Droit des personnes et de la famille : le nouveau visage de l’influence de la Cour EDH
Dans le domaine particulier du droit des personnes et de la famille, l’influence de la Cour EDH sur la construction du droit positif présente aujourd’hui un nouveau visage : elle se manifeste désormais sur le mode de raisonnement mis en œuvre par les juges français et non plus par l’intermédiaire du législateur.
Anne-Sophie Brun et Géraldine Vial, Maitres de conférences à l’Université Grenoble Alpes – CRJ EA 1965
L’objectif de cette étude consistait à mesurer l’impact de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme sur la construction du droit français des personnes et de la famille. Ce vaste sujet a imposé une délimitation plus précise du champ de l’étude. Cette dernière s’est ainsi concentrée sur les arrêts rendus par la Cour européenne depuis novembre 2011 – date de la création de la RDLF, dont le colloque fête les cinq ans d’existence – et dans lesquels l’Etat français était partie.
De l’analyse des décisions retenues sont alors ressortis plusieurs enseignements : la conception élargie de la notion de vie privée et familiale adoptée par la Cour EDH, le souci constant de la Cour de voir assurée une protection effective de celle-ci ou encore les différents droits fondamentaux dont les juges européens ont précisé les contours à diverses reprises ces dernières années.
Cependant et de manière beaucoup plus pertinente, cette étude a également mis au jour un mouvement, particulièrement net, s’inscrivant dans une dynamique contemporaine bien plus vaste et dessinant le nouveau visage de l’influence de la Cour européenne sur le droit des personnes et de la famille ces cinq dernières années. Ce mouvement se décompose en trois points : l’influence de la Cour européenne sur le droit positif ne passe plus par l’intermédiaire du législateur français (I) ; elle se trouve contenue par la prudence dont la Cour fait preuve lors de son contrôle de proportionnalité (II) ; cette influence se manifeste désormais sur le raisonnement des juges français (III).
I. La perte d’influence de la Cour EDH sur le législateur français
Si le législateur français a pu se montrer attentif à la position de la Cour EDH sur certaines questions du droit des personnes et de la famille (A), il semble désormais faire preuve d’une certaine indifférence (B).
A. D’un législateur attentif…
Dans les années 2000, la Cour européenne a exercé une influence très marquée sur le législateur français. De nombreuses réformes d’ampleur, concernant des questions particulièrement sensibles du droit des personnes et de la famille ont, en effet, été initiées par les juges strasbourgeois. Cette influence est désormais bien connue mais l’on peut citer à titre d’exemple la loi du 3 décembre 2001 ayant consacré l’égalité successorale des enfants nés hors et en mariage 1, les lois de 2002 sur l’accès aux origines personnelles 2, sur la réforme du nom de famille 3 et de l’autorité parentale 4 ou encore l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation 5.
Parfois, le législateur français a même anticipé, voire prétexté une condamnation des juges européens, pour modifier le droit positif. Tel était le cas de la loi du 16 janvier 2009 qui a supprimé la fin de non-recevoir à l’action en recherche de maternité lors d’un accouchement sous X 6. A l’époque, l’argument avancé dans les travaux parlementaires pour justifier cette réforme était clairement celui d’une future condamnation du système français de l’accouchement sous X… même si celle-ci n’a, en définitive, jamais eu lieu.
Cette influence avérée a désormais laissé place à une influence bien plus restreinte ces cinq dernières années.
B. … à un législateur indifférent
Les dernières réformes législatives du droit des personnes et de la famille ne semblent pas avoir été directement initiées ou inspirées par les décisions de la Cour européenne. En témoigne notamment la récente réforme du divorce par consentement mutuel 7. Parmi les textes législatifs récents, seule une disposition, égarée dans la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle 8, porte une évolution du droit positif en lien avec une condamnation de l’Etat français par le juge strasbourgeois 9 : la modification possible de la mention du sexe à l’état civil pour une personne transsexuelle. Aux termes de l’article 61-5 nouveau du Code civil, les conditions exigées pour prétendre à cette modification ont en effet été assouplies. Cette dernière est dorénavant admise lorsque la personne « démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe à l’état civil ne correspond pas à celui auquel elle appartient de manière sincère et continue ». L’article 61-6 poursuit en précisant de manière explicite que « le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande » 10. La condition d’irréversibilité de la transformation de l’apparence de la personne n’est désormais plus requise, en adéquation avec la position de la Cour européenne sur ce sujet 11.
