L’Union européenne, une Union de droit ? Analyse de la portée du modèle de l’État de droit lors du récent épisode des réformes judiciaires polonaises
Lucie Laithier est docteur en droit de l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense et administrateur à la Direction « Recherche et Documentation » de la Cour de justice de l’Union européenne 1
« L’État de droit n’est pas une option dans l’Union européenne. C’est une obligation. Notre Union n’est pas un État mais elle doit être une communauté de droit. » 2 C’est par ces mots, ultérieurement mis en gras dans le texte l’ayant retranscrit, que le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker s’exprimait, devant les eurodéputés, dans son discours sur l’état de l’Union, en septembre 2017. Ces paroles fortes, énoncées dans un contexte de montée des populismes, rappellent que l’adhésion des États européens à l’Union ne comporte pas que des avantages, mais qu’elle implique également des obligations, notamment en termes de valeurs à respecter. Ces valeurs communes aux États membres sont énoncées à l’article 2 TUE, qui dispose que « l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. […] »
En droit public, d’après la doctrine allemande de la fin du XIXè siècle, la notion d’Etat de droit est classiquement et généralement définie comme la « soumission de l’État au droit », en opposition à « l’État de police », lequel est « caractérisé par le pouvoir discrétionnaire de l’administration ». 3 En Pologne, cette subordination de la puissance de l’État à l’ordre juridique semble faire défaut depuis le retour au pouvoir du parti Droit et justice (le PiS) en octobre 2015. Ce parti, dirigé par Jarosław Kaczyński, a mené « au pas de charge » une série de réformes législatives, qui remettent sérieusement en cause l’indépendance du pouvoir judiciaire ainsi, notamment, que la liberté d’expression par voie de presse. Ayant modifié en premier lieu la composition et le fonctionnement du Tribunal constitutionnel, au point de rendre le contrôle de constitutionnalité ineffectif en Pologne, la majorité au pouvoir s’est par la suite empressée de faire adopter plusieurs lois sensibles, visant principalement à réformer en profondeur le système judiciaire, l’École nationale de la magistrature, le Conseil national de la magistrature et la Cour suprême. Combinées, ces diverses réformes conduisent à saper l’autorité, l’indépendance et la légitimité de la justice constitutionnelle, à entamer la confiance générale à l’égard du système judiciaire polonais, étant donnée la remise en cause structurelle de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Des dispositions relatives à la déclaration de patrimoine des juges polonais, à leur mutation ou aux procédures disciplinaires à leur encontre, ou encore, des dispositions concernant les compétences du ministre de la Justice dans l’appréciation du travail des juridictions, ont en particulier suscité de sérieuses inquiétudes. Dans ses diverses recommandations adoptées « concernant l’État de droit en Pologne », la Commission a fait part de ses préoccupations à ce sujet, allant même jusqu’à constater l’existence d’une menace systémique envers l’État de droit dans cet État.
Pour faire face à cette nouvelle crise, les institutions européennes, au premier rang desquelles la Commission, ont adopté une série de mesures, utilisant les mécanismes « classiques » de protection de l’État de droit comme des mécanismes plus récents 4. Activé pour la première fois en réponse à la situation polonaise, le nouveau cadre de l’Union européenne pour l’État de droit (de 2014), suivi du déclenchement de la première phase de l’article 7 TUE et de plusieurs procédures d’infraction, n’a toutefois pas freiné la poursuite du calendrier des réformes judiciaires dans cet État.
En adoptant l’optique du juriste européaniste, on pourrait examiner la manière dont les institutions européennes ont traité cette grave crise politique provoquée par les réformes judiciaires en Pologne. À quels mécanismes juridiques et politiques ont-elles eu recours, et pour répondre à quels types d’atteintes à l’État de droit ? (I.) Après cette présentation des garde-fous existants, il conviendrait également de questionner leur impact sur les réformes visées (II.). À ce titre, les limites inhérentes à ces mécanismes devront être exposées, tout comme la réflexion sur d’autres mécanismes de protection de l’État de droit en Europe.
I- Les instruments de gestion de la crise provoquée par les réformes judiciaires polonaises
Les réformes judiciaires entamées depuis la fin de l’année 2015 en Pologne font peser, aux dires notamment de la Commission européenne, une menace systémique sur l’État de droit (A.). Face à cette menace, les institutions européennes ont adopté une batterie de mesures, recourant en cela à des instruments connus du droit de l’Union, tout comme en mettant en œuvre des mécanismes plus récents (B.).
A- La nature systémique des atteintes à l’État de droit en Pologne
Parmi les travaux ayant porté sur la notion d’État de droit, la « Liste des critères de l’État de droit » adoptée par la Commission de Venise pour la démocratie par le droit en mars 2016 se révèle très utile en ce qu’elle fournit un instrument détaillé d’évaluation du degré de respect de l’État de droit des pays, fondé sur une liste de questions visant leurs structures constitutionnelles et politiques, leur législation en vigueur et leur jurisprudence 5. Les critères en tant que tels sont 1) la légalité, 2) la sécurité juridique, 3) la prévention de l’abus de pouvoir, 4) l’égalité devant la loi et la non-discrimination, 5) l’accès à la justice, 6) ainsi qu’une énonciation de « défis » de l’État de droit : la corruption et les conflits d’intérêts, mais également la collecte des données et la surveillance. Dans cette liste de la Commission de Venise, ces critères sont déclinés en sous-critères. Ainsi, le critère de la légalité est-il notamment décliné dans l’exigence de primauté du droit, de respect du droit ; le critère de la sécurité juridique contient notamment les sous-critères de l’accessibilité des décisions de justice, de stabilité et de cohérence du droit ; le critère de l’accès à la justice comprend les sous-critères de l’indépendance et de l’impartialité (ce sous-critère renvoie lui-même notamment à l’indépendance du pouvoir judiciaire ainsi qu’à l’indépendance des juges eux-mêmes, et à l’autonomie du Ministère public), du procès équitable, de la justice constitutionnelle.
