« Politiquement correct » et liberté d’expression
Il est désormais courant dans une certaine littérature de dénoncer le « politiquement correct » en tant qu’il entraverait de manière grave l’exercice de la liberté d’expression et de communication en France et au-delà, dans les pays occidentaux. La présente contribution s’efforce d’établir un état des lieux entre les fantasmes réactionnaires et une réalité mitigée. Elle s’attache aussi à dépasser la perspective du seul droit positif pour interroger le rôle des plateformes numériques, des réseaux sociaux et de la soft law dans la régulation des discours à l’époque contemporaine. Ce texte est issu de la participation à un colloque organisé en mai 2019 par le Centre de droit public comparé de l’Université Paris 2 dont le thème était « L’application des droits et libertés par les personnes privées : la liberté d’expression en droit comparé ».
Par Xavier Dupré de Boulois, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (ISJPS UMR 8103)
La référence au « politiquement correct » est omniprésente dans le débat public aujourd’hui. Elle est mobilisée pour dénoncer certains discours ou revendications jugées liberticides. L’hebdomadaire « Valeurs actuelles » s’est fait une spécialité de la dénonciation de ses supposés méfaits à travers des dossiers aux intitulés tout en nuances : « La tyrannie des bien-pensants » (novembre 2019) ; « La terreur végan » (décembre 2019) ; « La nouvelle terreur féministe » (mai 2019) ; « Les racistes anti-Blancs » (septembre 2019). Sur le plan éditorial, deux ouvrages en langue française ont été publiés en 2019 qui ont entendu critiquer le politiquement correct : l’ouvrage du sociologue canadien Mathieu Bock-Côté intitulé L’emprise du politiquement correct (Cerf, 2019) et le livre de l’universitaire française Isabelle Barbéris titré L’art du politiquement correct (PUF, 2019).
Avant de s’intéresser aux effets supposés ou avérés du « politiquement correct » sur l’exercice de la liberté d’expression, il convient au préalable de revenir sur cette expression. Il est entendu qu’elle a été importée des Etats-Unis (political correctness) où elle a émergé il y a une trentaine d’années (pour une généalogie sommaire, H. C. Mansfield, « Politiquement correct », Commentaire, 1998/3, n°83, p. 617). Pour le reste, le constat s’impose que l’expression est à tout le moins connotée et incertaine. Elle est d’abord connotée en ce que son utilisation implique une défiance du locuteur à l’égard de ce qu’il recouvre. Aux Etats-Unis et aujourd’hui en France, l’expression est surtout mobilisée par les conservateurs, la droite ou l’extrême droite, pour railler ou pour critiquer le discours « progressiste » ou libéral (au sens américain du mot). Dans le contexte français, on lui associe souvent les expressions de « bien pensance » (Revue des deux mondes, Dossier « Les biens-pensants », février 2016) et de pensée unique. En France comme ailleurs, il est donc possible d’y voir une arme rhétorique du camp « réactionnaire » pour dévaluer et disqualifier le discours « progressiste ». Notre propos ne reposera pas sur cette vision péjorative du « politiquement correct ». L’expression ne sera pas mobilisée pour railler un certain discours mais pour fixer l’assiette de notre étude. Or, et c’est la seconde difficulté que présente cette expression, elle est aussi incertaine. Elle l’est de par son histoire et surtout de par ses usages multiples.
Pour tenter d’identifier ce que recouvre cette expression, il faut se tourner vers les contempteurs du « politiquement correct ». De manière générale, le « politiquement correct » conduirait à stigmatiser les expressions qui, de par leur forme ou leur contenu, sont analysées comme des vecteurs de préjugés, de discrimination voire de violence à l’égard d’un groupe minoritaire ou dominé. Il est alors possible de reprendre les différentes composantes de cette définition sommaire pour pointer la diversité des acceptions de l’expression. Il existe d’abord une constante : le discours contraire au « politiquement correct » vise les minorités et les groupes dits dominés : les femmes, les handicapés, les personnes d’origine étrangère, les LGBTQI. L’effet de stigmatisation à l’égard de tel ou tel groupe n’est pas forcément appréhendé de manière objective mais en s’attachant au ressenti supposé ou présumé des membres du dudit groupe au regard de son histoire, de sa place dans la société, etc.
A partir de là, il est possible de s’attacher à la forme et/ou au contenu du discours. Il semble que dans son acception initiale, le « politiquement correct » s’intéresse surtout à la linguistique. Il repose sur le constat que le langage porte une histoire, qu’il véhicule des représentations et des stéréotypes. Aussi suppose-t-il de se défier de mots, d’expressions et de structures grammaticales, qui, d’une manière ou d’une autre, produisent un effet, ou du moins un sentiment, de stigmatisation, d’abaissement ou autre d’un groupe dominé. Deux exemples évoquent le « politiquement correct » : la promotion de l’écriture inclusive comme moyen de contrecarrer la hiérarchisation des sexes issues des règles de grammaire ; le bannissement de termes tels que « nègre » ou « bamboula » (voir la polémique sur la réédition d’une bande dessinée des années 1950 intitulée « Les aventure de bamboula ») qui renvoient à l’esclavagisme et au colonialisme subis par les ascendants d’un groupe ethnique. Dans une acception plus large, le « politiquement correct » s’intéresserait aussi à la substance des discours et autrement dit aux idées. C’est du moins la manière dont il est compris en France. Il inviterait donc à condamner les affirmations au sujet des minorités ou des groupes dominés qui jurent avec le credo libéral ouvert à l’égard d’une société multiethnique voire multiculturelle. Dans cette acception, le discours « non politiquement correct » peut dégénérer en discours de haine.
L’ambition est donc ici de s’intéresser aux effets du « politiquement correct » sur l’exercice de la liberté d’expression, liberté dont tant la Cour EDH (CEDH, 7 déc. 1976, Handyside / Royaume-Uni, n°5493/72, §49) que le Conseil constitutionnel (Cons. const., n°2009-580 DC, 10 juin 2009, HADOPI, Rec. p. 107) ont affirmé la prééminence au sein d’une société démocratique. Il est assez courant d’affirmer la dimension liberticide du « politiquement correct ». Ainsi, dans son ouvrage Le droit contre la démocratie publié en 2017 (LGDJ, Forum), Bertrand Mathieu a relevé que « les lois mémorielles, la pénalisation de l’expression de certaines opinions, la pression sociale exercée par ce qu’on appelle le politiquement correct, musellent l’expression et enferment, par leur accumulation, le débat dans d’étroites limites » et a dénoncé une police de la pensée susceptible de conduire à un totalitarisme mou (p. 173). La définition qu’en donne Mathieu Bock-Côté ne laisse quant à elle guère de doute sur les effets imputés par l’auteur au « politiquement correct ». Il le présente comme « un dispositif inhibiteur ayant pour vocation d’étouffer, de refouler ou de diaboliser les critiques du régime diversitaire (…) et plus largement d’exclure de l’espace public tous ceux qui transgresseraient cette interdiction » (Op. cit. p. 32).
