »[59]. En conséquence, « le rempart contre l’arbitraire, que représente le juge constitutionnel, est en train de se fissurer »[60].
Afin d’illustrer ce propos, il va être montré, d’une part, que le Conseil a progressivement évolué d’un contrôle exigeant – réaliste – de la conformité de la législation antiterroriste à la Constitution vers un contrôle plus limité – correspondant à celui de « l’erreur manifeste » (1) et, d’autre part, que certaines décisions récemment rendues font craindre une nouvelle réduction de l’étendue de l’appréciation de la constitutionnalité des normes destinées à lutter contre le terrorisme, au risque d’aboutir à un simple contrôle formel (2).
1- D’un contrôle « réaliste » à un contrôle de « l’erreur matérielle »
N’ayant jamais été saisi de cette question, le Conseil constitutionnel ne s’est à ce jour pas prononcé sur la nécessité même d’une législation spécifique à la lutte contre le terrorisme[61]. Cependant, dès sa première décision en la matière, il a implicitement suggéré son approbation du caractère dérogatoire de cette législation[62].
Entre 1971 et 1999, le Conseil constitutionnel s’est inspiré de la jurisprudence du Conseil d’Etat pour définir l’étendue du contrôle du respect des droits fondamentaux qu’il entendait exercer sur la législation. Comme le relève C. Bargues, ce type de contrôle « se caractérise par le principe selon lequel la portée des restrictions aux libertés publiques que peuvent imposer les pouvoirs publics est inversement proportionnelle à ‘la valeur juridique de la liberté qui lui est opposée’ »[63].
L’ampleur du contrôle auquel le Conseil constitutionnel accepte alors de se livrer s’agissant des législations d’exception ne doit cependant pas être surestimée. Par leur décision n°85-187 DC du 25 janvier 1985, en postulant sans en préciser les limites que la liberté peut être restreinte à raison des exigences de l’ordre public, les Sages admettent que « les libertés, même consacrées par la Constitution, ne sont garanties en France que sous la condition résolutoire de multiples régimes d’exception »[64].
Il n’en demeure pas moins que les décisions n°86-213 DC du 3 septembre 1986 et n°96-377 DC du 16 juillet 1996 confirment que, si le Conseil constitutionnel concède au législateur une marge de manœuvre lui permettant de soumettre la lutte contre le terrorisme à un régime répressif dérogatoire[65], il refuse de céder sur l’essentiel[66].
Toutefois, à compter de la fin des années 1990, le Conseil constitutionnel va renoncer à exercer un contrôle exigeant des atteintes portées par le législateur aux droits fondamentaux. Ce renoncement sera consacré en 2003, par la décision relative à la loi sur la sécurité intérieure, que la doctrine considère comme une « rupture »[67].
En effet, abandonnant sa jurisprudence antérieure, le Conseil a, par la décision n°99-411 DC du 16 juin 1999, adopté une interprétation restrictive des dispositions de l’article 66 de la Constitution. En limitant le domaine d’application de cette disposition à la privation de liberté stricto sensu, il a permis au législateur de soustraire au contrôle du juge judiciaire toutes les autres formes de restrictions portées à la liberté individuelle. En conséquence, à compter de la décision n°2003-467 DC du 13 mars 2003, le contrôle préalable du juge judiciaire sur les restrictions portées aux autres libertés constitutionnellement garanties n’est plus qu’un élément d’appréciation de la proportionnalité des atteintes portées à la liberté. De surcroît, arguant de ce qu’il s’interdit tout contrôle d’opportunité de la législation, le Conseil en vient à considérer qu’il appartient au seul législateur de réaliser la conciliation entre les exigences de la préservation de l’ordre public et la protection des droits et libertés[68]. Enfin, par la décision n°2004-490 DC du 12 février 2004[69], il décide qu’un « objectif de valeur constitutionnel permet (…) de limiter certains principes constitutionnels, à condition de ne pas porter une ‘atteinte excessive à ces principes’ (…) »[70]. Ainsi, le contrôle du Conseil est ramené à l’examen d’éventuelles erreurs manifestes. En conséquence, le législateur « n’est (plus) soumis à un respect scrupuleux des principes constitutionnels, il est seulement tenu de ne pas dépasser un seuil de tolérance dans la non-conformité (…): au rapport de stricte conformité se substitue un rapport de simple compatibilité »[71].
Comme le résument C. Grewe et R. Koering-Joulin, le contrôle, appliqué à la législation antiterroriste, est ainsi devenu « plus abstrait qu’il ne l’est dans d’autres domaines et s’articule surtout autour de l’importance du but, de l’étendue des atteintes et des garanties prévues. On a presque l’impression qu’en matière de terrorisme, le but est jugé tellement important que seules certaines restrictions très excessives et l’absence de garanties seront censurées (…). Il (le Conseil) se réfère surtout aux conciliations manifestement déséquilibrées et (…) n’en relève évidemment aucune »[72].
Les censures deviennent alors plus modestes et/ou plus circonscrites[73]. Cette évolution de sa jurisprudence permet aussi au Conseil d’approuver des dispositions qu’il avait antérieurement censurées[74]. Enfin, s’ébauche à compter du milieu des années 2000 une évolution de sa jurisprudence, qui le conduit à ne plus considérer la réalité de la situation juridique qui lui est soumise et à se satisfaire des apparences de la légalité[75]. Le contrôle exercé devient plus formel[76]. Par ailleurs, le recours aux réserves d’interprétation permet « au Conseil constitutionnel de ‘sauver le texte’ législatif dans le domaine très sensible du terrorisme »[77], y compris au sacrifice de la cohérence de sa jurisprudence[78]. Enfin, le Conseil constitutionnel développe une pratique que nous qualifierons de censure « pour la galerie », c’est-à-dire une censure dénuée d’effet utile à terme puisqu’elle ne remet pas en cause le principe de l’atteinte aux droits fondamentaux mais sanctionne la désinvolture du législateur qui s’est abstenu de satisfaire aux exigences formelles relatives au contrôle de cette ingérence[79].
Poussant jusqu’à son terme cette logique, le Conseil constitutionnel a, au cours de l’année 2015, multiplié les décisions fondées sur une analyse « hors sol » de la législation antiterroriste, suggérant qu’il est dorénavant disposé à ne procéder qu’à un contrôle strictement formel du respect par le législateur des droits garantis par le Constitution.
2- Vers un contrôle formel de la législation antiterroriste?
Plaidant récemment devant le Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité, Maître Spinosi constatait: « en matière de terrorisme, vous avez presque systématiquement accepté toutes les réductions des libertés individuelles que proposait le législateur, en considération de l’objectif de ces législations ». Il l’expliquait par l’évolution du contrôle, initialement « maximal » et consistant à s’assurer que « le législateur n’a pas porté une atteinte excessive » aux droits constitutionnels, pour n’être plus aujourd’hui que restreint, consistant à vérifier que « les dispositions ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée » à ces droits[80].
L’année 2015 s’est, en effet, avérée pénible pour les libéraux, le législateur ayant multiplié les normes particulièrement attentatoires aux droits fondamentaux et les Sages ne l’ayant sanctionné qu’avec une extrême parcimonie[81].
La décision n°2015-713 DC du 23 juillet 2015 relative à la loi sur le renseignement est édifiante. Malgré une doctrine presque unanimement critique pour constater que ce texte n’offre pas de garanties suffisantes s’agissant des conditions d’autorisation et de contrôle de la mise en œuvre des techniques spéciales de renseignement[82] et les réserves de la CNCDH et de la CNIL[83], le Conseil constitutionnel a validé la quasi totalité de la loi. Après avoir rappelé, selon la formule devenue rituelle, qu’« en vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; qu’il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et des infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis », il valide l’essentiel des dispositions selon une formule non moins rituelle: le législateur a assorti les procédures « de garanties propres à assurer entre, d’une part, le respect de la vie privée des personnes et, d’autre part, la prévention des atteintes à l’ordre public et celle des infractions, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée ». Par ailleurs, saisi de la question de savoir si les techniques spéciales dont la mise en oeuvre est autorisée par la loi devraient, « compte tenu de leur caractère intrusif, être contrôlées par le juge judiciaire » lorsqu’elles impliquent une ingérence dans le droit à l’inviolabilité du domicile et au droit au respect de la vie privée, le Conseil – après avoir affirmé dès les premiers paragraphes de sa décision que le recueil de renseignements au moyen des techniques définies par la loi relève de la seule police administrative – a estimé que, compte tenu des conditions posées par le texte, les « restrictions apportées au droit au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile ne revêtent pas un caractère manifestement disproportionné » et qu’elles « ne portent pas atteinte à la liberté individuelle »[84], pour les déclarer conformes à la Constitution. Comme une conséquence de sa lecture très restrictive de l’article 66 de la Constitution, la juridiction administrative est, en matière de police administrative, consacrée seul juge chargé de se prononcer sur les mesures prises en matière de prévention des atteintes à l’ordre public. A nouveau, les réserves d’interprétation[85] sont cosmétiques et confirment que, indifférent aux arguments relatifs aux limites pratiques de l’effectivité des contrôles susceptibles d’être exercés, les Sages se contentent de l’apparence théorique d’un contrôle des activités portant atteinte aux libertés constitutionnellement garanties. Enfin, les censures[86] confirment que le reproche de manquement au principe de proportionnalité n’intervient plus que le législateur n’a pas prévu de contrôle des activités des administrations répressives. Ainsi, il est reproché au législateur, non le principe de l’action envisagé mais le fait de ne pas avoir encadré formellement les modalités de leur mise en oeuvre. Ce cantonnement des censures, combiné à l’abaissement des exigences – ramenées à la vérification d’une absence de disproportion manifeste -, conduit à déduire que le législateur est libre de porter atteinte aux libertés constitutionnelles pourvu 1) qu’il prévoie formellement un contrôle de quelque nature qu’il soit, dès lors que la disposition n’emporte pas une « privation de liberté » au sens restrictif de la jurisprudence du Conseil et 2) qu’il ne porte pas atteinte aux droits indérogeables. La marge d’appréciation qui lui est laissée est donc considérable[87].
Cependant, par la décision n°2015-527 QPC du 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel valide l’assignation à résidence prononcée, dans le cadre de l’état d’urgence, à l’encontre de militants écologistes susceptibles de causer des troubles à l’ordre public durant la COP21. S’il estime, contre le grief tiré de la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution, qu’une telle mesure « relève de la seule police administrative »[88] et qu’elle ne porte pas « une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et de venir », il souligne cependant qu’il ne saurait être envisagé « la création de camps où seraient détenues les personnes assignées à résidence »[89] et précise, par une réserve d’interprétation, que la plage horaire maximale de l’astreinte à domicile imposée à l’individu assigné ne saurait dépasser douze heures par jour sans que l’assignation à résidence soit considérée comme privative de liberté, pour conclure que la mesure et ses modalités d’application doivent « être justifiées et proportionnées aux raisons (l’)ayant motivé (…) dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence » et que « le juge administratif est chargé de s’assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit ».
La portée de cette décision est délicate à appréhender.
Selon P. Cassia[90], « la décision du Conseil constitutionnel repose sur un postulat recevable en théorie mais absolument discutable en pratique. L’idée est que toutes les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sont des mesures de police administratives, soumises au contrôle de légalité du juge de l’excès de pouvoir ». Or, relève l’auteur, s’il est théoriquement exact que le juge administratif exerce un contrôle de proportionnalité sur la légalité des mesures, en pratique, ce contrôle « n’est effectué que par le juge administratif de l’excès de pouvoir, c’est-à-dire par le juge « du fond », qui ne se prononce que plusieurs mois après avoir été saisi ». Cette décision semble ainsi s’inscrire dans la lignée de celles par lesquelles le Conseil constitutionnel se contente de l’apparence formelle d’un contrôle, sans considération pour son effectivité. Dans cette analyse, la réserve d’interprétation précitée doit se lire comme un nouveau « brevet de constitutionnalité » délivré au législateur pour valider le choix qu’il a opéré et le rendre inattaquable.
Mais une autre lecture est possible, proposée par S. Degirmenci[91]. La loi du 3 avril 1955, modifiée par la loi du 20 novembre 2015, prévoit en son article 14-1 la compétence du juge administratif pour connaître de la légalité de toute mesure prise au titre de l’état d’urgence.
Or, le Conseil constitutionnel précise que « le juge administratif est chargé de s’assurer que (la) mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit », c’est-à-dire un contrôle qui excède celui de l’« erreur manifeste d’appréciation » auquel se livre habituellement le juge administratif des référés, pour s’apparenter davantage au contrôle « de l’excès de pouvoir » exercé par le juge du fond. Cette analyse semble confortée par l’injonction faite au juge administratif, pour confirmer la conformité à l’article 16 de la Déclaration de 1789 de la disposition querellée, d’« apprécier, au regard des éléments débattus contradictoirement devant lui », l’existence des « raisons sérieuses » qui autorisent l’administration à penser que le comportement de la personne assignée à résidence constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. En d’autres termes, la décision du Conseil constitutionnel peut aussi être interprétée comme une invitation adressée au juge administratif des référés à opérer un contrôle maximal de la mesure déférée devant lui.
A l’instar de la décision prise par le Parlement de mettre en place un contrôle de la mise en oeuvre des mesures prises au titre de l’état d’urgence, cette décision pourrait alors s’interpréter comme la manifestation de l’inquiétude inspirée au Conseil constitutionnel par la politique extrêmement sécuritaire du Gouvernement et de la volonté de l’endiguer. Cette interprétation trouve quelque soutien dans les réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel à propos du délai relatif à la déchéance de nationalité[92] ou à la durée de l’astreinte à domicile des assignés à résidence, qui peuvent alors se lire comme des mises en garde adressées au législateur. Par cette inhabituelle définition des limites des atteintes que le législateur peut porter aux droits constitutionnels[93], peut-être le Conseil s’emploie-t-il – certes timidement – à tenter de juguler la dérive vers l’Etat de police qui affecte la politique gouvernementale.
Reste une question particulièrement délicate.
Qu’il s’agisse de la décision relative à la loi sur le renseignement ou de celle rendue à propos des assignations à résidence ordonnées par le ministère de l’Intérieur durant l’état d’urgence, le Conseil constitutionnel n’a validé la compétence donnée au juge administratif qu’à raison du caractère de « police administrative » des mesures autorisées par les dispositions contestées. Pour ce faire, les Sages se sont fondés sur la distinction finaliste traditionnellement adoptée en la matière pour considérer que lesdites mesures n’avaient pour vocation que de prévenir la commission d’infractions. Or, il nous semble que, rapportée à la législation antiterroriste, ce critère traditionnel de distinction entre police administrative et police judiciaire ne va pas de soi.
En effet, la doctrine unanime s’accorde à considérer que l’un des traits distinctifs du droit pénal matériel du « terrorisme » est l’anticipation de la répression ou, plus précisément, l’incrimination progressive depuis 1996, aux articles 421-2-1 à 421-2-6 du code pénal, de l’ensemble des actes préparatoires à la commission des infractions terroristes énumérées aux articles 421-1 et 421-2 du même code[94]. Ce mouvement de confusion entre prévention et répression s’est accentué encore avec la loi du 21 décembre 2012 qui prévoit, à l’article 421-2-4 du code pénal, l’incitation à participer à un groupement terroriste, c’est-à-dire « l’anticipation d’une anticipation d’un comportement »[95]. Il s’agit donc d’une conception pro-active du droit pénal. Le Premier ministre lui-même a récemment confirmé que l’objet de la législation antiterroriste est de «construire des pratiques permettant d’agir au plus près de l’intention criminelle, avant tout passage à l’acte » et que, si « (c)ette tâche exigeante revient avant tout à nos services de renseignement », il n’en demeure pas moins que « (d)éceler l’intention criminelle est une tâche qui incombe également à la justice »[96]. Effectivement, aujourd’hui, l’essentiel des poursuites diligentées en matière « terroriste » le sont sur le fondement de ces incriminations préventives[97]. La législation antiterroriste est ainsi devenue un dispositif de « prévention pénale »[98], fondé sur ce que l’on peut qualifier d’infractions de police administrative[99], au sein duquel se confondent indistinctement, y compris au regard des institutions chargées de le mettre en oeuvre[100], prévention et répression.
En conséquence, la distinction opérée par le Conseil constitutionnel pour justifier l’exclusion du juge judiciaire n’est plus pertinente puisqu’elle se fonde sur le postulat devenu artificiel, à raison des choix opérés par le législateur qui incrimine de manière autonome les actes préparatoires, d’une distinction entre prévention et répression des infractions.