La mise en perspective de l’ensemble de ces critères avec les implications des réformes judiciaires polonaises ne peut que laisser sidéré. En particulier, la lecture de certaines des questions de l’outil interpelle, comme celle de savoir si la constitutionnalité de la législation est garantie, ou celle de savoir si le pouvoir exécutif se conforme dans son action à la Constitution et aux autres normes de droit, ou celle concernant l’accès du public aux décisions de justice, ou encore, celle visant l’existence d’un dispositif de prévention de l’arbitraire et de l’abus de pouvoir par les autorités publiques. C’est surtout la réponse aux questions du chapitre visant l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire qui soulève le plus d’interrogations vis-à-vis des réformes récentes en Pologne. Ces questions aident notamment à déterminer si les principes fondamentaux de l’indépendance de la justice, y compris des procédures et critères objectifs pour la nomination, la titularisation, la discipline et la révocation des magistrats figurent dans la Constitution ou dans la législation ordinaire, mais également à déterminer si la révocation n’est possible qu’en cas d’infraction grave ou si le juge ne peut plus accomplir ses fonctions judiciaires, ou encore, si l’organe infligeant les sanctions disciplinaires aux juges est indépendant, s’il existe un conseil de la magistrature indépendant, ou, de façon subjective, si la justice est perçue comme indépendante. L’autonomie du bureau du procureur au sein de la structure étatique, et particulièrement, à l’égard du pouvoir exécutif, est également soulignée.
La lecture de la partie résumant le contenu des réformes judiciaires dans les quatre recommandations concernant l’État de droit en Pologne donne l’impression d’être dans un mauvais film ou à une époque révolue, en tout cas pas dans l’espace européen. Cependant, ces nouvelles lois ont bien été adoptées et sont entrées en vigueur.
La première recommandation de la Commission concernant l’État de droit en Pologne 6, de juillet 2016, a fait suite à des modifications initiées en novembre 2015 par les autorités polonaises dans la composition du Tribunal constitutionnel, la durée des mandats de ses présidents et vice-présidents d’alors ayant été raccourcie. Le 28 décembre 2015, une loi modifiant le fonctionnement du Tribunal constitutionnel et l’indépendance de ses juges est entrée en vigueur. Elle imposait notamment l’exigence d’un traitement chronologique des affaires au sein du Tribunal, empêchant de facto que certaines lois récentes et sensibles (comme une loi sur les médias, des lois sur le ministère public, une loi sur le médiateur) fassent dans l’immédiat l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
La Commission a demandé au gouvernement polonais, dès le 23 décembre 2015, d’être informée de la situation constitutionnelle en Pologne. Les différentes réponses reçues de la part des autorités polonaises à ce sujet n’ont pas pu mettre un terme à ses inquiétudes. Le 9 mars 2016, le Tribunal constitutionnel devait déclarer inconstitutionnelle la loi entrée en vigueur le 28 décembre 2015. Cette décision n’a cependant pas été publiée au Journal officiel par le gouvernement, qui l’a ainsi privée d’effet juridique.
Un peu plus de sept mois après la première loi sur le Tribunal constitutionnel, une nouvelle loi sur cette juridiction est entrée en vigueur, le 1er août 2016. Cette nouvelle loi offre notamment au procureur général la faculté d’empêcher l’examen d’une affaire. Ce procureur général, qui est aussi ministre de la Justice 7, permet ainsi au gouvernement une interférence directe avec le traitement des affaires au sein du Tribunal constitutionnel. Le 11 août, le Tribunal constitutionnel rendait une décision dans laquelle il énonçait que certaines des dispositions de cette loi étaient inconstitutionnelles « au regard, notamment, des principes de séparation et d’équilibre des pouvoirs, de l’indépendance des cours et tribunaux vis-à-vis des autres branches du pouvoir, de l’indépendance des juges et du principe d’intégrité et d’efficacité des institutions publiques » 8. Une nouvelle fois, le gouvernement polonais a refusé de publier cette décision au Journal officiel, niant ainsi sa validité. À compter de la fin novembre 2015, les autorités ont, de façon quasi surréaliste, empêché que trois juges nommés par l’assemblée précédente du Sejm (Diète – chambre basse du Parlement) prennent leurs fonctions au sein du Tribunal constitutionnel. Dans le même temps, la nouvelle assemblée nommait trois juges sans base juridique valable. Preuve de l’emprise de l’exécutif sur le pouvoir judiciaire, le 18 août 2016, les magistrats du parquet annonçaient l’ouverture d’une enquête pénale contre le président du Tribunal constitutionnel, étant donné qu’il avait empêché les trois juges nommés en décembre 2015 de prendre leurs fonctions. Pour la Commission, « aussi longtemps que le Tribunal constitutionnel sera empêché d’assurer pleinement un contrôle effectif de la constitutionnalité, il ne sera procédé à un aucun examen utile de la conformité avec la Constitution des actes législatifs […], notamment sous l’angle des droits fondamentaux. » 9 La Commission concluait sa première recommandation en estimant que l’État de droit en Pologne était confronté à une menace systémique, recommandant aux autorités polonaises l’adoption de plusieurs mesures d’urgence dans un délai de trois mois, ce qui n’a pas été fait.
Ayant ainsi verrouillé le contrôle de constitutionnalité des lois, le PiS a ensuite fait adopter une série de lois, comme la loi relative au Conseil national de la magistrature, qui prévoit la participation du Parlement à l’élection des membres de ce Conseil (ils étaient initialement élus par leurs pairs parmi les juges), ou la loi relative à la Cour suprême 10. et à l’organisation des tribunaux de droit commun. Le 25 juillet 2017, le Président de la Pologne a promulgué la loi sur l’organisation des tribunaux ordinaires, qui renforce les pouvoirs du ministre de la Justice concernant l’organisation des tribunaux, la nomination et la révocation de leurs présidents. Dans ses recommandations ayant suivi la première recommandation concernant l’État de droit en Pologne, la Commission fournit une analyse complète de ces différentes lois et de leurs conséquences, s’alarmant de leur impact sur l’indépendance des juges, la séparation des pouvoirs, et enfin, sur l’État de droit.
Le recours, par la Commission, à ce nouveau cadre pour l’État de droit n’est qu’une des réactions des institutions européennes face à cette crise.
B- L’éventail des réactions des institutions européennes
Chacune des institutions européennes a adopté des mesures pour tenter de faire infléchir la position du gouvernement polonais. Étant donné le rôle central exercé par la Commission en tant que gardienne des traités, sa stratégie pour faire face à la situation sera présentée en premier lieu.
