La répression des discours de haine : Le droit britannique
Par Olivier Cahn, CY Université CESDIP (UMR 8183)
Don’t you see that the whole aim of Newspeak is to narrow the range of thought? In the end we shall make thoughtcrime literally impossible, because there will be no words in which to express it[1].
Vu de ce côté de la Manche, la liberté d’expression dont jouissent les Britanniques s’incarne dans le Speakers’ Corner de Hyde Park ; cet ancien gibet – Tyburn hanging tree – où, depuis le Parks Regulation Act 1872, tout illuminé, embrumé ou révolté peut exposer ses diatribes, aussi virulentes soient-elles, sans craindre pour sa sûreté. Jusqu’au milieu des années 1980, la loi britannique considérait comme licites les propos ou comportements déplaisants ou offensants dès lors qu’ils n’incitaient pas à la violence ou à la commission d’infractions, particulièrement à la rébellion contre l’autorité publique. De même, jusqu’au milieu des années 2000, le gouvernement britannique a toléré l’expression publique de discours de haine dans le Londonistan, estimant que cela servait ses intérêts politiques et sécuritaires. Protégée par une législation libérale sur la presse[2], les tabloïds s’autorisent régulièrement des propos diffamatoires ou insultants, au sens de la loi française du 29 juillet 1881, et n’hésitent pas à jeter l’anathème sur ceux qui leur déplaisent. Enfin, certains discours tenus par les membres du UKIP durant la campagne pour le référendum sur le Brexit en 2016 illustrent une tolérance envers les discours politiques haineux qui surpasse les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme.
A priori, les autorités britanniques seraient ainsi plus tolérantes envers les discours radicaux, y compris haineux, et, par comparaison avec la France, plus respectueuses de la liberté d’expression. La réalité juridique est cependant plus complexe.
D’abord, le Royaume-Uni n’a pas de Constitution ni de Bill of Rights, de sorte que, au contraire du droit étasunien, il n’y a pas de norme supérieure protégeant les libertés fondamentales. Celles-ci sont donc l’objet d’un compromis évolutif entre le législateur et le juge. Le domaine de la liberté d’expression a longtemps été déduit de l’espace résiduel laissé par les quelques textes encadrant l’expression publique et les publications, ainsi que la jurisprudence y afférente[3]. La consécration de cette liberté sui generis est récente et résulte, en Common Law, de la décision Derbyshire County Council v Times Newspapers[4] et, en Statutory Law, du Human Rights Act 1998.
Ensuite, le législateur et le juge britanniques se sont depuis longtemps employés à circonscrire certains excès publics, qu’ils considéraient comme haineux, dans les discours comme dans les publications[5]. Dès le XVIIè siècle, la législation sur les seditious libel a été mobilisée pour réprimer les discours et les écrits qui propageaient la haine de certains individus et groupes sociaux, considérant que ces comportements menaçaient non seulement ces groupes, mais surtout la paix publique et la sécurité du gouvernement. Ce délit de Common law, aboli en 2009[6], punissait les publications ou propos exprimés publiquement avec « l’intention de susciter la haine ou le mépris ou d’exciter la désaffection à l’égard de la personne de Sa Majesté, ou de promouvoir des sentiments de malveillance ; ou de susciter des sentiments de malveillance et d’hostilité entre les différentes classes de [ses] sujets ». Les discours de haine étaient ainsi réprimés à raison des troubles à l’ordre public qu’ils engendraient, mais les poursuites aboutissaient rarement. En effet, le ministère public parvenait difficilement à prouver que le discours conduisait à une incitation directe à la violence ou au désordre public et qu’il avait directement engendré un épisode de violences identifié et matérialisé[7].
Afin de remédier aux insuffisances du Common law, le Parlement a adopté en 1936 le Public Order Act[8], qui prévoyait : « Toute personne qui, dans un lieu public ou lors d’une réunion publique, tient des propos ou adopte un comportement menaçants, agressifs ou insultants dans l’intention de provoquer une atteinte à l’ordre public ou à la paix publique ou étant conscient qu’une telle atteinte est susceptible d’en résulter, est coupable d’un délit »[9]. En 1965, en réaction au discours raciste des dirigeants du British National Front, qui prenaient soin d’articuler leur propos de telle manière à ne pas tomber sous le coup de la loi de 1936, le Parlement a adopté le Race Relations Act 1965[10]. En vertu de l’article 6 de ce texte, une personne était coupable d’incitation à la haine raciale si, « dans l’intention d’attiser la haine à l’encontre d’une partie du public en Grande-Bretagne, distinguée par la couleur, la race ou les origines ethniques ou nationales : (a) elle publie ou distribue des écrits menaçants, agressifs ou insultants ; ou (b) elle utilise dans un lieu public ou lors d’une réunion publique des mots menaçants, agressifs ou insultants, soient des discours ou écrits susceptibles d’attiser la haine à l’encontre de cette partie du public en raison de la couleur, de la race ou de l’origine ethnique ou nationale ». Ce texte, inspiré de la législation sur le seditious libel, en ce qu’il exigeait que l’orateur ait eu l’« intention d’attiser la haine », ne permettait de réprimer que les discours publics les plus virulents[11].
À partir des années 1980, des contingences politiques ou sociales[12] contraignirent le législateur britannique à intervenir pour tenter de mieux contrôler le déferlement de discours de haine. Il en résulta l’adoption du Public Order Act 1986[13], qui contient encore aujourd’hui les principales dispositions destinées à réprimer les discours de haine. Surtout, la confrontation du Royaume-Uni au terrorisme islamiste globalisé, lors des attentats de Londres en juillet 2005, conduisit le Premier ministre, Tony Blair, à déclarer que le Human Rights Act serait amendé pour permettre l’expulsion du Royaume-Uni des individus incitant à la violence discriminatoire ou la justifiant. Il concluait son discours en affirmant : « Let no one be in any doubt that the rules of the game are changing » et « tolerance […] should not be abused by a small fanatical minority and anger that it has »[14]. La virulence des discours durant la campagne pro-Brexit, dont nombre de commentateurs ont estimé qu’elle a contribué au meurtre de la députée Joe Cox[15], a fini de convaincre les autorités publiques britanniques de la nécessité de réprimer plus drastiquement les discours de haine.
Reste que, comme le relève C. Roynier[16], « il existe […] un sens “anglais très anglais“ des droits de l’homme », qu’elle définit en empruntant à K. Ewing[17] « quand il estime que “l’ironie suprême de la constitution britannique réside dans le fait que la liberté et la légalité sont mieux servies par la politique plutôt que par le droit, ou par le pouvoir plutôt que par les droits“ ». L’auteure poursuit : « La particularité de la notion britannique […] se situe en conséquence davantage dans le rapport qu’elle peut entretenir avec le pouvoir et le droit, plutôt que dans ses qualités substantielles ou inhérentes […]: la liberté suit la tradition de la common law et n’en est pas détachable. […]. Comment expliquer, dès lors, cette particularité et cette résistance britannique à la philosophie des droits subjectifs, cette dernière impliquant qu’un ordre juridique soit intégralement fondé sur la figure de l’individu et du sujet ? Si la culture juridique britannique résiste tant à la philosophie des droits individuels, c’est qu’elle s’est posée la question de la liberté avant l’apparition de la démocratie […]. Cette précocité ou ancienneté nous donne une seconde indication : pour envisager la liberté dans son acception anglaise, il ne faut pas envisager la constitution anglaise du point de vue de l’individu – qui n’existe pas comme “figure tutélaire“ dans la littérature juridique – mais du point de vue du pouvoir ». Il faut ajouter à ce constat le principe supérieur, fondement du droit constitutionnel britannique, de Parliamentary Sovereignty[18], qui interdit au Parlement de lier ses successeurs et se souvenir de la sensibilité particulière de la liberté d’expression dans la tradition constitutionnelle britannique, ce qu’illustre le régime de protection particulier octroyé à ce droit fondamental dans le Human Rights Act 1998[19]. Ainsi peut être mesurée la difficulté éprouvée par le législateur à réprimer les discours de haine et comprise l’incomplétude de cette législation.