Comme le relève J. Moreau[101], la lutte contre le terrorisme « n’abolit pas la distinction entre la police administrative et la police judiciaire – toujours présente dans les textes – mais (…) modifie leurs rapports réciproques et rend sinon caducs, du moins largement obsolètes, les critères doctrinaux et jurisprudentiels traditionnels »[102]. En d’autres termes, une démarche de stricte prévention d’une infraction terroriste se réduit désormais à appréhender l’intention criminelle non exprimée – ce que même les techniques spéciales de renseignement ne permettent pas de faire… – ou les paroles sans conséquence[103]. Dès lors que cette intention se matérialise, la répression est susceptible de s’exercer puisque le comportement caractérise potentiellement l’une des infractions prévues aux articles 421-2-1 et suivant du code pénal[104]. Au demeurant, aucun des arguments proposés pour justifier du caractère de police administrative des prérogatives prévues, en matière de lutte contre le terrorisme, par la loi sur le renseignement ou celle sur l’état d’urgence, ne parviennent à convaincre totalement puisqu’ils consistent, au mieux, en un renvoi tautologique aux qualifications adoptées par le législateur et, au pire, en un argument d’autorité[105].
Dans ces conditions, il peut être reproché au Conseil constitutionnel de cautionner la volonté manifeste du législateur[106] d’exclure, autant que faire se peut, le juge judiciaire de la lutte contre le terrorisme. En effet, dans un Etat de droit libéral, l’individu mis en cause par l’Etat doit bénéficier de la garantie de ses droits fondamentaux qui lui est la plus favorable. Or, l’article 66 de la Constitution, comme la jurisprudence du Conseil constitutionnel, affirment implicitement que celle-ci est fournie par le juge judiciaire.
Par un raisonnement similaire à celui qu’applique la Cour européenne des droits de l’homme en matière de droit à un procès équitable du suspect et dès lors qu’il n’est pas contestable que l’antiterrorisme ressortit à la « matière pénale », le Conseil constitutionnel aurait dû considérer, d’une part, que le législateur lui-même a organisé, par la définition des infractions terroristes, la confusion entre prévention et répression, d’autre part, qu’il en résulte que tout « renseignement » collecté permettant de suspecter un projet terroriste est susceptible d’être utilisé comme preuve d’une infraction « préventive » – donc de conduire à une sanction pénale qui, en matière de lutte contre le terrorisme, est généralement privative de liberté – et, enfin, que l’ambition du législateur de distinguer les champs respectifs de la police administrative et de la police judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme est manifestement tenue en échec par l’impéritie de ce même législateur, toutes considérations qui auraient dû conduire à en déduire la compétence exclusive du juge judiciaire.
Deux exemples permettent de corroborer cette analyse.
Aux termes de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955, modifié par la loi du 20 novembre 2015, pris en son I, alinéa 1er: « le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Ainsi, rapporté à la lutte contre le terrorisme, la formule employée in fine: « dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics[107] », comme une condition nécessaire à la mise en oeuvre légale de cette mesure, implique que les services de renseignement ont collecté des informations suffisantes pour les conduire à penser que l’individu est, à raison de son attitude, susceptible d’avoir un projet terroriste. En effet, si les informations collectées sont trop vagues (par exemple si elles se limitent à la pratique religieuse de l’individu), elles ne sauraient caractériser une menace pour la sécurité et l’ordre publics et la perquisition qui serait ordonnée sur ce seul fondement serait arbitraire, donc illégale puisque constitutive d’une atteinte sans droit à l’inviolabilité du domicile. A l’inverse, si les informations dépassent celles susceptibles d’inspirer une intuition et caractérisent une attitude permettant d’estimer que l’individu est potentiellement un terroriste, elles sont alors susceptibles de caractériser l’une des composantes de l’élément matériel des infractions prévues aux articles 421-2-1 à 421-2-6 du code pénal (ainsi, par exemple, si l’individu fréquente des personnes identifiées comme préparant un voyage dans une zone où opèrent des groupes terroristes, s’il tient des propos laissant suspecter sa sympathie pour un groupe terroriste ou s’il se connecte à des sites « djihadistes ») et la perquisition est destinée à le confirmer. En d’autres termes, en imposant, d’une part, comme condition préalable aux perquisitions « administratives » en matière de lutte contre le terrorisme l’existence d’un « comportement (constitutif) d’une menace » terroriste – c’est-à-dire une extériorisation de l’état d’esprit -, et, d’autre part, en anticipant l’incrimination sur l’iter criminis dès les premiers stades, y compris équivoques, de la matérialisation de l’intention criminelle, le législateur crée entre eux une zone de chevauchement telle que cela impose, par application de la conception de la « matière pénale » retenue par la Cour européenne des droits de l’homme et des conséquences procédurales qui lui sont attachées, de soumettre immédiatement la mesure au régime de la police judiciaire, puisqu’elle est susceptible d’entraîner à terme des sanctions pénales et que les autorités publiques disposent, au moment où elles ordonnent la perquisition, d’éléments qui leur permettent d’être conscientes – voire d’espérer – que ladite mesure permettra de collecter les derniers éléments nécessaires pour permettre d’engager l’action publique avec des chances suffisantes de la voir prospérer. Il est certes concevable de déroger à cette exigence durant la période exceptionnelle de l’état d’urgence; en revanche, envisager – comme le législateur avait semblé le faire – d’autoriser de telles mesures lorsque l’état d’urgence a cessé semble difficile à justifier légalement.
De même, l’article 21 du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, du 23 décembre 2015, prévoit d’ajouter un article L225-1 au code de la sécurité intérieure afin de permettre au ministre de l’Intérieur de soumettre à un « contrôle administratif » – en fait, une assignation à résidence dans des conditions légèrement moins contraignantes pour les intéressés que celles prévues à l’article 5 de la loi de 1955 – « dès son retour sur le territoire national », tout individu « qui a quitté le territoire national pour accomplir: 1°. des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes; 2°. ou des déplacements à l’étranger sur un théâtre d’opération de groupements terroristes; 3°. Ou une tentative de se rendre sur un tel théâtre, dans des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français ». L’ambition est subtile. Dès lors que les conditions sont si imprécises (on peine ainsi à appréhender ce que sont « des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique »), il est aléatoire d’envisager une privation de liberté et de solliciter pour ce faire le juge judiciaire. Le législateur propose donc de recourir à une mesure de police administrative. Néanmoins, le fait d’avoir tenté de participer à des opérations terroristes à l’étranger, de s’être déplacé à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes ou d’avoir tenté de le faire est, en soi, susceptible de constituer l’élément matériel de l’association de malfaiteurs terroriste. Le législateur l’ignore d’autant moins que par la loi du 21 décembre 2012, il a ajouté un article 113-13 au code pénal qui prévoit une dérogation aux règles de la compétence personnelle active pour permettre la répression d’une telle situation[108]. Dans ces conditions, à nouveau, les obligations acceptées par la France au titre de la Convention européenne des droits de l’homme semblent peu compatibles avec la mesure de police administrative prévue par le législateur et paraissent imposer la compétence du juge pénal.
La CNCDH[109] et la doctrine pénale[110] avaient suggéré une telle solution; la doctrine administrative confirme que, selon le Tribunal des conflits, lorsque police administrative et police judiciaire interfèrent, il ne faut retenir qu’une qualification et que pour en décider, il « convient de scruter ‘la réalité profonde de la mesure’ et non de se contenter des références des textes avancées par l’administration »[111]; et le Conseil d’Etat a confirmé en 2005 la compétence de l’autorité judiciaire pour contrôler l’exercice par le ministre de l’Intérieur ou le préfet de missions relevant de la police judiciaire[112]. La mise en oeuvre de cette solution aurait été d’autant moins problématique que l’article 111-5 du code pénal prévoit la compétence du juge pénal pour apprécier la légalité des actes administratifs individuels et règlementaires « quand de cet examen dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ». Le Conseil constitutionnel n’a malheureusement pas eu l’audace de contredire le législateur.
Les défaillances du contrôle constitutionnel de la législation antiterroriste ainsi soulignées, il faut se demander dans quelle mesure le contrôle juridictionnel les pallie.
II- Contrôle juridictionnel
Pour contester la théorie sur l’état d’exception de G. Agamben, D. Bigo relevait que cet auteur néglige de prendre en considération « les mécanismes par lesquels l’exercice du pouvoir crée simultanément les conditions d’exercice de la résistance » dans un Etat de droit[113]. Cette réflexion rappelle l’importance du rôle dévolu au juge, dans les démocraties libérales, d’autant plus lorsque, comme en France en matière de lutte contre le terrorisme, le législateur et le gouvernement ont cédé à la tentation de mettre en oeuvre un droit dérogatoire qui implique des atteintes potentiellement drastiques aux droits fondamentaux. Comme le relève M.-L. Basilien-Gainche: « Certes, c’est par l’adoption de normes que les exécutifs tendent à surmonter les barrières posées à l’expression de leur violence légitime au risque de la rendre illégitime; mais c’est aussi par l’affirmation de la supériorité de normes, celles-là à valeur fondamentale (parce que de portée constitutionnelle ou internationale), que les juges opposent aux exécutifs une résistance à leurs dérives et à leurs excès, en les rappelant à leurs obligations juridiques »[114].
Cependant, le pouvoir dévolu au juge n’est pas sans limite, tenu qu’il est par les contraintes de la légalité. L’étendue de sa compétence est largement définie par le législateur; serviteur de la loi, il ne peut exercer son office que dans les domaines que celle-ci lui assigne[115]. En outre, les normes antiterroristes, et plus encore celles qui gouvernent l’état d’urgence, ne sont pas nécessairement d’une grande précision[116]. Cela permet, certes, aux autorités publiques chargées des enquêtes et des poursuites et au ministère de l’Intérieur d’exercer leur arbitraire mais cela confronte aussi le juge à une situation inconfortable où il doit s’en remettre essentiellement à l’impression subjective produite sur lui par les éléments rapportés par l’autorité publique pour apprécier la légalité de l’action administrative ou la consommation des éléments constitutifs de l’infraction. L’insécurité juridique à laquelle il est confronté se répercute inévitablement sur le traitement réservé aux justiciables.
La situation du juge s’est compliquée depuis que, le 24 novembre 2015, le Gouvernement français a formellement informé le Secrétaire général du Conseil de l’Europe qu’il entendait faire usage des dispositions de l’article 15 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et que certaines dispositions réglementaires et législatives seraient « susceptibles d’impliquer une dérogation aux obligations résultant de la Convention »[117] – ce qui a pour effet de restreindre temporairement l’étendue des obligations de l’Etat français, limitant en conséquence les moyens mis à la disposition du juge pour sanctionner les atteintes aux droits fondamentaux perpétrées par les autorités publiques[118].
Confrontés à un tel régime juridique dérogatoire, les magistrats sont alors susceptibles d’adopter deux attitudes. Ils peuvent, d’une part, tenter – éventuellement contre la volonté de l’exécutif – d’exercer normalement leur pouvoir de contrôle de l’action des agents publics et de répression des auteurs d’infraction. C’est la voie qu’ont choisi les Cours suprêmes israélienne et britannique et certaines juridictions du fond françaises. Ils peuvent, d’autre part, intégrer l’exception dans leur activité et adapter en conséquence leur contrôle. Le Conseil d’Etat a, ainsi, développé la théorie des circonstances exceptionnelles qui diminuent les contraintes légales imposées à l’Etat[119]. Une attitude inverse pouvait être espérée du juge pénal, d’abord pour un motif culturel (le droit pénal est d’interprétation stricte tandis qu’un principe général du droit privé réserve le même principe d’interprétation aux exceptions); ensuite, car la chambre criminelle conteste que la théorie des circonstances exceptionnelles trouve à s’appliquer en matière pénale[120]. Pourtant, l’étude de la jurisprudence révèle que la Cour de cassation et certaines juridictions inférieures ont mis leurs pas dans ceux du Conseil d’Etat.
Pour le démontrer, nous distinguerons le juge administratif (A) du juge pénal (B).
A- Le juge administratif
Après la décision de recourir à l’état d’urgence, consécutive aux attentats perpétrés à Paris le 13 novembre 2015, il a semblé difficile de ne pas envisager le contrôle exercé par le juge administratif sur la mise en œuvre de la législation antiterroriste. En effet, la loi du 20 novembre 2015 autorisant la prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 26 février 2016 a introduit un article 14-1 dans la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, qui prévoit la compétence des juridictions administratives, selon les procédures ordinaires de référé-liberté et de recours pour excès de pouvoir, pour contrôler la légalité des mesures décidées par les autorités publiques. De surcroît, il a été montré précédemment que le Conseil constitutionnel, statuant sur la conformité à la norme fondamentale de certaines assignations à résidence, semble inviter le juge administratif à exercer un contrôle maximal, quel que soit le titre auquel il intervient.
Théoriquement, depuis l’arrêt CE, 19 mai 1933, Benjamin[121], l’atteinte aux droits fondamentaux fait l’objet, de la part des juridictions administratives, d’un contrôle dit « maximum » qui exige une stricte adéquation de l’atteinte aux libertés garanties à l’objectif recherché[122]. Ce faisant, le droit administratif français semble se conformer aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, d’autant que cette dernière adopte en la matière une logique « proportionnaliste »[123].
Néanmoins, l’étude des décisions rendues par les juridictions administratives à propos des mesures prises depuis la décision du Président de la République de recourir à l’état d’urgence laisse le juriste partiellement insatisfait. En effet, les jugements des tribunaux administratifs ne semblent pas s’inscrire dans une démarche parfaitement cohérente (1). Par ailleurs, le Conseil d’Etat semble peiner à trouver un équilibre entre le service de l’Etat et le contrôle de l’action gouvernementale (2).
1- Le contrôle « à géométrie variable » des juridictions du fond
Au 7 janvier 2016, il avait été procédé à 3 021 perquisitions administratives et 381 assignations à résidence depuis la mise en oeuvre de l’état d’urgence. Le contentieux généré par ces mesures administratives est peu important[124]. La plupart de ces décisions n’appellent aucun commentaire, tant elles sont juridiquement indiscutables[125].
En revanche, les décisions rendues en matière d’assignations à résidence soulèvent des questions plus délicates.
On perçoit, à la lecture de la norme et de la circulaire[126] qui les régissent, l’ambiguité avec laquelle les juridictions administratives doivent composer: la mesure d’assignation à résidence est justifiée par la nécessité de lutter contre le terrorisme, mais ses modalités de mise en oeuvre sont plus largement définies, puisqu’elle est susceptible d’être imposée à toute personne dont le comportement constitue une menace pour l’ordre et la sécurité publics, ce qui confirme que le ministère argue de la menace terroriste pour justifier des mesures ayant un autre objet que la prévention de celle-ci[127]. De surcroît, mesure de police administrative, l’assignation à résidence est fondée principalement sur des informations transmises par les services de renseignement, dont les qualités probatoires ne sont souvent pas équivalentes à celles qui résultent d’une procédure judiciaire.
Environ vingt pour cent des assignations à résidence prononcées par le ministre de l’Intérieur ont donné lieu à contentieux devant les juges des référés des tribunaux administratifs.
De la lecture des jugements que nous avons pu consulter[128], il ressort:
- que, comme trop souvent en droit administratif, l’argumentation du ministère de l’Intérieur est aussi superficielle que systématique et se limite à contester l’existence de l’urgence à statuer, à renvoyer aux notes blanches des services de renseignement produites au dossier en insistant sur le fait qu’il « ne saurait être exigé que les mesures prises en application de l’état d’urgence, qui ont un objet préventif, reposent sur des faits matériellement incontestables, des soupçons suffisamment étayés par les services de renseignement pouvant suffire », à rappeler au juge que « le contrôle du juge des référés de la matérialité des faits doit se limiter à la vérification du caractère suffisant et vraisemblable de la gravité des faits reprochés; que le contrôle de proportionnalité habituellement exercé en matière de police administrative doit être ici écarté au profit d’un contrôle restreint» pour conclure à la conformité de l’arrêté aux prescriptions de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, faute pour le requérant d’être en mesure de prouver ses dénégations[129];
- que si la juridiction parisienne a systématiquement validé la décision du ministre et que la majorité des arrêtés ont été confirmés par les juges des référés[130], certaines juridictions de province les ont annulés[131], quand d’autres se sont contentées d’ordonner au ministère de préciser certains aspects de l’arrêté sans le suspendre[132]. Or, il n’est pas possible, à la lecture de ces jugements, d’opérer une classification objective permettant de répertorier les types de situations individuelles ou de motivations du ministère qui entraînent ces suspensions[133]. En d’autres termes, à la lecture des jugements des tribunaux administratifs, le principe d’égalité devant la loi, qui veut que les personnes se trouvant dans une situation identique ou très similaire soit traitées de la même manière et se voient appliquer les mêmes solutions juridiques, semble mis à mal;
- enfin, que si le Conseil d’Etat a limité la compétence du juge des référés appelé à se prononcer sur une mesure prise au titre de l’état d’urgence[134], certains juges des référés des tribunaux administratifs ont effectivement exercé un contrôle très restreint de l’erreur manifeste[135], certains ont procédé à un contrôle de « l’urgence imminente »[136], d’autres, enfin, ont procédé à un contrôle qui, s’il demeure restreint, s’apparente à celui exercé au fond lors de l’examen d’un recours pour excès de pouvoir[137]; cependant, il ne peut être non plus établi un lien entre la nature du contrôle exercé et le sort réservé à l’arrêté ministériel[138] – ce qui ajoute à l’inégalité de traitement entre les justiciables.