À cet égard, le « nouveau cadre de l’Union européenne pour renforcer l’État de droit » précité, adopté en mars 2014 par cette institution, mérite l’attention 11. Pensé en réaction à la situation hongroise, pour remédier à la relative impuissance de l’Union pour faire face aux violations des valeurs européennes par les États membres, qui n’avait jusqu’alors à sa disposition que l’arme « nucléaire » de l’article 7 TUE, ce mécanisme vise à doter l’Union de moyens d’agir plus rapides et efficaces en cas de menace systémique envers l’État de droit dans l’un des États membres. Il comporte trois phases : une première phase d’évaluation, la Commission devant alors examiner s’il existe des indices clairs de menace systémique envers l’État de droit, qu’elle signalera à l’État membre concerné par le biais d’un avis, débutant un dialogue avec lui. Pour ce faire, elle peut s’appuyer sur l’expertise d’organismes externes, comme l’Agence des droits fondamentaux ou la Commission de Venise. La deuxième phase est une phase de recommandation : à défaut d’adoption par ledit État membre de mesures répondant aux préoccupations exprimées par la Commission, cette dernière peut, si elle constate qu’il existe des éléments objectifs indiquant l’existence d’une menace systémique envers l’État de droit, lui adresser une « recommandation sur l’État de droit », lui donnant un délai pour résoudre les problèmes énoncés. Dans le cadre de la troisième phase, et en l’absence de réponse satisfaisante de la part des autorités concernées, la Commission peut employer l’un des mécanismes de l’article 7 TUE.
Mis en œuvre pour la première fois en réponse à la situation polonaise 12, ce nouveau cadre a permis à la Commission d’instaurer une « culture de dialogue » avec les autorités polonaises, mais aussi de pouvoir exprimer ses inquiétudes, constater le défaut de coopération et le mauvais esprit de Varsovie, dans des instruments demeurant cependant non contraignants. C’est ainsi que quatre recommandations concernant l’État de droit en Pologne ont été adoptées par la Commission entre juillet 2016 et décembre 2017. Conçu comme un mécanisme « pré-article 7 », il a en l’occurrence fallu attendre la quatrième recommandation, malgré l’attitude des autorités polonaises de refus de dialoguer adoptée dès la première recommandation un an et demi plus tôt, pour que la Commission se décide à soumettre une proposition motivée conformément à l’article 7, paragraphe 1, TUE 13.
En vertu de cette disposition, sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2 TUE. Ainsi, après plusieurs mises en garde effectuées par le biais de ses recommandations, la Commission, ayant considéré qu’il existait un tel « risque clair d’une violation grave de l’État de droit en Pologne », a décidé de « lancer le coup de feu » en déclenchant, le 20 décembre 2017, cette procédure à l’encontre du gouvernement polonais 14. Le Conseil ne s’est quant à lui toujours pas prononcé en ce sens 15. C’est la première fois que le mécanisme, souvent qualifié d’arme « nucléaire », a été utilisé. Le Parlement y a eu recours pour la deuxième fois le 12 septembre 2018, à l’encontre de la Hongrie. Les eurodéputés ont en effet, à une large majorité, à leur tour demandé au Conseil de constater qu’il existe « un risque clair de violation grave », insistant sur leurs préoccupations concernant l’indépendance de la justice, la liberté d’expression, la corruption, le droit des minorités et la situation des migrants et des réfugiés. Même s’ils n’ont pas abouti, deux signaux politiques ont tout de même ainsi été envoyés.
Le mécanisme le plus contraignant mis en œuvre dans cette crise consistera vraisemblablement dans les trois procédures d’infraction engagées par la Commission à l’encontre de la République de Pologne et ayant abouti à des recours en manquement introduits devant la Cour de justice. À l’issue d’une première procédure d’infraction demeurée infructueuse, sur le fondement de l’article 258 TFUE, la Commission a en effet introduit un premier recours en constatation de manquement à l’encontre de la Pologne le 15 mars 2018. Cette première procédure d’infraction concerne la loi sur les juridictions de droit commun, du fait de la disposition de cette loi relative au départ à la retraite et à son impact sur l’indépendance du système judiciaire 16. Une deuxième procédure d’infraction a été initiée en juillet 2018, par une lettre de mise en demeure concernant la loi polonaise sur la Cour suprême, laquelle est jugée porter atteinte au principe d’indépendance des juges, incluant le principe de l’inamovibilité des juges. La phase suivante de cette procédure d’infraction a été atteinte le 14 août 2018 par l’envoi d’un avis motivé, la réponse fournie par les autorités polonaises à la suite de la lettre de mise en demeure n’ayant pas dissipé les préoccupations juridiques de la Commission. Le 2 octobre 2018, la Commission a donc saisi la Cour de justice d’un deuxième recours en constatation de manquement contre la Pologne, en raison des violations du principe de l’indépendance de la justice instaurées par la nouvelle loi polonaise sur la Cour suprême, et elle a demandé à la Cour d’ordonner des mesures provisoires jusqu’à ce qu’elle ait statué sur l’affaire. La troisième procédure d’infraction a été engagée le 3 avril 2019. Elle vise le nouveau régime disciplinaire s’appliquant aux juges, la Commission voulant, de cette façon, éviter à ces derniers un possible contrôle politique de leur carrière.
Outre ces trois affaires qu’on pourrait qualifier de « procédures principales », des procédures incidentes permettront également d’évaluer la conformité des récentes lois polonaises avec le droit de l’Union. Plusieurs renvois préjudiciels ont, depuis le mois d’août 2018, été introduits par des juridictions polonaises, dont plusieurs renvois par la Cour suprême 17. Ils posent en substance à la Cour la question de la conformité de ces lois polonaises avec les articles 2 (valeurs de l’Union) et 19, paragraphe 1, TUE 18 (droit à une protection juridictionnelle effective devant les juridictions nationales), et avec l’article 47 de la Charte (droit à un recours effectif). Dans d’autres renvois préjudiciels, c’est la conformité des nouvelles procédures disciplinaires contre les juges polonais avec le droit de l’Union qui est questionnée.
