Contrôle abstrait / contrôle concret : l’impossible systématisation de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne relative au contrôle des actes des États membres
Laurent Coutron est Référendaire à la Cour de justice de l’Union européenne 1 et Professeur à l’Université de Montpellier
De prime abord, l’utilité même d’une étude de la nature du contrôle juridictionnel auquel se livre la Cour de justice de l’Union européenne lorsqu’elle est amenée à apprécier, peu ou prou, la conformité des mesures prises par un État membre au regard du droit de l’Union peut se poser. Si les interrogations relatives à la nature du contrôle juridictionnel pratiqué par tel ou tel juge ne semblent pas avoir gagné les rangs des communautaristes, ce n’est pas nécessairement un mal, tant la doctrine a l’habitude de céder à des phénomènes de mode, en hissant sporadiquement une notion au rang de « nouvel opium juridique » 2 au point de s’y focaliser pendant une certaine période, avant de la laisser retomber progressivement, sinon dans l’oubli, du moins dans un relatif anonymat.
Ce sont cependant principalement d’autres raisons qui peuvent expliquer les hésitations, voire les réticences à appréhender du point de vue du droit de l’Union cette dialectique du contrôle abstrait et du contrôle concret. En particulier, cette terminologie ne cadre pas nécessairement bien avec les compétences variées dont dispose la Cour de justice. Sur ce point et afin de pouvoir procéder à une comparaison intéressante avec les autres ordres juridiques étudiés dans le cadre de ce dossier, il a paru opportun de se restreindre à l’examen des deux voies de droit par lesquelles la conventionnalité des actes des États membres de l’Union est contrôlée par la Cour de justice, à savoir le recours en constatation de manquement et le renvoi préjudiciel en interprétation. Ne sera donc pas étudiée dans cette contribution l’attitude adoptée par la Cour dans le cadre des recours en annulation, en responsabilité, du renvoi préjudiciel en appréciation de validité ou encore du pourvoi par exemple. En outre et surtout, la terminologie « contrôle abstrait – contrôle concret » n’est pas familière au juriste spécialisé en droit de l’Union. À notre connaissance, les compétences de la Cour n’ont jamais été présentées autour de cette dichotomie. Au-delà, que désigne chacune de ces deux expressions ? La notion de « contrôle abstrait » semble, spontanément, coïncider assez largement avec la mission qui est confiée à la Cour dans le renvoi préjudiciel en interprétation. Elle y est en effet uniquement chargée d’interpréter le droit de l’Union, sans pouvoir, théoriquement, apprécier ni la validité du droit national, ni appliquer le droit de l’Union aux circonstances de l’affaire au principal. Le rôle de la Cour dans le renvoi en interprétation consiste ainsi à se charger seulement de la majeure du syllogisme judiciaire, les autres étapes incombant au juge national. Pour le reste, l’approche constitutionnelle classique du contrôle concret, qui renvoie au contrôle décentralisé de la constitutionnalité des lois, est ici hors de propos de sorte que le contrôle concret doit correspondre à l’hypothèse dans laquelle la Cour ne s’en tient pas à la seule interprétation abstraite du droit de l’Union mais s’aventure dans son application aux faits de l’espèce. Le renvoi en interprétation paraît ainsi taillé pour se couler dans le moule du contrôle abstrait, d’autant plus que les juridictions nationales ont pour mission de « participe[r] de façon étroite à la bonne application et à l’interprétation uniforme du droit de l’Union ainsi qu’à la protection des droits conférés par cet ordre juridique aux particuliers » 3. Selon une formulation encore plus solennelle, « la clef de voûte du système juridictionnel ainsi conçu est constituée par la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE qui, en instaurant un dialogue de juge à juge précisément entre la Cour et les juridictions des États membres, a pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union 4, permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités » 5. On peut considérer que ce n’est qu’en déconnectant les questions préjudicielles du contexte de l’affaire au principal que le juge national peut véritablement contribuer à l’édification de l’ordre juridique de l’Union et œuvrer à l’uniformisation du droit de l’Union par le prisme du litige au principal dont il est saisi. L’abstraction semble ainsi être consubstantielle à la procédure préjudicielle et constituer la condition de son succès.
Le lien entre le recours en manquement et le contrôle abstrait peut paraît, de prime abord, moins ontologique. À partir du moment où cette procédure se noue à partir d’un contexte factuel et juridique donné, la place allouée au contrôle concret semble d’emblée plus importante. Pourtant, dans ce recours également, le constat de l’existence d’un manquement ou de son absence est intimement lié à l’interprétation de la norme supposément méconnu par l’État incriminé. Aussi comprend-on que la Cour ait valorisé le caractère objectif du recours en manquement, c’est-à-dire sa très large déconnexion des caractéristiques du manquement.
Il ressort d’un examen partiel et subjectif de la jurisprudence de la Cour de justice relative au renvoi préjudiciel en interprétation et au recours en manquement que le contrôle abstrait constitue une caractéristique commune à ces deux voies de droit. Cela étant, on peut déceler une tendance non négligeable de la Cour à s’engager sur la voie du contrôle concret, ce qui conduit à s’interroger sur les relations de concurrence ou de complémentarité qu’entretiennent ces deux formes de contrôle. Il paraît, dès lors, possible de présenter le contrôle abstrait comme la clé d’entrée dans le recours en manquement et le renvoi préjudiciel en interprétation (I) avant de se demander si le contrôle concret représente une alternative ou une étape supplémentaire au contrôle abstrait (II).
I. Le contrôle abstrait, clé d’entrée dans le recours en manquement et le renvoi préjudiciel en interprétation
Dans le cadre de cette contribution, le contrôle abstrait sera assimilé à un contrôle objectif, lequel se focalise sur l’aspect du contrôle qui confine à l’interprétation de la norme de référence et, partant, du droit de l’Union, dans le cadre du contrôle de conventionnalité. Bien que ni le traité sur l’Union européenne ni le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne prévoient l’objectivité du recours en manquement et du renvoi en interprétation, la Cour s’est empressée de reconnaître ce caractère à ces deux voies de droit. Tandis que cette caractéristique paraît inhérente au renvoi en interprétation (B), son association au recours en manquement relève peut-être davantage du construit que de l’inné (A).
A. L’objectivisation revendiquée du recours en manquement
Véritable trait saillant du recours en manquement (1), l’objectivité permet d’appréhender le spectre des manquements le plus vaste possible (2).
1. L’objectivité, trait saillant du recours en manquement
Même si les arrêts de la Cour de justice mettant en exergue son caractère objectif sont assez rares 6, celui-ci n’en constitue pas moins le trait saillant du recours en manquement.
En premier lieu, l’objectivité du recours en manquement transparaît d’un simple constat statistique. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Rome en 1958, seuls cinq recours en manquement semblent avoir été introduits par un État membre, le recours en manquement interétatique n’ayant manifestement pas la cote ! 7. Ce n’est donc qu’à la marge que le recours en manquement tend à départager des égoïsmes nationaux. De fait, cette procédure, qui est, en pratique, l’apanage de la Commission, contribue grandement à lui permettre d’assurer son rôle de gardienne des traités 8.
En deuxième lieu, l’objectivité du recours en manquement présente assurément une dimension utilitariste puisqu’elle contribue grandement à garantir l’efficacité du droit de l’Union européenne. Ainsi explique-t-elle l’indifférence de la Cour quant à la nature de la norme méconnue. La Cour se borne en effet à répondre à la question de savoir si l’État poursuivi a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu des traités et elle ne peut y répondre que par « oui » ou par « non » 9. Étant contrainte de choisir entre l’une des deux branches de cette alternative, la Cour se voit privée de la possibilité d’opter pour une réponse nuancée, à son grand dam parfois. Ainsi l’avocat général Mischo se déclarait-il « enclin à proposer à la Cour de retenir de larges circonstances atténuantes [en faveur du Portugal], voire même de proposer une dispense de peine. Mais le recours en manquement est un recours objectif et cette voie ne m’est pas ouverte » 10. La simplicité, voire la brutalité, du recours en manquement présente toutefois un avantage dans la mesure où un constat de manquement est dépourvu de toute connotation morale, l’exclusion de tout jugement de valeur étant censée contribuer à faciliter l’acceptation du constat de manquement par l’État condamné.
Enfin, l’objectivité du recours en manquement exclut, par nature, la quasi-totalité des circonstances exonératoires avancées par les États pour tenter d’échapper à un constat de manquement ou, à tout le moins, d’en atténuer la rigueur. Sont notamment irrecevables les arguments tirés de la prescription du manquement, de l’exception d’inexécution 11, de l’illégalité de la norme prétendument méconnue 12, sauf s’il s’agit d’un règlement 13 ou encore de la prétendue impossibilité d’exécuter l’arrêt constatant le manquement. Cette dernière hypothèse peut être illustrée par l’important arrêt Commission / Hongrie du 8 avril 2014. En l’occurrence, la Hongrie concluait à l’irrecevabilité du recours en manquement au motif que, eu égard aux circonstances de l’espèce, pour se conformer à l’arrêt constatant le manquement et ainsi mettre fin au manquement, il serait nécessaire de violer le droit de l’Union. Rien moins ! En effet, si la Cour devait « constat[er] qu’il a été mis fin à la fonction de commissaire [à la protection des données] en violation de la directive 95/46, il ne serait possible de remédier à une telle illégalité qu’en révoquant le président de l’Autorité [nationale chargée de la protection des données et de la liberté de l’information] et en le remplaçant par l’ancien commissaire, ce qui reviendrait à répéter le manquement allégué. […] De plus, mettre fin de manière anticipée au mandat du président de l’Autorité violerait le principe d’indépendance de l’Autorité, prévu par la Loi fondamentale ». Une telle argumentation ne manque pas de piquant, surtout si on précise que c’est en raison de la pusillanimité des États membres et de leur refus d’enclencher la procédure prévue par l’article 7 TUE à l’encontre de la Hongrie que la Commission en a été réduite à contester, par la voie du recours en manquement, les lois les plus attentatoires aux valeurs démocratiques que l’Union entend incarner. Dès lors, recevoir des leçons de démocratie de la part d’un État qui confine à ce qu’un néologisme conduit à qualifier de « démocrature » en dit long sur le sans-gêne de certains dirigeants actuels de l’Union 14.
L’objectivité du recours en manquement se révèle ici d’un précieux secours pour la Cour qui n’a pas à entrer dans le détail d’une argumentation scabreuse et peut se contenter d’affirmer, de façon péremptoire, que cette prétendue « impossib[ilité] de remédier au manquement allégué sans violer la directive 95/46 ou le principe de sécurité juridique, à la supposer établie, relève […], en tout état de cause, de l’exécution de l’arrêt constatant le manquement et est, partant, sans influence sur la recevabilité du présent recours ». En outre, « il est de jurisprudence constante qu’un État membre ne saurait exciper de dispositions de son ordre juridique national, même constitutionnel, pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit de l’Union » 15.
En pratique, le caractère objectif du recours en manquement apparaît avec le plus d’évidence lorsque la Cour est précisément invitée par la Commission à se livrer à un contrôle abstrait de compatibilité d’une norme nationale avec une norme de l’Union, en ce sens que ce contrôle est déconnecté de toute application de la norme nationale litigieuse. L’exemple le plus topique est probablement fourni par les recours par lesquels la Commission conteste devant la Cour la qualité de la transposition d’une directive effectuée par un État membre. Tel est le cas, par exemple, lorsque, par sa requête, la Commission « demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas transposé correctement dans son ordre juridique interne les directives [marchés publics] 93/36/CEE […] et 93/37/CEE […], et, en particulier, en excluant du champ d’application de la […] loi relative aux marchés passés par les administrations publiques[, d’une part], les entités de droit privé qui remplissent les conditions énoncées à l’article 1er […] de chacune desdites directives[, ainsi que, d’autre part,] les accords de collaboration conclus entre les administrations publiques et les autres entités publiques et, partant, également les accords qui constituent des marchés publics au sens de ces mêmes directives […] le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions du traité CE et de ces directives » 16. En pareils cas, la Cour procède quasiment à une comparaison terme à terme de la directive et de son acte de transposition et peut relever, à l’occasion, qu’une norme nationale est « en tant que telle » 17 contraire au droit de l’Union.