Cet exemple mis à part, le législateur français semble aujourd’hui, dans le domaine du droit des personnes et de la famille, largement insensible, voire parfaitement hermétique à l’influence de la Cour. Le régime juridique de l’expertise génétique post mortem illustre bien ce propos. L’article 16-11 du Code civil dispose qu’une telle mesure est interdite sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant. Cette règle a été condamnée dans l’affaire Pascaud en date du 16 juin 2011 12. Lors de la révision des lois bioéthiques, le Conseil d’Etat a alors envisagé une nouvelle rédaction de ce texte au regard de la condamnation européenne. Le législateur n’a toutefois pas retenu cette proposition. Le système actuel a été conservé par la loi du 7 juillet 2011 13. Le législateur est ainsi resté sourd à la condamnation du droit positif par les juges strasbourgeois.
En définitive, il ressort de cette étude que la Cour européenne n’a exercé aucune influence directe sur la législation, concernant les questions sensibles du droit des personnes et de la famille, ces cinq dernières années. Si son influence est toujours prégnante, elle ne se manifeste donc plus directement par l’intermédiaire du législateur. Elle semble, par ailleurs, aujourd’hui toute en retenue.
II. Une influence contenue par la prudence de la Cour EDH
Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, s’agissant des questions les plus sensibles du droit des personnes et de la famille, l’influence de la Cour européenne ne se traduit pas dans l’affirmation solennelle de solutions de principe, dans la consécration de nouveaux droits ou dans la proclamation de nouvelles obligations positives à respecter pour les Etats. Au contraire, la Cour invoque le principe de subsidiarité et se retranche derrière la marge d’appréciation, particulièrement étendue, qu’elle laisse aux Etats membres en ce domaine. Cette idée apparaît de manière très nette à l’aune du nombre de condamnations de l’Etat français prononcées par la Cour : de 87 en 2006, ce nombre a chuté à 17 en 2014. C’est dire que le juge européen se montre extrêmement prudent dans son contrôle de conventionalité. Cette prudence peut être observée à deux étapes du raisonnement de la Cour : lors de la vérification de l’ingérence de l’Etat (A), puis au moment du contrôle de proportionnalité (B).
A. La prudence lors de la question de l’ingérence de l’Etat
A ce stade du raisonnement, la prudence de la Cour se manifeste d’abord au regard du nombre et de l’impact des obligations positives qu’elle édicte. Durant ces cinq dernières années, les obligations positives dégagées par la Cour européenne ont en effet été relativement peu nombreuses et n’ont présenté qu’un faible écho sur le droit positif français. C’est ainsi, par exemple, que l’obligation d’offrir un statut juridique au couple de même sexe formulée par la Cour dans l’affaire Oliari et autres contre Italie 14, en juillet 2015, n’a pas eu d’incidence sur le droit de la famille français, la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe 15 ayant été adoptée deux ans auparavant.
Cette prudence de la Cour se remarque ensuite dans son refus de consacrer certaines obligations positives. Tel est le cas pour le mariage homosexuel. Dans l’affaire Chapin et Charpentier contre France du 9 juin 2016 16, la Cour européenne a explicitement réitéré son refus d’imposer à tous les Etats la légalisation du mariage pour les personnes de même sexe. Les juges strasbourgeois – peut-être contrairement aux juges français (cf. infra III) – semblent sur ce point reconnaître la fonction politique du législateur de chaque Etat et n’entendent pas s’y substituer.
Toujours au nom d’une certaine prudence et d’une retenue manifeste, la Cour est enfin venue limiter le domaine de l’obligation positive d’intégrer juridiquement l’enfant dans sa famille. Ce constat ressort de plusieurs décisions. Dans l’arrêt Gas et Dubois du 15 mars 2012 17, la Cour a ainsi renoncé à imposer à tous les Etats l’adoption de l’enfant par la concubine homosexuelle de la mère. De même, dans les arrêts Mennesson et Labassée 18, puis Foulon et Bouvet 19 relatifs à la gestation pour autrui, la Cour n’a pas condamné l’interdiction française de ce mode de procréation. Elle n’a pas davantage imposé l’établissement de la filiation de tous les enfants issus de ce procédé. Elle a seulement requis l’établissement de la filiation à l’égard du géniteur, au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de l’enfant 20.