À sa façon, la Cour a déjà contribué à l’évaluation des réformes polonaises au regard du droit de l’Union et à l’évolution de la situation des juges dans cet État. Tout d’abord, dans son arrêt du 27 février 2018 Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C-64/16), et dans son arrêt du 25 juillet 2018 rendu dans l’affaire Minister for Justice and Equality/LM (C-216/18 PPU), elle énonce notamment que l’indépendance des juges des États membres appartient aux exigences de la protection juridictionnelle effective. Ensuite, par son arrêt rendu le 17 avril 2018 dans la procédure de manquement contre la Pologne (C-441/17), la Cour a jugé qu’en accroissant son exploitation forestière dans la forêt de Bialowieza, la Pologne avait manqué à ses obligations découlant de plusieurs directives environnementales de l’Union. L’affaire indiquait déjà, dans ce contexte fortement marqué d’opposition franche et de défi lancé par la Pologne à l’ordre juridique européen, la direction que prendraient les institutions européennes dans leur évaluation des réformes polonaises. Enfin, et cette initiative est très certainement la plus spectaculaire de la « saga », tant par son caractère inédit que par ses effets, par une ordonnance de la vice-présidente de cette juridiction du 19 octobre 2018, confirmée par une ordonnance de la Grande chambre du 17 décembre 2018, la Cour a enjoint aux autorités polonaises de suspendre immédiatement l’application de la loi relative à la Cour suprême 19. L’ordonnance de la vice-présidente constituait un précédent à plusieurs titres : en vertu de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour, cette dernière s’est prononcée, dans le cadre de la procédure de référé, avant que la Pologne n’ait présenté ses observations (elle l’a été dans le cadre de l’ordonnance du 17 décembre), confirmant l’urgence de la situation. En outre, l’ordonnance du 19 octobre produit des effets rétroactifs, imposant au gouvernement polonais la suspension rétroactive de l’application des dispositions nationales contestées. Enfin, la Cour paraît confirmer, comme elle l’avait énoncé dans l’arrêt précité Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C-64/16), que l’article 19 du TUE constitue l’une des normes de référence en matière de contrôle des mesures nationales portant sur le statut de la magistrature (le recours en manquement introduit par la Commission en l’espèce visait tant cette disposition que l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux). La Pologne a donné suite à ces ordonnances, réintégrant les juges de la Cour suprême et de la Cour administrative suprême mis à la retraite par la loi en cause. 20. Le bras de fer entre la Cour et le gouvernement polonais semble ainsi, depuis la fin de l’année dernière, incliner en faveur de la première.
À côté de cette réaction rapide et suivie d’effets de la part de la Cour, le Conseil s’est quant à lui illustré, dans le traitement de cette crise, par une certaine inaction. Afin de garantir le respect de l’État de droit, il prône depuis une note de novembre 2014 21 la tenue d’un « dialogue constructif entre les États membres », lequel pourrait « être atteint en encourageant le dialogue politique au sein du Conseil en ce qui concerne les principes d’objectivité, de non-discrimination, d’égalité de traitement, sur une approche non partisane et fondée sur des éléments probants ». Ce dialogue a débuté un mois plus tard, au sein du Conseil « Affaires générales ». Or, des « comptes rendus des dialogues qui ont eu lieu en novembre 2015 et en mai 2016, il ressort clairement que cet exercice est on ne peut plus minimaliste » 22. Cette attitude de retrait s’est également manifestée lors des débats sur l’État de droit en Pologne, dont il est ressorti que les ministres préconisaient de « poursuivre le dialogue entre la Commission et la Pologne. » 23.
À l’inverse, le Parlement européen, préoccupé par les situations polonaise et hongroise, a proposé une mesure ambitieuse pour améliorer le recours à l’article 7 TUE. Dans sa résolution du 25 octobre 2016 24, il proposait un projet de pacte interinstitutionnel « pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux », sous la forme d’un accord avec le Conseil et la Commission. Selon ce texte, la Commission aurait la charge de préparer chaque année un rapport européen sur la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux, décrivant la situation dans les États membres, après avoir consulté des experts indépendants. Ce rapport serait discuté chaque année entre le Parlement européen, le Conseil, la Commission et les parlements nationaux. La Commission pourrait notamment se fonder sur ce rapport pour intenter une action en manquement. En outre, ce projet prévoyait, de façon audacieuse, que si le rapport permettait de conclure à l’existence, dans un État membre, d’un risque clair de violation grave des valeurs de l’Union, le Parlement, le Conseil et la Commission devraient examiner la situation de cet État et se prononcer sur une décision motivée sur le recours à l’article 7, paragraphe 1, TUE. La Commission a réservé un accueil négatif à ce projet, y voyant un apport limité aux mécanismes existants.
Au-delà de ce projet, le Parlement européen a adopté de nombreuses résolutions sur la situation en Pologne 25, sans toutefois le vote de nombreux élus du Parti populaire européen, priant la Commission d’agir. De nombreux travaux de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) ont également porté sur ces questions 26. C’est en outre le Parlement qui décidait, face à l’inaction de la Commission vis-à-vis de la situation en Hongrie, de lancer la procédure de l’article 7, § 1, TUE.
Malgré l’adoption de ces différentes mesures, la plupart des lois polonaises controversées sont entrées en vigueur, marque d’un contrôle européen limité de l’État de droit dans les États membres.
2- Un contrôle européen de l’État de droit ne freinant pas les réformes visées
Les mécanismes actuels de protection de l’État de droit dans l’Union européenne, s’ils ont le mérite d’exister, présentent toutefois certaines limites (A.). D’autres mécanismes ont pu être proposés en doctrine, pour assurer une protection plus efficace de l’État de droit au sein des États membres (B.).
