Vulnérabilité et cellule familiale
CHAPITRE 1 – Vulnérabilité et cellule familiale
La cellule familiale qui peut assez spontanément être envisagée comme un lieu de protection et d’accompagnement de ses membres en situation de vulnérabilité se révèle parfois le terreau de vulnérabilités. Le défi – dans ce cercle intime – est alors de parvenir à identifier ces situations de vulnérabilité, souvent cachées et tues, d’inviter chacun à en prendre conscience et de proposer un accompagnement associatif et institutionnel adapté, au plus près des intéressés, construit avec eux et pour eux. Libérer la parole implique également de travailler sur le poids des représentations sociales et des habitudes et de renforcer la prévention.
- Vulnérabilité et cellule familiale. Le regard du juriste. Par Cathy POMART, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles, Université de La Réunion
- Échanges
CONTRIBUTIONS :
Vulnérabilité et cellule familiale. Le regard du juriste.
Cathy POMART, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles,
Université de La Réunion.
Il s’agit de réfléchir sur la place que le droit de la famille réserve à la notion de vulnérabilité. Plus précisément, quelle protection la matière familiale garantit-elle aux personnes vulnérables et à leurs droits fondamentaux ?
Il semble important de signaler que la notion de vulnérabilité n’est pas affichée de manière transversale, ni même clairement affirmée en droit de la famille mais cette notion n’est cependant pas totalement absente de la matière familiale, loin s’en faut. Ainsi, il existe un lien évident entre la notion de vulnérabilité et le droit des personnes, plus précisément les régimes de protection qui sont dépendants du concept de vulnérabilité. La notion de vulnérabilité est une notion sous-jacente en droit de la famille.
Notre législation ne vise pas en tant que telle la personne vulnérable. Pourquoi un tel manque de succès de la notion de vulnérabilité ? Trop souvent encore le droit de la famille propose un raisonnement catégoriel (il vise l’enfant, la femme, l’époux, etc.) même si des efforts de bilatéralisation et de décloisonnement sont opérés.
La famille est classiquement perçue comme devant être un lieu privilégié de protection. L’accompagnement au sein de la famille est d’ailleurs privilégié par le droit français car il est censé répondre au mieux aux attentes de l’intéressé et ne pèse pas sur la société. Si la cellule familiale est a priori un outil d’accompagnement des vulnérabilités (I°), elle peut cependant se révéler être une source de vulnérabilités (II°).
I – La cellule familiale, outil d’accompagnement des vulnérabilités
L’accompagnement familial se caractérise par la diversité de dispositifs adoptés par le législateur (A) et l’adaptabilité des mesures prononcées dans les faits (B).
A – Une diversité de dispositifs d’accompagnement reposant prioritairement sur la cellule familiale
L’identification et l’analyse des dispositifs qui – au sein de la cellule familiale – permettent de garantir la protection d’une personne vulnérable invite à conclure à leur grande diversité.
On songe d’abord au devoir de secours entre époux (art. 212 Cciv.) et aux obligations alimentaires au sein de la famille (art. 205 s. Cciv.). La solidarité conjugale et familiale repose sur une réciprocité des obligations commandées par un besoin. On peut également penser aux prérogatives d’autorité parentale, droit fonction finalisé (art. 371-1 al. 1 Cciv.). L’objectif de ces prérogatives est bien de protéger l’enfant « dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne » (art. 371-1 al. 2 Cciv.). L’intervention de l’autorité – administrative ou judiciaire – dans le cadre de l’exercice des droits et devoirs parentaux est par principe exceptionnelle et est justifiée tantôt par un danger avéré, un risque de danger, un danger présumé, un danger manifeste, un désintérêt ou encore un délaissement[1]. On peut encore envisager la protection judiciaire de la personne majeure souffrant d’une incapacité (d’exercice). Cette mesure prévoit une priorité familiale (art. 449 et 450 Cciv.) et n’est envisageable que si le régime matrimonial ne suffit pas à pourvoir aux intérêts de la personne vulnérable (art. 428 Cciv. réf. aux art. 217, 219, 220-1, 1426, 1429 Cciv).
Plus récemment, des dispositifs nouveaux sont apparus et cherchent encore, pour certains, leur place. On songe ici à l’habilitation familiale (art. 494-1 à -12 Cciv. et 1260-1 à -12 Cpc), mesure permettant aux proches d’une personne hors d’état de manifester sa volonté de la représenter ou de passer des actes en son nom sans avoir à se soumettre au formalisme habituel des mesures de protection judiciaire (en particulier aucun compte de gestion), voire au mandat de protection future. Le mandataire est librement choisi par le mandant (art. 480 Cciv.) et peut être un membre de la famille ou un proche. De même, l’articulation de la déclaration judiciaire de délaissement parental avec le retrait de l’autorité parentale fondé sur le désintérêt à l’égard du mineur devra encore être précisée par la pratique.
Il ressort de ces nombreux dispositifs de protection que tout un chacun peut se retrouver dans une situation de vulnérabilité. La vocation de la cellule familiale est de permettre de surpasser ces situations, transitoires ou durables. La force des mesures qui peuvent être prononcées réside dans leur adaptabilité à la situation concernée et à son évolution.
B – L’adaptabilité des mesures et de la protection
Les mesures de protection doivent être nécessaires, subsidiaires et individualisées. Le cadre familial permet cette souplesse et favorise assurément l’association de la personne vulnérable aux décisions qui la concerne.
Pour illustrer cette exigence d’adaptabilité, on peut évoquer la protection de l’incapable majeur, protection qui n’est pas uniforme mais pour laquelle une individualisation est possible. Le législateur en 1968[2] et en 2007[3] a en effet prévu une gradation des mesures de protection. L’étendue de la protection varie en fonction de la gravité de l’altération des facultés du majeur. Le régime de protection doit répondre aux besoins effectifs de l’intéressé (art. 428 Cciv.) : le juge des tutelles peut ainsi valablement énumérer les actes que le majeur conserve la possibilité d’effectuer seul[4]. Par ailleurs, l’évolution de l’état de la personne – qu’il s’agisse d’une amélioration ou d’une dégradation – peut nécessiter une adaptation de la protection et les changements de régime sont possibles. Enfin, des mesures de protection allégées peuvent être envisagées selon les circonstances : le juge peut ne mettre en place qu’une simple administration légale sous contrôle judiciaire si un conjoint / un proche peut assurer la gestion des biens du majeur (art. 497 Cciv.).
De la même manière, l’habilitation familiale peut être conçue « à la carte » (la représentation aura lieu pour tous les actes de la vie ou certains seulement, en fonction de l’état de l’intéressé) et le juge peut y mettre fin à tout moment dès lors que la mesure n’apparaît plus nécessaire (art. 494-1 s. Cciv.).
On peut encore envisager les décisions prises en matière d’autorité parentale, décisions révisables à tout moment par le juge[5]. Ces mesures doivent notamment intégrer la prise en compte de l’avis du mineur et composer avec l’autonomie croissante qu’il lui est reconnue[6]. L’article 371-1 alinéa 3 du Code civil énonce d’ailleurs que « les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».
La diversité des mesures de protection permet – en théorie en tout cas – d’adapter ces mesures au degré de vulnérabilité. L’adaptation « prêt à porter » du législateur est complétée par un travail de « sur mesure » confié au magistrat. L’adaptation est donc in fine le défi du juge. L’enjeu est de ne pas surprotéger pour ne pas être contreproductif : il faut garantir les meilleures chances d’inclusion dans la société à terme et ne pas exclure définitivement.
La famille apparaît donc être le premier garant de la protection d’un individu. Parfois, cependant, la cellule familiale ne parvient cependant pas à protéger, voire expose ses membres à des dangers en étant source de vulnérabilités.
II – La cellule familiale, source de vulnérabilités
La famille n’est pas nécessairement cette sphère garantissant la protection de la personne vulnérable, au contraire. Dès lors, il est nécessaire de trouver d’autres outils permettant la protection de la personne en situation de vulnérabilité. C’est en raison de la vulnérabilité d’un membre de la famille que le législateur s’est reconnu et se reconnaît encore aujourd’hui la faculté de s’immiscer dans la sphère des relations privées des parents et des enfants (A). Les outils contemporains de protection des plus vulnérables que sont les droits fondamentaux et le contrôle de proportionnalité jouent pleinement en droit de la famille (B).
A – La protection de la personne vulnérable par l’intervention étatique dans la cellule familiale
Cette protection du législateur concerne la personne en situation de vulnérabilité au sein de sa propre famille. Une telle protection n’allait pas de soi. Initialement en effet, la famille était un groupe fermé sur lui-même, placé sous la puissance du chef de famille. Les prérogatives discrétionnaires liées à la qualité de chef de famille étaient nombreuses (conception consacrée dans le Code civil de 1804). La puissance maritale et la puissance paternelle justifiaient le pouvoir déterminant du père / mari. Une évolution progressive s’est opérée avec les lois Carbonnier de 1965[7], 1985[8], 1970[9]. Chaque membre de la famille est reconnu dans son individualité. Le législateur a progressivement admis l’intervention étatique dans la sphère familiale. Ce contrôle judiciaire sur la famille encouragé par le législateur permet d’assurer la protection du « plus faible », du « plus vulnérable » au sein de la cellule familiale (protection de la femme mariée contre son mari, protection de l’enfant, etc.) a en outre été conjugué à un mouvement d’égalité en droit de la famille (égalité des époux, des parents, des enfants). La principale méthode mise en œuvre par le législateur pour garantir ce contrôle consiste en l’intégration de notions à contenu variable dans les textes législatifs (intérêt de l’enfant, du conjoint, etc.)[10].
Au titre des mesures protectrices des personnes vulnérables, leur vulnérabilité ayant pour source la famille, on peut songer à la protection du logement familial (art. 215 Cciv.), à la protection contre les violences conjugales (art. 515-9 à 515-12 Cciv. applicable aux (ex)époux, (ex)partenaires pacsés ou (ex)concubins – ordonnance de protection / éloignement du compagnon violent) ; au cas particulier du mariage forcé (art. 515-13 Cciv.) ; à la protection de l’enfant en danger – mesures d’assistance éducative (art. 375 à 375-9 Cciv.), de retrait de l’autorité parentale (art. 378 – 381 Cciv.) mais également de déclaration judiciaire de délaissement parental (art. 381-1 Cciv.) –.
A la vérité, le droit de la famille français ne protège pas « la personne vulnérable » mais l’enfant, la mère, le père, etc. Ces derniers ne sont pas nécessairement en situation de vulnérabilité. Le raisonnement catégoriel rencontre donc ses limites. Le législateur tente alors de préciser ses mesures en visant – par exemple – non l’enfant de manière générale mais l’enfant en danger, l’enfant victime d’un désintérêt, l’enfant qui pâtit d’un délaissement… Il démultiplie dès lors les critères de déclenchement de telle ou telle protection via telle ou telle institution. Trop de protections peut parfois nuire à la protection. Une approche sous l’angle de la vulnérabilité permettrait sans doute une protection plus adaptée, plus adaptable, plus cohérente. Par ailleurs, la démultiplication des « droits à » dans le cadre d’un phénomène de subjectivisation du droit[11] génère des conflits de « droits à ». On assiste alors au développement du paradoxe du droit au droit et la protection offerte par la loi devient illusoire.