L’objectivité de son contrôle transparaît également dans le mode d’appréhension du droit national. Seule voie de droit ayant précisément pour objet une mesure nationale, la Cour est régulièrement invitée à prendre position sur la signification de la norme nationale qui est suspectée de constituer une violation du droit de l’Union 18. Elle s’efforce alors de retenir l’interprétation qui lui paraît prêter le moins le flanc à la critique, ce qui la conduit, fort logiquement, « dans le cadre d’une procédure en manquement, [à] fonder son analyse d’abord et avant tout sur une lecture littérale du texte de la législation nationale ». C’est ainsi qu’elle « ne peut qu’exceptionnellement aller au-delà du sens littéral des dispositions nationales. L’un de ces cas est notamment celui où il résulte de la jurisprudence des juridictions nationales que la législation nationale doit être interprétée d’une certaine manière » 19.
Il se peut néanmoins que « [l]es parties so[ie]nt […] en désaccord sur la portée de la législation nationale ». Tel fut notamment le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission / Italie du 10 juillet 2006. En l’occurrence, le gouvernement italien se prévalait au soutien de son interprétation du droit italien de « l’interprétation donnée par la Corte suprema di cassazione », « d’une jurisprudence établie », bref, de « plusieurs arrêts » de cette juridiction. En comparaison, la Commission se contentait d’affirmer « qu’il n’existerait pas de jurisprudence suffisamment claire et constante » sur la question litigieuse. Contrainte de trancher cette querelle, la Cour a affirmé que « [l]a décision sur cette question dépend de l’application dans la pratique des dispositions nationales en question, notamment par les juridictions compétentes. A cet égard, le gouvernement italien a présenté plusieurs décisions jurisprudentielles. En revanche, la Commission n’a fourni aucun élément susceptible de justifier ses doutes et, en particulier, n’a pas produit de jurisprudence allant dans le sens qu’elle indique et n’a mentionné aucun cas concret dans lequel les droits des travailleurs concernés n’auraient pas été sauvegardés dans toute leur étendue au niveau prescrit par la directive » 20.
Il arrive, en effet, que le contrôle de la réglementation nationale se double d’un contrôle de la jurisprudence de la ou des juridiction(s) suprême(s) 21, sachant que « l’exigence d’une interprétation conforme inclut l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive » 22. L’exemple le plus connu à cet égard est assurément l’arrêt Commission / Italie du 9 décembre 2003 dans lequel la Cour a puissamment suggéré un manquement judiciaire, sans toutefois aller au bout de son raisonnement. Dans cet arrêt, la Cour avait mis en exergue que la disposition législative qui avait motivé l’introduction du recours en manquement était « en elle-même neutre au regard du droit communautaire » de sorte que « [s]a portée d[eva]it être déterminée compte tenu de l’interprétation qu’en donn[ai]ent les juridictions nationales » 23. Dans ce contexte, nul n’a été dupe lorsque la Cour a conclu son raisonnement en « constat[ant] que, en ne modifiant pas l’article [législatif litigieux], qui est interprété et appliqué par l’administration et une part significative des juridictions, y compris la Corte suprema di cassazione, d’une manière telle que l’exercice du droit au remboursement de taxes perçues en violation de règles communautaires est rendu excessivement difficile pour le contribuable, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE » 24. La Cour de cassation italienne avait d’ailleurs parfaitement saisi le message puisque, à peine quelques mois plus tard, elle procédait à un revirement de jurisprudence 25.
2. Une objectivité permettant d’appréhender le spectre des manquements le plus vaste possible
Le recours en manquement a, dès l’origine, été conçu par la Cour de justice, dans une formule singulièrement énergique, comme « l’ultima ratio permettant de faire prévaloir les intérêts communautaires consacrés par les traités contre l’inertie et contre la résistance des États membres » 26. Aussi devrait-il n’être introduit que lorsque l’État membre concerné campe sur ses positions et conteste le bien-fondé des prétentions de la Commission 27. On peut cependant interpréter ce dictum de la Cour comme suggérant que cette voie de recours a vocation à porter sur des violations du droit de l’Union européenne lourdes de conséquences. Ainsi dramatisée, la raison d’être de ce recours serait alors de s’attacher à remédier aux violations les plus patentes et les plus attentatoires à l’« exigence fondamentale » 28 d’uniformité du droit de l’Union. Si cette vision du manquement pouvait sembler quelque peu exagérée lorsqu’il s’agissait de lutter contre les réticences des États membres face à l’avènement du marché commun, elle semble malheureusement revêtir aujourd’hui une dimension quasi prophétique, eu égard aux atteintes portées aux valeurs de l’État de droit dans certains États membres. À plusieurs reprises en effet, devant l’inaction du Conseil européen, la Commission a dû se résoudre à utiliser la procédure en manquement comme un palliatif de l’absence d’activation du mécanisme prévu par l’article 7 TUE. Tel fut le cas en 2012 lorsque de l’adoption des premières reformes portées par le gouvernement Orban en Hongrie 29.
Tel est encore le cas aujourd’hui afin de tenter d’enrayer les réformes délétères adoptées en Pologne par le parti Paix et Justice, tout particulièrement celles qui menacent l’intégrité du système juridictionnel polonais 30. La seule satisfaction liée à ces affaires, dont, à vrai dire, on se serait bien passé, réside dans la démonstration que le recours en manquement, tout comme le renvoi préjudiciel en interprétation d’ailleurs 31, peut constituer une « arme contentieuse » 32 aux effets non négligeables.
Bien qu’aisément compréhensible, cette acception du recours en manquement, qui incite à se focaliser sur les transgressions les plus graves du droit de l’Union ne rend pas pleinement compte du caractère objectif de ce recours. L’objectivité du recours en manquement va en effet de pair avec sa ductilité. Ainsi le spectre des manquements susceptibles d’être appréhendés par le droit de l’Union se révèle-t-il particulièrement large, englobant aussi bien les violations vénielles que les plus patentes du droit de l’Union. L’objectivité de ce recours peut dispenser la Cour de s’intéresser aux conséquences concrètes du manquement poursuivi par la Commission. Ainsi l’avocat général Mischo « écart[ait-il], dès l’abord, toute discussion sur l’effet concret, pour les assujettis, des décrets-lois [litigieux], car […] l’existence du manquement est totalement indépendante de cet effet ». Aussi n’était-il pas nécessaire, à ses yeux, de s’ « attarde[r] sur les considérations présentées par la Commission quant à la gravité particulière du manquement » 33. Plus largement, le caractère objectif du recours en manquement conduit à rejeter l’exception « de minimis ». C’est ainsi que « le fait que [la] disposition [litigieuse] n’a reçu que de très rares applications dans la pratique […] ne suffi[t pas] pour faire disparaître cette infraction » 34. Effectivement, même confrontée à un manquement de « portée réduite et [aux] conséquences pratiques négligeables », la Cour juge constamment que « le recours en manquement a un caractère objectif et [que], en conséquence, le manquement aux obligations qui incombent aux États membres en vertu du traité ou du droit dérivé est considéré comme existant, quelles que soient l’ampleur ou la fréquence des situations incriminées » 35. Dans de telles circonstances, l’introduction d’un recours en manquement peut, malgré tout, conserver un intérêt afin de permettre, par exemple, à la Commission de faire avaliser par la Cour une interprétation contestée par un ou plusieurs États membres.
La Cour a même pu donner l’impression de s’aventurer sur la voie de la sanction des violations purement virtuelles du droit de l’Union. Le caractère purement abstrait du contrôle auquel elle se livre est alors porté à son acmé. Dans les années 70’, la France a ainsi été poursuivie pour avoir maintenu, dans son Code du travail maritime, l’obligation d’employer un certain quota de marins français 36. Or, sans nier que « des directives données verbalement aux administrateurs des services maritimes imposeraient “de traiter les ressortissants de la Communauté comme les Français” », la Cour a néanmoins souligné que l’ « insécurité [juridique] ne peut qu’être renforcée par le caractère interne et verbal des instructions purement administratives qui écarteraient l’application de la loi nationale ». En conséquence, elle a enjoint aux autorités françaises de lever toute ambiguïté quant aux possibilités pour les marins des autres États membres de solliciter le droit communautaire afin d’être recrutés à bord de navires français. La même conclusion s’impose en présence d’une pratique consistant à « écart[er la disposition nationale litigieuse] chaque fois qu’elle s’avérerait incompatible » avec le droit de l’Union 37.
De même, « l’existence d’un accord entre les autorités centrales et régionales pour ne plus appliquer [une] disposition [contraire au droit de l’Union] ne suffi[t pas] pour faire disparaître cette infraction » 38. On pourrait encore rattacher à ce courant jurisprudentiel, l’important arrêt Ullens de Schooten. Procédant à une sorte de comparaison entre le recours en manquement et le renvoi préjudiciel en interprétation, la Cour y affirme que si, dans le renvoi préjudiciel, l’établissement de sa compétence « présuppose qu’il soit établi que [le droit de l’Union est applicable [au] litige », cette exigence est amoindrie ou abaissée d’un cran dans le recours en manquement. Il y suffit en effet que « la Cour vérifie si la mesure nationale contestée par la Commission est, d’une manière générale, susceptible de dissuader les opérateurs d’autres États membres de faire usage de la liberté [de circulation] en cause » 39.
Il ne faudrait toutefois pas surestimer la portée de ce courant jurisprudentiel, lequel coexiste avec d’autres décisions dans lesquelles la Cour se montre beaucoup plus exigeante vis-à-vis de la Commission et paraît hisser bien davantage le niveau de preuve requis de cette institution afin de pouvoir dresser le constat du manquement 40. Peut-être d’ailleurs faut-il considérer qu’il n’est possible, pour reprendre les formules de l’avocat général Mischo, d’ « écart[er], dès l’abord, toute discussion sur l’effet concret, pour les assujettis, des décrets-lois [litigieux] » ou de ne pas s’ « attarde[r] sur les considérations présentées par la Commission quant à la gravité particulière du manquement » 41, que dans l’hypothèse où la Commission a apporté la preuve de l’existence de ce manquement ?
B. L’objectivisation inhérente au renvoi préjudiciel en interprétation
Le caractère objectif du renvoi préjudiciel en interprétation est intimement lié à la nature de cette voie de droit, ainsi qu’à son objet même.
En premier lieu, le fait que le renvoi préjudiciel repose sur un « dialogue de juge à juge » 42 et que le juge national constitue « l’interlocuteur privilégié de la Cour » 43 induit une certaine distanciation par rapport à l’objet du litige au principal, même si celle-ci ne doit pas être exagérée, notamment parce que la Cour requiert de la juridiction de renvoi qu’elle lui présente le cadre factuel et réglementaire du litige au principal, sous peine de voir sa demande de décision préjudicielle déclarée irrecevable 44.
