Une question de confiance : nature juridique de l’Union européenne et adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme
Édouard DUBOUT est Professeur à l’Université Paris-Est Créteil et Directeur du Master Droit européen / European Law
Introduction : Bis repetita ?
L’unification tant espérée de la protection des droits fondamentaux dans l’espace européen attendra encore. Réinterrogée sur le point de savoir si l’Union peut juridiquement adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour de justice ne change pas d’avis, mais elle en précise les fondements 1. L’entêtement à s’opposer au processus d’unification des deux Europes est le résultat visible. Il procède toutefois d’un raisonnement innovant, qui conduit l’Assemblée plénière de la Cour de justice à dévoiler une vision constitutionnelle partiellement inédite de ce qu’est l’Union européenne et de ce qui fait sa nature profonde. D’aucuns la jugeront exagérée et surtout inappropriée. Pourtant, la posture adoptée présente l’intérêt d’envisager l’Union européenne non plus seulement à travers la relation qui lie l’Union à ses États membres, mais également à travers celle qui unit les États membres de l’Union entre eux. Après avoir identifié la place et la portée de ce nouveau prisme d’analyse constitutionnelle, il s’agira d’éprouver l’idée selon laquelle la préservation de la confiance entre les systèmes nationaux justifierait une certaine défiance entre les systèmes supranationaux.
Il faut reconnaître que l’évolution du contexte politique et institutionnel européen pourrait déjà expliquer un sentiment de défiance, ou à tout le moins de méfiance, entre les systèmes européens. Du côté du système de la Convention, la situation est peu reluisante et l’on peut comprendre à certains égards la réticence à s’y associer. Crise d’efficacité et crise de légitimité, concrétisées par une résurgence de l’idée de subsidiarité dans les dernières révisions issues des Protocoles n° 15 et 16 à la Convention, ne sont pas des incitateurs forts pour risquer de subir par ricochets des reproches jusqu’alors pour partie évités. Du côté du système de l’Union, la situation ne va pas sans difficulté non plus. Une crise politique importante agite l’intégration économique et les institutions qui en ont la charge, mais le système juridictionnel semble dans une position en apparence plus favorable. Le principal défi actuel pour la Cour de justice est de nouer le dialogue avec les juridictions constitutionnelles nationales, plus particulièrement s’agissant des questions de standards de protection des droits fondamentaux. Les premières saisines espagnole 2 et française 3 sont des indicateurs importants de l’élévation constitutionnelle progressive de la coopération juridictionnelle dans l’Union. Le processus demeure néanmoins fragile comme en témoigne la fausse note stridente provoquée par l’irruption de la cour constitutionnelle allemande dans l’orchestre des juges 4. Dans ce contexte charnière de l’histoire du renvoi préjudiciel, le moment peut sembler mal venu d’interrompre brutalement une patiente évolution de ralliement des juges nationaux au système juridictionnel de l’Union en posant le principe que l’arbitrage ultime sur l’interprétation des valeurs communes sera opéré au niveau de la Convention. Le signal donné serait celui d’une absence d’utilité de la participation des juges constitutionnels au dialogue préjudiciel avec la Cour de justice.
En contrepoids, d’autres éléments de contexte juridique semblaient au contraire particulièrement favorables à l’adhésion. Au moment de l’avis 2/13, la situation est bien différente de celle d’avis 2/94, ne serait-ce parce que cette fois non seulement l’adhésion était constitutionnellement programmée par l’article 6 §2 TUE, mais également parce qu’un consensus presque inespéré et tout cas exceptionnel avait réuni à la fois les institutions de l’Union, l’ensemble de ses États membres, et l’intégralité des États membres de la Convention. En parvenant à trouver un équilibre difficile en vue de préserver les spécificités de chacun des systèmes en présence, le projet d’accord d’adhésion était, en soi, déjà une réussite 5. Même l’Avocat général, bien que soulevant certains arguments de blocage, n’avait pas osé s’opposer ouvertement et définitivement dans sa prise de position à un rapprochement qui semblait inéluctable 6. Pour jouer les trouble-fêtes et rompre le consensus entourant le projet d’adhésion, la Cour de justice a dû puiser dans des ressources argumentatives particulièrement fortes, celles qui façonnent les décisions fondatrices d’un système juridique. Formellement, elle estime que l’accord envisagé a méconnu le mandat de négociation de l’adhésion tel qu’il découle de l’article 6 §2 TUE, précisé par le Protocole n° 8 annexé aux traités. Plus profondément, le constat d’incompatibilité s’appuie sur des arguments constitutionnels tenant à la fois à l’indépendance, mais aussi à l’existence même du système juridique de l’Union européenne tel qu’il s’est construit. C’est pourquoi, le second rejet du processus d’adhésion prend une tournure dramatique, presque tragique, à l’issue de laquelle une incompatibilité génétique entre les modes de fonctionnement des mécanismes européens supra-nationaux est esquissée, et qui pourrait sonner le glas des fragiles compromis jusqu’alors réciproquement concédés.
Il est peu dire que l’avis ne fait pas dans la demi-mesure. A suivre la Cour de justice, rien, ou presque, dans le projet d’adhésion n’est compatible avec le système juridique de l’Union européenne. Les mécanismes savamment élaborés pour tenir compte de la situation particulière de l’Union européenne, comme la procédure de co-défendeur et celle de l’implication préalable, n’ont pas trouvé grâce aux yeux des juges de l’Union qui ont fait preuve d’une grande défiance à l’égard de ceux de la Convention. Sans entrer dans les méandres, parfois tortueuses, de la dizaine d’incompatibilités décelées 7, la Cour de Luxembourg estime que sont potentiellement menacés des aspects aussi divers que la reconnaissance mutuelle, le principe de primauté interne, la répartition des compétences, la procédure de renvoi préjudiciel, la procédure de règlement des différends interétatiques, l’injusticiabilité de la PESC, ou encore même l’intégrité des réserves étatiques à la Convention… Plusieurs possibilités de regrouper ces incompatibilités inter-systémiques sont envisageables. Une formule semble néanmoins éloquente, et permet de synthétiser les éléments qui s’opposent au projet d’adhésion : ils se rattachent ultimement à « la préservation des caractéristiques spécifiques et de l’autonomie de cet ordre juridique » 8. Mettre en avant une spécificité afin d’en inférer une autonomie n’est pas une nouveauté 9. Couple infernal, spécificité et autonomie sont depuis toujours allégrement fusionnées dans la rhétorique de l’intégration européenne, au point qu’un observateur averti puisse douter de l’ordre des arguments. Mais, à tout dire, il est difficile de trouver dans les traités fondateurs des éléments permettant d’y voir une réelle spécificité, autre éventuellement qu’une différence de degré avec les autres formes d’organisation internationale 10. Le particularisme découle bien plutôt des principes forgés par la Cour de justice au nom de l’autonomie du système dont elle a charge de réguler le fonctionnement, ce qui fait que par un étrange renversement de l’ordre des arguments, la spécificité est bien plutôt la conséquence de l’affirmation de l’autonomie que sa véritable cause. Car une fois progressivement acceptée par le droit positif et les acteurs qui le font vivre, cette autonomie devient réalité en faisant de l’Union l’être spécifique qu’elle n’était peut-être pas dès l’origine 11.
Le problème que pose l’adhésion est qu’à peine intégrée dans les esprits, l’émancipation européenne de son origine internationale sur le fondement du couple autonomie et spécificité est à nouveau menacée. Quelque part, l’adhésion renvoie l’Union à son atavisme international en la réintégrant dans le giron du droit international 12. Cela force la Cour de justice à franchir une nouvelle étape argumentative destinée à réactiver la formule de « la nature spécifique originale » de l’arrêt Costa en cherchant à l’ancrer dans des caractéristiques plus profondes. En effet, dans le raisonnement tenu par la Cour de justice, il est possible d’isoler les différents arguments mobilisés à l’encontre de l’adhésion selon qu’ils ont trait à la préservation de l’indépendance de l’Union ou plus radicalement à son essence même. On voudrait par cette esquisse de typologie émettre la suggestion que les atteintes à l’indépendance du système de l’Union semblaient inévitables et seront éventuellement surmontables, tandis que les atteintes à l’essence du système de l’Union n’ont guère été envisagées et seront plus difficilement dépassées en ce qu’elles touchent précisément à l’insaisissable qualité de l’Union européenne. C’est pourquoi, au terme d’une reconstruction, volontairement assez libre, de l’avis 2/13, il est possible de distinguer les arguments employés par la Cour de justice selon qu’est en cause l’autonomie du système de l’Union, et donc la question de l’autorité externe (I), ou selon qu’est menacée la physionomie même du système, et par conséquent la question de la spécificité interne (II). Si les deux sont intimement liées, on montrera que pour la première fois, l’essence précède l’existence, ou si l’on préfère que la spécificité justifie l’autonomie (et non l’inverse).
I- L’argument autonomiste et la question de l’autorité externe
La rhétorique de l’autonomie est omniprésente dans l’avis sur l’adhésion 13. Elle se comprend par la volonté de considérer l’Union comme entité de forme constitutionnelle. Dit autrement, l’origine de l’argument autonomiste provient d’une lecture judiciaire performative transformant les traités fondateurs en véritable Constitution 14. Toutefois, étant donné l’inscription de l’adhésion dans ces mêmes traités, la conception de l’autonomie retenue ne saurait être que relative. Elle ne constitue pas un obstacle insurmontable par principe, mais pose plutôt une question de degré d’atteinte tolérable à la préservation de l’autonomie du système juridique de l’Union. C’est pourquoi, l’on reviendra rapidement sur les éléments justifiant l’argument de l’autonomie (A), avant de voir comment elle pourrait être préservée tout en tolérant un contrôle externe (B).
A- La justification de l’autonomie
L’argument de l’autonomie du droit de l’Union n’est autre qu’une revendication d’autorité exclusive d’un ordre constitutionnel. La Cour mobilise cet argument en associant l’autonomie constitutionnelle de l’Union à celle de son système juridictionnel, et partant à sa propre compétence. Une constitution étant non seulement une norme dépourvue de contrainte supérieure, mais également une norme sur la base de laquelle un équilibre particulier entre des valeurs concurrentes est défini, cette position se justifie d’un point de vue tant juridique que politique.
1. La conception juridique de l’autonomie
Un ordre juridique autonome ne saurait exister que grâce à la présence d’un interprète ultime chargé de conférer sa cohérence d’ensemble et son unicité de source aux normes juridiques le composant. Comme l’écrit M. Troper, « pour un système normatif, être autonome, c’est donc le fait de n’être pas soumis à des normes externes » 15. L’idée même d’ordre juridique requiert une autonomie de validité. En cas de conflit entre normes applicables au sein de cet ordre, une solution unique peut ainsi être trouvée découlant de la présence d’un organe suprême en charge de cet arbitrage. Pour conforter ce raisonnement, l’avis 2/13 ne se prive pas de faire référence à l’arrêt Kadi, véritable fer de lance de la rhétorique autonomiste 16. Pour la Cour de justice, l’autonomie de contrôle des normes produites par le système européen est une condition de l’existence même d’un ordre juridique européen, et, en ce sens, les arrêts Costa et Kadi ne sont que les deux facettes de la même médaille, à savoir la faculté de définir ultimement la portée des normes d’un système en les émancipant de toute contrainte imposée par une autorité interne (hypothèse Costa) ou par une autorité externe (hypothèse Kadi).
Il est certain que l’adhésion représente une menace pour l’autonomie du système de l’Union en contraignant la Cour de justice à modifier l’interprétation des normes de l’ordre juridique européen, y compris supérieures, et à privilégier le cas échéant des interprétations concurrentes nationales ou internationales. Comme le relève l’avis : « l’intervention des organes investis de compétences décisionnelles par la CEDH, telle que prévue dans l’accord envisagé, ne doit pas avoir pour effet d’imposer à l’Union et à ses institutions, dans l’exercice de leurs compétences internes, une interprétation déterminée des règles du droit de l’Union » 17. Le problème est connu 18. Déjà utilisé à propos de la ratification d’accords prévoyant des mécanismes concurrents de règlement des litiges 19, la position de la Cour consiste à s’assurer que l’interprétation du droit de l’Union demeure de son appréciation exclusive, faute de quoi le système juridique de l’Union ne disposerait plus de la capacité de définir par lui-même ce qu’il est autorisé ou non de faire en son sein et ferait cohabiter plusieurs solutions éventuellement divergentes. L’Union ne serait plus en mesure de s’autodéterminer en tant qu’ensemble constitutionnel, mais deviendrait dépendante d’un système externe.