Que faut-il en conclure?
En premier lieu, que la critique ne doit pas se tromper de cible. Le juge administratif ne peut fonder son jugement que sur les informations qui lui sont transmises par l’administration. Au mieux, il peut ne pas s’estimer convaincu par leur contenu mais l’étendue du contrôle qu’il est susceptible d’exercer est doublement limité par la loi, puisque le code de justice administrative et la jurisprudence du Conseil d’Etat ne prévoient qu’un contrôle restreint de l’erreur manifeste tandis que la loi sur le renseignement réduit la possibilité pour le juge de solliciter des services de renseignement des précisions sur les informations qu’ils transmettent. De surcroît, la loi du 20 novembre 2015 a modifié les conditions autorisant le ministre de l’Intérieur à prendre des arrêtés d’assignation à résidence pour les étendre substantiellement et les rendre infiniment moins précises. En d’autres termes, ce n’est pas le juge qui protège insuffisamment les libertés mais le législateur qui l’a placé dans une position où il n’est plus en mesure de le faire. Des juges administratifs s’en sont légitimement émus dans une récente tribune[139].
En second lieu, que la situation créée par le législateur conduit cependant à une « loterie » devant les juridictions administratives, puisqu’en fonction du juge des référés qui statue, des mesures identiques prises pour des motifs très similaires font l’objet d’un traitement judiciaire différent – ce qui est évidemment contraire au principe d’égalité devant la loi.
Il faut donc à présent envisager dans quelle mesure le Conseil d’Etat contribue à la restauration d’une certaine sécurité juridique.
2- La « proximité avec l’administration active »[140] du Conseil d’Etat?
La contribution du Conseil d’Etat à l’encadrement juridique des mesures administratives susceptibles d’être imposées aux « terroristes » est de deux ordres – qui correspondent aux deux missions de cette institution: il a été appelé à rendre des avis sur les projets législatifs du Gouvernement[141]; et il a eu à connaître de certains recours exercés contre des jugements prononcés par les juges des référés des tribunaux administratifs à propos d’arrêtés pris par le ministre de l’Intérieur au titre de la loi sur l’état d’urgence.
Au regard des sujets qui intéressent la présente étude, le Conseil d’Etat a rendu, en 2015, des avis[142] sur le projet de loi sur le renseignement, ainsi que sur le projet de réforme visant à constitutionnaliser l’état d’urgence et, enfin, sur la possibilité de prendre des mesures administratives privatives de liberté contre des personnes identifiées comme potentiellement dangereuses par les services de police, comme l’avaient proposé certains membres de l’opposition.
S’agissant de son avis « renseignement » du 19 mars 2015[143], il faut relever que, pour l’essentiel, y compris sur certains des points les plus critiqués[144], le projet de loi était conforme aux engagements internationaux de la France en matière de protection des droits fondamentaux[145], puisqu’en matière de lutte contre le terrorisme, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît aux Etats une marge nationale d’appréciation importante dans la définition juridique des pouvoirs des services de renseignement[146].
Néanmoins, compte tenu, d’une part, (1) des exigences de la juridiction strasbourgeoise en matière de surveillance secrète des populations[147], (2) des nombreuses condamnations infligées par la même juridiction à la France à raison des carences qui affectent le contrôle de la mise en oeuvre des mesures de surveillance, particulièrement lorsque les éléments collectés sont susceptibles d’être utilisés dans des procédures répressives[148], (3) des exigences de la juridiction de Strasbourg tant sur la qualité de l’encadrement normatif de la collecte et du traitement des données personnelles, y compris par les services de renseignements[149], que sur la nécessité d’un contrôle effectif de leur utilisation[150], et (4) de l’exigence que les restrictions apportées aux droits des justiciables n’affectent pas l’égalité des armes et ne portent pas atteinte à l’équité de la procédure[151] et, d’autre part, des vives réticences exprimées par la Cour de justice de l’Union européenne à l’encontre des pratiques de surveillance de masse[152], l’avis du Conseil d’Etat apparaît curieusement silencieux sur les techniques de collecte massive et indiscriminée autorisées par la loi et quelque peu complaisant s’agissant des restrictions apportées par le législateur au droit des justiciables dans le contrôle de la légalité des mesures de surveillance auxquelles ils pourraient être soumis – à moins que cela ne témoigne, de la part du Conseil d’Etat, d’un excès de confiance dans ses capacités ou d’un souci de protection d’intérêts « catégoriels », le leadership ainsi pris par la « police administrative de souveraineté »[153] éclipsant le juge judiciaire.
A la suite des attentats perpétrés à Paris le 13 novembre 2015 et dans la perspective de la constitutionnalisation de l’état d’urgence, le Conseil d’Etat a été saisi de plusieurs demandes d’avis.
Il a, d’abord, été appelé à se prononcer sur le projet de loi de prolongation de l’état d’urgence[154]. Il rappelle, à titre de prolégomènes, qu’il a antérieurement confirmé la compatibilité avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme de la loi du 3 avril 1955[155] et que les attaques du 13 novembre 2015 comme la persistance de la menace terroriste justifient la déclaration de l’état d’urgence, comme sa prorogation. Enfin, il estime que le champ géographique d’application de l’état d’urgence comme les mesures autorisées « sont proportionnés aux circonstances »[156]. Il examine ensuite les modifications que le gouvernement souhaite apporter aux dispositions de la loi de 1955. Il relève alors que, « prenant en compte le contexte exceptionnel qui est celui des états d’urgence », il s’est assuré que celles-ci « ne relevaient pas d’une rigueur non nécessaire quand elles renforçaient les pouvoirs de police administrative » et qu’elles « apportaient des garanties suffisantes lorsqu’elles encadraient l’exercice de ces pouvoirs »[157]. Dans ces conditions, il se satisfait des « contraintes nouvelles assortissant l’assignation à résidence »[158] et se félicite du remplacement de la commission prévue à l’article 7 de la loi de 1955 par le juge des référés administratifs[159]. Enfin, insistant sur le fait que les perquisitions prévues par l’article 11 de la loi sont « des opérations de police administrative et non de police judiciaire », il estime que le projet de loi assure « une conciliation non déséquilibrée, dans le contexte de l’état d’urgence, entre la sauvegarde de l’ordre public et le respect de la vie privée », mais recommande de préciser les conditions d’éventuelles saisies administratives.
Le 17 décembre 2015, il s’est prononcé sur la possibilité d’imposer des mesures privatives ou restrictives de liberté à certains individus connus des services de police pour leur radicalisation et leur dangerosité et, plus particulièrement, sur la conformité à la Constitution ainsi que sur la compatibilité avec les engagements internationaux et européens de la France des propositions, formulées à la suite des attentats, de recourir à des mesures de police administrative d’internement, de placement en rétention ou de placement sous surveillance électronique des personnes fichées « S »[160]. Le Conseil d’Etat estime d’une part, qu’« au plan constitutionnel et au plan conventionnel, il n’est pas possible d’autoriser par la loi, en dehors de toute procédure pénale, (une telle) rétention » administrative[161]; d’autre part, qu’une rétention de sûreté pourrait être prévue par la loi dans les conditions mutatis mutandis similaires à celles définies par le Conseil constitutionnel lorsqu’il s’est prononcé sur la constitutionnalité des articles 706-53-13 et suivants du code pénal; qu’une assignation à résidence ordonnée par l’autorité administrative devrait, d’une part, être « prévue par la loi et comporter un degré de contrainte inférieur aux mesures prévues par l’article 6 » de la loi du 3 avril 1955 et, d’autre part, être justifiée par la nécessité et la proportionnalité, sous le contrôle du juge administratif; qu’enfin, une surveillance électronique mobile pourrait être proposée, sous réserve qu’elle soit prévue par la loi, qu’il soit justifié de sa nécessité, qu’elle soit soumise à des conditions d’autorisation similaires à celles prévues par le code de la sécurité intérieure pour les techniques de renseignement et qu’elle soit acceptée par l’individu qui y sera astreint
Enfin, appelé à donner son avis sur le Projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation[162], le Conseil d’Etat[163] admet d’abord la déchéance de nationalité des binationaux « de naissance », sous réserve de son inscription dans la Constitution. S’agissant de la constitutionnalisation de l’état d’urgence, il relève que « la modification envisagée n’est pas de simple clarification et présente, à deux titres, un effet utile : a) En premier lieu, elle donne un fondement incontestable aux mesures de police administrative prises par les autorités civiles pendant l’état d’urgence (et) permet ainsi au législateur de prévoir des mesures renforcées (…). Elle permet aussi au législateur, lorsque ces mesures administratives ne relèvent pas de l’article 66 de la Constitution, de les soumettre exclusivement au contrôle du juge administratif et non à celui du juge judiciaire. b) En second lieu, elle encadre la déclaration et le déroulement de l’état d’urgence »[164].
A première vue, ces trois avis apparaissent comme une illustration de la proposition de G. Bigot selon laquelle: « la justice administrative est née d’une forte aversion à l’égard de la justice, du moins d’une aversion à l’endroit de la justice en tant que pouvoir constitutionnellement garanti. (…). A ce titre, la « justice » administrative n’encourt pas simplement le reproche d’être juge et partie, reproche que lui adresseront notamment les libéraux au XIXè siècle; elle s’apparente d’abord à une ruse de la domination puisqu’elle a pour objet premier de transformer un rapport de force en droit, de rendre tolérable la domination d’un pouvoir qui se meut dans le silence – lorsque ce n’est pas l’absence – de lois qui contraindraient l’administration à n’agir que dans l’intérêt des particuliers »[165], ce dont il résulte que « le droit administratif est ce qui autorise le consentement; il rend acceptable par le droit et grâce au droit ce qui pourrait apparaître inacceptable au point de vue politique (…). Le droit administratif n’est-il pas toujours, suivant l’aveu d’Aucoc au temps de l’autoritarisme napoléonien, la « soupape de sûreté » juridique d’un système politique inavouable en démocratie? »[166]. En d’autres termes, le Conseil d’Etat n’est jamais aussi protecteur des droits fondamentaux que lorsqu’il est saisi par le Gouvernement afin de fournir à ce dernier les arguments justifiant de ne pas proposer certaines dispositions législatives.
Pourtant, une lecture plus attentive du dernier avis autorise une analyse plus nuancée. En effet, s’agissant de la constitutionnalisation de l’état d’urgence, le Conseil d’Etat relève d’abord qu’elle aurait pour intérêt d’encadrer « la déclaration et le déroulement de l’état d’urgence en apportant des précisions de fond et de procédure qui ne relevaient jusqu’ici que de la loi ordinaire et que le législateur ordinaire pouvait donc modifier. La rédaction de l’article 36-1 interdira désormais à celui-ci, par exemple, d’ajouter d’autres motifs de déclaration de l’état d’urgence à ceux qui sont définis au premier alinéa de cet article ; ou de n’imposer la première intervention du Parlement qu’au terme d’un délai supérieur à 12 jours ; ou de décider que la prorogation peut ne pas comporter de durée déterminée »[167]. Ensuite, et en lien avec ce dernier point, il rappelle que « l’état d’urgence restant un ‘état de crise’, ces renouvellements ne devront pas se succéder indéfiniment. Si la menace qui est à l’origine de l’état d’urgence devient permanente, c’est alors à des instruments de lutte permanents qu’il faudra recourir en leur donnant, si besoin est, un fondement constitutionnel durable »[168]. Enfin, il s’oppose au projet gouvernemental de mettre en place un régime qui prolongerait les effets de l’état d’urgence après qu’il a cessé en laissant subsister certaines mesures individuelles ou en prenant de nouvelles mesures générales lorsque le péril imminent qui avait justifié l’état d’urgence aurait disparu mais que demeurerait une menace, en estimant que, dans une telle hypothèse, « l’objectif poursuivi (pourrait) être plus simplement atteint par l’adoption d’une loi prorogeant une nouvelle fois l’état d’urgence, tout en adaptant les mesures susceptibles d’être prises à ce qui est exigé par les circonstances »[169].
Ainsi apparaît, certes parfois en creux, une critique du gouvernement qui, par la loi du 20 novembre 2015, a modifié, pour en étendre le domaine d’application, les dispositions relatives aux mesures de police administrative susceptibles d’être prises durant l’état d’urgence, et avait annoncé son intention de maintenir l’état d’urgence aussi longtemps que durerait la menace terroriste. Or, la pratique du Conseil d’Etat est, dans la mesure du possible, de ne pas sanctionner l’administration sans l’avoir avertie préalablement et lui avoir donné les moyens de mettre son action en conformité avec le droit. Ainsi, à l’instar du Parlement et du Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat vient peut-être de signifier au Gouvernement qu’il considère que les mesures prises après les attentats du 13 novembre 2015 ont porté aux limites de la légalité les mesures de police administrative susceptibles d’être prises pour lutter contre le terrorisme et qu’il pourrait se montrer moins conciliant qu’il ne l’a été jusqu’à présent si l’exécutif s’obstinait à multiplier les mesures d’exception attentatoires aux libertés.
Cette analyse est corroborée par l’étude de décisions rendues en matière contentieuse. En effet, comme dans ses avis, le Conseil d’Etat s’est d’abord montré très compréhensif envers l’administration avant, récemment, d’apparaître plus exigeant.
Le Conseil d’Etat s’est, le 11 décembre 2015, prononcé sur les assignations à résidence décidées par le ministre de l’Intérieur, pour la durée de la COP21[170], à l’encontre de militants écologistes. Dans des conclusions détaillées et argumentées, le rapporteur public[171] soutenait que l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, issu de la loi du 20 novembre 2015, « fait clairement une différence entre les motifs justifiant que soit déclaré l’état d’urgence et les motifs pouvant justifier que soient prononcées, une fois l’état d’urgence déclaré, des assignations à résidence » et, concernant la nature du contrôle qui doit être exercé par le juge des référés, après avoir enjoint le Conseil d’envoyer « le signal clair, tant à l’égard de l’administration, des citoyens que des juges, que le contrôle exercé par le juge administratif sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence n’aura rien d’un contrôle au rabais, et que l’état de droit ne cède pas face à l’état d’urgence », il relevait que « (p)ar leur nature et par leurs effets, les mesures d’assignation à résidence prise dans un le cadre de la loi de 1955 nous semblent créer indubitablement une situation d’urgence » avant d’estimer que « toute particulière qu’elle soit, la mesure de ‘haute police’ prise dans le cadre de l’état d’urgence est et reste une mesure de police, à l’égard de laquelle il nous semble, (…) que tout milite pour que vous exerciez un contrôle de proportionnalité, comme vous le faites depuis votre décision Benjamin ». En revanche, il concédait que « pour caractériser l’existence d’un comportement constitutif d’une menace pour l’ordre et la sécurité publics, l’administration (pourrait), comme elle le fait dans chacun des 7 dossiers en litige aujourd’hui, vous produire des ‘notes blanches’ (…) » qui peuvent « constituer un moyen de preuve devant le juge administratif », sous la seule réserve qu’il « appartient cependant au juge, surtout lorsqu’il s’agit comme en l’espèce du seul élément étayant la décision de l’administration, de s’attacher, dans le cadre du contrôle de la réalité des faits, à ce que seuls les éléments de faits contenus dans la note soient regardés comme probants, à l’exclusion de toute interprétation ou extrapolation ». Il concluait alors au rejet des demandes.