L’intervention étatique au sein de la cellule familiale en vue de protéger la personne vulnérable n’est pas uniquement le fait du législateur. Elle peut également être le fait du juge via notamment le contrôle de proportionnalité qui se développe en matière familiale.
B – La protection de la personne vulnérable par les droits fondamentaux et le contrôle de proportionnalité
Il existe une tendance contemporaine marquée à l’émergence et l’affirmation de droits fondamentaux. La troisième génération de droits de l’homme s’entend de prérogatives concrètes attachées aux êtres humains. Quel est donc l’enjeu de l’affirmation des droits fondamentaux (substantiels et processuels) ?
L’évolution actuelle se caractérise par un contrôle de proportionnalité à double détente : il s’agit de se demander dans quelle mesure la règle de droit (contrôle in abstracto) et son application au cas d’espèce (contrôle in concreto) ne contredisent pas, de façon excessive, un droit fondamental consacré dans la Constitution ou dans une convention internationale (notamment dans la Convention européenne des droits de l’homme). La question à se poser consiste à se demander si l’ingérence constatée est nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire, pour l’essentiel, proportionnée au but recherché.
Le contrôle de proportionnalité, en droit de la famille comme dans les autres branches du droit, a suscité des espoirs importants (des inquiétudes nombreuses) mais le premier bilan de ce contrôle s’avère décevant (rassurant) dès lors que peu de requêtes aboutissent[12]. La méthode du contrôle de proportionnalité est basée sur une démarche casuistique : il s’agit de ne pas permettre d’atteinte disproportionnée ou non nécessaire aux droits fondamentaux. Ce contrôle permet une intervention du juge qui peut décider d’écarter un texte législatif dans une espèce. Cela remet en cause la prévisibilité de la règle de droit au profit de son adaptabilité. Ce contrôle peut également conduire à écarter des règles pourtant impératives qui régissent la cellule familiale. En d’autres termes, ce contrôle opère une remise en cause du légicentrisme. Plus concrètement, le contrôle de proportionnalité permet une intervention du juge en opportunité pour venir au secours d’une personne potentiellement en situation de vulnérabilité qui ne trouverait pas d’écho à sa demande, dans le but de garantir ses droits fondamentaux.
Avec ou contre la famille… notre droit s’est doté d’outils pour garantir la protection des plus vulnérables. Certains de ces outils semblent encore devoir être affinés. L’affirmation du concept de vulnérabilité pourrait sans doute y contribuer.
Vulnérabilité dans les contextes de violences intrafamiliales et particulièrement de violences conjugales.
Chantal JOUVENOT, Responsable de formation IRTS, Présidente du Collectif pour l’élimination des violences intrafamiliales (CEVIF).
La vulnérabilité : essai de définition
Parler de vulnérabilité nécessite tout d’abord d’en préciser les contours. Or, une telle opération semble soulever de nombreuses questions allant jusqu’à interroger la pertinence même de l’usage de cette expression. Hélène THOMAS[13] dans son analyse de sa genèse, de sa diffusion et de son opérationnalisation, mais aussi de « ses effets psychiques et sociaux sur ceux qui se voient accoler cette étiquette et traités en conséquence »[14] pointe les ambiguïtés qui accompagnent son émergence dans les jargons experts et scientifiques, sa circulation dans les sphères institutionnelles et académiques et ses usages à la fois normatifs, descriptifs et prescriptifs.
La vulnérabilité est tout d’abord une notion d’entre-deux. Elle est élaborée en référence à celles de pauvreté et d’exclusion dont elle croise plusieurs enjeux théoriques. Ainsi chez Robert CASTEL[15] elle désigne « une zone intermédiaire » située entre la zone d’intégration et la zone de désaffiliation qui correspond à une absence de participation productive et à un isolement relationnel. Sa qualification s’opère en référence à ces deux bornes: la vulnérabilité est une zone intermédiaire, instable, qui conjugue la précarité au travail et la fragilité des supports de proximité au sein de laquelle les individus sont « en situation de flottaison »[16].
Le second aspect qui ressort de la réflexion sur la vulnérabilité concerne son double statut. Premièrement, elle qualifie des « états de fragilité bien souvent incarnés en des individus particuliers »[17] qui impliquent par exemple en droit ou dans les politiques publiques une attention ou une prise en charge particulières. Deuxièmement, en tant que notion exprimant, au sens étymologique, une potentialité « qui peut être blessé », elle renvoie à « des processus sociaux ou des interactions sociales qui rendent les personnes vulnérables ou qui les inscrivent dans une situation, un contexte, un processus de vulnérabilité »[18]. Le recours à l’expression de « personnes en situation de vulnérabilité », tout comme celle d’« individus en situation de flottaison », visant à éviter de recréer une catégorie uniformisante comme celle des exclus et à prendre en compte les processus, ne règle pas vraiment la question de la différence entre l’état et le processus, le terme « situation » introduisant la même ambigüité. Par conséquent, son usage suppose de préciser ce que l’on désigne. Est-ce un état à un temps T identifié par la non-possession des attributs sociaux de l’intégration et de l’exclusion ? Ou est-ce une situation potentielle qui s’inscrit dans une trajectoire dont les dynamiques et les composantes sont spécifiques ?
Dans le premier cas, l’état est advenu alors que, dans le second, l’état peut advenir. Cette définition par « approximations successives »[19] autour de ce que la vulnérabilité n’est pas vraiment et de ce dont elle se rapproche s’accompagne d’une légitimation de son apport pour analyser certains phénomènes sociaux contemporains.
Cet usage élargi fait référence, d’un côté, à la nature même de l’existence humaine – la vulnérabilité serait une dimension constitutive de la subjectivité des individus –, et, de l’autre, à une dimension structurelle et structurante des sociétés contemporaines – la vulnérabilité serait une « pathologie d’un monde global en crise »[20].
Ce court examen de la notion de vulnérabilité permet à la fois de pointer les ambigüités qui sous-tendent l’emploi de ce terme et de repérer quelques caractéristiques utiles à la réflexion sur la question de la vulnérabilité dans le cadre des violences intrafamiliales.
Les violences intrafamiliales
La violence intrafamiliale inclut plusieurs sous-catégories : la violence des parents à l’égard de leurs enfants (aussi désignée sous le concept de maltraitance), la violence des enfants envers leurs parents ou proches âgés, la violence dans la fratrie et les violences conjugales. Si chacune de ces sous catégories renvoie à une problématique spécifique, elles partagent toutefois des points communs : elles se caractérisent généralement par le rapport d’intimité qui unit l’auteur de la violence à la victime, par la différence de pouvoir entre l’auteur et la victime, ainsi que par les conséquences néfastes engendrées chez la victime.
Le fait d’étudier les liens entre les violences conjugales et d’autres formes de violence familiale permet de prendre en considération les nombreuses situations où les violences se présentent de façon concomitante au sein d’une même famille.
La violence conjugale, sur laquelle je vais m’arrêter plus particulièrement, influe sur l’exercice de la maternité et de la paternité, c’est pourquoi il est nécessaire de privilégier une analyse globale du vécu des parents et des enfants.
Permettez-moi maintenant de vous raconter une histoire en quatre temps[21] :
– Premier temps : une rencontre
Une douceur incomparable se dégageait de lui… Sa présence et son physique me plaisent… Une complicité extraordinaire s’est très vite installée. On partait tous les week-ends à la mer, on nageait, on riait beaucoup… J’étais aux anges, je me sentais intelligente, belle …On passait des heures à parler et quand on rentrait chez nous on se téléphonait, on s’envoyait des SMS, on n’arrivait pas à se séparer… Il me disait qu’il voulait construire une famille stable, avec une maison, un chien, mes rêves d’enfants… Il m’a fait une belle demande en mariage, peu ordinaire, alors j’ai dit oui.
– Deuxième temps : la vie en couple
Très vite il a voulu que je reste à la maison, il y avait beaucoup à faire : le ménage, le repassage, il voulait que tout brille… Il fallait tout nettoyer tous les jours du sol au plafond… Il faut que je fasse attention à lui… Que je lui fasse plaisir… Très vite, il a répondu aux appels téléphoniques, aux SMS, et il disait à mes amis que j’étais en train de cuisiner ou sous la douche et que je ne pouvais pas leur parler… Il me laisse seul et sort avec ses amis… Je me sens épiée… Je dois vivre en fonction de lui tout le temps… Je n’ai plus le droit de me maquiller car il m’aime au naturel… Il m’achète de nouveaux vêtements, plus corrects, moins « sexy »… Il sait ce qui est bon pour moi.
– Troisième temps : puis viennent les coups
Je suis enceinte… Je suis en train de jouer avec les enfants et dans ses yeux tout à coup une fureur, un regard de folie ; si ses yeux avaient été des armes, j’aurais été clouée aux murs… Il me regarde me laver et il me dit tu me dégouttes… Une pluie de coups au moment où on s’y attend le moins, quand je ne suis pas face à lui et je ne comprends pas ce qui m’arrive… Il m’arrache la petite des bras et la secoue car elle pleure…
– Quatrième temps : les départs et les retours
Je pars une première fois, 3 ou 4 jours, et je reçois plein de messages : il m’aime, il ne sait pas ce qui lui a pris, il veut une famille, il pleure, il demande pardon, se met à genoux avec des fleurs, il m’emmène au cinéma… Je le crois car le l’aime et je reviens… C’est vrai il a raison, c’est de ma faute, je me comporte comme une petite fille gâtée… C’est lui qui me connait le mieux car je vis avec lui depuis 10 ans, alors il a raison… Plus j’essaie de me rapprocher de lui et plus il me maltraite, plus il me frappe… Je suis amoureuse de mon bourreau…Une fois il m’a attrapée par la gorge et il a commencé à serrer, je me suis sentie partir, j’étais bien… Quand il m’a lâchée, il m’a dit « regardes dans quel état tu m’as forcé à te mettre »… Tous les soirs, je me demande ce qui va arriver, il me force, prend ma résistance comme un jeu…Je deviens sa pute mais je suis toujours amoureuse de lui…
Vous aurez reconnu là le cycle infernal des violences conjugales.
Malgré les avancées en ce domaine, le déni et la loi du silence règnent encore en majorité sur toutes les violences intrafamiliales, conjugales et sexuelles que subissent beaucoup de femmes et parfois des hommes. Pour bien trop de personnes encore, qu’elles soient ou non des professionnelles, il y a un véritable refus à penser et à intégrer que de telles violences aient lieu dans des espaces comme le couple et la famille. Ces personnes veulent continuer à penser ces lieux comme des espaces protecteurs et fiables où règne l’amour, a fortiori lors d’une grossesse que tout le monde s’accorde à considérer comme sanctuarisée. Si je me permets ici de faire référence à l’état de grossesse, c’est parce que tous les travaux convergent à montrer que pour 40% de ces femmes, la violence a débuté au cours de cette grossesse. L’apogée des violences se situant au moment de la grossesse et lors de la séparation.