2. La conception politique de l’autonomie
Il est tout aussi clair que l’adhésion emporte une entorse importante à l’autonomie de définition des équilibres constitutionnels de valeurs qui fondent un corps social unifié. Telle est l’importance particulière des droits fondamentaux qui fait que l’adhésion à la Convention, contrairement aux autres projets d’accords internationaux instituant des juridictions externes, revêt une importance constitutionnelle cruciale. Le constitutionnalisme moderne, comme mode d’encadrement du pouvoir sur une espace, met l’accent sur l’importance de la définition d’un équilibre entre valeurs concurrentes sur la base duquel les composantes d’un système s’accordent afin de vivre ensemble 20. Comme l’illustre le conflit originel sur leur protection au regard de la primauté revendiquée du droit communautaire, le respect des droits fondamentaux centralise à la fois la justification et la limitation de l’exercice d’une autorité politique sur un espace donné. La pondération des droits et libertés étant différente d’un espace à un autre, leur interprétation conditionne l’autonomie de l’ordre politique qui l’établit.
L’argument autonomiste dans l’interprétation des droits constitutionnels se rattache alors à une conception de l’Union comme autorité politique dotée de son propre cadre de valeurs afin d’aménager en son sein un équilibre particulier entre des prétentions opposées. Il est certain que des désaccords profonds divisent tout corps social sur des questions sensibles comme l’avortement, la peine de mort, ou encore la liberté d’expression, mais on peut considérer que le système perdure malgré tout en ce qu’en dernière analyse une certaine confiance est placée en lui pour aménager ces valeurs en fonction des aspirations évolutives du corps social. L’importance actuelle du juge dans un système constitutionnel tient à son pouvoir d’interprétation des valeurs contenues dans les droits fondamentaux afin de préserver l’unité du corps social qui fonde un système politique. Le tout est de savoir dans quelle mesure de telles atteintes, par ailleurs consenties par les systèmes constitutionnels des États parties à la Convention (bien que de plus en plus fréquemment remises en causes), sont tolérables. Cela dépend de la conception retenue du principe constitutionnel d’autonomie.
B- La préservation de l’autonomie
La difficulté de l’argument autonomiste dans le contexte de l’adhésion à la Convention tient à la question du consentement à l’exercice d’une autorité concurrente de contrôle des droits fondamentaux. Inéluctablement, l’adhésion porte atteinte à l’autonomie d’appréciation de la Cour de justice, provoquant un choix entre deux attitudes envisageables. La première consisterait à dire que l’autonomie de contrôle des normes supérieures d’un système conçu comme constitutionnel est absolue ou qu’elle n’est pas. La seconde n’appelle qu’une protection limitée d’une autonomie constitutionnelle conçue comme relative. Elle est la seule compatible avec l’adhésion.
1. La conception absolue de l’autonomie
Il est vrai que la préservation de l’autonomie de validité et d’interprétation du contrôle des normes constituant le système juridique de l’Union européenne a toujours été une des préoccupations principales de la Cour de justice. Dans les rapports internes, on reconnaîtra la jurisprudence Foto-Frost interdisant au juge national de prononcer l’invalidité du droit de l’Union que la Cour de justice défend farouchement 21. Dans les rapports externes, la Cour de justice a cédé à la tentation de cette conception absolue de l’autonomie, notamment dans l’affaire de l’Usine Mox évoquée dans l’avis 22. Dans cette affaire, la Cour avait considéré que dès lors que la question litigieuse opposait deux États de l’Union, elle seule devait être en mesure d’en connaître conformément à l’article 344 TFUE, quand bien même une autre juridiction internationale, en l’occurrence le Tribunal du droit de la Mer, serait également compétente pour en juger. L’État membre de l’Union saisissant cette juridiction externe et trahissant ce monopole juridictionnel absolu s’expose alors à un recours en manquement.
En outre, en matière de droits fondamentaux, la réticence à un contrôle externe au nom d’une conception rigoriste de l’autonomie est également perceptible dans les systèmes constitutionnels internes. Hors contexte européen, certains États refusent catégoriquement tout contrôle externe du respect des droits fondamentaux, précisément parce que leur interprétation ne saurait être que le reflet des valeurs d’une société donnée 23. Dans le contexte européen, on peut y rapprocher la position de certains juges nationaux qui estiment que la protection conventionnelle des droits fondamentaux n’interfère pas formellement avec leur office constitutionnel et le monopole dont ils disposent pour interpréter de façon autonome la Constitution 24. L’on sait que les juges nationaux n’ont accepté d’abandonner que partiellement ce contrôle, et uniquement à la faveur d’une protection jugée équivalente par l’Union qui a su intégrer leurs revendications grâce aux principes généraux du droit communautaire 25. Se développent alors de façon parallèle des ordres conventionnels et constitutionnels différents dont la cohabitation relève davantage de l’équilibrisme casuistique que d’une véritable rationalité préalable.
Toutefois, une telle conception absolutiste de l’autonomie semblerait exagérément aveugle à la circonstance, elle aussi constitutionnelle, que l’article 6 §2 TUE impose de s’efforcer à l’adhésion. De surcroît, en vertu de l’article 49 TUE, tous les États membres de l’Union sont également membres de la Convention. Par conséquent, les actes nationaux de mise en œuvre du droit de l’Union font déjà l’objet d’un contrôle externe, malgré une présomption d’équivalence de protection inter-systèmes qui pourrait s’avérer de plus en plus aisément réfragable après l’avis 26 …On retombe en ce cas sur un risque de blocage pénalisant la double appartenance des États à l’Union et à la Convention. Car il est loin d’être certain que le refus de l’adhésion permette de préserver l’autonomie absolue du droit de l’Union, celle-ci devenant alors dépendante d’une épreuve de force dont l’arbitre final redevient l’État membre confronté au dilemme de la fidélité à l’Union ou à la Convention en cas de positions divergentes.
2. La conception relative de l’autonomie
Seule la seconde conception de l’autonomie du système de l’Union semble praticable. Elle consiste à considérer l’autonomie de façon relative, en admettant la possibilité d’une autorité concurrente à celle de la Cour de justice, mais uniquement si elle est explicitement consentie. C’est cette attitude relativiste qu’adopte la Cour de justice dans l’avis, en admettant qu’« un accord international, prévoyant la création d’une juridiction chargée de l’interprétation de ses dispositions et dont les décisions lient les institutions, y compris la Cour, n’est, en principe, pas incompatible avec le droit de l’Union » 27. Néanmoins, tout en acceptant de limiter son autonomie de contrôle des droits fondamentaux, la Cour de justice y ajoute une condition importante tenant à la délimitation précise et préalable de l’entorse à l’exercice de l’autorité suprême à laquelle il est consenti. Cette délimitation préalable du consentement à un contrôle externe se décompose en deux aspects. D’un point de vue procédural, le contrôle externe doit demeurer subsidiaire et par conséquent ne pas remplacer le contrôle par la Cour de justice, mais seulement s’y ajouter. D’un point de vue substantiel, ce contrôle doit porter uniquement sur le respect des droits fondamentaux et par conséquent ne pas déborder sur le contrôle exercé par la Cour de justice concernant les autres questions constitutionnelles. Ces deux limites n’ont pas été respectées, selon la Cour de justice, aboutissant à ce que le degré de remise en cause de l’autonomie du système juridique de l’Union soit jugé trop important.
2.1. Dans l’hypothèse d’une atteinte procédurale à l’autonomie est mise en avant la méconnaissance de la subsidiarité du contrôle externe, qui conditionne le consentement à s’y soumettre. Trois principaux motifs d’incompatibilité sont relevés par la Cour de justice : la procédure d’avis préjudiciel prévue par le Protocole n°16 à la Convention, l’insuffisance des garanties offertes par le mécanisme d’implication préalable, et enfin l’injusticiabilité des actes PESC. Ces arguments peinent néanmoins à convaincre pleinement. On les évoquera rapidement.
Tout d’abord, la Cour de justice craint que la nouvelle procédure préjudicielle conventionnelle, directement inspirée – il faut bien le dire – du système de l’Union, ne « court-circuite » le mécanisme communautaire de la question préjudicielle présenté comme la « clef de voûte » de l’autonomie et de l’originalité du système d’intégration 28, ce qui est probablement vrai. En effet, les principes de l’immédiateté et de la primauté sont entièrement bâtis autour de cette spécificité procédurale qu’est le renvoi préjudiciel qui rend possible l’imbrication des ordres juridiques et le dédoublement fonctionnel des juges internes. Il est vrai aussi que des juridictions suprêmes nationales pourraient préférer s’adresser à la Cour de Strasbourg plutôt qu’à la Cour de Luxembourg, surtout s’il lui revient le pouvoir du dernier mot. Comme le redoute l’avis, « en ne prévoyant rien quant à l’articulation entre le mécanisme institué par le protocole n° 16 et la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE, l’accord envisagé est susceptible de porter atteinte à l’autonomie et à l’efficacité de cette dernière » 29. Néanmoins, le refus de l’adhésion n’empêchera pas le développement de cette procédure parallèle de coopération juridictionnelle. La concurrence éventuelle de contrôles qui en découlera ne peut être résolue en définitive que par les juges nationaux et probablement pas dans un accord formel. C’est pourquoi, la riposte paraît vaine. Une lecture plus ambitieuse de la combinaison des deux procédures préjudicielles soutient au contraire que les normes européennes de protection des droits fondamentaux pourraient y gagner en pénétrant le cœur du contentieux constitutionnel interne 30.
Ensuite, la Cour de justice envisage qu’elle puisse éventuellement ne pas être saisie préalablement à la Cour européenne des droits de l’homme dès lors que cette dernière se voit attribuer le pouvoir d’apprécier la nécessité de déclencher le mécanisme d’implication préalable 31. Ce mécanisme a été imaginé dans le projet d’adhésion afin de tenir compte du fait que la Cour de justice n’est pas toujours en mesure d’exercer un contrôle du respect des droits fondamentaux dans l’Union, soit parce que les voies de droit directes sont restrictives, soit parce que les voies de droit indirectes n’ont pas été actionnées, à tort ou à raison, par les juges nationaux. Toutefois, l’implication préalable n’a pas lieu d’être s’il apparaît que la Cour de justice s’est déjà prononcée clairement sur la question de droit litigieuse, ce qui prêtera probablement à discussion comme le suggère les difficultés de l’exception à l’obligation de renvoi préjudiciel pour acte « éclairé ». Cette exception au déclenchement de l’implication préalable se comprend aisément, mais la Cour de justice estime au nom de son autonomie que c’est à elle seule d’en apprécier la teneur afin de déterminer si elle s’est déjà prononcée sur une question et le cas échéant en quel sens, et non à la Cour européenne des droits comme le laisse entendre le projet quant à sa possibilité de contrôler le déclenchement de l’implication préalable. Par conséquent, l’avis pointe le risque que « permettre à la Cour EDH de statuer sur une telle question reviendrait à lui attribuer la compétence pour interpréter la jurisprudence de la Cour » 32. On ne saurait nier qu’une possibilité existe que la Cour européenne des droits de l’homme interprète la portée d’un arrêt de la Cour de justice, toutefois ce risque semble relativement mineur, la Cour de Strasbourg ayant tout intérêt à connaître précisément la position de la Cour de justice avant d’exercer son contrôle. En tout état de cause, il faut bien admettre que l’adhésion emportera nécessairement un droit de regard externe sur la jurisprudence de la Cour de justice et une forme de réinterprétation de ses positions qui ne sont pas toujours d’une absolue limpidité.
Enfin, s’agissant du contrôle des actes PESC, il est reproché au projet d’adhésion de ne pas tenir compte de leur injusticiabilité partielle 33, telle qu’organisée par l’article 24 §1 al. 2 TUE. Certes, la Cour de justice n’a pas eu l’occasion de délimiter l’étendue de sa propre compétence juridictionnelle partielle, mais l’on voit mal en quoi un contrôle externe l’en empêcherait. Il est vrai que l’accord conduirait à une méconnaissance de la subsidiarité en ce que la Cour de Strasbourg pourrait se prononcer alors même que la Cour de justice n’a pas eu l’occasion de le faire. Toutefois, l’argument semble déplacé dans la mesure où par définition elle ne peut exercer un tel contrôle et que l’adhésion n’aggrave en aucun cas son incompétence. C’est pourquoi, considérer que l’autonomie de l’Union serait remise en cause par un contrôle exclusivement externe de certains actes PESC est plutôt une revendication d’autorité supplémentaire à celle du droit positif actuel, qu’un risque d’atteinte à l’autonomie procédurale existante.