Aussi convaincantes qu’elles apparaissent au premier abord, ces conclusions n’échappent cependant pas à la critique. En premier lieu, et s’agissant du lien entre les motifs ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence et ceux autorisant l’assignation à résidence, l’analyse à laquelle procède le rapporteur est formellement exacte. En revanche, d’un point de vue téléologique, elle procède d’une lecture par trop littérale de la loi, car tant l’exposé des motifs du projet de loi[172] que l’étude d’impact qui l’accompagnait[173] démontrent que l’extension des pouvoirs du ministre en matière d’assignation à résidence a bien été présentée au Parlement comme un moyen d’améliorer la lutte contre le terrorisme et non de viser toute personne susceptible de causer un trouble à l’ordre public. Le Parlement s’y étant laissé prendre, le juge administratif aurait pu se montrer plus exigeant, ne serait-ce que pour sanctionner les vilaines manières du Gouvernement. En second lieu, les conditions posées à l’admission des « notes blanches » apparaissent peu exigeantes au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[174].
Le Conseil d’Etat[175], s’il estime que la condition d’urgence du référé-liberté est en principe remplie lorsqu’est en cause une décision d’assignation à résidence, limite l’étendue du contrôle susceptible d’être exercé par le juge des référés à la vérification de ce que la décision de l’administration n’est pas entachée d’illégalité manifeste, réservant au recours en annulation sur le fond la possibilité pour le juge administratif d’exercer un contrôle entier de l’appréciation portée par l’administration sur les motifs et les modalités de l’assignation à résidence[176]. Se fondant sur les « notes blanches » produites par le ministre, qui avaient été soumises au débat contradictoire et dont le contenu « n’était pas sérieusement contesté », il conclut alors que les assignations à résidence dont il était saisi ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir.
De la même manière, le Conseil d’Etat a, une semaine plus tard, validé les arrêtés du ministère de l’Intérieur portant interdiction de déplacement des supporters de clubs de football[177] aux motifs que « le ministre de l’intérieur se prévaut, (…), pour édicter les mesures en cause, d’une part, du comportement fréquemment agressif et violent de supporters de certaines équipes à l’occasion des rencontres sportives ainsi que de l’animosité spécifique existant entre supporters de certaines équipes et, d’autre part, du contexte de menace terroriste élevée à la suite des attentats du 13 novembre dernier (…), contexte qui impose une mobilisation exceptionnelle des forces de l’ordre sur cette mission prioritaire et limite la possibilité qu’elles en soient distraites pour d’autres tâches »[178].
On le voit, la position du Conseil d’Etat n’est pas d’une exigence extrême à l’égard de l’administration et des juges administratifs ont pu légitimement faire part de leur inquiétude[179].
Mais, à nouveau, une inflexion dans l’attitude du Conseil d’Etat semble s’être manifestée à la fin du mois de décembre 2015.
Il l’a d’abord fait très modestement en ordonnant un supplément d’informations pour obtenir du ministère de l’Intérieur des précisions sur certains éléments produits dans la « note blanche » sur laquelle se fondait la décision du ministre[180]. Puis, dans un arrêt du 6 janvier 2016[181], le Conseil d’Etat procède, d’une part, à une analyse du contenu de trois « notes blanches » transmises par le ministère de l’Intérieur pour en extraire les seuls éléments factuels non contestés par le requérant et, d’autre part, à une motivation détaillée de sa décision de refus de suspendre la mesure d’assignation à résidence, mais il suspend la mesure de fermeture administrative provisoire de l’établissement de restauration appartenant à la personne assignée à résidence, l’estimant insuffisamment étayée en fait par le ministère de l’Intérieur, alors qu’elle porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre de son propriétaire. Enfin, dans un deuxième arrêt du même jour[182], après avoir estimé, au vu des éléments de fait contenus dans deux « notes blanches » et non sérieusement contestés par l’intéressée que l’assignation à résidence de cette dernière ne portait pas, dans son principe, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir de l’intéressée, le Conseil d’Etat a, en revanche, décidé que les modalités de cette assignation faisaient peser des contraintes excessivement lourdes sur l’intéressée, incompatibles avec son droit au respect de la vie privée et familiale et avec l’intérêt supérieur de ses enfants, et a, en conséquence, contraint le ministère de l’Intérieur à les adapter[183].
Ainsi, comme le Parlement et le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat semble avoir récemment pris conscience de la dérive, menaçante pour les libertés individuelles, dans laquelle s’est engagée le Gouvernement et paraît disposé à se montrer plus exigeant envers l’administration dans le contrôle qu’il exerce sur les mesures prises au titre de la police administrative[184].
Reste, à présent, à envisager le contrôle exercé par le juge judiciaire sur la mise en oeuvre de la législation antiterroriste.
B- Le juge judiciaire
La Cour européenne des droits de l’homme, si elle accepte de prendre en considération les implications de la nécessité pour les Etats de protéger leur sécurité nationale[185], ne les autorise pas pour autant – même pour lutter contre le terrorisme – à s’affranchir des exigences de la prééminence du droit ou de leur obligation de protéger les droits fondamentaux, hors les cas prévus par la Convention elle-même[186].
Or, dans l’ouvrage qu’elle a récemment consacré à la justice d’exception, V. Codaccioni soutient que « si la justice d’exception s’est historiquement incarnée dans des juridictions politiques autonomes, (…), la spécificité de l’antiterrorisme français est d’avoir conservé ce modèle de justice en le détachant de son « enveloppe » juridictionnelle. Il a ainsi reconstitué progressivement tout ce qui fondait l’infériorité juridique d’une catégorie de justiciables mais en s’appuyant sur les instances de jugement ordinaires de la vie judiciaire, dès lors spécialement aménagées pour juger les « terroristes » de manière dérogatoire et spécifique. La disparition de la Cour de sureté de l’Etat ne conduit donc pas à une désexceptionnalisation de la lutte policière et judiciaire contre les ennemis intérieurs. Au contraire, non seulement celle-ci permet aux gouvernements de la Vè République de disposer d’un « socle d’exception » remodelé dès le milieu des années 1980 mais, surtout, les règles et les principes dérogatoires au droit commun consacrés par les loi de janvier 1963 se retrouvent à l’identique, aujourd’hui, dans notre droit »[187]. Elle précise, cependant, que « (l)’absence de juridictions spécialement créées pour juger la criminalité terroriste, si elle doit au long processus de dépolitisation de la sûreté de l’Etat et de ses atteintes, tout comme aux nouveaux usages étatiques de l’exception en droit, éclaire dès lors un phénomène plus général de bouleversement des missions de la justice et de sa place dans le dispositif punitif »[188]. Le gouvernement le nie[189], sans nécessairement convaincre[190].
De fait, le contrôle exercé par les juridictions judiciaires sur la mise en oeuvre de la législation antiterroriste est, dans une large mesure, limité par les corollaires de la légalité criminelle. En premier lieu, le juge ne peut mettre en oeuvre que les pouvoirs que le législateur lui concède; la police administrative, dont l’importance dans la lutte contre le terrorisme ne cesse de croître avec la bénédiction active du Conseil constitutionnel, est ainsi soustraite à sa compétence, lors même qu’elle porte des atteintes non négligeables aux droits fondamentaux[191]. En second lieu – et surtout -, le juge est le serviteur de la loi: quel que soit son point de vue personnel sur une disposition législative, il est tenu de la mettre en oeuvre; qu’un juge trouve qu’une disposition législative porte une atteinte exagérée aux droits fondamentaux de l’individu qui en subit les effets ne l’autorise pas à juger illicites les actes accomplis conformément à cette disposition, sauf à trouver dans une norme internationale – principalement la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme – le moyen de l’écarter[192].
Cependant, les contraintes légales qui restreignent l’exercice de son office ne suffisent pas à expliquer le faible niveau d’exigence dont fait souvent preuve le juge judiciaire lorsqu’il a à connaitre d’affaires de terrorisme. Il faut certainement prendre aussi en considération le fait que la magistrature est dans la Cité et qu’elle s’inspire des aspirations de cette dernière, ainsi que la question plus sensible de la déférence des magistrats envers l’exécutif. Si, en matière de lutte contre le terrorisme, l’autorité judiciaire assume généralement sa mission de garant des libertés fondamentales, elle n’échappe pas à la critique. Ainsi, à l’instar des juridictions administratives, les juridictions pénales du fond ne semblent pas garantir une application uniforme de la loi (1) tandis que la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation témoigne, en la matière, d’une pusillanimité peu rassurante au regard des faiblesses de la législation (2).
1- La « loterie » des juridictions du fond
A raison de la compétence concurrente à celle des juridictions territorialement compétentes dont jouit la juridiction spécialisée du tribunal de grande instance de Paris, il convient de la distinguer des juridictions provinciales.
Les articles 706-17 et suivants du code de procédure pénale permettent, en effet, aux magistrats spécialisés parisiens de préempter l’essentiel des affaires de terrorisme. Les éventuelles disparités dans le traitement des dossiers ne peuvent être considérées comme significatives au sein de cette juridiction. En revanche, d’autres critiques peuvent être formulées. S’agissant du ministère public, les limites de l’indépendance du parquet français à l’égard de l’exécutif sont suffisamment connues pour ne pas y revenir; dans une matière aussi sensible que la lutte contre le terrorisme, il n’est pas surprenant que les procureurs antiterroristes ne se soient jamais signalés par leur défiance envers le Gouvernement[193]. De surcroît, les limites du contrôle exercé par le ministère public sur l’activité policière en France, maintes fois signalées[194], se trouve exacerbées d’autant que les services de police susceptibles d’être saisis en matière de lutte contre le terrorisme sont peu nombreux[195] et que l’exigence de résultats est forte. Ce dernier reproche peut aussi être adressé aux magistrats instructeurs[196]. En revanche, il semble que le remplacement de certains de ces derniers a mis un terme à la pratique des juges du pôle d’instruction parisien de « miner les droits de la défense »[197], lesquels s’exercent à présent dans des conditions satisfaisantes[198]. Enfin, le taux d’acquittements et de relaxes devant les juridictions spécialisées, correctionnelle et criminelle, s’établit autour de cinq pour cent[199] – ce qui ne les distingue pas de la moyenne des cours d’assises et tribunaux correctionnels « ordinaires »[200]. Néanmoins, la sévérité des peines prononcées par ces juridictions peut être relevée[201].
Par ailleurs, à la suite des attentats perpétrés en janvier 2015, nombre de juridictions correctionnelles, disséminées sur le territoire national, ont eu à connaître d’affaires de provocation au terrorisme et d’apologie de ce dernier[202]. S’il n’est pas question de contester le principe de l’incrimination – le texte français semblant, au demeurant, conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme[203] -, le nombre très important de procédures diligentées dans les mois qui ont suivi autorise quelques remarques.
La première consiste à noter l’empressement des parquets à se conformer aux instructions – certes péremptoires[204] – de la Chancellerie, ainsi que le confirme le nombre spectaculaire d’affaires ayant donné lieu à poursuites: 298 entre le 7 janvier et le 12 février 2015 et 285 entre le 14 novembre et le 10 décembre 2015[205]. Cela témoigne, s’il en était besoin, du degré d’indépendance du ministère public en France.
En deuxième lieu, presque cinquante pour cent de ces affaires ont été jugées en comparution immédiate, ce qui était effectivement l’un des objectifs de la loi du 13 novembre 2014[206], mais pourrait éventuellement exposer la France à une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, si en matière de lutte contre terrorisme, les Etats sont autorisés par la Convention à porter d’importantes restrictions aux droits garantis à l’article 10[207], particulièrement dans les cas où l’apologie du terrorisme se double de provocation à la violence[208], la Cour exige en revanche « du gouvernement qu’il témoigne de retenue dans l’usage de la voie pénale (CEDH, GC, 28 septembre 1999, Oztürk c. Turquie, n°22479/93). Si la sanction est jugée disproportionnée, cela peut conduire la Cour à constater une violation, malgré l’existence d’un ‘besoin social impérieux’ justifiant au départ l’ingérence étatique (CEDH, 13 janvier 2009, Mehmet Cevher Ilhan c. Turquie, n°15719/03). La Cour insiste également sur le fait que l’application d’une mesure limitant la liberté d’expression doit être entourée de garanties procédurales suffisantes, surtout quand cette mesure est prévue par une loi dont la formulation est particulièrement vague ou qu’elle doit faire l’objet d’un contrôle juridictionnel »[209]. Or, en l’espèce, alors même que la norme d’incrimination est peu précise, les difficultés inhérentes à la procédure de comparution immédiate pour l’exercice effectif des droits de la défense se sont effectivement doublées de la sévérité des peines prononcées[210].
Enfin, les quelques jugements dont nous avons pu avoir connaissance laissent à penser que, dans ce qui est devenu un temps un contentieux de masse, certaines disparités dans l’application de la loi peuvent être constatées, qui sont susceptibles – comme devant les juridictions administratives en matière de contentieux de l’assignation à résidence – de porter atteinte à l’égalité devant la loi[211].
Or, il n’est pas certain que le contrôle qui sera éventuellement exercé par la chambre criminelle de la Cour de cassation sera de nature à garantir une bonne administration de la justice, tant cette juridiction paraît privilégier, plus que d’ordinaire, l’efficacité répressive dans les affaires de terrorisme.
2- L’interprétation pusillanime de la législation par la Cour de cassation
Il ressort de l’examen de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation que, dès lors que les affaires soumises à son examen concernent des faits qualifiés de « terrorisme », la Haute juridiction semble plus préoccupée de préserver la répression que d’affirmer les principes qui doivent théoriquement gouverner l’application de la loi pénale.
Quatre exemples – deux relatifs au droit pénal matériel et deux relatifs à la procédure pénale – conduisent à le penser.
S’agissant du droit pénal matériel, l’exception « antiterroriste » se traduit par une certaine indifférence aux implications du principe de légalité criminelle.
Ainsi, par exemple, par un arrêt en date du 21 mai 2014, la chambre criminelle a décidé que le fait pour une association kurde d’avoir apporté un soutien logistique et financier effectif au PKK, organisation considérée comme terroriste, était suffisant à caractériser l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste. Or, l’article 421-2-1 du code pénal incrimine « le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédent ». En l’espèce, l’instruction n’avait pas permis d’établir que l’association préparait, d’une quelconque manière, un acte de terrorisme. En d’autres termes, aux mépris du corollaire de la légalité criminelle consacré à l’article 111-4 du code pénal, « l’objectif de préparation d’actes terroristes (…) est présumé par la proximité avec une organisation classée comme terroriste »[212].
De même, appelée à statuer sur une décision de la chambre de l’application des peines de la Cour d’appel de Paris qui avait rejeté une demande de placement en semi-liberté formée par une personne condamnée pour des faits de terrorisme, au motif que l’individu éprouvait des regrets quant aux victimes « mais point de compassion; qu’il n’avait pas renié ses convictions et qu’il n’existait pas de preuves de ce qu’il n’est plus en contact avec d’autres détenus basques », la chambre criminelle a approuvé la juridiction inférieure, estimant qu’elle avait pris « en considération les intérêts de la société, comme l’exige l’article 707, alinéa 2, CPP, et des parties civiles, comme l’exigent ce texte et l’article 712-16-1 ». M. Herzog-Evans dénonce justement l’exigence d’un « fait impossible » qu’elle qualifie, en illustrant son propos de précédents, de « constante dans la jurisprudence des juridictions antiterroristes » pour conclure: « que la justice prenne d’importantes précautions s’agissant d’auteurs de faits aussi graves que les faits terroristes, est parfaitement légitime; qu’elle se présente comme un droit d’exception est plus discutable »[213]. Habituellement, lorsque les juridictions inférieures ajoutent, sous couvert d’interprétation, des exigences à la loi pénale, elles sont sanctionnées par la Haute juridiction.
En procédure pénale, l’exception « antiterroriste » se manifeste plutôt par les entorses à sa propre jurisprudence qu’opère la chambre criminelle.
Par deux arrêts, respectivement du 18 août 2010[214] et du 28 février 2012[215], la chambre criminelle a consacré une « clause générale de sauvegarde des droits fondamentaux » par laquelle, dépassant la lettre du code de procédure pénale, elle s’autorise à contrôler la conformité aux droits fondamentaux – particulièrement ceux consacrés dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme – des mandats d’arrêt européens, lorsque la France est l’Etat requis. Cependant, y compris dans les cas où existaient des éléments objectifs autorisant à appréhender une éventuelle violation de l’article 3 de la Convention dans le pays requérant et malgré la définition extrêmement extensive du terrorisme en droit de l’Union européenne, la Haute juridiction a systématiquement refusé d’étendre le bénéfice de la clause aux personnes réclamées pour des faits qualifiés de « terrorisme »[216].
