La citoyenneté de l’Union « telle qu’elle découle des traités ». Brèves réflexions sur l’arrêt Commission/Malte (citoyenneté par investissement)
Par Anastasia ILIOPOULOU-PENOT, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas, Centre de droit européen
L’arrêt Commission/Malte (citoyenneté par investissement) opère un tournant dans la compréhension de la compétence des États membres en matière d’octroi de nationalité et de la relation entre citoyenneté européenne et nationale. Par ailleurs, la Cour met en avant une vision systémique et constitutionnelle de la citoyenneté de l’Union, qui ne s’articule pas aisément avec le paradigme de citoyenneté de marché qui sous-tend la jurisprudence relative à l’exercice des droits à la mobilité citoyenne.
Dans le retentissant arrêt Commission/Malte, rendu le 29 avril 2025, la Cour de justice a déclaré le programme maltais de « citoyenneté par investissement » (plus connu sous le nom de passeports dorés) contraire au droit de l’Union. Selon le dispositif, ce programme, qui instaure une procédure de naturalisation transactionnelle en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés, enfreint l’article 20, paragraphe 1, TFUE, lequel établit la citoyenneté de l’Union, ainsi que le principe de coopération loyale formulé à l’article 4, paragraphe 3, TUE.
La Cour ne cache pas son aversion morale et politique envers l’idée que la citoyenneté nationale ou européenne puisse être traitée comme une marchandise ; les références répétées au terme de « commercialisation » tout au long de l’arrêt ne laissent aucun doute à cet égard. La question est, néanmoins, de savoir si la solution juridique inspirée par une telle désapprobation morale et politique (partagée par la Commission1 et le Parlement européen2), trouve un fondement suffisant dans les traités3. La Cour affirme catégoriquement au point 100 de l’arrêt que le programme maltais « s’apparente à une commercialisation de l’octroi du statut de ressortissant d’un État membre et, par extension, de celle du statut de citoyen de l’Union (…) incompatible avec la conception de ce statut fondamental telle qu’elle découle des traités ».
Cette affirmation intrigue et interroge4. En effet, en dépit de la volonté de la Cour de présenter sa conclusion comme « coulant de source », celle-ci a un parfum de changement constitutionnel informel. En effet, l’arrêt Commission/Malte opère un véritable tournant dans la compréhension aussi bien de la relation entre citoyenneté européenne et nationale que de la compétence des États membres en matière d’octroi de nationalité (I). Il est alors susceptible de nourrir la réflexion et le débat sur la question de savoir où s’arrête l’interprétation évolutive ou dynamique des traités, conçus comme un instrument vivant (un « arbre vivant » diraient les Canadiens), et où commence la modification implicite ou de facto de leur cadre5. La ligne de démarcation est, en l’espèce, particulièrement fine. Par ailleurs, la Cour met en avant une vision systémique et constitutionnelle de la citoyenneté de l’Union, qui ne s’articule pas aisément avec le paradigme classique de citoyenneté de marché qui sous-tend le corpus jurisprudentiel abondant relatif à l’exercice de la mobilité citoyenne (II).
I. Un tournant dans la compréhension de la compétence des États membres en matière d’octroi de nationalité et de la relation entre citoyenneté européenne et nationale
L’arrêt Commission/Malte s’éloigne de manière significative de la conception « originaliste » (ce terme du droit constitutionnel américain paraît particulièrement pertinent en l’espèce) de la relation entre la citoyenneté de l’Union et la nationalité des États membres6, ainsi que de la compétence des États membres pour fixer les conditions d’attribution de leur nationalité. Cette conception était ancrée dans le langage même du traité, plus précisément des articles 20, paragraphe 1, TFUE et 9 TUE7, ainsi que de la déclaration n° 2 sur la nationalité d’un État membre annexée au traité de Maastricht8, dont le contenu a été réitéré dans la décision d’Édimbourg des chefs d’État et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen9. L’on sait que, même si, contrairement aux protocoles, les déclarations ne sont pas juridiquement contraignantes, elles constituent des outils d’interprétation importants, permettant d’éclairer la compréhension et les intentions des auteurs des traités. Dès lors, si l’on prend au sérieux la lettre des dispositions des traités, de la déclaration et de la décision susvisées, le droit de l’Union ne s’applique pas à l’octroi de la nationalité, qui demeure une compétence strictement réservée aux États membres. La citoyenneté est un statut dérivé et complémentaire par rapport à la nationalité des États membres, définie exclusivement par le droit national.