En effet, la multiplication des textes a engendré un dispositif normatif peu cohérent et d’une efficacité limitée (I). Concomitamment, la lutte contre les discours de haine échappe au juge pour revenir à la police et le législateur intervient pour tenter de contenir certaines pratiques militantes afin de garantir la liberté d’expression (II).
I. Les fragilités du dispositif de répression des discours de haine.
Le droit positif britannique de lutte contre les discours de haine se caractérise par la multiplication de textes épars et peu précis (A), dont la mise en œuvre est encadrée par des guidelines contraignantes qui rendent la législation peu efficace (B), ce dont il résulte une jurisprudence peu lisible et peu cohérente (C).
A. Des textes épars et peu précis[20]
L’incrimination des discours de haine en droit britannique est prévue par différents textes, qui témoignent de la succession des priorités politiques en raison de la « fait-diversification »[21] du droit pénal et de la puissance des lobbys.
Ainsi, ont été successivement adoptés ou amendés :
– Le Public Order Act 1986[22], qui incrimine diverses formes d’incitation à la haine raciale,
– Le Football Offences Act 1991[23], modifié par le Football (Offences and Disorder) Act 1999[24], qui incrimine les chants racistes lors de matchs de football,
– Le Criminal Justice and Public Order Act 1994[25], qui modifie la section 5 du Public Order Act 1986, pour créer une infraction « chalut », consistant en des actes constitutifs de harcèlement volontaire ou susceptibles de susciter intentionnellement l’inquiétude ou la détresse d’autrui. Introduite pour lutter contre les « perturbateurs dans les parties communes des immeubles » ou les « auteurs d’insultes ou d’obscénités dans les transports publics ou les salles de cinéma », ce texte permet aussi de sanctionner les auteurs de propos haineux lato sensu,
– Le Racial and Religious Hatred Act 2006[26] qui ajoute au Public Order Act 1986 une partie 3A, incriminant les discours de haine à raison de la religion ou de l’absence de religion des membres du groupe visé,
– Le Criminal Justice and Immigration Act 2008[27], qui amende la Partie 3A du Public Order Act 1986 pour ajouter une infraction d’incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle et une infraction de possession de matériel « incendiaire »[28], au sens figuré de susceptible de susciter la haine. Il redéfinit en outre les modalités de commission des discours de haine, qui peuvent être perpétrés par des discours, comportements, publications, affichage ou distribution d’écrits ou lors de la représentation publique d’une pièce de théâtre, la publication ou la diffusion d’un enregistrement, la diffusion d’un programme ou l’inclusion dans un programme audiovisuel,
– Enfin, des qualifications alternatives peuvent être utilisées pour réprimer les discours de haine, lorsque les infractions prévues au POA 1986 ne sont pas susceptibles d’être caractérisées. Ainsi, en Angleterre et au Pays de Galles, la section 127 du Communications Act 2003[29] incrimine l’envoi, via un réseau public de communications électroniques, d’un message considéré comme grossièrement offensant ou indécent, obscène ou menaçant. L’envoi d’une lettre, d’un courriel, d’une photographie ou d’un enregistrement indécent, grossièrement offensant ou contenant une menace constitue un délit si l’expéditeur a l’intention de causer de la détresse ou de l’anxiété au destinataire. Par ailleurs, certains propos peuvent être poursuivis comme des faits de harcèlement « menaçant ou gravement offensant » sur le fondement du Equality Act 2010[30] ou du Protection from Harassment Act 1997[31]. Enfin, le Terrorism Act 2006[32] incrimine l’incitation au terrorisme, qui, dans la définition britannique, intègre l’apologie du terrorisme.
En pratique, les textes principalement utilisés pour réprimer les discours de haine sont rassemblés aux sections 17 à 29 du Public Order Act 1986.
Aux termes de la Partie III de ce texte, les infractions d’incitation à la haine raciale, définie comme « la haine à l’encontre d’un groupe de personnes en raison de sa couleur de peau, sa race, sa nationalité (y compris sa citoyenneté), ou ses origines ethniques ou nationales », consistent dans 6 types de comportements :
– tenir intentionnellement et consciemment des propos ou adopter un comportement menaçant, agressif ou insultant ou publier des écrits menaçants, agressifs ou insultants, en public ou en privé[33];
– publier ou distribuer intentionnellement et consciemment des écrits menaçants, agressifs ou insultants[34];
– programmer ou diriger la représentation publique d’une pièce de théâtre impliquant l’usage de propos ou de comportements menaçants, abusifs ou insultants[35];
– distribuer ou diffuser des enregistrements audio ou vidéo menaçants, agressifs ou insultants[36];
– intégrer dans un programme audiovisuel des images ou des sons menaçants, agressifs ou insultants[37];
– détenir des écrits ou des enregistrements audio et/ou visuels menaçants, agressifs ou insultants avec l’intention de les distribuer, publier ou jouer[38].
Les incitations à la haine à raison de la religion ou de l’orientation sexuelle sont réprimées à la Partie 3A de la même loi[39]. La haine religieuse est définie comme « la haine dirigée contre un groupe de personnes défini par référence à sa croyance religieuse ou à son absence de croyance religieuse » et la haine à raison de l’orientation sexuelle comme « la haine à l’encontre d’un groupe de personnes à raison de son orientation sexuelle, qu’il s’agisse d’une personne du même sexe, du sexe opposé ou des deux ». Les comportements répréhensibles sont les mêmes que ceux énumérés dans la Partie 3.
Les discours de haine sont « triable either way » et font encourir à leurs auteurs une peine de six mois d’emprisonnement devant la Magistrate’s Court et de sept ans d’emprisonnement devant la Crown Court.
Ces incriminations suscitent de nombreuses critiques.
La doctrine souligne ainsi l’incohérence du législateur qui, d’une part, considère comme un crime de haine les infractions de droit commun, aggravées par le fait qu’elles sont perpétrées contre une personne à raison de son appartenance à l’un des cinq groupes sociaux qu’il énumère[40] – respectivement identifiés par 1) leur couleur de peau, leur race, leur ethnie ou leur nationalité, 2) leur religion, 3) leur orientation sexuelle, 4) leur statut transgenre et 5) leur handicap mais, d’autre part, ne retient au titre des discours de haine répréhensibles que ceux dirigés contre une personne appartenant à l’une des trois premières catégories, de sorte que les discours de haine dirigés contre un membre de l’un des deux derniers groupes ne sont réprimés qu’en ce qu’ils permettent de caractériser la circonstance aggravante d’une infraction de droit commun[41].
De même, la doctrine dénonce les disparités dans la définition de l’élément moral des incriminations des différents types de discours de haine[42]. Ainsi, l’incitation à la haine raciale se consomme par des paroles ou un comportement menaçants, agressifs ou insultants, en ayant l’intention d’inciter à la haine ou en étant conscient qu’il est probable que ces paroles ou ce comportement incitent à la haine. En revanche, si l’élément matériel de l’incitation à la haine à raison de la religion ou de l’orientation sexuelle est identique, l’élément moral ne peut consister que dans l’intention d’inciter à la haine, laissant hors du champ de la répression la conduite imprudente ou indifférente[43].