2.2. Dans la catégorie d’une atteinte substantielle à l’autonomie de l’Union, on peut placer la délimitation des compétences respectives de l’Union et des États. L’argument est articulé à plusieurs reprises dans l’avis, mais la Cour de justice reproche principalement au projet d’adhésion de mettre la Cour européenne des droits de l’homme en mesure de pouvoir s’ingérer dans la répartition des compétences en lui conférant un droit de regard sur le déclenchement et l’issue de la procédure de « co-défendeur » prévue à l’article 3 du projet d’adhésion 34. Cette procédure a été conçue pour tenir compte de la situation spécifique dans laquelle l’État membre de l’Union poursuit son intérêt propre ou au contraire agit dans une dimension européenne : une violation des droits fondamentaux peut soit lui être imputable en tant que tel, soit lui être imputable en tant qu’autorité agissant pour le compte ou sous le contrôle de l’Union, auquel cas ce sera à l’Union d’en répondre.
Pour distinguer entre ces deux hypothèses, la Cour de justice a dégagé la notion de « champ d’application du droit de l’Union » afin de délimiter l’applicabilité de son propre standard de protection des droits fondamentaux, et notamment de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, en vue de couvrir certaines situations nationales de « mise en œuvre », au sens large, du droit de l’Union. Dans son arrêt Åkerberg Fransson, la Cour a adopté une vision large du champ d’application du droit de l’Union en dépassant la lettre de l’article 51 de la Charte, afin d’estimer qu’une mesure nationale bien que n’étant pas adoptée dans le but de transposer ou d’appliquer le droit de l’Union pouvait entretenir certains liens de connexité suffisants avec celui-ci et qu’en conséquence elle devait faire l’objet d’un contrôle au regard du standard de protection des droits fondamentaux propre à l’Union 35. Dans cette configuration de rattachement souple, la question de savoir si le standard européen s’applique ou non est déterminante avant de savoir si une violation peut être imputée à l’État ou à l’Union.
Or, il est vrai que le contrôle du déclenchement ou de l’issue de la procédure de co-défendeur par la Cour européenne des droits de l’homme pourrait avoir une incidence sur la délimitation du champ du droit de l’Union, et ultimement sur la répartition des compétences qui forme le cœur constitutionnel européen. En effet, l’article 3 §5 du projet d’adhésion prévoyait que la Cour de Strasbourg puisse juger de la « plausibilité » du recours à la co-défense. En décidant de l’opportunité de déclencher le mécanisme de co-défense, la Cour de Strasbourg porterait nécessairement une appréciation sur le point de savoir si la situation litigieuse est couverte par la protection offerte par l’Union, et par conséquent sur les limites du champ d’application de cette protection qui gouverne la superposition des contrôles constitutionnels européen et interne. Toutefois, là encore, la crainte d’ingérence dans la répartition des compétences via une appréciation externe sur les limites du champ d’application du droit de l’Union peut paraître exagérée. Elle provient pour bonne partie de l’imprécision de la jurisprudence de la Cour de justice elle-même dans l’identification du champ de protection offert 36. En outre, il est peu probable que la Cour de Strasbourg s’oppose au déclenchement de la co-défense. Critiquée pour ouvrir largement son prétoire à la tierce intervention, il serait mal venu qu’elle adopte une politique différente à l’égard de l’Union. Enfin, quant à l’hypothèse, prévue par l’accord, selon laquelle la Cour n’imputerait une violation de la Convention qu’à l’un des deux co-défendeurs à la condition qu’ils en soient d’accord, ce qui priverait la Cour de justice de la compétence exclusive de départager les responsabilités de chacun au regard de la répartition des compétences, son éventualité et sa portée laissent douter qu’il faille y voir une atteinte dirimante à l’autonomie d’organisation constitutionnelle de l’Union.
Cumulativement, une certaine perte d’autonomie constitutionnelle découle des motifs avancés pour refuser l’adhésion. Elle semble pourtant en partie surmontable. Il suffirait pour dépasser les obstacles « autonomistes » de renforcer la maîtrise de la Cour de justice sur les mécanismes spécifiques d’implication préalable et de co-défense destinés à préserver cette autonomie en lui confiant le soin exclusif de juger de leur déclenchement et de leur déroulement. Seul le cas de la PESC pose un problème difficilement évitable à court terme, et l’on peut regretter la position de la Cour de justice sur cette question, elle pour qui, à d’autres moments, l’Union de droit et la soumission de l’ensemble des actes des institutions au contrôle du respect des droits fondamentaux constituait un gage de qualité démocratique du système européen. Une manière de comprendre cette position serait de l’envisager comme une incitation envers le pouvoir constituant européen formé des États membres tous favorables à l’adhésion, à faire preuve de davantage de cohérence en révisant les traités afin d’étendre le contrôle de la Cour de justice sur les actes PESC et les rendre par ricochet justiciables devant la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, il est surprenant que les États décident de soumettre la PESC au contrôle de la Convention mais refusent de le faire dans l’Union. Pour autant, d’autres obstacles à l’adhésion ont été décelés par la Cour de justice qui ne tiennent pas tant à la question de l’autonomie, mais plutôt celle de la physionomie structurelle de l’Union, c’est-à-dire aux principes mêmes de son fonctionnement interne qui forment le socle de sa revendication de spécificité en tant qu’organisation d’un « genre nouveau » 37.
II- L’argument essentialiste et la question de la spécificité interne
Dans l’avis, les atteintes à « l’autonomie » du système de l’Union sont couplées avec une remise en cause de ses « caractéristiques essentielles ». Le point saillant de l’argumentaire de la Cour de justice est dévoilé dès le début de sa prise de position par une insistance sur la différence de nature fondamentale qui existe entre l’Union et la catégorie de l’État. Au terme d’une formule inédite la Cour insiste sur l’idée que « l’Union, du point de vue du droit international, ne peut pas, en raison de sa nature même, être considérée comme un État » 38. Tout le raisonnement consiste par la suite à montrer en quoi en assimilant trop largement l’Union aux autres parties contractantes à la Convention, sa nature juridique d’entité non-étatique serait méconnue.
L’affirmation de l’absence de qualité d’État, quoique difficilement contestable n’en est pas moins énigmatique. Il est évident que malgré sa prétention à l’autonomie constitutionnelle, on ne saurait affirmer que l’Union est un État, tant elle demeure dépendante dans sa création et dans sa réalisation des États qui la compose. Qu’apporte par conséquent l’affirmation selon laquelle elle n’en est pas un ? C’est à ce stade qu’un éclairage nouveau de la réflexion taxinomique sur ce qu’est juridiquement l’Union est envisageable, dans le sens où ce qui est mis en avant n’est pas, contrairement à un réflexe issu de la centralité du concept d’État, ce qui manque négativement à l’Union pour être assimilée à la catégorie de l’État (la souveraineté, la compétence, la puissance, l’identité, etc….), mais ce qu’elle instaure de positivement différent que le modèle de l’État dans l’organisation du pouvoir sur un espace donné. Après avoir discuté les justifications avancées à l’appui de cet argument essentialiste (A), il conviendra de s’interroger sur les adaptations envisageables tant au niveau de la Convention que de l’Union afin de préserver sa spécificité revendiquée tout en rationalisant la protection des droits fondamentaux dans l’espace européen (B).
A- La justification de la spécificité
Que l’Union ne saurait être assimilée à une entité étatique, constitue un argument à la fois évident et surprenant. Quelles sont plus précisément ces spécificités si essentielles qui font obstacle à une adhésion constitutionnellement envisagée ? Parmi les « caractéristiques essentielles » de l’Union que la Cour de justice entend préserver, un distinguo peut être effectué selon qu’est en cause une dimension verticale (la relation entre l’Union et ses États membres) ou, de façon plus nouvelle et intéressante, une dimension horizontale (la relation entre États membres de l’Union). Contrairement à un sentiment instinctif, c’est le second aspect qui se trouve être au cœur de la nature juridique spécifique de l’Union et du choc de logique constitutionnelle avec le système de la Convention qui nous intéressera plus particulièrement. En d’autres mots, la spécificité verticale puise racine dans la spécificité horizontale.
1. La spécificité de la relation verticale
Aux premier et deuxième rangs des « caractéristiques essentielles » figurent les principes « structurels » et « normatifs » organisant les relations verticales entre l’Union et ses États membres. Au titre des principes structurels d’organisation verticale on retrouve le principe cardinal de répartition des compétences déjà évoqué 39. Au titre des principes normatifs, sont mis en avant la primauté et l’effet direct du droit de l’Union 40. Il est vrai que sur chacun de ces aspects l’Union emprunte à la fois au droit international, au droit fédéral, ou même invente ses propres techniques de fonctionnement, engendrant une alchimie originale dans l’organisation verticale du pouvoir. Toutefois, la préservation de la spécificité de ces principes verticaux pourrait probablement être assurée au sein du système conventionnel à condition de mieux garantir l’autonomie de la Cour de justice, ce qui rejoint l’argument précédemment abordé et n’apporte rien de plus au débat.
1.1. Tandis qu’un État fédéral apparaîtrait comme une unité internationale en assumant l’entière responsabilité d’une violation, quelle que soit la répartition interne des compétences, il ne saurait en aller de même pour l’Union. Il n’est plus à démonter le particularisme communautaire dans la répartition des compétences 41. Et il est certain que cette répartition pourrait être affectée par le contrôle externe effectué par la Cour européenne des droits, notamment, comme on l’a vu, au moment de statuer sur l’imputabilité d’une mesure litigieuse comme émanant de l’Union ou d’un État membre au regard des imprécisions dont souffre le mécanisme du co-défendeur 42.
Il ne faut pas en minimiser l’importance. Un exemple suffit à le montrer. Cette ingérence externe risque de perturber un équilibre interne déjà très instable, qui est au cœur de revendications d’autorités concurrentes sur la base du contrôle ultra vires des actes de l’Union. L’apparition de ce contrôle dans le contentieux constitutionnel allemand provient précisément d’une application jugée excessive des normes de protection des droits fondamentaux dans les litiges horizontaux 43. Dans l’affaire Kücükdeveci 44, prolongeant la jurisprudence Mangold 45, la Cour de justice avait considéré que la Charte, combinée à une directive, s’opposait à une législation nationale instaurant une discrimination fondée sur l’âge en droit du travail. Dans une situation post-adhésion, le dernier mot sur le bien-fondé de cet arbitrage politique délicat entre la flexibilité et la sécurité de l’emploi des travailleurs reviendrait certes à la Cour de Strasbourg, mais la difficulté proviendrait plutôt de savoir qui de l’État ou de l’Union est en mesure d’exercer un choix sur cette question. Si la compétence normative revient bien à l’État membre en la matière, la transversalité de la directive européenne sur la lutte contre les discriminations en matière d’emploi et de travail justifie également le droit de regard de l’Union. Or, au moment de délimiter une marge d’appréciation dans la réglementation de ces questions sociales, la Cour de Strasbourg pourrait mécaniquement être amenée à statuer sur le bien-fondé de l’encadrement par l’Union de l’autonomie politique d’un État membre. Plus spécialement, la théorie des obligations positives développée au niveau conventionnel afin de contrôler le pouvoir de faire cesser une violation des droits fondamentaux, y compris dans les litiges horizontaux 46, risque de s’inviter dans le débat. Le contentieux de l’ultra vires interne à l’Union s’en trouverait exacerbé fragilisant les positions juridictionnelles jusqu’alors établies dans l’encadrement européen des compétences nationales.
Toutefois, cette problématique de la spécificité européenne pourrait être résolue à travers celle de l’autonomie de l’Union, et par conséquent l’autonomie de la Cour de justice pour en interpréter les principes régulateurs afin de définir souverainement la relation qui unit l’Union à ses États membres. Ainsi, il conviendrait dans une situation litigieuse où l’Union encadre sur la base des droits fondamentaux l’exercice de compétences en principe nationales, de laisser préalablement la Cour de justice délimiter la part de ce qui relève de la marge politique nationale. C’est pourquoi, une fois cette délimitation préalable éventuellement mieux garantie de façon autonome par les ajustements préconisés (par exemple en confiant le fonctionnement du co-défendeur et la question de l’imputabilité à la seule maîtrise de la Cour de justice), il semblerait que l’obstacle puisse également être dépassé.
1.2. Un raisonnement similaire peut être tenu s’agissant de la question de l’articulation verticale des ordres juridiques entre l’Union et ses États membres au regard du fameux principe de primauté interne du droit de l’Union. Indéniablement, une originalité certaine en guide le fonctionnement empruntant au droit international, au droit fédéral, ou inventant des techniques propres comme l’identification de différentes formes d’invocabilité et des régimes qui y sont associés à travers la collaboration des juges nationaux. L’histoire est bien connue 47. Du droit international, l’Union conserve inévitablement son origine conventionnelle et son incapacité à fonder sa revendication de primauté sur l’existence d’un pouvoir constituant qui légitimerait l’exercice d’une autorité absolue. Pour autant, cela ne l’a pas empêché de se tourner vers une logique fédérale commandant une uniformité de respect des normes produites à l’échelle européenne dans le droit des États membres. Pour ce faire, et résoudre un paradoxe apparent, l’originalité provient de l’habilitation du juge national à faire respecter l’autorité du droit de l’Union dans le droit national conformément à un logiciel d’invocabilité, parfois complexe, aménageant l’uniformité d’application du droit de l’Union à la diversité des systèmes internes. Ultimement, le caractère spécifique de cette construction s’incarne dans l’obligation paradoxale pour le juge national de se sanctionner lui-même lorsqu’il est à l’origine d’une méconnaissance de la primauté européenne 48.