Pour évaluer la pertinence de telles affirmations, le propos s’articulera en deux temps. Il conviendra d’abord de s’intéresser à la manière dont les exigences liées au « politiquement correct » sont saisies par le droit. De manière plus précise, il sera question de déterminer si les discours considérés comme « non politiquement correct » sont effectivement traqués, pourchassés en droit français. Au terme d’une étude de droit positif, il en ressort qu’une telle affirmation est contestable (I). En réalité, « le politiquement correct » relève pour l’essentiel d’une autre forme de régulation que la normalisation juridique à savoir la civilité. Il propose un modèle de civilité dont la diffusion repose d’abord sur la réprobation sociale. Pour l’heure, son influence sur le droit reste donc plutôt modeste et passe essentiellement par des dispositifs relevant du droit souple (II).
I. Le « politiquement correct » et le juridiquement licite
L’ambition est ici d’analyser la manière dont sont traités les discours « non politiquement corrects » en droit français. Toute la difficulté est que, comme il a déjà été signalé, ce que recouvre le « politiquement correct » et partant le « non politiquement correct » est incertain. Le parti a donc été pris d’appréhender l’expression dans son acception française c’est-à-dire de manière large. Trois champs d’investigation ont été retenus. Ils correspondent aux lieux les plus importants de la régulation juridique des discours en France. Il s’agit d’abord du droit pénal. Compte tenu de son éminence, la liberté d’expression est traditionnellement soumise à un régime libéral, le régime répressif : les bornes de son exercice sont fixées de manière limitative dans la loi pénale et les abus de la liberté d’expression sont sanctionnés a posteriori par le juge pénal. En l’occurrence, il s’agit surtout de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 (A). Le second champ sera le droit administratif et en particulier les différentes polices administratives spéciales ou non. Nous nous intéresserons en particulier à l’action du Conseil supérieur de l’audiovisuel qui joue un rôle clé dans le contrôle des discours à la télévision et à la radio (B). Enfin, il convient d’évoquer le rôle des acteurs privés dans la régulation des discours et en particulier celui des réseaux sociaux tels Facebook ou Twitter (C).
A. Droit pénal
Il est bien évident que le droit pénal n’incrimine pas en tant que tel le discours « non politiquement correct ». On serait bien en peine de définir des infractions qui incrimineraient de tels discours dans le respect des principes qui régissent la légalité pénale à commencer par le principe de légalité des délits et des peines. Toutefois, plusieurs infractions de presse ne sont pas sans lien avec la question qui nous occupe. Il s’agit des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 qui incriminent ce qu’on appelle aujourd’hui les discours de haine. De manière générale, ce type de discours s’analyse comme un abus de la liberté d’expression de telle sorte qu’il ne bénéficie pas de la protection de la liberté d’expression (CEDH, 6 juillet 2006, Erbakan / Turquie, n°59405/00). En droit français, trois délits de presse visent spécifiquement les discours de haine : la diffamation publique (art. 32, loi de 1881), l’injure publique (art. 33) et le délit de provocation à la discrimination (art. 24 al. 7 et 8 de la loi de 1881). L’étude s’intéressera ici spécifiquement aux deux derniers puisque la diffamation suppose l’allégation d’un fait précis attentatoire à l’honneur.
L’article 33 punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende l’injure commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap. L’injure s’entend de toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait (art. 29). De leur côté, les alinéas 7 et 8 de l’article 24 punissent d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap.
Il s’agit donc de déterminer si ces différentes incriminations ont pu être mobilisées pour punir la tenue de discours « non politiquement corrects » tels que définis en introduction. Dès lors que leur est imputée la stigmatisation de tel ou tel groupe dominé, il serait imaginable qu’ils puissent être poursuivis au titre de l’injure publique voir de la provocation à la discrimination. Pour vérifier cette première hypothèse, il a été procédé à une analyse des cinq dernières années de droit pénal de la presse. Il est possible d’en conclure que les discours « non politiquement corrects » échappent pour l’essentiel à la répression pénale. Conformément aux principes qui régissent l’interprétation et l’application de la loi pénale, les délits de presse en question ne concernent en pratique que les seuls discours explicitement haineux. Il en est ainsi en premier lieu du délit d’injure publique qui ne joue que lorsque le discours associe de manière explicite une caractéristique péjorative à tel ou tel groupe mentionné par l’article 33 de la loi de 1881.
Ainsi, ne sont pas constitutifs du délit d’injure publique :
– les propos de Henri de Lesquen dans une émission de radio selon lesquels « la musique nègre s’adresse au cerveau reptilien » (CA Paris, 6 juin 2018, ASF / H. de Lesquen, Légipresse 2019/369 p. 133) ;
– les propos du même Henri de Lesquen dans une émission de radio selon lesquels la demoiselle qui représente la France au concours de Miss Monde doit être de race caucasoïde (CA Paris, 12 décembre 2018, Légipresse 2019/367 p. 11) ;
– la publication d’une caricature par Charlie hebdo représentant le général de Gaulle portant dans ses bras une petite fille emmaillotée de langes sous les traits caricaturés de Mme Morano avec la mention « Nadine la fille trisomique cachée de de Gaulle », « ce dessin et son titre ne visant pas les personnes atteintes de ce handicap » (Cass. crim., 19 février 2018, n°18-80405). Cette caricature avait été publiée en réaction aux propos de Nadine Morano attribuant à de Gaulle l’affirmation selon laquelle la France est un pays de race blanche ;
– le slogan scandé par un prêtre à plusieurs reprises lors d’une manifestation « Y’a bon banania, y’a pas bon Taubira » (TGI Paris, 19 mai 2015, MRAP / Beauvais, Légipresse 2015/328 p. 331) ;
– l’expression « autochtones oisifs » associée par Nicolas Bedos aux habitants de la Guadeloupe (TGI Paris, 10 novembre 2015, Légipresse 2015/333 p. 639).
En revanche, ont été jugés constitutifs du délit d’injure publique
– le rapprochement opéré par un élu municipal entre homosexualité et zoophilie à l’occasion de l’examen d’un projet de centre LGBT (Cass. crim. 28 novembre 2017, n°16-85.637) ;
– les propos d’Henri de Lesquen dans une émission de radio selon lesquels les transgenres sont vicieux (CA Paris, 12 décembre 2018, Légipresse 2019/367 p. 11) ;
– le titre du journal Minute « Maligne comme un singe, Taubira retrouve la banane » (TGI Paris, 30 octobre 2014, Légipresse 2014/321 p. 588 ;
– l’affirmation de Jean-Marie Le Pen selon laquelle « la pédophilie […] a trouvé ses lettres de noblesses dans l’exaltation de l’homosexualité » (CA Paris, 3 octobre 2019, n°19/0003, Légipresse 2019/376 p. 594) ;
– la mise en ligne, sur le réseau Twitter d’une fausse publicité représentant un médecin exhibant une boîte de médicaments « Judéotril » accompagnée des termes suivants : « Un nouveau médicament pour guérir du judaïsme. Anxiété, fragilité émotionnelle, paranoïa, égocentrisme, mégalomanie, amnésie sélective, intolérance à la frustration, tendances à la fabulation et à la calomnie, etc. On peut enfin guérir du judaïsme. Prévient les dérives incestueuses » (Cass. crim., 15 octobre 2019, Lalin, n°18-85365).