De surcroît, en exigeant que le discours soit menaçant, agressif ou insultant, la loi induit de facto un biais culturel entre les individus capables, par leur éducation, de maîtriser leur propos de telle manière à échapper à la répression et ceux qui, faute d’une maîtrise suffisante des niveaux de langage, s’exposent à des poursuites. Ainsi, cette composante de l’élément matériel confère à la forme du discours une importance disproportionnée par rapport au fond. Au demeurant, une partie de la doctrine critique plus largement l’incidence des biais culturels et politiques qui affectent les parlementaires dans la définition même des hate crimes[44].
Ajoutant à la complexité du dispositif répressif, des causes particulières d’exonération de la responsabilité pénale, dite « liberté d’expression », sont prévues en matière d’incitation à la haine en raison de la religion[45] ou de l’orientation sexuelle[46], mais pas en matière d’incitation à la haine raciale. Cependant, cette dernière bénéficie d’une cause spéciale d’exonération de la responsabilité pénale, dite « domiciliaire », au sens où les propos ne sont pas répréhensibles s’ils sont tenus dans un domicile privé, sans considération pour la communauté d’intérêt liant les personnes présentes.
Dans le rapport qu’elle a consacré aux crimes de haine[47], la Law Commission propose de rationaliser la répression des comportements haineux et formule plusieurs propositions qui, en creux, disent les faiblesses de la loi. Ainsi, elle recommande :
– d’étendre la catégorie « transgenre » à « transgenre, non-binaire et intersexuel » afin de protéger l’ensemble des personnes qui peuvent être confrontées à une hostilité en raison de leur « non-conformité aux standards normatifs de sexe et de genre » et de créer une nouvelle catégorie de personnes protégées à raison de leur situation socio-économique précaire ;
– de remplacer l’exception « domiciliaire » par une cause d’exonération applicable à toutes les « conversations privées » et d’étendre l’exception « liberté d’expression » à l’ensemble des infractions, en intégrant l’exigence d’un contrôle de proportionnalité ;
– l’abrogation des incriminations spécifiques aux représentations théâtrales et aux programmes audiovisuels et leur intégration dans une infraction unique de possession et diffusion de matériel susceptible d’inciter à la haine ;
– la création d’une obligation de considérer une œuvre « comme un tout » sans isoler les propos haineux, qui s’appliquerait aux propos et comportements afférents aux activités théâtrales, littéraire, artistiques et journalistique, et de procéder ainsi à une appréciation de l’ensemble de la capacité de cette œuvre de l’esprit à inciter à la haine ou à caractériser un comportement menaçant ou agressif.
S’agissant plus spécifiquement des discours de haine, la Law Commission recommande :
– d’une part, l’extension de la répression aux discours motivés par le sexe, le transgenrisme ou le handicap de la victime;
– d’autre part, l’extension à l’incitation à la haine raciale du champ d’application du fait justificatif fondé sur la « liberté d’expression », en redéfinissant et unifiant ce dernier par référence aux termes du Human Rights Act, afin de permettre en la matière un « débat d’intérêt général ».
Par ailleurs, certains groupes d’intérêt suggèrent eux aussi des amendements à la législation sur les discours de haine.
Ainsi, les représentants des personnes handicapées estiment que, outre que ces dernières ne bénéficient pas d’un niveau de protection équivalent à celui des catégories de personnes spécialement protégées, la définition des éléments constitutifs d’un discours de haine est inappropriée pour couvrir les propos et comportements qu’ils subissent et demandent que soit créée au bénéfice des personnes handicapées une incrimination spécifique aux termes de laquelle la prohibition des propos « menaçants, agressifs ou insultants » serait remplacée par une interdiction des propos « moqueurs, méprisants ou manifestant une indifférence fondamentale ». De même, les représentants des communautés chrétiennes et musulmanes relèvent que, les discours de haine en raison de la religion étant plus difficiles à caractériser que l’incitation à la haine raciale, les communautés juives et sikhs, qui sont à la fois une « race » et une « religion », sont mieux protégées, et dénoncent l’inégalité de traitement qui en résulte. Enfin, l’association Stop Hate UK, propose de réformer la loi en unifiant la définition juridique du discours de haine comme « tous propos ou écrits dirigés contre un groupe social quelconque », ce qui permettrait de protéger tous les groupes équitablement et d’appréhender les « tendances de haine émergentes ».
Toutefois, plutôt que de remédier aux insuffisances intrinsèques des textes incriminant les incitations à la haine, les autorités administratives et judiciaires ont préféré adopter des guidelines exigeantes et détaillées pour encadrer leur mise en œuvre.
B. Des textes encadrés par des guidelines restrictives
À titre liminaire, rappelons que la police et le Crown Prosecution Service[48] sont, par application des règles drastiques du new public management en vigueur au Royaume-Uni, tenus de s’abstenir d’agir lorsque, par application des outils statistiques et prédictifs mis à leur disposition, ils ne sont pas en mesure de garantir une utilisation appropriée des fonds publics, c’est-à-dire une probabilité importante d’obtenir une condamnation. En conséquence, d’une part, l’ouverture d’une enquête judiciaire ou a fortiori l’engagement de poursuites pénales lorsqu’existent des éléments, même objectifs, permettant de suspecter l’existence d’une infraction, ne sont pas de principe dans le système répressif anglais et, d’autre part, la mise en œuvre de cette conception comptable du service public, y compris en matière de protection de l’ordre public, conduit au développement d’une considérable bureaucratie normative, qui génère une multitude de règles spéciales énumérées dans des codes of practice ou des guidelines à l’intention des policiers[49], du Crown Prosecution Service et des magistrats, afin d’harmoniser les pratiques et de garantir un engagement parcimonieux des moyens matériels et humains des administrations.
S’agissant de la répression des discours de haine, ces guidelines sont d’autant plus contraignantes qu’elles ont pour ambition de protéger la liberté d’expression.
Ainsi, les poursuites sur le fondement des infractions contenues à la Partie 3 du POA ne peuvent être diligentées sans la permission du Attorney General[50], soit un membre du gouvernement, mais qui bénéficie, dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles, de l’indépendance d’un magistrat. Ce monopole est théoriquement justifié par la volonté de prévenir une atteinte injuste à la liberté d’expression en circonscrivant le risque de partialité de la police territorialement compétente dans la décision d’engager l’action publique et en neutralisant les plaintes futiles pour incitation à la haine raciale. Selon les propos d’un ancien Attorney General, rapportés dans le rapport précité de la Law Commission[51], l’autorisation préalable constitue un « filtre important » contre les plaintes vexatoires ou dénuées de fondement, d’autant que l’Attorney General, en sa qualité d’autorité publique, doit agir en conformité avec les dispositions du Human Rights Act.
Cependant, ce monopole est critiqué pour avoir longtemps permis une orientation politique des procédures[52]. En conséquence, lors des débats relatifs au POA 1986, de nombreux parlementaires ont souhaité supprimer ce verrou, mais la Première ministre M. Thatcher et la majorité des députés conservateurs s’y sont opposés. Un compromis a dès lors été trouvé. La police peut enquêter sur les allégations d’incitation à la haine avant de transmettre les éléments collectés au CPS, lequel peut procéder à des investigations complémentaires avant de transmettre le dossier à l’Attorney General en soutenant ou non l’engagement des poursuites. Cette procédure induit un double effet pervers : elle restaure l’influence de la police sur la procédure et multiplie les niveaux auxquels peut intervenir une décision de classer sans suite. En d’autres termes, l’action publique ne sera engagée que si la police, le CPS et l’AG estiment qu’il doit en être ainsi[53]. De surcroît, si l’AG donne son autorisation, les poursuites sont confiées à la Division des Crimes Spéciaux et du Contre-Terrorisme du CPS, compte tenu du caractère « hautement sensible » de ces affaires. Mais ce service ayant à traiter du terrorisme et des infractions de criminalité organisée ou d’atteinte à la sûreté de l’État, il a tendance à ne pas considérer les dossiers d’incitation à la haine comme prioritaires. Dès lors, le monopole de l’Attorney General sur l’engagement de l’action publique induit principalement une sous-utilisation de la loi et un taux important de classements sans suite.