A- Les limites des mécanismes actuels de protection de l’État de droit
La première limite des mécanismes de protection de l’État de droit existant dans l’Union européenne réside certainement dans la discussion sur la compétence de l’Union pour intervenir dans ce domaine, et ainsi, sur sa légitimité pour régir la matière. Pour d’aucuns, « la logique de base de l’intégration repose […] sur la possession en commun des valeurs, des principes politiques essentiels ». « Ce n’est que ce présupposé qui permet d’admettre le réaménagement « définitif » et l’exercice en commun de certains droits souverains. » 27 Pour autant, dans le système de répartition des compétences, l’Union ne dispose pas de base légale pour contrôler le respect de l’État de droit dans les États membres. Bien plus, en vertu des principes d’attribution (art. 5, § 1 et 2, TUE) et de subsidiarité (art. 5, § 3, TUE), les États membres ont une compétence exclusive s’agissant de l’organisation de leurs pouvoirs constitués, dont le pouvoir judiciaire. Pour certains auteurs, « en l’absence de compétence en matière d’organisation judiciaire, l’action de l’Union peut se fonder sur une compétence en matière de garantie de l’État de droit. Celle-ci peut en particulier se justifier par le fait que l’État de droit est à la fois une valeur, un objectif et une nécessité fonctionnelle de l’Union. » 28
Néanmoins, comme le souligne le Professeur Pierré-Caps, le moment constitutionnel des PECO, renouvelé par la perspective d’adhésion à l’Union, a notamment participé « d’un conditionnement externe par les organisations européennes : de l’ingénierie constitutionnelle pratiquée par la Commission de Venise au nom des standards normatifs du Conseil de l’Europe, à la disparition du principe de l’autonomie constitutionnelle de l’État en Bosnie-Herzégovine, en passant par les critères » de Copenhague, « rarement des États indépendants auront été aussi « assistés » dans le processus d’émancipation de leur propre société politique ». Or, précise-t-il encore, « cette assistance s’est apparentée à ce que certains auteurs n’ont pas hésité à appeler une « mise sous tutelle » des États concernés », « destinée à produire, par effet d’accoutumance et d’acculturation, des comportements politiques et des régulations juridiques conformes aux standards européens. » 29 La quête d’affirmation des sociétés concernées, renforcée par les crises économique et migratoire et les interrogations sur la finalité du projet politique européen, s’en serait, selon le même auteur, trouvée exacerbée.
Plus fondamentalement, il pourrait être avancé que la question soulevée par cette remise en cause des valeurs de l’Union est celle de la démocratie dans l’Union et du modèle de démocratie pour l’UE. Ainsi, plus qu’une crise de l’État de droit, il existe certainement une crise du concept de démocratie libérale, que la montée des extrêmes partout en Europe manifeste d’une autre façon. 30 Pour résoudre cette « crise des valeurs », l’Union devra également se poser sérieusement la question de son modèle de constitutionnalisme, tant « la promotion d’un « idéal froid, rationnel, d’un ordre purement civique, sans mythe et identités ancrés dans l’émotion » » n’est pas parvenue à générer un sentiment d’appartenance européen. En outre, la « promotion de l’État de droit au titre de la conditionnalité préalable à l’adhésion à l’Union a sans doute occulté le problème de l’ancrage démocratique des États concernés, qui, pour la plupart […], ne pouvaient se prévaloir d’un authentique passé démocratique antérieur à la Seconde Guerre mondiale. » 31
Au-delà de ce problème de compétence et de cette remise en cause profonde du modèle de la démocratie libérale, les mécanismes existants de protection de l’État de droit de l’Union présentent eux-mêmes certaines limites.
S’agissant du nouveau cadre de la Commission pour l’État de droit, en dépit du fait qu’il offre à l’Union une capacité de réaction plus importante en cas de menace existant à ce sujet dans un État membre, il est possible de dire qu’il contenait en germe les freins à son efficacité. En premier lieu, les recommandations adoptées dans ce cadre sont des instruments juridiques qui ne lient pas. La base juridique en vertu de laquelle elles ont été adoptées, à savoir l’article 292 TFUE 32, rappelle d’ailleurs l’absence de compétence normative de l’Union dans ce domaine. Il était ainsi prévisible qu’un gouvernement déterminé à avancer ne se sente pas limité par ce type de normes. En deuxième lieu, un autre risque que fait courir ce mécanisme « pré-article 7 » est qu’il retarde le déclenchement de l’article 7, paragraphe 1, TUE, étant donné également que la notion de « menace systémique » ne fait pas l’objet d’un consensus.
Plus généralement, le constat de l’inaction du Conseil, les difficultés politiques des institutions européennes à déclencher l’article 7 TUE et la contrainte de l’unanimité rendant ce mécanisme inemployable, la logique diplomatique plus que « communautaire » régnant au Conseil et au Conseil européen, la nature non contraignante de la plupart des mesures adoptées par les institutions européennes lors de cette crise liée aux réformes judiciaires polonaises n’ont pas pu empêcher les autorités polonaises de faire entrer en vigueur la plupart de leurs réformes judiciaires.
Il serait ainsi loisible d’affirmer que des mécanismes européens de protection/ou de contrôle de l’État de droit existent au sein de l’Union européenne, qu’ils ont même, pour certains, été renforcés. En revanche, leur efficacité reste limitée. De nouveaux outils de protection de l’État de droit ont pu être proposés en doctrine.
B- De nouveaux mécanismes de protection de l’État de droit à élaborer
La perspective de renforcer les mécanismes actuels de protection des valeurs de l’Union supposerait de modifier les traités, ce qui semble exclu à moyen terme. La Hongrie et la Pologne s’y opposeraient assurément, probablement soutenus par leurs alliés du groupe de Visegrad.
Parmi les différentes propositions visant à renforcer la protection de l’État de droit dans l’Union, l’une d’entre elles retient en particulier l’attention. Il s’agit de l’idée de J.-W. Müller, qui suggérait l’instauration d’un « gardien » de la démocratie au niveau de l’Union, chargé de déterminer s’il existe une menace à la démocratie et à l’État de droit. Il le nommait « Commission de Copenhague », sur le modèle de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, mais la voulait dotée de pouvoirs décisionnels. Selon sa proposition, dans l’hypothèse où un État membre ne se conformerait pas aux « recommandations » de ce comité (lequel serait indépendant et composé d’experts, choisis parmi des juges, des universitaires), la Commission serait obligée d’imposer une sanction à cet État, cette sanction prenant la forme d’une réduction des subsides. 33 Étant donné que sa mise en place nécessiterait également une modification des traités, puisque ce comité aurait des pouvoirs contraignants, cette proposition ne semble cependant pas concevable dans un avenir proche.