L’application du délit de provocation à la haine et à la discrimination aux discours « non politiquement corrects » paraît moins évidente encore puisque, dans son dernier état, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation impose que les juges constatent que, tant par leur sens que par leur portée, les propos incriminés tendent à inciter et exhorter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées (Cass. crim. 7 juin 2017, n°16-80.322) et non à provoquer une simple réaction de rejet.
Ainsi le délit n’est-il pas constitué en présence :
– d’une publication dans le journal Valeurs actuelles dénonçant des opérations de naturalisation massive destinées à augmenter le poids des musulmans dans la société française, « les propos étant associés à la reproduction d’un buste de Marianne revêtue d’un voile intégral noir » (Cass. crim. 7 juin 2017, n°16-80.322) ;
– de propos publics de Madame Boutin assimilant l’homosexualité à une abomination (Cass. crim., 9 janv. 2018 , n°16-87.540).
– de la mise en ligne, en illustration d’un texte intitulé « parodie de justice », d’un dessin représentant un singe sous les traits de la ministre de la justice Christiane Taubira (Cass. crim., 9 janv. 2018 , n°17-80.491) ;
– de propos publics de N. Dupont-Aignan caricaturant le slogan de campagne de F. Hollande : « Invasion migratoire : le changement de population c’est maintenant » (CA Paris, 7 févr. 2019, LICRA / Dupont-Aignan, Légipresse 2019/369 p. 133) ;
– de propos de Henri de Lesquen sur twitter critiquant le coefficient de blancheur de l’équipe de France de Football, appelant à bannir la musique nègre des médias français et relatifs à la mélanisation du sport présentée comme dramatique pour les identités nationales (CA Paris, 6 juin 2018, Légipresse 2108/363 p. 423) ;
– de propos publics de E. Zemmour selon lesquels « il n’y a pas de musulmans pacifiques et modérés » et « les jihadistes sont de bons musulmans » (CA Paris, 3 mai 2018, Légipresse 2018/362 p. 376) ;
– d’un tweet de Robert Ménard sur la surreprésentation des enfants musulmans dans les écoles du centre de Béziers et le dépassement d’un seuil de tolérance (CA Paris, 14 mars 2018, LICRA / Ménard, Légipresse 2018/359 p. 192 : Cass. crim., 5 juin 2019, n°18-82742) ;
– d’une boutade de Jean-Marie Le Pen selon laquelle « les homosexuels c’est le sel dans la soupe, s’il n’y en a pas du tout, c’est un peu fade, mais s’il y en a trop, c’est imbuvable » (CA Paris, 3 octobre 2019, préc.).
En revanche, le délit est constitué en présence de
– de propos publics visant les musulmans, groupe assimilé au « grand banditisme » et au « crime organisé », présentés comme des délinquants colonisant et asservissant la France par la violence et affirmant que cette situation ne pouvait être abandonnée « à l’action policière ou à celle des tribunaux », dès lors que les lois et les institutions chargées de les faire respecter étaient impuissantes à protéger « l’indépendance du pays » et « la liberté du peuple » (Cass. crim. 20 sept. 2016, n°15-83.070) ;
– de propos d’Henri de Lesquen sur twitter appelant à franciser l’équipe de France de football en expulsant « les français de papier » (CA Paris, 6 juin 2018, Légipresse 2108/363 p. 423) ;
– de propos publics d’Eric Zemmour assimilant les musulmans à des colonisateurs nécessitant une résistance de la population (CA Paris, 3 mai 2018, Légipresse 2018/362 p. 376 et Cass. crim., 17 septembre 2019, n°18-85299) ;
– de propos publics de J.-M. Le Pen relevant « la présence odorante et urticante des roms » (Cass. crim., 6 mars 2018, n°17-81875) ;
– de propos tenus sur twitter et Facebook suivant lesquels « il y a trop de juifs à la télé » et relevant que « si on les obligeait à porter l’étoile jaune, ce serait plus simple » (TGI Paris, 7 septembre 2016, ASF, Légipresse 2018/342 p. 519 ; Cass. crim., 15 octobre 2019, Lalin, n°18-85365).
Au total, les délits en question ne permettent de se saisir de discours uniquement lorsqu’ils conduisent à associer un groupe en cause à des caractères péjoratifs (injure publique) ou s’analysent comme une exhortation directe à la haine voire à la violence à son encontre (provocation). Il peut être relevé par ailleurs que la considération de la victime et plus précisément à son ressenti, est indifférente dans la qualification pénale. Dans plusieurs décisions, le juge pénal se borne à concéder que les propos querellés peuvent choquer voire meurtrir les personnes concernées sans en tirer de conséquences sur la qualification de l’infraction (ex. : affaire de la caricature de Nadine Morano). Ce constat peut être relié aux principes rituellement rappelés par la Cour EDH, selon lesquels la liberté d’expression « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population » (CEDH, 7 déc. 1976, Handyside / Royaume-Uni, préc.)
B. Droit administratif
Le droit administratif est un autre lieu de la régulation juridique des discours. La piste d’investigation la plus intéressante concerne l’audiovisuel compte tenu du pouvoir de surveillance confié au Conseil supérieur de l’audiovisuel (1). Il peut également être relevé que le référé-liberté est parfois mobilisé, en vain, au soutien de revendications en rapport avec le « politiquement correct » (2).
1. Droit de la communication audiovisuelle
Le droit de la communication audiovisuelle est prometteur dans la quête d’une régulation juridique des discours « non politiquement correct » pour deux raisons au moins. D’une part, la régulation administrative de l’audiovisuel repose sur des objectifs plus larges que le droit pénal ; d’autre part, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) dispose d’un panel diversifié de prérogatives.
S’agissant des objectifs, l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 les envisage en même temps qu’il attribue au CSA le soin d’en assurer le respect. Ce dernier doit veiller « à ce que la diversité de la société française soit représentée dans les programmes des services de communication audiovisuelle et que cette représentation soit exempte de préjugés » (al. 3), à contribuer « aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations dans le domaine de la communication audiovisuelle » (al. 4), à assurer « le respect des droits des femmes dans le domaine de la communication audiovisuelle » en veillant à « l’image des femmes qui apparaît dans ces programmes, notamment en luttant contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes, les violences faites aux femmes et les violences commises au sein des couples » (al 5). Son article 15 ajoute qu’il « veille enfin à ce que les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité ». Il est aussi en charge de veiller au respect de la dignité de toutes les personnes et à l’image des femmes qui apparaissent dans les émissions publicitaires diffusées par les services de communication audiovisuelle (art. 14). Ces différentes exigences sont relayées par les conventions signées entre le CSA et les éditeurs de services audiovisuels qui accompagnent les autorisations d’utilisation des fréquences. Elles sont susceptibles d’enrichir encore les obligations qui pèsent sur les éditeurs. Ainsi, les conventions des éditeurs privés stipulent qu’ils doivent veiller dans leurs programmes « à respecter les différentes sensibilités politiques, culturelles et religieuses du public » (art. 2-3-2 Convention M6).