De plus, un des principaux symptômes psycho-traumatiques que présentent les victimes est une dissociation traumatique qui les déconnecte et les anesthésie émotionnellement. Or, face à une personne dissociée, un interlocuteur ne peut pas ressentir d’émotion (les neurones miroirs qui normalement l’informent sur l’état émotionnel de la personne qui lui fait face, ne renvoient rien puisqu’elle est déconnectée de ses émotions), cela explique, pour une bonne part, pourquoi l’entourage des victimes de violences conjugales, et parfois encore les professionnels les prenant en charge, peuvent avoir du mal à se mobiliser pour la victime, à identifier la réalité du danger qu’elle court, et à avoir peur pour elle. Et si elle parle des violences qu’elle subit, ils pourront avoir du mal à la croire, puisqu’elle semble détachée, indifférente, ou tout au moins bien supporter ce qu’elle vit.
Seulement 14% des victimes pourront dénoncer les violences, demander du secours et porter plainte : en raison des menaces et des manipulations qu’elles subissent, de la honte et de la culpabilité qui les colonisent, de la peur de ne pas être crues, des symptômes psychotraumatiques qui rendent toute évocation des violences très douloureuses et angoissantes (mémoire traumatique) ou confuse et irréelle (dissociation traumatique). Encore plus rares sont celles qui seront dépistées et protégées par des professionnels, alors que la vulnérabilité de ces victimes les oblige à les mettre hors de danger, et permet de lever le secret professionnel pour faire un signalement auprès du procureur de la République. La méconnaissance de la réalité de ces violences et de leurs conséquences, l’absence encore de formation des professionnels (de santé, des magistrats entre autres), prenant en charge les femmes, le déni, la loi du silence, font que la grande majorité d’entre elles seront abandonnées et devront se protéger et survivre comme elles peuvent aux violences et à leurs conséquences sur leur vie, leur santé et celle de leur(s) enfant(s).
Le couple et la famille restent encore actuellement une zone de non-droit où, sous couvert « d’amour », un droit naturel à posséder l’autre et à exercer les pires violences est toléré. Ils deviennent alors un espace patriarcal totalitaire où s’exercent des privilèges en contradiction totale avec l’inaliénabilité de la personne humaine et de ses droits fondamentaux.
Les violences commises par le conjoint sont très souvent multiples et répétées, elles peuvent être verbales, psychologiques, physiques, sexuelles, économiques et matérielles[22].
Ce sont des délits et des crimes (viols, tentatives de meurtre) avec des circonstances aggravantes (exercées par un conjoint et sur une personne en situation de vulnérabilité).
Ces violences, en entraînant de lourdes conséquences psychotraumatiques, aggravent la situation de vulnérabilité des victimes et les plongent souvent dans une situation de précarité. Leur santé physique et psychique et celle de leur enfant seront très impactées, ainsi que le lien mère-enfant, d’autant plus que les enfants qui seront témoins de ces violences, en seront également traumatisés.
Les troubles psychotraumatiques sont des conséquences normales et universelles des violences qui s’expliquent par la mise en place de mécanismes neurobiologiques et psychiques de survie à l’origine d’une mémoire traumatique. Les atteintes sont non seulement psychologiques, mais également neurologiques avec des dysfonctionnements importants des circuits émotionnels et de la mémoire, visibles sur des IRM[23]. Ils ne sont pas liés à la victime mais avant tout à la gravité de l’agression, au caractère insensé des violences, à l’impossibilité d’y échapper, ainsi qu’à la mise en scène terrorisante et à l’intentionnalité destructrice de l’agresseur. La vulnérabilité de la victime (liée à la grossesse, à un handicap ou une maladie surajoutés, au très jeune âge de la victime, et au fait d’avoir déjà subi des violences) est un facteur aggravant de ces psycho traumatismes.
Femmes victimes et hommes violents ont très fréquemment subi des violences dans leur enfance ou ont été témoins de violences conjugales. Les troubles psychotraumatiques qu’ils vont développer, vont être à l’origine d’une mémoire traumatique, de troubles dissociatifs et de stratégies de survie. Si on n’est pas responsable des violences qu’on a subi, ni de leurs conséquences traumatiques, en revanche on a le choix de ses stratégies de survie. La violence exercée sur autrui en est une, elle fait partie de ce qu’on appelle une conduite dissociante qui permet de s’anesthésier, comme une drogue.
Une société inégalitaire où les hommes peuvent facilement choisir de mettre en scène une prétendue supériorité aux dépens de femmes, facilite le choix de s’autoriser à être violent, en s’identifiant à l’agresseur de son enfance, pour « traiter » une mémoire traumatique qui se réactive en présence de sa ou son conjoint.
Les évènements de vie pouvant provoquer un affect négatif sont nombreux. Qu’il s’agisse d’une perte, d’un échec ou encore d’une agression, voire d’agressions répétées, les réactions cognitives, affectives et comportementales qui en découlent varient d’une personne à l’autre en fonction des circonstances de vie.
Nous avons voulu cependant démontrer jusqu’à quel point les facteurs de vulnérabilité sont en jeu lorsque des personnes font face à des évènements de vie à caractère traumatique tels que la violence conjugale.
Les diverses approches de la violence conjugale suscitent de nombreuses réflexions sur le plan théorique mais également sur le plan des politiques et des pratiques d’interventions.
Il ne faut pas oublier que la problématique des violences conjugales, dans sa dimension politique, est sortie de l’ombre dans les années 1970, emmenée précisément par les mouvements féministes.
Et si aujourd’hui le quinquennat de M. MACRON nous amène sur le terrain de la construction sociale des rapports entre femmes et hommes, nous souhaitions mettre en exergue que ces rapports sociaux de sexe font apparaître les inégalités à l’œuvre dans la société. Ainsi, inscrire la problématique des violences conjugales dans la lecture de genre permet de comprendre la dimension socio-politique dans laquelle ce type de violences prend place et conduit donc à dépasser une lecture strictement causale des événements, questionnant les enjeux sociaux et idiosyncratiquement humains qui transitent également par la justice pénale[24].
– Lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes n°8, 2018, http://stop-violences-femmes.gouv.fr
– LASSARD G. et al., « Les violences conjugales, familiales et structurelles: vers une perspective intégrative », in Enfances Familles Générations, n°22, 2015, pp. 1-26.
La médecine obstétricale des Trente glorieuses à l’aune de la loi naturelle : quelle actualité des propos du Professeur Marc Rivière dans la société multireligieuse réunionnaise ?
Patricia-Marie DUCRET, Docteure en histoire du droit, Université de La Réunion.
« La pilule ? Jamais ! (…) Nous n’allons pas sacrifier la France à la bagatelle » déclare le Général de Gaulle en 1967 au député Neuwirth qui lui répond : « Vous avez donné le droit de vote aux femmes ; donnez-leur maintenant le droit de maîtriser leur fécondité »[25].
Ces propos nous conduisent vers plusieurs axes de réflexion : la femme face à la maternité n’est-elle pas en situation de vulnérabilité ? Quels changements a-t-on pu observer dans les mentalités depuis l’instauration de la loi Neuwirth ? Les propos d’un professeur de médecine en gynécologie-obstétrique défenseur de la « loi naturelle » au moment de l’examen du projet de cette loi ont-ils toujours le même retentissement dans la société réunionnaise actuelle ?
Ces journées consacrées aux vulnérabilités, expression qui renvoie d’ailleurs à l’étymologie latine Vulnerare signifiant blesser, permettent de s’interroger sur la place du religieux dans l’approche des questions relatives à la maternité. Cet état rendant la femme plus vulnérable nous conduit à examiner sa situation dans la société multireligieuse réunionnaise dans laquelle domine encore la question religieuse.
Rappelons qu’en France, la loi de 1920[26] rendue nécessaire par la diminution de la natalité interdisant la diffusion et la « propagande » pour tous les moyens « anticonceptionnels » fut considérée à son époque comme une loi de salut public. Cependant, au cours de la seconde guerre mondiale, Lucien Neuwirth, engagé dans les Forces françaises libres au côté du Général de Gaulle, découvre la pilule à Londres un soir de juin 1944 : une anglaise avec laquelle il a un rendez-vous amoureux lui glisse un contraceptif effervescent dans la main. Le jeune homme est abasourdi car la gynomine, contraceptif à usage unique, est alors en vente libre dans les parfumeries anglaises. Neuwirth, très vite convaincu de la nécessaire abrogation de la loi de 1920, dépose une proposition de loi le 18 mai 1966. Cette loi[27] autorisant la pilule contraceptive est adoptée le 14 décembre 1967 mais pour la mise en œuvre il faut attendre 1974 avant que la pilule ne soit vraiment libéralisée et remboursée par la sécurité sociale.
En 1966, toutes les voix ne réclament pas la pilule à l’unisson. Nous nous demanderons si la parole libre d’un Professeur de clinique obstétrique, Marc Rivière, clamant le refus de cette pratique, devant ses pairs lors d’un Congrès médical à Lausanne[28] n’a pas encore aujourd’hui une résonance, à La Réunion, compte tenu du contexte particulier de cette société multiculturelle.
La question de la vulnérabilité resurgit cinquante ans après la loi Neuwirth, lorsque la sociologue Michèle Ferrand, déclare : « La pilule permet aux femmes d’avoir le contrôle de leur vie déplorant que ce symbole de libération des femmes soit devenu celui d’une pratique contraignante, hyper médicalisée assignée aux femmes pour le confort des hommes. En outre, cette désaffection s’inscrit aussi dans le contexte d’une vogue du « naturel » qui mélange la détox, le vegan, le refus des vaccins et du gluten, la médicalisation du corps des femmes » [29].
Dès lors la femme enceinte soumise aux contingences sociales, politiques ou religieuses de la société réunionnaise, n’est-elle pas une cible vulnérable ? Voilà l’objet d’un débat dans le cadre de notre table ronde.
La maternité, état rendant la femme plus vulnérable, amène alors à s’interroger sur une situation perçue par certaines femmes comme un devoir (I) et par d’autres comme un droit (II).
I – La maternité, un devoir
La maternité, par le canal de l’enfant à naître, oriente la cité dans une certaine perception de la sexualité (A) tandis que les préceptes de l’ordre religieux ou moral inscrivent la sexualité dans l’ordre politique de la cité (B).
A – Sexualité et civitas
Quand on évoque la sexualité, on ne peut faire l’amalgame avec la génitalité. La génitalité se limite à l’étude des organes génitaux et de leur fonctionnement alors que la sexualité comprend la génitalité mais la dépasse en étudiant tout ce qui différencie l’homme et la femme, tout ce qui fait qu’ils sont différents dans leur manière d’être, de réagir, de vivre, mais aussi tout ce qui fait qu’ils sont complémentaires dans l’unité du couple.