La prudence du juge européen est ainsi très nette lorsqu’il statue sur l’ingérence de l’Etat dans un droit fondamental protégé ; cette prudence s’exprime également lors du contrôle de proportionnalité.
B. La prudence lors du contrôle de proportionnalité
Dans toute une série d’arrêts, rendus sur des questions parfois extrêmement délicates, la Cour européenne s’en remet à la marge d’appréciation de l’Etat pour considérer que l’ingérence réalisée dans un droit fondamental par le droit français est proportionnée et donc conforme à la Convention. Tel est le cas notamment dans les arrêts Kearns 21 concernant le système de l’accouchement sous X, Harroudj 22 sur l’institution de la kafala, De Ram 23 relatif à la mise en œuvre dans le temps de la loi de 2002 concernant le nom de famille, SAS 24 au sujet de l’interdiction du voile intégral dans l’espace public, Lambert 25 examinant la législation française relative à la fin de vie, Mandet 26 à propos de l’annulation d’une filiation par légitimation et, enfin, Canonne 27 portant sur l’interprétation du refus de se soumettre à une expertise biologique. Dans toutes ces décisions, rendues sur des questions sensibles du droit des personnes ou de la famille, la Cour a considéré qu’un juste équilibre avait été ménagé par le législateur français entre les différents intérêts en présence et elle a choisi de ne pas le remettre en cause.
Dans le domaine particulier du droit des personnes et de la famille, le juge européen fait ainsi preuve d’une certaine prudence ces dernières années. Il n’intervient pas directement dans la construction du droit positif. Il semble reconnaitre le rôle politique du législateur et, en l’absence de tout consensus sur ces questions, il s’efface. La prudence de la Cour témoigne de son choix d’appliquer pleinement le principe de subsidiarité 28. Corrélativement, la Cour laisse aux autorités nationales le soin de veiller au respect des droits fondamentaux sur le territoire français. Le législateur intervient peu, on l’a vu. Les juges en revanche, clairement influencés par la Cour, se sont emparés de son raisonnement.
III. L’influence manifeste de la CEDH sur le raisonnement des juges français
Il est aujourd’hui classique d’observer que les juges français se sont appropriés la méthode de la Cour EDH, jusqu’à réaliser le fameux contrôle de proportionnalité. Pour mesurer avec précision l’influence de la Cour EDH sur le raisonnement des juges français ces cinq dernières années, il convient cependant de montrer l’évolution du contrôle de proportionnalité qui ne se limite plus à trouver une solution lorsque deux droits fondamentaux s’opposent – contrôle classique de proportionnalité (A) mais qui conduit à ne pas appliquer une disposition légale qui porterait une atteinte disproportionnée à un droit fondamental – contrôle moderne de proportionnalité (B).
A. Le contrôle classique de proportionnalité
Les cinq dernières années fourmillent de décisions dans lesquelles les magistrats français mettent en balance deux droits d’égale valeur normative aux fins de dégager la solution la plus équilibrée dans l’espèce concernée. Le raisonnement est très abouti lorsqu’il est question de savoir si la liberté d’expression autorise l’atteinte à la vie privée : plus les années passent, plus la jurisprudence affine les critères permettant de faire pencher la balance en faveur de la liberté d’information ou en faveur du droit au respect de la vie privée. L’influence de la Cour EDH se fait ici aussi clairement sentir tant les critères utilisés font écho à ceux dégagés par la Cour 29. Dans d’autres domaines, il est possible d’observer la précision progressive des critères de la mise en balance. Il en est ainsi lorsque le droit à la preuve est opposé au droit au respect de la vie privée 30. Parfois, des critères mériteraient d’être identifiés. Tel est le cas lorsque c’est la liberté de création littéraire et artistique qui est invoquée pour justifier une atteinte à la vie privée 31.
B. Le contrôle moderne de proportionnalité
La version moderne du contrôle de proportionnalité conduit à se demander, in casu, si l’application de la règle ne réalise pas une ingérence disproportionnée dans un droit fondamental de la personne en cause. Le cas échéant, les magistrats peuvent décider de ne pas appliquer la règle au cas d’espèce. Il n’est donc pas question ici de mettre en balance deux droits pour identifier lequel doit l’emporter dans le cas particulier qui ne connaît pas de solution précise, mais d’écarter éventuellement la règle qui fournit la solution en l’espèce.
