Quelles qualifications pénales pour les discours de haine ?
Par Valérie Malabat, Professeur à l’Université de Bordeaux
La question de la qualification pénale des discours de haine se pose parce que les discours de haine ne sont pas visés en tant que tels dans les textes répressifs. Pour le dire autrement : aucune infraction précise n’est désignée par l’expression discours de haine. Le pénaliste est alors un peu déstabilisé quand sont invoqués ces fameux discours de haine ou discours haineux parce qu’ils ne correspondent a priori à aucune infraction précise. Il lui faut donc se demander ce qu’est un discours de haine pour ensuite voir quelles sont les qualifications pénales qui pourraient lui être appliquées. Le magistrat, quant à lui, se pose la question de manière un peu différente : lorsque des propos litigieux sont portés à sa connaissance, il doit en effet rechercher s’ils sont répréhensibles (et, pour cela, vérifier s’ils correspondent à un texte d’incrimination) sans même avoir à les qualifier de discours de haine.
La notion de discours de haine n’est donc pas une notion directement opérationnelle en droit pénal interne, ce qui ne signifie pas qu’elle y est dénuée d’intérêt et on peut vouloir en approfondir l’étude par exemple pour mesurer la distance entre la réalité factuelle de ce type de discours et leur appréhension par le droit.
Bien que le droit pénal interne n’accorde pas d’effet particulier à la qualification de discours de haine, cette expression doit ainsi malgré tout recevoir un contenu précis, ne serait-ce tout d’abord que parce que la Cour européenne des droits de l’Homme admet que la peine privative de liberté soit prononcée en répression d’un discours de haine[1] alors même qu’elle est réticente à l’application de cette sanction en cas d’abus de la liberté d’expression.
L’expression de discours de haine doit également ensuite recevoir un sens précis parce que l’Union européenne demande (par la décision cadre du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal) à ce que les manifestations graves de racisme et de xénophobie soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives dans l’ensemble de l’Union et que cette injonction est généralement présentée comme imposant la sanction pénale des discours de haine[2]. Cette décision cadre donne d’ailleurs dans son article premier une liste des comportements intentionnels qu’elle considère comme devant être incriminés et comprend une précision sur le mot haine dans son considérant 9 lequel indique qu’il désigne « la haine fondée sur la race, la couleur, la religion, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». Le texte européen propose toutefois moins une définition qu’une délimitation de la haine : on ne sait en effet pas davantage en quoi consiste la haine mais on sait qu’elle doit être fondée sur la race, la couleur, la religion l’ascendance … En ce sens, le misanthrope qui porte sa haine sur l’ensemble du genre humain, n’est ainsi pas responsable d’un discours de haine qui implique une discrimination par ailleurs établie sur l’un des critères limitativement visés. Mais le droit de l’Union européenne permet de comprendre que ce sont les notions de racisme et de xénophobie qui délimitent les contours des discours dit de haine. L’article 1er de la décision-cadre vise en effet comme actes au titre des « Infractions relevant du racisme et de la xénophobie » :
a) l’incitation publique à la violence ou à la haine visant un groupe de personnes ou un membre d’un tel groupe, défini par référence à la race, la couleur, la religion, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique;
b) la commission d’un acte visé au point a) par diffusion ou distribution publique d’écrits, d’images ou d’autres supports;
c) l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, tels que définis aux articles 6, 7 et 8 du Statut de la Cour pénale internationale, visant un groupe de personnes ou un membre d’un tel groupe défini par référence à la race, la couleur, la religion, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique lorsque le comportement est exercé d’une manière qui risque d’inciter à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un membre d’un tel groupe;
d) l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes définis à l’article 6 de la charte du Tribunal militaire international annexée à l’accord de Londres du 8 août 1945, visant un groupe de personnes ou un membre d’un tel groupe défini par référence à la race, la couleur, la religion, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, lorsque le comportement est exercé d’une manière qui risque d’inciter à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un membre d’un tel groupe.
Le droit français sanctionne évidemment les comportements visés par la directive mais on peut y trouver bien d’autres incriminations qui pourraient être comprises comme relevant des discours de haine ne serait-ce que parce que notre droit pénal interne a élargi le critère discriminatoire qui fonde le discours de haine en l’étendant au sexe, à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre et parce qu’il généralisé ces motifs discriminatoires qui constituent depuis la loi du 27 janvier 2017[3], des circonstances aggravantes générales applicables à tout crime et à tout délit[4].
Il ressort donc de ces pistes de définition que le discours de haine ne renvoie pas à une situation unique et qu’il existe en droit positif français plusieurs qualifications pénales que l’on peut envisager d’appliquer à ces discours. Il importe donc de commencer par identifier ces qualifications pénales (I) avant de pouvoir examiner comment elles sont ensuite concrètement appliquées aux diverses situations haineuses (II).
I. L’identification des qualifications pénales applicables aux discours de haine
Avant même de rechercher les infractions applicables aux discours de haine qui se répartissent entre le Code pénal et la loi du 29 juillet 1881sur la liberté de la presse, il convient de se rappeler que les discours ne sont par principe pas punissables parce que relevant de la liberté d’expression garantie constitutionnellement et conventionnellement. Pour que le droit pénal soit légitime à intervenir, il convient ainsi de vérifier que le discours de haine proféré est nuisible à des intérêts légitimes protégés[5].
L’éventail des qualifications pénales applicables aux discours de haine (A) devra donc être précisément analysé pour distinguer ce qui fait la spécificité du discours de haine pénalement réprehensible (B) et, partant, en vérifier la légitimité.
A. L’éventail des qualifications pénales applicables aux discours de haine
Pour cerner les discours de haine d’un point de vue général -à savoir non juridique-, on peut d’abord en décomposer la dénomination. Le discours renvoie ainsi à l’usage de l’expression verbale (écrite ou orale) destinée à un public ou à une personne. La haine est un sentiment et, plus exactement, un sentiment d’aversion profonde que l’on éprouve pour quelqu’un ou quelque chose. La confrontation de ces deux termes peut déjà interroger : le discours de haine est-il un discours motivé par le sentiment haineux de son auteur ? Un discours dont le contenu est haineux mais sans que l’on s’interroge sur la motivation de son auteur ? Ou encore un discours qui est de nature à susciter la haine et qui va donc se qualifier par ses conséquences et non par son contenu ou ses motifs ?