Dans la perspective de l’adhésion, il faut admettre que cette relation originale entre droit européen et droit interne soit susceptible d’être remise en cause par un contrôle externe. En effet, un État membre pourrait trouver appui dans la Convention pour faire obstacle à l’application d’une norme du droit de l’Union de droit dérivé, voire de droit primaire (par exemple une liberté de circulation). Dans l’avis, la Cour de justice évoque l’hypothèse dans laquelle un standard national de protection des droits fondamentaux serait plus favorable que celui de l’Union 49. C’est précisément cette configuration qui était à l’origine de l’affaire Melloni que la Cour de justice a tranché en estimant que l’article 53 de la Charte des droits fondamentaux consacrant la priorité d’application du standard de protection le plus favorable, ne permettait pas à un État d’invoquer sa propre Constitution afin de remettre en cause la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union lorsqu’une harmonisation européenne avait été adoptée 50. Le risque pointé par la Cour de justice provient de ce qu’une telle interprétation respectueuse de la primauté du droit de l’Union ne soit pas délivrée par la Cour de Strasbourg sur le fondement de la clause jumelle de l’article 53 de la Convention, incitant de la sorte les États membres à remettre en cause l’équilibre trouvé entre unité et diversité des standards de protection au sein de l’Union.
On notera toutefois que cette crainte demeure virtuelle, la Cour de Strasbourg n’ayant pour le moment jamais véritablement utilisé l’article 53 de la Convention. En tout état de cause, si une telle utilisation devait en être faite avec pour conséquence de modifier la portée du principe de primauté du droit de l’Union, le rejet de l’adhésion est impuissant à écarter un tel risque. L’argument de la nature spécifique non-étatique s’avère réversible. Effectivement, si l’Union avait été un État au sens du droit international, la non-adhésion aurait empêché ses composantes internes de se prévaloir de la Convention pour contester le standard commun de protection au nom de conceptions locales plus favorables. Mais dès lors que l’Union n’est pas un État, et que par conséquent ses États membres sont parties à la Convention, le risque de conflit existe avec ou sans adhésion. C’est pourquoi, sans être pour autant à minimiser, la problématique de la primauté rejoint la question de l’autonomie évoquée précédemment, et une meilleure garantie du rôle premier de la Cour de justice pour trancher avant tout examen conventionnel la question du rapport entre le droit de l’Union et le droit interne d’un État suffirait probablement à en préserver l’essentiel.
Sous l’angle vertical, l’argument de la spécificité se confond assez largement avec celui de la capacité autonome de définir la relation qui unit l’Union à ses États. C’est pourquoi, plus fondamentalement, la spécificité de l’Union ne provient pas, selon nous, de ses principes verticaux d’organisation, qui en sont la conséquence bien davantage que la cause, mais de ses principes horizontaux de mise en relation entre États membres. Là est la véritable nouveauté qui nous retiendra davantage.
2. La spécificité de la relation horizontale
Dans la partie liminaire de l’avis, la troisième série de « caractéristiques essentielles » à laquelle la Cour de justice fait référence pour justifier la particularité européenne et sa différence vis-à-vis de la catégorie de l’État au sens du droit international, concerne les relations horizontales entre États membres de l’Union. A l’appui de la thèse de la spécificité du système de l’Union, la Cour énonce qu’« une telle construction juridique repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre » 51. Cet argument, sans être totalement nouveau, est novateur afin de caractériser la nature juridique de l’Union. Il déplace l’analyse de l’appartenance d’un État à l’Union vers une dimension horizontale de confiance entre États. La question est de savoir en quoi cette relation particulière de confiance mutuelle serait menacée par l’adhésion.
2.1. Dans la prise de position de l’Avocat général, aucune référence n’est faite à l’idée de « confiance mutuelle » entre États. Il faut voir une innovation de l’Assemblée plénière dans la mobilisation de cet argument dans le contexte de l’adhésion. Loin d’être inconnue de la jurisprudence, la référence au principe de confiance mutuelle entre États a initialement émergé dans le cadre du marché intérieur. A la base de la reconnaissance éponyme 52, la confiance mutuelle est le postulat qui permet aux États d’ouvrir leur marché et d’accepter que des produits et des opérateurs obéissant à des réglementations éventuellement différentes puissent être librement commercialisés et acceptés sur leur territoire. En ce sens, la confiance mutuelle est à l’origine de la création d’un espace unifié, malgré l’inévitable disparité de réglementation des États découlant de leur autonomie politique. Par la suite, ce principe a été transposé de l’espace économique qu’est le marché intérieur vers l’espace judiciaire et civique de liberté, de sécurité et de justice. Cette transposition s’est faite initialement de façon assez implicite, et c’est déjà le contrôle conventionnel du système européen d’asile qui a forcé le juge et le législateur de l’Union à en dévoiler la présence 53. Dans l’affaire N.S., à propos de l’exception à l’obligation de renvoi d’un demandeur d’asile en cas de risque de violation des droits fondamentaux dans l’État responsable du traitement de la demande, et en réponse à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de justice met solennellement en exergue l’importance de la confiance mutuelle entre États membres : « il en va de la raison d’être de l’Union et de la réalisation de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et, plus particulièrement, du système européen commun d’asile, fondé sur la confiance mutuelle et une présomption de respect, par les autres États membres, du droit de l’Union et, plus particulièrement, des droits fondamentaux » 54.
En concevant l’Union comme un système de confiance entre États sur la base de valeurs partagées, l’explicitation de la spécificité européenne est approfondie à un stade supérieur. On peut la désigner – en remontant aux origines du mot fides – sous le terme de fédéralisme horizontal 55. En somme, pour la Cour de justice, c’est le fédéralisme horizontal qui justifie un système vertical d’organisation spécifique et autonome. L’autorité du droit de l’Union sur les droits nationaux se justifie en dernier ressort par la nécessité d’assurer le respect des instruments de confiance mutuelle qui assurent le décloisonnement des droits nationaux et leur progressive interdépendance. Afin de créer un espace unifié, sans frontières intérieures, entre des États membres à forte disparité, l’intégration consiste à ouvrir les systèmes nationaux les uns aux autres en posant des règles et des mécanismes de reconnaissance, d’équivalence et ultimement de confiance transnationale. La confiance mutuelle constitue par conséquent le support indispensable à la création d’un espace commun abritant la diversité des droits nationaux. L’essentiel de l’effort jurisprudentiel et législatif européen se ramène à cette finalité. De sorte que l’autonomie revendiquée par la Cour de justice dans la définition des équilibres constitutionnels qu’elle dégage, puise dans l’objectif de mise en relation horizontale des États une certaine complétude. Il est vrai que jusqu’à présent le raisonnement pouvait paraître circulaire. L’exemple de la primauté du droit de l’Union le montre bien : un principe fédéral non-écrit dans les traités est consacré au nom de la nature « spécifique originale » de l’intégration européenne, mais aucune des raisons données jusqu’à présent pour justifier cette dernière (caractère illimité, transferts de compétences, limitation de droits souverains, etc…) n’était, isolément ou cumulativement, pleinement convaincante. Certes, les principes verticaux d’organisation de l’Union obéissent à des raisonnements particuliers, propres à l’intégration européenne, mais qu’est-ce qui, à la base, fait que de telles solutions particulières existent ? La justification supplémentaire avancée tient à la dimension triangulaire du fédéralisme dans la mesure où la spécificité de la relation verticale s’explique par celle de la relation horizontale entre les États membres du système dont elle entend assurer l’effectivité et l’intégrité. Dans ce schéma, la superposition d’un niveau juridique à l’échelle européenne n’aurait pas pour fonction de faire coexister deux sphères nettement différentes de décisions, mais plutôt d’assurer l’imbrication effective des sphères nationales. Selon cette approche, le fédéralisme sert alors avant tout à assurer les bonnes relations horizontales entre les composantes du système en garantissant leur reconnaissance mutuelle et l’instauration d’une confiance réciproque.
Il y a dans l’idée de fédéralisme horizontal comme socle de spécificité de l’intégration européenne une invitation à penser ce qui motive les États à lier leur destin 56. Le ressort de la participation à l’Union demeure encore largement mystérieux. Souvent présentée comme le fruit d’une mécanique implacable résultant de la méthode fonctionnaliste, elle est en réalité animée d’un fort volontarisme des participants qui croient au bien-fondé d’une communauté de destin, malgré et peut-être même à cause de leurs différences. Certes, le fédéralisme horizontal peut être vu comme un moyen de décloisonner des systèmes politiques en les rendant interdépendants au sein d’une unité plus globale. Mais ce qui fait cette unité est précisément l’intérêt porté à la différence, au rapport à l’autre, comme mode d’organisation du pouvoir entre des entités à la fois indépendantes et interdépendantes. La justification de cette méthode d’unification malgré les inévitables tensions que peut susciter la coexistence des différences dans les rapports horizontaux, se ramène à un effort de prise en compte des externalités découlant de la diversité des choix politiques des composantes 57. C’est en ce sens qu’une communauté de destin peut se nouer sans renoncer pour autant à l’étaticité des composantes. Ainsi s’explique le processus en cours de dénationalisation de l’État, ou si l’on veut de globalisation interne à l’État 58, par lequel des intérêts externes sont internalisés au sein des mécanismes décisionnels étatiques aboutissant à ce que les organes de l’État n’agissent plus uniquement dans un intérêt national, mais dans un intérêt plus global tenant compte d’autres intérêts nationaux concurrents. Dans cette logique, c’est parce que l’Union a élaboré un système particulier d’agencement de la diversité juridique et politique entre les États qui la composent, qu’elle ne serait pas en mesure d’adhérer à un mécanisme conventionnel de protection des droits fondamentaux. Reste à interroger, en l’illustrant, cette crainte.
2.2 Même en acceptant ce raisonnement essentialiste faisant remonter la nature juridique spécifique de l’Union aux relations horizontales qu’elle garantit entre ses États membres, on peut s’interroger sur le point de savoir en quoi l’adhésion au système de protection conventionnelle des droits fondamentaux risquerait d’y porter atteinte. Ce qui est redouté dans l’adhésion n’est pas la fonction négative du système conventionnel qui consiste à assurer un standard minimal de protection des droits en Europe qui existe déjà en raison de la double appartenance des États à l’Union et à la Convention, mais bien plutôt sa fonction positive qui tient au rapprochement de standards de protection des États et à la détermination de la marge de diversité acceptable l’un vis-à-vis de l’autre. La question n’est pas celle d’un seuil minimal de protection mais bien celle du degré souhaitable de pluralisme au sein de l’Union. Afin d’évaluer l’éventuelle incapacité du système conventionnel à tenir compte de la spécificité de la reconnaissance mutuelle européenne, il faut observer quelle est l’attitude la Cour de Strasbourg face à des situations transnationales. Elle s’est avérée ambivalente. On en déduira que le prisme des droits fondamentaux ne conduit pas nécessairement à des solutions identiques que celles découlant de la logique de confiance mutuelle, et peut même contribuer à instaurer une certaine défiance entre États membres, justifiant en retour une défiance inter-systémique de la part de la Cour de justice 59.
