Et si le marché assurait la réalisation des droits de solidarité ?
Par Vincent Valentin, Professeur à Sciences Po Rennes
Cette question peut être perçue comme provocante ou naïve. Provocante puisque par définition les droits de solidarité sont pensés pour compenser les limites du marché (comme métaphore d’une société ne reposant que sur la responsabilité individuelle) et ne sauraient dépendre de lui pour leur garantie ; mais naïve aussi parce que de fait, une partie de la solidarité est déjà prise en charge par des entreprises privées, par le mécanisme des chèques sociaux ou celui de l’assurance, mais aussi par d’autres modalités relevant de l’initiative privée, via des associations caritatives ou encore, depuis quelques temps, par des « cagnottes » de type « Leetchi ».
On est donc face à une sorte de paradoxe : d’un côté on assite à la mise en œuvre d’une solidarité pensée en dehors et contre le marché ; de l’autre se développe une pratique de la solidarité, assez peu médiatisée mais bien réelle, menée sans grand débat, parfois en contrefort de l’Etat social. Dans le contexte de crise morale et pratique de ce dernier, diagnostiquée depuis fort longtemps, la possibilité d’une prise en charge des droits de solidarité par le marché est à prendre en considération, soit comme possibilité d’une meilleure effectivité de ces droits, soit au contraire comme une menace insidieuse des fondements même de leur reconnaissance. Est-elle possible ? Est-elle souhaitable ? Pourrait-elle et devrait-elle compléter ou se substituer aux mécanismes étatiques ? L’étude de la solidarité de marché, ou même de sa seule hypothèse, offre l’intérêt de conduire à reconsidérer le principe des droits sociaux, si solidement installés dans le paysage politique et juridique des démocraties libérales que l’on en admet parfois l’évidence principielle et pratique de façon un peu paresseuse.
Par « droits de solidarité », nous entendrons ici les « droits subjectifs qui reposent sur une obligation pour les pouvoirs publics de garantir des biens ou des services à des citoyens en situation de « besoin social »[1]. Cela conduit à réduire leur périmètre aux droits-créances, alors qu’il serait concevable de l’étendre aux droits collectifs dits de troisième génération (paix, environnement, développement, patrimoine de l’humanité). On ne conservera donc l’idée de solidarité qu’à l’égard des personnes en situation de nécessité, et non à l’égard des problèmes communs (environnement, paix). Il faut d’emblée noter une difficulté sur laquelle nous serons conduits à revenir : identifier les droits sociaux comme des droits de solidarité ne pas de soit. En effet, si l’on peut admettre que l’Etat social se soit construit à l’encontre de la société de marché et comme renversement de l’individualisme possessif[2], on doit aussi considérer que cet Etat social peut se réclamer d’un double héritage, dont l’un échappe à la perspective solidariste. Si d’un côté, le solidarisme met en avant un mélange de devoir civique et de reconnaissance du fait même de la solidarité entre les hommes selon un schéma qui évoque une conception organique de la société, on trouve aussi à l’origine de l’Etat social la perspective d’une émancipation individuelle, au nom d’un idéalisme moral qui valorise davantage l’individualisme que le holisme[3]. Si l’on considère que les droits sociaux sont ancrés dans cette dernière veine, défendue notamment par Jaurès[4], il est philosophiquement délicat de les percevoir comme des purs droits de solidarité – ou alors il faut détacher ce terme du courant philosophique associé. Ce double registre de justification d’une solidarité pratique, soit sociologique, mettant en avant l’interdépendance entre les êtres humains et valorisant des politiques d’intégration, soit moral, en insistant sur la nécessité de secourir les plus faibles, fait qu’elle peut apparaitre d’inspiration anti libérale ou au contraire comme le complément d’une société libérale (dans la vaine de Paine ou Condorcet notamment[5]). On s’en tiendra à la définition de Xavier Dupré de Boulois, sans oublier cette ambiguïté philosophique.
Autre difficulté, on pourrait par ailleurs considérer que ne peuvent être appelés « droits de solidarité » que les droits effectivement reconnus et garantis, et donc que le sujet ne porte que sur les moyens dont disposent la puissance publique pour trouver sur le marché les moyens de réaliser une exigence qui, elle, ne dépend pas de mais surplombe le marché. Les buts sont fixés par l’Etat mais réalisés par des entreprises privées sur financement public – c’est la logique des Vouchers. Dans le cadre des réflexions autour des mutations de l’Etat social, c’est cet aspect du sujet qui devrait retenir prioritairement notre attention. On peut cependant élargir le champ d’analyse, et se demander si la substance de ces droits – la solidarité – ne pourrait pas être prise en charge par le marché sans incitation ou financement public. Il serait peut-être impropre alors de parler de « droits », mais on peut aussi considérer que les réalités déjà évoquées (associations humanitaires, retraites complémentaires, mutuelles, cagnottes, etc..) sont bel et bien constitutives d’une solidarité active. Sans nécessairement reconnaitre le mot ces organismes ou ces modalités d’entraide réalisent la chose. On peut donc considérer que pour répondre complètement à la question il est opportun de dépasser le périmètre des seuls « droits » positifs, bel et bien garantis en droit.