Cette version moderne du contrôle de proportionnalité est clairement encouragée par la Cour EDH. En témoigne, par exemple, l’arrêt Henrioud c. France 32, dans lequel elle affirme que « compte tenu des circonstances particulières de l’espèce (…) la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme excessif en ce qui concerne l’application de l’exigence procédurale litigieuse ». La Cour considère ainsi que les magistrats français aurait dû écarter la disposition légale car son application dans les circonstances de l’espèce apparaissait disproportionnée.
Ces cinq dernières années ont alors vu l’avènement d’une révolution dans les cours suprêmes françaises, celles-ci, emboîtant le pas à la Cour EDH, acceptant désormais d’exercer un contrôle de proportionnalité pouvant conduire à l’éviction de la règle légale applicable au cas soumis.
1. La révolution dans les cours suprêmes françaises
La révolution concerne tout d’abord la Cour de cassation qui, en 2013, refusa d’annuler le mariage entre le beau-père et son ancienne belle-fille car « le prononcé de la nullité du mariage revêtait, à l’égard de cette dernière, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans » 33. En d’autres termes, la Cour de cassation refuse d’appliquer ici l’article du Code civil qui conduisait, sans aucun doute possible, à annuler le mariage incestueux. Cette décision n’est pas restée isolée. En effet, dans quatre décisions ultérieures, la Cour de cassation invite à apprécier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en œuvre de la disposition légale ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale au regard du but légitime poursuivi. En 2014, la Cour de cassation semble ainsi envisager la création d’une action aux fins de recherche de son ascendance génétique, qui conduirait à ne pas appliquer les délais de prescription des actions destinées à l’établir la filiation 34. En 2015 et 2016, ce sont les délais de l’action en recherche ou en contestation de paternité qui font l’objet d’un contrôle de proportionnalité 35. L’influence certaine de la Cour EDH sur le raisonnement de la Cour de cassation n’emporte toutefois pas systématiquement la mise à l’écart de la disposition légale sous examen. S’agissant d’un mariage incestueux comme en 2013, la Cour de cassation conclut ainsi en 2016 que la nullité du mariage ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés. L’éviction in casu des dispositions légales n’est pas systématique mais le contrôle de proportionnalité dans sa version moderne est désormais acquis, appelé de ses vœux par le premier président de la Cour de cassation qui souhaite la mise en place d’un « contrôle en rupture radicale avec celui de la stricte application de la loi », la recherche d’une solution équitable par le biais d’une « application de la loi adaptée aux circonstances de l’espèce, nécessaire en raison de ces circonstances, et proportionnée en raison de ces circonstances » 36.
La révolution a également eu lieu au Conseil d’Etat qui, en 2016, a décidé de ne pas appliquer la disposition légale interdisant l’exportation de gamètes dans un but interdit en France – ici l’insémination post mortem – considérant que le refus opposé à la requérante « porte, au égard à l’ensemble des circonstances de la présente affaire, une atteinte manifestement excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale protégé par les stipulations de l’article 8 de la CEDH » 37. Depuis, deux juridictions de première instance se sont, à leur tour, emparées du contrôle de conventionalité pour se demander si le refus d’exportation des gamètes aux fins d’insémination post mortem portait une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale des requérantes 38. La révolution se propage donc, ce qui ne manque pas de susciter la critique.
2. Une révolution critiquée
Pour les tenants de la critique négative, la version moderne du contrôle de proportionnalité conduit à une remise en cause de l’arbitrage politique opéré par le législateur et, partant, à une atteinte à la séparation des pouvoirs. Ils craignent également l’aléa, voire l’arbitraire, de l’appréciation personnelle par le juge et, corrélativement, la mise en péril de la sécurité juridique. Certains vont très loin affirmant que « ce serait délibérément sacrifier la recherche du prévisible cohérent sur l’autel d’une quête romantique de justice faite d’un bouillonnement permanent d’incertitudes et d’une effervescence de prétoires encombrés, donc brouillés, lents et coûteux. Ne serait-ce pas la négation même du droit ? » 39.