Si l’on réfléchit ensuite du point de vue du droit pénal, parmi ces hypothèses, celle qui fait du discours de haine un discours motivé par le sentiment de haine de son auteur ne peut pas être retenue pour au moins deux raisons. La première en est que les motifs sont généralement indifférents à la qualification en droit pénal et, notamment, à la caractérisation de l’élément intentionnel de l’infraction : haine, amour, peu importe au fond ce qui pousse à agir ou à tenir certains discours dès lors que les propos ont été tenus volontairement et consciemment. La seconde en est que le motif haineux peut ne pas se traduire matériellement dans le discours ce qui rend sa preuve trop difficile pour qu’il puisse être pris en compte dans la répression. Il est vrai que l’on évoque parfois des décisions qui semblent tenir compte des mobiles en ce que les juges examinent les opinions auparavant exprimées par l’auteur des propos litigieux ou son comportement antérieur[6]. Mais ce raisonnement, qui repose sur l’idée d’une distanciation entre l’auteur et son discours, n’est en réalité qu’un raisonnement probatoire. Dans les œuvres de fiction dans lesquelles des propos haineux sont tenus, le critère de la distanciation permet en effet de prouver l’absence d’intention de l’auteur. Le fait que l’auteur n’ait jamais à titre personnel tenu de tels propos ou émis des idées semblables permet d’accréditer la thèse du discours fictif qui ne peut être imputé ou plus exactement reproché à l’auteur. La circonstance que ce dernier ait pu, par le passé, exprimer les opinions qu’il a ensuite attribuées à un de ses personnages ouvre alors au contraire la possibilité de considérer que l’auteur tient ce discours en son nom propre et d’établir le caractère à la fois conscient et volontaire de ses propos[7].
La nature du droit pénal implique donc de dépasser la seule analyse du motif haineux pour rechercher des discours ayant un contenu haineux ou qui entendent provoquer des conséquences haineuses. Mais, même si l’on se limite à des discours présentant un tel contenu, les incriminations envisageables sont nombreuses, que l’on pense aux menaces[8], aux violences psychologiques[9], aux appels téléphoniques malveillants[10], aux différentes infractions de harcèlement[11], à l’outrage sexiste[12] ou encore au délit de l’article 223-1-1 issu de la loi du 24 août 2021 qui incrimine « le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer », voire à l’exhibition sexuelle dans le cas des Femen[13]. Or, la simple énumération de ces incriminations permet de comprendre qu’elles dépassent le cas du discours de haine. Par exemple, les appels téléphoniques malveillants peuvent être constitués aussi bien par des messages haineux que par des messages salaces ou effrayants … Dans ces infractions, le contenu haineux est donc une modalité possible de l’infraction mais n’en est pas un élément constitutif nécessaire. Comme l’évoquait Thomas Hochmann[14], ces infractions ne sont pas en lien avec liberté d’expression ou pas nécessairement en lien avec l’exercice de cette liberté. Pour poursuivre avec l’exemple des appels téléphoniques malveillants, la réalisation de cette infraction passe bien par une expression orale -ou écrite dans le cas de messages instantannés- mais dont le contenu ou les modalités porte avant tout atteinte à la tranquillité d’autrui.
Si l’on veut se limiter aux infractions qui impliquent nécessairement un discours présentant une dimension haineuse, il faut donc scruter les éléments constitutifs des incriminations qui devront faire apparaître cette condition. La lecture de ces textes se révèle toutefois peu fructueuse. Ce n’est pas que le mot de haine soit absent des textes répressifs mais il n’y est en réalité que très peu employé en tant que tel. Ainsi, en droit pénal interne, il n’est visé que dans les textes d’incriminations des infractions de provocation publique (dans la loi du 29 juillet 1881) ou non publique (dans le Code pénal) à la haine à la discrimination ou à la violence lorsqu’elles sont fondées sur des critères discriminatoires qui tiennent soit à la nation, la race, l’ethnie la religion soit au sexe à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre. On observe alors que si ces textes désignent un discours de haine, il s’agit en ce cas moins de désigner le contenu haineux des propos tenus que de sanctionner un discours qui provoque chez celui qui le reçoit un sentiment de haine fondé sur des critères discrimatoires à l’égard d’autrui. Autrement dit, c’est bien plutôt la provocation d’autrui à la haine par le discours qui est sanctionnée que le discours de haine en lui-même.
Quoique le mot soit peu employé par le Code pénal, son usage est ainsi riche d’enseignement qui semble montrer que le discours de haine n’est pas celui qui est sanctionné en lui-même mais celui qui entend provoquer un public à la haine, distinction particulièrement intéressante du point de vue de la protection de la liberté d’expression qui serait ainsi garantie y compris pour des discours au contenu haineux et ne trouverait de limite pénale qu’en cas d’incitation d’autrui à la haine, comportement plus dangereux en ce qu’il figure parmi les prémices d’un passage à l’acte.
Les incriminations qui sanctionnent des discours haineux sont donc ainsi d’abord à l’évidence les infractions de provocation à la haine à la discrimination ou à la violence mais aussi les infractions d’injure ou de diffamation dans leur forme aggravée par ce même motif discriminatoire, infractions qui sont visées à la fois par la loi du du 29 juillet 1881 et par le Code pénal selon que les discours sanctionnés ont été tenus publiquement ou non. Mais il faut également y ajouter le négationnisme visé à l’article 24 bis de la loi de 1881[15] ainsi que l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou de la réduction en esclavage[16] et la provocation au génocide non suivie d’effet[17], infractions qui relèvent bien du discours et dont le contenu est haineux du fait même de la gravité des crimes dont il fait l’apologie ou nie la commission.
Même ainsi réduite, la liste des infractions qui sanctionnent des discours de haine révèle le caractère répressif du droit français. Elle établit en effet que la sanction pénale peut intervenir que le discours soit public ou non en cas d’injure ou de diffamation[18], mais aussi plus largement quel qu’en soit le support[19] ou le mode d’expression[20]. Ce souci répressif implique alors de vérifier que l’intervention du droit pénal est légitime ce qui conduit à porter une analyse plus poussée sur les critères du discours de haine pénalement sanctionné.
B. Les critères du discours de haine pénalement sanctionné
L’examen des incriminations qui ont été retenues comme permettant la répression des discours de haine amène à dégager deux critères spécifiques à ces discours. Il s’agit en effet de discours discriminatoires et qui doivent avoir eu ou qui peuvent avoir un impact dommageable.
Outre qu’il ressort de la définition que retient l’Union européenne de la haine[21], le critère de la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes est visé directement dans le texte d’incrimination[22] d’un certain nombre des infractions précédemment listées[23]. C’est ainsi le cas de l’injure (art 33 al 3 de la loi du 29 juillet 1881) et de la diffamation aggravées (art 32 al 2 de la même loi) mais aussi de la provocation à la haine à la discrimination ou à la violence (art 24 al. 7 et 8 de la loi du 29 juillet 1881). Le critère ne figure en revanche pas expressément dans les textes d’incrimination du négationnisme (art 24 bis de la loi du 29 juillet 1881), de l’apologie de crimes de guerre, crime contre l’humanité et autres crimes graves (art 24 al 5) ni dans celui de la provocation au génocide (art. 211-2 du Code pénal). Malgré tout il ressort de l’étude de ces infractions qu’elles reposent le plus souvent sur la haine d’un groupe déterminé à partir d’un critère discriminatoire. Dans ces hypothèses en effet, si les textes d’incrimination ne visent pas ouvertement des propos discriminatoires, les actes sanctionnés relèvent bien du discours et ce discours consiste à nier ou à faire l’apologie ou à inciter à la commission de crimes particulièrement graves dont la plupart reposent sur un critère discriminatoire[24]. C’est ainsi tout particulièrement le cas du génocide qui implique la volonté de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux, voire, pour le droit français[25], d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire. Le crime contre l’humanité vise quant à lui « seulement » les populations civiles mais n’est pas exempt de discrimination lorsqu’il se réalise par des actes de persécutions ou de ségrégation[26]. En revanche l’esclavage, la réduction en esclavage auxquels renvoie l’article 24 al 5 de la loi du 29 juillet 1881 qui en sanctionne l’apologie n’exigent pas, au titre de leurs éléments constitutifs, d’avoir été réalisés selon un critère discriminatoire même si l’Histoire révèle que c’est généralement ainsi que ces crimes ont été commis. Les discours de haine pénalement sanctionnés qui ne visent pas explicitement de critère discriminatoire sont donc en lien avec les crimes internationaux par nature[27] ou des crimes graves (tels que la réduction en esclavage) qui, tous, nient certains individus dans leur humanité.