Par ailleurs, différentes guidelines se combinent pour encadrer l’intervention du CPS[54].
Comme pour toute infraction, l’engagement de l’action publique par le CPS est soumise à l’application d’un test objectif intégrant les éléments transmis par la défense, aux termes duquel le ministère public doit être convaincu, d’une part, que les preuves collectées sont susceptibles, avec un niveau élevé de certitude, de permettre l’obtention d’une condamnation[55] et, d’autre part, que l’engagement des poursuites sert « l’intérêt public »[56].
S’agissant des discours de haine, ce test implique, d’une part, de conserver à l’esprit qu’« il est essentiel, dans une société libre, démocratique et tolérante, que les gens puissent échanger leurs points de vue avec fermeté, même lorsque ceux-ci sont susceptibles d’offenser », d’autre part, qu’un « équilibre » doit être trouvé « entre les droits de l’individu à la liberté d’expression et le devoir de l’État d’agir de manière proportionnée dans l’intérêt de la sécurité publique, pour prévenir les troubles et la criminalité, et pour protéger les droits d’autrui » et, enfin, la nécessité d’éviter que « la confusion, la peur et le manque de sécurité ressentis par les individus [visés, ait] un effet d’entraînement sur l’ensemble de la communauté de leur groupe racial ou religieux » et que lesdites communautés se sentent « exposées et vulnérables à de nouvelles attaques ». Si ce test n’est pas satisfait, les guidelines précisent expressément que « l’affaire ne doit pas être portée en justice, aussi grave ou sensible soit elle »[57]. En pratique, le CPS prend d’abord en considération « la nature de l’infraction » – c’est-à-dire qu’il apprécie l’existence de l’élément matériel de l’infraction en vérifiant que les propos querellés ne sont pas seulement « désobligeants, impolis ou désagréables » sans toutefois impliquer de « menace, agression ou insulte » -. Ensuite, il vérifie l’existence de l’élément moral, soit l’intention d’inciter à la haine ou la conscience que le comportement pourra induire la haine, étant considéré qu’inciter « à des tensions avec le groupe stigmatisé, de même que l’opposition ou l’hostilité manifeste envers ce groupe, ne sont pas suffisants pour caractériser cette intention ». Enfin, le procureur doit apprécier le contexte dans lequel les propos ont été tenus – soit les circonstances de l’espèce, particulièrement la composition de l’auditoire ou des destinataires des messages ou écrits haineux – et la probabilité qu’ils contribuent à induire de la haine envers le groupe stigmatisé. Le CPS peut toutefois déduire d’éléments extérieurs à l’affaire, tels que l’appartenance de l’auteur à un groupe identifié comme haineux, des éléments permettant de satisfaire ce test[58].
Enfin, s’agissant des juridictions, les faiblesses qui affectent la définition des éléments constitutifs de l’incrimination posent quelques difficultés. Selon la jurisprudence, la question de savoir si le propos ou l’écrit querellé sont menaçants, agressifs ou insultants est une question de fait, qui doit être tranchée au cas par cas, en considération des faits de l’espèce et en utilisant la « signification ordinaire » ou l’« acception usuelle » des mots employés ou comportements adoptés[59]. La condamnation implique la démonstration, d’une part, de ce que le propos ou l’écrit avaient pour ambition d’inciter à la haine, ou étaient de nature à le faire, et, d’autre part, que dans la forme, ils étaient « menaçants, agressifs ou insultants ». Pour ce faire, depuis l’entrée en vigueur du Human Rights Act, les juges peuvent se référer à la jurisprudence de la CEDH. Pour parvenir à une conviction « au-delà du doute raisonnable », ils recourent à une interprétation au cas par cas, par la technique du faisceau d’indices fondé sur l’intention de la personne qui fait la déclaration, le contexte dans lequel elle s’inscrit[60], le public visé, ainsi que les termes particuliers et la forme de la communication. Ainsi, la démonstration du caractère haineux peut résulter des termes employés eux-mêmes[61] ou des actes accomplis et du contexte dans lequel ils se sont déroulés[62]. Le standard de preuve demeure néanmoins très exigeant et certains propos manifestement haineux échappent à toute condamnation, dès lors que leurs auteurs prennent soin de n’employer ni menace, ni insulte et qu’ils n’usent pas de termes agressifs[63]. De surcroit, les juridictions veillent à conserver à la liberté d’expression un vaste champ d’application, estimant que les discours querellés ne doivent être sanctionnés que s’ils troublent exagérément l’ordre public[64].
S’agissant de la peine, la juridiction doit, en fonction de la gravité de l’infraction, opter soit pour un Restraining Order ou un Criminal Behaviour Order[65], soit imposer une peine d’emprisonnement. L’évaluation de la gravité de l’infraction suppose la prise en considération d’éléments tels que la position de confiance, d’autorité ou d’influence de l’auteur, l’intention d’inciter à des violences graves, la persistance de l’activité délinquante ou le comportement du délinquant durant la procédure[66], mais aussi les préoccupations de dissuasion générale[67]. Le quantum de la peine d’emprisonnement devra être apprécié par application du Sentencing Code élaboré par le Sentencing Council[68].
Cet encadrement rigoureux de l’exercice de la répression engendre une jurisprudence peu abondante et peu lisible, qui se distingue aussi par son caractère erratique et les protestations régulières qu’elle suscite.
C. Une jurisprudence peu abondante, peu lisible et erratique
Une étude réalisée en 2012 par l’Université d’Oxford[69] conclut que « l’histoire des lois sur le discours de haine au Royaume-Uni met en évidence le risque que les groupes opprimés ou marginalisés soient réduits au silence ou encore plus marginalisés par ces lois ». Elle constate aussi la gestion différentielle des illégalismes, en faveur de la communauté majoritaire. Une étude précédemment réalisée sur l’application de la loi en Irlande du Nord concluait, de manière similaire, que la jurisprudence tendait à favoriser la communauté protestante[70].
Par ailleurs, aussi surprenant que cela puisse paraître presque vingt-cinq ans après l’entrée en vigueur du Human Rights Act, les tribunaux britanniques n’envisagent toujours pas les discours de haine comme, au premier chef, des abus de la liberté d’expression ou des atteintes au droit à l’égalité ou à la dignité, mais continuent, comme ils le font depuis le XVIIè siècle, de les appréhender principalement comme une atteinte à la paix publique[71].
Enfin, si de nombreuses plaintes sont déposées, les obstacles précédemment évoqués conduisent à ce que peu de condamnations pour incitation à la haine soient prononcées sur le fondement du Public Order Act 1986[72].
Certes, la majorité des condamnations n’appellent pas la critique, mais, outre l’application inégalitaire qu’ils font de la loi, les juges se montrent parfois d’une exigence et d’une subtilité contestables[73]. De même, certaines condamnations ont suscité de virulentes réactions en raison de la disproportion entre les faits – dont le caractère répréhensible était discutable – et la sévérité des peines prononcées[74]. En outre, des critiques s’élèvent contre des détournements de procédure opérés par certaines juridictions, afin de réprimer des comportements choquants mais a priori licites[75].