« La sexualité est une variété du comportement social »[30] dès lors que le couple prend en compte son insertion naturelle dans le milieu social et le rapport sexuel est alors considéré comme un rapport social. A ce titre la sexualité intéresse directement la santé physique et morale de la Cité. Elle a donc une incidence politique. La façon dont l’homme conçoit, oriente et pratique sa vie sexuelle dans l’intimité du couple est une composante très importante de l’épanouissement humain et une composante non moins importante de l’ordre dans la Cité.
Chez les Romains, sous Auguste, les célèbres lois Iulia de 736 et Papia Poppaea de 762[31] contenaient des dispositions en vue de relever la natalité. Ces lois frappaient les époux qui n’avaient pas d’enfants d’une incapacité partielle de recueillir des successions.
De même, à l’époque des « Trente glorieuses », et pour mieux encourager la population à limiter les naissances, le gouvernement japonais a imaginé une super fiscalité frappant le couple à partir du troisième enfant. Des mesures analogues ont été prises en Hongrie et en Chine populaire où la descendance d’un couple devait se limiter à deux enfants.
Face aux mesures de légalisation et d’organisation de la contraception, de l’avortement et de la stérilisation, on observe que la pénalisation fiscale témoigne de l’immixtion de l’Etat. Or, cette immixtion dans un domaine qui appartient au couple humain, lequel est au cœur d’une évolution des mœurs et des esprits, ébranle les fondements de la civilisation chrétienne établie sur le respect de la loi naturelle.
En effet, la loi naturelle[32] sous l’égide de la divine providence interdit de tuer[33] volontairement toute créature humaine à quelque époque que ce soit de son évolution. L’embryon est considéré comme une personne dont la vie exige le respect, idée en harmonie avec le sixième commandement de la loi de Moïse : « tu ne tueras point » commandement qui retentit vivement dans les esprits et joue impérativement à cette époque. La prégnance religieuse soumet bien la société des années 30 à la loi naturelle.
Le Pr. Rivière apporte un témoignage de son expérience observant l’évolution et les mutations qui se sont produites entre 1900 et 1966 dans l’attitude psychologique de la femme et du couple vis-à-vis des problèmes de la vie sexuelle. Selon lui, tous les problèmes sexuels se posant au couple humain se réduisent en dernière analyse à la question de l’enfant accepté, voulu ou refusé. De cette volonté manifeste ou de ce refus dépend le visage d’une civilisation. Alors qu’en est-il aujourd’hui à La Réunion ? La question de la vulnérabilité de la femme enceinte soumise aux lois religieuses se pose-t-elle encore dans le champ politique ? Ce sont des interrogations auxquelles nous pourrions tenter d’apporter des réponses lors de cette journée.
La sexualité entre en effet dans le politique beaucoup plus par la question de l’enfant que par celui des relations interpersonnelles du couple humain et de la manifestation de l’amour réciproque de l’homme et de la femme.
B – Sexualité et res politica
De tout temps, la venue de l’enfant est considérée comme la conséquence logique de l’acte sexuel accompli selon la loi naturelle même en l’absence d’une intention procréatrice explicitée.
Si chez l’animal, le couple ne se constitue que dans le but unique de la procréation et se dénoue presqu’aussitôt, en revanche dans l’espèce humaine, domine l’instinct vital, le besoin de répandre et de multiplier la vie. Et à l’image des sociétés primitives, l’enfant est le but immédiatement recherché dans la constitution d’une famille précaire. Cette idée s’inscrit d’ailleurs dans la théologie relative au Mariage, qui enseigne que sa fin première est l’enfant.
Mais encore faut-il qu’il y ait un vrai mariage au sens de cette théorie. En effet, au cours de la période médiévale[34], le mariage est défini comme un sacrement par les canonistes. Ainsi dans l’échange épistolaire entre Yves de Chartres et l’évêque d’Evreux, Yves révèle que le mariage ne constitue pas un sacrement s’il n’y a pas un véritable amour.
Et il ajoute que le véritable amour est fondé sur deux préceptes, l’un tiré du Nouveau Testament « Nous aimer les uns et les autres… », le passage de l’Evangile de Saint Jean[35] appelé « loi d’amour » et l’autre de l’Ancien Testament, un passage du livre de Tobie[36]. Le canoniste se fonde sur la théorie du mariage-sacrement selon l’Epître de saint Paul aux Ephésiens où pour la première fois on parle de sacrement à propos du mariage en comparant l’union des époux à l’union du Christ et de l’Eglise. De même, dans la pensée Patristique, Saint Augustin insiste encore plus sur l’idée de mariage-sacrement en évoquant l’unitas carnis des époux symbolisant l’union du Christ et de l’église. Or, sans cette unité spirituelle, le couple ne symbolise pas l’union du Christ et de l’église, il ne réalise pas le sacrement et il ne peut s’agir de mariage.
Cette conception des canonistes n’est pas très éloignée du droit romain classique puisque l’Epitome de Julien fait de l’affectio et honor maritalis une condition du justum matrimonium. En effet, en droit romain, il ne suffit pas que les conditions de fond du mariage soient remplies pour qu’il y ait un véritable mariage ; encore faut-il que les conjoints aient l’intention de se traiter mutuellement comme des époux, et qu’ils respectent effectivement l’un envers l’autre « l’honneur du mariage » [37].
Ainsi s’explique la venue de l’enfant fin première du mariage conformément à la loi naturelle et acceptée comme telle par le couple chrétien. Le professeur Rivière relève que les parents qui ne craignent ni ne souhaitent la venue de nombreux enfants se soumettent à la loi naturelle sans chercher à la violer ou à la détourner.
Dès lors si la fin première du mariage est bien l’enfant, alors il en découle tout naturellement la question de la stérilité.
Dans la société chrétienne jusqu’au Moyen-Age, les femmes considéraient la stérilité comme la suprême humiliation[38] ce qui explique ainsi le désir immodéré d’avoir des enfants. Une telle tendance retrouvée chez toutes les espèces humaines, et chez l’homme lui-même, témoigne qu’elle répond au besoin le plus profond, le plus naturel de l’être : se survivre.
On connaît aussi dans le peuple d’Israël l’importance de l’institution familiale et notamment l’opprobre attachée à la femme stérile. Sa stérilité légitimait sa répudiation ou le concubinage avec une femme féconde. De même la polygamie islamique n’a pas pour objet de satisfaire à la salacité de l’homme, mais d’assurer sa nombreuse descendance.
La stérilité constitue en effet une situation intolérable dans la société juive et dans la société islamique, l’infécondité, toujours systématiquement attribuée à la femme, justifiant sa répudiation. Et c’est là aussi qu’apparaît le dilemme qui oppose deux mondes à l’égard de l’insémination artificielle, notamment ceux qui se réclament de la loi naturelle.
Le juriste est-il nécessairement interpelé par la question religieuse face à la stérilité ? Quel rôle doit donc jouer l’homme politique dans une société multiculturelle et multireligieuse ? Doit-il laisser toute latitude au couple ou à la femme par rapport au for interne ou doit-il légiférer ? Ce sont là des questions qui mériteraient d’être examinées lors de notre table-ronde.
Si d’aucuns perçoivent la maternité comme un devoir de procréation ou de santé physique et morale dans la cité, suscitant fatigue et lassitude, inquiétudes matérielles et donc vulnérabilités, d’autres la revendiquent comme un véritable droit.
II – La maternité, un droit
Les considérations qui nous amènent à une réflexion sur l’enfant désiré, voulu, voire exigé par le biais des nouvelles méthodes de procréation (A) nous conduisent nécessairement aux spéculations sur l’enfant refusé par les contracepteurs ou les partisans de l’avortement (B).
A – Le désir et l’exigence d’enfant
Dans la France des Trente glorieuses le recours aux nouvelles méthodes de procréation révèle l’affrontement de deux mondes.
Face à la venue de l’enfant désiré qui tarde à se réaliser pour diverses raisons (mécaniques ou biologiques), les couples stériles, obsédés par l’absence d’enfant sont parfois prêts à tout pour mettre fin à leur situation. Certes, le gynécologue peut proposer un remède médical ou chirurgical si l’infécondité est d’origine féminine mais dans un tiers des cas, la responsabilité masculine est en cause.
La question se pose alors de l’insémination artificielle de la femme par un donneur étranger au couple. Cette pratique a suscité d’innombrables publications dans le monde et des discussions passionnées dès 1957[39] . A cet égard, le Pr. Rivière relève que c’est un problème qui dépasse de loin la médecine puisqu’elle met en cause la psychologie, la sociologie, le droit et, avant tout et par-dessus tout, la loi naturelle.
Les arguments invoqués par les partisans de l’insémination artificielle s’inscrivent bien dans « le droit à ». Ainsi, la femme a droit à la maternité. Au nom d’une nécessité physiologique et psychologique, l’homme a le droit de satisfaire son désir de paternité. L’hétéro-insémination rendant possible la séparation des fonctions sexuelles et de reproduction, est un facteur de consolidation du mariage pour les tenants de cette pratique.
Au contraire, le Pr. Rivière, voit dans cette pratique la négation des fins du mariage et comme certains de ses confrères, un pas vers l’hétéro-insémination à visées eugéniques[40], organisée par un état totalitaire si elle est laissée à l’initiative du couple, ou du médecin. En effet, d’aucuns pensent que l’hétéro-insémination peut un jour ou l’autre, être pratiquée sur l’injonction des Pouvoirs publics, afin d’obtenir des produits sélectionnés à l’instar des pratiques nazies. L’hétéro-insémination dépend donc de la conception qu’une civilisation a de l’homme, de son origine, de sa fin.
La société de consommation des Trente glorieuses, jamais satisfaite adhère volontiers aux propos d’Aldous Huxley[41] : « Si l’homme n’est qu’un animal, sa descendance relève de l’art vétérinaire : sélection des géniteurs, interruption des grossesses indésirables, stérilisation des géniteurs intempestifs, mise à mort des produits de qualité inférieure ». Ce monde utopique décrit par l’auteur est celui du birth control, de l’avortement thérapeutique, de la stérilisation prophylactique, de l’hétéro-insémination, l’euthanasie, donnés comme valeurs de civilisation.
Une autre civilisation qui refuse de confondre l’animal et l’homme propose des arguments fondés sur le concept religieux.
Dans cette civilisation-là, la transmission de la vie est l’une des plus hautes missions confiées à l’homme. Elle exige le respect de la fonction sexuelle, et donc son exercice dans le cadre du mariage.
Ainsi, dans la civilisation chrétienne, « la maternité n’est pas considérée ici comme un droit, mais comme un devoir dans les limites des possibilités naturelles. L’art médical peut aider le couple humain à avoir l’enfant désiré mais en respectant les lois naturelles qui régissent la vie »[42]. Il ne s’agit pas ici de droit, mais de bien et de mal.