S’agissant des instruments de la régulation, ils sont plus diversifiés qu’en droit pénal. Le CSA dispose d’un pouvoir de sanction. En amont, il peut mettre en demeure l’éditeur de services audiovisuels de respecter ses obligations. Par ailleurs, il n’hésite pas à mobiliser des instruments relevant de la soft law : mises en garde, rappel des obligations, appel à la vigilance, etc.
Au total, la définition très large des obligations des éditeurs de services audiovisuels et la diversité des mesures susceptibles d’être prises par le CSA permettent de penser que la revendication du « politiquement correct » est plus à même de prospérer devant lui qu’en droit pénal. Il en est d’autant plus ainsi que sa saisine est très simple : il suffit d’un mail pour formuler une réclamation et le site du CSA propose un formulaire pour alerter sur un programme. Rien n’à voir donc avec les contraintes de l’action pénale. Enfin, il doit être précisé que le CSA ne s’adresse jamais qu’aux éditeurs et non aux personnes qui ont tenu les propos litigieux. Il ne dispose donc pas du pouvoir de sanctionner l’auteur du discours « non politiquement correct ».
Cette intuition a été confirmée par l’analyse des cinq dernières années de l’activité du CSA. Il a reçu de multiples plaintes et réclamations dont certaines évoquent le « politiquement correct ». Le CSA n’est pas indifférent à l’égard de ces plaintes mais il ne mobilise pas en général à leur égard ses prérogatives les plus contraignantes. Il est souvent question de rappel à l’ordre, d’invitation à la vigilance, etc. Cette démarche peut suffire à satisfaire les plaignants qui obtiennent ainsi une prise de position publique émanant d’une autorité indépendante frappant d’opprobre tel propos ou tel comportement. Le Conseil d’Etat a lui-même relativisé la portée de ce type de mises en garde en écartant l’application de la jurisprudence Fairvesta et donc la recevabilité du recours pour excès de pouvoir à leur égard au motif qu’elles ne sont pas de nature à « produire des effets notables ou d’influer de manière significative sur les comportements de la personne à laquelle » elles sont adressées (CE, 26 juillet 2018, Groupe Canal Plus, n°414333). Par ailleurs, lorsque les propos litigieux émanent d’invités voire d’auditeurs ou de téléspectateurs, le CSA est surtout sensible à la maîtrise de l’antenne par les journalistes ou animateurs et donc à la contradiction qui aurait pu être apportée aux propos litigieux. Ces éléments d’analyse sont abondamment illustrés.
Le CSA a été saisi d’une plainte au sujet d’une séquence intitulée « L’asile » diffusée sur France 2 dans l’émission Fort Boyard du 24 juin 2017 par une association de défense des personnes handicapées. Après avoir relevé que le cahier des charges de France Télévisions lui impose de « veiller au respect de la personne humaine et de sa dignité et de contribuer à la lutte contre les discriminations et les exclusions de toutes sortes », le CSA a estimé que la séquence en question, caricaturale et stigmatisante à l’égard des personnes souffrant de troubles psychiatriques ou psychiques, portait atteinte aux dispositions du cahier des charges de France Télévisions et a demandé aux responsables de France Télévisions « de veiller à mieux respecter, à l’avenir, ses obligations en matière de respect des droits et libertés et les a mis en garde contre le renouvellement de telles pratiques » (CSA, 6 septembre 2017).
Le CSA a aussi été saisi d’une plainte à propos d’un commentaire d’un journaliste sportif lors du match opposant l’équipe du Nigéria à l’équipe d’Islande, le 22 juin 2018 sur beIN Sport 1. Les plaignants déploraient que le commentateur ait conseillé au joueur de l’équipe du Nigéria de « prendre du Banania ». Le Conseil a considéré que le commentateur faisait référence à la célèbre marque française de boissons et de produits chocolatés qui renvoie, dans l’inconscient collectif, à la représentation des personnes de couleur durant la période coloniale et que les mots employés dans un tel contexte ne s’inscrivent pas dans l’exigence de promotion des valeurs d’intégration et de solidarité et de lutte contre les discriminations évoquée par la convention qui la lie au CSA. Il a « appelé à la vigilance de la chaîne sur le respect » de ses obligations (CSA, 24 octobre 2018). Il a aussi mis en garde cette même chaîne lorsque le commentateur d’un autre match de football a relevé à propos d’un joueur « c’est pas mal pour un noir » (CSA, 22 mai 2019).
A l’occasion d’une délibération en date du 28 juin 2017, il a accueilli la plainte d’une association de lutte contre l’homophobie dans le sport à raison de la diffusion dans une émission sportive de Canal+ d’un chant entonné par les supporters de l’Olympique de Marseille : « Julien Cazarre est un pédé ». S’il a relevé le caractère humoristique de cette séquence visant à dénoncer des travers du monde du football, il a considéré que le caractère homophobe du chant des supporters était avéré et que sa diffusion, sans aucune distance, risquait de blesser des personnes et pouvait, perçue au premier degré, être de nature à nourrir des préjugés homophobes dans le sport. « Le CSA a donc mis en garde la chaîne Canal+ contre le renouvellement de telles pratiques » (CSA, 28 juin 2017).
Par une autre délibération en date du 21 juillet 2017, il a attiré l’attention des responsables de France 2 au sujet de la diffusion d’un reportage sur des stages à destination des hommes qui, selon la plaignante, promeuvent l’idéologie « viriliste ». Il a estimé qu’en proposant ce sujet sans davantage le contextualiser et sans commentaire critique explicite, que ce soit dans le cadre du reportage ou lors de son lancement, la chaîne avait diffusé une séquence présentant une conception rétrograde et machiste de la place des femmes par rapport aux hommes. « Le Conseil a donc attiré l’attention des responsables de la chaîne sur le nécessaire respect des dispositions » de l’article 3-1 de la loi de 1986 (CSA, 21 juin 2017).
De même, le CSA a souligné que les propos tenus par Jean-Pierre Pernaut à la suite d’un reportage dans son journal de 13h sur TF1 sur les sans-abris et en transition avec le sujet suivant sur les migrants, – « Voilà plus de places pour les sans-abris mais en même temps les centres pour migrants continuent à ouvrir partout en France » -, pouvaient encourager un comportement discriminatoire et a en conséquence « demandé aux responsables de TF1 de veiller, à l’avenir, à pleinement respecter les dispositions » de la convention de la chaîne (CSA, 4 janvier 2017).