2.2.1. Dans certains cas, la Cour de Strasbourg a fait preuve d’attention à la reconnaissance et à la confiance mutuelles dans l’Union, notamment en matière de coopération judiciaire. La Convention a déjà été invoquée afin d’être opposée à l’exécution dans un État membre de jugements rendus dans un autre État membre conformément au mécanisme de reconnaissance mutuelle des décisions de justice découlant du règlement « Bruxelles I » 60. Ce règlement a pour objet d’imposer aux États de l’Union d’exécuter les décisions rendues dans d’autres États sans passer par la procédure d’exequatur afin de dépasser les obstacles découlant des disparités des droits nationaux. Grâce à la confiance mutuelle que s’accordent les juridictions et systèmes des États membres, une certaine unité européenne peut ainsi naître malgré les diversités nationales. Dans cette hypothèse, la Cour de Strasbourg a abaissé sensiblement son degré de contrôle des décisions exécutant les jugements étrangers rendus dans l’Union. Dans sa décision Lindberg c/ Suède, elle a déclaré manifestement mal fondée une requête dirigée contre la reconnaissance et l’exécution en Suède d’une décision le condamnant pour diffamation rendue en Norvège suite à la publication d’un reportage. Les juges des droits de l’homme ont pu accepter que, en dépit de l’allégation d’atteinte à la liberté d’expression (article 10 de la Convention) et au droit à un recours effectif (article 13 de la Convention), une autorité judiciaire nationale refuse de contrôler celle rendue par une juridiction d’un autre État membre 61. Pour justifier son absence de contrôle, le juge conventionnel estime que c’était à l’encontre du premier État, en l’occurrence, la Norvège que le requérant aurait dû diriger sa requête, ce qui posait un problème de délai. De même, dans l’affaire Avotins c/ Lettonie et Chypre, la Cour européenne des droits de l’homme a admis de ne vérifier que très sommairement que la reconnaissance en Lettonie d’un jugement de remboursement de dette rendu par défaut à Chypre n’enfreigne pas le droit à un procès équitable (article 6 §1 de la Convention) 62. Bien que, là encore, le requérant ait pensé à attaquer en au premier chef l’État d’émission du jugement litigieux, le délai de six mois l’en a empêché, ce qui l’a conduit à contester la décision de l’État d’exécution agissant sur le fondement du droit de l’Union. Le refus de contrôle conventionnel est néanmoins discutable au regard des circonstances de l’espèce, desquelles ressort qu’il n’était guère certain que le jugement litigieux soit parfaitement respectueux des droits de la défense de l’intéressé, ni même du règlement « Bruxelles I » prévoyant certaines exceptions à l’obligation de reconnaissance. Face à ce choc de logiques, l’arrêt de Chambre a été déféré devant la Grande chambre qui devra se prononcer sur la pertinence de n’opérer qu’un contrôle réduit des droits fondamentaux afin de tenir compte de l’exigence de reconnaissance mutuelle posée par le droit de l’Union. Cette position des premiers juges montre qu’une prise en compte dans l’équation des droits fondamentaux des besoins de la coopération horizontale entre États est tout à fait envisageable.
2.2.2. Dans d’autres cas pourtant, la Cour de Strasbourg s’est montrée moins scrupuleuse, notamment s’agissant de la protection des droits substantiels en matière de reconnaissance des systèmes de traitement des demandes d’asile sur le fondement du règlement « Dublin » 63. Ce texte prévoit qu’une demande d’asile doit être examinée dans l’État par lequel un demandeur a pénétré pour la première fois le territoire de l’Union. Il postule ainsi une certaine confiance dans la capacité des États les plus exposés à l’afflux de ressortissants tiers à traiter efficacement et équitablement les demandes d’asile. Une fois la demande traitée la solution doit être reconnue dans l’ensemble des États membres afin de créer les bases d’un espace d’asile unifié. Nonobstant, dans l’affaire M.S.S. c/ Belgique et Grèce 64 à propos du renvoi par la Belgique d’un demandeur d’asile en Grèce, la Cour européenne des droits de l’homme s’est montrée réticente à l’idée qu’un tel système puisse être instauré en renversant une double présomption afin de condamner la Grèce et plus encore la Belgique pour des risques de mauvais traitements contraires à l’article 3 de la Convention dans ce premier État. En premier lieu, le contrôle de conventionnalité de la mesure de renvoi s’est fait en écartant la présomption « Bosphorus » selon laquelle le droit de l’Union offre une protection équivalente à celle de la Convention. Pour y parvenir, la Cour estime que le mesure est imputable à la Belgique agissant en son nom propre, et non à l’Union, dès lors que la possibilité existait pour l’État de ne pas renvoyer le demandeur en Grèce et de traiter lui-même la demande d’asile ainsi que l’y autorise le droit de l’Union sur le fondement d’une « clause de souveraineté ». En second lieu, la Cour estime que la présomption de protection suffisante de droits demandeurs d’asile dans l’État membre de renvoi qui fonde l’ensemble du système n’est pas irréfragable et qu’elle doit céder en cas de risques graves et avérés de défaillance du traitement des demandes d’asile dans un État membre de l’Union, ce qui est jugé être le cas en Grèce. Par conséquent, la Belgique est condamnée pour avoir appliqué le principe de base du système européen d’asile propre à l’Union fondé sur la confiance mutuelle. Il est vrai que cette condamnation pouvait être lue davantage comme un moyen de renforcer 65 la confiance entre États de l’Union, la Grèce ne respectant pas manifestement les normes minimales de protection des demandeurs d’asile posées par le droit de l’Union lui-même. Cela explique que la Cour de justice ait accepté cette immixtion dans son arrêt N.S. en admettant que la présomption de confiance mutuelle puisse céder face à un risque de « défaillance systémique » dans un État membre de l’Union.
Toutefois, la Cour de Strasbourg n’en est pas restée là et a franchi un pallier supplémentaire dans l’affaire Tarakhel c/ Suisse, qui a probablement précipité les juges à la Cour de justice vers le rejet de l’adhésion 66. L’arrêt Tarakhel posait la question du renvoi vers l’Italie de demandeurs d’asile à partir de la Suisse, toujours en vertu du système issu du règlement « Dublin » auquel la Suisse participe en vertu d’un accord d’association. La Cour européenne des droits de l’homme adopte une approche en apparence totalement justifiée du point de vue du respect des droits fondamentaux consistant à évaluer le risque individuel encouru par les requérants, notamment des enfants, face aux dysfonctionnements possibles du système italien de traitement des demandes d’asile. Sur cette base, elle estime que la décision de renvoi des autorités suisses emporte un risque trop important de violation de l’article 3 de la Convention, et condamne la Suisse pour ne pas s’être suffisamment assurée de l’absence de risques encourus dans le pays de renvoi. Cette approche « individualisée » tranche nettement avec celle de la Cour de justice dans l’affaire N.S. précédemment évoquée, qui avait considéré que, pour ne pas renvoyer un demandeur d’asile sur le fondement du règlement « Dublin », seule une « défaillance systémique », et donc un risque de violation globale des droits fondamentaux, devait être caractérisée 67. A défaut, en effet, le système unifié serait profondément remis en cause, puisque les États membres auraient l’obligation de vérifier si chacune des situations dont ils sont saisis ne comporte pas des éléments risquant de faire craindre une violation des droits fondamentaux. De tels risques individuels étant, en l’état actuel des choses, inévitables, la détermination de l’État responsable du traitement d’une demande deviendrait parfaitement aléatoire, mettant à mal l’ensemble de l’édifice procédural qui est au fondement d’une politique commune d’asile. Pour justifier de ne pas suivre cette approche systémique et privilégier la présence d’un risque individualisé, les juges des droits de l’homme épousent, un peu naïvement selon nous, le raisonnement tenu par certains juges nationaux, au premier rang desquels la Cour suprême britannique, selon lequel du point de vue des droits fondamentaux l’origine et la nature d’une violation potentielle des droits ne peuvent qu’être indifférentes, seul le résultat important. Les juges britanniques mettaient en avant une lecture rigoureuse de l’arrêt Soering c/ Royaume-Uni qui pour la première fois tenait responsable un État d’un risque de violation des droits fondamentaux commise dans un autre État 68. Dans la logique de ce précédent fondateur, il suffirait que le risque de violation soit réel, peu important que la défaillance qui en est à l’origine soit systémique ou non. En outre, la preuve d’une telle défaillance serait une charge excessive pour le requérant qui en supporterait le fardeau. Ainsi, selon cette thèse, le contrôle de fondamentalité ne peut être qu’individualisé sur un plan théorique comme pratique. Il est difficile de ne pas céder à de tels arguments, mais le raisonnement négateur des relations de confiance horizontale entre États présente certaines failles.
En premier lieu, il est erroné de soutenir qu’en matière de droits fondamentaux aucune présomption systémique n’est par principe envisageable, car contraire à l’exigence d’examen individualisé des demandes. La Cour européenne des droits de l’homme l’a parfaitement admis s’agissant précisément du système de l’Union en estimant de ne pas devoir contrôler les mesures nationales d’application découlant de ce dernier. Dans l’affaire Tarakhel, la présomption « Bosphorus » aurait même pu s’appliquer puisque la Cour de justice ayant transformé la faculté de ne pas renvoyer un demandeur d’asile en véritable devoir dans l’affaire N.S., la marge d’appréciation de l’État membre devenait réduite pouvant conduire à le considérer comme un agent d’exécution du droit de l’Union et non comme une autorité autonome 69. En second lieu et surtout, il y a une double différence considérable entre le cas Soering et le cas Tarakhel, délibérément ignorée dans le raisonnement individualisé de la Cour de Strasbourg, qui tient à la nature et à l’auteur de la violation alléguée. En l’occurrence, un État partie est condamné pour une violation indirecte des droits fondamentaux en raison d’un risque d’atteinte imputable à un autre État également partie à la Convention. Étant entendu que par hypothèse cette violation n’est que potentielle et non avérée, finalement, la Cour européenne des droits de l’homme en vient à raisonner elle-même par présomption en supposant, dans le doute, qu’un État membre ne sera pas en mesure de prévenir ou redresser de façon satisfaisante une violation éventuelle des droits fondamentaux sur son territoire. C’est-à-dire qu’elle inverse la présomption de protection suffisante des États parties. Comme cet État est par ailleurs membre de l’Union, le système conventionnel en vient à poser une présomption exactement opposée à celle sur laquelle repose le fédéralisme horizontal européen, à savoir la confiance mutuelle dans la capacité des États membres à assurer efficacement un standard estimé suffisant de protection des intérêts individuels et collectifs. De cette façon, il est possible de comprendre la réaction épidermique de la Cour de justice face à un raisonnement qui conduit à déconstruire l’essence des relations horizontales entre États membres de l’Union. Pour elle, il aurait été préférable de ne sanctionner que la défaillance de l’État directement à l’origine de la violation des droits fondamentaux. L’adaptation serait mineure : en terme technique de recevabilité, cela reviendrait à exclure, sauf risque systémique, la qualité de victime « potentielle » dans les relations entre États membres de l’Union.
Il est vrai que si l’Union européenne avait été un État au sens du droit international, elle aurait pu être tenue pour unique responsable de l’ensemble des agissements de ses composantes, sans qu’il y ait à discuter sur le point de savoir si c’est le système de l’Union qui porte atteinte aux droits fondamentaux ou la défaillance du système d’un de ses États membres. Mais tel n’est précisément pas le cas… Il semble par conséquent justifié, du point de vue de l’Union européenne, de redouter que le système conventionnel des droits de l’homme, en inversant les présomptions qui forgent l’appartenance commune à l’Union, n’entraîne une remise en cause de la spécificité essentielle du droit de l’Union qui découle ultimement des relations horizontales entre États membres. La question qui se pose désormais est celle de savoir comment cette organisation spécifique peut être préservée face au contrôle conventionnel.
B- La préservation de la spécificité
L’argument du fédéralisme horizontal, fondé sur la confiance d’un système étatique envers l’autre, comme pierre fondatrice de la spécificité du système de l’Union justifie la coexistence d’une pluralité de standards différents dont il n’est pas nécessaire, en principe, d’éliminer les divergences. Il est devenu fréquent de considérer que l’Union européenne repose sur un modèle « pluraliste » d’articulation des ordres juridiques la composant, selon lequel les conflits constitutionnels entre juges supérieurs nationaux et européens ne doivent pas trouver de solution ultime, laissant ainsi certaines marges d’incertitude et de diversité, tenant notamment aux identités constitutionnelles nationales, dont on ne sait précisément quels en sont et qui en trace les contours 70. Il est probable que le système conventionnel de protection ne soit pas suffisamment adapté, en l’état, pour tenir pleinement compte de la manière avec laquelle la pluralité juridique est organisée au sein de l’Union. Toutefois, dans l’Union, les difficultés que pose la lecture pluraliste de la protection des droits fondamentaux ne sont pas non plus pleinement surmontées en raison de l’attachement de la Cour de justice à asseoir son autorité. Cette ambivalence fragilise l’argument de la spécificité vis-à-vis de la Convention et pose la question de procéder à certaines évolutions au sein même du système de l’Union..
1. L’(in)adaptation du système de la Convention
L’adaptation du système conventionnel de protection des droits fondamentaux à la spécificité de l’Union européenne consisterait à devoir tenir compte d’une organisation plurielle des droits fondamentaux interne à une entité partie à la Convention. Deux évolutions, difficilement envisageables en l’état, seraient nécessaires afin d’exporter dans le système conventionnel le pluralisme interne caractérisant l’Union européenne : l’une pose la question de la marge d’appréciation « intra-communautaire », l’autre soulève le problème de la possible différenciation « intra-nationale ».