Concernant la conception du marché, nous reprendrons ici celle proposée par Franz Oppenheimer (1864-1943). Cet économiste et sociologue allemand un peu oublié, a le double intérêt de se réclamer d’Adam Smith et de Proudhon, et d’être une référence à la fois pour les pères de l’ordo-libéralisme allemand (il a dirigé la thèse de Ludwig Erhard et Whilhelm Röpke a été son élève) et pour les libertariens américains. Sa postérité tient à une idée simple : il n’existe que deux moyens d’obtenir un bien ou un service, la violence ou le consentement, la modalité politique ou la modalité économique. Par nature les moyens politiques, fondés sur la contrainte de l’Etat, sont violents ; par nature les moyens économiques, portés par le libre échange, sont pacifiques[6]. Cette dichotomie permet de définir le marché comme le lieu des échanges et de la liberté, indépendamment du type de produit concerné, et par là comme le seul type légitime de rapport à autrui. Conçu ainsi, le marché n’est caractérisé que par la forme de la relation à autrui, et s’étend à l’ensemble des relations libres et consenties, et cela peut absorber le don, la coopération, le mutuellisme ou l’autogestion, en plus des relations entre une offre et une demande. La conception du marché retenue permet, bien au-delà du libéralisme classique, d’englober toutes les propositions d’organisation sociale non soutenue par la coercition étatique, et d’étendre la réflexion à toutes les possibilités de prise en charge d’une forme de solidarité par le marché, plus ou moins utopique, du libéralisme (Milton Friedman et les Vouchers) à l’anarcho-capitalisme (Nozick) en passant par le socialisme libéral, le mutuellisme ou l’autogestion (Proudhon, Oppenheimer, Lavergne).
Le type d’approche envisagé ici soulève une difficulté : lorsque l’on essaie de penser une solidarité libre et volontaire, ne se met-on pas à la poursuite d’un oxymore ? Est-ce que le cœur de la solidarité n’est pas justement de s’opposer à l’approche individualiste du droit ? Le « solidarisme » de Léon Bourgeois part de l’idée que la société est un bloc (« solidum ») et que c’est cette unité organique qui justifie l’emprise du collectif sur l’individuel, qui avant de l’être dans un rapport de droit est de facto intégré et solidaire de l’ordre social[7]. Bourgeois parlait ainsi d’un « lien fraternel qui oblige tous les êtres humains les uns envers les autres, nous faisant un devoir d’assister ceux de nos semblables qui sont dans l’infortune ». Dans cette conception de la solidarité, que l’on trouve, avec d’autres, à l’origine de l’Etat providence, il ne s’agit pas de compléter mais de rompre avec le libéralisme. Elle est holiste et obligatoire, objective et coercitive, donc par nature insaisissable par le marché. L’hypothèse d’une solidarité de marché s’inscrit nécessairement en rupture avec elle ; elle ne pourrait être portée par une obligation morale imposée par le droit mais plutôt par le mot d’ordre individualiste d’Alain Laurent : « solidaire si je le veux » [8]! Entre les deux, on trouve une sorte de compromis en la personne de Jaurès : l’intervention redistributive et protectrice de l’Etat est au service de l’individu, de son entière autonomie, qu’il faut soutenir à l’encontre du libéralisme économique ; il s’agit d’émanciper l’individu et certainement pas de l’enfermer dans un lien social de solidarité. On peut cependant considérer que la mise en place de l’Etat providence associe dans la pratique Bourgeois et Jaurès, à l’encontre du modèle d’une « solidarité » de marché. L’Etat providence organise une solidarité de droit[9].
Comme nous l’avons signalé, deux conceptions de la solidarité sont donc envisageables, dont il s’agit de savoir laquelle irrigue ou devrait irriguer la prise en charge des aides sociales. Entre les deux formes de solidarité il y a la même différence qu’entre la religion comme fondement de la société (solidarité holiste) et la religion comme croyance individuelle (solidarité individualiste – assumons pour l’instant l’oxymore). L’un des intérêts de notre sujet consiste à se demander si la solidarité est détachable de son ancrage solidariste, et si l’Etat providence contemporain peut s’inscrire dans une perspective individualiste, qui pourrait dès lors être prise en charge par le marché. Se mêlent ainsi deux questions, la première, pratique, conduit à s’interroger sur la faisabilité de la solidarité de marché, la seconde, principielle, posant la question de sa légitimité, et en même temps par ricochet de la nature de l’aide sociale apportée par l’Etat dans les démocraties libérales. Si le marché assurait effectivement la réalisation des droits de solidarité, que pourrait-on objecter ?
I. La production de solidarité par le marché, oxymore ou utopie ?
A partir de l’observable et du pensable, on peut schématiquement distinguer deux modèles, l’un qui s’appuie sur un financement public et l’autre qui relève entièrement de la loi de l’offre et de la demande. Les deux existent, sous des formes marginales ou complémentaires des mécanismes de redistribution et d’aides sociales. Seul le premier prend en charge, à proprement parler, la garantie de droits de solidarité, le second proposant une solidarité sans droits, comme un service fourni selon une logique de libre échange.