Cette lecture littérale de longue date, fidèle à l’accord politique des États exprimé dans la déclaration sur la nationalité, a été défendue par l’avocat général Collins dans ses conclusions. L’avocat général a soutenu que, si les États membres pouvaient exiger la preuve d’un lien particulier de solidarité et de loyauté entre eux et leurs ressortissants, le droit de l’Union n’imposait aucune exigence de la sorte pour l’acquisition de la nationalité. Il a mis l’accent sur la volonté des États, créateurs et maîtres de l’évolution du système européen, d’exclure l’attribution de la nationalité d’une quelconque emprise européenne10. Enfin, l’avocat général a mis en garde contre toute déviation de la vision orthodoxe traditionnelle, qui « romprait l’équilibre soigneusement établi dans les traités entre la citoyenneté nationale et la citoyenneté de l’Union et constituerait une atteinte tout à fait illégale à la compétence des États membres dans un domaine extrêmement sensible qu’ils ont clairement décidé de conserver sous leur contrôle exclusif »11.
Rejetant la perspective « originaliste » soutenue par l’avocat général, la Cour refuse de soustraire le pouvoir des États membres de conférer leur nationalité à l’influence et au contrôle européens. La Cour mentionne brièvement la déclaration n°2, uniquement pour l’écarter, en invoquant la doctrine jurisprudentielle qui distingue entre l’existence et l’exercice de compétences nationales réservées, et qui soumet cet exercice au respect du droit de l’Union12. La Cour n’accepte aucune limite à la portée de cette doctrine13, dès lors qu’elle rejette la proposition de Malte de limiter l’examen des procédures d’octroi de la nationalité d’un État membre à « la constatation de violations significatives des valeurs ou des objectifs de l’Union, présentant un caractère général et systématique »14. Selon la Cour, « ni le texte des traités ni leur économie ne permettent d’inférer de ceux-ci une volonté de la part de leurs auteurs de prévoir » une telle exception15.
La Cour établit ensuite certaines exigences découlant de la « nature même de la citoyenneté de l’Union »16 ; ces exigences créent à leur tour des contraintes juridiques pesant sur l’octroi de la nationalité, le respect desquelles est contrôlé par la Cour17. Plus précisément, la Cour reprend le langage relatif au « lien de nationalité » de la chaîne jurisprudentielle relative à la perte de ce statut18, pour en extraire une contrainte opposée aux États. Elle affirme alors que, dans le cadre de l’article 20 TFUE, la nationalité doit refléter « un rapport particulier de solidarité et de loyauté » avec l’État19, car ce rapport fait partie intégrante de la nature de la citoyenneté de l’Union. Ce rapport constitue ainsi la base commune à la fois de la citoyenneté nationale et de la citoyenneté européenne. En effet, selon la Cour, le rapport particulier de solidarité et de loyauté dans lequel réside « le fondement du lien de nationalité d’un État membre »20, « constitue également le fondement des droits et obligations que les traités réservent aux citoyens de l’Union »21.
Ce passage jurisprudentiel entraîne une reconfiguration de la relation entre la citoyenneté nationale et la citoyenneté de l’Union. Le rapport de dépendance à sens unique cède la place à une relation symbiotique, où les deux statuts deviennent inextricablement liés, interdépendants et entremêlés. En outre, alors que dans la vision traditionnelle, la citoyenneté de l’Union apparaît comme l’annexe ou l’accessoire de la nationalité, qui constitue le statut prééminent, la Cour affirme, de manière quelque peu surprenante, que « au regard tant de la portée des droits attachés à la citoyenneté de l’Union (…) que du fait que ce statut découle automatiquement de la qualité de ressortissant d’un État membre, (…) la citoyenneté de l’Union constitue le statut fondamental des ressortissants des États membres »22.