En effet, la doctrine de l’Eglise a formellement condamné la fécondation artificielle considérant qu’elle « dépasse les limites du droit que les époux ont acquis par le contrat matrimonial : à savoir celui d’exercer pleinement leur capacité sexuelle naturelle, dans l’accomplissement naturel de l’acte matrimonial. Le contrat en question ne leur confère pas le droit à la fécondation artificielle, car un tel droit n’est en aucune façon exprimé dans le droit à l’acte conjugal naturel et ne saurait en être déduit. Encore moins peut-on le faire dériver d’un prétendu droit à l’enfant fin première du mariage. Le contrat matrimonial ne donne pas ce droit parce qu’il a pour objet, non pas l’enfant, mais les actes naturels qui sont capables d’engendrer une nouvelle vie et destinés à cela. La doctrine avance que la fécondation artificielle viole la loi naturelle et qu’elle est contraire au droit et à la morale » [43].
Les églises orthodoxes et anglicanes manifestent la même réprobation ainsi que la doctrine israélite. Quant à l’attitude des multiples églises protestantes, elle va de la réprobation nuancée à l’approbation totale.
Alors aujourd’hui à La Réunion, la loi naturelle a-t-elle toujours le même retentissement en matière d’insémination artificielle ? En outre, et au-delà du contexte géographique cette fois, il y a lieu de se demander aussi si ces nouvelles techniques ne font pas de la femme une cible vulnérable ? Nous tenterons d’apporter une réponse à ces interrogations dans nos débats.
B – Le refus de l’enfant
Si l’hétéro-insémination est une pratique concernant un petit nombre, à l’inverse le très grand nombre est concerné par le refus de l’enfant. Preuve en est, l’ampleur de la campagne organisée dans le monde entier en faveur de la limitation des naissances ou birth control [44].
Les contracepteurs prônant les techniques contraceptives utilisent des moyens mécaniques, chimiques, ou biologiques. C’est notamment la pilule[45], composée de produits synthétiques, qui a pour action d’inhiber l’ovulation et, par conséquent, de rendre impossible la fécondation.
Les défenseurs de la contraception fondent leurs arguments sur le bonheur, le plaisir et la liberté individuelle du couple ; le couple a le droit d’avoir des enfants s’il en veut autant qu’il en veut et quand il en veut.
En effet pour qu’une famille soit heureuse, il faut que le nombre de ses enfants soit proportionné à ses ressources, et que les enfants reçoivent des soins et une éducation qui en feront des enfants heureux.
L’avortement, apparaît donc comme le corollaire « inévitable » du birth control tel que le voit le Pr. Rivière.
Il reconnaît qu’en France, les esprits se sont accoutumés à envisager un assouplissement de la législation concernant l’avortement. Ainsi, la légalisation de la contraception, réclamée sous prétexte de mettre un frein à la pratique de l’avortement clandestin, a conduit à l’acceptation puis à la légalisation de l’avortement.
Si certaines législations étrangères, surtout scandinaves considèrent l’embryon ou le fœtus comme un « parasite » greffé sur la personne de la mère disposant du droit d’accepter ce parasite ou de le refuser[46], en revanche, la législation française reste, à ses débuts, encore timorée.
Il est vrai que la législation française encore imprégnée du christianisme respecte la vie de l’œuf humain, dès les premiers stades de son développement, et les rapporteurs se refusent encore à légaliser l’avortement en dehors des circonstances exceptionnelles qui rentrent dans le cadre de l’avortement thérapeutique.
Dès lors, les opposants à la contraception font valoir que les contracepteurs reprendront leurs arguments du droit au bonheur[47].
Une fois de plus, pour ces questions relatives à la contraception et à l’avortement deux groupes s’affrontement également :
- ceux qui se rallient à la conception matérialiste et individualiste du monde, soit un monde qui commence avec l’individu et meurt avec lui. Ils se rejoignent pour forcer la vie ou la refuser en employant des moyens contraires à la loi naturelle procédant d’une même conception de l’homme, maître de la vie ;
- ceux qui adhèrent aux valeurs religieuses ou morales, notamment les chrétiens pour lesquels la vie est sacrée, car don de Dieu conformément au premier chapitre de la Genèse. Ce groupe se réfère à Saint Ignace de Loyola pour qui la vie a été donnée à l’homme pour honorer, louer et servir Dieu. L’Homme, n’a aucun droit sur la vie ; il a juste pour mission d’entretenir et de développer la création en se conformant à la loi naturelle.
Ainsi, dans les pays en voie de développement où les techniques contraceptives ont connu trop d’échecs, les autorités en sont arrivées à préférer le recours à la stérilisation par ligature des trompes. Ainsi au Japon en 1954, 34 000 femmes ont été stérilisées. Proposée aux hommes, la stérilisation par ligature des déférents, opération aussi économique que possible, n’a jusqu’ici recueilli que peu d’adhésions.
Les réflexions du professeur Rivière en suscitent de nouvelles, au-delà du contexte réunionnais : la contraception, l’avortement ou la stérilisation ne portent-elles pas atteinte à l’égalité hommes femmes, créant ainsi une vulnérabilité chez la femme ? Par ailleurs, le milieu médical n’est-il pas lui-même partagé face à toutes ces questions que nous venons d’examiner. On observe ainsi que certains médecins refusent de pratiquer l’I.V.G., tel le président du syndicat des gynécologues-obstétriciens, tout récemment ; une vive polémique s’ensuivit lorsqu’il s’éleva contre cette pratique au nom de la clause de conscience des médecins. De même des étudiants en médecine se trouvent contraints de délaisser la spécialité de gynécologie-obstétrique, tous pour raisons religieuses ou morales.
Au fond, les propos du Pr. Marc Rivière résonnent en écho à ceux de son frère, écrivain du XXe siècle, Jacques Rivière, directeur de la Nouvelle Revue Française qui déclare « Les sociétés humaines sont des formes mouvantes ; les sociétés modernes sont en perpétuel devenir ; elles cherchent sans cesse à s’adapter plus parfaitement à des conditions toujours nouvelles, indéfiniment modifiées. Et à s’y adapter socialement par des mesures d’ordre collectif… Le législateur moderne est attentif à de petites variations…qu’il essaie de suivre et d’épouser. Son œuvre est de créer ou de développer le bien-être par toute une série d’accommodations. Et toute participation à la vie sociale est une participation à cette œuvre qui implique que l’on croit …au progrès… La notion de droit…n’a pas de sens pour un chrétien tant soit peu imprégné du véritable esprit de l’Evangile ; ainsi, le chrétien ne voit pas ses fautes du même œil que l’infidèle ; elles…sont davantage que des infractions à une loi abstraite : des offenses à quelqu’un de très aimé…».[48]
Néanmoins, nous achèverons notre propos sur une note joyeuse en prononçant ces mots : Gaudium et Spes !
Vulnérabilité et Ensemble des Troubles Causés par l’Alcoolisation Fœtale (ETCAF).
Bérénice DORAY, PUPH Génétique, CHU de La Réunion, Université de La Réunion.
Parler alcool et grossesse, c’est approcher la vulnérabilité ou plutôt les vulnérabilités au sein des familles touchées par l’Ensemble des Troubles Causés par l’Alcoolisation Fœtale (ETCAF).
Médecin au contact de ces familles, mon propos s’articulera autour de trois points de vue : 1 – Les enfants atteints de Troubles Causés par l‘Alcoolisation (TCAF) rendent compte d’une vulnérabilité neurodéveloppementale, liée à l’action d’un produit tératogène et toxique ; 2 – Ces enfants vulnérables naissent dans des familles, elles-mêmes souvent vulnérables en termes de potentiel de parentalité, ce qui peut induire de nouvelles fragilités sous-tendues par des mécanismes complexes, possiblement épigénétiques mais également des récurrences intra-familiales ; 3 – Le défaut de visibilité de cette problématique auprès de nous tous, par méconnaissance de la problématique, vient renforcer la vulnérabilité de ces enfants et leurs familles : mal repérées, peu diagnostiquées, souvent non prises en charge, ces familles nous échappent, restent seules et encore plus vulnérables.
I – Une vulnérabilité biologique
L’alcool ou éthanol est le produit le plus dangereux pendant la grossesse. Il circule librement, n’est pas filtré par le placenta et exerce sa tératogénicité sur les différents organes en formation de l’embryon. Le foie en formation ou immature ne peut métaboliser l‘alcool qui se trouve ainsi éliminé dans la cavité amniotique. Le fœtus, en milieu clos, va déglutir ce liquide amniotique alcoolisé et est ainsi soumis à une exposition prolongée à des concentrations élevées.
Les effets de l’exposition prénatale à l’alcool diffèrent en fonction de la quantité (mais aucune dose minimale sans risque n’est établie) de la durée, du mode (le « binge drinking », c’est-à-dire une consommation importante d’alcool en un temps court, mode de consommation préféré de nos jeunes, garçons et filles est encore plus dangereux pour le cerveau fœtal) et du stade d’exposition.
Les effets vont également dépendre du capital génétique de l’enfant et de sa mère. Certains gènes nous permettent d’éliminer plus ou moins vite l’alcool : nous ne sommes pas égaux devant l’alcool, nous sommes plus ou moins vulnérables et les études de jumeaux exposés à l’alcool le démontre de façon magistrale. Ces jumeaux sont exposés aux mêmes conditions toxiques : s’il s’agit de vrais jumeaux avec le même patrimoine génétique, les conséquences sont très similaires ; s’il s’agit de faux jumeaux avec des patrimoines génétiques différents, les signes peuvent varier d’un enfant à l’autre, parfois radicalement tant sur le plan physique que comportemental. Nous savons maintenant qu’une partie des effets de l’alcool est épigénétique, c’est à dire que l’alcool va influencer l’expression de nos gènes : nos gènes lors du développement doivent être exprimés (« allumés ») ou réprimés (« éteints ») au bon endroit, au bon moment ; l’alcool interfère avec cette régulation et rend donc nos gènes, également nos gènes, plus vulnérables.
La vulnérabilité in utero dépend du moment d’exposition à l’alcool ; la forme la plus voyante physiquement des TCAF comportant des malformations congénitales, une dysmorphie, un retard de croissance et des troubles neurologiques, correspond au Syndrome d’Alcoolisation Fœtale ou SAF complet qui résulte d’une vulnérabilité de l’embryon au premier trimestre. Plus tard, aux deuxième et surtout troisième trimestres, les organes sont déjà en place à l’exception du cerveau qui lui se construit et mature tout au long de la grossesse. Ainsi une exposition plus tardive rend compte des troubles neuro-développementaux liés à l’alcool (TNDLA) c’est-à-dire un enfant non distinguable physiquement, sans malformation, mais cérébralement lésé, cérébralement vulnérable. Le SAF représente une naissance sur 1000, et si l’on considère toutes les formes, SAF plus ou moins complets et surtout TNDLA, il s’agit d’un enfant sur 100, une naissance tous les deux jours à La Réunion, une vulnérabilité de santé publique pourrait-on dire.