Au titre du sexisme, il peut encore être citée l’intervention du CSA auprès de la chaîne NT1 au sujet de l’émission Le Bachelor. Était en cause une séquence clôturant chaque épisode au cours de laquelle le « bachelor » sélectionne les candidates qu’il souhaite voir poursuivre l’émission en leur donnant une rose. Au regard des dispositions relatives aux droits des femmes de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, qui donnent pour mission au CSA de lutter contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes et les violences faites aux femmes, il a estimé que cette séquence était susceptible de porter atteinte à l’image des femmes puisque elle exacerbe l’assujettissement d’un groupe de jeunes femmes au bon plaisir d’un homme, mettant ainsi en avant une volonté de dépendance dévalorisante de leur part. « Il a donc appelé l’attention des responsables de la chaîne sur le respect des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 dans les programmes dits de téléréalité » et « a également précisé à la chaîne que, d’une manière plus générale, il s’inquiétait vivement de la tonalité et des ressorts de cette émission qui conduisent à favoriser la diffusion de séquences, de dialogues, d’images et de postures de nature à donner une représentation des femmes marquée par des stéréotypes dévalorisants, présents tout au long de ce programme » (CSA, 18 mai 2016).
Plus récemment encore, il a dû statuer sur une séquence de l’émission « Tout le monde joue au docteur », diffusée sur France 2 en janvier 2019 à l’occasion de laquelle Michel Cymes a interrogé les invités sur le point de savoir si les « hommes ont plus besoin de faire l’amour que les femmes ». Les plaignants estimaient que ces propos étaient « de nature à renforcer la culture du viol ainsi que l’injonction à céder aux demandes sexuelles de leurs partenaires masculins qui pèse sur les femmes ». Le CSA s’est borné à attirer l’attention des responsables de la chaîne sur le fait que ces propos peuvent conduire à véhiculer des préjugés sexistes ou des idées reçues (CSA, 24 avril 2019).
Il arrive bien sûr que le CSA mobilise ses pouvoirs de sanction ou de mise en demeure mais il n’y a généralement recours qu’en présence d’expressions qui s’inscrivent clairement dans les discours de haine et qui, à ce titre, pourraient faire l’objet de poursuites pénales. Il en a été ainsi pour des propos tenues par H. de Lesquen (CSA, Décision n°2017-724 du 4 octobre 2017 portant sanction à l’encontre de l’association CDARS : amende prononcée pour des propos tenus dans l’émission de H. de Lesquen sur Radio Courtoisie. Le Conseil d’Etat a rejeté le recours formé contre cette décision : CE, 17 décembre 2018, Association CDARS, n°416311). De même, le CSA a récemment mis CNews en demeure de se conformer à l’avenir à ses obligations légales et conventionnelles à la suite de propos de Eric Zemmour tendant selon lui à encourager des comportements discriminatoires en raison de la religion et sans aucune réaction ou modération de la part de la journaliste présente en plateau (CSA, Décision n°2019-578 du 27 novembre 2019).
2. Le référé-liberté
Le juge administratif est parfois saisi au titre du référé-liberté de demandes visant à ce qu’il soit mis fin à des activités ou à des pratiques, imputables à des autorités administratives ou non, en contradiction avec les exigences du « politiquement correct ». Aucune n’a prospéré en raison notamment des exigences spécifiques de cette procédure de référé à savoir la nécessité de démontrer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Tout en relevant systématiquement que la pratique litigieuse pouvait légitimement être de nature à heurter la sensibilité de certaines personnes, il écarte les requêtes.
Il en a été ainsi dans l’affaire de la pâtisserie « Tête de nègre » (CE ord., 16 avril 2015, CRAN, n°389372). A cette occasion, le juge des référés du Conseil d’Etat a estimé que si l’exposition, dans la vitrine d’une boulangerie de Grasse de pâtisseries « figurant des personnages de couleur noire présentés dans une attitude obscène et s’inscrivant délibérément dans l’iconographie colonialiste est de nature à choquer, l’abstention puis le refus du maire de Grasse de faire usage de ses pouvoirs de police pour y mettre fin ne constituaient pas en eux-mêmes une illégalité manifeste portant atteinte à une liberté fondamentale qu’il appartiendrait au juge administratif des référés de faire cesser ».
Le Tribunal administratif de Lille s’est manifestement inspiré de cette ordonnance lorsqu’il a dû se prononcer sur « La nuit des noirs » (TA Lille ord., 9 mars 2018, CRAN, n°1802009). Était en cause l’organisation de la soirée intitulée « La nuit des noirs », dans le cadre des festivités du carnaval de Dunkerque, au cours de laquelle les participants se griment en noir et revêtent les tenues traditionnelles des tribus africaines. S’il concède que cette manifestation s’inscrivait délibérément dans l’iconographie colonialiste et était de nature à choquer, le juge des référés du TA de Lille a jugé que le refus de différentes autorités de faire usage de leurs pouvoirs de police pour y mettre fin, « ne constituaient pas en eux-mêmes, compte tenu du contexte burlesque général des festivités et eu égard à l’absence de justifications de risques de commission d’infractions à caractère racial et de troubles à l’ordre public qui pourraient en résulter, une illégalité manifeste portant atteinte à une liberté fondamentale qu’il appartiendrait au juge administratif des référés de faire cesser ».
Le Conseil d’Etat a aussi été amené à se prononcer sur la demande de plusieurs associations tendant à la suspension de la représentation « Exhibit B » dans un établissement parisien. Cette exposition proposée par un artiste sud-africain consistait à présenter dans une salle de théâtre, de « tableaux vivants » introduisant des acteurs ou figurants noirs afin de dénoncer l’asservissement des populations noires lors de la période coloniale ainsi que des traitements contraires au principe de respect de la dignité humaine ou aux droits de l’homme dans le monde contemporain. Le juge des référés du Conseil d’Etat a écarté le recours contre l’ordonnance du TA de Paris qui avait jugé que « alors même qu’elle peut être perçue par les spectateurs ou ses détracteurs comme suscitant, du fait des spécificités de la mise en scène (comédiens en cage) et des sujets abordés, une très forte émotion, cette exposition ne porte pas atteinte au respect de la dignité de la personne humaine » (CE ord., 11 décembre 2014, Centre Dumas-Pouchkine des Diasporas et Cultures Africaines, n°386328).