Par ailleurs, en s’autorisant à définir ce que doit constituer, en substance, la relation entre un État membre et son ressortissant, et, par extension, entre un citoyen et l’Union européenne, la Cour franchit un pas supplémentaire dans la fédéralisation de l’ordre juridique européen. L’« entité politique unique »23 issue de l’établissement de la citoyenneté de l’Union, qu’évoque la Commission dans son argumentaire, implique une dimension européenne particulière pour la qualité de national d’un État membre24. L’Union, en tant que polity de référence, et son droit primaire deviennent les garants de l’appartenance à la fois à la collectivité européenne et aux communautés nationales. Ce droit interdit désormais aussi bien la privation arbitraire de la nationalité des États membres (chaîne jurisprudentielle Rottmann25) que l’octroi abusif de celle-ci (Commission/Malte).
Dès lors, la Cour poursuit la construction de la citoyenneté de l’Union comme un statut fédéral26, amorçant une trajectoire parallèle à celle initiée dans l’arrêt Ruiz Zambrano de 201127 et la reconnaissance d’un droit de rester sur le territoire de l’Union. Ainsi, toute action des États membres susceptible de porter atteinte à « la jouissance effective de l’essentiel des droits » conférés par la citoyenneté de l’Union (Ruiz Zambrano) ou à « sa nature même » (Commission/Malte) est proscrite. Dans les deux cas, la Cour définit un noyau d’intégrité de la citoyenneté européenne, non expressément formulé dans les traités, lequel impose des limites aux pouvoirs discrétionnaires des États membres, soumises au contrôle juridictionnel.
Le contrôle exercé par la Cour demeure limité. Comme le montre la partie de l’arrêt Commission/Malte qui se penche sur les différents aspects du régime maltais28, la Cour se borne à sanctionner les excès ou les pratiques abusives, qu’elle qualifie de « manifestement incompatibles » avec la citoyenneté de l’Union29. Elle prend également soin de rappeler la « large marge d’appréciation » dont disposent les États membres dans le choix des critères à appliquer pour l’octroi de leur nationalité, « pourvu que ces critères soient appliqués dans le respect du droit de l’Union »30.
Toutefois, la question demeure : dans quelle mesure les traités peuvent-ils accueillir cette conception fédérale de la citoyenneté de l’Union ?
II. Une compréhension systémique et constitutionnelle de la citoyenneté, difficile à articuler avec la citoyenneté de marché
L’arrêt Commission/Malte véhicule une compréhension systémique de la citoyenneté, cohérente avec la rhétorique constitutionnelle adoptée par la Cour dans d’autres domaines du droit de l’Union (et dont les origines remontent aux arrêts fondateurs Van Gend en Loos31 et Costa/ENEL32). Il n’est, toutefois, pas aisé d’articuler cette compréhension avec la manière dont la citoyenneté a, jusqu’à présent, été conçue et développée à partir de son attribut principal, à savoir le droit de circuler et de séjourner énoncé par l’article 21 TFUE.
Plus précisément, l’arrêt Commission/Malte inscrit la citoyenneté dans le cadre constitutionnel de l’Union, tel qu’établi par la Cour elle-même dans l’avis 2/13, relatif à l’adhésion de l’Union à la CEDH33, et les arrêts jumeaux sur la conditionnalité budgétaire34. Il s’agit de trois exemples marquants de construction constitutionnelle prétorienne reposant sur un fondement textuel minimaliste. Les trois œuvres de l’assemblée plénière de la Cour forment un exposé magistral de l’ordre constitutionnel de l’Union qui mobilise un narratif particulier35. Celui-ci met en lumière le rôle central des valeurs de l’article 2 TUE, qui forment l’identité de l’Union et auxquelles la Cour souffle progressivement vie à travers la technique de la concrétisation (par référence à d’autres dispositions des traités). Le récit judiciaire insiste également sur la dimension horizontale de l’appartenance à une entité telle que l’Union européenne ; celle-ci implique la solidarité et la confiance mutuelle entre les États membres, des liens indispensables pour une alliance solide et durable.