Cette atteinte neurodéveloppementale rend compte de troubles d’apprentissage et de troubles psychologiques les rendant plus vulnérables à l’échec scolaire, de troubles comportementaux et psychologiques (troubles de l’attention, hyperactivité, défaut d’empathie, difficulté à contrôler les émotions) les rendant plus vulnérables à l’inadaptation sociale.
II – Une vulnérabilité familiale
Côtoyer ces familles, c’est souvent prendre conscience de leur vulnérabilité et nous rencontrons des familles très fragilisées dont les accidents de la vie peuvent mettre à mal les compétences de parentalité. Au cours des consultations, nous examinons les enfants et discutons avec les mamans : certaines n’arrivent pas à raconter ou pas tout de suite ; pour d’autres cette consultation va servir de véritable exutoire et elles nous livrent une vie marquée par un isolement, une insécurité, une précarité sociale, des violences domestiques fréquentes, avec souvent plusieurs enfants placés, une absence de contraception qui nous fait craindre la récurrence avec un tableau nutritionnel maternel inadéquat dont on sait qu’il risque d’aggraver chez le fœtus les effets de l’alcool. Une étude menée tout récemment à l’aide du registre de malformations congénitales de La Réunion sur les dossiers de mamans dont le diagnostic de SAF a été porté dans les tous premiers mois de vie chez l’enfant retrouve des antécédents d’enfants placés, de mamans en rupture de soins et, concernant la grossesse de cet enfant, une grossesse souvent non déclarée, non suivie, un enfant né sous X. L’ensemble de ces éléments doivent constituer autant de signaux d’alerte. Dans ces familles, l’absence de repérage et de prise en charge appropriée des mères fait craindre la récurrence au sein des fratries, d’autant que l’on sait que le risque et la sévérité de l’atteinte dans la descendance se majorent avec l’âge maternel, même à consommation d’alcool égale, en raison d’une diminution physiologique maternelle de l’activité des enzymes dégradant l’alcool.
Les observations cliniques font régulièrement état de récidives transgénérationnelles et il n’est pas rare, en examinant cet enfant atteint de SAF de repérer des troubles cognitifs voire même un SAF chez sa maman. Certes, le SAF n’est pas héréditaire au même titre qu’une maladie génétique. Ces récurrences transgénérationnelles répondent très schématiquement 1 – à une vulnérabilité sociale et l’entretien retrouve fréquemment la notion de mésusage d’alcool chez d’autres membres de la famille (la même précarité produit les mêmes effets) ; 2 – aux conséquences des troubles de la parentalité qui viennent très certainement majorer les difficultés de ces enfants cérébro-lésés, avec un défaut affectif précoce, des épisodes de rupture, des enfants placés, des fratries séparées…Les études chez l’animal sont intéressantes pour étudier le profil neurobiologique : Weaver el al. en 2004 montre que les souriceaux privés de soins précoces maternels sont plus sensibles au stress notamment du fait de modifications épigénétiques d’un gène NRC31 modulant le nombre de récepteurs aux glucocorticoïdes (hormone du stress) dans l’hippocampe. Une autre expérience marquante est celle de ces souriceaux exposés in utero à l’alcool que l’on fait se reproduire entre eux, cette fois ci sans exposition à l’alcool, et qui donnent naissance à des animaux plus tolérants à l’alcool, dont l’appétance répond à une augmentation de l’expression, toujours dans l’hippocampe, du gène du récepteur au glutamate Nr2b impliqué dans les fonctions neuro-comportementales.
C’est donc un cycle infernal avec une fragilité biologique, à laquelle se rajoute un environnement non sécure, une carence affective, des ruptures, des échecs auxquels nous ne savons pas répondre, des conduites à risque avec consommation qui risquent à leur tour d’impacter la génération suivante.
III – Une vulnérabilité institutionnelle
Notre crainte récurrente est que ces familles, et en premier lieu les mamans, échappent à nos institutions, système de soins compris, par peur de stigmatisation, de culpabilisation, et souvent par peur d’être séparées de leurs enfants confiés aux services sociaux. Ces femmes qui nous échappent sont les perdues de vue de la vulnérabilité ; elles ont perdu confiance en notre système, ont honte de parler de leur problème d’alcool. Face à ce constat, les médecins interrogés ne sont pas rares à répondre qu’ils sont mal formés pour aller vers ces femmes, craignent d’aller vers elles et mettent à leur tour en avant, et la boucle est bouclée, la peur de stigmatiser.
Pour les enfants, la situation n’est guère plus simple. Ils sont l’archétype du handicap invisible. Certes le SAF comporte de signes physiques évocateurs mais pas forcément connus et identifiés comme tels par des médecins qui n’ont pas été formés à cette problématique, mais les TNDLA sont très majoritairement non reconnus et surtout non attribués à l’exposition à l’alcool : ces enfants avant d’être reconnus comme cérébro-lésés, sont catalogués « enfants difficiles, mal élevés, provocants d’autant plus qu’ils sont placés » (!). L’absence de diagnostic conduit à une absence de prise en charge adéquate, des réponses inappropriées médicale, médicosociale, éducative ou judiciaire.
En conclusion, les vulnérabilités sont donc nombreuses, diverses et s’imbriquent les unes aux autres. Le plan régional actuel sur les TCAF mis en place en 2016 par l’ARS Océan Indien sous l’impulsion de la MILDECA et notamment le centre ressources et le centre diagnostic que nous avons la chance d’avoir pu instaurer à La Réunion (il s’agit d’un projet expérimental unique en France) a véritablement pour objectif de former le grand public mais aussi tous ces professionnels qui gravitent autour de l’enfant et de sa famille pour une meilleure prise en charge. Quand on connaît la problématique, quand on se connaît entre nous, quand on devient capable de faire le bon diagnostic, quand on devient capable d’aller vers ces familles, on a certainement plus de chance de briser certaines chaînes et tabous. Un des outils qui a été développé par le Centre Ressources et le réseau de périnatalité REPERE est un autoquestionnaire « vulnérabilités » testé en maternité pour repérer chez toutes les femmes enceintes des alertes de vulnérabilité, que ce soient d’ordre affectif, socio-économique, ou addictologique. Cet autoquestionnaire a été validé sur 200 personnes, fonctionne, est bien accepté, n’est pas jugé culpabilisant et doit donc être maintenant diffusé à l’ensemble du département dans le cadre d’une démarche globale de repérage et prise en charge des femmes enceintes, afin que nous puissions tous ensemble, formés et bienveillants, empêcher ces familles de tomber ou les aider à trouver la force de se relever.
ECHANGES :
Réflexions sur la vulnérabilité et présentation de l’Observatoire de la parentalité à La Réunion.
Par Thierry MALBERT, Directeur scientifique de l’Observatoire de la parentalité à La Réunion.
La notion de vulnérabilité est assez complexe dans la mesure où c’est une notion transversale. On va tout d’abord donner une définition de ce qu’est la vulnérabilité dans le champ de la famille, puis on va s’intéresser aux accompagnements possibles sur le département mis en place par la Caisse d’Allocations Familiales (accompagnement individuel ou collectif). Enfin, on abordera l’Observatoire de la parentalité et les enjeux dans la relation parent-enfant.
On constate que la vulnérabilité est un état d’instabilité momentanée qui pourrait disparaître avec un accompagnement. Cette notion de « momentanée » est importante car si l’état d’instabilité persiste, on parlera alors de précarité et non de vulnérabilité. Cette vulnérabilité touche toutes les configurations familiale y compris la famille nucléaire. L’isolement social peut aussi faire partie de la vulnérabilité ainsi que la perte d’emploi, le divorce et finalement toute évolution de la cellule familiale qui est en changement constant. On peut donc se poser la question de comment se préparer, nous humain, à des périodes d’instabilité au cours de notre vie ? La sociologie renvoie à cette question la relation parent-enfant dans la mesure où l’enfant évolue et donc le discours des parents doit évoluer lui aussi.
L’anthropologie, c’est avoir le rapport à l’affiliation. Ainsi d’un point de vue anthropologique, la vulnérabilité serait une rupture dans la filiation qui peut être liée à l’abandon ou la non-nomination du père de l’enfant. Cela marque à terme une fragilité, une vulnérabilité dans l’identité de l’enfant.
Le travail de la Caisse d’Allocations Familiales réunionnaise et de toutes les CAF de France est important. Elles vont tendre en amont à pallier cette vulnérabilité. La CAF est dotée des travailleurs sociaux et des conseillères économiques et familiales qui ont pour but de pallier les vulnérabilités comme par exemple sur les problématiques du surendettement. Ces interventions ont amené les individus à l’accès au droit et la politique de l’accès au droit est très importante pour la CAF. Cette priorité de la CAF dans le développement du service aux allocataires est nécessaire car environ 350 000 réunionnais soit environ 50% de la population réunionnaise et en dessous du seuil de pauvreté traduisant ainsi une assez grande vulnérabilité de la société créole.
En ce qui concerne l’accompagnement collectif, les aides de la CAF vont aussi vers des associations qui travaillent sur les vulnérabilités qui touchent des quartiers (exemple : Réseau éducation populaire, l’épicerie solidaire...) dans le but de créer de la cohésion sociale dans les quartiers pour que chaque individu puisse développer ce que l’on appelle « l’impowerment » c’est-à-dire le pouvoir d’agir sur soi et développer les solidarités de quartier qui pallieront le manque.
Auparavant, la famille constituait une véritable barrière que l’État ne pouvait franchir. Il a fallu attendre les hygiénistes du début du XXème siècle pour que l’État puisse intervenir sur le plan familial. De ce fait, aujourd’hui, on s’intéresse un peu plus aux familles. On constate que l’étude de l’éducation familiale est assez récente (dans les années 80). Les sciences de l’éducation se sont tout d’abord penchées sur la sphère de l’école, de la pédagogie puis se sont dirigées petit à petit vers la sphère familiale. À La Réunion, via l’observatoire, on cherche à savoir ce qui se passe dans les processus éducatifs parent-enfant. Les recherches menées montrent qu’il y a de plus en plus de familles monoparentales – qu’elles soient de façade ou réelles –. En effet, certaines familles qui sont nucléaires aux yeux de la CAF, sont en fait monoparentale du fait que l’un des parents soit peu présent. Puis au fil du temps, il est possible que cette monoparentalité de façade devienne réelle.
L’observatoire a plusieurs objectifs : fédérer ce qui se passe sur la parentalité depuis 15 ans sur le département ; recenser et dédier un espace pour les acteurs ; créer un pôle de ressources avec des recherches.
Les recherches doivent être construites avec les acteurs (exemple : Université de La Réunion) pour travailler sur les familles vulnérables dans le sens de l’intergénérationnelle c’est-à-dire effectuer un travail de recherche sur des problématiques qui se transmettent entre générations. L’ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) par exemple est une association qui a mis en place un dispositif, qui en huit séances, permet à l’individu d’agir sur son addiction ou sur l’addiction de ses proches.