Une dernière affaire illustre le peu d’écho des exigences du « politiquement correct » devant la juridiction administrative. Elle mettait en cause des panneaux représentant des silhouettes de femme répartis sur le territoire d’une commune à l’initiative de son maire et d’une adjointe dans le cadre de l’année de la femme. Estimant que ces panneaux véhiculaient des stéréotypes sexistes et discriminatoires à l’égard des femmes, une association féministe a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d’en prescrire l’enlèvement. Le TA a fait droit à cette demande en jugeant que par ces réalisations, la commune avait méconnu les dispositions de l’article 1er de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui prévoient notamment que les collectivités territoriales mettent en œuvre une politique pour l’égalité comportant des actions destinées à prévenir et à lutter contre les stéréotypes sexistes. Le Conseil d’Etat a annulé cette ordonnance. Il a estimé que si « les panneaux incriminés peuvent être perçus par certains comme véhiculant, pris dans leur ensemble, des stéréotypes dévalorisants pour les femmes ou, pour quelques-uns d’entre eux, comme témoignant d’un goût douteux voire comme présentant un caractère suggestif inutilement provocateur s’agissant d’éléments disposés par une collectivité dans l’espace public, leur installation ne peut être regardée comme portant au droit au respect de la dignité humaine une atteinte grave et manifestement illégale » (CE, 1er décembre 2017, Commune de Dannemarie, n°413607).
C. La régulation privée de la liberté d’expression
Les plateformes numériques, et en particulier les réseaux sociaux, sont devenus des acteurs essentiels de la circulation des idées et des opinions. On sait aussi que l’expression y est souvent débridée. Pour autant, les fournisseurs d’accès et les hébergeurs ne sont pas encore soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent (art. 6-I-7 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique). En revanche, ils doivent concourir à la lutte contre la diffusion de certaines infractions de presse (provocation à la haine et à la discrimination). A ce titre, ils sont censés mettre en place des dispositifs facilement accessibles et visibles permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type d’infractions et ils ont l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes des activités illicites qui leur seraient signalées. A côté de ces obligations légales, les réseaux sociaux se sont dotés de règles de modération par lesquelles ils se réservent le droit de retirer les contenus postés par les utilisateurs qui contreviennent auxdites règles voir de supprimer leurs comptes.
La contribution des réseaux sociaux à la lutte contre les discours « non politiquement corrects » est pourtant limitée. En attestent, par exemple, les standards de la communauté de Facebook qui renseignent sur la politique de modération de ce réseau social. Cette politique vise en particulier trois types de contenus : la nudité, les discours incitant à la haine et les contenus violents et explicites. Facebook dit supprimer les discours incitant à la haine, discours définis comme ceux constituant une attaque directe des personnes en raison de leur race, leur religion, leur sexe ou leur orientation sexuelle. Une attaque s’entend comme « un discours violent ou déshumanisant, une affirmation d’infériorité, ou un appel à l’exclusion ou à la ségrégation ». Facebook définit également trois niveaux de gravité des attaques constitutives de contenus haineux. Les quelques affaires connues, par exemple, la suppression du compte du polémiste d’extrême droite Alain Soral, mettent en cause des discours qui tombent clairement sous le coup de la loi pénale en France au titre de l’injure publique ou de la provocation à la haine et à la discrimination (ex. : Cass. crim., 19 février 2019, n°18-82745). La politique suivie par Facebook à l’égard de ce type de discours est souvent jugée insuffisante. En atteste la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet déposée le 20 mars 2019 par Laetitia Avia qui vise à renforcer les obligations des plateformes (Proposition de loi n°1785).
Au regard de ces différents éléments, le discours « non politiquement correct » ne tombe pas sous le coup de la politique de modération du réseau social. Facebook n’est toutefois pas complétement indifférent à son égard. Ses règles de modération envisagent le cas des contenus simplement déplaisants. Mais il n’est alors plus question de suppression par le réseau social. Ce dernier prétend fournir des outils permettant à l’usager d’éviter d’être confronté à des contenus déplaisants sur son fil d’actualité ou sur son profil. Il appartient alors à l’internaute de mobiliser ces outils pour contrôler ce qu’il voit et donc exclure ce qu’il ne souhaite pas voir. Il n’est donc pas question de censure mais d’une invisibilisation sur-mesure de contenus qui déplaisent. Une sorte d’auto-régulation.
Le discours « non politiquement correct » n’est donc guère contrecarré à un titre ou à un autre dans les différents lieux de la régulation juridique de la liberté d’expression. Le droit pénal ne s’en saisit que lorsqu’ils s’analysent comme des discours de haine. Le droit de l’audiovisuel est plus réceptif aux revendications relevant du « politiquement correct » mais cette régulation se traduit pour l’essentiel par des rappels à l’ordre et des appels à la vigilance dont la portée est avant tout pédagogique. Le juge administratif du référé-liberté n’entend pas mobiliser cette voie de droit au soutien de ce type de revendications. Enfin, les réseaux sociaux ont d’ores et déjà fort à faire avec les discours de haine et n’ont donc pas vocation à assurer une police des contenus simplement « non politiquement correct ». Vue au prisme du droit, il semble donc difficile d’avancer l’idée d’une sorte de délit d’opinions non conforme aux canons du « politiquement correct ». Mais sauf à faire preuve d’un juridisme étroit, on ne saurait s’arrêter là. Les exigences du politiquement correct se diffusent par d’autres voies au sein de l’espace public.
II. Le « politiquement correct » et le civilement tolérable
Comprendre ce que fait le « politiquement correct » à la liberté d’expression suppose au préalable d’en comprendre la signification. Il se présente en réalité comme un modèle de civilité. Une thèse récente a défini la civilité de la manière suivante : il s’agit de « l’ensemble des règles qui sont implicitement admises au sein d’une communauté humaine et qui permettent aux membres de cette communauté de vivre ensemble, les uns avec les autres, sans intervention extérieure du pouvoir normatif » (V. Gazagne-Jammes, Les actes nuisibles à la vie en société. Étude sur les incivilités à partir de l’article 5 de la Déclaration de 1789, Université Toulouse 1 Capitole, 2018, n°189). En tant que modèle de civilité, le « politiquement correct » repose sur une conception des rapports sociaux qui entend évincer les discours qui de par leur contenu ou leur forme, sont analysés comme stigmatisants à l’égard de groupes dominés et sont donc susceptibles de heurter la sensibilité des personnes appartenant auxdits groupes. Ce modèle de civilité ne fait pas forcément consensus. Il suppose notamment de penser la société comme multiethnique voire comme multiculturelle.
A. La réalisation du modèle de civilité dans l’espace public : la réprobation sociale
A l’instar des autres règles de civilité, la diffusion de ce modèle ne passe pas principalement par les normes juridiques. Elle repose d’abord sur la réprobation sociale. Cette réprobation sociale n’est plus tout à fait la même que par le passé. Elle bénéficie aujourd’hui de moyens de circulation et de diffusion particulièrement puissants et efficaces à travers les outils de communication moderne : réseaux sociaux, chaînes d’informations continues, etc.