A. Les Vouchers
Le principe est simple : l’Etat finance le libre choix par le récipiendaire du service d’un prestataire privé ; chaque bénéficiaire dispose d’un chèque social qu’il utilise comme il le souhaite sur le marché des aides sociales. Si des classiques du libéralisme en ont tôt proposé l’idée (Adam Smith en 1776 et John Stuart Mill en 1859, tout deux dans le domaine éducatif), on considère que le premier véritable théoricien en est Milton Friedman, lui aussi pour l’éducation (les « chèques éducation » [10]). Progressivement étendus à d’autres services (santé, logement, transport, alimentation, handicap, culture), les Vouchers, sans être particulièrement discutés ou médiatisés, sont déjà bien installés dans le paysage de la solidarité française[11]. Ils sont particulièrement utilisés par les collectivités locales. Vingt et une régions métropolitaines ont mis en œuvre ce mode de soutien, en particulier à destination des lycéens, pour faciliter l’accès aux sports, à la culture, pour passer le permis de conduire, ou plus généralement pour l’acquisition des manuels scolaires. La pratique s’étend aussi à la politique énergétique, afin de soutenir les travaux de rénovation d’habitations individuelles. Plus d’une trentaine de départements versent tout ou partie des aides sociales obligatoires par le biais de « chèques emploi services universels » ou de chèques d’accompagnement personnalisés, pour les personnes âgées dépendantes, les personnes handicapées.
Plutôt que s’attarder sur le principe, assez simple, voyons ce que sont les justifications et critiques de ce renouvellement des modalités de l’Etat-providence. Les premières sont de nature politique et économique. Utilisés dans le domaine culturel, les chèques publics permettraient de garantir un choix plus libre et étendu et d’éviter l’arbitraire administratif – c’est ainsi qu’Amaury Nardone, Président de la Commission culture du Conseil régional, justifie le recours pionnier par la région Rhône-Alpes, dès 1994, au chèque culture. « Le seul moyen de faire une politique culturelle dans laquelle le politique n’est pas un censeur, explique-t-il, c’est de donner le choix au citoyen. C’est de donner le choix au citoyen de subventionner – pas d’acheter hein ! – de subventionner, l’institution culturelle, le spectacle, le musée, le bouquin même, puisque le chèque culture va jusqu’au livre, qu’il a envie de subventionner.[12] » Bien souvent, c’est seulement l’efficacité de la prise en charge par le privé qui est mise en avant. Elle permettrait de lutter contre la déperdition d’argent public (en évitant le recrutement de fonctionnaires, l’organisation de l’activité) et le gaspillage (on sait où va l’argent), d’améliorer la qualité de services par l’effet de la concurrence ; elle garantirait en outre une meilleure efficacité dans la communication à l’égard des personnes concernées, par les efforts de publicité des distributeurs de chèques sociaux. L’essentiel des justifications est d’ordre technique, pragmatique, et inscrit les Vouchers dans le cadre de l’Etat providence, qu’il s’agit de rendre plus performant sans en saper les fondements. Il faut noter qu’ils ont été mis en place sans référence doctrinale et donc sans être portés explicitement par un plaidoyer libéral.
La reconnaissance de l’efficacité des dispositifs observables n’éteint pas les critiques, qui touchent principalement à la possibilité de mener des politiques publiques au-delà du seul financement. Si les Vouchers permettent une forme de redistribution et de prestation sociales, ils impliquent la disparition (pour les secteurs concernés) d’une administration publique des aides et un moindre contrôle du service rendu. Il faut dire ici que le principe du chèque social peut être concrétisé selon des formes assez différentes. Les pouvoirs publics peuvent réserver le chèque aux plus démunis ou l’étendre à toute la population, dans une logique de substitution des entreprises privées au service public qui relèvent davantage de la seule production de biens « collectifs » et non plus de la solidarité. Par ailleurs, le service par les chèques peut être plus ou moins encadré. L’Etat peut seulement financer, et ne peser que par le calcul du montant de l’aide, mais il peut aussi établir un cahier des charges contraignant, empêchant que l’aide (en dehors de son prix) ne relève finalement que de la loi de l’offre et de la demande. Autre choix : l’utilisation des chèques n’implique pas nécessairement la disparition d’un service public, on peut imaginer que le système mette en concurrence administrations et entreprises privées, dans l’idée non pas de supprimer mais d’améliorer le service public sous l’aiguillon de la concurrence. Le spectre est large mais le choix principal semble porter sur la part de liberté que l’on accorde au bénéficiaire et au prestataire : met-on en place un marché de l’aide sociale ou bien une délégation de service public ? L’aide sociale est-elle seulement le moyen de soutenir une personne ou bien aussi un moyen de réforme, de contrôle ou de pilotage de la société ?
Prenons l’exemple de l’éducation, particulièrement sensible en raison du lien entre la République française et l’école. Là où le chèque éducation a été expérimenté, en particulier aux Etats-Unis, il existe un débat très nourri sur le bilan que l’on peut en faire, qui exprime les différentes conceptions du rôle de l’Etat dans l’enseignement, « limité » à la diffusion de la connaissance ou prolongé par une responsabilité sociale[13]. S’il n’est pas lieu de rendre ici l’intégralité des débats et des évaluations, on peut lister les points sur lesquels les experts se divisent : est-ce que le niveau scolaire global augmente ? Est-ce que les élèves de milieux modestes ont de meilleurs résultats, ou au contraire est-ce que les écarts sociaux augmentent ? Est ce que la stimulation par la concurrence entre établissements scolaires qui est induite améliore le niveau des écoles, notamment publiques ? Est-ce que les Vouchers produisent de la mixité scolaire ou des choix de différenciation communautaire ? On constate au Chili que leur usage a creusé la différence entre écoles publiques et privées et accentué les inégalités sociales, les écoles publiques a priori de moins bonne qualité ne parvenant à progresser dès lors qu’elles perdent leur revenu (qui n’est plus garanti). Enfin, faut-il élargir le dispositif aux écoles religieuses ? Quel type de contrôle peut-on exercer sur les établissements choisis ? Jusqu’où peut-on contrôler les programmes sans remettre en cause la liberté éducative des parents ?