Le concept de citoyenneté s’intègre assez naturellement dans ce paysage constitutionnel. Ainsi, la Cour affirme pour la première fois que la citoyenneté de l’Union repose « sur les valeurs communes que contient l’article 2 TUE et sur la confiance mutuelle que s’accordent les États membres »36 et qu’elle constitue « l’une des concrétisations majeures de la solidarité qui est au fondement même du processus d’intégration (…), relevant par conséquent de l’identité de l’Union en tant qu’ordre juridique propre, accepté par les États membres sur une base de réciprocité »37. Cette vision fait écho à celle exprimée par l’avocat général Szpunar dans ses conclusions sous l’affaire Rendón Marín, lorsqu’il a affirmé que la solution Ruiz Zambrano « résulte de l’évolution à la fois heureuse et logique de la société dans les États membres et de la société européenne prise dans son ensemble, dont les ressortissants ne font qu’intégrer dans leur vie le statut de citoyen de l’Union que le traité leur confère. Ce statut les lie en tant que peuples d’une Europe qui, sur la base d’une solidarité civique et politique encore en construction, mais nécessaire dans un contexte politique, économique et social globalisé, leur reconnait des droits et des devoirs »38.
Dans l’arrêt Commission/Malte, la Cour tente d’ancrer cette compréhension de la citoyenneté dans le texte des traités en se référant de manière détaillée aux droits que le statut confère aux ressortissants des États membres39. Il s’agit, d’une part, des droits exercés dans des États membres autres que l’État d’origine (volet horizontal de la citoyenneté), et, d’autre part, des droits dirigés vers l’Union (volet vertical), notamment certains droits politiques, « qui ont des conséquences sur le fonctionnement de l’Union européenne en tant qu’ordre juridique commun »40. La logique qui sous-tend le raisonnement de la Cour est la suivante : si les traités confèrent de tels droits aux ressortissants des États membres, cela suppose nécessairement une confiance mutuelle entre les États engagés dans le processus d’intégration. La conclusion logique est qu’il doit exister des garanties contre la marchandisation d’un statut qui constitue un fondement de l’ordre juridique de l’Union.
Si la compréhension de la citoyenneté véhiculée par l’arrêt Commission/Malte est bienvenue41, il existe, néanmoins, un certain décalage avec la jurisprudence relative à l’accès des citoyens mobiles de l’Union aux prestations sociales dans l’État d’accueil42, notamment depuis le resserrement opéré dans les deux arrêts emblématiques Dano43 et Alimanovic44. Depuis ces arrêts et en dépit de certains assouplissements, la Cour prend désormais soin de se montrer déférente à la lettre de l’article 21 TFUE qui renvoie aux « limitations et conditions prévues » par le droit dérivé. Elle s’incline alors devant les choix du législateur européen (qui reflètent l’accord des États au sein du Conseil). Ces choix se traduisent dans les limites substantielles qu’impose la directive 2004/3845 à la solidarité que les États membres peuvent être tenus de manifester à l’égard des citoyens mobiles. Ainsi, la jurisprudence relative à l’article 21 TFUE et à la directive 2004/38 peut être comprise comme ayant façonné une citoyenneté de marché46, où la solidarité joue un rôle restreint47.
Alors que le paradigme de la citoyenneté de marché demeure comme (au moins) une manière valable de rendre compte de l’évolution du statut transnational bâti sur les droits à la mobilité de l’article 21 TFUE, l’arrêt Commission/Malte fait émerger une toute autre compréhension de la citoyenneté européenne. Celle-ci prend ses racines dans l’article 20 TFUE, lu à la lumière des articles 1 et 2 TUE, et renoue avec l’esprit et la promesse de l’arrêt Ruiz Zambrano, également décidé sur l’article 20 TFUE. L’arrêt Commission/Malte promeut une conception civique de la citoyenneté européenne, articulée autour des valeurs communes48, et fait de celle-ci un statut à la fois généré et alimenté par la solidarité49. Le fait de qualifier la citoyenneté de manifestation de la solidarité revêt un potentiel normatif considérable dès lors que la solidarité connaît une montée en puissance inexorable dans le vocabulaire européen et devient la clé de voute de l’édifice constitutionnel européen50.