Une autre proposition visant à renforcer la protection de l’État de droit, certainement plus réalisable et efficace, a été de suggérer la suspension des subsides de l’Union aux États membres ne respectant pas cette valeur. Cette proposition a même connu un développement institutionnel puisqu’elle a fait l’objet d’une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’état de droit dans un État membre 34 Une telle réforme signifierait, de fait, la perte de millions voire de plusieurs milliards d’euros pour les États concernés, constituant ainsi un moyen de pression sérieux. Cette réforme du système des fonds structurels a par ailleurs l’avantage de ne pas nécessiter le recours au vote à l’unanimité, se distinguant en cela de l’article 7, § 2, TUE. En effet, la législation concernant les fonds structurels repose sur les articles 177 et 178 TFUE, et ces dispositions prévoient l’adoption de règlements en recourant à la procédure législative ordinaire. Cependant, une telle proposition ferait certainement l’objet de négociations compliquées au Conseil.
En outre, une autre proposition peut également être exposée, qui a consisté à suggérer d’engager un recours en manquement fondé sur l’article 258 TFUE, pour violation de l’article 2 TUE 35. Selon cette proposition, il conviendrait de repenser le mécanisme du recours en manquement afin de permettre à la Commission de le déclencher non pas seulement lorsqu’elle constate qu’un État membre viole une disposition particulière du droit de l’Union, mais également lorsqu’elle identifie le fait qu’un État membre s’engage dans un processus de violation systémique des valeurs de l’Union. L’article 2 TUE ne produirait, de la sorte, plus uniquement ses effets par le biais du mécanisme politique de l’article 7 TUE, mais il pourrait servir de base à un recours juridique. Parmi les objections à cette proposition, certains auteurs ont pu toutefois relever que l’article 2 TUE, en raison de sa formulation en termes généraux, ne pouvait pas se prêter à un recours en manquement. 36 Il semble en effet pour le moins délicat de créer des définitions faciles à employer par le juge de termes aussi généraux que l’État de droit ou la démocratie.
Enfin, parmi les propositions visant à mieux protéger l’État de droit dans l’Union européenne, celle consistant à introduire une clause d’exclusion dans le Traité sur l’Union européenne peut encore être évoquée. Une telle clause permettrait à l’Union de se séparer d’un État membre qui ne respecterait pas ses valeurs, en particulier les principes de l’État de droit 37. En ce sens, le Pacte de la Société des Nations contenait une telle clause, qui n’a cependant jamais été mise en œuvre (en vertu de l’article 16, paragraphe 4 de ce Pacte du 28 juin 1919, « [p]eut être exclu de la Société tout membre qui s’est rendu coupable de la violation d’un des engagements résultant du pacte. L’exclusion est prononcée par le vote de tous les autres membres de la Société représentés au Conseil. »). La Charte des Nations unies prévoit également ce type de clause, à son article 6, qui dispose que « [s]i un Membre de l’Organisation enfreint de manière persistante les principes énoncés dans la présente Charte, il peut être exclu de l’Organisation par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité. » Cette disposition avait connu un début de mise en œuvre, à l’encontre de l’Afrique du Sud, lors de l’apartheid, mais cette initiative avait été bloquée par plusieurs vetos. Au niveau européen, le Statut du Conseil de l’Europe contient également une telle clause de retrait. 38 Bien qu’ayant pour mérite d’accorder une force indéniable aux valeurs de l’organisation internationale concernée, une telle clause apparaîtrait néanmoins difficile à introduire dans le TUE, requérant également une révision des traités existants, improbable à moyen terme.
Si des mécanismes de protection de l’État de droit existent dans le droit de l’Union, ils apparaissent, pour le moment, malgré le succès auquel le recours en manquement précité a conduit, dotés d’une efficacité limitée. L’Union gagnerait à améliorer ces mécanismes existants, par exemple en envisageant la suspension des subsides aux États récalcitrants. Plus fondamentalement, elle devrait aussi engager une réflexion plus profonde sur son modèle de constitutionnalisme et le modèle démocratique qu’elle entend incarner.
Notes:
- L’opinion exprimée dans cet article reflète un avis personnel et ne représente en aucun cas une position institutionnelle ↩
- Commission européenne, Président Jean-Claude Juncker, Discours sur l’état de l’Union 2017, Bruxelles, 13 septembre 2017. ↩
- Avril Pierre, Gicquel Jean, Lexique de droit constitutionnel, PUF, Paris, 2ème éd., 2009, 127 p., p. 51. ↩
- À ce titre, en mars 2014, la Commission avait adopté « Un nouveau cadre de l’Union européenne pour l’État de droit », dans le but de doter l’Union, en cas de menace pour l’État de droit dans un État membre, d’une capacité d’action plus rapide que celle dont elle dispose en vertu des mécanismes existants (notamment, l’article 7 TUE). Subsidiaire par rapport aux mécanismes nationaux de protection de l’État de droit, il est prévu que ce cadre « doit être activé lorsque les autorités d’un État membre prennent des mesures, ou tolèrent des situations, qui sont susceptibles de porter atteinte de manière systémique à l’intégrité, à la stabilité ou au bon fonctionnement des institutions et aux mécanismes de protection prévus au niveau national pour garantir l’État de droit », Recommandation (UE) 2016/1374 Commission du 27 juillet 2016 concernant l’État de droit en Pologne (JO L 217 du 12.8.2016, p. 53), considérant 6 ↩
- Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), « Liste des critères de l’État de droit », adoptée par la Commission de Venise à sa 106è session plénière, 11-12 mars 2016, Etude n° 711/2013, 18 mars 2016, CDL-AD(2016)007. ↩
- Recommandation (UE) 2016/1374 Commission du 27 juillet 2016 concernant l’État de droit en Pologne, JO L 217 du 12.8.2016, p. 53 ↩
- En vertu de la loi sur le ministère public, promulguée le 28 janvier 2016 et entrée en vigueur le 4 mars 2016, la fusion du cabinet du procureur général avec celui du ministre de la Justice a été introduite. ↩
- Recommandation (UE) 2017/146 Commission du 21 décembre 2016 concernant l’État de droit en Pologne complétant la recommandation (UE) 2016/1374 (JO L 22 du 27.1.2017, p. 65), considérant 10 ↩