Cette réprobation sociale repose souvent sur l’activisme d’associations et de personnalités qui combattent les discours « non politiquement corrects ». Il se décline parfois à travers des recours devant les instances juridiques, juridictions (F. Gras, « Censure et ordre public : les associations procureurs », Légipresse 2016/343, p. 591) ou autorités administratives (à commencer par le CSA). Mais son arme la plus efficace est la pratique du « name and shame ». De manière générale, elle consiste à stigmatiser une personne ou une entreprise dans l’espace public au nom d’une cause en jouant notamment sur la puissance démultiplicatrice et délétère des réseaux sociaux. Cette mise au pilori publique n’est pas sans conséquence pour la personne ou l’entité visée. Elle est de nature à affecter ses relations avec son environnement social et économiques, avec ses différents partenaires. Pour une entreprise, on pense bien sûr à ses clients et aux investisseurs. Pour un particulier, il s’agit notamment de ses employeurs et de ses donneurs d’ordre. Cette pratique n’est pas le monopole des associations qui portent des revendications relevant du « politiquement correct ». Elle est souvent mobilisée par les défenseurs de l’environnement et par les contempteurs de l’Islam politique (affaire du hijab de course. X. Dupré de Boulois, « Les misères du droit : au sujet de l’ouvrage de Laurent Bouvet, « La nouvelle question laïque. Choisir la République » (Flammarion, 2019) », RDLF 2019 chron. n°09). L’espace public, souvent virtuel, se présente alors comme un lieu de conquête et de revendication au sein duquel il faut convaincre du caractère nuisible et condamnable de tel discours, comportement ou produit. Les acteurs visés par ce type de campagne, surtout lorsqu’il s’agit d’opérateurs économiques, préfèrent s’incliner et s’excuser plutôt que de s’engager dans un plaidoyer pro-domo voire d’engager une action en justice au titre de la dénonciation calomnieuse ou de la diffamation.
L’actualité n’a de cesse d’illustrer le recours à cette pratique du « name and shame » au nom du « politiquement correct ». Elle peut se révéler particulièrement efficace. En effet, compte tenu de ce que recouvre le « politiquement correct », cette stigmatisation consiste souvent à insinuer ou affirmer que le discours contesté et la personne qui le formule sont racistes, sexistes, homophobes ou encore handiphobes selon les cas. L’accusation est lourde. La pratique du « name and shame » ne s’embarrasse donc guère de nuances. Parmi les exemples récents, on pourra citer les cas de l’animateur Tex et de l’humoriste Jean-Marie Bigard ciblés pour des blagues douteuses tenues dans l’émission « Touche pas à mon poste » sur C8. Le premier avait fait une blague sur les violences conjugales. Il a été licencié par la société de production de son émission « Les Z’Amours » à la demande de France 2. Le second a commis une blague sur le viol. Elle a suscité de multiples réactions. Le CSA a ainsi reçu plusieurs centaines de signalement (CSA, 3 avril 2019). Par la suite, le quotidien régional Var-Matin a décidé d’écarter l’humoriste de son festival d’humour, pour lequel il devait effectuer une tournée de 49 dates. On peut aussi citer des campagnes de publicités d’entreprises comme Heineken, Gap ou Gucci qui ont été jugées racistes par des associations et des personnalités et qui ont conduit à leur retrait.
Le plus intéressant ou le plus inquiétant pour le juriste est que cette pratique se déploie en marge du droit à trois égards au moins.
En premier lieu, elle se défie des qualifications juridiques alors même qu’elle mobilise souvent un registre de discours qui existe dans le droit. Ce qui est considéré comme raciste au regard du « politiquement correct » n’est que rarement qualifié comme tel en droit pénal. En mobilisant les mots du droit, elle lui emprunte aussi une part de son aura d’autorité et de légitimité.
En deuxième lieu, elle produit un effet d’éviction qui n’est pas sans évoquer la régulation juridique : suppression du discours litigieux ; sanction au moins indirecte de l’auteur du discours litigieux. Dans la plupart des cas, le « bourreau » est un acteur privé : une entreprise qui licencie, un investisseur qui se retire, etc.
En troisième lieu, cette pratique fait l’économie des formes du droit et en particulier des garanties inhérentes aux procédures de sanction : contradiction, impartialité, etc. La personne visée ne dispose pas d’un cadre et d’une procédure pour faire valoir sa défense. Et si néanmoins, elle choisit de recourir à la justice, elle n’obtiendra satisfaction qu’a posteriori (Ex. dans l’affaire à l’origine de la campagne « Balance ton porc » : TGI Paris, 17e ch., 25 sept. 2019, n° 18/00402, CCE 2019/11 com. 70). La temporalité du droit n’est pas celle des réseaux sociaux et donc de la société.
A ce stade, il serait donc tentant d’entonner l’air d’Anastasie ou du retour de la censure. Et il est vrai que la liberté d’expression ne sort pas indemne de sa rencontre avec le « politiquement correct ». Il en est en particulier ainsi pour l’expression humoristique. Il ne faut toutefois pas surestimer cet effet mortifère. Comme il a déjà été signalé, l’aptitude des revendications du « politiquement correct » à s’imposer dans l’espace public dépend de nombreux facteurs, à commencer par sa capacité à agréger des soutiens et à surpasser les discours concurrents. Le discours du « politiquement correct » ne parvient pas toujours à faire prévaloir son interprétation dans les conflits de signification. Et ce d’autant plus que la tenue d’un discours « non politiquement correct » est devenue un fonds de commerce pour des personnalités (Zemmour, etc.), des journaux (Valeurs actuelles, etc.) et des médias (les chaînes d’information continue en particulier). Au-delà, ce modèle de civilité nous semble peiner à conquérir la sphère juridique. Autrement dit, il semble ne pas avoir d’influence majeure sur les politiques publiques.
B. Un modèle de civilité à la conquête du droit ?
Les décideurs publics ne sont pas indifférents aux exigences du « politiquement correct ». Mais la prise en compte de ce modèle de civilité demeure modeste si l’on concentre le propos sur la régulation juridique des discours et donc son effet sur la liberté d’expression. Elle est plus sensible dès lors que l’on s’intéresse à d’autres politiques publiques. On pense par exemple aux politiques de diversité mises en place dans les différents champs du droit (droit du travail, droit de l’audiovisuel, droit de marchés publics) qui peuvent s’analyser comme l’expression du « politiquement correct ».