Plus modérés, des auteurs admettent la nécessité de ce contrôle si l’on souhaite garantir réellement les droits fondamentaux de chaque individu et que l’on admet qu’une règle abstraite et générale ne peut tout prévoir : la promotion des droits fondamentaux nécessiterait une mise en balance tant au stade de l’édiction de la loi (pesée in abstracto) qu’au stade de son application (pesée in concreto) 40.
En amont, l’examen de la conventionalité par les juridictions pourrait, en outre, contribuer à limiter le nombre de requêtes et, le cas échéant, faciliter le dialogue avec les magistrats strasbourgeois, attentifs à ce que l’Etat assigné ait fait de son mieux pour limiter l’atteinte et davantage enclins à faire application du principe de subsidiarité lorsque tel a effectivement été le cas.
En aval, la nouvelle procédure de réexamen en matière civile renforce encore la pertinence du nouveau contrôle de proportionnalité. En vertu de l’article L. 452-1 du Code de l’organisation judiciaire (issu de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe s.), « Le réexamen d’une décision civile définitive rendue en matière d’état des personnes peut être demandé au bénéfice de toute personne ayant été partie à l’instance et disposant d’un intérêt à le solliciter, lorsqu’il résulte d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme que cette décision a été prononcée en violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne, pour cette personne, des conséquences dommageables auxquelles la satisfaction équitable accordée en application de l’article 41 de la même convention ne pourrait mettre un terme (…) ». A supposer les conditions du réexamen remplies, le magistrat chargé d’étudier à nouveau la décision ayant entraîné la condamnation de la France ne pourra, en effet, faire autrement que de contrôler la disproportion de l’atteinte et d’écarter la disposition légale appliquée si c’est l’application de celle-ci qui est en cause.
L’acceptabilité du nouveau contrôle supposerait néanmoins une très grande rigueur dans la méthodologie. On peut ainsi souhaiter, en premier lieu, une identification très précise des droits fondamentaux en cause 41. En deuxième lieu, les magistrats devront, petit à petit, préciser les critères utilisés pour apprécier la (dis)proportion de l’atteinte. En dernier lieu, et plus généralement, formons le vœu que le syllogisme ne disparaisse pas, mais soit adapté au nouveau raisonnement.
Notes:
- Loi n° 2001-1135 du 3 déc. 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral. ↩
- Loi n° 2002-93 du 22 janv. 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat. ↩
- Loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille. ↩
- Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale. ↩
- Ordonnance n° 2005-759 du 4 juill. 2005 portant réforme de la filiation. ↩
- Loi n° 2009-61 du 16 janv. 2009 ratifiant l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juill. 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation. ↩
- Loi n° 2016-1547 du 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, art. 50. ↩
- Loi n° 2016-1547 du 18 nov. 2016 précit. ↩
- Cette condamnation, encore hypothétique lors de l’adoption de la loi du 18 novembre 2016, a eu lieu dans l’arrêt A. P., Garçon et Nicot c. France, 6 avr. 2017, n° 79885/12, 52471/13, 52596/13. La Cour européenne a conclu à la violation de l’article 8 de la CEDH. La condition d’irréversibilité de la transformation de l’apparence a été analysée en un manquement de la France à son obligation positive de garantir le droit au respect de la vie privée. ↩
- Voir P. Reigné, « Changement d’état civil et possession d’état du sexe dans la loi de modernisation de la justice du XXI siècle », JCP 2016, 1378. ↩
- Cour EDH Y.Y. c/ Turquie, 10 mars 2015, n° 14793/08. ↩
- Cour EDH Pascaud c. France, 16 juin 2011, n° 19535/08. Voir aussi Cour EDH Jäggi C/ Suisse, 13 juill. 2006, n° 58757/00. ↩