Ainsi, l’application de la loi sur les discours de haine n’est pas considérée comme satisfaisante, ce qui conduit à des contournements du dispositif répressif.
II. Contournements du dispositif répressif afférent à la lutte contre les discours de haine
Pour des raisons différentes, la police et les activistes politiques en sont venus à se détourner des règles qui régissent la répression des incitations à la haine.
A. La punition policière des discours de haine : l’enregistrement des Hate Incidents
Pour comprendre l’évolution récente des pratiques de la police britannique envers les discours de haine, il faut revenir au traumatisme originel causé aux polices britanniques par le rapport MacPherson, consécutif au meurtre de Stephen Lawrence, tué à un arrêt de bus par un groupe de suprémacistes blancs en 1993. Ce rapport concluait que l’enquête de police avait été compromise par la combinaison de l’incompétence professionnelle, du racisme institutionnel et des carences de la hiérarchie[76]. Témoignant d’une résilience certaine, qui leur a permis de transformer une humiliation en moyen d’extension de leurs compétences, les polices se sont progressivement octroyées des pouvoirs supplémentaires pour lutter contre les manifestations publiques de haine, sans recourir aux juridictions pénales.
Ainsi, la police et le CPS ont, après la publication du rapport Mac Pherson, adopté une définition extensive du crime de haine, comme « tout délit perçu par la victime ou toute autre personne comme étant motivé par une hostilité ou des préjugés fondés sur le handicap, vrai ou supposé, d’une personne, sa race vraie ou supposée, sa religion vraie ou supposée, son orientation sexuelle vraie ou supposée ou son identité transgenre vraie ou supposée »[77].
Au titre de leur politique de « gestion des incidents critiques », les forces de police ont progressivement étendu l’obligation qui leur est règlementairement faite d’enregistrer les « crimes de haine » pour enregistrer ce qu’elles qualifient d’« incident de haine non-infractionnels »[78], défini comme « un incident au cours duquel aucune infraction n’a été commise mais qui est ressenti par la personne qui le signale ou tout autre personne comme motivé par une hostilité ou un préjugé racial, religieux ou relatif au handicap, à l’orientation sexuelle ou la statut transgenre de la victime ». L’enregistrement intervient « sans considération pour le caractère raisonnable du ressenti de la victime et sans qu’il soit nécessaire de collecter au préalable une preuve que les propos ou le comportement délinquant a bien existé » et la police n’est pas tenue d’informer la personne dénoncée ; dès lors qu’aucune infraction n’est alléguée, la cause d’exonération de la responsabilité consistant dans la « liberté d’expression » ne peut valablement être invoquée et aucune voie de recours n’est prévue[79]. D’abord pratiqué hors de tout cadre légal, cet enregistrement policier – qui s’est considérablement développé[80] – fait, depuis juin 2023, l’objet d’un Code of practice du ministère de l’intérieur[81].
De surcroît, la pratique s’est étendue à des comportements qui ne sont pas réprimés par la législation sur les discours de haine. Ainsi, la police du Nottinghamshire, sur le fondement de la section 4 du POA 1986, procède depuis quelques années à l’enregistrement policier des actes de harcèlement sexiste public dirigés contre les femmes « en tant que crimes de haine misogyne ». En février 2017, témoignant devant la commission des affaires intérieures de la Chambre des communes, Mark Hamilton, responsable national de la lutte contre les crimes de haine, a déclaré que cinq forces de police enregistraient les crimes de haine fondés sur la misogynie et qu’aucun consensus national n’avait encore été atteint sur la question de savoir s’ils devaient faire l’objet d’un suivi centralisé. De même, en 2013, la police du Grand Manchester a commencé à enregistrer les infractions haineuses commises contre des « membres de sous-cultures alternatives »[82].
Il existe cependant des raisons de penser que les forces de police manifestent un souci de protection inégal des groupes victimes de discours et de comportements haineux. Ainsi, dans leur contribution au travail de la Law Commission, le Traveller Movement a regretté que seules deux forces de police aient développé des stratégies ciblées de lutte contre les crimes de haine dirigés contre les membres de la communauté des gens du voyage[83].
Par ailleurs, si l’enregistrement policier ne donne lieu à aucune procédure pénale, le Police Act 2014 impose à la police de révéler toute information que « l’officier supérieur estime raisonnablement utile » dans le cadre d’une enquête administrative de moralité, de sécurité ou préalable à l’embauche. À nouveau, les forces de l’ordre ne sont pas tenue d’en informer la personne et aucune voie de recours, ni contrôle externe, n’est prévu. Pourtant, outre l’atteinte à la protection des données personnelles, la pratique policière peut n’être pas sans conséquence sur la situation des personnes enregistrées[84].
La Law Commission a dénoncé cette pratique[85]. Mais la police la justifie comme un moyen pour elle d’identifier les problèmes de cohésion au sein de la communauté et de les anticiper, tout en développant une réponse policière « axée sur la victime »[86]. Au demeurant, le nouveau Code of practice n’est guère contraignant, même s’il impose au policier, avant de procéder à l’enregistrement, de mettre en œuvre « une approche de bon sens », fondée sur la recherche d’une ingérence minimale et, d’une part, de s’assurer que l’incident trahit une intention hostile et induit un risque significatif de commission ultérieure d’une infraction et, d’autre part, de procéder à un contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de l’enregistrement, particulièrement en considération du principe de liberté d’expression et des règles qui régissent la protection des données personnelles[87].
Reste que cette pratique commence à susciter l’émoi des juristes et à mobiliser l’opinion publique. Ainsi, en 2020, un historien a été accusé d’incitation à la haine raciale pour avoir déclaré, durant les manifestations organisées par Black Lives Matter, que « l’esclavage n’était pas un génocide, sinon il n’y aurait pas autant de foutus noirs en Afrique et en Grande-Bretagne ». Il a en conséquence été contraint de renoncer à son fellowship à Cambridge, perdu un engagement de publier son dernier ouvrage et dû s’excuser publiquement. Des poursuites ont été engagées contre lui. Le journaliste qui avait diffusé l’interview a été convoqué par la Metropolitan Police pour un entretien préalable à un éventuel enregistrement policier. De nombreux soutiens émanant du personnel politique[88] et d’autres journalistes se sont alors manifestés. L’ancien directeur du CPS, Lord Macdonald, a qualifié l’enquête policière de « sinistre et insensée » et décrit l’investigation comme une « acrobatie politique ». Devant le tollé, la police a été contrainte d’ouvrir une enquête sur la proportionnalité des actes auxquels le journaliste avait été soumis[89].
L’autre effet des défaillances constatées dans la répression des discours de haine est plus surprenant.
B. Tenter de juguler les effets de la prévention active des discours de haine : Higher Education (Freedom of Speech) Act 2023
Le Royaume-Uni est depuis longtemps confronté à des pratiques d’usage militant de la loi. La lutte contre les discours de haine n’échappe pas à cette tendance et la menace d’engager des poursuites est utilisée par certains lobbys pour faire progresser leur cause[90]. Mais les activistes ayant constaté les limites du recours au droit, une pratique hybride s’est développée, qui consiste à combiner l’action juridique avec des actions de désobéissance civile – particulièrement la cancel culture -, voire des actes émeutiers[91].
Le gouvernement britannique a ainsi été conduit à adopter le Higher Education (Freedom of Speech) Act 2023[92].