On peut malgré tout considérer que, parce qu’elle ne relève que du discours, une telle discrimination, bien qu’extrême, ne suffit pas à fonder la répression pénale alors que la liberté d’expression relève des droits fondamentaux garantis et emporte la liberté d’exprimer des opinions qui heurtent, choquent ou inquiètent[28]. Pour légitimer l’intervention du droit pénal, le discours tenu doit donc avoir un certain impact établissant le trouble à l’ordre public.
Ce qui caractérise le discours de haine pénalement sanctionné est en effet qu’il ne relève pas simplement du discours mais vise à provoquer ou à inciter à une action qui peut préjudicier au public visé ou est de nature à porter atteinte à d’autres intérêts tels que l’autorité de la justice dans le cas du négationnisme[29]. S’agissant des discours qui visent directement une personne comme dans l’injure ou la diffamation, la situation est toutefois différente en ce que ces propos relèvent moins du discours public[30] que d’une relation interpersonnelle. La nature des propos tenus révèle l’intention de s’en prendre directement à autrui et justifie (au moins sur le principe) l’intervention du droit pénal.
Le droit pénal ne semble ainsi pas poser de limites substantielles à la liberté d’expression mais seulement des limites conséquentielles, suivant la distinction proposée par Thomas Hochmann[31].
La distinction est toutefois malmenée par le droit pénal qui vise au titre du résultat de ces infractions des conséquences variées et plus ou moins matérielles ou matérialisables qui oscillent entre préjudice concrètement subi par une ou plusieurs victimes identifiées et préjudice potentiel voire éventuel.
Ainsi, la diffamation et l’injure portent effectivement atteinte à la personne cible et plus précisément à son honneur ou à sa considération. Il s’agit donc d’infractions matérielles qui ne sanctionnent le discours de haine que lorsqu’il produit une conséquence matérielle effective sur une ou plusieurs victimes. La légitimité de l’intervention du droit pénal peut donc tenir à ce préjudice subi par une victime dont les droits sont ainsi atteints. Sans revenir sur l’affirmation suivant laquelle l’injure et la diffamation sont des infractions matérielles, il convient toutefois d’en nuancer la portée en relevant que le préjudice requis pour la caractérisation du résultat de l’infraction est un préjudice purement moral dont la preuve est difficile à rapporter et que le juge déduira en réalité de la nature des propos tenus.
S’agissant ensuite des infractions de provocations à la haine, à la discrimination ou à la violence, le discours est également sanctionné en raison de son impact lequel est toutefois alors moins concret en ce sens que les actes de haine, de violence ou de discrimination n’ont pas à avoir été accomplis puisque les provocations sanctionnées sur le fondement de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sont celles qui n’ont pas été suivies d’effet[32]. Autrement dit, le juge doit simplement vérifier que le discours est de nature à provoquer cet effet pour pouvoir entrer en condamnation ce qui passe également par une analyse des propos tenus et de leur contexte. L’analyse de ce lien sera principalement casuistique et laisse une large marge d’appréciation d’autant plus lorsqu’il s’agit d’apprécier le lien -potentiel- entre les propos et non pas une infraction précisément définie telles que la discrimination ou la violence mais à un sentiment : la haine[33].
En ce qui concerne enfin les infractions d’apologie ou de négationnisme, on cherche en vain la référence à une conséquence -ne serait-ce que potentielle- du discours dans les éléments constitutifs de ces infractions. On pourrait alors y voir une application de la notion d’infraction obstacle. Là où certains discours sont sanctionnés comme infractions matérielles (l’injure et la diffamation), d’autres comme infractions formelles (les provocations non suivies d’effet[34]), d’autres encore dont l’impact réalisé ou attendu n’apparaît pas explicitement dans leur définition légale (l’apologie et le négationnisme) pourraient être considérés comme des infractions obstacles s’agissant d’éviter les troubles puis l’emballement que pourrait provoquer ce genre de discours. Il n’est pas certain toutefois que la qualification d’infraction obstacle soit adaptée à ces incriminations. Dans les infractions obstacles en effet, le résultat redouté est en principe indéterminé[35] et, en tout cas, de réalisation hypothétique, là où il est identifié et plus proche en matière d’infractions formelles. Dans le cas de l’apologie et du négationnisme, si l’impact du discours sur les comportements n’est pas requis au titre des éléments constitutifs, il est malgré tout difficile de considérer qu’ils sont incriminés indépendamment de toute prise en considération de leur conséquence. De la même façon que l’on peut considérer qu’une corruption passive porte atteinte à la crédibilité et à la probité de l’administration alors même que cette atteinte n’a pas à être caractérisée, on peut en effet estimer que le négationnisme porte atteinte à la crédibilité de la justice en contestant l’existence de crimes qui ont été judiciairement constatés[36] et que l’apologie porte atteinte à la paix publique en valorisant la commission de crimes particulièrement graves. C’est dire que l’atteinte à certaines valeurs résulte nécessairement de certains comportements sans qu’il n’y ait à rechercher un préjudice particulier subi ou pouvant être subi par une ou plusieurs personnes.
On voit donc que l’exigence d’un impact du discours de haine en ce qu’elle viendrait fonder l’intervention du droit pénal pour limiter la liberté d’expression n’est pas d’une utilisation facile en raison des degrés qui sont admis dans l’appréciation de cette conséquence entre préjudice effectivement subi par une personne, préjudice pouvant être subi par une personne et une sorte de préjudice collectif qui résulte de l’atteinte à des valeurs telles que l’autorité de la justice ou la paix publique. Sans doute peut-on considérer que, dans tous les cas, le discours de haine qui entre dans ces qualifications crée un trouble à l’ordre public (ce qui légitime a priori l’intervention du droit pénal), trouble qui se manifeste soit par l’atteinte effective ou potentielle portée à une ou plusieurs personnes soit par l’atteinte à des valeurs essentielles en lien avec la protection de la dignité humaine entendue dans un sens étroit comme désignant ce qui fait l’humanité de l’homme.