Comment expliquer le décalage entre les deux conceptions de la citoyenneté européenne présentes dans la jurisprudence de la Cour ? Il peut être vu comme le résultat de l’ambiguïté inhérente au concept de citoyenneté, et des intentions ambivalentes des rédacteurs du traité de Maastricht, qui ont introduit la notion51. Les tensions sous-jacentes aux traités ne font désormais que remonter à la surface. Ainsi, en dépit de réactions critiques qui visent (non sans raison) le raisonnement de la Cour52, l’arrêt Commission/Malte ne doit pas être vu comme une décision où seule la fin (morale et politique) justifie les moyens (juridiques). Ce précédent demeure, en effet, une façon raisonnable de compléter l’« accord incomplet »53 que représentent les dispositions du traité sur la citoyenneté de l’Union. Comme l’arrêt Ruiz Zambrano avait soulevé des interrogations légitimes54, qui ont reçu des réponses au fur et à mesure de la jurisprudence qui l’a suivi, le sens et la portée du précédent Commission/Malte appellent à être précisés. Les affaires qui arriveront dans le prétoire de la Cour lui permettront de mieux ajuster le raisonnement, en répondant aux critiques et en intégrant des suggestions doctrinales. La Cour aura ainsi l’occasion d’orienter la trajectoire de la citoyenneté européenne, appelée à naviguer dans des eaux troubles, susceptibles de mettre à l’épreuve la solidarité et les valeurs européennes55.
1 V. Rapport de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 23 janvier 2019, sur les programmes de citoyenneté et de résidence par investissement dans l’Union européenne, COM (2019) 12 final ; Commission recommendation of 28.3.2022 on immediate steps in the context of the Russian invasion of Ukraine in relation to investor citizenship schemes and investor residence schemes, C(2022) 2028 final.
2 V. Résolution du Parlement européen du 16 janvier 2014 sur la citoyenneté de l’Union européenne à vendre [2013/2995(RSP)] ; résolution du Parlement européen du 9 mars 2022 assortie de propositions à la Commission sur les programmes de citoyenneté et de résidence contre investissement [2021/2026(INL)].
3 Commentant le recours en constatation de manquement introduit par la Commission, J.H.H. Weiler a pu écrire : ‘odious as one may find the idea of “selling citizenship”, the case against Malta is (…) an egregious exercise of jurisdictional creep and circumvention of constitutionally correct procedures. And the Commission is hoping that the Court will become complicit in such.’ J. H. H. Weiler, ‘Citizenship for Sale (Commission v Malta): Who of the Two is Selling European Values?’, VerfBlog, 2024/4/14.
4 Mon commentaire se concentre sur cette affirmation et ne prétend pas être une analyse exhaustive d’un arrêt riche et complexe, qui peut être abordé de plusieurs points de vue différents.
5 Les idées principales de ce commentaire ont été présentées au colloque De facto or implicit Treaty amendments in EU law organisé par L. Lonardo et M. Markakis à l’Université de Rotterdam les 12 et 13 juin 2025.
6 Sur cette relation v. M. Benlolo-Carabot, Les fondements juridiques de la citoyenneté de l’Union, Bruylant, 2007 ; D. Ritleng, « Nationalité et citoyenneté de l’Union. Brèves réflexions sur la nature de l’Union à partir de l’expérience fédérale », in Transformations et résilience de l’État. Entre mondialisation et intégration. Liber amicorum en hommage de Jean-Denis Mouton, Pedone, 2020, p. 545.
7 L’article 20, paragraphe 1, TFUE énonce : « Il est institué une citoyenneté́ de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité́ d’un État membre. La citoyenneté́ de l’Union s’ajoute à la citoyenneté́ nationale et ne la remplace pas. » Les deux dernières phrases sont reprises à l’identique à l’article 9 TUE.
8 « La Conférence déclare que, chaque fois que le traité instituant la Communauté européenne fait référence aux ressortissants des États membres, la question de savoir si une personne a la nationalité de tel ou tel État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État concerné ».