Les débats parlementaires établissent que l’ambition du texte est de mettre un terme à la pratique des syndicats étudiants dite du no-plateform ou du academic dissmissal, consistant à interdire à un conférencier, le représentant d’une organisation ou d’une institution, voire un enseignant, de prendre la parole dans l’enceinte de l’établissement, en raison des idées qu’il professe ou qu’il incarne. Développée contre les représentants de l’extrême-droite dans les années 1970, la pratique a ensuite été appliquée aux groupes islamistes. À compter des années 2010, elle s’est étendue aux personnalités identifiées comme homophobes ou transphobes. Le projet a été présenté par le gouvernement après qu’en février et mars 2020, des conférences[93] ont été empêchées par des étudiants de l’Université d’Oxford.
Ce texte contient une série de dispositions, relatives à la liberté d’expression et à la liberté académique, dans les institutions d’enseignement supérieur et les syndicats étudiants. Outre l’obligation imposée aux institutions et syndicats de promouvoir et respecter ces libertés, elle crée un nouveau cas de responsabilité civile[94] en cas d’atteinte injustifiée à la liberté d’expression académique, qui permet aux victimes de ces atteintes de réclamer une indemnisation. Un directeur de la liberté d’expression et de la liberté académique doit être créé au sein des établissements d’enseignement supérieur. Il dispose d’un pouvoir d’enquête sur les allégations d’ingérence et d’un pouvoir de sanction. Enfin, le texte complète l’obligation de prévenir les atteintes aux libertés, imposée aux établissements d’enseignement supérieur par le Counter-Terrorism and Security Act 2015. Aux termes de l’article A1 de la loi, la présidence doit prendre « toutes les mesures raisonnablement nécessaires pour parvenir à l’objectif de garantir la liberté d’expression telle qu’elle résulte de la loi aux membres de la communauté académique, y compris les invités ». Le texte insiste particulièrement sur la nécessité de garantir que l’accès à l’établissement ne soit pas interdit à quiconque en raison de ses opinions et de prohiber tout accord de non-divulgation entre l’établissement et l’un de ses membres, étudiant ou invité, en raison de plaintes pour harcèlement ou tout comportement inapproprié.
[1] G. Orwell, Nineteen Eighty-Four, Penguin Modern Classics, 2013.
[2] Il aura fallu que soit établie la mise sur écoute illégale de membres de la famille royale et du gouvernement pour que l’hebdomadaire News of the World, dont les unes étaient chaque dimanche plus outrageantes, soit inquiété.
[3] V. S. J. Shapiro, « Comparing Free Speech: United States v. United Kingdom », University of Baltimore Law Forum: (1989) Vol. 19: No. 2, Article 5.
[4] Derbyshire County Council v Times Newspapers [1995] AC 534.
[5] Rappelons que l’arrêt fondateur de la jurisprudence de la CEDH en matière de liberté de la presse (CEDH, 7 décembre 1976, Handyside contre Royaume-Uni, req. n°5493/72) portait condamnation du Royaume-Uni et établissait que le législateur et le juge britanniques se préoccupaient alors plus de morale que de fraternité….
[6] S. 73, Coroner and Justice Act 2009, c.25. Seules les infractions de common law ont été supprimées. Les infractions similaires, contenues dans des lois adoptées par le Parlement, continuent de recevoir application (v. par exemple, s. 12, Terrorism Act 2000, c.11).
[7] W. Bird, Press and Speech Under Assault: The Early Supreme Court Justices, the Sedition Act of 1798, and the Campaign against Dissent, Oxford UP, 2016, particulièrement Ch. 2: The Crime of Seditous Libel, and England’s Evisceration of Freedoms of Press and Speech, p.31-70.
[8] Public Order Act 1936, c. 6, particulièrement s.5.
[9] Cette disposition a essentiellement été utilisée pour réprimer les membres de la British Union of Fascists dans l’entre-deux guerres. Cependant, v. aussi Jordan v Burgoyne [1963] 2 QB 744.
[10] c. 73.
[11] N. Courtney, « British and U.S. Hate Speech Legislation: A Comparison », Brooklyn Journal of International Law, Vol. 19 (2), 1993 , p.729-747.
[12] D’abord, la violence des skinheads et des hooligans; ensuite, sous la pression internationale après le 11 septembre 2001, l’inquiétude suscitée par les discours des prêcheurs du Londonistan.
[13] c.64.
[14] S. Jeffery, « 7 July London attacks – ’The rules of the game are changing’ », The Guardian, 5 août 2005
[15] Tuée, le 16 juin 2016, durant un meeting Remain, par un militant d’extrême-droite.
[16] C. Roynier, « La liberté dans la tradition anglaise de la Common Law », Droit et philosophie, 5/2013, p.187-188.
[17] K. Ewing, Bonfire of the Liberties : New Labour, Human Rights and the Rule of Law, Oxford,Oxford University Press, 2010, p. 284.
[18] V. A. Dicey, Introduction to the study of the the Law of the Constitution, Wade, Macmillan, 10è éd., 1959.
[19] s.12.
[20] V. N. Hall et al (eds), The Routledge International Handbook on Hate Crime, Routledge, 2015.
[21] Néologisme forgé par D. Kalifa.
[22] Partie III, s. 17 à 25.
[23] c.19.
[24] c.21.
[25] c.33.
[26] c.1.
[27] c.4.
[28] Inflammatory material.
[29] c.21.
[30] c.15.
[31] c.40.
[32] c.11.
[33] s.18.
[34] s.19.
[35] s.20.
[36] s.21.
[37] s.22.
[38] s.23.
[39] s. 29B à 29G.
[40] Depuis 2022, la Hate Crime (Misoginy) Bill est en discussion – aujourd’hui en seconde lecture devant la Chambre des Communes. Il prévoit d’étendre aux infractions dirigées contre les femmes les infractions d’incitation à la haine prévues par le POA et la circonstance aggravante générale de comportement haineux. Toutefois, l’adoption du texte est reportée sine die, le Parlement s’étant vu ces deux dernières années invité à adopter prioritairement des textes jugés plus urgents par le gouvernement.
[41] S. Lipscombe, Hate Crime, House of Commons Library, Briefing Paper, Number 8791, 14 Jan. 2020.
[42] R. Card, Public Order Law, Jordans, 2000, p.186.
[43] H. Fenwick and G. Philipson, Media Freedom under the Human Rights Act, Oxford University Press, 2006, p.515.
[44] R. M. Vanderbeck and P. Johnson, « “If a Charge was Brought Against a Saintly Religious Leader Whose Intention Was to Save Souls . . . “: An Analysis of UK Parliamentary Debates over Incitement to Hatred on the Grounds of Sexual Orientation », Parliamentary Affairs Vol. 64 No. 4, 2011, 652–673.
[45] s. 29J POA 1986: « Aucune disposition de la présente partie ne doit être lue ou mise en œuvre d’une manière qui interdise ou limite la discussion, la critique ou l’expression d’une antipathie, d’une aversion, d’une moquerie, d’une insulte ou d’une injure à l’égard de religions particulières ou des croyances ou pratiques de leurs adeptes, ou de tout autre système de croyances ou pratiques de ses adeptes, ou le prosélytisme ou l’incitation des adeptes d’une religion ou d’un système de croyances différent à cesser de pratiquer leur religion ou leur système de croyances ».