Cet assouplissement de l’exigence d’un impact réel du discours de haine pour qu’il puisse être pénalement sanctionné devrait alors conduire à être exigeant sur les conditions d’application de ces qualifications pour vérifier que les propos concrètement tenus sont bien de nature à provoquer ou provoquent effectivement ce trouble. Or, la malléabilité des critères qui permettent d’identifier le discours de haine illicite révèle les difficultés d’application des qualifications pénales aux discours de haine.
II. L’application des qualifications pénales aux discours de haine
La liberté offerte au juge dans l’application des critères peu précis qui déterminent les qualifications pénales des discours de haine conduit inévitablement à des difficultés d’applications de ces incriminations (A) mais également à des difficultés d’articulation entre ces qualifications pénales (B).
A. Les difficultés de caractérisation des qualifications pénales
Les critères d’illicéité des incriminations qui visent les discours de haine sont mouvants et conduisent à des difficultés d’application ou, pour le moins, à des difficultés à prévoir l’application qui va en être faite ce qui n’est évidemment pas satisfaisant au regard de l’exigence de prévisibilité de la loi pénale.
Ces difficultés se manifestent d’abord en ce qui concerne l’interprétation des critères discriminatoires[37]. Les termes employés pour les décrire ne sont en effet pas toujours faciles à définir et, partant, à appliquer. Au-delà des débats sur la réalité des races et la pertinence de l’emploi de ce mot, la notion d’ethnie peut paraître imprécise de même que celle d’origine. Sur ce dernier point, on peut par exemple se demander si la référence aux corses[38] (ou aux bretons, aux basques etc.), qui n’évoque pas une nation[39], ne renvoie pas à une origine au sens de l’article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881.
La difficulté se pose également d’identifier avec précision les personnes ou les groupes protégés contre ces discours de haine. Le droit français admet que cette identification soit positive (visant par exemple les musulmans, les noirs etc.) comme négative (les non-français). C’est ainsi que la chambre criminelle a considéré que des propos outrageants et méprisants tenus à l’encontre des migrants extra-européens visaient bien des personnes à raison de leur origine[40].
Dans tous les cas, l’application de ces critères discriminatoires exige que les propos visent des personnes particulières ou un groupe de personnes mais non une entité collective. C’est précisément pour cette raison que les paroles de la chanson « Doux pays » du rappeur Nick Conrad n’ont pas été qualifiées d’incitation à la haine puisqu’elles visaient la France mais non les français ou les personnes blanches[41]. Pour être a priori claire, la distinction entre l’entité (ici la France) et les personnes qui la composent (les Français) n’est pas toujours aisée, notamment dans l’hypothèse d’une diffamation aggravée puisque la jurisprudence admet que la diffamation puisse se réaliser par insinuation et que la discrimination peut par ailleurs être caractérisée indirectement.
À cela s’ajoute une difficulté supplémentaire lorsque c’est un groupe de personnes qui est visé. En ce cas en effet, selon une jurisprudence classique, il faut que l’ensemble du groupe soit visé et non seulement certains de ses membres. Ainsi les propos qui viseraient les catholiques intégristes ne correspondraient pas à cette exigence puisqu’ils ne désignent pas un groupe déterminé par la religion mais, au sein de ce groupe, ceux qui ont une pratique extrémiste : les propos peuvent alors relever du droit de critique de la religion et non d’une discrimination de l’ensemble des personnes qui la pratiquent[42]. Si l’on comprend bien l’idée qui préside à cette solution, elle n’en reste pas moins difficile à appliquer dès lors que l’on se trouve en présence de sous-groupes au sein d’une collectivité identifiée à partir de l’un des critères discriminatoires visés. La décision de la chambre criminelle rendue le 21 février 2023[43] en offre une illustration intéressante. Dans cette affaire, M. Zemmour était poursuivi pour injure et provocation à la haine raciale pour des propos au sujet de l’immigration et de la place de l’islam en France, tenus lors de son discours d’ouverture de la convention de la droite. Il avait en effet visé dans différentes formules, les immigrés de confession musulmane en provenance d’Afrique, les immigrés de confession musulmane, les mêmes qui veulent venir en France pour vivre comme au pays et enfin les musulmans qui affichent une appartenance communautaire. La cour d’appel amenée à statuer l’avait relaxé au motif « qu’aucun des propos poursuivis ne vise l’ensemble des africains, des immigrés ou des musulmans mais uniquement une fraction de ces groupes ». Cette décision a été cassée par la chambre criminelle au motif que « les propos litigieux désignent les immigrés de confession musulmane venant d’Afrique, soit un groupe de personnes déterminé tant par leur origine que par leur religion ».
L’identification du groupé visé suscité également des interrogations lorsque les propos sont dirigés contre une personne ou un groupe de personne mais par l’intermédiaire de pratiques (telles des pratiques rituelles ce qui peut ainsi conduire à une discrimination fondée sur la religion) ou des vêtements traduisant une origine ou une confession particulière. Si la jurisprudence admet que la discrimination soit indirecte, une difficulté d’application est née quant à savoir si la provocation à la discrimination d’un groupe peut se faire via des marchandises. Le boycott des produits israéliens a ainsi donné lieu à des décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme qui peuvent a priori paraître difficiles à concilier[44], sauf à considérer que l’une des deux condamnations prononcées par les juges internes pouvait trouver une justification dans la qualité d’élu de l’auteur en ce qu’elle est susceptible de donner plus d’impact au discours. Depuis ces décisions, la chambre criminelle a de nouveau considéré qu’était justifiée la relaxe du chef de provocation publique à la discrimination d’une société en raison de son appartenance à la nation israélienne pour des propos appelant au boycott des produits de cette société au motif que, si les propos publiés appelaient au traitement différencié au détriment de la société, ils ne renfermaient pas de provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination et ne visaient pas cette société à raison de sa nationalité mais à raison de son soutien financier supposé aux choix politiques des dirigeants de ce pays à l’encontre des Palestiniens[45]. La formulation employée par la chambre criminelle laisse toutefois penser que c’est alors moins le critère discriminatoire qui posait problème que l’impact attendu du discours afin qu’il puisse être considéré comme pénalement répréhensible.
Les difficultés de caractérisation des qualifications pénales se manifestent ensuite en ce qui concerne l’impact du discours de haine.
Il s’agit alors moins d’apprécier l’impact personnel effectif qui ne présente pas vraiment de spécificité ici[46] que de vérifier la réalité d’un impact potentiel ou d’un impact collectif dans la mesure où la consistance de ces effets peut être assez évanescente voire être déduite de la seule teneur et du contexte des propos reprochés.
Deux catégories d’infractions peuvent poser particulièrement difficulté sur ce point.