En deuxième lieu, dès l’arrêt Van Gend en Loos, la Cour a affirmé que « la vigilance des particuliers intéressés à la sauvegarde de leurs droits entraîne un contrôle efficace qui s’ajoute à celui que les articles [258] et [259 TFUE] confient à la diligence de la Commission et des États membres » 45. La très large consécration de l’effet direct du droit de l’Union permise par cet arrêt a d’ailleurs eu pour effet d’inverser les rôles, l’application effective du droit de l’Union étant depuis lors, clairement et prioritairement, assurée à l’initiative des justiciables tandis que la Commission ne joue finalement qu’un rôle d’appoint à travers le recours en manquement. L’arrêt Van Gend en Loos a ainsi érigé le renvoi préjudiciel en interprétation en un recours en manquement bis 46. La parenté entre le renvoi préjudiciel en interprétation et le recours en manquement transparaît d’ailleurs régulièrement dans la jurisprudence. Ainsi arrive-t-il parfois à la Cour d’indiquer que la juridiction de renvoi « s’interroge sur la conformité » de la disposition nationale litigieuse avec le droit de l’Union, sans user de la précaution rituelle selon laquelle il convient de déterminer si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition telle que celle en cause au principal 47. Même si cette solution demeure rare, il peut également survenir que la juridiction de renvoi fonde sa demande de décision préjudicielle tant sur les arguments avancés devant elle par les parties litigantes que sur les « motifs invoqués par la Commission européenne dans la procédure en manquement dirigée contre [un État membre, en l’occurrence,] la République slovaque[,] à raison des irrégularités qui entacheraient la procédure d’appel d’offres en cause au principal » 48. Au-delà, la proximité de ces deux voies de droit a été récemment exprimée par M. l’avocat général Bobek dans ses conclusions dans l’affaire Cresco Investigation : « Dans le cadre de l’examen de la question de la compatibilité abstraite d’une disposition de droit national avec la charte des droits fondamentaux et une directive de l’Union, le point de savoir ce qui est exactement appliqué au cas d’espèce revêt […] une importance secondaire » 49. Cette démarche abstraite explique que la Cour ne cherche régulièrement pas entrer dans les détails de l’affaire au principal. En témoigne, par exemple, en droit de la consommation, l’affirmation selon laquelle, « [s]’agissant des critères qui permettent d’apprécier si un contrat peut effectivement subsister sans les clauses abusives, […] tant le libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 que les exigences relatives à la sécurité juridique des activités économiques militent en faveur d’une approche objective lors de l’interprétation de cette disposition » 50. La même démarche était déjà observable dans l’arrêt Defrenne dont il résultait que, « parmi les discriminations directes, susceptibles d’être constatées à l’aide des seuls critères fournis par l’article 119 [du traité CEE], il faut compter notamment celles qui ont leur source dans des dispositions de nature législative ou dans des conventions collectives du travail, de telles discriminations étant décelables sur base d’analyses purement juridiques » 51.
En troisième lieu, l’objectivité du renvoi préjudiciel en interprétation repose encore sur la distinction, théorique et fréquemment difficile à respecter, entre l’interprétation et l’application du droit de l’Union. Cette césure, formulée par la Cour dans le célèbre arrêt Costa / ENEL de 1964, justifie que la Cour « ne p[uisse], ni appliquer le traité à une espèce déterminée, ni statuer sur la validité d’une mesure de droit interne au regard de celui-ci, comme il lui serait possible de le faire dans le cadre de l’article [258 TFUE] » 52. Elle est cependant compétente pour « fournir à la juridiction nationale les éléments qui [lui] permettront […] de trancher le litige dont elle est saisie, notamment en ce qui concerne une éventuelle incompatibilité entre des dispositions nationales et communautaires » 53. Il faut donc s’y résoudre, dans la procédure préjudicielle, la Cour de justice est un juge du droit et non des faits. Dans ces conditions, la Cour étant seulement compétente pour interpréter le droit de l’Union européenne, elle ne saurait préjuger de son application au cas d’espèce et doit s’en tenir à une appréciation abstraite de la compatibilité au droit de l’Union d’une mesure nationale. Un nouvel exemple tiré du droit de la consommation en fournit une illustration. Ainsi la Cour relève-t-elle, dans son arrêt Banco Primus, que, « en se référant aux notions de « bonne foi » et de « déséquilibre significatif » au détriment du consommateur entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne définit que de manière abstraite les éléments qui donnent un caractère abusif à une clause contractuelle n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle » 54. Il arrive d’ailleurs que le constat d’incompatibilité de la norme nationale mise en cause découle précisément du fait qu’elle ne permette pas au juge national de procéder à une appréciation concrète des circonstances particulières de l’espèce. Cette censure de la norme nationale repose, plus ou moins explicitement, sur l’impossibilité de respecter le principe de proportionnalité au moment de procéder à son application individuelle 55.
Enfin, la Cour peut parfois exploiter à son profit cette césure entre l’interprétation et l’application afin de s’en tenir strictement à sa compétence interprétative. Tel fut notamment le cas dans l’affaire Anstar dans laquelle elle était invitée par la juridiction de renvoi à déterminer la norme technique applicable à toute une série de produits qui n’étaient nullement décrits dans la décision de renvoi. On comprend alors que la Cour ait préféré s’en tenir à l’énoncé de grands principes d’interprétation et ne pas entrer dans le détail d’un dossier particulièrement technique pour lequel elle était singulièrement mal outillée 56.
Bien que le recours en manquement et le renvoi préjudiciel en interprétation apparaissent fondamentalement comme des voies de droit reposant sur un contrôle abstrait, la Cour a su y ménager une certaine place pour le contrôle concret.
II. Le contrôle concret : alternative ou étape supplémentaire au contrôle abstrait ?
Bien qu’il paraisse assez évident que les contrôles abstrait et concret sont complémentaires et qu’ils doivent être menés successivement, certains arrêts de la Cour tendraient plutôt à suggérer leur caractère alternatif (A). Il conviendra toutefois de dépasser cette alternative (B) et de s’intéresser aux raisons qui amènent la Cour à juxtaposer ou à mêler ces deux formes de contrôle.
A. L’alternative apparente
Deux types d’arrêts militent en faveur du caractère alternatif des contrôles abstrait et concret. Les premiers correspondent à ce que l’on pourrait qualifier de manquement « concrétisés » (1), les seconds aux réponses « fermées » que la Cour délivre parfois en matière préjudicielle (2).
1. La poursuite de manquements « concrétisés »
L’expression « manquements concrétisés » désigne des recours en manquement dont l’objet peut sembler passablement limité et dont on peut, par conséquent, s’étonner qu’ils justifient la mobilisation d’importants moyens de la part de la Commission. Ce genre de recours peut s’expliquer par le fait que la Commission ait souhaité apporter sa caution à une revendication, le plus souvent, d’un opérateur économique, mais aussi parfois d’un « simple » justiciable, qui l’ont saisie d’une plainte, voire même d’un député européen qui lui a adressé une question écrite 57. On peut, malgré tout, être surpris de voir la Commission introduire un recours en manquement pour contester les conditions de passation d’un marché afférent à la fourniture et à la maintenance d’un poste de travail météorologique, d’autant plus lorsque l’arrêt ne comporte aucune allusion à l’existence d’une plainte 58. Certes, dans cette affaire Commission / Pays-Bas en particulier, l’avis de marché « ne comportait aucune mention relative aux personnes admises à assister à l’ouverture des offres, ainsi qu’aux date, heure et lieu de l’ouverture ». Bien qu’il s’agisse indéniablement d’une grave méconnaissance des règles élémentaires de passation des marchés publics, on peut s’interroger sur les raisons qui ont pu inciter la Commission à contester la passation de ce marché. Le fait qu’elle a peut-être, en l’occurrence, entendu tirer les conséquences de son échec à empêcher l’attribution du marché en question 59 ne constituant pas nécessairement un indice décisif.
On peut néanmoins postuler que la subjectivisation du recours en manquement résulte de la concrétisation d’une plainte. De nombreux arrêts en constatation de manquement portent d’ailleurs la trace de cette origine individuelle ou égoïste du recours. À titre d’exemples, c’est à la suite de plaintes que la Commission a sollicité le gouvernement belge pour qu’il intervienne auprès des autorités compétentes afin de suspendre les effets juridiques d’un contrat 60. De même, a-t-elle contesté l’attribution, en Italie, des services de transport sanitaire à diverses associations concernées en vertu d’accords contestés dans une plainte. La Cour a cependant relevé que « la simple indication, par [la Commission], de l’existence d’une plainte qui lui a été adressée en relation avec le marché en cause ne saurait suffire à démontrer que ledit marché présentait un intérêt transfrontalier certain et, par conséquent, à constater l’existence d’un manquement » 61. En opposant à la Commission la condition tenant à l’exigence d’un lien transfrontalier certain, condition à laquelle est subordonnée l’applicabilité des principes généraux du droit de l’Union aux marchés publics qui n’atteignent pas le seuil requis par les directives marchés publics, la Cour assujettit l’introduction d’un recours en manquement à la démonstration de l’existence d’une sorte d’intérêt « communautaire », comme c’est le cas dans le contentieux des pratiques anticoncurrentielles 62.
Cette exigence peut, malgré tout, surprendre, eu égard à la prétendue discrétionnalité dont est censée disposer la Commission au moment d’introduire un recours en manquement. En outre, ainsi que cela résulte de l’arrêt Ullens de Schooten (Voir supra, I, B), l’applicabilité du droit de l’Union est, d’ordinaire, appréciée avec mansuétude par la Cour dans le cadre du recours en manquement, la Cour pouvant se contenter d’une atteinte seulement potentielle au droit de l’Union. La solution de l’arrêt Commission / Italie peut toutefois se justifier au regard du principe selon lequel « la Commission doit apporter à la Cour tous les éléments nécessaires à la vérification, par celle-ci, de l’existence du manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque » 63. De surcroît, lorsque la Commission entend faire constater un manquement lié à la mise en œuvre d’une disposition nationale, surtout lorsque celle-ci semble, de prime abord, compatible avec le droit de l’Union 64, il lui incombe de produire des « éléments de preuve d’une nature particulière par rapport à ceux habituellement pris en compte dans le cadre d’un recours en manquement visant uniquement le contenu d’une disposition nationale [… L]e manquement ne peut [en effet] être établi que grâce à une démonstration suffisamment documentée et circonstanciée de la pratique reprochée à l’administration et/ou aux juridictions nationales et imputable à l’État membre concerné » 65.
Le gouvernement italien a tenté de profiter du fait que la charge pèse sur la Commission pour tenter d’échapper à une condamnation pécuniaire dans le cadre d’un recours en manquement sur manquement. Il a ainsi allégué, non sans une certaine audace, que l’arrêt de manquement « ne fait aucune référence à des insuffisances affectant la législation italienne et que la Commission n’a pas identifié les dispositions spécifiques de cette législation qu’elle juge inadéquates. À défaut de telles indications, la République italienne serait placée dans l’impossibilité de se défendre et le recours serait irrecevable ». Sans répondre directement à cet argument, la Cour objecte néanmoins que la directive 75/442/CEE laisse une certaine marge d’appréciation aux États membres, si bien qu’il n’est « pas possible, en principe, de déduire directement de la non-conformité d’une situation de fait avec les objectifs fixés à l’article 4, premier alinéa, de cette directive que l’État membre concerné a nécessairement manqué aux obligations imposées par celle-ci. Toutefois, la Cour a déjà constaté qu’une dégradation significative de l’environnement pendant une période prolongée sans intervention des autorités compétentes révèle, en principe, que l’État membre concerné a outrepassé la marge d’appréciation que lui confère cette disposition » 66. Dans une telle hypothèse, l’arrêt en manquement ne vient alors pas sanctionner l’incompatibilité de la norme nationale avec le droit de l’Union européenne mais seulement son application au cas d’espèce. Néanmoins, une multiplication des hypothèses de violations du droit de l’Union européenne laisserait présumer l’inadéquation de la réglementation nationale.
La Commission n’indiquant pas ses intentions lorsqu’elle introduit un recours en manquement concrétisé ou, du moins, l’arrêt ne comportant aucune indication à cet égard, il est difficile de percevoir ce qui peut amener cette institution à consacrer d’importants moyens à des violations du droit de l’Union qui peuvent sembler relativement modestes. Malgré tout, on peut supposer que la revendication subjective d’un ou de plusieurs plaignants est alors relayée par une démarche objective de la Commission parce que cette plainte est révélatrice d’une atteinte au droit de l’Union européenne qui peut être grave, systémique, ou soulever une question de principe. La saisine de la Cour viserait ainsi à clarifier un point de droit de l’Union dont l’application est sujette à controverse dans différents États membres ou encore, à travers un contentieux d’intensité limitée, à susciter une sorte d’arrêt pilote de la Cour afin de condamner une pratique bien plus largement répandue.