- Loi n° 2011-814 du 7 juill. 2011 relative à la bioéthique. ↩
- Cour EDH Oliari et autres c. Italie, 21 juill. 2015, n° 18766/11 et 36030/11. ↩
- Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. ↩
- Cour EDH Chapin et Charpentier c. France, 9 juin 2016, n° 40183/07. ↩
- Cour EDH Gas et Dubois c. France, 15 mars 2012, n° 25951/07. ↩
- Cour EDH Mennesson et Labassée c. France, 26 juin 2014, n° 65192/11 et 65941/11. ↩
- Cour EDH Foulon et Bouvet c. France, 21 juill. 2016, n° 9063/14 et 10410/14. ↩
- Cass. Ass. Pl. 3 3 juillet 2015, n° 15-50002 et 14-21323 : prenant acte de la condamnation de la Cour EDH, la Cour de cassation admet la transcription de l’acte de naissance mentionnant le(s) parent(s) biologique(s) de l’enfant issu d’une GPA. ↩
- Cour EDH Kearns c. France, 10 janv. 2008, n° 35991/04. ↩
- Cour EDH Harroudj c. France, 4 oct. 2012, n° 43631/09. ↩
- Cour EDH De Ram c. France, 27 août 2013, n° 38275/10. ↩
- Cour EDH SAS c. France, 1er juill. 2014, n° 43835/11. ↩
- Cour EDH Lambert et autres c. France, 5 juin 2015, n° 46043/14. ↩
- Cour EDH Mandet c. France, 14 janv. 2016, n° 30955/12. ↩
- Cour EDH Canonne c. France, 25 juin 2015, n° 22037/13. ↩
- Sur la consécration du principe de subsidiarité et le possible « confinement de l’interprétation dynamique » de la Cour EDH, Voir F. Sudre, « La subsidiarité, « nouvelle frontière » de la Cour européenne des droits de l’homme. A propos des protocoles 15 et 16 à la Convention », JCP 2013, 1086. ↩
- Que la Cour de cassation applique la méthodologie européenne ne fait pas obstacle à l’exercice du contrôle de conventionalité et, le cas échéant, à une condamnation de la France, Voir par ex. Cour EDH Mme C. et Hachette Filipacchi associés c. France, 12 juin 2014, n°40454/07. ↩
- Voir, en dernier lieu, Cass. civ. 1ère 22 sept. 2016, D. 2016, 1136, note G. Lardeux : l’atteinte à la vie privée découlant des surveillances et filatures des personnes soupçonnées de fraude à l’assurance n’est proportionnelle que si aucun autre mode de preuve n’est admissible et si les investigations menées ont un rapport direct avec la fraude à établir. ↩
- Voir par ex. Cass. civ. 1ère. 30 sept. 2015, JCP 2015, 1385, note P. Ducoulombier. ↩
- Cour EDH 5 novembre 2015, n° 21444/11. ↩
- Cass. civ. 1ère 4 déc. 2013, n°12-26.066. ↩
- Cass. civ. 1ère 13 nov. 2014, n°13-21.018, JCP 2015, 982, n°7, obs. P. Murat. ↩
- Délais de l’action en contestation : Cass. civ. 1ère 10 juin 2015, n°14-20790, Dr. Fam. 2015, comm. 163, obs. C. Neirinck ; 6 juill. 2016, n°15-19853, Dr. Fam. 2016, comm. n°200, obs. Y. Bernand. Délais de l’action en recherche : Cass. civ. 1ère 9 nov. 2016, n°15-25068, JCP 2017, 46, note V. Larribau-Terneyre. ↩
- B. Louvel, « La Cour de cassation face aux défis du XXIè s. », mars 2015, https://www.courdecassation.fr/publications_26/discours_entretiens_2039/discours_entretiens_2202/premier_president_7084/discours_2015_7547/face_defis_31435.html ↩
- CE 31 mai 2016, n°396848, JCP 2016, 992, n°18, obs. H. Bosse-Platière. ↩
- TA Rennes 12 oct. 2016 (atteinte disproportionnée) ; TA Toulouse 13 oct. 2016 (atteinte non disproportionnée). ↩
- A. Bénabent, « Un culte de la proportionnalité… un brin disproportionné ? », D. 2016, p. 137. Voir aussi P.-Y. Gautier, « Eloge du syllogisme. Libres propos », JCP 2015, 902 ; F. Chénedé, « Contre révolution tranquille à la Cour de cassation ? », D. 2016, p. 796. ↩
- Voir par ex. H. Fulchiron, « Flexibilité de la règle, souplesse du droit. A propos du contrôle de proportionnalité, D. 2016, p. 1376 ; J.-P. Chazal, « Raisonnement juridique : entre évolution pragmatique et (im)posture dogmatique », D. 2016, p. 121. ↩
- Ce que ne fait pas, par exemple, le Conseil d’Etat dans sa décision sur l’exportation aux fins d’insémination post mortem (précit. note 37): on ne sait pas quelle dimension de l’article 8 est en cause, d’où la référence au très large droit au respect de la vie privée et familiale. ↩