Le rôle de l’ARAJUFA auprès des personnes vulnérables à La Réunion.
Par Danièle GAUDIEUX, Directrice de l’Association Réunionnaise pour l’Aide Juridique aux Familles et aux Victimes (ARAJUFA).
L’ARAJUFA permet d’accompagner des personnes qui sont en situation de vulnérabilité, fragilisées en raison d’un événement qui s’est produit dans la cellule familiale.
L’ARAJUFA aura 50 ans d’existence en 2019 et est membre de France Victime depuis 1986. France Victime est la fédération française qui regroupe environ 130 associations professionnelles spécialisées dans l’aide aux victimes. Son objectif est d’engager des partenariats et conventions pour faciliter l’accès des personnes victimes aux associations locales d’aide.
L’ARAJUFA est également membre du conseil départemental de l’accès au droit depuis 2001 et participe activement, par des permanences tenues dans des points d’accès au droit, à la mise en œuvre de la politique d’accès au droit sur le territoire de l’île de La Réunion.
Les missions de l’ARAJUFA s’adressent à toute personne à la recherche d’informations sur ses droits et obligations et sur les moyens de les mettre en œuvre. L’activité de l’ARAJUFA s’articule principalement autour de trois axes : l’accès aux droits, l’aide aux victimes, la représentation des mineurs.
Les personnes s’adressant à l’ARAJUFA sont généralement des personnes aux revenus modestes ou des personnes bénéficiaires des minima sociaux. L’accueil de ces personnes se fait dans les tribunaux de grande instance de Saint-Denis et de Saint-Pierre mais également dans les points d’accès aux droits (18 points répartis sur l’ensemble de l’île).
Il est possible d’évoquer trois situations différentes.
Pour la première situation, il peut s’agir d’une personne fragilisée en raison d’une rupture familiale. Il s’agit là du cas le plus fréquent : cette personne souhaite avoir des informations sur ses droits et obligations. En général, ces personnes désirent savoir comment engager une procédure de divorce ou ce qu’il en est de la question de l’enfant ou du logement pour les couples non mariés. Dans ces situations, les accueillants vont informer ces personnes de leurs droits mais aussi et surtout de leurs obligations. Il s’agit d’orienter vers les juridictions compétentes, d’accompagner dans des démarches souvent liées à l’accès à l’aide juridictionnelle ou encore d’aider les personnes à comprendre et à exécuter les décisions de justice rendues. Les affaires familiales représentent environ 80% des affaires civiles pour lesquelles l’ARAJUFA est sollicitée.
Pour la deuxième situation, il peut s’agir d’un mineur fragilisé en raison d’une agression physique ou sexuelle dont il est la victime ou d’un mineur fragilisé en raison d’une action en justice engagée notamment dans le domaine de filiation. Dans cette situation, l’association va accompagner le mineur puisque l’ARAJUFA va être désignée comme administrateur ad hoc soit par le juge d’instruction soit par le parquet et l’ARAJUFA va représenter les intérêts du mineur puisqu’il y a un conflit d’intérêts entre le mineur et les représentants légaux. Il peut s’agir de cas de contestation de filiation mais aussi d’enfants victimes de violences physiques ou sexuelles par un membre de la famille. Ainsi, afin de protéger au mieux l’enfant, l’ARAJUFA prend attache avec un avocat et s’occupe de toute la procédure ainsi que le dossier avec l’avocat.
Enfin, dans la troisième situation, il peut s’agir d’une personne victime de violences sexuelles, physiques ou victime d’une dégradation de son bien. Dans ce cas, l’ARAJUFA va accompagner cette personne qui se trouve dans une situation de vulnérabilité en raison des violences mais aussi informé la personne de ses droits, des démarches à effectuer pour les faire reconnaître (exemple : comment déposer plainte ? comment se constituer partie civile ?). Cet accompagnement se fait tout au long de la procédure qu’il s’agisse d’un accompagnement juridique ou d’un accompagnement psychologique.
En ce qui concerne les violences conjugales, il existe, à La Réunion, un dispositif – le « téléphone grave danger » – porté par l’Association Réseau VIF et l’AJARUFA. L’Association Réseau VIF est référente du dispositif car elle en assure la gestion administrative et financière. Le réseau VIF a pour objectif de favoriser l’amélioration de la prise en charge des violences intrafamiliales et des violences faites aux femmes à La Réunion. Pour être éligible au « téléphone grave danger », des conditions préalables sont indispensables. Tout d’abord, il faut être une femme victime de violences conjugales ou de viol, une interdiction d’entrer en contact doit être formalisée au plan judiciaire et une absence de cohabitation avec l’auteur est indispensable. Dans l’évaluation du grave danger, il est également question de vérifier les critères liés à la vulnérabilité de la victime. S’agissant de ces critères, on va étudier à partir de différents indicateurs, plusieurs éléments concernant la situation de la victime, notamment sa situation socio-géographique. D’autres éléments seront recherchés sur la situation socio-professionnelle, socio-économique, socio-familiale. Tous ces éléments vont préciser l’évaluation de ce grave danger. Depuis le début 2015, 33 téléphones ont été délivré dont 15 en 2017.
Pour conclure, l’ARAJUFA est soumise à des principes d’actions comme l’accueil de toute personne sans conditions de ressources, des services et entretiens entièrement gratuits et confidentiels. Il est en outre interdit pour l’ARAJUFA, d’orienter les victimes vers un professionnel nommément désigné du secteur marchand ou libéral. Les intervenants sont formés et enfin, elle respecte l’autonomie de décision de chaque personne reçue.
Débat autour du viol entre époux.
C’est tout un travail d’accompagnement pour faire prendre conscience à la victime qu’un rapport sexuel imposé, même par son époux, est un viol. C’est un travail de longue haleine car dans les représentations des victimes, souvent, cela reste tabou.
Juridiquement, le viol entre époux a longtemps été nié car on considérait qu’il existait une conséquence « coutumière » du devoir conjugal (art. 215 Cciv.) qui était d’avoir des rapports sexuels entre conjoints. La jurisprudence a largement évolué (v. par ex. Crim. 11 juin 1992), avec la reconnaissance du viol possible entre époux. Le législateur a ensuite érigé le viol entre époux en infraction spécifique. La loi du 4 avril 2006 considère que la présomption de consentement aux rapports sexuels entre époux n’est qu’une présomption simple (la preuve de l’absence de consentement peut être apportée pour caractériser un viol ou une agression sexuelle – Art. 222-22 al. 2 Cpén.). Le fait que le viol ait lieu entre époux, concubins ou pacsés est même devenu, depuis la loi de 2006, une circonstance aggravante du viol (Art. 222-24-11 Cpén.).
La vraie difficulté au-delà de l’existence d’une incrimination pénale de viol entre époux, c’est la possibilité de prouver ce viol. Il est très compliqué de l’établir puisque établir l’existence de relations sexuelles ne suffit pas à prouver le viol. Il est nécessaire de prouver qu’il y a eu des contraintes, menaces ou surprises. Cela est d’autant plus compliqué car, le plus souvent, le viol est commis dans un cercle privé.
Débat autour de la numérisation et du nécessaire accompagnement des plus vulnérables.
Avec la numérisation, se pose la question de l’accompagnement des plus vulnérables. La disparition de l’humain inquiète. C’est une question assez importante et c’est d’ailleurs, l’une des raisons des contestations nombreuses contre les derniers projets de réforme. Il faut savoir qu’il y a des territoires, des endroits, des moments où il faut prendre en compte les spécificités. L’accès à Internet ou à la technique au sens large n’est pas une évidence pour toute la population de La Réunion et donc, si l’on veut accompagner cette population le mieux possible, il faut prendre en compte les spécificités du territoire. Il est notamment important de garder un accompagnement humain. On remarque que dans toutes les procédures automatisées, arrive un moment où ces procédures rencontrent des limites. Bien que ces procédures correspondent à certaines parties du territoire (permettant ainsi un accès plus rapide et efficace), il serait dommageable que l’intervention de la technique se substitue à l’intervention humaine. L’ARAJUFA a aussi manifesté son inquiétude vis-à-vis du « tout numérique ».
Une solution serait de laisser la liberté au justiciable de choisir son approche : la personne habituée à l’outil informatique pourrait utiliser la procédure automatisée tandis que le justiciable moins formé à ce nouvel outil pourrait toujours avoir un contact humain pour l’aider dans ses démarches. En fonction de ces évolutions, les associations seront amenées à se réorganiser pour que leur accompagnement auprès des victimes soit toujours le plus adapté possible.
Débat autour de la catégorisation des personnes vulnérables.
Aujourd’hui, le droit raisonne via une catégorisation des personnes vulnérables (cette évolution s’observe également à l’étranger : en Belgique, par exemple, on liste les types de personnes vulnérables comme les femmes, les enfants…). Aussi, n’existe-t-il pas aujourd’hui, un risque de stigmatisation ? De plus, la vulnérabilité est une notion basée sur des risques de violation des droits de l’Homme. Ainsi, comment créer une définition de la personne vulnérable alors qu’on ne peut mesurer exactement le risque exact ?
Le droit de la famille a souvent tendance à catégoriser. On raisonne aussi fréquemment via des seuils (exemple : à partir de x années). L’enjeu de ce colloque est de se demander dans quelle mesure l’affirmation d’un concept de vulnérabilité, adaptable et flexible, pourrait permettre de dépasser un raisonnement par catégorie ou fondé sur des seuils. Par exemple, un mineur ou une personne âgée n’est pas toujours une personne vulnérable. On peut tous être plus ou moins vulnérable à un moment donné. Dans l’affirmation du concept de vulnérabilité, on peut voir une occasion de dépasser un raisonnement par catégorie pour obtenir des réponses plus adaptées.
L’enjeu concerne aussi le fléchage des politiques publiques. Aujourd’hui, les politiques publiques ont tendance à raisonner en termes de catégories. Or, une approche un peu plus transversale pourrait être plus adaptée : même si parfois il est nécessaire de catégoriser (exemple : dans le but de prendre conscience qu’un groupe de personnes est dans une situation vulnérable comme par exemple les femmes battues), au bout d’un certain temps, il est bon de raisonner de manière plus transversale.
Il est important de partager ensemble les divergences ou au contraire les points communs dans la conception de la vulnérabilité car cette notion est présente dans différents domaines, différents textes ou conventions et on ne retrouve pas toujours les mêmes éléments derrière la notion de vulnérabilité. Ainsi par exemple, pendant longtemps, la vulnérabilité n’a pas été envisagée au plan économique. Elle était plutôt reconnue sur le plan physique ou psychique. Puis au fil du temps, on a affirmé cette notion de vulnérabilité économique.
[1] Assistance éducative : art. 375 à 375-9 ; retrait de l’autorité parentale : art. 378 et 378-1 ; déclaration judiciaire de délaissement parental : art. 381-1.