Si l’on laisse de côté l’aspect économique du débat, l’essentiel porte sur le choix politique entre la sélection par le consommateur ou la sélection par le citoyen du contenu du service social visé : doit-on seulement s’en remettre à la liberté de choix du consommateur de biens ou l’encadrer pour que la prestation corresponde aux objectifs politiques qui justifient le financement ? Deux risques semblent se dessiner : l’usage paternaliste du financement des choix individuels en vue d’un insidieux contrôle social (on pense notamment aux chèques alimentaires) ; le renoncement de la part de l’Etat à toute réforme sociale – le voucher pouvant être l’outil d’un Etat « charitable » mais parfaitement neutre.
Initié par Friedman dans le cadre d’une libéralisation du Welfare State il ne fait pas de doute que les chèques sociaux visent à maintenir l’aide financière en limitant voire supprimant le contrôle de l’Etat sur les choix individuels. Le bénéficiaire doit être responsable de la solidarité dont il bénéficie, et la solidarité sera mieux satisfaite par les entreprises privées, plus à même de s’adapter aux véritables besoins sociaux de la population, par sa capacité à produire de la diversité, de l’émulation, à moindre coût. La question que pose donc les Vouchers porte sur l’essence même des droits de solidarité : l’aide matérielle ou la réforme de l’ordre social, le soulagement d’un besoin individuel ou l’organisation de la justice sociale ? Adaptée à l’école : ne doit-elle que préparer le futur membre de la société de marché, ou doit-elle former le citoyen ?
B. Libres échanges et libres coopérations. L’hypothèse d’une solidarité spontanée.
Il ne s’agit plus ici de la prise en charge de droits de solidarité par le marché mais seulement de la réalisation par le libre échange d’une solidarité pratique sans fondement ni financement public. Ici les biens et services ne sont plus pensés comme des droits-créances mais comme l’expression du jeu du marché, au sens d’Oppenheimer, et peuvent être pensés dans une logique de profit mais aussi de coopération et d’entraide. On se situe principalement dans le registre de l’utopie mais non sans lien avec quelques expériences bien réelles de sociétés de solidarité volontaire, horizontale et catallactique. Dans l’ordre d’apparition historique, le mutuellisme ouvrier, le socialisme libéral, l’anarchie libertarienne permettent d’illustrer cette hypothèse.
1) Le principe même de l’anarchisme de Proudhon, sa critique de l’autorité sous toutes ses formes, est incompatible avec une solidarité contrainte. Aussi, bien que pensant en premier lieu l’émancipation des classes ouvrières et paysannes et rejetant violemment la répartition de la propriété de son temps, Proudhon critique-t-il explicitement l’idée d’un socialisme par l’Etat. Il se réclame de « l’insolidarité[14] », appelant la réalisation d’une justice sociale sans coercition, et s’il conçoit une forme de solidarité, c’est sur la base de la mutualité[15]. Le mouvement ouvrier devait selon lui renoncer à la violence et aux moyens de l’Etat et se développer dans la perspective du fédéralisme et du mutuellisme, c’est-à-dire de l’autogestion, par des relations horizontales. Dans ce cadre les questions économiques, politiques et morales se confondent : efficacité économique, égalité, liberté et fraternité (plutôt que solidarité) sont pris en charge par l’association mutuelliste. Le jugement de Jaurès, selon lequel « Proudhon était à la fois un grand libéral et un grand socialiste » est ici utile ; il montre la voix de ce que peut être une solidarité de marché, le but du socialisme étant réalisé par la rencontre des libertés individuelles, les moyens du libéralisme au service de l’égalité sociale. Aussi ne doit-on pas oublier qu’une partie du mouvement ouvrier, au nom de sa propre liberté, rejetait l’idée d’Etat-providence dans la perspective d’associations ouvrières[16]
2) Franz Oppenheimer se présentait comme un disciple de Proudhon et d’Adam Smith, ce qu’il condensait dans sa tentative de construction d’un « socialisme libéral »[17]. Au cœur de son modèle idéal on trouve la notion d’« l’Akratie » – absence de pouvoir. A partir d’elle il a essayé de conceptualiser un Etat sans pouvoir, qui ne serait qu’une structure de libres coopératives, agricoles et ouvrières, fonctionnant en concurrence. Purgé de toute violence « politique » – et de la grande propriété foncière qui en était l’héritage – la société ne repose que sur des liens volontaires, garantissant une solidarité au sein des « communautés » de travail, chacune étant en concurrence pour satisfaire les besoins de la population. Cette alliance de socialisme et de libéralisme, de solidarité et de concurrence, était assez discutée à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème. On la trouve chez J. S. Mill, suggérant lui aussi de remplacer l’entreprise capitaliste par la coopérative ; puis chez des disciples de F. Oppenheimer, comme Charles Gide ou Bertrand Lavergne.