1.1. Vue de la Convention, l’Union est nécessairement une. La Cour européenne des droits de l’homme est largement indifférente à l’organisation interne du pouvoir au sein des Parties contractantes à la Convention. Alors que l’on trouve parfois des « clauses fédérales » dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qui limitent la responsabilité d’un État du fait de ses composantes fédérées agissant dans leur domaine de compétence 71, le fédéralisme interne n’est pas pris en compte dans la Convention européenne des droits de l’homme. L’État est son seul interlocuteur, les collectivités locales, même autonomes constitutionnellement, n’ayant pas plus accès à son prétoire qu’elles ne peuvent en tant que telles faire l’objet d’une requête. Ainsi, par exemple, la situation spécifique de la Suisse au sein de laquelle coexistent plusieurs niveaux de protection des droits fondamentaux, ne donne pas lieu à une adaptation du contrôle de conventionnalité, cet État devant répondre de la totalité des mécanismes locaux de protection malgré leur possible diversité de standard 72. De même, dans l’affaire Assanidzé c/ Géorgie, cette dernière a été condamnée en raison d’une résistance interne des organes d’une de ses communautés autonomes, refusant d’exécuter la décision de l’État central ordonnant la remise en liberté d’un détenu 73. L’indifférence peut même se muer en méconnaissance. Dans l’affaire Sedjic et Finci c/ Bosnie Herzégovine, la partition interne de l’État en différentes communautés autonomes constituait un des piliers constitutionnels de la réconciliation nationale 74. Toutefois, la Cour européenne n’a guère hésité à y voir une atteinte au principe d’égalité menaçant par son contrôle les mécanismes instaurant la forme interne de l’État et les équilibres délicats des démocraties pluralistes.
Cette représentation unitaire artificielle de la partie contractante à la Convention se justifie parfaitement au sens du droit international. Le stato-centrisme de la théorie fédérale qui ne parvient à penser le fédéralisme qu’à travers le modèle de l’État est probablement une des explications de cette inaptitude à tenir compte de la diversité interne des standards de protection découlant de formes d’autonomie politique au sein du sujet de droit international 75. Elle est renforcée par la tendance des mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme à délaisser la question de la forme du pouvoir interne pour ne s’intéresser qu’au fond des mesures qu’il adopte 76. Cette représentation n’est guère adaptée à la situation de l’Union européenne, qui n’est précisément pas un État au sens du droit international comme le souligne la Cour de justice. Dans son cas, toute la difficulté consiste à tenir compte des autonomies internes à l’Union dans le contrôle de la fameuse marge d’appréciation allouée de façon bien aléatoire par la Cour de Strasbourg. Une solution simple consisterait à distinguer selon que la mesure litigieuse a été adoptée dans la marge d’autonomie de l’État membre (qui est alors contrôlé en tant que tel) ou dans la marge d’autonomie de l’Union (qui fait en ce cas l’objet du contrôle), cette répartition devant être effectuée préalablement par la Cour de justice, de façon autonome comme on l’a vu, grâce notamment à une meilleure maîtrise des mécanismes de co-défense et d’implication préalable. Les marges d’autonomie respectives des différentes composantes à l’origine d’une mesure litigieuse serviraient ainsi de critère répartiteur du contrôle conventionnel. Toutefois, en pratique, il est extrêmement difficile de définir ces sphères respectives d’autonomie, et surtout leur origine. Un exemple suffit à le montrer. Dans l’affaire Åkerberg Fransson précédemment évoquée, la Cour de justice estime être en mesure de contrôler le respect principe de non bis in idem à propos d’une mesure nationale de cumul de sanction administrative et pénale en matière de fraude fiscale 77. Il est évident que cette mesure a été adoptée au sein d’une marge nationale d’appréciation en ce qu’aucun dispositif européen n’en commande l’adoption. Pour autant, elle a bien fait l’objet d’un contrôle au niveau de l’Union, la mesure entrant dans le sibyllin « champ d’application » du droit de l’Union et de la Charte. En cas de contestation par le requérant de la solution concluant, comme en l’espèce, à la non-violation du droit protégé, convient-il d’adresser une requête contre l’Union ou contre son État membre ? En pareille hypothèse, très fréquente en pratique, ce qui est en cause est la marge d’appréciation « intra-communautaire » des États membres de l’Union, c’est-à-dire leur possibilité d’adopter des standards propres au sein même du système de l’Union. La tentation sera grande d’en imputer l’entière responsabilité à l’Union pour avoir autorisé en son sein une telle autonomie intra-communautaire, mais la conséquence évidente de cette approche unitaire est d’ignorer les équilibres internes à l’Union et l’aménagement de la diversité en son sein. Si cette diversité provient elle-même de certaines formes d’identité constitutionnelle nationale, la Cour européenne des droits de l’homme se trouve en position de devoir arbitrer le pluralisme constitutionnel propre à l’Union. Lorsque la Cour de justice admet qu’une conception particulière d’un droit fondamental puisse être adoptée dans l’Union, une solution différente pourrait parfaitement être imposée par la Cour de Strasbourg sur le fondement de la Convention, conduisant à remettre en cause l’équilibre constitutionnel interne, notamment en situation transnationale.
1.2. Dans la lignée de ce qui précède, vu de la Convention, l’État membre de l’Union ne saurait également former qu’un tout unique. Or, l’appartenance à l’Union entraîne parfois un dédoublement du standard national de protection des droits fondamentaux, tout particulièrement dans des hypothèses transnationales de reconnaissance mutuelle. Cette situation, bien connue en droit de l’Union sous le terme de discrimination « à rebours » risque de s’avérer problématique dans le système de la Convention dont le logiciel ne semble pas adapté à cette spécificité. Classiquement, la discrimination « à rebours » consiste à ce qu’un État traite moins bien une situation purement nationale qu’une situation transnationale. Cette conséquence provient notamment du principe de reconnaissance mutuelle qui, sur le fondement d’une présomption de confiance oblige à reconnaître des situations constituées dans un autre État membre. Elle peut conduire à accorder certains avantages à des personnes ayant circulé dans l’Union par rapport à d’autres n’ayant pas eu cette chance ou cette prévoyance. L’exemple du droit au nom de famille, qui fait partie intégrante du droit fondamental à la vie privée, est révélatrice de ce dédoublement de standards de protection au sein des droits nationaux. Dans l’affaire 78, Garcia Avello 79, la Cour de justice a estimé que des enfants bi-nationaux, belges et espagnoles, avaient le droit de porter un double nom de famille contrairement aux nationaux belges pour tenir compte de la particularité de leur situation Ce traitement de faveur se justifie en droit de l’Union par le risque sinon que certains citoyens aient un nom différent selon l’État dans lequel ils résident, gênant leur libre circulation transnationale. Ainsi, le droit au nom devient à géométrie variable au sein même d’un État membre selon qu’un citoyen possède également la nationalité d’un autre État dans lequel le double nom de famille est autorisé. Dans l’affaire Grunkin-Paul, une solution identique a été retenue imposant à l’Allemagne de reconnaître un double nom de famille à un citoyen allemand résidant en Allemagne, mais né au Danemark, pays dans lequel sa naissance a été enregistrée sous un double nom de famille 80. Cette circonstance permet alors de se voir reconnaître la possibilité d’avoir un double nom de famille, avantage refusé au citoyen allemand sédentaire. D’autres exemples existent de cette différenciation, notamment en matière de titre de séjour et de vie familiale dont le bénéfice peut varier selon le lieu de naissance 81 ou de mariage 82. Cela est perturbant pour les sédentaires n’ayant pas eu la possibilité de « transnationaliser » leur situation et qui voient d’autres profiter au sein du même État de standards dont ils sont privés. Bien qu’on puisse légitimement en déplorer les conséquences, ce phénomène de discriminations à rebours semble induit par la libre circulation et le statut de citoyen européen qui peut aboutir à fragmenter celui de citoyen national. En découle un risque de profonde rupture du sentiment d’appartenance nationale fondé en substance sur l’absence de privilèges entre citoyens d’un même État 83.
Il est peu probable que le système conventionnel soit réceptif à cette fragmentation interne de l’État, notamment sous l’angle du respect du principe d’égalité. Certes, dans les affaires Moustaquim c/ Belgique et Chorfi c/ Belgique, la Cour de Strasbourg a entériné une distinction entre la catégorie des étrangers communautaires et celle des étrangers non-communautaires, déjà problématique du point de vue des droits fondamentaux 84. Toutefois, il semble difficilement envisageable qu’elle puisse faire de même s’agissant d’une distinction au sein même des nationaux d’un État membre selon la circonstance, indifférente du point de vue des droits de l’homme, tenant à la mobilité ou à la sédentarité de la personne. On peut ainsi craindre une revendication d’atteinte au principe conventionnel de non-discrimination qui amènerait le juge des droits de l’homme à trancher la question du bien-fondé de la différenciation « intra-nationale » provoquée par le droit de l’Union. Face à une telle discrimination « à rebours », l’alternative pour la Cour européenne des droits de l’homme n’est guère satisfaisante dans chacune de ses branches. La première consisterait à estimer que les situations de sédentarité et de mobilité dans l’Union ne sont pas comparables et que par conséquent la Convention ne s’oppose pas aux différenciations que provoque le principe constitutionnel de mobilité transnationale dans l’Union. Sous l’angle des droits fondamentaux, cette position semble néanmoins difficilement soutenable. A ce jour, la Cour européenne des droits de l’homme n’a été conduite à provoquer un éclatement éventuel du standard interne de protection, par exemple en matière de gestation pour autrui, que pour des motifs tenant aux droits fondamentaux eux-mêmes, comme notamment l’intérêt supérieur de l’enfant 85. La seconde branche de l’alternative conduirait la Cour de Strasbourg à estimer que les situations sont comparables et à déterminer si un intérêt général suffisant peut justifier une différence de traitement. Or, si l’intérêt de l’unification européenne n’est pas totalement ignoré, il est clair qu’il demeure subordonné au respect du principe conventionnel d’égalité qui pourrait parfaitement servir de fondement à un contrôle de situations parfois artificiellement créées pour contourner les règles de vie nationales. En tout état de cause, la discrimination « à rebours », autre face de la reconnaissance et de la confiance mutuelles, ne serait plus de la seule appréciation de la Cour de justice mais dépendrait du pouvoir de la Cour européenne de décider, sur le fondement du principe de non-discrimination, lesquelles parmi les situations transnationales justifient un standard différent de protection des droits fondamentaux. On objectera avec raison que le refus d’adhésion ne diminue en rien ce risque d’interférence de contrôles sur les situations transnationales, puisque c’est l’État membre qui est alors en cause. La question n’en mérite pas moins d’être posée de savoir comment le système conventionnel de protection peut réagir face à une organisation de la diversité juridique dans l’Union qui s’accommode, et même provoque, un éclatement des standards étatiques de protection des droits. Cela aurait pour conséquence non seulement de froisser l’autonomie du système de l’Union, ce qui semble inévitable, mais surtout de réagencer différemment la diversité juridique au sein même de l’Union. C’est pourtant à cette tentation que la Cour de justice cède parfois, provoquant une certaine ambivalence entre son discours externe et sa pratique interne.
2. L’adaptation du système de l’Union ?
Prendre l’idée simple de la spécificité au sérieux. Voici le reproche que l’on pourrait adresser à la Cour de justice, prompte à dégainer l’argument essentialiste vis-à vis de l’extérieur, mais parfois un peu moins empressée de l’assumer à l’intérieur en vue d’asseoir son autorité face à des prétentions concurrentes de juges nationaux. Il est probable en effet que la Cour européenne des droits de l’homme et les négociateurs du projet d’adhésion auraient été davantage sensibilisés à la spécificité du modèle d’organisation de l’Union, si celle-ci apparaissait de façon plus claire et rationnelle. Deux points, récurrents, méritent encore éclaircissement : la question du champ et la question du niveau de protection au sein même de l’Union. Ce n’est qu’à la condition que ces questions soient plus nettement résolues ad intra que des positions correspondantes pourront être défendues de façon crédible ad extra.