Il s’agit tout d’abord de la catégorie des infractions de provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination qui, parce qu’elles visent la provocation à ces comportements tiennent donc compte de l’impact du discours mais se contentent de son impact potentiel puisque leur caractérisation ne requiert pas que les actes de haine, de violence ou de discrimination auquel il a été provoqué aient été effectivement accomplis. Sont donc sanctionnés les discours qui sont de nature à conduire autrui à un passage à l’acte, effet potentiel difficile à mesurer[47]. La chambre criminelle semble être vigilante sur ce point en ce qu’elle exige pour établir le délit une véritable exhortation des destinataires du discours au passage à l’acte[48]. Ainsi, les propos qui expriment un sentiment raciste mais ne contiennent pas en eux-mêmes ou en raison de leur contexte, explicitement ou implicitement, d’appel ou d’exhortation à la haine, à la violence ou à la discrimination, ne peuvent suffire à caractériser l’infraction de l’article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881[49].
Ce sont ensuite les infractions d’apologie ou de négationnisme qui posent difficulté en ce qu’elles ne semblent pas exiger un quelconque impact effectif ou potentiel sur un public pour leur constitution.
La jurisprudence ne devrait pour autant pas sanctionner n’importe quel type de discours sur le fondement de ces qualifications. La notion d’apologie ne saurait ainsi être caractérisée par une simple justification des crimes en cause qui pourrait être considérée comme relevant d’un débat mais doit consister en une justification valorisante. L’apologie est donc une sorte de promotion qui, en ce sens, peut influencer le public et lui faire penser que ces crimes sont des actes à valoriser. L’application qui est faite de cette infraction est toutefois plus large qui amène la Cour de cassation à considérer qu’en « présentant comme susceptibles d’être justifiés des actes constitutifs de crimes de guerre, l’écrit doit être considéré comme en ayant fait l’apologie »[50] amenant certains auteurs à présenter ce délit comme une manifestation d’opinion prohibée[51], d’autant qu’il a parfois été admis que l’apologie soit indirecte ou implicite voire qu’elle porte sur la personne du criminel et non sur ces actes[52].
Envisager ensuite le négationnisme au regard d’un critère d’impact sur le public est a priori inconcevable puisque ce discours est tourné vers le passé : il consiste en effet à nier ou à minorer de façon outrancière des crimes graves qui ont eu lieu et ont été constatés par une décision judiciaire. Cette vision peut toutefois apparaître simpliste. Nier la réalité des crimes visés par l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, c’est nier l’humanité des groupes qui ont été victimes de ces crimes. Il est alors difficile de considérer que ce type de discours n’a pas d’impact -ne serait-ce que potentiel- sur la société entière qui ne peut se désintéresser de leur sort. Mais il faut alors reconnaître que la notion d’impact devient particulièrement large, permettant de sanctionner un discours qui heurte ou choque ou inquiète, à rebours de la position de la Cour européenne des droits de l’Homme. Ce critère ne permet ainsi pas de contenir le délit de négationnisme non seulement en raison de son caractère évanescent mais aussi parce qu’il découlerait de la simple nature des propos tenus[53]. La limite du délit tiendrait alors à la seule gravité du discours dont l’appréciation peut paraître trop incertaine pour être jugée suffisante. La limitation nécessaire du délit de négationnisme implique alors que ce délit ne soit pas étendu à des crimes qui n’ont pas fait l’objet d’une condamnation[54] et l’on doit en ce sens approuver la décision du Conseil constitutionnel qui avait censuré une extension du négationnisme à d’autres crimes[55]. Outre que cet objet restreint permet de contenir le champ d’application du délit de négationnisme, il amène également à l’envisager comme portant atteinte à l’autorité des décisions judiciaires ayant constaté les crimes niés et à mieux justifier la répression du négationnisme sans évoquer un critère d’impact négatif du discours qui reste ici particulièrement fragile.
Les difficultés évoquées de qualification pénale des discours de haine rendent donc casuistique -et partant parfois imprévisible- leur application. Évidemment contestable sur le plan de la légalité criminelle, cette appréciation au cas par cas accordant une grande importance au contexte des propos peut aussi apparaître indispensable pour concilier la répression de ces discours avec la nécessaire protection de la liberté d’expression. Le contrôle de la Cour de cassation, du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’Homme doivent alors s’exercer pleinement pour veiller à cette conciliation. La Cour de cassation a toutefois un rôle supplémentaire à jouer en ce que les difficultés de qualification pénale des discours de haine conduisent également à des difficultés d’articulation entre les textes d’incrimination en raison de l’incertitude de leurs contours.
B. Les difficultés d’articulation des qualifications pénales
Un même discours peut en effet amener à hésiter entre plusieurs qualifications pénales ce qui amène d’abord à se poser la question du choix entre ces qualifications puis celle de leur éventuel cumul.
Le choix entre plusieurs qualifications applicables à un même discours de haine peut d’abord amener à hésiter entre injure ou diffamation aggravées par un motif raciste et provocation à la haine à la discrimination ou à la violence. Par exemple, présenter les membres d’une communauté comme des envahisseurs ou des assassins peut tout aussi bien constituer une injure raciste qu’une provocation à la discrimination à la haine ou à la violence. L’articulation entre ces deux incriminations devrait toutefois se faire grâce à la notion de provocation. Pour pouvoir retenir la seconde qualification en effet, il faut que l’impact du discours soit caractérisé sur le public (et non sur la population cible) pour montrer que ce discours était de nature à le provoquer à des actes violents, discriminatoires ou à un sentiment de haine à l’encontre du groupe visé. A défaut de caractérisation d’une telle provocation, parfois définie par la Cour de cassation comme une exhortation, seule l’injure (en cas de termes de mépris ou d’invective) ou la diffamation (en cas d’imputation d’un fait précis) aggravées par le caractère discriminatoire des propos pourraient être retenues. Une espèce -parmi d’autres[56]– permet d’illustrer cette difficulté. Le maire d’une commune a été poursuivi pour avoir tenu les propos suivants : « les Roms m’ont mis neuf fois le feu. Neuf fois des départs de feu éteints par le SDIS dont le premier ils se le sont mis eux-mêmes. Vous savez ce qu’ils font : ils piquent des câbles électriques et après ils les brûlent pour récupérer le cuivre et ils se sont mis à eux-mêmes le feu dans leurs propres caravanes. Un gag ! Ce qui est presque dommage, c’est qu’on ait appelé trop tôt les secours ! Mais je ne l’ai pas dit, je ne l’ai pas dit. Non mais parce que les Roms, c’est un cauchemar, c’est un cauchemar ». Il a été condamné en première instance et en appel pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Le moyen au pourvoi contestait notamment l’existence d’un comportement de provocation en l’absence d’exhortation du public à passer à l’acte contre la population cible mais aussi l’existence d’une intention coupable. La Cour de cassation[57] a rejeté le pourvoi au motif que les juges d’appel avaient justifié leur décision en relevant que, par des propos qui sous-entendaient « que les personnes concernées auraient pu brûler vives dans leur caravane, le prévenu avait stigmatisé un groupe, les Roms, insufflé la haine et, en toute connaissance de cause, provoqué à la violence envers eux (…) les propos tenus suscitant un sentiment d’hostilité ou de rejet envers un groupe de personnes déterminées ». Sur le plan matériel, il semble pourtant que, si l’on peut effectivement déceler le sous-entendu évoqué dans les propos tenus par l’élu, ce sous-entendu n’implique pas pour autant une provocation à la haine envers la population cible alors que n’est pas évoqué un contexte particulier qui pourrait lui donner ce sens par exemple en raison de violences déjà commises ou d’une situation avérée d’hostilité à l’encontre des Roms présents dans la commune. Sur le plan de l’élément moral ensuite, la chambre criminelle a également considéré que les juges du fond avaient justifié leur décision en relevant que « les propos incriminés démontrent l’intention animant leur auteur, qui a rappelé une énumération de méfaits graves, imputés à des Roms, en les associant à l’idée de ne pas appeler les secours en cas d’incendie de leurs caravanes, et a pris le risque de susciter immédiatement chez certains de ses administrés des réactions de rejet, voire de haine et de violence ». La motivation de la décision rendue en appel telle que relevée par la chambre criminelle est pourtant bien insuffisance à établir l’intention de provoquer à la haine ou à la violence et les juges ne l’ont d’ailleurs pas établie en se contentant d’évoquer le fait que le prévenu avait « pris le risque » de susciter des réactions de rejet chez ses administrés, la prise de risque ne pouvant être assimilée à l’intention. Dans cette hypothèse, la qualification de diffamation aggravée aurait ainsi pu être préférée puisque des méfaits graves -des vols- sont imputés par l’auteur à des personnes en raison de leur appartenance à la communauté Rom.