3) L’anarchie libertarienne est le modèle utopique le plus proche du fonctionnement réel de l’économie de marché, puisqu’elle est pensée comme son parfait accomplissement[18]. La solidarité « solidariste » n’a évidemment pas sa place ans la société libertarienne ; néanmoins, certains auteurs ont insisté sur la possibilité de faire converger les objectifs de justice des mouvements ouvriers et la logique économique pure. Théoricien de l’anarcho-capitalisme, David Friedman fait valoir, d’une part que les ouvriers auraient davantage de droits en s’appropriant les entreprises qu’en s’appuyant sur les moyens hasardeux et liberticide de l’Etat socialiste, et d’autre part que la structure de l’échange peut être utilisée à toutes fins – pas nécessairement pour faire du profit, mais pour vivre selon ses valeurs et objectifs de vie. Il appelle ainsi, dans une synthèse qui évoque aussi la théorie du capital humain de Gary Becker, le fait que chaque ouvrier doit se penser d’abord comme son propre capital afin de s’investir dans des entreprises qui lui permettraient de travailler tout en appliquant ses valeurs en matière d’organisation du travail ou de solidarité professionnelle[19].
De son côté, Robert Nozick présente l’ordre social libertarien comme un « canevas d’utopie » pouvant accueillir toutes les utopies sociales ou politiques pour peu que chacune renonce à la violence à l’égard des autres. La société globale idéale serait donc fondée sur la concurrence entre utopies, mais chacune pourrait s’organiser en interne selon des valeurs tournant le dos à l’individualisme possessif. Nozick évoque les communautés mutualistes de Proudhon comme ce qui pourrait être mis en œuvre dans la société libertarienne[20]. Selon lui et D. Friedman, le marché est l’espace concret de l’autonomie délivrée du pouvoir politique. L’autorégulation n’appelle pas nécessairement le capitalisme mais pourrait accueillir aussi le socialisme. Walter Block pense d’ailleurs que l’anarchie libertarienne est aussi ouverte à l’un qu’à l’autre[21]. De fait, des propositions de réforme du travail ou du commerce équitable ont été faites par des libertariens américains au 19ème siècle, notamment par Josiah Warren et Benjamin Tucker à travers la New England Labor Reform League[22]. Ces disciples de Smith et Stirner voyaient bien l’impossibilité d’accepter la violence du monde du travail mais hostile à toute intervention de l’Etat dans les relations sociales entendaient retourner les moyens du libéralisme économique contre la violence des rapports sociaux dans le capitalisme. Si les individus se regroupent en organismes autogérés ils ne font que donner une forme particulière à la liberté d’entreprendre et à la liberté du travail. Et peuvent en leur sein faire vivre la solidarité.
De manière moins utopique, on peut aussi rattacher au libertarianisme les dispositifs que la seule logique entrepreneuriale propose en termes de solidarité, dont le meilleur exemple est le marché des assurances, mais à laquelle on peut aussi associer le monde associatif et caritatif qui sans aide de l’Etat organise une solidarité active à l’égard des personnes mais aussi des animaux ou de l’environnement. Les cagnottes ou les « dispositifs de banque pour soutenir des activités solidaires » vont aussi dans ce sens.
Le fond théorique de l’ensemble de ces propositions est le même : si le besoin de solidarité existe, il n’est pas nécessaire de mettre en œuvre des moyens coercitifs pour le satisfaire. Sans aller jusqu’à l’anarchie, dans le cadre d’un Etat libéral, des formes de solidarité non obligatoire, mais fondées sur l’utilité (assurance) ou sur la morale (caritatif et humanitaire) peuvent se développer. Il s’agit de promouvoir un réinvestissement politique du marché. Les moyens de l’échange permettent de soutenir n’importe quelle conception du travail, de la vie sociale, de la solidarité ; le « canevas d’utopie » peut accueillir des utopies autogestionnaires, solidaires (plutôt que solidaristes), socialistes, communistes (comme il existe aux Etats-Unis des communautés protestantes excluant la propriété privée), le libre échange peut soutenir la solidarité. D’une certaine façon la méfiance anarchiste, libérale ou individualiste à l’égard des mécanismes de solidarité n’a plus de raison d’être une fois la coercition de l’Etat écartée et neutralisée. En imaginant le dépassement de l’opposition entre socialisme étatique et libéralisme conservateur, il s’agit de penser un « libéralisme pour les pauvres », ou d’un socialisme de marché ; avec les mots de Proudhon : « une troisième forme de société, synthèse de la communauté et de la propriété, la liberté ».
Les chèques sociaux ou les utopies sociales sont deux façons de réaliser la solidarité sans qu’elle soit organisée par l’Etat. Leur possibilité conduit à retourner la question posée initialement : pourquoi donc rendre la solidarité obligatoire ? Pourquoi l’Etat devrait-il réaliser lui-même la solidarité qui peut se déployer librement ? Comment donc refuser que le marché réalise la solidarité ?
II. Le marché, mais pour quelle solidarité ?
L’hypothèse de la satisfaction des droits de solidarité par la seule logique économique amène à revenir sur le fondement même de ces droits : sont-ils seulement de nécessité – l’Etat les garantissant à défaut de production par le marché – ou sont-ils l’expression d’une théorie de la justice indissoluble dans les relations économiques ? Et si l’on admettait la possibilité et l’efficacité des solutions de marché, devrait-on maintenir une solidarité par l’Etat ? Après tout, la solidarité de marché ne réaliserait-elle pas une sorte d’utopie des droits de l’homme : la liberté individuelle et la sécurité sociale sans coercition politique ?