2. Les réponses « fermées »
Bien qu’elle soit censée interpréter le droit de l’Union de manière abstraite dans le renvoi préjudiciel afin d’assurer le rayonnement optimal de ses arrêts, la Cour laisse parfois transparaître des signes d’hésitation ou de prudence, que l’on peut d’ailleurs parfois trouver excessifs. Il est parfois reproché à la Cour d’avoir cédé au charme du distinguishing 67 et, partant, d’avoir renoncé à rendre des arrêts de principe, ce à quoi il a été objecté que l’ère (heureuse) des arrêts de principe avait été supplantée par celle des « blocs de jurisprudence » 68. Cette dernière construction doctrinale insiste davantage sur le caractère évolutif de la jurisprudence et semble s’accommoder du fait que la jurisprudence ne puisse plus être saisie qu’à travers de nombreux arrêts, qui interagissent parfois de façon fort malheureuse. Si la connaissance de la jurisprudence devient de plus en plus difficile, cela tient cependant surtout à la complexification du droit de l’Union, qui découle elle-même de la profusion de normes, de leur spécialisation croissante, de l’absence fréquente de prise en compte par le législateur de leur intrication… Ces éléments contribuent à expliquer que la Cour, confrontée à ce type de difficultés, n’entende fréquemment plus raisonner en termes péremptoires et qu’elle s’abstienne de donner l’impression que ses décisions sont gravées dans le marbre.
Ces raisons ne sauraient toutefois expliquer, à elles seules, cette tendance durable de la jurisprudence. La portée, somme toute limitée, de certains arrêts préjudiciels en interprétation vise également à ne pas stigmatiser exagérément un État à travers une procédure qui ne lui offre pas une protection de ses droits de la défense équivalente à celle prévue dans le recours en manquement. Le relatif inconfort dans lequel se retrouve l’État dont le droit est contesté à travers un renvoi préjudiciel contribue à expliquer la réticence de certains juges à faire le procès d’une législation ou d’une jurisprudence nationale à travers cette voie de droit. Il est vrai que, dans un renvoi préjudiciel, l’État membre dont le droit est mis en cause dispose seulement du droit de soumettre des observations écrites à la Cour. Cependant, ses agents rédigent leurs observations « à l’aveugle », en ce sens que, à ce stade de la procédure, ils n’ont pas connaissance des autres observations déposées devant la Cour, ce qui obère manifestement le caractère contradictoire de cette procédure. Ce n’est que si une audience est organisée, ce qui n’est pas systématique, que l’État ainsi mis en cause pourra indirectement répliquer aux arguments avancés à l’encontre de sa législation. Cette moindre prise en compte des droits de la défense de l’État dans la procédure préjudicielle par rapport au recours en manquement concerné conduit ainsi peut-être parfois la Cour à minimiser la portée du constat d’inconventionnalité.
La volonté d’en dire le moins possible, en rendant une décision d’espèce présente, en outre, l’avantage de coller au plus près aux circonstances du litige au principal. Ainsi en va-t-il lorsque la Cour, dans l’arrêt Asturcom, insiste sur « la passivité » de la requérante au principal pour justifier qu’il ne soit pas dérogé au principe de l’autorité de la chose jugée, quand bien même la décision juridictionnelle mise en cause a été rendue en violation du droit de l’Union 69. La volonté de ne pas trancher de façon définitive le conflit entre la primauté du droit de l’Union et le respect dû à l’autorité de chose jugée semble évidente 70. Une décision prudente peut encore offrir l’avantage de permettre à la Cour de disposer d’un temps de réflexion supplémentaire, temps qu’elle peut éventuellement mettre à profit pour voir quel accueil sera réservé à la solution qu’elle s’apprête à rendre 71. Enfin, une décision calibrée pour correspondre exactement aux circonstances du litige au principal évite d’avoir à examiner l’euro-compatibilité d’une loi nationale, surtout lorsque l’affaire porte sur une question sensible sur le plan sociétal. Ainsi pourrait s’expliquer la rédaction du point 43 de l’arrêt Römer qui s’apparente fort à une sorte d’avertissement destiné à informer le lecteur que la Cour n’entend pas se saisir de cette affaire pour comparer, une bonne fois pour toutes, le traitement des couples homosexuels par rapport aux couples mariés et donc hétérosexuels à cette époque en Allemagne. Il ressort en effet de cet arrêt que « la comparaison des situations doit être fondée sur une analyse focalisée sur les droits et obligations des époux mariés et des partenaires de vie enregistrés, tels qu’ils résultent des dispositions internes applicables, qui sont pertinents compte tenu de l’objet et des conditions d’octroi de la prestation en cause au principal, et non pas consister à vérifier si le droit national a opéré une assimilation juridique générale et complète du partenariat de vie enregistré au mariage » 72.
On peut néanmoins se demander s’il n’y a pas un certain confort pour la Cour à s’engouffrer dans ces voies privilégiant la casuistique, sachant que la technique en vogue du distinguishing lui permet, en quelque sorte, de se dédire à peu de frais, moyennant la mise en évidence d’une différence contextuelle qui aurait cependant tout aussi bien pu être négligée…
Enfin, il semble logique d’établir une corrélation entre le caractère concret du contrôle opéré par la Cour et la dimension horizontale du litige. Ce lien ne saurait toutefois s’observer systématiquement. En effet, si la contestation du comportement d’un employeur par exemple ne paraît pas se prêter à de grandes envolées interprétatives, il n’en va pas toujours ainsi. Lorsque le comportement de l’employeur se fonde sur une règle interne à l’entreprise, la probabilité de voir le contrôle concret (de l’attitude de l’employeur) succéder à un contrôle abstrait (du règlement intérieur de l’entreprise) s’accroît 73. Par ailleurs, les questions récurrentes de l’éventuel effet direct horizontal des directives ou celle de la responsabilité de l’État pour violation du droit de l’Union témoigne à l’évidence de l’importance que certains litiges horizontaux recèlent des problématiques d’essence constitutionnelle.
À ce stade de l’analyse, l’approche concrète semble faire figure d’une solution alternative au contrôle abstrait. L’observation de la jurisprudence révèle toutefois une situation plus complexe qui oblige à dépasser la thèse de la simple alternative.
B. Le dépassement de l’alternative
Il semble ressortir de l’examen de la jurisprudence que, le plus souvent, les contrôles abstrait et concret ne sont pas alternatifs mais qu’ils sont, au contraire, unis dans un rapport de complémentarité, lequel s’exprime tantôt dans leur conjonction (1), tantôt dans l’adjonction du contrôle concret au contrôle abstrait (2).
1. La conjonction
Il arrive régulièrement que les contrôles abstrait et concret fusionnent au point de ne plus faire qu’un. Ils se révèlent alors unis par une relation symbiotique. Telle est finalement l’essence même du renvoi préjudiciel en interprétation. En effet, cette voie de droit repose sur la prémisse que l’interprétation délivrée à l’occasion d’un litige au principal particulier sera utile à toutes les autorités et juridictions nationales 74, ce qu’illustre, peu ou prou, l’article 94 du règlement de procédure de la Cour puisque le respect de cette disposition place la Cour en situation d’éprouver ou de concrétiser son interprétation abstraite.
L’hypothèse de la conjonction des contrôles peut également se rencontrer dans le recours en manquement. L’arrêt Commission / Allemagne du 29 avril 2010 75, qui met en exergue l’ambiguïté inhérente aux manquements faisant suite à des plaintes, surtout lorsque celles-ci sont nombreuses, en fournit une illustration. En l’espèce, s’appuyant sur différentes plaintes émanant, notamment, d’entreprises établies dans d’autres États membres (point 18), la Commission contestait les modalités de passation de marchés relatifs à la fourniture de services de transport médical d’urgence ou de transport sanitaire qualifié dans cet État membre. Le caractère convergent de ces plaintes a, semble-t-il, incité la Commission à extrapoler et à solliciter de la Cour la constatation d’une pratique généralisée à l’échelle de l’ensemble du territoire fédéral, quand bien même elle ne disposait d’indices d’une violation du droit de l’Union des marchés publics que pour quatre Länder. Ce faisant, la Commission tentait de susciter une sorte d’arrêt pilote de la Cour et, partant, de basculer, par une logique inductive, des cas concrets qui lui avaient été signalés au constat d’un manquement généralisé à l’échelle de l’ensemble du territoire allemand. Cette tentative ne s’est toutefois soldée que par une demi-victoire, en ce sens que la Cour n’a validé ce raisonnement inductif que pour les quatre Länder pour lesquels les infractions étaient documentées, les conclusions de la Commission relatives à d’autres Länder étant irrecevables (point 51). Il ressort en effet de l’arrêt que « les indications de la Commission, que n’a pas contestées la République fédérale d’Allemagne, attestant du nombre très limité de cas d’attribution d’un marché de services publics de transport sanitaire dans le respect du droit de l’Union, corroborent l’existence, dans les quatre Länder en cause, d’une pratique allant au-delà des cas particuliers mis en avant par la Commission dans le présent recours » (point 110). En l’occurrence, la Commission relevait que seulement treize avis de marché auraient été publiés au Journal officiel de l’Union européenne sur une période de six ans, par onze collectivités locales alors que l’Allemagne compte plus de quatre cents arrondissements et villes-arrondissements (points 25 et 55). Ces allégations constituaient des indices suffisamment sérieux de l’existence de cette pratique pour entraîner un renversement de la charge de la preuve. Il incombait donc au gouvernement allemand d’apporter la preuve contraire (point 94). Or, celui-ci s’en étant abstenu, le manquement devait être tenu pour établi en ce qui concerne les quatre Länder en cause. Cet arrêt démontre ainsi, au grand dam du gouvernement allemand, comment il est possible « de se prévaloir de cas individuels pour exciper de l’existence d’une pratique générale de passation de marchés de services publics de transport sanitaire contraire au droit de l’Union » (points 105-106). À cet égard, la Cour précise que « [l]a constatation d’un manquement allégué sur la base de la pratique administrative suivie dans un État membre implique cependant la production, par la Commission, d’une démonstration suffisamment documentée et circonstanciée de la pratique reprochée. Il doit en ressortir que cette pratique administrative présente un certain degré de constance et de généralité », sans que « la Commission ne p[uisse] se fonder sur une présomption quelconque » (point 107) 76.
2. L’adjonction
Lorsque le contrôle concret succède au contrôle abstrait, la Cour poursuit principalement deux finalités. Le plus souvent, la succession de ces deux contrôles témoigne de sa volonté de rendre la décision la plus utile possible (a) que ce soit pour la juridiction de renvoi ou l’auteur du manquement. Au-delà, l’utilisation de ce séquençage binaire semble réservée à des affaires sensibles et paraît susceptible d’impacter l’intensité de la condamnation du droit national (b).
a) La concrétisation de l’interprétation délivrée : la volonté d’assurer l’effet utile de son arrêt
Après s’être livrée à une interprétation abstraite du droit de l’Union ou avoir procédé à l’examen objectif de la compatibilité d’une norme nationale avec le droit de l’Union, il arrive parfois que la Cour, régulièrement à l’initiative du juge de renvoi lui-même, franchisse le Rubicon censé séparer l’interprétation du droit de l’Union de son application. La détermination par la Cour de la solution du cas d’espèce présente notamment l’avantage pour une juridiction nationale, surtout s’il s’agit d’une juridiction du fond, de ne pas avoir à assumer la responsabilité de l’éviction du droit national inconventionnel. En oblitérant la distinction interprétation/application, la Cour de justice s’efforce ainsi le plus souvent d’apporter son soutien au juge de renvoi. L’arrêt Köbler de 2003 en fournit une illustration emblématique. En l’espèce, une juridiction civile du premier degré souhaitait savoir si la responsabilité de l’État pouvait être engagée lorsque la violation du droit de l’Union était imputable à sa juridiction suprême. Dans l’affirmative, elle invitait la Cour à endosser la responsabilité d’une condamnation éventuelle de l’État autrichien. Consciente de l’embarras d’un juge du premier degré appelé à évaluer une décision de sa juridiction suprême, la Cour de justice a conclu, elle-même, à l’absence de violation manifeste du droit de l’Union « dans l’espèce au principal » 77.