On peut ensuite hésiter également entre les qualifications de provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence et de négationnisme. Nier les crimes qui ont été commis à l’encontre de certaines personnes peut en effet constituer un discours utilisé pour provoquer à la haine contre ce même groupe. Mais, là encore, l’exigence d’une véritable provocation devrait distinguer la première infraction. Nier l’existence du crime contre l’humanité commis contre les juifs pendant la seconde guerre mondiale n’est pas ipso facto provoquer à la haine contre ce même groupe. Un contexte particulier ou des propos supplémentaires doivent alors être relevés pour permettre de caractériser une provocation à la haine envers cette population, au-delà de la négation des crimes dont elle a été victime.
Enfin[58], l’hésitation peut se faire entre les infractions de négationnisme et d’apologie des mêmes crimes. Nier la gravité de certains crimes qui ont été commis, jugés et ont entrainé condamnation de leurs auteurs, n’est-ce pas ipso facto en faire l’apologie ? Si l’articulation à opérer est ici plus délicate en ce que les deux infractions relèvent de discours dont l’impact n’est pas facilement identifiable voire n’est pas une condition constitutive, il semble malgré tout que la minoration d’un crime et son apologie puissent et doivent être distinguées. Si l’apologie n’est caractérisée que par une justification valorisante de ces crimes, la simple minoration -même outrancière, c’est-à-dire exagérée- des crimes en question ne vaut pas automatiquement apologie. Si l’interprétation des propos dans leur contexte ouvre en ce cas une marge d’appréciation et une incertitude corrélative, il n’en reste pas moins que cette interprétation doit permettre de choisir entre ces deux qualifications qui impliquent deux actes de nature différente.
Dans la mesure où le choix entre ces qualifications peut être délicat, la solution de facilité pourrait consister à cumuler ces qualifications. La logique de la loi sur la liberté de la presse devrait toutefois conduire à refuser ces cumuls, non seulement en raison de l’esprit libertaire qui l’anime mais aussi en raison des règles procédurales qui ne permettent pas ce cumul dans les actes de poursuite[59] mais imposent au contraire d’articuler précisément les faits et leur qualification. Il est ainsi classiquement expliqué qu’une « qualification cumulative est admise quand il s’agit de cumuler une infraction hors la loi sur la presse et une autre intégrée dans ce texte, mais pas quand il s’agit de deux infractions relevant de la loi sur la presse mais de nature différente »[60].
Pourtant, la situation est bien plus nuancée, d’abord en raison des revirements intervenus récemment sur la question générale des cumuls de qualifications mais aussi en raison de décisions spécifiquement rendues à propos des discours de haine.
Sur le plan général, les décisions rendues par la chambre criminelle de la Cour de cassation en 2016[61] puis le 15 décembre 2021[62] se montrent en effet beaucoup plus favorables au cumul de qualifications.
Ensuite, il apparaît que la chambre criminelle se montre spécifiquement favorable à ce cumul entre des infractions applicables aux discours de haine. On peut tout particulièrement penser ici à la décision rendue le 26 mars 2019 par la Cour de cassation[63] qui a admis qu’un dessin (unique et réalisé par une seule personne) pouvait recevoir cumulativement les qualifications d’injure envers un groupe de personne à raison de leur appartenance à une religion déterminée et de contestation de crimes contre l’humanité. Dans cette décision en effet la chambre criminelle a rejeté le pourvoi contre la décision d’une cour d’appel qui avait constaté que ces délits procédaient d’intentions coupables distinctes (celle d’outrager la communauté juive, pour le premier, et celle d’insinuer que la Shoah ne serait pas une réalité historique incontestable, mais un mensonge imposé, pour le second), appliquant ainsi les critères du cumul de qualification alors posés par la jurisprudence de 2016. Le cumul était toutefois admis avant même cette jurisprudence dès lors que les intérêts protégés par les incriminations en cause étaient différents et que ces qualifications n’étaient pas considérées comme inconciliables entre elles et qu’elles étaient susceptibles d’être appliquées concurremment[64]. La possibilité d’un cumul n’est alors pas remise en cause par la décision du 15 décembre 2021 qui en fixe désormais les conditions de manière encore plus large[65]. Sans doute pourrait-on soutenir que l’apologie de crimes et le négationnisme des mêmes crimes sont deux qualifications incompatibles (et donc non cumulables) en faisant observer qu’il est difficile de faire l’apologie d’un crime dont on nie l’existence. Mais, même si l’on arrivait à avoir une idée précise de ce que la chambre criminelle conçoit comme des infractions incompatibles, l’affirmation ne vaudrait toutefois que pour le négationnisme réalisé par un discours niant véritablement la réalité des crimes en question et non pour celui qui se serait contenté d’en minorer la gravité. C’est dire que le contexte semble plus que favorable au concours de qualifications applicables aux discours de haine, ce que l’on ne peut que critiquer.
La qualification pénale des discours de haine pose en effet suffisamment de difficultés s’agissant d’établir un abus de la liberté d’expression permettant de légitimer l’intervention du droit pénal. La nécessité d’une double qualification est donc pour le moins incertaine d’autant qu’elle peut être utilisée, non pour cumuler les peines principales, mais pour ouvrir la possibilité de l’application de la sanction la plus lourde portée par les textes en concours. La logique spécifique et libertaire de la loi de 1881 en sort particulièrement malmenée, sauf à considérer qu’elle n’a plus à présider en matière de discours de haine, ce qui ne saurait être admis par principe.