Par ailleurs, il a longtemps été reproché aux juridictions pénales françaises, y compris la Cour de cassation, de ne pas sanctionner, dans les procédures antiterroriste, l’utilisation de preuves obtenues illégalement, y compris celles obtenues par la torture dans des Etats étrangers avec lesquels nous pratiquons l’entraide judiciaire[217]. A notre connaissance, il n’existe pas d’affaire postérieure aux arrêts de la Cour européenne récents qui ont rappelé la prohibition absolue de cette pratique[218], dans laquelle il puisse être reproché à une juridiction antiterroriste française de ne pas s’être conformée aux exigences internationales – même si des doutes subsistent sur le recours par les services de renseignements à un « habillage » de l’origine des informations qu’ils transmettent aux juges; doutes corroborés par la signature par la France d’accords de coopération en matière de lutte contre le terrorisme avec des Etats accusés de tolérer l’utilisation de méthodes illégales par leurs services[219]. En revanche, par un arrêt en date du 3 septembre 2014[220], la chambre criminelle a confirmé la condamnation pour association de malfaiteurs terroriste prononcée contre six Français qui avait été détenus à Guantanamo. Elle avait préalablement cassé un arrêt de la Cour d’appel de Paris[221] qui avait annulé la procédure au motif que ces individus avaient été interrogés à l’intérieur du camp X-Ray par des agents de la DST et de la DGSE qui s’étaient fait passer pour des diplomates chargés de négocier leur libération, et qui avaient ensuite intégré dans la procédure les déclarations ainsi recueillies. Or, si l’on compare les arrêts de principe en matière de loyauté dans la collecte des preuves et de droit de ne pas s’auto-incriminer, rendus respectivement par la chambre criminelle le 7 janvier 2014[222] et par l’Assemblée plénière le 6 mars 2015[223], avec l’arrêt du 3 septembre 2014, on constate que la Haute juridiction pénale a procédé, en l’espèce, à un « revirement ad hoc » de sa propre jurisprudence pour préserver la répression.
La contribution de la chambre criminelle de la Cour de cassation à la lutte contre le terrorisme apparaît ainsi éloignée de l’idéal européen, récemment affirmé par le Tribunal de l’Union européenne, selon lequel la légitimité d’un système répressif réside dans le respect des garanties fondamentales des individus qui y sont exposés, particulièrement, par l’autorité chargée de décider de la sanction[224].
Dans ces conditions, les magistrats judiciaires peuvent légitimement se montrer offensés de la défiance que manifeste à leur endroit l’exécutif en matière de lutte contre le terrorisme; le manque d’éthique de résistance dont ils font preuve est bien mal payé de retour.
Toutefois, il faudra prêter une attention particulière à la prochaine décision de la chambre criminelle en cette matière pour voir si, à son tour, elle fera preuve, comme le Parlement, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat, d’une exigence plus grande de respect de la légalité en réaction à la dérive de la politique gouvernementale. On ne peut qu’espérer que les excès de l’état d’urgence et le mépris du Gouvernement pour le juge judiciaire la conduiront à traduire, dans sa jurisprudence, les ambitions exposées lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation[225].
Conclusion
L’étude des contrôles qui s’exercent sur l’élaboration et la mise en oeuvre de la législation antiterroriste en France inspire d’abord de l’inquiétude: face à un exécutif qui n’envisage que l’accroissement du domaine de l’exception et le durcissement de la répression ne se dressent a priori qu’un Parlement complice, au sein duquel règne un consensus sécuritaire, un Conseil constitutionnel complaisant, des juges administratifs conscients de leurs intérêts et une magistrature judiciaire soucieuse de ne pas déplaire.
On pourrait alors considérer que la France est tombée dans ce que R. Badinter appelle le « piège que l’histoire a déjà tendu aux démocraties », qui consiste à croire que c’est avec « des lois et des juridictions d’exception qu’on défend la liberté contre ses ennemis »[226].
On pourrait aussi estimer que le terrorisme révèle et exacerbe les travers des régimes auxquels il s’attaque et que les constats opérés ne sont que la forme paroxystique des faiblesses de la Vè République, comme les attentats du 11 septembre 2001 avaient révélé la réalité des prerogative powers aux Etats-Unis et ceux de juillet 2005 la défiance de l’exécutif britannique pour la magistrature. Auquel cas, les carences constatées pourraient s’inscrire dans une certaine « normalité » de la défaillance de l’Etat de droit français[227].
Pourtant, nous l’avons vu, la folle extravagance sécuritaire qui s’est emparée de l’exécutif à la suite des attentats perpétrés en novembre 2015 semble provoquer – enfin – une saine réaction de défiance de la part des contrôleurs: le Parlement a, pour la première fois, mis en place une mission parlementaire de contrôle des mesures prises pendant l’état d’urgence; le Conseil constitutionnel a multiplié, en décembre, les réserves d’interprétation et appelé le juge administratif à exercer un contrôle sévère de l’activité des autorités publiques, peut-être pour signifier au législateur qu’il avait atteint les limites de la conformité à la norme suprême dans ses recours à l’exception; de même, le Conseil d’Etat a durci son contrôle et ses exigences envers le ministère de l’Intérieur. La chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas été amenée à se prononcer sur l’application de la législation antiterroriste depuis les attentats du 13 novembre 2015; peut-être trouvera-t-elle dans les humiliations du juge judiciaire multipliées par le Gouvernement l’idée que le juge n’inspire le respect et ne trouve sa légitimité que dans l’exercice, exigeant et protecteur des droits individuels contre les ingérences de l’Etat, de son office.
Notes
[1] Intervention à l’Assemblée nationale le 17 juillet 1981, cité par V. Codaccioni, Justice d’exception – L’Etat face aux crimes politiques et terroristes, CNRS Ed. 2015, pp.260-261
[2] K. Roudier, Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Étude comparée des expériences espagnole, française et italienne, LGDJ, Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, t.140, 2012, pp.12-15; J.-F. Thony, Procureur général près la Cour d’appel de Colmar, Conférence « Le Parquet dans la lutte contre le terrorisme », IEP de Strasbourg, 16 avril 2015
[3] Loi n°86-1020 du 9 septembre 1986 dite Chalandon, sur les repentis, relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’Etat; loi n°87-542 du 16 juillet 1987 autorisant la ratification de la Convention européenne pour la répression du terrorisme; loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur; loi n°96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire; loi no 97-1273 du 29 décembre 1997 tendant à faciliter le jugement des actes de terrorisme; loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes; loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne; loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice; loi du 18 mars 2003, pour la sécurité intérieure; loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité; loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité; loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales; loi n°2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers; loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie; loi n°2008-1245 du 1er décembre 2008 visant à prolonger l’application des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers; loi n°2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures; loi n°2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale; décret du 24 décembre 2009 portant création du Conseil national du renseignement et du poste de coordonnateur national du renseignement; loi n°2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale; loi n°2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure; loi n°2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue; loi n°2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines.
[4] 2012: Attentats perpétrés par M. Merah à Toulouse et Montauban et revendiqué par Jund al-Kilafah, une organisation affiliée à Al-Qaida; 30 mai 2014: M. Nemmouche, soupçonné d’appartenir à Daech et d’avoir perpétré un attentat au musée juif de Bruxelles, est interpellé à Marseille; janvier 2015: attentats perpétrés, d’une part, à Paris par les frères Kouachi – qui se revendiquaient d’Al Qaida dans la Péninsule Arabique – et, d’autre part, à Montrouge et Paris, par A. Coulibaly – au nom de Daech -; 19 avril 2015: S.-A. Ghlam, soupçonné d’avoir préparé des attentats contre des églises de Villejuif sur ordre d’un « correspondant syrien », est interpellé; 26 juin 2015: tentative d’attentat perpétrée à Saint-Quentin Falavier par Y. Sahli (un drapeau de Daech est trouvé sur place); 21 août 2015: tentative d’attentat dans un Thalys perpétrée par A. El Khazzani, suspecté de s’être rendu en Syrie quelques temps plus tôt; 13 novembre 2015: attentats au Stade de France et au Bataclan, revendiqués par Daech.
[5] Loi n°2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme; loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière; loi n°2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales; loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme; loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement; loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions; projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, 23 décembre 2015 et projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, 23 décembre 2015
[6] Sur l’anticipation de la répression par la multiplication des incriminations « préventives » permettant l’exercice de la répression au stade préparatoire des infractions: J. Alix, Terrorisme et droit pénal, Etude critique des incriminations terroristes, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, vol. 91, 2010, pp. 400-424
[7] F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, 4è éd., Economica, Coll. Corpus Droit privé, 2015, pp.512-513 et pp.699-700: dérogations en matière de prescription de l’action publique, aux règles de compétence ordinaires pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des affaires terroristes, moyens procéduraux exceptionnels prévus aux articles 706-80 et s. du code de procédure pénale sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’implication d’une « bande organisée » (art. 706-73, 11° CPP), régime spécial d’exécution des peines.
[8] J. Alix, op. cit., p.6
[9] Par exemple, le recours aux techniques prévues par la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement ou les mesures d’assignation à résidence, de restriction du droit de manifester ou les perquisitions administratives nocturnes autorisées par la loi du 20 novembre 2015 sur l’état d’urgence
[10] V. Nouzille, Les tueurs de la République, Fayard, 2015; D. Revault d’Allonges, Les guerres du Président, Seuil, 2015; sur les problèmes juridiques posés par de telles pratiques: K. Ambos et J. Alkatout, « A-t-on « rendu service à la Justice »? La liquidation de Ben Laden sous l’oeil du droit international, RSC 3/2011, p.555
[11] Sur la doctrine du « droit pénal de l’ennemi » et ses évolutions depuis 1985, cf. D. Linhardt et C. Moreau de Bellaing, « La doctrine du ‘droit pénal de l’ennemi’. Linéaments d’une approche sociologique », Actes des journées d’étude «Droit pénal et politique de l’ennemi», Jurisprudence – Revue critique, Droit pénal et politique de l’ennemi, Université Savoie Mont Blanc, Lextenso diffusion, 2015, pp.33 à 50; cf. aussi, notre article, «Droit pénal de l’ennemi – Pour prolonger la discussion…», ibid., pp.105 à 129
[12] La diversité des origines sociales des « terroristes » est une constante depuis les anarchistes de la fin du XIXè siècle, en passant par les membres des groupes d’extrême-gauche des années 1970-1980 (Action directe en France), jusqu’aux djihadistes contemporains.
[13] Cf. dans le droit d’Ancien régime, les infractions de lèse-majesté: J.-M. Carbasse, Introduction historique au droit pénal, PUF, coll. Droit fondamental, 1990, pp.254-256; A. Langui et A. Lebigre, Histoire du droit pénal – I. Le droit pénal, Cujas, pp.199-204
[14] Par exemple, la surveillance de masse par les « boîtes noires » que les services de renseignements sont autorisés par la loi sur le renseignement à installer sur le réseau internet.
[15] A. Zennou, « Les Français prêts à restreindre leurs libertés pour plus de sécurité », Le Figaro, 17/11/2015
[16] V. Codaccioni, Justice d’exception – L’Etat face aux crimes politiques et terroristes, CNRS Ed. 2015, p.14; cf. aussi M. Dobry, Sociologie des crises politiques, La dynamique des mobilisations multisectorielles, 3e éd. Presses de Sciences Po, 2009 et K. Roudier, Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Étude comparée des expériences espagnole, française et italienne, LGDJ, Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, t.140, 2012, pp.8-9
[17] F. Saint-Bonnet, « Contre le terrorisme, la législation d’exception ? », Entretien avec F. Guénard publié dans laviedesidees.fr, le 23 novembre 2015
[18] Hormis – mais cela résulte de la tradition constitutionnelle française, et n’est donc pas « exceptionnel » – s’agissant des opérations extérieures de lutte contre le terrorisme.
[19] A. Petropoulou, Liberté et sécurité: les mesures antiterroristes et la Cour européenne des droits de l’homme, Pédone, Publications de la FMDH, série n°19, 2014, pp.14-15; pp.19-20 et pp.22-23
[20] M.-L. Basilien-Gainche, Etat de droit et états d’exception, Une conception de l’Etat, PUF, coll. Fondements de la politique, 2013, p.34
[21] V. Codaccioni, op. cit., p.17
[22] P. Durand, La décadence de la loi dans la constitution de la cinquième République, JCP 1959, I, 1470
[23] J. Mekhantar, Droit politique et constitutionnel, ESKA, coll. Droit public et sciences politiques, 1997, p.489
[24] A. Delcamp, J.-L. Bergel et A. Dupas, Contrôle parlementaire et évaluation, La Documentation française, coll. Les études de la DF, série Institutions, 1995, 248p ; P. Avril, Droit parlementaire et droit constitutionnel sous la Vè République, RDP 1984, p.573 et G. Carcassonne, Réhabiliter le Parlement, Pouvoirs, n°49, La cinquième République, 1989, p.37 et notre thèse de doctorat, La coopération policière franco-britannique dans la zone frontalière transmanche, Université de Poitiers, 2006, pp.459-507
[25] M.-H. Gozzi, « Sécurité et lutte contre le terrorisme: l’arsenal juridique encore renforcé », D. 2/2013. 194, p.194; R. Ollard et O. Desaulnay, « La réforme de la législation anti-terroriste ou le règne de l’exception pérenne » Droit pénal, 1/2015, Etudes n°1, p.7; N. Catelan, Commentaire de la loi n°2014-1353, RSC, 2/2015, p.426
[26] Loi n°86-1020 du 9 septembre 1986: campagne d’attentats du Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient (1985-1986) et assassinats perpétrés par Action directe; loi n°96-647 du 22 juillet 1996: attentats du Groupe Islamique Armé; loi n°2001- 1062 du 15 novembre 2001: attentat de New-York; loi n°2006-64 du 23 janvier 2006: attentats de Madrid (2004) et Londres (2005); loi n°2012-1432 du 21 décembre 2012: attentat perpétré par M. Merah; loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme: attentat perpétré par M. Nemmouche et proclamation du « califat islamique » par Daech; loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015: attentats de S. et C. Kouachi et A. Coulibaly; loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015, projet de loi constitutionnelle de protection de la nation et 23 décembre 2015 et projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale du 23 décembre 2015: Attentats du 13 novembre 2015
[27] Cf., par exemple, X. Latour, « La loi relative au renseignement: un Etat de surveillance? », JCP, A et CT, 40/2015, n°2286, p.43, sur les lacunes de l’étude d’impact relative à la loi sur le renseignement s’agissant des moyens budgétaires et humains de la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement; cf. aussi CNCDH, Plén., Avis sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, 25 septembre 2014
[28] Seuls deux exceptions peuvent être relevées, qui ne sont pas significatives. Ainsi, la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 a été portée par le garde des Sceaux par crainte que les moyens procéduraux dérogatoires qu’elle autorise dans les enquêtes en matière de criminalité organisée ne soient censurées par le Conseil constitutionnel si elles procédaient d’une loi ouvertement rédigée par le ministère de l’Intérieur. De même, le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale doit être porté par la garde des Sceaux, mais la presse s’est déjà fait l’écho de sa maigre contribution à ce texte et des arbitrages négatifs qu’elle a subi durant son élaboration (Le Monde, 7 et 8 et 11 janvier 2016)
[29] Ainsi, par exemple, de la justification des pouvoirs donnés aux services de renseignement par la loi du 24 juillet 2015, lors même qu’il a été établi, lors des attentats de 2012 comme de janvier et novembre 2015, que la difficulté ne résidait pas dans l’accès des services au renseignement mais dans la manière dont ils les avaient traités.
[30] Cette évolution a trouvé son expression paroxystique lors de l’adoption de la loi du 20 novembre 2015 prolongeant l’état d’urgence, qui se distingue, d’une part, par le fait qu’elle a été adoptée en quelques jours – alors même que le Parlement aurait pu discuter d’une semaine supplémentaire pour en débattre – et, d’autre part, par les résultats des votes: unanimité au Sénat et seulement six votes contre à l’Assemblée nationale, alors même que cette loi élargit substantiellement les pouvoirs d’exception confiés à l’administration hors de tout contrôle judiciaire, pourtant élaborés au début de la guerre d’Algérie.