- Recommandation (UE) 2016/1374 précitée, points 66 et 71 ↩
- La loi sur la Cour Suprême (entrée en vigueur le 2 avril 2018) instaure une réforme structurelle de cette juridiction, prévoyant notamment la création de deux chambres supérieures aux autres hiérarchiquement, l’une étant chargée des procédures disciplinaires contre les juges de la Cour Suprême et l’autre des recours extraordinaires contre les arrêts de la Cour Suprême. Il est également prévu que les membres non professionnels de ces deux chambres seront élus par le Sénat (pour le GRECO, cela introduit une nouvelle dimension politique dans la procédure disciplinaire applicable aux juges, avec un impact négatif sur l’indépendance du système judiciaire). La durée du mandat des juges à la Cour Suprême est modifiée puisqu’un nouvel âge de départ à la retraite est introduit (passant de 70 à 65 ans), ce nouvel âge s’appliquant aussi aux juges en exercice. Cependant, en vertu de l’article 108 de la Loi sur la Cour Suprême, le Président de la République peut prolonger la durée du mandat de chaque juge à la Cour Suprême au-delà de l’âge de départ à la retraite, ce qui touche directement leur indépendance. En outre, la nomination du premier président et des présidents des cinq chambres de la Cour Suprême sont dorénavant marquées par une influence accrue du gouvernement. V. GRECO (Groupe d’États contre la corruption), Conseil de l’Europe, Rapport sur la Pologne (article 34), Strasbourg, 19-23 mars 2018, Greco-AdHocRep(2018)1, 16 p. ↩
- Communication de la Commission, « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’état de droit », 11 mars 2014, COM/2014/0158 final ↩
- La première recommandation concernant l’État de droit en Pologne date donc du 27 juillet 2016 (recommandation 2016/1374), suivie d’une recommandation complémentaire du 21 décembre 2016 (recommandation 2016/1374). Une troisième recommandation a été adoptée le 26 juillet 2017 (recommandation 2017/1520), qui a confirmé les inquiétudes de la Commission s’agissant de la réforme du système judiciaire polonais, dans laquelle l’institution demandait notamment aux autorités polonaises de ne pas mettre à la retraite un tiers des juges de la Cour suprême, menaçant de recourir à l’article 7 TUE. Le 20 décembre 2017, la Commission devait adopter une quatrième recommandation (2018/103), constatant en outre l’existence d’un risque clair de violation grave de l’État de droit en Pologne, et déclenchant pour la première fois l’article 7 TUE ↩
- En vertu du TUE, pour mémoire, l’article 7 comporte deux étapes successives. Des mesures préventives précèdent un mécanisme de sanctions. L’article 7, paragraphe 1, TUE, déjà enclenché à l’encontre de la Pologne puis de la Hongrie, correspond donc au mécanisme préventif. Avant de constater un tel risque de violation grave des valeurs fondatrices de l’Union par un État membre, « le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations ». Et s’il établit ce constat, il doit surveiller la situation du pays (art.7, § 1, al. 2) et établir un dialogue avec lui. En cas d’absence d’évolution de la situation, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, TUE, le Conseil européen, statuant à l’unanimité (à l’exclusion de l’État membre concerné, en vertu de l’art. 354 TFUE) sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par cet État membre des valeurs visées à l’article 2 TUE. C’est alors la phase de sanction qui est activée. En vertu du paragraphe 3 de cette disposition, à la suite de cette constatation, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’appartenance de l’État membre en question à l’Union, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil. Le Conseil est le seul habilité à décider de lever ou modifier lesdites sanctions, s’il constate « des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures » (art. 7, § 4, TUE). ↩
- Proposition de décision du Conseil relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’état de droit, 20.12.2017, COM/2017/0835 final – 2017/0360 (NLE). La Commission y indique que ses craintes portent sur les questions suivantes : « (1) l’absence de contrôle constitutionnel indépendant et légitime ; (2) l’adoption, par le Parlement polonais, de nouveaux actes législatifs relatifs au système judiciaire qui suscitent de vives préoccupations en ce qui concerne l’indépendance de la justice et accentuent sensiblement la menace systémique pour l’état de droit en Pologne, à savoir : (a) la loi sur la Cour suprême […]; (b) la loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun […] ; (c) la loi portant modification de la loi relative au Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois […] ; (d) la loi portant modification de la loi relative à l’École nationale de la magistrature et du parquet, de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, ainsi que de certaines autres lois […] ». ↩
- Lors de l’« audition concernant l’état de droit en Pologne tenue durant le Conseil des affaires générales du 26 juin 2018 dans le cadre de la procédure prévue à l’article 7, paragraphe 1, les autorités polonaises n’ont fourni aucune indication quant aux futures mesures permettant de lever les craintes persistantes de la Commission ». En outre, le « 18 septembre 2018, une deuxième audition concernant l’état de droit en Pologne a été organisée durant le Conseil des affaires générales, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 7, paragraphe 1. Les autorités polonaises ont une nouvelle fois maintenu leur position et refusé de proposer des mesures visant à répondre aux préoccupations soulevées par la Commission et d’autres États membres. », Commission européenne – Communiqué de presse, « État de droit : la Commission européenne saisit la Cour de justice de l’Union européenne d’un recours contre la Pologne afin de protéger l’indépendance de la Cour suprême polonaise », Bruxelles, le 24 septembre 2018, disponible en ligne. ↩
- Par ce premier recours en constatation de manquement, la Commission reproche à la Pologne d’avoir, par sa loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, introduit des dispositions prévoyant un âge de retraite différent pour les femmes et les hommes occupant des fonctions de juges et d’avoir abaissé l’âge de départ à la retraite des juges des juridictions ordinaires, tout en conférant au ministre de la Justice la faculté de prolonger la durée du mandat des juges, enfreignant ainsi l’article 157 du TFUE, l’article 5, sous a), et l’article 9, § 1, sous f), de la directive 2006/54/CE (relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail), et les dispositions combinées de l’article 19, § 1, deuxième alinéa, du TFUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. ↩