Il semble que l’on puisse répondre en deux temps : d’une part les Vouchers sont conformes aux principes de l’Etat-providence, d’autre part l’efficacité du marché, si elle était complète, ne supprimerait pas la valeur de la reconnaissance de la solidarité comme droit.
A. Les Vouchers comme instrument de l’’Etat-providence
Il ne semble pas que le cadre politique et juridique de reconnaissance des droits sociaux soit fermé au recours aux chèques de solidarité. Le « citoyen malheureux » de la Déclaration de 1793 reçoit une assistance effective de la part de la communauté politique (puisque financée par l’impôt), sans qu’aucun autre droit garanti ou un principe de la République ou de la démocratie libérale s’en trouve nié ou limité. Si l‘on écarte les compréhensibles interrogations liées à leur efficacité (en termes de secours mais aussi de politique publique), il est difficile de considérer que leur mise en œuvre soit illégitime, à moins de se situer dans le cadre holiste du solidarisme, et d’assumer le rejet principiel de la dimension individualiste des droits fondamentaux.
Or ce solidarisme, influent à la fin du dix-neuvième siècle, n’est pas le soutien nécessaire de l’Etat providence et, de fait, ne se retrouve pas comme référence évidente et dominante dans le droit positif. En effet, si l’on se penche sur ce qui est généralement présenté comme l’origine des droits sociaux en France, le « préambule de 1946 », doit retenir l’attention cette formule inaugurale des nouveaux droits, donnés comme « particulièrement nécessaires à notre temps ». Si on prend au sérieux cette formulation, c’est bien la nécessité, plus que l’avènement d’une nouvelle théorie de la justice, qui semble appeler la reconnaissance de nouveaux droits. De surcroît, ils sont proclamés « en outre », en complément de la Déclaration de 1789 et des principes fondamentaux reconnus par la République. Autrement dit, les droits de solidarité sont complémentaires et non antagonistes des principes plus anciens (donc dans une perspective individualiste), et ils sont nécessaires à leur accomplissement. A lire ce texte, qui certes peut masquer la nature des conceptions de la justice sociale qui en amont en ont permis la proclamation, on peut considérer qu’il ne pose pas une rupture avec le droit libéral mais plutôt la nécessité de l’améliorer et de la compléter[23]. Or, la nécessité d’un temps est relative à une situation sociale, non ancrée dans la nature humaine ; les droits de solidarité sont la réponse à une situation où l’on constate l’impossibilité ou l’inexistence d’une solidarité spontanée et libre, et non pas nécessairement l’expression d’une rupture avec le cadre libéral[24].
Le préambule pose une obligation de résultat plus que de moyens, et demeure ouvert et imprécis concernant ceux-ci. C’est particulièrement apparent dans l’alinéa 5 qui proclame que « chacun a le droit d’obtenir un emploi ». Cela ne dit rien des modalités de réalisation : s’agit-il d’obtenir un emploi sur le marché du travail, auprès de l’administration, par le jeu de l’offre et de la demande ou par la grâce d’une politique publique ? Si l’on « oublie » le contexte politique de l’après-guerre, le texte peut faire l’objet d’une interprétation libérale (rien ne peut empêcher d’obtenir un emploi) ou interventionniste (il faut donner un emploi à chacun). D’une certaine façon, le choix de la réalisation demeure une question ouverte, et seule l’effectivité (avoir un emploi) importe. Si l’on accepte ce raisonnement, alors on doit considérer que les chèques sociaux s’inscrivent parfaitement dans la logique du préambule. Les dispositifs publics et privés se complètent, à l’instar de feu l’ANPE et du marché du travail.
Aucune raison de principe n’est alors absolument opposable aux solutions de marché. Sauf, il est utile d’insister, si l’on considère que l’Etat social a une assise philosophique purement solidariste, indépendamment finalement des capacités de marché, ce qui est porteur d’un décalage impossible à assumer avec le droit moderne, d’un décalage qui n’est pas dans le droit positif des droits de solidarité. Encore faudrait-il modérer la dimension antilibérale du solidarisme, lui-même critique à l’égard d’une étatisation des moyens de prévoyance, et comptants l’appuyer sur des initiatives privées ou semi-publiques (mutuelles, coopératives, compagnies d’assurance, caisses de retraite, etc…). La main mise de l’Etat sur les mécanismes de solidarité est originellement en contradiction avec le solidarisme, dont certains adeptes rejetaient l’idée d’un système contraignant[25]. Dans le cadre des démocraties libérales l’Etat social n’est pas l’autre mais le complément de l’Etat libéral, les doits de solidarité complètent les droits-libertés. Le projet du renversement de l’individualisme possessif s’est atténué depuis les débuts de l’Etat social[26]. Dans le cadre de cette évolution, les Vouchers sont sans doute « conformes ».
B. Le marché de la solidarité peut-il se passer de « droits » de solidarité ?
Les chèques sociaux sont un instrument de l’Etat. Peut-on aller plus loin dans la libéralisation et accepter que la solidarité de marché se développe sans financement public et sans reconnaissance de « droits » de solidarité ? Peut-on accepter, rappelons le dans l’hypothèse de son effectivité, de s’en remettre complètement au marché, de ne plus faire de la solidarité un droit garanti par l’Etat ? Cette hypothèse radicalise l’interrogation sur la légitimité des Vouchers : une réponse positive reviendrait à admettre que la notion de justice sociale n’est que le produit de la nécessité, puisque la justice catallactique lui serait moralement et pratiquement supérieure. L’utopie d’une solidarité de marché efficace conduit à se demander si les droits de solidarité portent une conception de la justice alternative ou complémentaire à la justice libérale.
