Indemnisation conventionnelle du licenciement d’un salarié inapte pour une cause non professionnelle : la fin d’une discrimination liée à l’état de santé (Soc. 8 octobre 2014, n°13-11789, à paraître au Bulletin)
« Mais attendu qu’en l’absence d’élément objectif et pertinent la justifiant, est nulle en raison de son caractère discriminatoire fondé sur l’état de santé du salarié, la disposition d’une convention collective excluant les salariés licenciés pour cause d’inaptitude consécutive à une maladie ou à un accident non professionnel du bénéfice de l’indemnité de licenciement qu’elle institue; qu’il en résulte que la cour d’appel a exactement décidé que les dispositions illicites du 2° de l’article 36 de la convention collective de travail du personnel de la mutualité sociale agricole devaient être écartées au profit de celles du 1° de cet article et que la salariée devait percevoir l’indemnité conventionnelle de licenciement ».
Par Michel Miné, Professeur associé au CNAM
La question porte ici sur le montant de l’indemnité de licenciement que le salarié doit percevoir en cas de licenciement prononcé à la suite d’une inaptitude médicale au poste de travail, constatée par le médecin du travail, en cas d’impossibilité de reclassement dans l’entreprise (ou de refus par le salarié du reclassement proposé) ; l’inaptitude n’étant pas consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle.
En l’espèce, une salariée, engagée le 3 juin 1965 par la Fédération des caisses de mutualité sociale agricole du Languedoc, devenue mutualité sociale agricole du Languedoc, a été licenciée le 21 novembre 2005 pour cause d’inaptitude physique médicalement constatée consécutive à une maladie (non professionnelle). La salariée a saisi la juridiction prud’homale invoquant notamment une discrimination créée par l’article 36 de la convention collective de travail du personnel de la mutualité sociale prévoyant une exclusion de l’indemnité conventionnelle de licenciement en cas d’inaptitude physique consécutive à une maladie ou à un accident de la vie privée.
En effet, la convention collective applicable dispose que :
« 1° Licenciement
Lorsque le licenciement d’un salarié est prononcé avec indemnité, celle-ci est égale à :
– un demi mois de salaire par année d’ancienneté, pour les six premières années,
– un mois de salaire par année d’ancienneté, pour les années suivantes.
Toutefois, l’indemnité ne pourra, en aucun cas, être supérieure à 24 mois de salaire.
Le salaire servant de base de calcul de l’indemnité est égal au douzième de la rémunération brute perçue au cours des douze mois précédant le licenciement.
2° Licenciement pour inaptitude physique
En cas de rupture du contrat de travail du salarié pour cause d’inaptitude physique médicalement constatée, consécutive à une maladie ou un accident de la vie privée, le versement de l’indemnité de licenciement visée au 10 du présent article est exclu. Seule est due une indemnité égale à l’indemnité légalisée de licenciement prévue à l’article 5 de l’accord national interprofessionnel du 10 décembre 1977 sur la mensualisation annexé à la loi n° 78-49 du 19 janvier 1978 majorée de 50 %.» (article 36 « indemnité de licenciement », dans sa rédaction applicable au jour du licenciement de la salariée).
Cette clause prévoit donc une indemnité conventionnelle de licenciement plus favorable que l’indemnité légale. Cependant, le texte exclut du bénéfice de cet avantage les salariés licenciés du fait d’une inaptitude non consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Est posée la question du caractère licite de cette exclusion. Ici le salarié subit un traitement défavorable directement lié à son état de santé, il ne bénéficie pas d’un avantage du fait de son inaptitude physique. Or, le texte conventionnel ne fournit aucun élément objectif et pertinent, non discriminatoire, justifiant cette exclusion. Pour la chambre sociale de la Cour de cassation, cette clause conventionnelle a un caractère discriminatoire, contraire aux dispositions légales interdisant toute discrimination en raison de l’état de santé 1. Est ainsi validée la solution de la Cour d’appel (Nîmes, 11 décembre 2012) : la salariée est fondée à demander que les dispositions illicites du 2° de l’article 36 de la convention collective soient écartées au profit de celles du 1° de cet article et que l’employeur soit condamné à lui régler un complément d’indemnité de licenciement (29 888,18 €).
La Cour de cassation en approuvant la solution des juges du fond rénove sa jurisprudence. En effet, antérieurement, il était admis qu’en cas de résiliation par l’employeur du contrat de travail d’un salarié pour inaptitude physique, d’origine non professionnelle, et impossibilité de reclassement, celui-ci avait droit à l’indemnité légale de licenciement ou, si elle était plus favorable et si les clauses de la convention collective ne l’excluaient pas, à l’indemnité conventionnelle 2.
Cette décision novatrice invite les partenaires sociaux, notamment des branches, à réexaminer les textes conventionnels conclus pour vérifier qu’ils ne contiennent pas de dispositions discriminatoires, directes ou indirectes. En cas de contrôle positif, il leur appartient de réviser les clauses conventionnelles non conformes à l’interdiction de discrimination. Ce travail apparaît particulièrement nécessaire, notamment au regard du critère de l’état de santé. En effet, certaines clauses conventionnelles qui lors de leurs conclusions étaient plus favorables que la loi, alors en vigueur, sont aujourd’hui en contradiction avec la législation interdisant la discrimination 3. C’est également le cas pour le critère de l’âge.