9 En vertu de la section A de cette décision (JO C 348 du 31/12/1992 p. 1), « Les dispositions de la deuxième partie du traité instituant la Communauté européenne, qui concerne la citoyenneté de l’Union, accordent aux ressortissants des États membres des droits et des protections supplémentaires, comme prévu dans cette partie. Elles ne se substituent en aucune manière à la citoyenneté nationale. La question de savoir si une personne a la nationalité d’un État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État membre concerné. »
10 Réitérant le point 22 de ses conclusions sous l’affaire C-673/20, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, l’avocat général Collins affirme que « les États membres auraient pu décider de mettre en commun leurs compétences et de conférer à l’Union le pouvoir de déterminer qui peut devenir citoyen de l’Union. Ils ont choisi de ne pas le faire » (point 44 des conclusions sous l’affaire Commission/Malte).
11 Point 57 des conclusions. Au point 52 l’avocat général a d’ailleurs écarté tout parallèle entre l’octroi et le retrait de la nationalité. V. aussi M. van der Brink, ‘Concise, Clear, and Convincing: The Opinion of Advocate General Collins in Commission v Malta (Citizenship for Sale)’, VerfBlog, 2024/10/09 : ‘We must expect the Court to follow the opinion. Anything else would be a constitutional outrage.’
12 S’agissant de la compétence des Etats en matière de nationalité, la formule apparaît pour la première fois au point 10 de l’arrêt Micheletti (CJCE, 7 juillet 1992, Micheletti, aff. C-369/90, EU:C:1992:295).
13 Cette doctrine a fait l’objet d’analyses doctrinales peu nombreuses. V. L. Azoulai, « La formule des compétences retenues des États membres devant la Cour de justice de l’Union européenne » in E. Neframi (dir.), Objectifs et compétences dans l’Union européenne, Bruylant, 2012, p. 341 ; L. Boucon, ‘EU Law and Retained Powers of Member State’, in L. Azoulai (ed.), The Question of Competences in the EU, Hart, 2014, p. 168.
14 Point 82 de l’arrêt Commission/Malte. C’est la première fois, à ma connaissance, qu’un gouvernement national propose un argument visant à encadrer la formule des compétences retenues des États membres.
15 Point 82 de l’arrêt Commission/Malte. Cette partie du raisonnement de la Cour est très fortement critiquée par S. Peers, ‘Pirates of the Mediterranean meet judges of the Kirchberg: the CJEU rules on Malta’s investor citizenship law’, European law blog, 30 April 2025 : ‘of course the authors of the Treaties said nothing about an exception from EU law as regards acquisition of Member State nationality – because they said nothing about EU law applying to Member States’ nationality law in the first place. “We are very concerned about what the authors of the Treaties wrote” says the Court – while ignoring what the authors of the Treaties actually wrote on this very issue. This is simply judicial gaslighting.’
16 Point 95 de l’arrêt Commission/Malte. Cet « argument essentialiste laisse quelque peu songeur » selon F.-X. Millet, « Nationalité à Malte : Tu ne vendras point le statut de citoyen européen », Le Club des juristes, 21 mai 2025.
17 V. la réaction de G. Íñiguez, Op-Ed: ‘On Genuine Links, Burdens of Proof, and Declaration No. 2: Some Musings on the Court’s Reasoning in Commission v. Malta (C-181/23)’, May 5, 2025, eulawlive : ‘the Court’s finding that it is entitled to police the outer boundaries of Member States’ naturalisation policies (…) –would have been inconceivable to the drafters of the Maastricht Treaty’.
18 CJUE, 2 mars 2010, Rottmann, aff. C-135/08, EU:C:2010:104 ; CJUE, 12 mars 2019, Tjebbes, aff. C-221/17 ; EU:C:2019:189 ; CJUE, 1er septembre 2023, Udlændinge – og Integrationsministeriet, aff. C-689/21, EU:C:2024:345 ; CJUE, 25 avril 2024, Stadt Duisburg, aff. j/tes C-684/22, 685/22 et 686/22 ; ainsi que CJUE, 18 janvier 2022, JY, aff. C-118/20, EU:C:2022:34, sur la révocation d’une assurance de naturalisation. Cette chaîne jurisprudentielle a fait de la solidarité « an established piece of the legal language that describes ‘the bond of nationality’ in Union citizenship law », comme démontré par K. Hyltén-Cavallius, ‘Solidarity and the Bond of Nationality in Union Citizenship Law’, Nordic Journal of European Law, 2023, p. 68.