[31] B. Manin, « Le paradigme de l’exception – Et si la fin du terrorisme n’était pas pour demain ? L’État face au nouveau terrorisme », La vie des idées.fr, 15/12/2015
[32] J. Alix, « La lutte contre le terrorisme sous le regard de la CNCDH », in Les grands avis de la CNCDH, à paraître; cf. aussi, P. Berthelet, Crimes et châtiments dans l’Etat de sécurité. Traité de criminologie politique, EPU 2015, p.652 et s. Au demeurant, le fondement de ce consensus nous semble aussi pouvoir être rattaché à l’aggiornamento du Parti socialiste en matière de sécurité et son adhésion à la doctrine sécuritaire néolibérale, actée par le colloque de Villepinte en 1997.
[33] F. Vadillo, « Retour sur la loi Renseignement de 2015 », EHESS, « Les démocraties libérales face au terrorisme: la réponse pénale, l’état d’urgence et la surveillance », 15 janvier 2016
[34] Cf., par exemple, s’agissant de la loi sur le renseignement de 2015: H. Henrion, « CNCIS et CNCTR, Quel contrôle? Les apports de la CNCDH », pp.21-35; Colloque SAF, « Non à la société de surveillance! Non aux lois d’exception! », Bayonne, 12 juin 2015; CNIL, Délibération n°2015-078 du 5 mars 2015 portant avis sur un projet de loi relatif au renseignement (demande d’avis n°15005319 du SG gouvernement), p.10
[35] Ainsi, durant la discussion du projet de loi antiterroriste de 2006, les parlementaires socialistes adoptèrent des positions essentiellement « droitsdel’hommistes » tandis que, depuis 2012, les interventions de l’opposition consiste principalement dans la mise en cause du « laxisme » ou de « l’angélisme » gouvernemental comme ayant contribué à permettre la survenance de l’attentat et dans l’exigence de mesures sécuritaires dépassant celles proposées par le Gouvernement, sans considération manifeste pour les contraintes constitutionnelles.
[36] Pour prendre un exemple récent, l’élargissement conséquent de la possibilité donnée au ministre de l’Intérieur d’assigner un individu à résidence, telle qu’elle résulte de la redéfinition des conditions opérée par la loi du 15 novembre 2015 n’a été que superficiellement abordée durant les débats parlementaires.
[37] Cf. les résultats du vote de la loi du 20 novembre 2015 prolongeant l’état d’urgence, précités. De même, les amendements ne semblent acceptés que lorsqu’ils durcissent encore le programme gouvernemental. Ainsi, durant le bref débat relatif à la loi prolongeant l’état d’urgence en novembre 2015, le Gouvernement a accepté l’amendement du très sécuritaire député « Les Républicains », E. Ciotti, portant la durée maximale d’enfermement à domicile dans le cadre d’une assignation à résidence de 8 à 12 heures. Il ne peut être exclu que de telle concession ait pour objet de faciliter le consensus parlementaire.
[38] Voire, dans la déférence manifestée envers l’injonction du Premier ministre de ne pas procéder à une telle saisine; cf. F. Saint-Bonnet, « Le terroriste djihadiste et les catégories juridiques modernes », JCP, G, 50/2015, p.2266
[39] art. 4-1 de la loi du 20 novembre 2015
[40] cf. http://www.urvoas.bzh: Discours du 19 novembre 2015, en qualité de rapporteur du projet de loi prorogeant l’état d’urgence; note du 2 décembre 2015 sur le contrôle parlementaire des mesures prises pendant l’état d’urgence; Première communication d’étape sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence (Réunion de la commission des Lois, 16 décembre 2015).
[41] Le discours du 19/11/2015 s’articule autour de « 1 – En adoptant ce projet de loi nous nous adaptons à une situation dramatique tout en ménageant les règles habituelles de l’Etat de droit et les libertés publiques » et « 2 – En approuvant ce texte, nous faisons disparaitre une des dernières traces d’un passé peu glorieux »
[42] Discours du 19/11/2015 in fine et introduction de la note du 2/12/2015
[43] Première communication d’étape, 16 décembre 2015, in fine
[44] En date du 13 janvier 2016 et par lequel la commission a estimé que l’état d’urgence était terminé, signifiant ainsi implicitement au Gouvernement qu’une deuxième demande de prolongation aurait plus de difficultés à prospérer que la première.
[45] Visiblement conçu par le Parlement comme un moyen de redorer son blason, une telle démarche pourrait, à terme, alimenter plutôt les théories complotistes.
[46] C. Bargues, « Les acteurs juridiques et les normes constitutionnelles reconnaissant les droits de l’homme en France », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 7 | 2015, mis en ligne le 02 juin 2015, consulté le 10 juillet 2015. URL : http://revdh.revues.org/1358
[47] P. Wachsmann, « Sur la composition du Conseil constitutionnel », Juspoliticum, n°5, 2010. Dès lors, et nous l’espérons, le renouvellement prévu en février prochain pourrait infléchir l’évolution de la jurisprudence du Conseil dans un sens plus garantiste.
[48] J.-F. Seuvic, « Force ou faiblesse de la constitutionnalisation du droit pénal », https://www.courdecassation.fr/IMG/File/pdf_2006/16-03-2006/16_03_06_seuvic.pdf
[49] Par exemple, en matière d’implication de la notion de « procès équitable ».
[50] M. Garrigos, Les aspects procéduraux de la lutte contre le terrorisme – Etude de droit interne et de droit international, Thèse de doctorat, Université de Paris I – Panthéon Sorbonne, 2004, p.374; P. Mazeaud, La lutte contre le terrorisme dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, conférence lors de la visite à la Cour suprême du Canada, 25 avril 2006, www.conseil-constitutionnel.fr
[51] J.-L. Debré, « Préface », in K. Roudier, Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Étude comparée des expériences espagnole, française et italienne, LGDJ, Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, t.140, 2012, pp.XIII-XIV
[52] Loi sécurité quotidienne du 15 novembre 2001 (A. Tsoukala, « La légitimation des mesures d’exception dans la lutte antiterroriste en Europe », Cultures&Conflits, n°61, 2006, p.5; M.-H. Gozzi, La loi sur la sécurité quotidienne et la lutte antiterroriste, Recueil Dalloz 2002, n°1, p.4); loi du 21 décembre 2012; loi du 13 novembre 2014 et loi du 20 novembre 2015
[53] K. Roudier, Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Étude comparée des expériences espagnole, française et italienne, LGDJ, Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, t.140, 2012
[54] K. Roudier, op. cit., thèse, p.80
[55] Ibid., p.325
[56] Ibid., p.326s
[57] Ibid., p.362
[58] K. Roudier, « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Étude comparée des expériences espagnole, française et italienne, Prix de thèse du Conseil constitutionnel 2012 », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 37 – octobre 2012
[59] K. Roudier, op. cit., thèse, p.379
[60] Ibid., p.380
[61] Ibid., p.99
[62] Cons. const., déc. n°86-213 DC, 3 septembre 1986, cons. 17
[63] C. Bargues, op. cit.
[64] P. Wachsmann, « Chronique de jurisprudence – Décision du Conseil constitutionnel n°85-187 DC du 25 janvier 1985 (loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie) », AJDA, 1985, p.363
[65] Validation des règles spéciales de jugement, de la prolongation exceptionnelle de la garde à vue, de la définition pourtant peu précise des infractions terroristes (K. Roudier, op. cit., p.315), des perquisitions nocturnes en enquête de flagrance.
[66] Censures: manquement au principe de non-rétroactivité des lois pénales (J.-F. Seuvic, « Chronique », RSC 1997, p. 405), au principe de proportionnalité et, surtout, exigence du contrôle du juge judiciaire sur l’ensemble des atteintes à la liberté individuelle – cette dernière étant alors considérée au prisme d’une interprétation extensive de l’article 66 de la Constitution comme englobant toutes les libertés individuelles constitutionnellement garanties.
[67] V. Goesel-Le Bihan, « Le contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil constitutionnel », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n°22, 2007, pp.207-215; cf. aussi M. Garrigos, op. cit., pp.91-92
[68] M. Garrigos, op. cit., p.80
[69] Relative à la loi portant statut de la Polynésie française
[70] F. Luchaire, « Brèves remarques sur une création du Conseil constitutionnel: l’objectif de valeur constitutionnelle » RFDC 2005, n°64, pp.679-680
[71] A. Jennequin, « Le contrôle de compatibilité avec la Constitution en matière de droit pénal », AJDA, 2008, p.594
[72] C. Grewe et R. Koering-Joulin, « De la légalité de l’infraction terroriste à la proportionnalité des mesures antiterroristes », in Mélanges G. Cohen-Jonathan – Liberté, justice, tolérance, Bruylant, 2004, pp.915-916
[73] Par exemple, déc. n°2005-532 DC du 19 janvier 2006, à propos de la disposition permettant aux services chargés de la lutte contre le terrorisme de réquisitionner les données techniques de connexion dans le cadre d’enquêtes administratives; déc. n°2012-228/229 QPC du 6 avril 2012: la différence de traitement instituée entre les suspects de crime entraînant « une discrimination injustifiée », censure des septièmes alinéas des articles 64-1 et 116-1 du CPP qui excluaient l’enregistrement, en matière criminelles, de l’audition du gardé à vue et du mis en examen en matière de crime organisé ou d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation; déc. n°2004-492 DC du 2 mars 2004 (validation de l’article 706-95 CPP): si le Conseil constitutionnel continue de s’assurer que les pouvoirs dérogatoires confiés à la police restent soumis au contrôle du juge judiciaire, il signale implicitement au législateur son renoncement à procéder à un contrôle de la proportionnalité exigeant de ces dispositions (Y. Bisiou, Enquête proactive et lutte contre la criminalité organisée en France, in M.-L. Cesoni (dir.), Nouvelles méthodes de lutte contre la criminalité : la normalisation de l’exception – Etude de droit comparé (Belgique, Etats-Unis, Italie, Pays-Bas, Allemagne, France), Bryulant / LGDJ, 2007, p.353).
[74] Comp., à propos des contrôles d’identité frontaliers: Cons. const. déc. n° 93-323 DC du 5 août 1993, loi relative aux contrôles et vérifications d’identité et Cons. const., déc. n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers; cf. aussi, déc. n°2004-492 DC du 2 mars 2004 et déc. n°96–377 DC du 16 juillet 1996 à propos des perquisitions de nuit en enquête préliminaire (la substitution du juge des libertés et de la détention au procureur de la République par la loi de 2004 n’est pas de nature à justifier le revirement du Conseil constitutionnel, les considérants relatifs à la garde à vue confirmant que le Conseil constitutionnel considère, comme aujourd’hui et malgré la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le parquet comme constitué de magistrats, au sens de l’article 66 de la Constitution (V. Bück, Chronique de droit constitutionnel pénal, Revue de sciences criminelles 1/2005, pp.122-134; J.-E. Schoettl, La loi « Perben II » devant le Conseil constitutionnel – Décision n°2004-492 DC du 24 mars (loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité), Gazette du Palais, Recueil mars-avril 2004, p.893).
[75] H. Leclerc, La dérive des libertés en France, Petites Affiches, 7 avril 2005, n°69, p.22; sur le contrôle du juge des libertés et de la détention: P. Le Monnier de Gouville, Le juge des libertés et de la détention. Entre présent et avenir, Thèse de doctorat (D. Rebut, dir.), Université de Paris II – Panthéon-Assas, 2011
[76] Par exemple: déc. n°2010-31 QPC du 22 septembre 2010 relative à la possibilité de porter à six jours la garde à vue des terroristes présumés, le Conseil relève qu’« il ressort des travaux parlementaires qu’une telle dérogation (…) ne peut être mise en oeuvre qu’à titre exceptionnel pour protéger la sécurité des personnes et des biens contre une menace terroriste imminente et précisément identifiée ».
[77] K. Roudier, op. cit., p.290; CNIL, Rapports annuels, 2004 à 2006; CE, 28 juillet 1995, CGT et Council of the European Union, Presidency in co-operation with the Counter Terrorism Coordinator, Final report on the Evaluation of National Anti-Terrorist Arrangements: Improving national machinery and capability for the fight against terrorism, 12168/3/05 REV 3, 18 November 2005: Recommendation 7: Access to databases
[78] Par exemple, déc. n°2005-532 DC du 19 janvier 2006: pouvoir donné aux agents chargés de la lutte contre le terrorisme, agissant dans le cadre d’enquêtes administratives, de requérir, hors de tout contrôle judiciaire, les données de connexion des utilisateurs, à condition que la mise en oeuvre de cette prérogative soit soumise au contrôle de la CNIL; cf. J. Boyer, Fichiers de police judiciaire et normes constitutionnels : quel ordre juridictionnel ? (Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel du 13 mars 2003 relative à la loi sur la sécurité intérieure, ou « Splendeurs et misères… »), Petites affiches, 22 mai 2003, n°102, p.14
[79] K. Roudier, op. cit., pp.100-101; par exemple: déc. n°2011-223 QPC: atteinte à la liberté de choix de l’avocat pour les suspects de terrorisme (art. 706-88-2 du code de procédure pénale); censure, non sur le principe, mais à raison de la définition insuffisante des exigences de motivation de sa décision imposées au juge pour l’ordonner; décision n°2011-223 QPC du 17 février 2012 (J.-B. Perrier, « Restriction au libre choix de l’avocat lors de la garde à vue en matière de terrorisme: une inconstitutionnalité et une possibilité – note s/ Cons. const. 17 février 2012, n°2011-223 QPC », AJ Pénal, 06/2012, p.343; cf. aussi Cons. const., décision n° 2014-428 QPC du 21 novembre 2014, M.Nadav B. [Report de l’intervention de l’avocat au cours de la garde à vue en matière de délinquance ou de criminalité organisées]; François Desprez, « Conformité à la Constitution du report de l’intervention de l’avocat au cours de la garde à vue pour criminalité organisée », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 23 décembre 2014. URL : http://revdh.revues.org/1035).
[80] Décision n°2015-490 QPC du 24/10/2015 (http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/videos/2015/octobre/affaire-n-2015-490-qpc.144426.html)
[81] Déc. n°2014-439 QPC du 23 janvier 2015: validation de la peine de déchéance de la nationalité française applicable aux personnes ayant acquis la nationalité française, définitivement condamnées pour une infraction terroriste (C. Chassang, « Constitutionnalité de la déchéance de nationalité pour acte de terrorisme; note s/ Cons. const. 23 janvier 2015, n°2014-439 QPC, M. Ahmed S. », AJ Pénal 4/2015, p.201 cf. aussi: P. Lagarde, note s/ Cons. const. 23 janvier 2015, n°2014-439 QPC, Rev. crit. DIP, n°104, 1/2015, p.119); déc. n°2015-478 QPC du 24 juillet 2015; déc. n°2015-490 QPC du 14 octobre 2015: validation du dispositif d’interdiction administrative de sortie du territoire visant les ressortissants français prévu à l’article L224-1 du code de la sécurité intérieure.
[82] R. Parizot, « Surveiller et prévenir… à quel prix? Loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 sur le renseignement », JCP, G, 41/2015, p.1816; O. Desaulnay et R. Ollard, « Le renseignement français n’est plus hors la loi. Commentaire de la loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement », Droit pénal, 9/2015, Etude n°17; X. Latour, « La loi relative au renseignement: un Etat de surveillance? », JCP, Admi. et Coll. tertio., 40/2015, n°2286, p.43; M. Verpeaux, « La loi sur le renseignement, entre sécurité et libertés – A propos de la décision du Conseil constitutionnel n°2015-713 DC du 23 juillet 2015, JCP, G, 38/2015; M.-H. Gozzi « Sed quis custodiet ipsos custodes? A propos de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, JCP, G, 38/2015, p.1608. Le seul satisfecit que nous avons pu trouver est délivré par J.-P. Derosier , « La loi renseignement: de l’état de surveillance à l’état de bienveillance », note n°16 – Fondation Jean-Jaurès Thémis – Observatoire justice et sécurité – 23 novembre 2015 (dirigé par J.-J. Urvoas)
[83] Précitées
[84] cons. 72 à 74
[85] Relatives, d’une part, à l’énumération particulièrement extensive des finalités pour lesquelles les services de renseignement peuvent recourir aux techniques spéciales et, d’autre part, à la réquisition administrative des données techniques de connexion auprès des opérateurs.
[86] A propos de la procédure dite d’« urgence opérationnelle » et de la surveillance des communications émises et reçues de l’étranger.
[87] La condamnation récente de la Hongrie pour violation de l’article 8 de la CESDH à raison de l’insuffisante effectivité du contrôle de sa législation anti-terroriste permettant la surveillance de masse indiscriminée (CEDH, 12 janvier 2016, Szabo et Vissy c. Hongrie, n°37138/14) pourrait, comme en matière de garde à vue, mettre le Conseil constitutionnel en porte à faux avec les obligations internationales contractées par la France.