[1] V. CEDH (GC), 17 décembre 2004, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie, § 115 ; CEDH, 11 février 2020, Atamanchuk c. Russie, § 67.
[2] Sur les fondements de la prohibition des discours de haine, v. par ex. J. Francillon, « La poursuite des discours de haine dans le cadre de la loi sur la presse) », in La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ?, dir. N. Drouin et W. Jean-Baptiste, LGDJ, coll. Grands colloques, 2017, p. 77 et s., spéc. p. 79 et s.
[3] Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.
[4] V. Art. 132-76 et 132-77 du Code pénal. Sur cette généralisation et ses imperfections, v. F. Dolou, « L’échec de la généralisation des circonstances aggravantes de racisme et de sexisme », Dr. Pénal 2023, Etude 6.
[5] À défaut, l’infraction sanctionnerait un simple délit d’opinion. V. Sur ce point, Th. Hochmann, « Qu’est ce qu’un délit d’opinion ? », Les cahiers de droit, vol. 53, n° 4, 2012, p. 793-812.
[6] V. par ex. TGI Paris, 17è ch., 19 décembre 2013 : Légipresse 2014, n° 313-11 ayant jugé que si le droit à l’humour peut être reconnu à des non-professionnels (ici un homme politique), il leur appartient alors de montrer la distance qui empêcherait de prendre leur propos au premier degré. V. également CA Versailles, 8è chambre, 18 février 2016, n15/02687 ayant relaxé Orelsan des chefs d’injure publique et sexiste et de provocation à la haine ou à la violence envers un groupe de personne en raison de son sexe en raison de la distance établie entre l’auteur et les propos des personnages de ses chansons. Sur l’utilisation de cette distanciation comme mode de preuve d’une absence de faute, v. V. Malabat, « Qu’est devenu le bon père de famille du Code pénal ? », in Mélanges en l’honneur du professeur Philippe Conte, LexisNexis 2023, p. 539 et s., spécial. pp. 544 et 545.
[7] Ce qui est la preuve d’une intention -dol général- et non d’un mobile -qui relève du dol spécial-.
[8] Art. 222-17 et s. CP
[9] Art. 222-14-3 CP renvoyant aux art. 222-7 et s.
[10] Art. 222-16 CP
[11] Art. 222-33 pour le harcèlement sexuel (qui vise aussi, parmi les actes incriminés, les propos sexistes) et 222-33-2 et s. pour les différentes hypothèses de harcèlement moral.
[12] Art. 222-33-1-1 CP.
[13] Puisque leurs slogans sont généralement violents et que la chambre criminelle a fini par admettre que leur exhibition relevait de la liberté d’expression. V. Cass. Crim., 26 février 2020, n° 19-81.827.
[14] Th. Hochmann, Les discours de haine, le droit pénal et la Cour européenne des droits de l’homme, cette revue.
[15] Ce texte incrimine le fait de contester l’existence d’un ou plusieurs « crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale » mais aussi le fait de nier, minorer ou banaliser de façon outrancière « l’existence d’un crime de génocide autre que ceux mentionnés au premier alinéa du présent article, d’un autre crime contre l’humanité, d’un crime de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou d’un crime de guerre défini aux articles 6,7 et 8 du statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 et aux articles 211-1 à 212-3,224-1 A à 224-1 C et 461-1 à 461-31 du code pénal, lorsque ce crime a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale ».
[16] Art 24 al 5 de la loi du 29 juillet 1881 qui dispose que « seront punis de la même peine ceux qui, par l’un des moyens énoncés en l’article 23, auront fait l’apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi, y compris si ces crimes n’ont pas donné lieu à la condamnation de leurs auteurs ».
[17] Art. 211-2 CP : « La provocation publique et directe, par tous moyens, à commettre un génocide est punie de la réclusion criminelle à perpétuité si cette provocation a été suivie d’effet.
Si la provocation n’a pas été suivie d’effet, les faits sont punis de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. »
[18] Ainsi, les injures et diffamations racistes ou sexistes sont incriminées qu’elles soient publiques (dans la loi du 29 juillet 1881) ou non publiques (art. R. CP).
[19] Les propos peuvent ainsi avoir été tenus oralement, par écrit, diffusés par un moyen de communication en ligne. V. Art 23 de la loi de 1881 qui énonce les moyens de publication.
[20] Le discours de haine peut en effet relever non seulement d’une expression verbale mais tout aussi bien d’un graphisme. On peut en citer pour exemple la sanction pour injure raciale commise par une militante du FN à l’encontre de Mme Taubira par un photomontage publié sur sa page Facebook et qui montrait d’un côté un petit singe et de l’autre la garde des Sceaux de l’époque, ces dessins étant accompagnés des légendes « à 18 mois » et « maintenant » (TGI Paris, 17è ch., 2 juin 2016, Légipresse 2016, n° 340).
[21] V. supra introduction.
[22] La vérification de ce critère doit en effet exclusivement être faite à partir de ce texte d’incrimination puisque le motif raciste ou sexiste constitue aujourd’hui toujours une circonstance aggravante en application des articles 132-76 et 132-77 du Code pénal. Sur la généralisation de ces circonstances aggravantes v. supra et notamment la référence note 4.
[23] Pour une définition en ce sens des discours de haine v. également l’avis de la CNCDH sur la lutte contre les discours de haine sur Internet du 12 février 2015.
[24] C’est ainsi tout particulièrement le cas du génocide qui implique la volonté de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux, voire, pour le droit français, d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire. Le crime contre l’humanité vise lui « seulement » les populations civiles mais n’est pas exempt de discrimination lorsqu’il se réalise par des actes de persécutions ou de ségrégation (v. Pour le CP français l’article 212-1 8° et 10°). En revanche l’esclavage ou la réduction en esclavage n’exigent pas, au titre de leurs éléments constitutifs, d’avoir été réalisés selon un critère discriminatoire même si l’Histoire révèle que c’est généralement ainsi que ces crimes ont été commis.
[25] Art. 211-1 CP.
[26] V. pour le CP français l’article 212-1 8° et 10°.
[27] L’expression est due à Claude Lombois et permet de désigner aujourd’hui les crimes qui relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale. Sur cette notion, v. M. Bardet, La notion d’infraction internationale par nature. Essai d’une analyse structurelle, Nouvelle Bibliothèque des thèses, Dalloz, 2022, vol. 212.
[28] CourEDH, 7 décembre 1976, Handyside c./ Royaume-Uni, réq. N° 5493/72, § 49.
[29] Le négationnisme n’est en effet sanctionné que si les crimes niés sont ceux qui ont été jugés et reconnus par le Tribunal de Nuremberg ou par une juridiction française ou internationale.
[30] Y compris lorsque ces infractions sont sanctionnées par la loi de 1881 et donc dans le cas où les injures ou les diffamations sont publiques.