- voir notamment Jacqué Jean-Paul, « La saga de l’indépendance judiciaire en Pologne »; Bault Olivier, « Des juges polonais appellent la Cour de Justice de l’UE à la rescousse contre la démocratie parlementaire », 25/09/2018 ↩
- Cette disposition énonce que la « Cour de justice de l’Union européenne comprend la Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés. Elle assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités. Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. » ↩
- CJUE, Ordonnance de la vice-présidente de la Cour dans l’affaire C-619/18 R, Commission/Pologne, 19 octobre 2018 ; CJUE (grande chambre), Ordonnance du 17 décembre 2018, C-619/18 R, Commission/Pologne ↩
- Zagorski Wojciech, « Commission/Pologne : la Cour de Luxembourg vient au secours des juges polonais », 16 janvier 2019, Jus Politicum, <http://blog.juspoliticum.com/2019/01/16/commission-pologne-la-cour-de-luxembourg-vient-au-secours-des-juges-polonais-par-wojciech-zagorski/#_ftn5> ↩
- Conseil de l’Union européenne, Note « Garantir le respect de l’État de droit dans l’Union européenne », 14/11/2014, 15206/14, disponible sous le lien suivant : <http://register.consilium.europa.eu/doc/srv?l=FR&f=ST%2015206%202014%20INIT> ↩
- Waelbroeck Michel, Oliver Peter, « La crise de l’État de droit dans l’Union européenne : que faire ? », Cahiers de droit européen, 01.04.2017, n° 2, p. 299-342, p. 322 ↩
- Ibid., citant le document 9299/17 du Conseil ↩
- Parlement européen, Résolution du 25 octobre 2016 contenant des recommandations à la Commission sur la création d’un mécanisme de l’Union pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux (2015/2254(INL), P8_TA(2016)0409 ↩
- Voir notamment la Résolution du 13 avril 2016 sur la situation en Pologne (2015/3031(RSP)), P8_TA(2016)0123 ; la Résolution du 14 septembre 2016 sur les récentes évolutions en Pologne et leurs conséquences sur les droits fondamentaux inscrits dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2016/2774(RSP)), P8_TA(2016)0344 ; la Résolution du 15 novembre 2017 sur la situation de l’état de droit et de la démocratie en Pologne (2017/2931(RSP)), P8_TA(2017)0442 ; la Résolution du 1er mars 2018 sur la décision de la Commission de déclencher l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne en ce qui concerne la situation en Pologne (2018/2541(RSP)), P8_TA(2018)0055 ; la Résolution du 12 septembre 2018 relatif à une proposition invitant le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée (2017/2131(INL)), P8_TA-PROV(2018)0340. ↩
- Ils ont en particulier procédé à une évaluation de la situation en termes d’État de droit et de respect des valeurs fondamentales en se rendant en Pologne, voir le Communiqué de presse du 19/09/2018, « État de droit en Pologne : les députés évalueront la situation sur le terrain », disponible sous le lien suivant : <http://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20180917IPR13653/etat-de-droit-en-pologne-les-deputes-evalueront-la-situation-sur-le-terrain>. ↩
- Blanquet Marc, « L’Union européenne est-elle une Communauté ? Est-elle une communauté ? », RUE 2018, p. 507 et s. ↩
- Pech Laurent, Platon Sébastien, « Menace systémique envers l’État de droit en Pologne : entre action et procrastination », 13/11/2017, Fondation Robert Schuman, Question d’Europe n° 451, 11 p., point 4.2. ↩
- Pierré-Caps Stéphane, « Crise des valeurs de l’Union européenne ou crise des valeurs nationales ? Les valeurs de l’Union européenne et la question du démos », RUE 2017, p. 402 et s. ↩
- En ce sens, voir Kauffmann Sylvie, « Après le rideau de fer, la fracture démocratique », Le Monde, 26 juin 2018, p. 18-19, p. 19. ↩
- Pierré-Caps Stéphane, « Crise des valeurs de l’Union européenne […] », op. cit. ↩
- En vertu de cette disposition, « [l]e Conseil adopte des recommandations. Il statue sur proposition de la Commission dans tous les cas où les traités prévoient qu’il adopte des actes sur proposition de la Commission. Il statue à l’unanimité dans les domaines pour lesquels l’unanimité est requise pour l’adoption d’un acte de l’Union. La Commission, ainsi que la Banque centrale européenne dans les cas spécifiques prévus par les traités, adoptent des recommandations. » ↩
- Müller Jan-Werner, « Protecting the Rule of Law (and democracy!) in the EU: the Idea of a Copenhagen Committee », in Closa Carlos et Kochenov Dimitry (eds.), Reinforcing Rule of Law Oversight in the European Union, Cambridge University Press, Cambridge, 2016, p. 206-224. Du même auteur, voir également « A Democracy Commission of One’s Own, or What it would take fir the EU to safeguard Liberal Democracy in its Member States », in Jakab Andras, Kochenov Dimitry (eds.), The Enforcement of EU Law and Values – Ensuring Member States’s Compliance, Oxford University Press, Oxford, 540 p., p. 234-251. ↩
- Proposition du 02/05/2018, COM/2018/324 final – 2018/0136 (COD). ↩
- Voir notamment Scheppele Kim Lane, « Enforcing the Basic Principles of EU Law through Systemic Infringement Actions », in Closa Carlos et Kochenov Dimitry (eds.), Reinforcing Rule of Law Oversight in the European Union, op. cit., p. 105-132) ↩
- Kochenov Dimitry, Pech Laurent et Platon Sébastien, « Ni panacée ni gadget : le « nouveau cadre de l’Union européenne pour renforcer l’État de droit » », RTDE, 2015, p. 689 et s., p. 699. ↩
- voir notamment Rodrigues Stéphane, « Une procédure de retrait forcé à l’encontre des États violant les valeurs communes de l’Union européenne », 19 mars 2017 ↩
- Voir son article 6, en vertu duquel « [t]out Membre du Conseil de l’Europe qui enfreint gravement les dispositions de l’article 3 peut être suspendu de son droit de représentation et invité par le Comité des Ministres à se retirer dans les conditions prévues à l’article 7. S’il n’est pas tenu compte de cette invitation, le Comité peut décider que le Membre dont il s’agit a cessé d’appartenir au Conseil à compter d’une date que le Comité fixe lui-même. » ↩
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