Dans d’autres hypothèses, sans y être invitée par le juge de renvoi, la Cour, emportée par son élan et, à sa décharge, parce que la distinction entre l’interprétation et l’application du droit de l’Union n’est pas aussi étanche qu’il n’y paraît, tranche le litige au principal en quelque sorte. Cette volonté de répondre utilement s’exprime tout particulièrement dans les affaires où l’interprétation du droit de l’Union suppose que la Cour veille au respect du principe de proportionnalité. À tout le moins lorsqu’elle aborde le contrôle de proportionnalité stricto sensu, la Cour entre dans des appréciations concrètes ou pragmatiques. Ainsi, précise-t-elle, dans l’affaire Léger, que « ce principe n’est respecté que si un niveau élevé de protection de la santé des receveurs ne peut pas être assuré par des techniques efficaces de détection du VIH et moins contraignantes que l’interdiction permanente du don de sang pour l’ensemble du groupe constitué des hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes ». Elle enjoint ensuite au juge national « d’examiner si le questionnaire et l’entretien individuel avec [le médecin] peuvent permettre d’identifier plus précisément les comportements présentant un risque pour la santé des receveurs, afin d’établir une contre-indication moins contraignante qu’une contre-indication permanente pour l’ensemble du groupe constitué des hommes ayant eu des rapports sexuels avec un homme » 78.
Cette attitude a pu être critiquée en doctrine. Fabrice Picod considère, à ce propos, qu’ « [i]l existe ainsi un paradoxe dans la jurisprudence de la Cour consistant à affirmer que c’est au juge national d’apprécier la réalité d’un besoin ou la réalité d’un risque, au regard des circonstances et, en même temps, à procéder à des appréciations qui lui laissent une très faible marge de manœuvre, lesquelles sont d’autant plus critiquables que la Cour n’est généralement pas la mieux placée pour cela » 79. Il est d’ailleurs arrivé que la Cour se fasse rappeler à l’ordre, parfois vivement même, par la juridiction de renvoi. Tel fut le cas lorsque, dans l’affaire de l’échalote 80, le Conseil d’Etat français reprocha à la Cour d’avoir trop hâtivement considéré que le droit de l’Union « n’autorisait pas un Etat membre à interdire qu’un légume puisse être vendu sur son territoire sous le nom d’espèce échalote, au seul motif qu’il se reproduit par semis et non par plant ». Pour le Conseil d’Etat, une telle appréciation requérait en effet que l’instruction soit poursuivie afin de comparer principalement les propriétés organoleptiques des deux variétés en cause. Or, il résulte « du supplément d’instruction ordonné par le Conseil d’Etat en juin 2006, qui a conduit notamment les parties à produire des témoignages de chefs cuisiniers et les résultats de tests de dégustation, à l’aveugle ou non, […] qu’outre des différences de propriétés organoleptiques, […] c’est principalement au regard des propriétés gustatives que les gourmets distinguent les échalotes de plant, reconnues, surtout après cuisson, comme plus parfumées, plus puissantes et corsées, longues en bouche, par rapport aux produits des requérantes, à la saveur moins prononcée et typée, plus neutre et fade ; […] toutefois, il résulte également du dossier que ces deux produits partagent avec certaines variétés d’échalotes de plant traditionnelles de nombreuses propriétés, qui les distinguent ensemble des oignons » 81
On pourrait ainsi se demander si la cohabitation des contrôles abstrait et concret ne constitue pas l’apanage des affaires impliquant le principe de proportionnalité ou invitant la Cour à veiller au respect des droits fondamentaux. Dans ces deux hypothèses en effet, le constat de violation du principe de proportionnalité, d’une part, ou qu’une atteinte a été portée à la substance d’un droit, d’autre part, postule la succession de ces contrôles. Le basculement du contrôle abstrait vers le contrôle concret s’observe ainsi au troisième stade du contrôle de proportionnalité 82 lorsque le juge passe de l’abstrait au concret, d’un contrôle théorique à un contrôle casuistique.
Enfin, la volonté d’assurer l’effet utile de son arrêt se rencontre également dans le recours en manquement, tout particulièrement lorsque, à la faveur des motifs de son arrêt, la Cour identifie, peu ou prou, le comportement ou la réforme que l’État membre condamné à tout intérêt à adopter afin de se conformer à ses obligations issues du droit de l’Union.
b) L’incidence du contrôle concret sur l’intensité de la condamnation du droit national
Doubler le contrôle abstrait par un contrôle concret ne manque pas de rejaillir sur l’intensité de la condamnation du droit national et semble même, de prime abord, atténuer la portée de cette condamnation.
En premier lieu, confier à la juridiction de renvoi le soin de procéder à un contrôle concret se révèle plutôt habile, en ce que l’adjonction de cette étape supplémentaire du contrôle juridictionnel permet à l’État dont la réglementation est mise en cause de conserver l’espoir d’échapper aux fourches caudines du droit de l’Union européenne. Cet espoir est pourtant vain, chaque fois que la délégation du contrôle concret au juge national s’avère singulièrement artificielle. Il semble en aller ainsi lorsque la Cour constate que « l’article 141 CE s’oppose, en principe à une législation qui, en violation de la CEDH, empêche un couple tel que K. B. et R de remplir la condition de mariage nécessaire pour que l’un entre eux puisse bénéficier d’un élément de la rémunération de l’autre ». Ayant constaté que « [l]a source de cette impossibilité objective » résidait dans la loi britannique, on voit mal quel intérêt il peut y avoir à ajouter qu’ « [i]l incombe au juge national de vérifier si, dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, une personne dans la situation de K. B. peut se fonder sur l’article 141 CE afin de se voir reconnaître le droit de faire bénéficier son partenaire d’une pension de réversion » 83.
On peut ainsi émettre l’hypothèse que le fait de confier au juge de renvoi le soin d’opérer, lui-même, le contrôle concret présente une vertu diplomatique pour la Cour.
En deuxième lieu et bien que cette attitude demeure exceptionnelle, la Cour a déjà constaté, dans un recours en manquement, l’incompatibilité d’une mesure nationale avant d’absoudre l’État poursuivi en raison du « caractère équivoque de la situation […] créée » par « le silence du règlement » litigieux 84. Cette solution, inaugurée en 1970 dans un arrêt Commission / France, a été réitérée, pour ne pas dire exhumée, dans l’affaire dite des Notaires au motif que les États pouvaient légitimement penser que la directive relative à la reconnaissance des diplômes ne s’appliquait pas à cette profession. Pour ce faire, la Cour a mis en exergue, d’une part, les « circonstances particulières qui ont accompagné le processus législatif » et, d’autre part, qu’elle « n’avait pas encore eu l’occasion de se prononcer sur [cette] question ». Dès lors, « il n’apparaît pas possible de constater qu’il existait, au terme du délai imparti dans l’avis motivé, une obligation suffisamment claire pour les États membres de transposer la directive 89/48 en ce qui concerne la profession de notaire » 85.
L’incertitude quant à l’état du droit de l’Union peut également jouer ce rôle de circonstance atténuante pour l’État dont la réglementation est mise en cause dans le renvoi préjudiciel en interprétation. En revanche, l’exonération de responsabilité de l’État ne se traduira pas ici par un constat de compatibilité de l’acte national litigieux au droit de l’Union mais par une limitation des effets dans le temps de l’arrêt interprétatif de la Cour 86. Ainsi, dans l’affaire Defrenne / Sabena, la Cour avait relevé que « le défaut, par la Commission, d’avoir introduit, à l’encontre des États membres concernés, des recours en manquement au titre de l’article [258 TFUE], malgré les avertissements donnés, a été de nature à consolider une impression erronée quant aux effets de l’article 119 [CEE 87] » 88. On peut rapprocher de cet arrêt, l’arrêt X du 3 septembre 2014. Bien qu’elle ne paraisse pas adhérer à la thèse selon laquelle la loi finlandaise litigieuse constituerait une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union de nature à engager la responsabilité de cet État, la Cour semble suggérer une solution de compromis pour le cas où la juridiction de renvoi conclurait malgré tout en ce sens. À cette fin, elle paraît inciter le juge national à opter pour une voie médiane consistant à n’engager la responsabilité de cet État qu’à partir du moment où l’un de ses propres arrêts a dissipé le mystère entourant la portée de la disposition d’une directive dont la méconnaissance était alléguée dans le litige au principal. Or, cette disposition n’a « jusqu’à présent pas fait l’objet d’un arrêt de la Cour [et] ni la législation finlandaise en cause au principal ni aucune autre législation nationale n’ont à ce jour été visées par un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE pour une violation de [la disposition litigieuse] » 89.
Cependant, depuis le 1er mars 2011, date du prononcé du retentissant arrêt Association belge des Consommateurs Test-Achats 90, la tolérance dont pouvait faire preuve le législateur de l’Union vis-à-vis de législations telles que la loi finlandaise en cause dans l’affaire X n’est plus de mise. Il se dégage ainsi de la lecture de l’arrêt X que le comportement des autorités finlandaises n’atteint pas le seuil requis par la jurisprudence de la Cour pour constituer une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union. Cependant, si le juge de renvoi devait retenir une conclusion différente, il pourrait considérer que la violation du droit de l’Union est suffisamment caractérisée depuis le 1er mars 2011, soit postérieurement au prononcé de l’arrêt Association belge des Consommateurs Test-Achats e.a. 91.
Enfin, en troisième et dernier lieu, l’insertion dans le raisonnement de la Cour de développements relatifs au contrôle concret peut se révéler profondément ambivalente, en ce qu’elle s’apparente parfois à une sorte de réponse de normand ou de jugement de Salomon, c’est selon. Cette solution de compromis peut notamment être retenue lorsqu’il paraîtrait excessif de conclure à l’inconventionnalité de la mesure nationale contestée, sans toutefois que la Cour puisse totalement certifier que l’application de cette mesure sera toujours respectueuse des prescriptions du droit de l’Union. L’arrêt Amt Azienda Trasporti e Mobilità en fournit une illustration. En l’occurrence, la Cour était invitée à préciser l’étendue du droit de recours d’un opérateur économique qui s’est volontairement abstenu de participer à une procédure de passation d’un marché public au motif que les termes de l’appel d’offres le privaient de toute chance de remporter ledit marché. Si, par principe, le droit de contester une procédure de passation d’un marché public est réservé aux soumissionnaires, on ne saurait exclure, à titre exceptionnel, qu’un opérateur n’ayant pas soumis d’offre soit néanmoins lésé par une violation du droit des marchés publics et que, à ce titre, il faille admettre son intérêt à agir 92. Cette exception avait notamment été admise dans l’arrêt Grossmann Air Service, dans lequel la Cour avait relevé que les chances pour cette société de se voir attribuer le marché étaient « nulles » 93. Or, il s’avère que, en Italie, dans une situation équivalente, tant le Conseil d’État que la Cour constitutionnelle subordonnent l’octroi du bénéfice de cette exception à la démonstration par le « non-soumissionnaire » que ses griefs soient dirigés à l’encontre de « clauses de l’avis de marché […] qui rendent impossible la formulation même d’une offre ». La juridiction du fond qui a saisi la Cour estimait, pour sa part, que cette jurisprudence était disproportionnée et qu’il convenait d’abaisser l’exigence d’un cran, un droit de recours devant être attribué à l’opérateur qui s’est abstenu de participer à la procédure de passation du marché au motif que ses chances d’emporter le marché seraient presque réduites à néant. On mesure ainsi que la Cour était, en réalité, à faire œuvre de philologue puisqu’il était attendu d’elle qu’elle compare l’impossibilité d’obtenir un marché à la réduction quasiment à néant des chances de succès. Il semble pour le moins périlleux et, pour tout dire, vain de tenter de proposer une distinction claire et praticable entre les situations dans lesquelles les chances de succès sont respectivement impossibles et quasiment réduites à néant. On perçoit alors tout l’intérêt du dédoublement de l’approche abstraite par un contrôle concret. Si, en effet, le droit italien, tel qu’interprété par le Conseil d’État et la Cour constitutionnelle de cet État, semble conforme au droit des marchés publics de l’Union, il ne bénéficie toutefois que d’une présomption réfragable. En s’engageant sur la voie du contrôle concret, la Cour entrouvre ainsi la porte à une éventuelle condamnation ponctuelle du droit italien, par le jeu du principe de proportionnalité. L’adjonction du contrôle concret relativise ainsi quelque peu le brevet de conventionnalité décerné au droit italien puisque le juge italien se voit habilité à sanctionner toute application abusive 94. On peut estimer que si la Cour a opté pour cette solution de compromis c’est parce que tant le brevet de conventionnalité que le constat d’inconventionnalité s’avéraient aussi insatisfaisants l’un que l’autre.