1. La forme du discours
Une bonne expression de cette influence est la politique visant à purger la langue française de ses scories supposées sexistes. Il s’agit en particulier de la politique de féminisation des titres et des fonctions à partir du décret du 29 février 1984 et de plusieurs circulaires. Il est aussi question de la circulaire Fillon du 21 février 2012 préconisant la suppression des termes « Mademoiselle » des formulaires et des correspondances administratives. On se souvient que le Conseil d’Etat a rejeté le recours formé contre cette circulaire qui se fondait notamment sur l’atteinte à la liberté d’expression (CE, 26 décembre 2012, Association « Libérez les Mademoiselles !, n°358226). Mais cette politique a une portée limitée comme en atteste une autre circulaire, la circulaire du Premier ministre en date du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal Officiel de la République française. Elle prescrit aux membres du Gouvernement de donner instruction aux services placés sous leur autorité d’appliquer un certain nombre de règles grammaticales et syntaxiques lors de la rédaction des actes administratifs. Il s’agit surtout de poursuivre l’effort de féminisation des fonctions. Mais elle invite aussi ses destinataires à se conformer aux règles grammaticales et syntaxiques en s’abstenant de faire usage de l’écriture dite inclusive, qu’il a définie comme « l’ensemble des pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine ». Le Conseil d’Etat a rejeté le recours engagé contre cette circulaire en relevant qu’elle se bornait à rappeler les règles syntaxiques et grammaticales en vigueur et n’était donc pas susceptible de porter atteinte au principe d’égalité entre hommes et femmes (CE, 28 février 2019, Association Groupement de défense et de soutien sur les questions sexuées et sexuelles, n°417128).
Par ailleurs, la suppression du mot race revient régulièrement à l’agenda politique mais elle n’a pas encore été mise en œuvre dans le droit français. La proposition de loi tendant à son éviction de la législation française a été votée en première lecture par l’Assemblée nationale le 16 mai 2013 mais elle végète depuis lors au Parlement. Un amendement au projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace visant à supprimer toute référence à ce terme dans la Constitution a été voté par l’Assemblée nationale le 12 juillet 2018. Il n’est pas sûr qu’il survive aux pérégrinations parlementaires du projet de révision constitutionnelle « Macron ».
2. Le contenu du discours
S’agissant du contenu des discours, le « politiquement correct » ne peut jouer que de manière négative. Du moins est-ce le cas dans une société fondée sur le principe de liberté et dans laquelle la liberté d’expression est première. Il n’est donc pas en mesure d’imposer un discours mais il est susceptible d’entraver la tenue ou la diffusion de propos, les discours « non politiquement corrects ».
Nous avons déjà évoqué certains dispositifs susceptibles d’être mobilisés pour stigmatiser ce type de discours. En matière audiovisuelle, peuvent être vus comme traduisant une perméabilité à l’égard du « politiquement correct » l’enrichissement progressif de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 : par l’article 47 de la loi du 30 mars 2006 relative à l’égalité des chances dont il résulte que le CSA doit contribuer aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations et que les éditeurs de services de radio et de télévision sont censés veiller à ce que leur programmation reflète la diversité de la société française ; par l’article 56 de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes qui confie au CSA le soin de veiller à l’image des femmes dans les programmes, notamment en luttant contre les stéréotypes, les préjugés sexistes et les images dégradantes. On connaît l’écho que le CSA a donné à ces différentes dispositions.
De même, la mise en place d’une contravention d’outrage sexiste par la loi n°2018-703 du 3 août 2018 pourrait être analysée comme une expression de l’influence du « politiquement correct » au sein de la législation française. L’article 621-1 du Code pénal réprime le fait « d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Faute de jurisprudence, il est encore trop tôt pour déterminer cette contravention pourrait permette à l’avenir de saisir des discours « non politiquement corrects ». Il peut être relevé qu’il prend place au sein d’un arsenal pénal particulièrement dense dans le domaine des comportements sexistes : injure sexiste (art. 33 de la loi de 1881), harcèlement sexuel (art. 222-33 Code pénal), exhibition sexuelle (art. 222-32 Code pénal), agression sexuelle (art. 222-7 et s. Code pénal) et atteinte sexuelle sur mineur (art. 227-25 Code pénal). Plusieurs auteurs se sont d’ailleurs interrogés sur la compatibilité de cette contravention avec le principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines (notamment, P.-J. Delage, JCP gén., 2018/38, 947 ; A. Dassonville, AJ pénal 2017/12 p. 532). Compte tenu du champ des comportements qui tombent sous le coup des délits énumérés ci-dessus, une auteure en a conclu que la nouvelle contravention visera surtout les propos et donc les discours (M.-L. Rassat, Dr. pénal 2018/4 étu. 7). On pourrait imaginer en reprenant les termes de l’article 621-1 du Code pénal que certains propos « non politiquement corrects » tenus en présence d’une femme soient analysés comme des propos à connotation sexiste créant à son encontre une situation offensante. Les années à venir permettront d’en savoir plus sur les discours susceptibles d’être incriminés au titre de cette disposition.
Au total, il n’est donc guère pertinent d’évoquer une conquête du droit par le modèle de civilité du « politiquement correct » en tant qu’il s’intéresse aux discours. Encore faut-il préciser que l’étude s’est focalisée sur le droit étatique c’est-à-dire le droit tel qu’il est produit par les institutions de l’Etat (Parlement, gouvernement, juridictions). Notre intuition est que la diffusion du « politiquement correct » pourrait d’abord s’opérer à travers des normes privées ou internes. Nous entendons par là les chartes et autres codes de conduite édictés par des associations, des entreprises ou des universités, qui ont vocation à régir les relations entre leurs membres notamment en régulant les discours au sein des institutions ou groupes en cause. Les médias évoquent parfois les normes de comportement établies au sein d’universités américaines ou anglaises souvent pour en railler les excès. Quelques universités françaises se sont dotées de chartes relatives aux discriminations dont le contenu n’est pas sans évoquer le « politiquement correct » (ex. : La Charte pour l’égalité femmes-hommes de l’Université de Paris Nanterre ; La Charte pour l’égalité et la lutte contre les discriminations de l’IEP de Strasbourg ; La Charte des étudiant.e.s de l’Université Grenoble Alpes pour la lutte contre le sexisme, les discriminations et les violences à caractère sexuel de l’Université Grenoble Alpes ; La Charte pour l’égalité et contre les discriminations de l’IEP de Grenoble). Toutes insistent en particulier sur la nécessité d’une communication interne et externe dépourvue de stéréotypes de sexe. De telles normes existent aussi au sein de groupes créés sur des plateformes numériques (ex. : A. Plaignaud, « Safe space et charte de langage, entre subversion et institution d’une Constitution », Itinéraires 2017-2/2018). Ces normes privées ont une juridicité incertaine (Sur ce débat : M. Larouer, Les codes de conduite, sources du droit, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèses, 2018). Elle n’en participe pas moins à la diffusion des exigences du « politiquement correct » dans la société française.
Conclusion
Le thème du « politiquement correct » constitue en définitive un bon point d’observation des défis contemporains auxquels est confrontée la liberté d’expression. Le défi des nouveaux modes de communication d’abord et en particulier des réseaux sociaux. Ils offrent à chacun la possibilité de s’exprimer alors que la liberté d’expression a longtemps été le monopole des élites ou des institutions. Mais ils sont aussi le lieu où s’opère une police du discours auquel le « politiquement correct » contribue largement. Le défi de l’atomisation du social ou encore de l’exacerbation des identités ensuite. Le « politiquement correct » comme modèle de civilité se présente comme un outil de pacification des rapports sociaux à travers la régulation de la liberté d’expression.
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