[88] Le Conseil constitutionnel est, en cela, cohérent avec l’appréciation qu’il a précédemment porté sur l’assignation à résidence des étrangers en situation irrégulière (Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-631 DC). Il n’en reste pas moins que cette analyse systématique est peu conforme à l’exigence formulée par la Cour européenne des des droits de l’homme d’un examen circonstancié in concreto et individualisé de la privation de liberté (CEDH, 20 avril 2010, Villa c/ Italie)
[89] Or, le législateur avait saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’avis sur la légalité de tels camps (infra).
[90] P. Cassia, « De la différence entre la théorie et la pratique juridiques », 23 décembre 2015, Le blog de Paul Cassia
[91] S. Degirmenci, « Une validation sinueuse de l’assignation à résidence en état d’urgence doublée d’un appel renforcé au contrôle du juge administratif », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 31 décembre 2015, consulté le 31 décembre 2015. URL : http://revdh.revues.org/1763
[92] Déc. n°2014-439 QPC, précitée.
[93] K. Roudier, op cit., thèse, pp.136 et 138
[94] J. Alix, « Fallait-il étendre la compétence des juridictions pénales en matière terroriste? (à propos de l’article 2 de la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme) », D. 8/2013, p.518; J. Alix, « La répression de l’incitation au terrorisme », Gaz. Pal., éd. spéc., n°53 à 55, 2015, p.4; J.-L. Gillet, P. Chaudon et W. Mastor, Terrorisme et liberté (débat), Constitutions, 3/2012, p.409; C. Mauro, Une nouvelle loi contre le terrorisme: quelles innovations? à propos de la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014, JCP, G, 48/2014, 1203; R. Ollard et O. Desaulnay, « La réforme de la législation anti-terroriste ou le règne de l’exception pérenne » Droit pénal, 1/2015, Etudes n°1, p.8; N. Catelan, Commentaire de la loi n°2014-1353, RSC, 2/2015, p.435; M. Danti-Juan, « Quelques remarques sur les principales mesures de droit pénal spécial issues de la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme », RPDP, 01/2015, p.142; V. Malabat, « Quand le droit pénal se perd entre égalité réelle et terrorisme éventuel… », RPDP, 3/2014, p.627; V. Codaccioni, Justice d’exception – L’Etat face aux crimes politiques et terroristes, CNRS Ed. 2015, pp.280-281; Florent Guénard, « Le 11 septembre et l’anti-terrorisme. Entretien avec Antoine Garapon », La Vie des idées , 9 septembre 2011. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Le-11-septembre-et-l-anti.html)
[95] J. Corroyer, « Droit pénal de l’ennemi et anticipation », Jurisprudence, Revue critique « Droit pénal et politique de l’ennemi », 2015, p.137; cf. aussi, art. 421-2-6 du code pénal, introduit par la loi n°2014-1353, aux termes duquel: « I.-Constitue un acte de terrorisme le fait de préparer la commission (d’un acte de terrorisme), dès lors que la préparation de ladite infraction est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur et qu’elle est caractérisée par : 1° Le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ; 2° Et l’un des autres faits matériels suivants : (…) c) Consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne ou détenir des documents provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ».
[96] M. Valls, « Défendre l’Etat par la force du Droit », Rencontres internationales des Magistrats antiterroristes, Paris, 27/29 avril 2015, Les Annonces de la Seine, n°16/2015, p.6
[97] D. Brach-Thiel, Le nouvel article 113-3 du code pénal: contexte et analyse, AJPénal, 2/2013, p.91
[98] J. Alix, Réprimer la participation au terrorisme, RSC 2014, p.849, cf. aussi P. Chrestia, La loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme : premières observations, Recueil Dalloz, n°21, 2006, p.1409
[99] L’ancien directeur de l’UCLAT préfère parler de stratégie de « neutralisation judiciaire préventive » (C. Chaboud, cité par V. Codaccioni, Justice d’exception – L’Etat face aux crimes politiques et terroristes, CNRS Ed. 2015, p.282)
[100] La DGSI, par exemple
[101] J. Moreau, « Police et séparation des autorités administrative et judiciaire » in C. Vautrot-Schwarz (dir.), La police administrative, PUF, coll. Thémis – essais, 2014, pp.31-32
[102] Cf. aussi Livre blanc du gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme, La France face au terrorisme, La documentation française, 2006: « Pour être efficace, un dispositif judiciaire de lutte contre le terrorisme doit combiner un volet préventif, dont l’objet est d’empêcher les terroristes de passer à l’action, et un volet répressif, destiné à punir les auteurs d’attentats, leurs organisateurs et leurs complices. Le système français obéit à cette logique. Mais son originalité et sa force réside dans le fait que la frontière entre prévention et répression n’est pas étanche »
[103] Plus précisément, relèvent de la police administrative la surveillance, éventuellement aléatoire, d’internet ou l’infiltration des lieux où sont susceptibles de se rencontrer des aspirants terroristes.
[104] Pour l’illustrer, à propos du blocage administratif des sites internet prévu par la loi du 13 novembre 2014: R. Ollard et O. Desaulnay, « La réforme de la législation anti-terroriste ou le règne de l’exception pérenne » Droit pénal, 1/2015, Etudes n°1, p.10
[105] Par exemple: J.-P. Derosier , La loi renseignement: de l’état de surveillance à l’état de bienveillance, note n°16 – Fondation Jean-Jaurès Thémis – Observatoire justice et sécurité – 23 novembre 2015; cf. aussi: M. Quéméner, « Entretien – Circulaire du 5 décembre 2014: quels progrès pour la lutte contre le terrorisme? », D. 3/2015. 200
[106] Sur ce point, cf. E. Dreyer, « Les restrictions administratives à la liberté d’aller et de venir des personnes suspectées de terrorisme », Gaz. Pal., éd. spécialisée, n°53-55/2015, p.22
[107] Nous soulignons
[108] J. Alix, « Fallait-il étendre la compétence des juridictions pénales en matière terroriste? », D.2013. 518; D. Brach-Thiel, « Le nouvel article 113-13 du code pénal: contexte et analyse », AJ Pénal, 2013. 90; T. Herran, « La nouvelle compétence française en matière de terrorisme – Réflexions sur l’article 113-13 du code pénal », Droit pénal, 4/2013, Etudes n°4
[109] CNCDH, Avis sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, 25 septembre 2014
[110] J. Alix, « La lutte contre le terrorisme sous le regard de la CNCDH », précité
[111] J. Moreau, op. cit., p.26
[112] CE, 14 novembre 2005, Rollin n° 28683 rendue par M. Genevois
[113] D. Bigo, « Exception et ban: à propos de l’état d’exception », Erytheis, n°2, 11/2007, p.128
[114] M.-L. Basilien-Gainche, op. cit., pp.284-285
[115] Ainsi, à raison de la jurisprudence du Conseil constitutionnel précédemment rappelée, le juge pénal se voit, conformément aux dispositions de l’article 62 de la Constitution, privé de toute possibilité d’exercer son contrôle sur les actes qualifiées de « police administrative ».
[116] Par exemple, la notion d’apologie du terrorisme et l’élément matériel de l’entreprise terroriste individuel ou les conditions permettant d’assigner un individu à résidence.
[117] Déclaration consignée dans une Note verbale de la Représentation Permanente de la France, datée du 24 novembre 2015, enregistrée au Secrétariat Général le 24 novembre 2015 – Or. fr.
[118] A. Petropoulou, Liberté et sécurité: les mesures antiterroristes et la Cour européenne des droits de l’homme, Pédone, Publications de la FMDH, série n°19, 2014, pp.109-113
[119] CE, 28 juin 1918, Heyriès, Rec. p. 651; CE, 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, Rec. p.208
[120] Crim. 13 octobre 2004, BC n°243, AJ Pénal 2004, p.451, obs. C.-S. Enderlin
[121] CE 19 mai 1933, n° 17413, Benjamin et syndicat d’initiative de Nevers, Lebon 541
[122] Le « logiciel interprétatif du Conseil d’Etat s’agissant des interdictions préventives fondées sur l’ordre public pour empêcher une infraction pénale » (Selon la formule de S. Slama) a été récemment rappelé par la rapporteure publique A. Bretonneau, « Conclusions – Légalité de la circulaire Valls dans l’affaire Dieudonné », AJDA 2015, p.2508
[123] Selon la formule d’A. Petropoulou, Liberté et sécurité: les mesures antiterroristes et la Cour européenne des droits de l’homme, Pédone, Publications de la FMDH, série n°19, 2014, p.103; cf. aussi, CE, Ass., 24 mars 2006, Rolin et Boisvert,
[124] http://www2.assemblee-nationale.fr/14/commissions-permanentes/commission-des-lois/controle-parlementaire-de-l-etat-d-urgence/controle-parlementaire-de-l-etat-d-urgence/donnees-de-synthese/mesures-administratives-prises-en-application-de-la-loi-n-55-385-du-3-avril-1955-depuis-le-14-novembre-2015-au-7-janvier-2016; ainsi, deux recours ont été exercés suite aux perquisitions tandis que soixante-sept référés-libertés et cinquante-trois recours pour excès de pouvoir ont été introduits contre des mesures d’assignations à résidence (dont, respectivement, trois et un ont conduit à l’annulation de la décision).
[125] Par exemple, TA Paris, Juge des référés, n°1519299/9, M. Joël D. et autres, Ordonnance du 26 novembre 2015, 54-035-01-05, 54-035-03-03-01-02, 49-04-02-01 C ou TA Paris, juge des référés, M.A., ordonnance du 27 novembre 2015, n°1519031
[126] Rappelons que la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015, en son article 4, 2°, modifie l’article 6 de la loi n°55-385 et prévoit que « Le ministre de l’intérieur peut prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret (…) et à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics » et que « La personne (…) peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d’habitation déterminé par le ministre de l’intérieur, pendant la plage horaire qu’il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures » et se voir imposer diverses obligations. La nouvelle loi crée aussi un article 14-1 de la loi de 1955 aux termes duquel: « les mesures prises sur le fondement de la présente loi sont soumises au contrôle du juge administratif dans les conditions fixées par le code de justice administrative, notamment son livre V ». Dans sa circulaire aux préfets (Circulaire du ministère de l’intérieur aux Préfets, mise en oeuvre du décret n°2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n’°55-385 du 3 avril 1955 modifiée instituant l’état d’urgence et du décret n°2015-1476 du 14 novembre 2015 relatif à l’application de la même loi, NOR:INTK1500247J, 14 novembre 2015), le ministre de l’Intérieur rappelle que « l’état d’urgence a été déclaré (…) afin, dans un contexte marqué par la menace terroriste et les terribles attentats du 13 novembre 2015, de renforcer les compétences de police administrative des autorités de l’Etat et ainsi de rétablir la sécurité des populations » et qu’il importe en particulier que les mesures que vous prendrez soient nécessaires et proportionnées à l’importance des troubles ou de la menace qu’il s’agit de prévenir »
[127] Arrêtés d’assignation à résidence pris contre des militants écologistes à l’occasion de la conférence sur le climat COP21, 24 et 25 novembre 2015 (non publiés).
[128] https://considerantque.wordpress.com/2016/01/02/letat-durgence-face-au-juge-liste-des-suspensions-et-des-jugements-en-exces-de-pouvoir/
[129] Ce qui, s’agissant de la contestation de notes blanches souvent imprécises, revient à exiger du requérant une sorte de probatio diabolica.
[130] TA Paris, 27 novembre 2015, n°1519030 et n°1519031; TA Bordeaux, 17 décembre 2015, n°1505132; TA Nîmes, 17 décembre 2015, n°1503699 et n°1503795; TA Versailles, 21 décembre 2015, n°1507635; TA Melun, 30 novembre 2015, n°395009. Cf. aussi TA Rennes, 30 novembre 2015, n°394990, 394991, 394992, 394993 et 395002; TA Cergy-Pontoise, 28 novembre 2015, n°394989 (défaut d’urgence).
[131] TA Nice, 3 décembre 2015, n°1504743 (suspension d’un arrêté portant interdiction de fréquenter certains lieux de culte); TA Cergy-Pontoise, Juge des référés, 17 décembre 2015, n°1510839; TA Lille, Juge des référés, 22 décembre 2015, n°1510268; TA Poitiers, 27 décembre 2015, n°1502827 (suspension d’arrêtés portant assignation à résidence).
[132] TA Pau, 30/12/2015 (cité par J.-B. Jacquin, « Etat d’urgence: le réveil des tribunaux administratifs », Le Monde 2-4/01/2016)
[133] Comp. par exemple: TA Paris, 27 novembre 2015, n°1519030 et TA Poitiers, 27 décembre 2015, n°1502827
[134] CE, 9 décembre 2005, Mme Allouache
[135] Conformément à la jurisprudence habituelle en matière de référé-liberté (art. L521-2 du code de justice administrative)
[136] TA, Cergy, 28 nov. 2015 ; TA Melun, 8 déc. 2015, n° 1509962
[137] Comp. TA Bordeaux, 17 décembre 2015, n°1505132 et TA Cergy-Pontoise, Juge des référés, 17 décembre 2015, n°1510839
[138] Comp. TA Paris, 27 novembre 2015, n°1519030 et TA Lille, 22 décembre 2015, n°1510268
[139] Etat d’urgence : des juges administratifs appellent à la prudence, 29 décembre 2015, par Les invités de Mediapart Édition, https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/291215/etat-d-urgence-des-juges-administratifs-appellent-la-prudence
[140] Selon l’expression de X. Latour, précité
[141] Nous sommes parfaitement conscient qu’il n’est guère approprié de traiter des avis rendus par le Conseil d’Etat dans des développements consacrés au contrôle juridictionnel. Cependant, considérant la cohérence qui lie les avis rendus sur les projets de loi et les solutions apportées par le Conseil d’Etat au contentieux dont il a été saisi, il a paru opportun de les présenter ensemble.
[142] Les avis rendus sur les lois antiterroristes de 2012 et 2014 n’ont, à notre connaissance, pas été rendus publics.
[143] Conseil d’Etat, Assemblée générale, Sections de l’intérieur et de l’administration, 19 mars 2015, Avis consultatif, Renseignement, n°389.754
[144] Par exemple, la définition des domaines de compétence des services de renseignement.
[145] CEDH, 29 juin 2006, Weber et Saravia c. Allemagne, n°54934/00; CEDH, 1 juillet 2008, Liberty et autres c. Royaume-Uni, n°58243/00; CEDH, 18 mai 2010, Kennedy c. Royaume-Uni, n°26839/05; CEDH, 2 février 2010, Daléa c. France, n°967/07
[146] A. Petropoulou, op. cit., p.448-492
[147] CEDH, plénière, 6 septembre 1978, Klass et autres c. Allemagne, n°5029/71, §42
[148] CEDH, 24 avril 1990, Huvig c. France, n°11105/84; CEDH, 24 avril 1990, Kruslin c. France, n°11801/85; CEDH, 23 novembre 1993, A. c. France, n°14838/89; CEDH, 24 août 1998, Lambert c. France, n°88/1997/872/1084; CEDH, 31 mai 2005, Vetter c. France, n°59842/00; CEDH, 17 décembre 2009, Bouchacourt c. France, n°5335/06, CEDH, 17 décembre 2009, Gardel c. France, n°16428/05
[149] CEDH, GC, 4 mai 2000, Rotaru c. Roumanie, n°28341/95 et CEDH, GC, 4 décembre 2008, S et Marper c. Royaume-Uni, n°30562/04 et n°30566/04
[150] CEDH, 6 juin 2006, Segerstedt-Wiberg et autres c. Suède, n°62332/00
[151] CEDH, 23 avril 1997, Van Mechelen c. Pays-Bas, n°21363/93, 21364/93 et 21427/93; CEDH, GC, 16 février 2000, Rowe et Davis c. Royaume-Uni, n°28901/95; CEDH, GC, 19 février 2009, A et autres c. Royaume-Uni; cf. A. Petropoulou, Liberté et sécurité: les mesures antiterroristes et la Cour européenne des droits de l’homme, Pédone, Publications de la FMDH, série n°19, 2014, pp.214-215
[152] CJUE, GC, 8 avril 2014, Digital Rights Ireland Ltd & Michael Seitlinger e.a. (affaires jointes C-293/12 & C-594/12); cf. Marie-Laure Basilien-Gainche, « Une prohibition européenne claire de la surveillance électronique de masse », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 14 mai 2014, consulté le 28 décembre 2015. URL : http://revdh.revues.org/746; cf. aussi; CEDH, 12 janvier 2016, Szabo et Vassi c. Hongrie, précité.