S’il arrive fréquemment que la Cour se limite à constater que, à tout le moins dans la configuration qui lui est soumise (« dans des circonstances telles que celle du litige au principal »), la norme nationale litigieuse ne semble pas compatible avec le droit de l’Union, la démarche inverse se conçoit tout aussi aisément. Aussi serait-il erroné de prétendre que l’adjonction du contrôle concret au contrôle abstrait se solderait systématiquement par une atténuation de la condamnation de la mesure nationale en cause. Tout d’abord, le contrôle concret peut parfaitement jouer le rôle d’un argument a fortiori. Tel sera fréquemment le cas dans les recours en manquement concrétisés et dans les arrêts préjudiciels en interprétation dans lesquels la Cour s’efforce de trancher le litige au principal. La Cour constate alors que le droit national est per se contraire au droit de l’Union, ce qui se vérifie tout particulièrement dans l’affaire au principal. En outre et surtout, le dédoublement du contrôle juridictionnel peut même assez clairement déboucher sur une accentuation de la portée de la condamnation du droit national.
Certes, le contrôle concret est censé relativiser ou tempérer le poids du contrôle abstrait. La relation qu’entretiennent ces deux formes de contrôles semble cependant moins univoque qu’il n’y paraît au premier abord, à tel point qu’elle semble même empreinte de réversibilité. Ne peut-on en effet pas concevoir que le recours par la Cour au contrôle concret aboutit à mettre le focus sur la dimension potentiellement généralisable et, partant, abstraite de la condamnation ? Dans certaines hypothèses, le contrôle concret sonne comme un argument massue largement réutilisable. Ainsi lorsque, dans l’affaire Calfa, la Cour censure la législation grecque qui réprime la consommation de cannabis notamment par une expulsion et une interdiction de séjour dans cet État 95, il est clair que, par-delà le cas de Mme Calfa, c’est la législation grecque elle-même qui se trouve en porte-à-faux avec le droit de l’Union. La meilleure illustration de cette hypothèse est néanmoins fournie par les arrêts Aranyosi et Căldăraru du 5 avril 2016 96, d’une part, et Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaires), du 25 juillet 2018 97. Dans la première de ces affaires, la Cour a été interrogée par une juridiction allemande sur la possibilité de ne pas exécuter des mandats d’arrêt européens émis par des juridictions roumaine et hongroise en vue d’obtenir la remise, aux fins d’exécution de leur peine, de personnes condamnées, l’une en Roumanie, l’autre en Hongrie, lorsqu’il y a de sérieuses raisons de penser que les conditions de détention dans l’État membre d’émission du mandat d’arrêt européen violent les droits fondamentaux de l’intéressé et les principes généraux du droit consacrés à l’article 6 TUE. On perçoit évidemment l’intérêt qu’il y aura à répondre à une telle question préjudicielle par un arrêt de principe et donc en délivrant une réponse abstraite, déconnectée des circonstances de l’espèce. La sécurité juridique et, plus largement, les principes de l’État de droit, en sortiraient manifestement ragaillardis. Il n’était toutefois pas possible pour la Cour de se limiter à un tel degré d’abstraction, la lettre de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres faisant obstacle à une telle approche. « En effet, il ressort du considérant 10 de la décision-cadre 2002/584 que la mise en œuvre du mécanisme du mandat d’arrêt européen ne peut être suspendue qu’en cas de violation grave et persistante par un des États membres des principes énoncés à l’article 2 TUE, constatée par le Conseil européen en application de l’article 7, paragraphe 2, TUE, avec les conséquences prévues au paragraphe 3 du même article. » 98. Même si cette limitation figurait uniquement dans l’exposé des motifs de cette décision-cadre et non pas dans son dispositif, il s’avérait pour le moins difficile de contourner cette contrainte textuelle. La Cour s’y serait-elle risquée que les critiques récurrentes sur sa légitimité auraient fort probablement refait surface. L’attitude de la Cour doit donc être approuvée tant il est évident que seule une décision du Conseil européen constatant une violation grave et persistante des principes de l’État de droit par l’un des États membres disposerait d’une légitimité politique suffisante pour ostraciser les juridictions de cet État. En outre, loin de capituler, la Cour considère tout simplement que, faute de disposer d’une telle habilitation, il est nécessaire d’étayer les indices de violations systémiques des droits fondamentaux et de les corroborer par une approche concrète. « Il s’ensuit que, lorsque l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution dispose d’éléments attestant d’un risque réel de traitement inhumain ou dégradant des personnes détenues dans l’État membre d’émission, à l’aune du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union et, en particulier, de l’article 4 de la Charte […], elle est tenue d’apprécier l’existence de ce risque lorsqu’elle doit décider de la remise aux autorités de l’État membre d’émission de la personne concernée par un mandat d’arrêt européen. En effet, l’exécution d’un tel mandat ne saurait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de cette personne. À cette fin, l’autorité judiciaire d’exécution doit, tout d’abord, se fonder sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés sur les conditions de détention qui prévalent dans l’État membre d’émission et démontrant la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit encore certains centres de détention. Ces éléments peuvent résulter notamment de décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour EDH, de décisions judiciaires de l’État membre d’émission ainsi que de décisions, de rapports et d’autres documents établis par les organes du Conseil de l’Europe ou relevant du système des Nations unies. […] Toutefois, le constat de l’existence d’un risque réel de traitement inhumain ou dégradant en raison des conditions générales de détention dans l’État membre d’émission ne saurait conduire, comme tel, au refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen. En effet, une fois constatée l’existence d’un tel risque, encore faut-il, ensuite, que l’autorité judiciaire d’exécution apprécie, de manière concrète et précise, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée courra ce risque en raison des conditions de sa détention envisagées dans l’État membre d’émission » 99. Cette approche en deux temps, qui conduit à faire se succéder une appréciation abstraite à l’échelle de l’État mis en cause du respect des standards européens de protection des droits de l’homme, puis une appréciation concrète du traitement potentiel du justiciable visé par le mandat d’arrêt européen, doit également être suivie dans l’hypothèse où la Commission aurait recommandé au Conseil européen de recourir à la procédure visée à l’article 7 TUE. En effet, dans cette hypothèse, il est seulement suggéré au Conseil européen d’activer cette procédure, qui est parfois qualifiée de « nucléaire » tellement ses effets seraient dévastateurs, de sorte que l’obstacle représenté par la lettre du considérant 10 de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen joue à plein ici aussi 100.
Au vu de la motivation, aussi forte qu’abondante, des arrêts Aranyosi et Căldăraru, d’une part, et Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), d’autre part, on peut considérer que l’adjonction du contrôle concret renforce plus qu’il n’affaiblit le constat d’inconventionnalité. Premièrement, et pour l’exprimer de manière imagée, à l’instar d’un gyrophare, ces arrêts sont aisément repérables et représentent une critique patente du régime politique mis en cause qui n’échappera pas aux médias, même généralistes. Deuxièmement, il y a une part d’hybridité dans ces arrêts, en ce sens que la nécessité du contrôle concret étant énoncée abstraitement, on peut se demander si l’adjonction des contrôles ne doit pas plutôt être appréhendée comme une hypothèse de conjonction des contrôles abstrait et concret 101.
En guise de conclusion
L’impression qui prédomine à l’issue de cette étude est celle d’avoir ouvert une boîte de Pandore de sorte qu’il faudrait assurément être inconscient pour vouloir formuler des conclusions définitives tant les limites de cet article sont importantes. À la subjectivité des exemples retenus fait écho la subjectivité des interprétations retenues, sachant que certains arrêts se prêtent à une interprétation différente à chaque lecture ! Mais la subjectivité est également décelable dans le chef de la Cour de justice elle-même, ce qui transparaît clairement à la lecture de ses arrêts. De manière schématique, on peut dire que la moitié des arrêts préjudiciels de la Cour procèdent à un contrôle abstrait tandis que l’autre moitié bascule dans le contrôle concret, ce qui s’explique aisément par le fait que les thuriféraires d’une réponse utile de nature à « trancher » le litige au principal y sont aussi nombreux que les contempteurs de cette pratique. Cependant, quelles que soient les prédispositions mentales des juges, qu’ils soient rapporteurs ou assesseurs, et de leurs collaborateurs, on ne saurait négliger l’importance cruciale que revêt non seulement l’objet du recours au principal, selon qu’il présent un caractère objectif ou subjectif, mais aussi, voire surtout la demande de décision préjudicielle car, bien souvent, le « style de l’arrêt » ou de la réponse de la Cour dépendra des informations qu’elle contient, un déficit d’information empêchant presque irrémédiablement la Cour de se lancer dans un contrôle concret.
Si l’on admet que les arrêts préjudiciels sont largement tributaires de la rédaction de la décision de renvoi, de sorte que le contrôle qu’elle privilégie fluctue nécessairement, il semble possible de renforcer l’objectivité du recours en manquement. Celui-ci pourrait être bâti sur un contrôle d’autant plus abstrait qu’un contrôle concret pourrait être opéré dans le cadre d’un éventuel recours en manquement sur manquement introduit sur le fondement de l’article 260 TFUE, ce dernier permettant de tenir compte de l’intensité de la violation du droit de l’Union, de sa gravité, de sa durée…
Alors même que toutes ces questions restent posées, l’adjonction du contrôle concret au contrôle abstrait ou l’intrication de ces contrôles paraît motivée par le désir de la Cour d’introduire une dose d’équité 102 et un zeste de proportionnalité dans ses décisions et, in fine, de rendre des décisions équilibrées et prudentes. Peut-être s’agit-il là d’une des nombreuses traductions de l’impératif pour la Cour, en tant que juridiction internationale, de savoir « jusqu’où ne pas aller trop loin » ?
Cependant, bien que cet objectif paraisse, de prime abord, louable, on ne saurait occulter l’effet potentiellement déstabilisateur du contrôle concret. La touche d’équité qu’il comporte ne risque-t-elle pas, en effet, de saper l’autorité du résultat du contrôle abstrait et, au-delà, d’altérer l’uniformité du droit de l’Union en offrant une porte de sortie ou une faculté de dérogation au juge national ?