[2] V. loi n°68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs.
[3] V. loi n°2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.
[4] V. Art 501 Cciv. pour les tutelles ; Art 511 Cciv. pour les curatelles.
[5] Tel est le cas notamment des décisions prises en matière d’assistance éducative et de retrait de l’autorité parentale.
[6] Reconnaissance de « prémajorités » sexuelle, religieuse, etc.
[7] V. loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.
[8] V. loi n°85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs.
[9] V. loi n°70-459 du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale.
[10] V. POMART C., La magistrature familiale. Vers une consécration légale du nouveau visage de l’office du juge de la famille, coll. « Logiques juridiques », L’Harmattan, 2004.
[11] CORNU G., Droit civil. La famille, coll. « Domat droit privé », 7ème éd. , Paris : Montchrestien, 2001, p. 20 ; CORNU G., « Rapport de synthèse », in LERADP Les filiations par greffe. Adoption et procréation médicalement assistée, Paris : LGDJ, 1997, 176 p., p. 163 ; CARBONNIER J., Droit et passion du droit sous la Ve République, coll. « Forum », Flammarion, 1996, 276 p., p. 125 ; CARBONNIER J., Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 9ème éd., Paris : LGDJ, 1998, 447 p., p. 181 ; JAULNEAU E., La subjectivisation du droit : Etude du droit privé, Thèse dact. Orléans, 2007.
[12] V. 1ère Civ. 4 déc. 2013 : question de la nullité du mariage sur le fondement de l’art. 161 Cciv. ; 1ère civ. 10 juin 2015, 1ère civ. 6 juil. 2016, 1ère civ. 5 oct. 2016, 1ère civ. 9 novembre 2016 : question de la prescription et de sa compatibilité avec les droits fondamentaux garantis par la Convention EDH ; CE Ass 31 mai 2016, Aff. Gonzalez-Gomez : question de la possibilité de l’insémination post–mortem.
[13] Hélène THOMAS est Professeure de science politique à l’Université d’Aix-Marseille, sociologue et psychanalyste.
[14] V. THOMAS H., Les vulnérables. La démocratie contre les pauvres, Ed. du croquant, coll.« Terra », Paris, 2010, p. 23.
[15] V. CASTEL R., Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Fayard, Paris, 1995.
[16] V. CASTEL R., préc. supra p. 17.
[17] SOULET M.-H., Reconsidérer la vulnérabilité, EMPAN, n°60, vol IV, décembre 2005, pp. 24-29.
[18] ROY S., De l’exclusion à la vulnérabilité, in CHATEL V., ROY S. [dir.], Penser la vulnérabilité. Visages de la fragilisation du social, Presses de l’Université du Québec, Sainte-Foy (Canada), 2008, pp. 13-34.
[19] V. THOMAS H., préc. supra p. 35.
[20] V. THOMAS H., préc. supra.
[21] Extrait de paroles de victimes dans le cadre de l’accompagnement que je mène au CEVIF (Collectif pour l’Elimination des Violences IntraFamiliales).
[22] Définition établie par le Conseil de l’Europe en 2002 : « Les violences dans les relations intimes sont un ensemble de comportements, d’actes, d’attitudes, de l’un des partenaires ou ex-partenaires qui visent à contrôler et dominer l’autre. Elles comprennent les agressions, les menaces ou les contraintes verbales, physiques, sexuelles, économiques répétées ou amener à se répéter portant atteinte à l’intégrité de l’autre et même à son intégration socioprofessionnelle. Ces violences affectent non seulement la victime mais aussi les autres membres de la famille, parmi lesquels les enfants. Elles constituent une forme de violence intrafamiliale. Il apparaît que, dans la grande majorité, les auteurs de ces violences sont des hommes et les victimes, des femmes. Les violences dans les relations intimes sont la manifestation, dans la sphère privée, de la relation de pouvoir inégale entre les femmes et les hommes encore à l’œuvre dans notre société ».
[23] V. LOUVILLE P. et SALMONA M., « Traumatismes psychiques : conséquences cliniques et approche neurobiologique » in dossier : Le traumatisme du viol dans la revue Santé Mentale de mars 2013, n° 176.
[24] V. MELAN E., « Violences conjugales et regard sur les femmes. Qu’apporte une définition basée sur une construction genrée des victimes ? », in dossier : Violences conjugales et justice pénale dans la revue Champ pénal, Vol. XIV, 2017.
[25] V. NEUWIRTH L., Que la vie soit ! Paris, Grasset, 1979, p. 63. L. Neuwirth raconte dans ses mémoires qu’il trouve l’occasion de faire part de sa proposition de loi au Général, au cours d’un déjeuner privé à l’Elysée auquel il a été convié avec son épouse.
[26] Loi du 31 juillet 1920, réprimant la provocation à l’avortement et à la propagande anticonceptionnelle, J.O.R.F du 1er août 1920, p. 3666.
[27] Loi n°67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances et abrogeant les articles L. 648 et L. 649 du Code de la santé publique.
[28] V. RIVIERE M., « Sexualité et loi naturelle », in Politique et loi naturelle, Actes du Congrès de Lausanne III, 31 mars-2 avril 1967, pp. 93-112.
[29] Michèle FERRAND, sociologue et directrice de recherches au C.N.R.S in Le Monde, du 19-12-2017.
[30] CHAUCHARD P., Amour et contraception pour une sexualité responsable, Tours, Mame, 1965, 293 p.
[31] On réunit souvent les deux lois sous le nom collectif de lex Julia et Papia ; Ulpien, Reg., 15 ; 16.
[32] VANCOURT R. in Permanences n° 37, février 1967, p. 21-20 ; Le chanoine Vancourt met en lumière l’ambiguïté de la terminologie. L’adjectif « naturel » peut recevoir des acceptions multiples comme le substantif « nature » dont il dérive. Le chanoine démontre que « la loi naturelle désigne plutôt les lois qui doivent diriger l’existence de l’homme, animal raisonnable et libre »… Selon lui, c’est un « ensemble de lois que la raison doit pouvoir découvrir, car il s’agit de l’activité propre à l’être humain à qui il incombe de se proposer des buts conformes à sa nature raisonnable et libre. Buts qui doivent permettre à cette nature de s’épanouir au mieux, en tenant compte de ses exigences et en respectant dans l’homme la dignité d’être spirituel ».
[33] M. RIVIERE, lors du Congrès de Lausanne, met en exergue les problèmes que l’obéissance à la loi naturelle pose à la conscience du médecin, tels les vomissements dits incoercibles du début de la grossesse risquant de mettre en péril la vie de la mère. Dans de telles circonstances, il paraissait souvent logique de pratiquer un avortement thérapeutique.
[34] DUBY G., Le chevalier, la femme et le prêtre. Le mariage dans la France féodale, Paris, Pluriel, 2012, pp. 12-13 ; BASDEVANT-GAUDEMET B., « Le mariage d’après la correspondance d’Yves de Chartres », dans Revue historique de droit Français et Etranger, avril-juin 1983, p.197, n.13 : Yves DE CHARTES, canoniste du XIe, connu pour la rédaction de deux collections canoniques dont environ 288 lettres, deux cents ans après les écrits d’ Hincmar de Reims, est souvent saisi et se prononce sur les demandes d’annulation de mariages de personnages importants. Le mariage, considéré alors comme un acte purement religieux, relève de la compétence juridictionnelle exclusive des Cours d’église, dans le Nord et des juridictions laïques dans le Midi. Elles seules connaissent de l’existence et de la validité du lien matrimonial mais aussi des procès relatifs aux rapports personnels entre époux c’est-à-dire de l’inexécution des obligations découlant du mariage.
[35] Jean 13,34.
[36] Tobie 4,15 et Mathieu, 7,12.
[37] Il est avéré qu’Yves de Chartres connaissait ce concept romain d’affectio maritalis, probablement par l’intermédiaire de l’Epitome de Julien. Il y fait explicitement référence dans une de ses lettres (Ep. 148) ; GAUDEMET J., « L’engagement conjugal. Le regard des canonistes à la veille de la Révolution », dans La famille, la loi, l’Etat, de la Révolution au Code civil, Irène THERY et Christian BIET, préface de Jean CARBONNIER, Paris, Imprimerie Nationale et publications du Centre Georges Pompidou, 1989, p.96.
[38] En référence probablement à l’Ancien testament (Jean 15, 8).
[39] Fédération des sociétés de gynécologie et d’obstétrique de langue française. 17e Congrès, Marseille, 9-12 septembre 1957. Rapports, discussions et communications, Masson, Paris, 1958.
[40] A l’appui de ces arguments fallacieux, les hétéro-inséminateurs invoquent l’autorité de Transhumanistes tels qu’Alexis CARREL et celle de Julian HUXLEY si l’on en juge par le texte suivant : « il est maintenant loisible à l’homme et à la femme de consommer la fonction sexuelle avec ceux qu’il aime, mais d’effectuer la fonction de reproduction avec ceux que, pour des motifs peut-être différents, ils admirent ».
[41] L’écrivain, auteur de Le Meilleur des mondes et frère de celui que nous venons de citer dans la note ci-dessus.
[42] Propos avancés par le Pr. RIVIERE dans le cadre du Congrès de Marseille, in supra.
[43]Dès 1949, le souverain Pontife Pie XII intervient plusieurs fois dans les congrès de médecins en présentant ses « considérations générales sur la position de l’Eglise catholique », puis la réflexion du Magistère est énoncée dans l’encyclique Jean XXIII, le 15-05-1961, « Mater et Magistra », peu avant la Constitution pastorale « Gaudium et spes » issue du IIe Concile œcuménique du Vatican, en 1965. Des critères objectifs sont précisés par Paul VI en 1965 in « Humane vitae » et enfin par Jean-Paul II, en 1981 in « Familiaris Consortio ». Un document de synthèse élaboré en 1987 par la Congrégation pour la doctrine de la foi présente clairement la position de l’église par rapport à la fécondation in vitro dans l’Instruction de « Donum Vitae ».
[44] Français ou anglais le terme reste ambigu.
[45] L’efficacité de la méthode est voisine de 100%, à la condition expresse que la pilule soit prise avec une régularité absolue (Congrès de Pittsburg juin 1966, intervention des gynécologues Geisendorf et Moricard).
[46] WESTMAN A., « What is happening : the sadist revolution », in Sex and dehumanisation, (p.18) report to the sixth International Conference on Planned Parenthood, Tokyo, 1955, p.18.
[47] La lecture de certaines revues médicales (Revue de Médecine, juin, juillet, août 1965) sous les signatures de gynécologues presqu’exclusivement féminins montre à l’évidence que l’eupareunie, c’est-à-dire le plaisir est le but premier de l’acte sexuel : l’enfant surprise, l’enfant accident est aussi « l’enfant catastrophe » et son ombre redoutable vient troubler les joies érotiques des deux partenaires.
[48] RIVIERE J., A la trace de Dieu, N.R.F., Gallimard, 1941, p. 82 et 92-93.