19 La Cour ne reprend pas le langage de la Commission qui, elle, se référait à l’exigence d’« un lien réel » entre l’État et l’individu, un langage qui remonte au célèbre (mais controversé) arrêt de la Cour internationale de justice, du 6 avril 1955, Nottebohm, Rec. 1955, p. 4.
20 Point 96 de l’arrêt Commission/Malte.
21 Point 97 de l’arrêt Commission/Malte.
22 Point 92 de l’arrêt Commission/Malte. Il y a lieu de noter la transformation de la formule depuis l’arrêt fondateur Grzelczyk (CJUE, 20 septembre 2001, aff. C-184/99, EU:C:2001:458), où la citoyenneté a vocation à devenir le statut fondamental des ressortissants des États membres. Sur la façon dont évoluent les formules jurisprudentielles dans la jurisprudence sur la citoyenneté de l’Union v. V. Reveillère, Le juge et le travail des concepts juridiques. Le cas de la citoyenneté de l’UE, Institut Universitaire Varenne, 2018.
23 L’expression figure au point 18 des conclusions de l’avocat général Collins, qui résume l’argumentaire de la Commission, ainsi qu’au point 46. Si l’avocat général admet l’existence d’une telle « polity », il n’en déduit pas de conséquences concernant le pouvoir de l’État de définir ses nationaux.
24 V. S. Coutts, ‘On Mutual Recognition and the Possibilities of a “Single European Polity”: The Opinion of AG Collins in Case C-181/23 Commission v Malta’, European papers, 2024, p. 818.
25 CJUE, 2 mars 2010, Rottmann, aff. C-135/08, EU:C:2010:104. V. l’analyse de cette chaîne par J. Lepoutre, « Nationalités des États membres et citoyenneté de l’Union. Entre romantisme et réalisme », RTD eur., 2024, p. 9 ; J. Rondu, « Les limites du contrôle de proportionnalité face à la précarisation du statut fondamental de citoyen », RTD eur., 2022, p. 367 ; M. Salembier, « La nationalité des États membres dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE : perspective à l’aune du droit international public », RAE, 2024, p. 301.
26 M. Hailbronner and S. Iglesias Sanchez, ‘The European Court of Justice and Citizenship of the European Union: New Developments Towards a Truly Fundamental Status’, Vienna Journal on International Constitutional Law, 2011, p. 498.
27 CJUE, 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, aff. C-34/09, EU:C:2011:124.
28 Points 102-121 de l’arrêt Commission/Malte.
29 Ce qui pose problème dans l’octroi de la nationalité maltaise, c’est « le caractère central et même exclusif de la transaction » : J. Lepoutre, « Golden Passports : la Cour de justice ferme le marché de la citoyenneté », Jus Politicum Blog, 23 mai 2025.
30 Point 98 de l’arrêt Commission/Malte.
31 CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos, aff. 26/62, EU:C:1963:1.
32 CJCE, 15 juillet 1964, Costa/ENEL, aff. 6/64, EU:C:1964:66.
33 CJUE, 18 décembre 2014, avis 2/13, Adhésion de l’UE à la CEDH, EU:C:2014:2454.
34 CJUE, 16 février 2022, Hongrie/Parlement européen et Conseil de l’Union, aff. C-156/21, EU:C:2022:97 ; CJUE, 16 février 2022, Pologne/Parlement européen et Conseil de l’Union, aff. C-157/21, EU:C:2022:98.
35 Sur ce narratif v. A. Iliopoulou-Penot, « Egalité des États membres et respect des valeurs communes » in E. Dubout (dir.), L’égalité des États membres, Bruylant, 2022, p. 69.
36 Point 95 de l’arrêt Commission/Malte.
37 Point 93 de l’arrêt Commission/Malte.
38 Point 117 des conclusions de l’avocat général Szpunar, du 14 février 2016 sous CJUE, 13 septembre 2016, Rendón Marín, aff. C-165/14, EU:C:2016.