Il ne s’agit évidemment pas ici de tenter d’apporter une réponse définitive mais de jouer avec une hypothèse. Si l’on se situe derrière le « voile d’ignorance » de Rawls, on doit (à suivre sa logique) adopter les droits de solidarité parce que l’on ne veut pas prendre le risque de s’en remettre aux aléas du marché. Dans l’incertitude, on préfère transformer un besoin en droit. Chez Rawls, dans le cadre d’une théorie générale de la justice, le choix des droits sociaux relève de l’intérêt, de la gestion du risque[27]. Si le cadre de l’Etat libéral trouve une assise déontologique, le choix du principe de différence est lui fondé dans une logique finalement hobbésienne (non revendiquée par Rawls, certes) : on ne peut compter sur la solidarité spontanée des membres de la société pour être aidé en cas de nécessité, on demande donc à l’Etat d’inventer un doit qui n’est pas dans l’état de nature. Le principe de sécurité sociale prolonge la sécurité physique. Judith Shklar est une autre référence utile à l’appui d’un « socialisme des individus », qu’elle nommait aussi un « libéralisme de la peur », pour soutenir l’intervention de l’Etat libéral vers les plus faibles sans recours aux notions de solidarité ou d’égalisation sociale, mais pour effacer les effets des rapports de domination – pouvant détruire l’Etat libéral[28].
L’hypothèse d’un marché qui règle la question sociale est donc jugée impossible, et non injuste. Une évaluation pessimiste de la nature humaine conduit à instituer une solidarité obligatoire. Ne pouvant faire le pari d’une production volontaire de la solidarité, on en fait un droit en neutralisant l’hypothèse de la non-nécessité. A contrario, sans doute n’a-t-on pas institué un droit à l’amour car on pense que le marché de l’amour sera suffisamment efficace, ou que l’Etat ne peut pas réguler ou agir efficacement dans ce domaine. Il y a pourtant là de l’inégalité, de l’injustice, de la précarité et de la « lutte », pour parler comme Houellebecq ; c’est un aspect de l’existence où sévit lourdement le principe de concurrence[29]. Il y a donc tout ce qui par ailleurs soutient le principe de solidarité, et pourtant les relations amoureuses ne sont pas saisies par les mécanismes de l’Etat-providence. Ce que l’on veut faire ressortir par ce détour, c’est que rien ne relève par nature des droits de solidarité ; c’est seulement le besoin non satisfait et la précarité constatée qui appellent leur reconnaissance. C’est bien selon cette logique que l’on est passé du stade des pratiques libérales à l’égard des ouvriers, nombreuses mais insuffisantes (bienfaisance, patronage, philanthropie, caisses d’épargne, caisses de secours et de retraite, compagnies d’assurances), à celui de la reconnaissance d’une obligation légale[30].
La perspective libertarienne apparait optimiste, voire iréniste. L’échange ou la coopération prendront « naturellement » en charge les besoins de solidarité. Nul besoin d’Etat. On songe au jugement de Georges Palante : « l’anarchisme est un libéralisme au stade de l’optimisme », « confirmé » quelques décennies plus tard par James Buchanan lorsqu’il soutenait que Hobbes n’aurait pas théorisé la force du Léviathan s’il avait connu l’économie de marché[31]. Si l’on considère que le succès de la « théorie de la justice » est dû à ce qu’elle est le fondement théorique de « l’Etat social libéral », on peut conclure que rien ne s’oppose au sein de ce dernier au développement d’une solidarité de marché, à l’égard de laquelle les droits sociaux pourraient être reconnus à titre de subsidiarité.
Le principal intérêt de la question à laquelle nous avons été invité à réfléchir n’est sans doute pas de nous appeler à choisir entre marché et Etat social mais plutôt de mieux percevoir les enjeux théoriques de la distinction entre deux principales conceptions de la solidarité. La première, holiste, la conçoit à la fois comme une réalité sociale et comme une obligation morale ; les droits afférents sont des moyens de réforme et de contrôle social, qui excluent le recours à la logique individualiste du marché, qu’il s’agit précisément de combattre. La seconde conception, individualiste, est d’abord une réponse pratique à la condition de l’homme moderne ; il s’agit de soutenir l’individu, pas de le moraliser, afin qu’il puisse jouir des droits dans la société de marché, dans la perspective dont Thomas Paine était sans doute le premier représentant[32]. Rien ne s’oppose à ce que les moyens économiques la prennent en charge, ni même que disparaissent les droits sociaux s’ils n’étaient plus nécessaires – ce qui relève sans doute de l’utopie, mais pas de la contradiction.
[1] Xavier Dupré de Boulois, Droit des libertés fondamentales, Paris, PUF, 2018 p. 523 et s.
[2] Cf. Pierre Crétois, Le renversement de l’individualisme possessif. De Hobbes à L’Etat social. Classique Garnier, 2014.
[3] Cf. J. Chevallier (dir.), La solidarité, un sentiment républicain ? PUF, 1992.
[4] Ibid., p. 202.
[5] Cf. Gareth Stedman Jones, La fin de la pauvreté ? Un débat historique, Paris, Editions Ere, 2007.
[6] Franz Oppenheimer, Moyens économiques contre moyens politiques, textes choisis et présentés par V. Valentin, Paris, Les Belles Lettres, 2013.