2.1. L’hypothèse de l’adhésion de l’Union à un contrôle externe du respect des droits fondamentaux est à la fois plus simple et plus compliquée que celle de l’adhésion d’un État fédéral. Elle est simplifiée par le fait que les États membres composants l’Union sont également membres de la Convention. Par conséquent, les standards nationaux des États de l’Union sont censés être déjà conformes à la Convention et contrôlés en tant que tels. Cela crée une certaine convergence préalable. Elle est néanmoins compliquée, on l’a vu, par l’absence de pleine substitution de l’Union à ses États membres vis-à-vis de la Convention. Une même mesure nationale peut ainsi parfaitement être à la fois considérée comme imputable à un État membre ou à l’Union selon la circonstance, assez aléatoire en pratique, qu’elle est couverte ou non par la protection développée au niveau de l’Union sur le fondement de la Charte, des principes généraux, voire même de la Convention qui ferait partie intégrante du droit de l’Union. Cela repose, sous un autre angle, la question du partage du champ d’application de la protection. Le problème n’est plus la délimitation autonome de ce champ, mais le principe même d’un tel champ partagé qui, à notre connaissance, n’a pas d’antécédent ni d’équivalent en matière de protection des droits fondamentaux. L’artifice de la vision unitaire de l’État fédéral de l’extérieur provient de ce que la diversité interne soit perçue comme un produit du système fédéral lui-même. De cette façon, la marge d’autonomie conférée par le système fédéral en son sein peut être comprise comme étant à l’origine d’une violation des droits fondamentaux. Ici réside l’ambivalence de la position européenne, qui finalement n’est pas si éloignée de celle d’un État fédéral mais refuse de l’assumer pleinement 86. La question est de savoir s’il faut comprendre la délimitation du champ de protection comme étant le produit du système de l’Union, ou plutôt comme une contrainte externe qui s’impose à lui. Or, à suivre la Cour de justice, à elle seule revient la tâche de délimiter le champ du droit de l’Union 87, bien que ce monopole soit contesté par certains juges nationaux 88.
Le même raisonnement pourrait être tenu s’agissant du niveau de protection. On serait tenté de répondre que la marge de liberté politique laissée aux États dans la définition de standards de protection provient du système de l’Union lui-même. L’affaire Melloni, déjà évoquée, fournit une bonne illustration de l’attitude ambivalente de la Cour de justice à l’égard du pluralisme interne européen. Malgré la lettre de l’article 53 de la Charte consacrant l’application de la norme la plus favorable, elle estime le standard européen de protection « suffisant », bien qu’inférieur (et donc non-équivalent) au standard national, au nom de « la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union » 89. Cette posture centralisatrice contredit l’idée d’une coexistence pluraliste de différents standards nationaux différents. Malgré son ambition affichée de préservation de la diversité, la reconnaissance mutuelle conduit en réalité à une certaine uniformisation progressive des droits internes : en l’occurrence les besoins de la reconnaissance des condamnations pénales érodent les spécificités des standards constitutionnels nationaux de protection des droits fondamentaux, même plus favorables. Le contrôle exercé par la Cour de justice sur les atteintes acceptables à la reconnaissance mutuelle dans l’Union l’amène mécaniquement à provoquer un alignement des standards nationaux sur le niveau jugé pertinent de protection du point de vue de l’intégration européenne. Certes, dans la jurisprudence Omega, les juges européens ont reconnu qu’une certaine pluralité de conceptions des droits fondamentaux en général, et du principe de dignité en particulier, pouvait exister selon les approches nationales, justifiant des entorses à la stricte reconnaissance de standards moins protecteurs 90. De même, en évoquant l’identité nationale de l’article 4 §2 TUE la Cour de justice a admis dans l’arrêt Sayn-Wittgenstein qu’une conception particulière du principe d’égalité puisse justifier des entorses à la stricte reconnaissance transnationale du nom de famille, élément important de l’identité et de la vie privée 91. Toutefois, là encore, c’est sur le fondement du droit de l’Union lui-même que la Cour distribue certaines marges nationales de spécificité et d’identité, à l’instar d’une juridiction fédérale, provoquant des risques de protestation des juges nationaux estimant que la solution proposée leur paraît insuffisamment respectueuse de leurs contraintes constitutionnelles internes 92. Par conséquent, il serait opportun que la Cour de justice applique pour elle-même la règle d’attention mutuelle que requiert le pluralisme constitutionnel afin de faire apparaître plus clairement l’originalité de son propre modèle d’aménagement de la diversité normative au sein de l’Union.
2.2. Les frontières, souvent imprécises, du champ d’application et du niveau de protection étant conçues par la Cour de justice comme le produit autonome et exclusif de son propre pouvoir d’appréciation, il est légitime de se demander d’où provient la différence avec le modèle fédéral qui distribue en son sein des marges d’autonomie. Au final l’argument autonomiste en vient à contredire celui de la spécificité en rapprochant l’Union d’un système fédéral sous l’angle de la protection des droits fondamentaux. Cette évolution possible pourrait résoudre bien des difficultés. On ne peut s’empêcher de penser que si l’Union prétend à une forme d’unité politique, elle doit être en mesure d’afficher une certaine unité ad extra, en apparaissant du point de vue de la protection des droits fondamentaux comme capable d’abriter la diversité de standards internes dans un cadre commun. Il y a par conséquent dans le rejet de l’adhésion au travers de l’argument essentialiste de la spécificité européenne et de sa nature non-étatique, une ambivalence dans le renoncement à assumer une véritable unité de protection au-delà de la diversité des standards internes. C’est finalement entériner l’existence d’un système désincarné, sans véritable âme unificatrice. Or, c’est précisément ce qu’il manque à l’Union actuelle, en panne d’identité et de légitimité. Il lui faut progressivement trouver les ressources pour élaborer un modèle européen de société articulé autour de valeurs communes interprétées dans un cadre global, un modèle propre de ce qui est perçu comme juste par une collectivité à la fois une et multiple 93. Ce défi n’est pas des plus simples à relever, c’est pourquoi malgré l’indéniable bien-fondé des arguments essentialistes avancés à l’encontre de l’adhésion, une vision à plus long terme d’une unification généralisée des droits fondamentaux au sein de l’Union aurait pu également animer les juges à la Cour de justice. Il faudrait pour cela, comme d’aucuns l’envisageaient déjà de manière moins saugrenue qu’il n’avait pu y paraître 94, que l’Union succède à ses États membres dans la participation au système de la Convention. On pourrait croire une telle perspective bien irréaliste, et pourtant les États membres de l’Union ont déjà abandonné leur pleine autonomie en matière de protection des droits fondamentaux au profit d’un contrôle généralisé sur le fondement de la Convention. Pourquoi ne le feraient-ils donc pas dans l’Union ?
Conclusion : Jamais deux sans trois ?
Plus l’unification des Europes paraît avancer et plus elle semble s’éloigner. Nettement impréparée, la première tentative a été rapidement balayée. Davantage pensée, la seconde a poussé les juges de l’Union à un retour réflexif sur ce qui fait le sens de l’intégration européenne et la nature spécifique du fédéralisme dans l’Union. Il ressort des différents arguments mobilisés de façon quelque peu désordonnée que, dans le rejet de l’adhésion, il y a autre chose que des préoccupations d’autonomie de juges désireux de préserver leur pouvoir. Le cœur du problème provient d’un choc épistémologique et méthodologique plus profond dans la réalisation de l’unité européenne.
Certes, chacun des deux systèmes est né de l’ambition de dépasser la toute-puissance de l’État en l’inscrivant dans un cadre supranational plus large, mais ils le font de façon différente. Tandis que le système de la Convention continue d’envisager l’État nation comme l’idéal-type de la forme de détention du pouvoir sur un espace donné, dont il suffit d’encadrer l’exercice afin d’éviter les passions politiques, le système de l’Union s’est employé à déconstruire la conception de l’État comme agissant dans un intérêt exclusivement national. L’intégration européenne par la libre circulation transnationale, la reconnaissance mutuelle, et en définitive la présomption de confiance horizontale entre États que le système de l’Union instaure et protège, conduit à penser la diversité politique et juridique non pas seulement dans l’Union, mais à l’intérieur de ses États membres. Contrairement à la Convention qui conforte l’idée que l’État est seul responsable d’un standard de protection sur son territoire, l’Union exacerbe la diversité des standards au sein même de l’État. En participant à l’Union, l’État lie son destin à d’autres en n’étant plus en mesure de décider exclusivement de ce qui est bon pour la collectivité nationale. Il doit composer avec des standards nationaux différents éventuellement applicables sur son propre territoire qui devient ouvert aux idées et aspirations des autres collectivités nationales. C’est en ce sens que le fédéralisme a une nature horizontale, au travers d’un débat démocratique transnational qui oblige les États à tenir compte des intérêts de ceux dont la situation déborde le cadre national de représentation.
De cette divergence théorique sur la conception de l’État, il ne faut toutefois pas inférer une discordance insurmontable dans la protection des droits. Il est évident que le système de la Convention participe profondément au décloisonnement et au dépassement du cadre étatique. Par ailleurs, la présence de la Convention assure une certaine confiance entre les États de l’Union qui y puisent un socle de valeurs communes effectivement protégées. Le système conventionnel rend ainsi possible l’échange entre les systèmes nationaux et le débat d’idées entre sociétés démocratiques. Enfin, l’inévitable tropisme « droits de l’hommiste » au travers duquel la Cour de Strasbourg appréhende les situations qui lui sont soumises est en définitive un des rares qui puisse légitimer le pouvoir des juges face aux excès potentiels de la démocratie politique dans un contexte de montée des contestations. Cependant, le système conventionnel a montré une certaine inaptitude à tenir compte de la spécificité des situations transnationales qui constituent la raison d’être de l’Union, en tant que garante d’un fédéralisme horizontal entre États membres. La démolition de la présomption de confiance entre États membres de l’Union par une obligation de contrôle individualisé des risques de violation des droits fondamentaux est symptomatique du risque réel d’incompatibilité génétique des deux systèmes.
Pour éventuellement les réconcilier et satisfaire au souhait d’adhésion formulé dans les traités, des évolutions de chacun des systèmes en présence sont nécessaires. Du côté de la Convention, il faudrait accepter l’idée que tous les États membres de l’Union étant soumis au contrôle conventionnel, seules les violations directement commises par un État membre doivent être examinées, ce qui devrait éviter de remettre ouvertement en cause la présomption de confiance horizontale dans l’Union. Plus généralement l’ensemble de situations transnationales intracommunautaires devrait faire l’objet d’un examen particulièrement attentif sur le fondement de la Convention, notamment sur la question des discriminations à rebours qui devrait constituer un des enjeux à venir de la possible complémentarité des systèmes. Du côté de l’Union, les mécanismes internes de répartition du contrôle des droits fondamentaux que sont le champ et le niveau de protection devraient être clarifiés. Le compromis consistant à étendre le champ de protection au-delà des seules mesures nationales d’exécution du droit de l’Union sans pour autant le généraliser totalement, crée des zones d’incertitude constitutionnelle difficilement projetables à l’échelle conventionnelle. A terme, se poserait la question d’une pleine centralisation du contrôle des droits fondamentaux de l’Union au sein de laquelle des marges d’autonomies seraient aménagées aux différents niveaux constitutionnels et assumées par l’Union elle-même. Alors, peut-être, la troisième fois serait-elle la bonne.