Notes:
- Les opinions exprimées dans cet article sont purement personnelles ↩
- P. Brunet, La sécurité juridique, nouvel opium des juges ?, in Frontières du droit, critique des droits. Billets d’humeur en l’honneur de Danièle Lochak, LGDJ, 2007, p. 247 ↩
- CJUE, Plén., 8 mars 2011, Avis 1/09 (Accord sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets), point 84 ↩
- voir, en ce sens, arrêt van Gend & Loos, EU:C:1963:1, p. 23 ↩
- CJUE, Plén., 18 décembre 2014, Avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), point 176 ↩
- Voir notamment : – CJCE, 10 décembre 1968, Commission / Italie, aff. 7/68, Rec. p. 617, spéc. p. 625 : « il appartient à la Commission, en vertu de l’article 169 du traité [devenu 258 TFUE], d’apprécier le choix du moment auquel elle introduit une action devant la Cour, les considérations qui déterminent ce choix ne pouvant affecter la recevabilité de l’action, laquelle obéit seulement à des règles objectives ». – CJCE, 21 juin 1988 (2 arrêts), Commission / Irlande, aff. 415/85, point 9 et Commission / Royaume-Uni, aff. 416/85, point 9 : « dans l’équilibre institutionnel établi par le traité, il n’appartient pas à la Cour d’examiner quels sont les objectifs poursuivis par un recours en manquement dont elle est saisie en vertu de l’article 169 du traité [devenu 258 TFUE]. Il lui appartient, en revanche, de constater si le manquement reproché existe ou non. [… U]n recours en manquement, dont la Commission apprécie seule l’opportunité d’une introduction devant la Cour, a un caractère objectif » ↩
- Voir, CJCE, 4 octobre 1979, France / Royaume-Uni, aff. 141/78 ; CJCE, 16 mai 2000, Belgique / Espagne, aff. C-388/95 ; CJCE, gde ch., 12 septembre 2006, Espagne / Royaume-Uni, aff. C-145/04 et CJUE, gde ch., 16 octobre 2012, Hongrie / Slovaquie, aff. C-364/10. Un autre recours de ce type est actuellement pendant devant la Cour dans une affaire Autriche / Allemagne, C-591/17 ↩
- Sur cette question, voir notre contribution « La Commission européenne, gardienne des traités dans le prétoire de l’Union européenne : une présomption réfragable », in J. Auvret-Finck (dir.), La Commission européenne en voie de redynamisation ?, Paris, Pedone, 2017, p. 121 ↩
- Un recours en manquement constitue « un recours objectif, où la question est de savoir si oui ou non un État membre pouvait, sans violer le droit communautaire, ne pas donner effet à une décision de la Commission et où, par conséquent, les reproches de déloyauté ne nous semblent pas avoir véritablement leur place et sont, en tout état de cause, sans conséquence pratique », Conclusions Mischo sur CJCE, 13 octobre 2001, Commission / Italie, aff. C-1/00, point 143 ↩
- Conclusions Mischo sur CJCE, 4 juillet 2000, Commission / Portugal, aff. C-62/98, point 78 ↩
- CJCE, 13 novembre 1964, Commission / Luxembourg et Belgique, aff. 90/63 ↩
- CJCE, 10 décembre 1969, Commission / France, aff. 6/69; CJCE, 30 juin 1988, Commission / Grèce, aff. 226/87 ; et CJCE, 27 octobre 1992, Commission / Allemagne, aff. C-74/91 ↩
- CJCE, 18 septembre 1986, Commission / Allemagne, aff. 116/82 ↩
- Voir également, CJUE, gde ch., 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie / Conseil, aff. jointes C-643 et 647/15, points 302 à 305. La Pologne est intervenue au soutien de la Hongrie et de la Slovaquie afin de contester le mécanisme de relocalisation des migrants, lequel serait susceptible d’affecter « des États membres qui sont « presque ethniquement homogènes comme la Pologne » et dont la population différerait, d’un point de vue culturel et linguistique, des migrants devant être relocalisés sur leur territoire. » (point 302). Voir nos observations critiques sur cet arrêt, in « Chronique de jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne 2017 », RDP, 2018, p. 1515 ↩
- CJUE, gde ch., 8 avril 2014, Commission / Hongrie, aff. C‑288/12, points 26, 34 et 35 ↩
- CJCE, 13 janvier 2005, Commission / Espagne, aff. C‑84/03, point 1. Voir également, CJCE, 10 juillet 1986, Commission / Italie, aff. 235/84, point 6 ou CJCE, 14 octobre 2004, Commission / Pays-Bas, aff. C‑299/02, point 1 ↩
- CJCE, 18 janvier 2001, Commission / Italie, aff. C‑162/99, point 32 à 34, spéc. point 32 ↩
- Sur cette problématique, voir M. Prek et S. Lefèvre, « The EU Courts as “national” courts: National law in the EU judicial process », CML Rev.vol. 54, n° 2, april 2017, p. 369 ↩
- « En vertu de cette jurisprudence, la portée des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales doit s’apprécier compte tenu de l’interprétation qu’en donnent les juridictions nationales (voir, notamment, arrêt du 9 décembre 2003, Commission/Italie, C‑129/00, EU:C:2003:656, point 30 et jurisprudence citée). Par ailleurs, lorsqu’une législation nationale fait l’objet d’interprétations juridictionnelles divergentes pouvant être prises en compte, les unes aboutissant à une application de ladite législation compatible avec le droit de l’Union, les autres aboutissant à une application incompatible avec celui-ci, il y a lieu de constater que, à tout le moins, cette législation n’est pas suffisamment claire pour assurer une application compatible avec le droit de l’Union (ibidem, point 33). Cette démarche a notamment été exposée récemment par l’avocat général Sharpston dans ses conclusions sous CJUE, 21 juin 2018, Commission / Malte, aff. C‑557/15, points 60 et 62 ↩
- CJCE, 10 juillet 1986, Commission / Italie, aff. 235/84, points 7 à 9, 11 et 14. Voir également, CJCE, 18 janvier 2001, Commission / Italie, aff. C‑162/99, points 2 à 262 ; CJCE, 13 décembre 2007, Commission / Irlande, aff. C‑418/04, points 166-167 ↩
- Voir, notamment : CJCE, 20 septembre 1988, Beentjes / Pays-Bas, aff. 31/87, points 26-27 : « La compatibilité d’une telle disposition avec la directive dépend de son interprétation dans le cadre du droit national » ; CJCE, 10 septembre 2009, Sea, aff. C‑573/07, point 68 : « En adoptant ces termes, le législateur italien a repris textuellement le libellé des conditions énoncées au point 50 de l’arrêt Teckal, précité, et confirmées dans plusieurs arrêts ultérieurs de la Cour. Une telle législation nationale est en principe conforme au droit communautaire, étant précisé que l’interprétation de cette législation doit également être conforme aux exigences du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt ANAV, précité, point 25) » ; CJUE, 23 décembre 2009, CoNISMa, aff. C‑305/08, points 20 et 46 à 51 ; CJUE, 2 juin 2016, Pippo Pizzo, aff. C-27/15, point 50 ↩
- CJUE, gde ch., 19 avril 2016, DI, aff. C-441/14, point 33 ↩
- Point 31 de l’arrêt Commission / Italie ↩
- Point 41 de l’arrêt Commission / Italie ↩
- Dans un arrêt Società Sief e. a. / Ministero dell’Economica e delle Finanze e. a., la Corte di cassazione insiste sur le fait que la Cour de justice a souligné la neutralité de l’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428. Le manquement identifié par la Cour de justice concernait donc « le comportement de l’Etat dans son ensemble, à savoir la législation, la jurisprudence et la pratique administrative ». Tirant les conséquences de l’arrêt Commission / Italie, la juridiction suprême italienne a affirmé qu’un revirement jurisprudentiel et de la pratique administrative était nécessaire. Elle a donc annulé le pourvoi dirigé contre un arrêt de la cour d’appel de Trento qui faisait application de la jurisprudence antérieure, Corte du cassazione, sezione tributaria, 14 juillet 2004, n° 13054, Reflets n° 1/2005, p. 16-17 ↩
- CJCE, 15 juillet 1960, Pays-Bas / Haute Autorité, aff. 25/59, Rec. p. 723, spéc. p. 761 ↩
- Les arrêts de la Cour portent ainsi parfois la trace du fait que la Commission s’est déclarée prête, lors de la phase précontentieuse, à se désister de son recours si l’État met fin au manquement, par exemple, en adoptant les amendements législatifs annoncés dans le délai imparti par l’avis motivé, CJUE, gde ch., 8 avril 2014, Commission / Hongrie, aff. C‑288/12, point 22 ↩
- CJCE, 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest, aff. jointes C-143/88 et C‑92/89, point 26 ↩
- CJUE, 6 novembre 2012, Commission / Hongrie, aff. C-286/12 et CJUE, gde ch., 8 avril 2014, Commission / Hongrie, aff. C-288/12 ↩
- Voir CJUE, ord. de la vice-présidente, 19 octobre 2018, Commission / Pologne, aff. C-619/18 R, suivie de CJUE, gde ch., ord., 17 décembre 2018, aff. C-619/18 R ↩
- Sur ce point, voir infra, p. 24 ↩
- Selon l’expression d’Aude Bouveresse, « Le recours en constatation de manquement : l’arme contentieuse », RAE 2013/3, p. 495 ↩
- Conclusions Mischo sur CJCE, 25 octobre 2001, Commission / Italie, aff. C-78/00, point 62 ↩
- CJCE, 7 février 1984, Commission / Italie, aff. 166/82, point 24. Voir également, les conclusions Mischo sur CJCE, 25 octobre 2001, Commission / Italie, aff. C-78/00, point 62 : « Le recours en manquement étant un recours objectif et la Cour n’ayant, en aucune manière, à prononcer une quelconque sanction, pour laquelle la gravité de l’infraction pourrait revêtir de l’importance, il nous semble que, même si cette circonstance relevée par la Commission est effectivement de nature à rendre encore plus patent le manquement de la République italienne, la Cour n’a pas à la mentionner dans le dispositif de son arrêt ». Voir encore, CJCE, 26 juin 2003, Commission / France, aff. C-233/00, point 62 : « S’agissant de l’argument du gouvernement français selon lequel il n’y aurait jamais eu de plainte de particuliers au sujet de l’application incorrecte de l’article 3, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 90/313, il doit être rejeté au regard de la jurisprudence de la Cour, dont il résulte que le non-respect d’une obligation imposée par une règle de droit communautaire est en lui-même constitutif d’un manquement et que la considération que ce non-respect n’a pas engendré de conséquences négatives est dépourvue de pertinence (voir arrêts du 21 septembre 1999, Commission/Irlande, C-392/96, Rec. p. I-5901, points 60 et 61, et du 1er février 2001, Commission/France, C-333/99, Rec. p. I-1025, point 37). Il en découle également que l’argument selon lequel aucun cas contraire à la directive n’a été signalé dans la pratique ne saurait être retenu, voir arrêt du 28 février 1991, Commission/Allemagne, C-131/88, Rec. p. I-825, point 9 ↩
- CJCE, 30 janvier 2003, Commission / Danemark, aff. C‑226/01, point 32. Voir déjà, CJCE, 21 mars 1991, Commission / Italie, aff. C-209/89, points 6 et 19 ; CJCE, 29 mars 2001, Commission / France, aff. C-404/99, point 51 ↩
- CJCE, 4 avril 1974, Commission / France (aff. dite du « Code du travail maritime »), aff. C167/73. On pourrait rapprocher de cette hypothèse l’arrêt Commission / Italie (CJUE, 24 novembre 2011, aff. C-379/10, points 15, 44 et 45). Voir nos observations sur ce dernier arrêt, RTDE, 2012, n° 1, p. 179 ↩
- CJUE, 18 décembre 2014, Commission / Royaume-Uni, aff. C-640/13. La Cour a implicitement rejeté cette argumentation en se bornant à souligner que le Royaume-Uni « ne conteste pas le manquement reproché », point 41 ↩
- CJCE, 7 février 1984, Commission / Italie, aff. 166/82 ↩
- CJUE, gde ch., 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, aff. C-268/15, point 49. Cette affirmation doit toutefois être rapprochée de l’arrêt Guimont dans lequel la Cour avait « censuré » une incompatibilité seulement potentielle d’une règle de droit français (CJCE, gde ch., 5 décembre 2000, aff. C-448/98, point 17). Comment ne pas penser également à l’affaire dite des « juges portugais », CJUE, gde ch., 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, aff. C‑64/16 ↩