[153] Selon la formule de F. Varillo, précité
[154] CE, Section de l’intérieur, Avis sur un projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, n°390.786, 17 novembre 2015
[155] Ass, 24 mars 2006, Rolin et Boisvert
[156] Cons. 5 à 7
[157] Cons. 9
[158] Cons. 10
[159] Cons. 12
[160] Conseil d’Etat, Assemblée générale, Section de l’intérieur, Avis sur la constitutionnalité et la compatibilité avec les engagements internationaux de la France de certaines mesures de prévention du risque de terrorisme, n° 390867, 17 décembre 2015
[161] §.6
[162] Projet de loi constitutionnelle n°3381 de protection de la Nation, en registré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 décembre 2015
[163] Conseil d’Etat, Assemblée générale, Section de l’intérieur, Avis sur le Projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, 11 décembre 2015, n°390866
[164] §.10
[165] G. Bigot, Ce droit qu’on dit administratif… Etudes d’histoire du droit public, La mémoire du Droit, 2015, pp.XV-XVI
[166] Ibid., pp.XXIII-XXIV. Cf. aussi, pp.XLIII-XLIV et pp.61-62
[167] §.10
[168] §.12
[169] §.14
[170] Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques
[171] X. Domino, rapporteur public, conclusions
[172] Projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, exposé des motifs: « Il est indispensable, pour approfondir la lutte contre le terrorisme, que les autorités administratives puissent recourir à ces mesures pendant une période limitée mais suffisamment longue pour s’assurer que les réseaux terroristes, au-delà des procédures juridictionnelles en cours, puissent être, par des actions coercitives, mis hors d’état de nuire » et « ces différentes évolutions visant à rendre plus efficace la prévention d’actes terroristes notamment, doivent s’accompagner d’une adaptation et d’un renforcement des garanties offertes par la loi de 1955 dans la mise en œuvre des prérogatives confiées à l’autorité administrative ».
[173] Projet de loi prorogeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, étude d’impact du 17 novembre 2015, particulièrement les points 2.1 « Objectifs poursuivis par la loi », 2.2.1. « Modification des dispositions relatives à l’assignation à résidence », 2.2.1.1.- Adaptation des critères: « Le projet de loi fait évoluer le champ d’application de l’assignation à résidence afin de mieux répondre à l’objectif visé et à la réalité de la menace, en substituant aux termes « [de toute personne] dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics », qui apparaissent trop restrictifs, les termes « [de toute personne] à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics », qui permettent d’inclure dans le champ des personnes qui ont appelé l’attention des services de police ou de renseignement par leur comportement ou leurs fréquentations, propos ou projets. En effet, dans le cas de personnes soupçonnées de préparer des actes de terrorisme, les renseignements recueillis peuvent donner des indications sur la préparation d’un acte, alors que l’activité de la personne ne s’est jamais avérée dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics ».
[174] Mutatis mutandis, CEDH, 30 août 1990, Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, n°12244/86, 12245/86 et 12383/86, §32-34; CEDH, 6 septembre 1978, Klass et autres c. Allemagne, n°5029/71; CEDH, GC, 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni, n°22414/93; cf. A. Petropoulou, Liberté et sécurité: les mesures antiterroristes et la Cour européenne des droits de l’homme, Pédone, Publications de la FMDH, série n°19, 2014, pp.56-59
[175] CE, 11 décembre 2015, n°395009, 394990, 394992, 394993, 394989, 394991, 395002
[176] Cons. 27
[177] CE, 18 décembre 2015, association lutte pour un football populaire, association de défense et d’assistance juridique des intérêts de supporters, n°395339,395349
[178] Cons.5
[179] Etat d’urgence : des juges administratifs appellent à la prudence, 29 décembre 2015, précité
[180] CE, 23 décembre 2015, M. B., n°395229
[181] CE, 6 janvier 2016, ministre de l’intérieur c/ M. A…B, n°395620, 395621
[182] CE, 6 janvier 2016, Mme C…, n°395622
[183] M.-C. de Montecler, « Les modalités d’assignation à résidence passées au crible de l’intérêt de l’enfant », AJDA 2016 p.11
[184] Cf. aussi CE, 15 janvier 2016, Ligue des droits de l’homme, n°395091 et 395092: renvoi au Conseil constitutionnel de deux questions prioritaires de constitutionnalité portant respectivement sur l’article 8 (atteinte au droit d’expression collective et des opinions susceptible de résulter des mesures d’interdiction de réunions) et sur l’article 11 (atteinte au droit à la vie privée et aux dispositions de l’article 66 de la Constitution susceptibles de résulter des perquisitions administratives opérées de nuit) de la loi du 3 avril 1955, modifiée par la loi du 20 novembre 2015; cf. P. Cassia, « Perquisitions administratives et libertés constitutionnelles », 18 janv. 2016, Le blog de Paul Cassia
[185] Par exemple, CEDH, GC, Ramirez Sanchez c. France, 4 juillet 2006
[186] CEDH, GC, Öcalan c. Turquie, 12 mai 2005; CEDH, GC, Jalloh c. Allemagne, 11 juillet 2006; CEDH, GC, Söylemez c. Turquie, 21 septembre 2006; CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c. Turquie; CEDH, GC, 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France; cf. aussi H. Tigroudja, L’équité du procès pénal et la lutte internationale contre le terrorisme. Réflexions autour de décisions internes et internationales récentes, Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme n°69, 2007, p.22; A. Petropoulou, Liberté et sécurité: les mesures antiterroristes et la Cour européenne des droits de l’homme, Pédone, Publications de la FMDH, série n°19, 2014, p.195
[187] Op. cit., pp.254-255
[188] Ibid., pp.293-295
[189] B. Cazeneuve et C. Taubira, « Prétendre que le gouvernement procède à une mise à l’écart de la justice est une contrevérité », Le Monde, 07 janvier 2016
[190] M. Garrigos dénonçait déjà cette dérive il y a plus de dix ans (op. cit., pp.155-156).
[191] Cf. projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, 23 décembre 2015
[192] Ainsi, la législation issue de la loi Perben II pose quelques difficultés au regard des exigences européennes, en ce qu’elle transfère substantiellement la compétence de contrôle des procédures du siège (le juge d’instruction) vers le ministère public, dont on sait que le statut qui est le sien en France n’enthousiasme guère les juges européens (CEDH, 23 novembre 2010, Moulin c/ France). La chambre criminelle de la Cour de cassation en a pris acte (Crim. 15 décembre 2010, BC 207) mais elle n’en valide pas moins les actes accomplis conformément aux prescriptions des articles 706-80 et suivants du code de procédure pénale.
[193] Pour l’illustrer: « Tarnac: le parquet fait appel après l’abandon de la qualification ‘terroriste’ », Le Monde, 10/08/2015
[194] CPT/Inf (2001) 10, 19 July 2001, §.16; CommDH(2006)2, 15 February 2006, §§.174-180; Amnesty International, France, Pour une véritable justice – Mettre fin à l’impunité de fait des agents de la force publique dans les cas de coups de feu, de morts en garde à vue, de torture et autres mauvais traitements, EUR 21/001/2005; CNDS, Rapport annuel 2007, 2008, pp.9-17 et, implicitement, Commission de modernisation de l’action publique (J.-L. Nadal), Refonder le ministère public, Rapport à Mme la garde des Sceaux, ministre de la Justice, novembre 2013, propositions 38 et 39; cf. aussi D. Salas, La volonté de punir – Essai sur le populisme pénal, Hachette, 2005, p.159
[195] Ils se limitent pour l’essentiel à la brigade criminelle de la Préfecture de police de Paris, à la sous-direction antiterroriste de la DCPJ et à la Direction générale de la sécurité intérieure.
[196] J. Shapiro and B. Suzan, The French Experience of Counter-terrorism, Survival, vol. 45, n°1, Spring 2003, pp.85-91
[197] Human Rights Watch, La justice court-circuitée – Les lois et procédures antiterroristes en France, 2008
[198] R. Lorrain, avocat au barreau de Paris in conférence « Le parquet dans la lutte contre le terrorisme », 16 avril 2015, IEP de Strasbourg
[199] Europol, TE-SAT, 2015 (p.45: 35 condamnations et 2 relaxe/acquittement soit 5%), 2014 (p.50: 49/2 soit 4%), 2013 (p.46: 97/7 soit 7%)
[200] ONRDP, La criminalité en France – Rapport annuel 2014, synthèse, p.15
[201] V. Codaccioni, op. cit; S. Durand-Souffland, Frisons d’assises – L’instant où le procès bascule, Denoël, coll. Points, 2012, pp.139-140
[202] art. 421-2-5 du code pénal, issu de la loi du 13 novembre 2014
[203] CEDH, 2 octobre 2008, Leroy c. France, n°36109/03
[204] Circulaire du garde des Sceaux, ministre de la Justice aux procureurs généraux, Infractions commises à la suite des attentats terroristes commis les 7, 8 et 9 janvier 2015, 2015/0213/413 du 12 janvier 2015
[205] J.-B. Jacquin, « Après les attentats, une justice rapide et sévère contre l’apologie du terrorisme »
[206] C. Godeberge et E. Daoud, « La loi du 13 novembre 2014 constitue-t-elle une atteinte à a liberté d’expression? De la nouvelle définition de la provocation aux actes de terrorisme et de l’apologie de ces actes », AJ Pénal, 12/2014, Dossier Lutte contre le terrorisme, p.566; V. Brengarth, « L’apologie et la provocation au terrorisme dans le code pénal – Etude critique et premier bilan », JCP, G, 39/2015, 1003
[207] CEDH, 6 juillet 2010, Gözel et Özer c. Turquie, n°43453/04 et 31098/05
[208] CEDH, GC, 8 juillet 1999, Sürek c. Turquie, n°2682/95
[209] A. Petropoulou, Liberté et sécurité: les mesures antiterroristes et la Cour européenne des droits de l’homme, Pédone, Publications de la FMDH, série n°19, 2014, pp.249-250
[210] D. Ligier, Analyse de la jurisprudence en construction sur la loi du 13 novembre 2014: Patriot Act à la française?, Colloque SAF, « Non à la société de surveillance! Non aux lois d’exception! », Bayonne, 12 juin 2015, p.54
[211] A. Cheval, « Mulhouse, Tribunal correctionnel, Provocation à un acte terroriste ou simple tag », DNA, 9 avril 2015, p.14; P. T., « Calais : poursuivi pour apologie du terrorisme, un migrant iranien relaxé », 17/11/2015; M.GO. ET P.T., « Calais : le parquet fait appel de la relaxe du migrant poursuivi pour apologie du terrorisme », La Voix du Nord, 18/11/2015
[212] P. de Combles de Nayves, « Sauf en matière terroriste – Crim. 21 mai 2014, n°13-83758 », AJ Pénal, 11/2014, arrêt du mois, p.529; J. Alix, « Réprimer la participation au terrorisme », RSC 2014, p.849; cf. aussi Crim. 17 juin 2006, BC 149
[213] M. Herzog-Evans, « Les terroristes doivent avoir de la compassion pour les victimes et renoncer à leurs idées politiques », note s/ Crim. 9 avril 2014, AJ Pénal 2/2015, p.108
[214] Crim. 18 août 2010, n°10-85717
[215] Crim, 28 février 2012, n°12-80.744
[216] Crim. 18 février 2014, n°14-80485; Crim. 4 février 2014, n°14-80007; Crim.14 janvier 2014, n°13-88406; Crim. 7 août 2013, n°13-85076; Crim. 10 avril 2013, n°13-81836, 13-81837 et 13-81838 (3 arrêts); Voir, notre article, «La chambre criminelle de la Cour de cassation a-t-elle sacrifié la confiance mutuelle aux droits de l’homme? Réflexions sur la jurisprudence afférente à l’article 695-22, 5° du code de procédure pénale», in Droit répressif au pluriel: droit interne, droit international, droit européen, droits de l’homme – Liber amicorum en l’honneur de Renée Koering-Joulin, Anthémis, coll. Droit & Justice 110, 2014, pp.79-111
[217] Cf. notre article, «Fight against Terrorism and Human Rights: French Perspective», in M. Wade & A. Maljevic (ed.), A War on Terror? The European Stance on a New Threat, Changing Law and Human Rights Implications, Springer (NY), 2010, pp. 467-503; Human Rights Watch, « Sans poser de questions » La coopération en matière de renseignement avec des pays qui torturent, 28 juin 2010
[218] F. Sudre, « Utilisation de preuves obtenues au moyen d’un traitement contraire à l’article 3 – obs. s/ CEDH, 25 septembre 2012, El Haski c. Belgique, n°649/08 », JCP, G, 3/2013, p.94; L. Milano, « L’utilisation de preuves obtenues par la torture constitue un déni de justice flagrant; obs. s/ CEDH, 17 janvier 2012, Othman c/ Royaume-Uni, n°8139/09 », JCP, G, 6/2012, p.257; A. Petropoulou, op. cit, pp.227-231
[219] Par exemple, l’accord conclu le 31 janvier 2015 entre les ministres de la Justice français et marocain, permettant la reprise de la coopération judiciaire et antiterroriste entre les deux Etats.
[220] Cf. notre article, «Procès équitable: la chambre criminelle tend à nouveau les verges à la Cour européenne des droits de l’homme (à propos de Crim. 3/9/2014, 11-83598)», AJ Pénal, 12/2014, Arrêt du mois, pp.577-581
[221] Crim., 17 février 2010, 09-81736, non publié
[222] Crim. 7 janvier 2014, BC n°1; cf. A. Bergeaud-Wetterwald, op. cit., p.12; E. Vergès, «Loyauté et licéité, deux apports majeurs à la théorie de la preuve pénale», D. 2014, 408; J. Danet, «Principe de loyauté des preuves et sonorisation des cellules de garde à vue», RSC 1/2014, p.130; A. Gallois, «Loyauté des preuves pénales: la Cour de cassation est-elle allée trop loin?», JCP, G, 9/2014, p.435; O. Bachelet, «Sonorisation de cellules de garde à vue: loyauté versus légalité», Gaz. Pal. n°38-39/2014, p.21; J. Pradel, «Sonorisation de locaux de garde à vue», D. 2014, p.1738
[223] Plén. 6 mars 2015, n°14-84339, publié au bulletin; cf. M. Touillier, « La volonté des enquêteurs de « tout voir et tout savoir » en garde à vue à l’épreuve des droits fondamentaux du suspect », La revue des droits de l’homme (en ligne), Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 14 mai 2015. URL: http://revdh.revues.org/1091
[224] TUE, 16 octobre 2014, Libération Tigers of Tamil Eelam (LTTE) c. Conseil de l’Union européenne, T-208/11 et T-508/11; cf. J. Guiorguieff, « Le soutien du Tribunal de l’Union européenne au mécanisme de lutte contre le terrorisme en contrepartie de la garantie du respect des droits fondamentaux », La revue des droits de l’homme (en ligne), Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 15 décembre 2014, URL: http://revdh.revues.org/1034
[225] J.-B. Jacquin, « Lois antiterroristes: le cri d’alarme des juges », Le Monde, 16 janvier 2016, p.8
[226] R. Badinter, Libération, 8 janvier 2015, p.19; l’auteur concluait: « Celles qui y ont cédé n’ont rien gagné en efficacité répressive, mais beaucoup perdu en termes de liberté et parfois d’honneur »; cf. aussi E. Decaux, « Terrorisme et droit international des droits de l’homme », in : H. Laurens et M. Delmas-Marty (dir.), Terrorismes. Histoire et droit, CNRS Editions 2010, p. 304; P. Tavernier, « Les alibis de la lutte contre le terrorisme », in Humanisme et droit offert en hommage au Professeur J. Dhommeaux, Pédone, 2013, p.408; Florent Guénard, « Le 11 septembre et l’anti-terrorisme. Entretien avec Antoine Garapon », La Vie des idées , 9 septembre 2011. URL : http://www.laviedesidees.fr/Le-11-septembre-et-l-anti.html)
[227] R. Libchaber: « La France se prétend un Etat de droit, mais c’est un Etat d’administration. Les questions importantes ne sont pas tranchées par le juge, mais par le gouvernement », conférence « L’Arsenal du Juriste », EHESS, 2015
Notes:
- Ce texte est issu d’une présentation lors d’un séminaire à l’EHESS le 15 janvier 2016. Il est à jour à cette date. ↩
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