[46] s. 29A POA 1986: « la discussion ou la critique de la conduite ou des pratiques sexuelles ou l’invitation adressées à autrui de s’abstenir ou de modifier de telles conduite ou pratique ne doit pas être considérée comme étant en elle-même menaçante ou incitant intentionnellement à la haine et toute discussion ou critique du mariage entre personnes de même sexe ne doit pas être considérée comme étant en elle-même menaçante ou incitant intentionnellement à la haine ». De surcroît, le fait d’exprimer une opinion sur le mariage des couples de même sexe ne constitue pas en soi une incitation à la haine en raison d’une disposition spécifique prévue par le Marriage (Same Sex Couples) Act 2013.
[47] Law Commission, Hate Crime laws: Final report, Law Com n°402, HC 942, 2021?
[48] Ci-après CPS.
[49] Pour mémoire, au Royaume-Uni, il existe 43 forces de police régionales indépendantes du Home Office et des forces de police spécialisées jouissant d’une compétence territoriale nationale (par ex. la British Transport Police). Les codes of practice émis par le College of Policing permettent ainsi d’unifier les pratiques (par exemple, chaque disposition du Police and Criminal Evidence Act 1984 est l’objet d’un code of practice spécifique, souvent long de plusieurs dizaines de pages et remis à jour à chaque amendement du texte par une loi nouvelle).
[50] N. Courtney, précit.
[51] 2.145
[52] Ainsi, dans les années 1960, les poursuites ont presque exclusivement visé les membres de mouvements de protection des minorités ethniques (v. R v. Michael Abdul Malik (Michael X) [1968] 1 All ER 582, 58; comp. R v Britton [1967] 2 QB 51).
[53] N. Courtney, précit.
[54] Par exemple: CPS, Racist and Religious Hate Crime – Prosecution Guidance: Incitement to Racial Hatred – Part III Public Order Act 1986, 2022; CPS, Guidelines on prosecuting cases involving communications sent via social media, June 2013. V. aussi, College of Policing, Responding to hate, 2023; CPS, Sexual Orientation: CPS Guidance on stirring up hatred on the grounds of sexual orientation, 2010
[55] Realistic prospect: ce qui signifie qu’un jury ou des magistrats, appliquant la loi de manière raisonnable, objective et impartiale, est plus susceptible de parvenir à un verdict de culpabilité qu’à une relaxe.
[56] C’est-à-dire l’intérêt général, apprécié au regard des faits de l’espèce et des conséquences induites par les actes querellés sur l’ordre public et la communauté (v. CPS, Community Impact Statements and their Use in Hate Crime Cases. Guidelines for prosecutors, 2018).
[57] M.A. Walters, S. Wiedlitzka, A. Owusu-Bempah and K. Goodall, Hate Crime and the Legal Process: Options for Law Reform, 2017, University of Sussex.
[58] CPS, 2022, précit.; v. aussi Article 19, United Kingdom (England and Wales): Responding to “hate speech“, 2018. Par ex: J. Bedford-Turner, leader du London Forum et fasciste revendiqué, dans un discours prononcé en juillet 2015 devant le 10 Downing Street, avait imputé les deux guerres mondiales à la responsabilité des juifs et déclaré: « Libérons l’Angleterre des juifs. Libérons ce pays. Ecoutez, soldats, écoutez-moi. Il est temps de libérer notre pays ». A priori, ces propos ne tombaient pas sous le coup de la loi. Mais, dans un entretien avec un journaliste, il avait déclaré : « vous parlez à une petite foule mais en fait, vous parlez à l’audience de YouTube. Donc, vous essayez de rester dans les limites de la loi. Idéalement, vous restez sur la ligne de crête légal juste assez pour encourager l’ennemi à entreprendre des poursuites. Entreprendre et échouer. Vous emmener au tribunal et ensuite, vous gagnez. Alors, les journalistes et tout le monde pourra en parler ». Le juge déduit de la mauvaise foi l’intention haineuse qui permet la condamnation (The Guardian, « Ex-soldier guilty of racial hatred charge after CPS initially declined to prosecute », 14 mai 2018).
[59] DPP v. Humphreys [2005], LC 2021, 2.133: le juge admet néanmoins que quand le propos raciste prend la forme d’injures, le propos est « almost undeniably agressive ».
[60] Ainsi, comme les juges de Strasbourg, les juges britanniques manifestent une grande tolérance en matière de discours politique, particulièrement durant les campagnes électorales, ce qui explique la brutalité des discours qui ont pu être tenus par les partisans du « leave » durant la campagne référendaire sur le Brexit.
[61] R v Woods [2002] EWHC 85: « black bastard” ou R v White [2001] EWCA Crim 216: « African bitch“
[62] R v Knight, Crim. App. (S) 82 (1980); R. v. Edwards, Crim. App. (S) 145 (1983).
[63] La Law Commission, dans son rapport précité, évoque ainsi un groupe néo-nazi qui parle de la « conspiration du sang diffamatoire » pour inciter à la haine contre les juifs et échappe ainsi à toute répression. V. aussi DPP v. Clarke, 30 juillet 1991 (1992) 94 Cr. App. R. 359.
[64] Chambers v DPP [2012] EWHC 2157 (Admin), [2013] 1 WLR 1833: la Cour estime qu’échappe à la répression « les commentaires satiriques, iconoclastes ou grossiers, l’expression d’opinions impopulaires ou démodées sur des sujets sérieux ou triviaux, la plaisanterie ou l’humour, même de mauvais goût ou pénibles pour ceux qui les subissent ». De même, dans R v Umran Javed and Others [2007] EWCA et Cr. App. R. (S.) 12. 68, si la Cour d’appel valide la condamnation des prévenus pour avoir, à l’occasion d’une manifestation contre la publication de caricatures de Mahomet dans divers quotidiens européens, proféré des propos haineux (« Massacrez ceux qui insultent l’Islam »; « Préparez vous au réel Holocaust »; « Osama est en chemin »), elle réduit les condamnation, estimant que les « vidéos ne confirmaient pas des scènes de furie et que si les chants étaient forts et enthousiastes, le comportement des manifestants n’étaient ni violent, ni menaçant. Il y avait de nombreuses forces de l’ordre. Cependant, la manifestation s’est tenue seulement six mois après les attentats de Londres et ces derniers, comme les attentats de Madrid et du 11/9, ont fait l’objet de chants les célébrant. Les messages sur certaines pancartes et l’objet des chants étaient extrêmement agressifs, l’ensemble constituant une manifestation de haine raciale et une incitation à cette dernière ».
[65] Tels que prévus par le Anti-Social Behaviour Crime and Policing Act 2014.
[66] Par exemple: R v Bitton (David) [2019] EWCA Crim 1372.
[67] Par exemple: R v Davison [2020] EWCA Crim 665.
[68] Conformément aux dispositions du Sentencing Act 2020. V. aussi Kelly [2001] EWCA Crim 170, [2001] 2 Cr App R (S) 73.
[69] University of Oxford, Oxford Pro Bono Publico, Comparative Hate Speech Law, Research prepared for the Legal Resources Centre, South Africa, March 2012
[70] B. Hadfield, « Prevention of Incitement to Religious Hatred – An Article of Faith », 35 N. Ir. Legal Q. 231 (1984), p.242.
[71] A. Twomey, « Laws Against Incitement to Racial Hatred in the United Kingdom », (1994) 1 AJHR 5
[72] J. Schweppe and D. Walsh, Combating Racism and Xenophobia through the Criminal law. Available at http://www.integration.ie/website/omi/omiwebv6.nsf/page/AXBN-7UPE6D1121207-en/$File/Combating%20Racism%20with%20the%20Criminal%20Law.pdf. Dans le rapport précité, la Law Commission évoque une dizaine de poursuites par an, qui toutes n’aboutissent pas à des condamnations.