Notes:
- CJCE, 28 mars 1996, Adhésion de la Communauté à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, avis 2/94 ; CJUE, 18 décembre 2014, avis 2/13. ↩
- CJUE, 26 février 2013, Melloni, aff. C-399/11 ↩
- CJUE, 30 mai 2013, Jeremy F., aff. C-168/13 PPU. ↩
- F.-X. Millet, « Le premier renvoi préjudiciel de la Cour constitutionnelle fédérale allemande : un pas en avant, trois pas en arrière », RDP, 2015, n° 1, pp. 185-203. ↩
- Projet du 10 juin 2013, cinquième réunion de négociation entre le groupe de négociation ad hoc du CDDH et la Commission européenne sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. ↩
- Dans sa prise de position du 13 juin 2014, rendue publique le même jour que l’avis, l’Avocat général se contente d’émettre des réserves à l’adhésion sans déceler d’incompatibilité insurmontable. ↩
- Voy. H. Labayle, « La guerre des juges n’aura pas lieu. Tant mieux ? Libres propos sur l’avis 2/13 de la Cour de justice relatif à l’adhésion de l’Union à la CEDH », décembre 2014, www.gdr-elsj.eu; J.-P. Jacqué, « CJUE-CEDH : 2-0 », RTDE, 2014, n° 4, pp. 823-832. ↩
- Point 174 de l’avis 2/13. ↩
- CJCE, 5 février 1963, NV Van Gend en Loos, aff. 26/62, Rec. spéc. p. 23 ; CJCE, 15 juillet 1964, Costa, aff. 6/64, Rec. spéc. p. 1158. Voy. notamment L.-J. Constantinesco, « La spécificité du droit communautaire », RTDE, 1966, pp. 1-30 ; P. Pescatore, Le droit de l’intégration : émergence d’un phénomène nouveau dans les relations internationales selon l’expérience des Communautés européennes, Genève, IHEI, Leyde, Sijthoff, 1972, 99 p., réed. Bruylant, 2005. ↩
- A. Pellet, « Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire », RCADE, 1997, pp. 193-271. ↩
- Voy. notamment CC, 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, n° 2004-505 DC, spéc. cons. 11, qui consacre « l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international ». ↩
- J. Malenovsky, « L’enjeu de l’éventuelle adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme », RGDIP, 2009, n° 9, pp. 753-783. ↩
- Le terme revient à quatorze reprises à partir du point 144 qui débute la prise de position de la Cour dans l’avis 2/13. ↩
- J. H. H. Weiler, “The Transformation of Europe”, The Yale Law Journal, 1991, vol. 100, n° 8, pp. 2403-2483. ↩
- M. Troper, « La constitution comme système juridique autonome », Droits, vol. 35, 2002, spéc. p. 66. ↩
- Spéc. points 170 et 183 de l’avis. ↩
- Spéc. point 184 de l’avis. ↩
- J.H.H. Weiler et U.R. Haltern, “The Autonomy of Community Legal Order – Trough the Looking Glass”, HILJ, vol. 37, 1996, spéc. pp. 413 et s. ↩
- Voy. notamment CJUE 8 mars 2011, Création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets, avis 1/09, spéc. points 78, 80 et 89. ↩
- Voy. R. Dworkin, A Matter of Principle, Havard University Press, 1986, spéc. pp. 11-12 et 27-28; M. Loughlin, The Idea of Public Law, Oxford University Press, 2004, spéc. pp. 114-115 et 128-130. ↩
- CJCE, 22 octobre 1987, aff. 314/85. ↩
- CJCE, 30 mai 2006, Commission c/ Irlande, aff. C-459/03. Citée point 201. ↩
- Voy. A. Scalia, “Foreign Legal Authority in the Federal Courts”, American Society of International Law Proceedings, 2004, vol. 98, p. 305. ↩
- Telle est notamment la position, au moins apparente et de principe, du juge constitutionnel français, voy. CC, 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, déc. n° 2010-605 DC, spéc. cons. 11. ↩
- P. Pescatore, « Les droits de l’homme et l’intégration européenne », CDE, 1968, pp. 629-673. ↩
- Cette présomption ne joue déjà plus en cas de marge d’autonomie des États (CEDH, 21 janvier 2011, M.S.S. c/ Belgique et Grèce, req. n° 30696/09), ou en cas d’absence de contrôle juridictionnel par la Cour de justice (CEDH, 6 décembre 2012, Michaud c/ France, req. n° 12323/11). ↩
- Point 182 de l’avis. ↩
- Point 176 de l’avis. ↩
- Point 199 de l’avis. ↩
- F. Sudre, « De QPC en Qpc… ou le Conseil constitutionnel juge de la Convention EDH », La Semaine juridique, Édition Générale, 6 octobre 2014, n° 41, pp. 1799-1806. ↩
- Points 236 et s. de l’avis. ↩
- Point 239 de l’avis. ↩
- Points 249 et s. de l’avis. ↩
- Points 215 et s. de l’avis. ↩
- CJUE, 26 février 2013, Åkerberg Fransson, aff. C-617/10. Voy. D. Ritleng, « De l’articulation des systèmes de protection des droits fondamentaux dans l’Union. Les enseignements des arrêts Akerberg Fransson et Melloni », Revue trimestrielle de droit européen, 2013, n° 2, pp. 267-290. ↩
- Voy. E. Dubout, « Le défi de la délimitation du champ de la protection des droits fondamentaux par la Cour de justice de l’Union européenne », European Journal of Legal Studies, 2013, vol. 6, pp. 5-23 ↩
- Spéc. point 158 de l’avis. ↩
- Spéc. point 156 de l’avis. ↩
- Spéc. point 165 de l’avis. ↩
- Spéc. point 166 de l’avis. ↩
- L. Burgorgue-Larsen, « A propos de la notion de compétence partagée. Du particularisme de l’analyse en droit communautaire », RGDIP, 2006, n°2, pp. 373-390. ↩
- R. Medhi, « Avis 2/13 : le mécanisme de codéfendeur à l’épreuve de l’autonomie du droit de l’Union européenne », janvier 2015, www.gdr-elsj.eu ↩
- Cour constitutionnelle allemande, 6 juillet 2010, Honeywell, 2 BvR 2661/06. Voy. D. Hanf, « Vers une précision de la Europarechtsfreundlichkeit de la Loi fondamentale – L’apport de l’arrêt « Rétention des données » et de la décision « Honeywell » du BVerfG », Collège d’Europe, Cahiers juridiques n° 3/2010, spéc. pp. 16 et s ↩
- CJUE, 19 janvier 2010, Kücükdeveci, aff. C-555/07. ↩
- CJCE, 22 novembre 2005, Mangold, aff. C-144/04. ↩
- D. Spielmann, « Obligations positives et « effet horizontal » des dispositions de la Convention », in F. Sudre (dir.), L’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 133-174. ↩
- B. De Witte, « Retour à Costa. La primauté du droit communautaire à la lumière du droit international », RTDE, 1984, pp. 425-454. ↩
- CJCE, 30 septembre 2003, Köbler, aff. C-224/01. ↩
- Spéc. points 187 et s. ↩
- CJUE, 26 février 2013, Melloni, préc., spéc. point 60. ↩
- Point 168 de l’avis. ↩
- Pour une synthèse, C. Janssens, The Principle of Mutual Recognition in EU Law, OUP, 2013, 408 p. ↩
- H. Labayle, « Droit d’asile et confiance mutuelle : regard critique sur la jurisprudence européenne », CDE, 2014, n° 3, pp. 501-534. ↩
- CJUE, 21 décembre 2011, N.S., aff. C-411/10, spéc. point 83. ↩
- Pour une des rares études sur cet aspect du fédéralisme, voy. A. Erbsen,“Horizontal Federalism”, Minnesota Law Review, 2008, vol. 93, n° 2 pp. 493 et s., accessible en ligne (65 p.). Voy. également O. Beaud, Théorie de la Fédération, Paris, Puf, 2007, spéc. pp. 202 et s. ↩
- Voy. de façon générale L. Azoulai, « Appartenir à l’Union. Pour un droit des relations entre les Etats de l’Union », in Europe(s), Droit(s) européen(s) – Une passion d’universitaire. Liber Amicorum en l’honneur du professeur Vlad Constantinesco, Bruxelles, Bruylant, 2015, à paraître. ↩
- En ce sens, et militant pour un arbitrage avant tout politique des différends horizontaux entre États dans un système de type fédéral, voy. H. K. Gerken, A. Holtzblatt, “The Political Safeguards of Horizontal Federalism”, Michigan Law Review, 2014, vol. 113, pp. 57-120. ↩
- S. Sassen, “Denationalization or Globalization ?”, Review of International Political Economy, 2003, pp. 1–22. ↩
- Voy. I. Canor, “My brother’s keeper? Horizontal solange: “An ever closer distrust among the peoples of Europe””, CMLR, 2013, vol. 50, pp. 383–421. ↩
- Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, JO L 012 du 16/01/2001 pp. 1-23 ↩
- CEDH, 15 janvier 2004, Lindberg c/ Suède, req. n° 48198/99. ↩
- CEDH, 24 février 2014, Avotins c/ Lettonie et Chypre, req. n° 17502/07. voy. J.-S. Bergé, « Les rapports UE et CESDHLF en matière de coopération judiciaire civile : entre rétrospective et prospective », RTDE, 2014, n° 2, pp. 361-373. ↩
- Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, JO L 50, 25.2.2003, pp. 1–10, remplacé depuis par le Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), JO L 180 du 29.06.2013. ↩
- CEDH, 21 janvier 2011, M.S.S. c/ Belgique et Grèce, req. n° 30696/09. ↩
- Voy. E. Dubout, « Du jeu des présomptions dans un espace normatif pluraliste », La Semaine juridique, JCP G, 18 avril 2011, n° 466, pp. 760-764. ↩
- CEDH, 4 novembre 2014, Tarakhel c/ Suisse, req. n° 29217/12. ↩
- CJUE, 21 décembre 2011, N.S., aff. C-411/10, spéc. point 86. ↩
- CEDH, 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni, req. n°14038/88. ↩
- Voy. néanmoins CJUE, 14 novembre 2013, Puid, aff. C-4/11, spéc. point 29, où la Cour semble laisser une certaine discrétion aux autorités nationales dans le choix d’examiner elles-mêmes la demande sur le fondement de la clause de souveraineté (article 3 §2) du règlement Dublin. ↩
- N. MacCormick, “Beyond the Sovereign State”, Modern Law Review, 1993, vol. 56, pp. 1-18. M. Avbelj and J. Komarek (ed.), Constitutional Pluralism in the European Union and Beyond, Oxford, Hart Publishing, 2012, 424 p. ↩
- Voy. par exemple l’article 28 de la Convention américaine des droits de l’homme. ↩
- S. Besson und E. M. Belser (dir.), La Convention européenne des droits de l’homme et les cantons / Die Europäische Menschenrechtskonvention und die Kantone, Zürich, Schulthess Veralg, 2014, 348 p. ↩
- CEDH, 8 avril, 2004, Assanidzé c/ Géorgie, req. n° 71503/01, spéc. points 137 et s. La Cour y énonce notamment, que « la Convention ne se contente pas d’astreindre les autorités suprêmes des États contractants à respecter elles-mêmes les droits et libertés qu’elle consacre ; elle implique aussi qu’il leur faut, pour en assurer la jouissance, empêcher ou corriger la violation aux niveaux inférieurs » (spéc. point 146). Elle ajoute qu’elle « ne saurait avoir pour interlocuteurs plusieurs autorités ou juridictions nationales, et les différends institutionnels ou de politique interne ne sauraient être examinés par elle » (spéc. point 149). ↩
- CEDH, 22 décembre 2009, req. n° 27996/06 et 34836/06. ↩
- O. Beaud, « Droits de l’homme et du citoyen et fédéralisme », Revue universelle des droits de l’homme, 2004, pp. 16-26. ↩
- Faisant le lien entre droits de l’homme, fédéralisme et démocratie, voy. S. Besson, « Le droit international et européen des droits de l’homme et la forme politique fédérale — Je t’aime, moi non plus », in S. Besson und E. M. Belser (dir.), La Convention européenne des droits de l’homme et les cantons / Die Europäische Menschenrechtskonvention und die Kantone, Zürich, Schulthess Veralg, 2014, pp. 215-249 ↩
- CJUE, 26 février 2013, Åkerberg Fransson, aff. C-617/10 ↩
- A. Tryfonidou, Reverse Discrimination in EC Law, Kluwer Law International, 2009, 292 p. ↩
- CJCE, 2 octobre 2003, Garcia Avello, aff. C-148/02. ↩
- CJCE, 14 octobre 2008, Grunkin et Paul, aff. C-353/06. ↩
- CJCE, 19 octobre 2004, Zu et Chen, aff. C-200/02 ↩
- CJCE, 25 juillet 2008, Metock et autres, aff. C-127/08 ↩
- G. Davies, “The Humiliation of the State as a constitutional Tactic”, in F. Amtenbrink et P.A.J. Van Den Berg (eds.), The Constitutional Integrity of the European Union, Asser Press, The Hague, 2010, pp. 147-174. ↩
- CEDH, 18 février 1991, Moustaquim c/ Belgique, req. n° 12313/86 ; CEDH, 7 août 1996, Chorfi c/ Belgique, req. no 21794/93. ↩
- CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c/ France, req. n° 65192/11 ; CEDH, 26 juin 2014, Labassee c/ France, req. n° 65941/11. ↩
- A. Torres Perez, “The Dual System of Rights Protection in the European Union in the Light of US Federalism”, in E. Cloots, G. de Baere, and S. Sottiaux (eds), Federalism in the European Union, Hart, 2012, pp. 110-130. ↩
- CJUE, 26 février 2013, Åkerberg Fransson, préc. ↩
- Cour constitutionnelle allemande, 24 avril 2013, Data-base Terrorism, 1 BvR 1215/07. ↩
- CJUE, 26 février 2013, Melloni, préc., spéc. point 60. ↩
- CJCE, 14 octobre 2004, Omega Spielhallen, aff. C-36/02. ↩
- CJUE, 22 décembre 2010, Sayn-Wittgenstein, aff. C-208/09. ↩
- M. Bobek, “Of Feasibility and Silent Elephants : The Legitimacy of the Court of Justice Through the Eyes of National Courts”, in M. Adams, H. de Waele, J. Meeusen and G. Straetmans (eds.), Judging Europe’s Judges, Hart, 2013, pp. 197–234. ↩
- D. Kochenov, G. De Burca, A. Williams (eds.), Europe’s Justice Deficit, Hart, 2015, 504 p. ↩
- P. Pescatore, « La CJCE et la Convention européenne des droits de l’homme », in Protecting Human Rights, The European Dimension – Studies in Honour of G.J. Wiarda, Cologne, Heymanns Verlag, 1988, pp. 441-455. Voy. également A. Clapham, “Human Rights in the Common Foreign Policy”, in P. Alston (ed.), The EU and Human Rights, OUP, 1999, spéc. pp. 658-659. ↩