- Voir notamment, CJCE, 29 mai 1997, Commission / Royaume-Uni, aff. C-300/95, point 32, 33 et 37 à 39, ainsi que CJCE, 26 juin 2003, Commission / France, aff. C-233/00, points 84 à 86. Sur cette question, voir notamment, L. Prete, Infringement Proceedings in EU Law, Wolters Kluwer, 2017, p. 60 ↩
- Conclusions Mischo sur CJCE, 25 octobre 2001, Commission / Italie, aff. C-78/00, point 62 ↩
- Selon l’expression de l’Avocat général Dutheillet de Lamothe dans ses conclusions sous CJCE, 27 octobre 1971, Rheinmühlen Düsseldorf / Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel, aff. 6/71, Rec. p. 823, spéc. p. 854-855 ↩
- Conclusions Wahl sur CJUE, 27 février 2014, Pohotovost’s/Vašuta, aff. C-470/12, point 27 ↩
- Conformément à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour ↩
- CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos, aff. 26/62, Rec. p. 1, spéc. p. 25 ↩
- Dans l’affaire SAG ELV Slovensko e.a., la juridiction de renvoi fonde sa demande de décision préjudicielle tant sur les arguments avancés devant elle par les parties litigantes que sur les « motifs invoqués par la Commission européenne dans la procédure en manquement dirigée contre la République slovaque à raison des irrégularités qui entacheraient la procédure d’appel d’offres en cause au principal », CJUE, 29 mars 2012, aff. C‑599/10, point 13. Rappr. de CJUE, 3 septembre 2014, X, aff. C-318/13, points 46-47 ↩
- Voir notamment, CJUE, 6 novembre 2014, Cartiera dell’Adda, aff. C‑42/13, point 34 ↩
- Voir, CJUE, 29 mars 2012, SAG ELV Slovensko e.a., aff. C‑599/10, point 13 ↩
- Point 3 des conclusions Bobek dans l’affaire Cresco Investigation, aff. C‑193/17. L’avocat général ajoute au point 38 : « la réponse que je propose d’apporter à la question 1 de la juridiction de renvoi […] est une réponse générale qui concerne uniquement le contrôle (abstrait) de la compatibilité de règles » ↩
- CJUE, 30 mai 2013, Jőrös, aff. C‑397/11, point 47 ↩
- CJCE, 8 avril 1976, Defrenne, aff. 43/75, point 21. Voir également les points 25 et 26 ↩
- CJCE, 15 juillet 1964, Costa / ENEL, aff. 6/64, Rec. p. 1141, spéc. p. 1158 ↩
- CJCE, 23 novembre 1977, Enka, aff. 38/77, point 21 ↩
- CJUE, 26 janvier 2017, Banco Primus, aff. C‑421/14, point 58 ↩
- Pour des exemples puisés dans le domaine des marchés publics, voir notamment, CJCE, gde ch., 16 décembre 2008, Michaniki, aff. C-213/07, points 62-63 ; CJCE, 19 mai 2009, Assitur, aff. C-538/07, points 24 et 28 à 32 ; CJUE, 23 décembre 2009, Serrantoni et Consorzio stabile edili, aff. C‑376/08, point 40 ou CJUE, 8 février 2018, Lloyd’s of London, aff. C-144/17, points 36 à 44 ↩
- Voir, par exemple, en matière d’interprétation de normes techniques d’harmonisation, CJUE, 14 décembre 2017, Anstar, aff. C-630/16 ↩
- CJCE, 18 janvier 2001, Commission / Italie, aff. C‑162/99, point 9 ↩
- CJCE, 24 janvier 1995, Commission / Pays-Bas, aff. C‑359/93, points 5 à 9 ↩
- La Commission a cherché à empêcher la passation de ce marché mais en vain, cf. point 9 ↩
- CJCE, 25 avril 1996, Commission / Belgique, aff. C‑87/94, point 25 ↩
- CJCE, 29 novembre 2007, Commission / Italie, aff. C‑119/06, points 21 et 66 ↩
- CJCE, 13 novembre 2007, Commission / Irlande, aff. C‑507/03, points 33-34 ↩
- CJCE, 13 novembre 2007, Commission / Irlande, aff. C‑507/03, point 33 ↩
- Sans revenir sur l’arrêt Commission / Italie du 9 décembre 2003 (aff. C-129/00), l’arrêt Commission / Hongrie du 23 février 2016 constitue une autre illustration, aff. C‑179/14, points 2 et 83 ↩
- CJCE, 12 mai 2005, Commission / Belgique, aff. C-287/03, point 28 ou CJCE, 27 avril 2006, Commission / Allemagne, aff. C‑441/02, point 49 ↩
- CJUE, gr. ch., 2 décembre 2014, Commission / Italie, aff. C-196/13, points 24 et 51 ↩
- Pour une illustration parmi tant d’autres, voir CJUE, 27 juin 2018, SGI et Valériane, aff. jointes C‑459 et 460/17, points 20 à 22 et 45 à 47. Plus largement, voir notre étude, « Style des arrêts de la Cour de justice et normativité de la jurisprudence communautaire », RTDE, 2009, p. 643 ↩
- B. Bertrand, « Les blocs de jurisprudence », RTDE, 2012, p. 740 ↩
- CJCE, 6 octobre 2009, Asturcom, aff. C-40/08 ↩
- D’autant plus que, à l’époque, la jurisprudence ne semblait pas encore fixée, compte tenu des positions différentes adoptées dans les arrêts Kapferer, CJCE, 16 mars 2006, aff. C-234/04, et Lucchini, CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-119/05 ↩
- On peut notamment penser au réexamen des actes administratifs définitifs et à l’évolution jurisprudentielle initiée par l’arrêt Kühne & Heitz, CJCE, 13 janvier 2004, aff. C-453/00, et poursuivi par les arrêts i-21 Germany, CJCE, 19 septembre 2006, aff. jointes C-392 et 422/04, Kempter, CJCE, 12 février 2008, aff. C-2/06, ou encore Byankov, CJUE, 4 octobre 2012, aff. C-249/11 ↩
- CJUE, 10 mai 2011, Römer, aff. C‑147/08, point 43 ↩
- Voir, par exemple, CJUE, gde ch., 14 mars 2017, Achbita, aff. C-157/15, points 43-44 ou CJUE, gde ch., 17 avril 2018, Egenberger, aff. C-414/16, point 59 ↩
- Voir, en particulier, CJCE, 29 avril 1999, Ciola, aff. C‑224/97, points 29 à 32 ↩
- CJUE, 29 avril 2010, Commission / Allemagne, aff. C‑160/08, EU:C:2010:230 ↩
- Pour des exemples de refus de constater l’existence d’une pratique généralisée contraire au droit de l’Union, voir CJCE, 12 mai 2005, Commission / Belgique, aff. C-287/03, point 30 ; CJCE, 27 avril 2006, Commission / Allemagne, aff. C‑441/02, point 99 ou CJCE, 7 juin 2007, Commission / Grèce, aff. C‑156/04, points 47 à 53 ↩
- CJCE, gde ch., 30 septembre 2003, Köbler, aff. C-224/01 ↩
- CJUE, 29 avril 2015, Léger, aff. C-528/13, points 59 et 66 ↩
- Voir la contribution de F. Picod, in G. Drago et M. Lombard, Les libertés économiques, éd. Panthéon-Assas, 2003, p. 153, spéc. p. 164 ↩
- CJCE, 10 janvier 2006, De Groot en Slot Allium et Beko Zaden, aff. C-147/04 ↩
- CE, Ass., 11 décembre 2006, Sté De Groot en Slot Allium, req. n° 234560. Voir également, CE, Ass., 27 mars 2015, Quintanel, n° 372426 ↩
- La mise en balance des avantages et des inconvénients d’une mesure qui poursuit un but légitime et nécessaire à cet effet. Cette mise en balance peut également avoir pour effet de démontrer l’inaptitude de la mesure à atteindre l’objectif prétendument poursuivi, voir notamment, CJCE, 27 novembre 2003, Commission / Finlande, aff. C-185/00, points 102, 103, 108 et 109 ↩
- CJCE, 7 janvier 2004, K. B., aff. C‑117/01, points 31 à 36, spéc. poins 32 et 36 ↩
- CJCE, 9 juillet 1970, Commission / France, aff. 26/69, points 18-19, 24 à 27, 31 et 32 ↩
- CJUE, 24 mai 2011, Commission / Luxembourg, aff. C-51/08, resp. points 143 et 139 ↩
- La Cour se montre, en revanche, très prudente quant à la possibilité de limiter les effets dans le temps d’un arrêt en constatation de manquement. Ainsi a-t-elle déclaré que « à supposer même que les arrêts rendus au titre de l’article 258 TFUE aient les mêmes effets que ceux rendus au titre de l’article 267 TFUE et que, partant, des considérations de sécurité juridique puissent rendre nécessaire, à titre exceptionnel, la limitation de leurs effets dans le temps, dès lors que sont remplies les conditions établies par la jurisprudence de la Cour dans le cadre de l’article 267 TFUE (voir, notamment, arrêts Commission/Grèce, C‑178/05, EU:C:2007:317, point 67 et jurisprudence citée, ainsi que Commission/Irlande, C‑82/10, EU:C:2011:621, point 63 et jurisprudence citée), il y a lieu de constater que, en l’occurrence, la Hongrie n’a pas établi que ces conditions étaient satisfaites. En particulier, eu égard au manquement constaté au point 62 du présent arrêt, l’expression «en toute indépendance» contenue à l’article 28, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 95/46 est claire en soi et, en tout état de cause, cette expression avait déjà fait l’objet d’une interprétation de la Cour dans son arrêt Commission/Allemagne, EU:C:2010:125, antérieur de plus d’un an audit manquement. À la suite de cet arrêt, le droit de l’Union ne pouvait, en effet, être raisonnablement compris comme autorisant la Hongrie à mettre fin de manière anticipée au mandat du commissaire » (CJUE, gde ch., 8 avril 2014, Commission / Hongrie, aff. C‑288/12, point 64). Voir déjà, CJCE, 7 juin 2007, Commission / Grèce, aff. C‑178/05, point 67 ; CJUE, 15 décembre 2009, Commission / Finlande, aff. C‑284/05, point 58 ou CJUE, 29 septembre 2011, Commission / Irlande, aff. C‑82/10, point 63 ↩
- Voir désormais les articles 10 et 19 TFUE ↩
- CJCE, 8 avril 1976, Defrenne / Sabena, aff. 43/75, points 71 à 75, spéc. point 73 ↩
- CJUE, 3 septembre 2014, X, aff. C-318/13, points 46 à 49, spéc. points 46-47 ↩
- CJUE, gr. ch., 1er mars 2011, Association belge des Consommateurs Test-Achats e.a., aff. C-236/09, point 32. Voir le commentaire d’Edouard Dubout, « En matière d’assurance, la femme est un homme comme les autres. Première invalidation d’une disposition d’une directive relative à la lutte contre les discriminations », RAE, 2011/1, p. 211 ↩
- Voir, dans le même sens, CJUE, 19 juin 2014, Specht, aff. C-501/12, point 105 : « si l’interprétation que la Cour donne d’une règle du droit de l’Union, dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle, éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise en vigueur (voir en ce sens, notamment, arrêt RWE Vertrieb, C‑92/11, EU:C:2013:180, point 58), il revient au juge national d’apprécier si, néanmoins, la nature et l’étendue des obligations qui incombent aux États membres en vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78 à l’égard d’une législation telle que celle en cause au principal ne pouvaient être considérées comme claires et précises qu’à compter de l’arrêt Hennigs et Mai (EU:C:2011:560), à savoir le 8 septembre 2011 (voir, par analogie, arrêt Hogan e.a., C‑398/11, EU:C:2013:272, points 51 et 52). Le cas échéant, il y aurait lieu de conclure à l’absence de violation suffisamment caractérisée avant cette date ↩
- Sur la base notamment de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007 (JO 2007, L 335, p. 31 ↩
- CJCE, 12 février 2004, Grossmann Air Service, aff. C-230/02, point 29 ↩
- CJUE, 28 novembre 2018, Amt Azienda Trasporti e Mobilità e.a., aff. C-328/17, points 54-55 ↩
- CJCE, 19 janvier 1999, Calfa, aff. C-348/96 ↩
- CJUE, gde ch., 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, aff. jtes C‑404 et 659/15 PPU ↩
- CJUE, gde ch., 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), aff. C‑216/18 PPU ↩
- CJUE, gde ch., 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), aff. C‑216/18 PPU, point 70. Voir déjà, le point 81 de l’arrêt Aranyosi et Căldăraru ↩
- Points 88, 89, 91 et 92 de l’arrêt Aranyosi et Căldăraru ↩
- Voir le point 70 précité de l’arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) et, plus largement, les points 68 à 79 de cet arrêt ↩
- Cette hybridation transparaît également au point 76 de l’arrêt Minister for Justice and Equality ↩
- Voir, à titre d’illustration, CJUE, 23 décembre 2009, Serrantoni et Consorzio stabile edili, aff. C‑376/08, points 34 s. En l’occurrence, une réglementation nationale est jugée inconventionnelle en ce qu’elle établit une présomption irréfragable qu’il n’est pas possible de renverser sur la base d’un examen des circonstances de l’espèce ↩