Dans ce cadre, le contrôle par le juge, européen et interne, de la production normative conventionnelle est essentiel. Il apprécie la validité des dispositions conventionnelles au regard de l’interdiction des discriminations et prive d’effet, par différents mécanismes juridiques suivant les cas, les clauses illégales. Il en est ainsi notamment pour les critères de l’état de santé 4, du sexe 5 et de l’âge 6.
En amont du contentieux judiciaire, dans le cadre de la procédure d’extension l’autorité administrative doit effectuer un contrôle de légalité des accords collectifs 7, et, lors du dépôt des accords non soumis à l’extension l’administration du travail pourrait également vérifier la conformité de ces textes au regard de la législation interdisant la discrimination 8.
La solution de la Cour de cassation est particulièrement bienvenue dans un contexte où la distinction classique quant aux causes d’inaptitude, d’origine professionnelle ou d’origine privée 9, s’estompe parfois. En effet, des maladies non reconnues comme professionnelles peuvent trouver leurs causes dans les conditions de l’activité professionnelle : des dégradations de la santé sont causées par des dégradations des conditions de travail (charge de travail excessive, etc.) 10. Ces états de santé dégradés peuvent ensuite déboucher sur des inaptitudes physiques aux postes de travail et en cas d’impossibilité de reclassement sur des licenciements.
Or les salariés licenciés à la suite d’une inaptitude retrouvent difficilement un emploi 11. Grâce à cette nouvelle jurisprudence, les clauses conventionnelles excluant les salariés licenciés pour inaptitude, d’origine non professionnelle, du bénéfice de l’indemnité conventionnelle de licenciement sont frappées de nullité. Ces salariés doivent donc percevoir l’indemnité conventionnelle de licenciement, plus favorable que l’indemnité légale.
Notes:
- C. trav., art. L. 1132-1. JCP S 23 déc. 2014, n° 52, § 1493, note P.-Y. Verkindt, Dr. ouvrier 2015-63, note J.-F. Akandji-Kombé. ↩
- Soc. 6 juill. 2010, n° 09-40427, Bull. civ. V, n° 159 ; Soc. 24 avril 2001, n° 97-44.104, Bull. civ. V n° 127; Soc. 20 nov. 1991, n° 88-44.796, Bull. civ. V n° 513. V. déjà pour une interprétation extensive de dispositions conventionnelles : Soc. 2 juin 2004, n° 03-40.071, Bull. civ. V n° 159 (M. Blatman, P.-Y. Verkindt, S. Bourgeot, L’état de santé du salarié, Liaisons, 2014, spéc. p. 653). ↩
- Soc. 25 févr. 2009, no 07-41.724, Bull. civ. V n° 51, RDT 2009-303, obs. Debord. ↩
- Soc. 11 janv. 2012, n° 10-23.139, Bull. civ. V n° 10. Soc. 10 janv. 2001, n° 98-45747, NP. ↩
- Soc. 8 juin 2011, n° 10-15198, NP. En droit européen (UE), v. not. CJUE 13 févr. 2014, C-512/11 et C-513/11 ; CJCE 30 avril 1998, C- 136/95. ↩
- Soc. 18 févr. 2014, n° 13-10294, Bull. civ. V n° 55. En droit européen (UE), v. not. CJCE 8 sept. 2011, C-297/10 et C-298/10. ↩
- C. trav., art. L. 2261-25. ↩
- C. trav., L. 2261-1. J.-F. Akandji-Kombé, « En amont du débat sur les recours collectifs en matière professionnelle : éliminer les causes conventionnelles de discrimination », Dr. soc. 2014-68. ↩
- En cas de licenciement licite, sur le plan légal, le salarié licencié à la suite d’une inaptitude non professionnelle bénéficie seulement de l’indemnité de droit commun, alors qu’en cas d’inaptitude d’origine professionnelle l’indemnisation spéciale de licenciement lui est due (C. trav., art. L. 1226-14). ↩
- Soc. 13 mars 2013, n° 11-22.082, Bull. civ. V n° 71; 2e Civ., 8 nov. 2012, n° 11-23.855, NP, L. Lerouge, RTDSs 1/2013 ; Soc. 17 févr. 2010, n° 08-44.298, NP. ↩
- V. not. C. Buchet, A. Col, D. de Labrusse, H. Rigaut, A.M. Masse, M. Faivre-Dupaigre, Devenir des salariés licenciés suite à une inaptitude au poste de 2002 à 2004 en Vaucluse, 6 juin 2008, Archives des maladies professionnelles et de l’environnement, 2010, vol. 71, n°2, p.108-116. http://sante.travail.free.fr/smt6/communic/2008-2009/2008-12-09/inaptes-en-vaucluse.pdf ↩