[7] Léon Bourgeois, Solidarité, Paris, A. Colin, 1896
[8] A. Laurent, Solidaire si je le veux, Paris, Les Belles Lettres, 1991.
[9] Pour une histoire de la notion et de sa mise en œuvre, nous renvoyons à Michel Borgetto, La notion de fraternité en droit public français. Le passé, le présent et l’avenir de la solidarité, Paris, L.G.D.J., 1993 ; Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Folio essai, 1995 ; François Ewald, Histoire de l’Etat-providence. Les origines de la solidarité, Paris, Grasset, 1996.
[10] M. Friedman, Capitalism and Freedom, U. of Chicago Press, 1962.
[11] Pour un panorama détaillé des Vouchers en France, on peut consulter Arnaud Lacheret, L’aide sociale par le chèque : genèse et mise en œuvre des politiques sociales et culturelles ciblées des collectivités territoriales, Thèse, Grenoble, 2014.
[12] Cité par Arnaud Lacheret, auteur de l’entretien, « Le chèque comme outil du Nouveau Management Public dans les collectivités locales françaises », Gestion et management public, 2015/3 (volume 4/1), p. 98.
[13] Cf. Elchanan Cohn (dir.), Market Approaches to Education. Vouchers and School Choice, Oxford, Pergamon,1997.
[14] Voir à ce propos Pierre Ansart, « L’analyse critique des insolidarités », in J. Chevallier (dir.), La solidarité, un sentiment républicain, CURAPP, 1992
[15] Proudhon, Confessions d’un révolutionnaire, 1851, Paris, Garnier, P. 259
[16] Défendues notamment par Emile Laurent et Emile Ollivier. Le terme d’Etat-providence est d’abord forgé comme une expression péjorative, alors que cet Etat n’existe absolument pas, au sein du mouvement ouvrier, contre le socialisme de Louis Blanc (1849, dans L’Atelier). Il s’agit de dénoncer l’endormissement de l’ouvrier sous la providence de l’Etat, qui l’empêche de prendre en charge l’autonomie du mouvement ouvrier. Cf. R. Castel, op. cit., p. 457.
[17] Cf. F. Oppenheimer, op. cit.
[18] Cf. Sébastien Caré, La pensée libertarienne : genèse, fondements et horizons d’une utopie libérale, PUF, 2009, 350 p. ; Vincent Valentin, Les conceptions néo-libérales du droit, Economica, 2002, 385 p.
[19] David Friedman, Vers une société sans Etat, Les Belles Lettres, 1992.
[20] Robert Nozick, Anarchie, Etat et utopie, Paris, PUF, 1974, p. 386
[21] Cf. Walter Block, « L’économie politique selon les libertariens », Journal des économistes, mars 1995, p. 124.
[22] Cf. Ronald Creagh, Histoire de l’anarchisme aux États-Unis d’Amérique : les origines, 1826-1886, Claix : Pensée sauvage, 1981, Wendy McElroy, « Benjamin Tucker, Liberty and Individualist Anarchism », The Independant Review, vol. 2, n°3, winter 1998, p. 421-434.
[23] Michel Borgetto fait le constat d’une indétermination, en 1946, de la référence à l’appui des droits sociaux (op. cit., p. 516). Si la référence au solidarisme s’est formellement estompée, elle demeure présente dans les esprits, mais est aussi complétée et concurrencée par la conception seulement humaniste de la solidarité.
[24] Même si nombre d’auteurs libéraux considèrent la reconnaissance des droits sociaux incompatible avec le respect des droits-libertés. Compte ici la logique politique posée par le préambule, qui déclare la compatibilité des conceptions libérales et interventionnistes des droits de l’homme.
[25] Cf. Louis Moreau de Bellaing, « Le solidarisme et ses commentaires actuels », in J. Chevallier, op. cit., p. 85.
[26] Cette évolution est notamment constatée et dénoncée par R. Castel qui voit les politiques sociales s’ouvrir à l’idée de responsabilité individuelle dans les années 1990 (avec le RMI, puis le RSA), à l’encontre de la conception sociologique du lien social qui était au cœur de la pensée solidariste.
[27] Il est à noter que Rawls admettait le principe de l’impôt négatif, théorisé par Milton Friedman dans une logique identique à celle des Vouchers, comme modalité de réalisation du principe de différence. Cf. Théorie de la justice, p. 316. Plus généralement, sur l’idée d’un rapprochement entre Rawls et les théoriciens du libéralisme classique, cf. Claude Gamel, « Hayek et Rawls sur la justice sociale : des différences sont -elles plus verbales que substantielles ? » Cahiers d’économie politique, n°54, 2008, p. 85-120.
[28] Judith Shkla, The Faces of injustices, New Haven, Yale University Press, 1990. Cf aussi Paul Magnette, Judith Shklar, le libéralisme des opprimés, Paris, Michalon, 2006.
[29] On renvoie sur ce point aux analyses proposées par Eva Illouz dans ses deux ouvrages : Les sentiments du capitalisme, Paris, Seuil, 2006 ; Pourquoi l’amour fait mal, même éditeur, 2012.
[30] Cf. F. Ewald, op. cit., p. 16-17.
[31] J. Buchanan, The Economics and the Ethics of Constitutionnel Order, U. of Michigan Press, 1991, p. 13.
[32] Gareth Stedman Jones, op. cit., p. 29.
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