[73] Par ex.: R v. Pal [2000] EWHC 1575 (QB): l’accusé, un jeune homme d’origine asiatique, avait qualifié la victime de « suceur de cul d’homme blanc » et d’« Anglais marron » avant de l’agresser physiquement. La Cour a estimé que les violences n’étaient pas aggravées par la haine raciale car les propos étaient tenus sous le coup de la colère et ne concernaient pas le groupe racial de la victime mais « sa relation avec les Blancs ». De même, le District Judge Clancy, présidant la Liverpool Magistrates’ Court, a relaxé, sur le fondement de la liberté d’expression en matière religieuse, les propriétaires d’un hôtel qui avaient gravement insulté l’une de leur cliente lorsqu’elle était apparue revêtue d’un hijab (R. Jenkins, « Hotelier Ben Vogelenzang cleared of insulting Muslim guest », The Sunday Times, 9 December 2009). En revanche, le 4 mars 2010, un jury a déclaré coupable Harry Taylor d’incitation à la haine parce qu’il avait, à différentes reprises, laissé dans la salle de prière de l’aéroport de Liverpool des dessins blasphématoires, qui avaient offensé le chapelain. Le 23 avril 2010, Judge James, de la Liverpool Crown Court, l’a condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis probatoire de 2 ans, un ASBO lui interdisant de détenir et transporter du matériel offensant pour la religion, 100 heures de TIG et £250 d’amende (« John Lennon Airport sexual image atheist gets Asbo ». BBC. 23 April 2010. Retrieved 23 April 2010).
[74] Ainsi, le 23 avril 2018, M. Meechan a été condamné à £800 d’amende pour avoir posté sur YouTube une vidéo dans laquelle il se mettait en scène apprenant au carlin de sa compagne à lever la patte lorsqu’il entendait « Seig Heil! ». Outre le soutien au condamné de plusieurs députés conservateurs et de plusieurs acteurs britanniques, cette condamnation a suscité une manifestation de 500 personnes devant la juridiction pour dénoncer le verdict. De même, en avril 2018, C. Russell, âgée de 19 ans et souffrant du syndrome d’Asperger, a été condamnée à £585 d’amende, une ordonnance de couvre-feu et l’obligation de porter un bracelet électronique pour avoir posté sur son compte Instagram un extrait des paroles d’une chanson de Snoop Dogg disant : « Kill a snitch nigga, rob a rich nigga ». La police, informé de « l’injure », a mis en cause l’auteure pour avoir « envoyé des messages gravement offensant ». L’avocate de la défense s’est aussi vu interdire de prononcer le terme « nigga » devant le tribunal. La condamnation a finalement été annulée par la Liverpool Crown Court le 21 février 2019.
[75] R (on the application of Alison Chabloz) v. CPS [2020] 1 Cr.App.R. 17: A. Chabloz, antisémite notoire, a été condamnée pour avoir posté sur YouTube des vidéos dans lesquelles elle chantait des chansons contestant l’Holocauste et qualifiant Auschwitz de « Parc à thème ». Le révisionnisme n’étant pas spécifiquement incriminé et l’auteur ayant pris soin de n’employer aucun terme « menaçant, agressif ou insultant », elle fut poursuivie et condamnée, en 2018, sur le fondement de la section 127 du Communications Act 2003 pour avoir « publié sur un réseau électronique de communication public un message contraire aux standards de la décence publique » à une exclusion de son réseau social, qu’elle n’a pas respectée, ce qui a permis de l’envoyer en prison pour violation de son ASBO.
[76] The Stephen Lawrence Inquiry Report of an Inquiry by Sir William Mac Pherson of Cluny advised by Tom Cook, the Right reverend Dr John Sentamu, Dr Richard Stone, Presented to Parliament by the Secretary of State for the Home Department by Command of Her Majesty. February 1999, Cm 4262-I.
[77] CPS, 2022, précit.
[78] Non-crime hate incident.
[79] College of Policing, Critical Incident Management, 2021 et Non-Crime Hate Incident, 2023.
[80] Entre 2014 et 2019, 34 des 43 forces de police d’Angleterre et du Pays de Galles ont enregistré 119,934 NCHI (Law Commission, rapport précit.).
[81] The Non-Crime Hate Incidents: Code of Practice on the Recording and Retention of Personal Data (‘the Code’), June 2023.
[82] Home Affairs Committee, Hate crime: abuse, hate and extremism online, 25 April 2017, HC 609
[83] V. aussi The Traveller Movement, The preliminary report: ‘Policing by consent: Understanding and improving relations between Gypsies, Roma, Irish Travellers and the police’, 2018.
[84] Ainsi, par exemple, l’affaire Miller v The College of Policing & Anor [2020] EWHC 225 (Admin): le mis en cause a subi un enregistrement policier après une dénonciation par une femme transgenre, d’un tweet ainsi rédigé : « les femmes transgenres sont des femmes. Quelqu’un sait où cette nouvelle classification biologique a été pour la première fois proposée et adoptée ? ». Il a alors reçu la visite d’un policier sur son lieu de travail qui l’a interrogé sur ses tweets, l’a informé que de nombreux membres de la communauté transgenre s’étaient déclarés affectés et que l’incident était enregistré car, si le propos n’était pas en soi illégal, s’il persévérait, il pourrait être considéré comme infractionnel – le renouvellement de tweet sur le sujet étant susceptible de caractériser une « escalade haineuse infractionnelle », soit un acte de harcèlement criminel au sens du Communications Act 2003. Le juge, tout en admettant qu’une personne devrait pouvoir se faire communiquer l’enregistrement policier et contester son contenu, a admis que l’enregistrement policier pouvait être transmis à un potentiel employeur, dans le cadre d’une enquête administrative, préalable à l’embauche ou de sécurité (Disclosure and Barring Service enhanced check), « lorsque l’individu serait appelé à être en contact avec des personnes vulnérables… appartenant au groupe auquel le requérant avait été accusé d’être hostile ». Néanmoins, le juge relève aussi qu’il n’existait pas de preuve permettant de déduire des messages un risque de basculement dans une activité de nature infractionnelle et a estimé que l’intervention de la police sur le lieu de travail, comme la mise en garde sur de possibles poursuites constituait une ingérence injustifiée et disproportionnée dans la liberté d’expression de M. Miller, d’autant que la CEDH offre une protection renforcée en matière de « discours politiques et de débats d’intérêt général » telles que la question du transsexualisme. Cependant, le juge estime aussi que les police guidelines qui imposent d’enquêter et d’enregistrer les allégations d’incident haineux sont légales et poursuivent un but légitime.
[85] 2021. 1.7 et 1.8.
[86] College of Policing, NCHI, précit.
[87] Home Office, « Police will prioritise freedom of speech under new hate incident guidance », 13 mars 2023.
[88] Dont la ministre de l’intérieur Pretty Patel et l’ancien ministre de l’intérieur Sajid Javid.
[89] L. May and J. Wright, « Police are set to review ‘race hate’ probe into journalist Darren Grimes and David Starkey to ensure it is ‘proportionate’ after historian’s ‘damn blacks’ comment during YouTube interview », Daily Mail, 14 octobre 2020.
[90] Rappelons l’intégration dans l’incrimination des discours des représentations théâtrales ou des programmes audiovisuels contenant des propos haineux, ce qui offre un espace non négligeable à certaines manifestations de cancel culture.
[91] Cette pratique a été développée par des mouvements tels que Black Lives Matters, ou Extinction/Rebellion.
[92] Ch. 16.
[93] Une historienne et Amber Rudd, ancienne ministre de l’intérieur
[94] Statutory tort.