39 Points 86 à 90 de l’arrêt Commission/Malte.
40 Point 89 de l’arrêt Commission/Malte.
41 Car le lien entre les concepts de citoyenneté, de valeurs communes, de solidarité et de confiance mutuelle entre États, établi dans les formules jurisprudentielles inédites de l’arrêt Commission/Malte peut renforcer la valeur ajoutée de la citoyenneté de l’Union, qui réside précisément dans la production de concepts et de formules. V., sur ce point, A. Bouveresse et A. Iliopoulou-Penot, ‘Defending the added value of European citizenship in the face of persisting criticism’, in A. Bouveresse, A. Iliopoulou-Penot et J. Rondu, La citoyenneté européenne : quelle valeur ajoutée ? /European Citizenship : what added value ?, Bruylant, 2023, p. 11.
42 V. A. Iliopoulou-Penot, « Citoyenneté de l’Union et accès des inactifs aux prestations sociales dans l’État d’accueil » in L. Clément-Wilz (dir.), Le rôle politique de la Cour de justice de l’Union européenne, Bruylant, 2018, p. 315.
43 CJUE, 11 novembre 2014, Dano, aff. C-333/13, EU:C:2014:2358.
44 CJUE, 15 septembre 2015, Alimanovic, aff. C-67/14, EU:C:2015:597.
45 Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n°1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, JOUE L 158, du 30 avril 2004, p. 77.
46 N. Nic Shuibhne, ‘The resilience of EU market citizenship’, CMLRev., 2010, pp. 1597-1628 ; Ch. O’Brien, ‘I trade, therefore I am : legal personhood in the European Union’, CMLRev., 2013, p. 1643 ; N. Nic Shuibhne, ‘Limits Rising, Duties Ascending: The Changing Legal Shape of Union Citizenship’, CMLRev., 2015, p. 889.
47 Si la Cour affirme au point 44 de l’arrêt Grzelczyk (CJUE, 20 septembre 2001, aff. C-184/99, EU:C:2001:458) que le droit dérivé « admet donc une certaine solidarité financière des ressortissants de (l’) État (d’accueil) avec ceux des autres États membres », cette formule s’éclipse de la jurisprudence qui a suivi.
48 S’agissant de potentialités que recèle le lien entre citoyenneté et valeurs communes v. M. Rouy, Le champ d’application du droit de l’Union européenne. Étude à partir de la citoyenneté européenne, thèse soutenue à l’Université Jean Moulin Lyon III, le 2 juillet 2024, p. 524 s. ; G.Marti (dir.), European citizenship through the lens of EU values, Intersentia 2025.
49 L. D. Spieker, ‘It’s solidarity, stupid!: In defence of Commission v Malta’, VerfBlog, 07/5/2025, https://verfassungsblog.de/its-solidarity-stupid/. Selon l’auteur, l’arrêt Commission/Malte promeut une conception républicaine de la citoyenneté européenne.
50 K. Lenaerts et S. Adam, « La solidarité, valeur commune aux États membres et principe fédératif de l’Union européenne, CDE, p. 307.
51 Cette ambivalence originelle peut expliquer l’ensemble de l’évolution du statut de citoyen de l’Union. V. D. Thym, ‘Beyond ‘ever closer union’: retrospective on 30 years of Union citizenship and what they tell us about the future’, YEL, 2024, pp. 1-16.
52 V. notamment M. van den Brink, ‘Why bother with legal reasoning? The CJEU Judgment in Commission v Malta (Citizenship by Investment)’, EUI Global Citizenship Observatory, May 2, 2025, https://globalcit.eu/why-bother-with-legal-reasoning-the-cjeu-judgment-in-commission-v-malta-citizenship-by-investment/
53 P. Craig, « EU Membership : Formal and Substantive Dimensions », Cambridge Yearbook of European Legal Studies, 2020, p. 1.
54 N. Nic Shuibhne, « Seven questions for seven paragraphs », ELRev., 2011, p. 161.
55 Il est d’ailleurs possible de comprendre les nouvelles formules jurisprudentielles établissant un lien entre citoyenneté européenne, valeurs communes, solidarité et confiance mutuelle entre États membres, comme une façon pour la Cour de préparer son artillerie juridique afin de mieux faire face à ces défis, susceptibles d’arriver, à l’instar de l’affaire C- 769/22, Commission/Hongrie (Valeurs de l’Union), dans son prétoire.