[31] Th. Hochmann, « Qu’est-ce qu’un délit d’opinion » préc. L’auteur y propose en effet une distinction entre les limites conséquentielles de la liberté d’expression (lorsqu’est exigée une conséquence nuisible) et les limites substantielles de la liberté d’expression (lorsqu’une telle conséquence pour sanctionner le discours n’est pas exigée, figure qui correspond à celle du délit d’opinion).
[32] Les provocations suivies d’effet qui ont abouti à la réalisation d’une infraction de violence (222-7 et s.) ou de discrimination (225-2 et s. CP) constituent des actes de complicité de ces mêmes infractions (art. 121-7 al 2 CP). L’affirmation ne vaut en revanche pas pour les provocations à la haine laquelle ne constitue pas une infraction pénale.
[33] Pour une critique de l’incrimination de la provocation à la haine, v. M. Brenaut, « la criminalisation des discours de haine » RIDC, 2-2023, p. 1 et s., spéc. p. 16 où il en conteste la conformité au principe de légalité.
[34] V. Cependant M. Brenaut qui les qualifie d’infractions-obstacles (« la criminalisation des discours de haine » préc. p. 15).
[35] Par exemple, l’interdiction du port d’arme permet d’éviter aussi bien les vols à main armé que les violences faites aux personnes, les actes terroristes etc.
[36] V. art. 24 bis de la loi du 29 juillet 1881.
[37] Sur les difficultés d’application des critères discriminatoires relatifs au sexe, à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, v. N. Drouin, « l’appréhension des disoucrs de haine par les juridictions françaises : entre travail d’orfèvre et numéro d’équilibriste », Revue des Droit de l’Homme, 2018, n° 14, spéc. n° 15 et s.
[38] Sur ce point, v. tout particulièrement M. Brenaut, art. préc., p. 7 et la référence faite aux débats parlementaires de la loi Pléven.
[39] Cass. crim., 3 décembre 2002, Bull. n° 218 : Dr. Pénal 2003, comm. 3 M. Véron.
[40] Cass. crim., 3 octobre 2023, n° 22-87.193.
[41] CA Paris (pôle 2, 7e ch.), 31 mars 2022, n° 21/04863, Légipresse 2022, p. 213.
[42] C’est cette distinction (entre les musulmans intégristes et musulmans) qui avait permis la relaxe dans l’affaire des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo. CA Paris, 12 mars 2008 ; Légipresse 2008, n° 252-III, p. 107 et s., note H. Leclerc.
[43] Cass. crim., 21 février 2023, n° 21-86.068 : D. 2024, panorama, 139 ; Légipresse 2023 p. 227, Etude Th. Hochmann « Provocation à la haine : les immigrés, les musulmans, les immigrés musulmans ».
[44] V. F. Safi, « Appel au Boycott de produits israéliens », Dr. Pén. 2020, comm. 154. CEDH, 11 juin 2020, Baldassi et al. c/ France.
[45] Cass. Crim., 17 oct. 2023, n° 22-83.197.
[46] L’appréciation du résultat d’une injure aggravée ne soulève ainsi pas de difficulté particulière par rapport à l’appréciation d’une atteinte injurieuse non raciste.
[47] On peut penser ici au raisonnement probatoire classique qui permet au juge de mesurer les effets possibles d’un acte en les envisageant sur une personne abstraite dont le profil peut osciller entre personne moyenne et personne idéale. Sur ce point, v. V. Malabat, « Qu’est devenu le bon père de famille du Code pénal ? », in Mélanges en l’honneur du professeur Philippe Conte, LexisNexis 2023, p. 539 et s.
[48] Sur l’évolution de la chambre criminelle qui ne se contente plus de discours qui tendent à inciter à un sentiment de rejet ou d’hostilité pour exiger qu’ils contiennent un appel ou une exhortation à la haine ou à la violence, v. not. A.-M. Sauteraud, « Les nouveaux contours de la provocation à la haine ou à la violence raciale ou religieuse », Légipresse 2019, p. 33 et s.
[49] V. Dernièrement en ce sens, Cass. crim., 20 juin 2023, n° 22-85.922.
[50] Cass. crim., 7 décembre 2004, n°03-82.832.
[51] V. C. Bigot, Pratique de droit de la presse, Dalloz, 2023, p. 398 et s. V. également P. Auvret, « La répression de l’apologie dans le cadre de l’article 24 de la loi sur la presse », in La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ?, LGDJ, coll. Grands colloques, 2017, p. 90 et s., qui le présente comme « une des garanties du politiquement correct ».
[52] Sur ces critiques, v. M. Brenaut, art. préc. p. 20.
[53] V. d’ailleurs en ce sens Cons. const. N° 2015-512 DC, 8 janvier 2016 ayant validé l’article 24 bis en soulignant que « les propos contestant l’existence de faits commis durant la seconde guerre mondiale qualifiés de crimes contre l’humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale constituent en eux-mêmes une incitation au racisme et à l’antisémitisme (c’est nous qui soulignons) »
[54] Pour d’autres raisons donc que celles qui consistent parfois à dire qu’il ne revient pas au législateur de juger l’histoire… sur la critique de ce motif, v. Th. Hochmann, « La réécriture de l’article 24 bis : généralogie d’une étrangeté », in La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ?, LGDJ, coll. Grands colloques, 2017, p. 105 et s.
[55] Cons. const. n°2016-745 DC, 26 janvier 2017, § 194 et s.
[56] Pour un cumul de qualification entre diffamation raciale et provocation à la discrimination à la haine ou à la violence, v. par ex. Cass. crim., 30 octobre 2012, n° 11-88.562.
[57] Cass. crim. 1er février 2017, n° 15-84.511.
[58] Mais à titre non exhaustif.
[59] Les articles 50 et 53 de la loi imposent en effet de préciser la qualification dans l’acte initial de poursuite. Sur le fondement de la loi de 1881, toute qualification cumulative ou alternative pour les mêmes propos entraîne l’annulation de l’acte. Sur ce point, v. C. Bigot, Pratique de droit de la presse, préc., § 341.42 et 341.75.
[60] C. Bigot, « Les principes de la codification et la place de la loi de 1881, LEGICOM 2007/4 (N° 40), p. 74 et 75.
[61] Cass. crim. 26 oct. 2016, no 15-84.552 et Cass. crim. 7 déc. 2016, no 15-87.335. La chambre criminelle de la Cour de cassation a posé dans ces deux décisions que « les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ».
[62] Cass. crim. 15 déc. 2021, no 21-84.864.
[63] Cass. crim., 26 mars 2019, n° 18-81.770.
[64] V. Cass. crim. 30 octobre 2012, n° 11-88.562 pour un cumul entre diffamation raciale et provocation à la discrimination ou à la haine raciale.
[65] Dans cette décision en effet, la Cour de cassation limite considérablement le champ d’application du principe ne bis in idem en décidant que « 28. L’interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité doit être réservée, outre à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l’une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l’autre, aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l’on se trouve dans l’une des deux hypothèses suivantes.
29. Dans la première, l’une des qualifications, telles qu’elles résultent des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue.
30. Dans la seconde, l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale. »