Et si les animaux avaient des droits fondamentaux ?
Souvent perçue comme porteuse de grands bouleversements, l’attribution d’une personnalité juridique et de droits fondamentaux aux animaux n’emporterait pourtant aucune conséquence dramatique. Une personnalité adaptée, des droits appropriés, permettraient de mieux protéger les animaux et l’humanité sans remettre en question le statut de la personne humaine.
Claire Vial, Professeure de droit public à l’Université de Montpellier et directrice de l’Institut de Droit Européen des Droits de l’Homme
Et si les animaux avaient des droits fondamentaux ? La question n’étant pas neutre, une certaine prudence s’impose. Que se cache-t-il derrière une telle interrogation, qu’attendre de la réflexion destinée à y apporter une réponse ? A priori, il n’est pas besoin de démontrer que les animaux pourraient avoir des droits fondamentaux, ni de démontrer qu’ils devraient en avoir. Il s’agit juste de déterminer ce qu’il se passerait si jamais les animaux avaient de tels droits, autrement dit ce qu’il se passerait dans le cas où nous voudrions bien leur en donner. Dans un colloque portant sur la protection des animaux, toute la question serait de savoir dans quelle mesure l’attribution de droits fondamentaux aux animaux constituerait, ou non, une plus-value pour leur protection. Mais dans un colloque portant sur le droit des libertés, toute la question est plutôt d’anticiper quelles pourraient être les conséquences pour l’homme d’une telle attribution. Et il nous faut alors démontrer que ces conséquences ne seraient pas dramatiques, ceci pour au moins deux raisons.
D’abord, parce qu’un autre universitaire s’est déjà livré à l’exercice de l’uchronie en la matière, appelant cela de la « science-fiction juridique »[1], ce qui nous paraît d’ailleurs aller plus loin que ce que suppose l’uchronie. Ainsi, dans un colloque à la Faculté de Droit et de Science politique de Montpellier, en 2013, le professeur Daniel Mainguy s’est projeté dix ans plus tard, pour tirer les conséquences de l’attribution de la personnalité juridique à l’animal. Il décrit le « nouveau droit de l’animal en 2024 » comme le droit issu d’une modification du Code civil, avec l’introduction d’une disposition ainsi formulée : « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Ils sont considérés comme des personnes, sauf les limites posées par la loi »[2]. De l’attribution de la personnalité, il passe à l’attribution de droits aux animaux ainsi qu’à l’exercice de ces droits. Et certaines des conséquences qu’il envisage ne vont certainement pas dans le sens de l’attribution de droits aux animaux, du fait des difficultés que cela présenterait et des conséquences que cela pourrait avoir pour les hommes. Le dernier exemple qu’il prend est ainsi le suivant[3] : une action engagée par « une association de défense du chien » contre un hôpital qui a refusé de « mettre fin dignement à la vie » du représentant d’un chien. L’association estime que le représentant, « atteint d’une longue maladie, [est] incapable de s’occuper de son chien » et doit être déchu de ses droits de représentant. Elle relève qu’il a légué, par testament, tous ses biens à son chien, « y compris la gestion de la survie de sa mémoire ». Pour l’association, le chien est devenu le mandataire de son représentant de sorte qu’il a, « en tant que personne de confiance », le droit « de réclamer la mise en œuvre des règles issues de la loi Léonetti et de ses aménagements » – il y a là une double uchronie – et donc de demander que son représentant « soit doucement [accompagné] vers son décès ». Et Daniel Mainguy de dire que le juge est en difficulté, ce que l’on peut comprendre aisément.
S’il nous est difficile de juger de la pertinence de l’illustration considérée, peu aguerris que nous sommes dans les matières de droit privé, relevons que cet exemple a, en tout état de cause, une vertu : il nous montre quelles pourraient être, pour l’homme, les conséquences négatives de l’attribution de droits fondamentaux aux animaux. Cela étant, on voit ici surtout quelles pourraient être les conséquences négatives de l’attribution d’une certaine forme de personnalité juridique aux animaux. Autrement dit, l’exemple avancé nous montre surtout qu’il est difficile de penser l’attribution de droits sans penser au préalable l’attribution de la personnalité et il nous faudra alors revenir ultérieurement sur ce point.
Au-delà de cette uchronie, une autre raison nous conduit à penser qu’il est essentiel de traiter des conséquences éventuellement dramatiques qu’aurait l’attribution de droits fondamentaux aux animaux : les philosophes partisans d’une telle attribution sont souvent abolitionnistes et certaines de leurs théories peuvent heurter les spécialistes des droits de l’homme[4]. Prenons ainsi l’exemple de Tom Regan, auteur d’un célèbre ouvrage paru aux États-Unis en 1983, « Les droits des animaux »[5]. On a beaucoup parlé de ce livre pour une petite histoire, celle du cas du canot de sauvetage. Cela est un peu injuste dans la mesure où l’ouvrage est volumineux et dense, et que l’on ne saurait réduire la pensée de Regan à une illustration. Toutefois, il faut bien admettre que la démonstration est source d’inquiétudes.
Le cas est le suivant : cinq naufragés dans un canot de sauvetage qui ne peut en accueillir que quatre, sous peine de sombrer. Les cinq naufragés « pèsent approximativement le même poids et prennent à peu près la même place »[6]. Parmi les naufragés, un chien, les autres étant des « êtres humains adultes normaux »[7]. Si l’on veut éviter que tous meurent, il faut sacrifier l’un des naufragés : lequel ? Pour Tom Regan, tous sont « sujets-d’une-vie »[8], ce qui veut dire qu’ils ont tous une valeur inhérente et qu’elle est la même pour tous. Comment arriver alors, dans ces circonstances exceptionnelles, à sacrifier le chien plutôt qu’un homme ? Selon Regan, le critère à prendre en considération est celui du « dommage qu’est la mort »[9]. Or, selon lui, ce dommage « est fonction des occasions de satisfaction [que la mort] a forcloses, et aucune personne raisonnable ne nierait que la mort de n’importe lequel des quatre humains est une perte prima facie plus importante, et ainsi un dommage prima facie plus important, qu’elle ne serait dans le cas du chien »[10]. Le « principe du pire »[11] justifie que l’on sacrifie le chien[12]. Et la théorie des droits de l’animal est sauvée en même temps que les naufragés : ce n’est pas parce que l’on accorderait des droits aux animaux que l’on introduirait une telle concurrence avec les humains que ces derniers en pâtiraient. Quoi que.
Le cas du canot de sauvetage est un cas exceptionnel et Tom Regan insiste lui-même là-dessus lorsqu’il répond aux critiques qui lui sont adressées, dans la préface qui accompagne l’édition de 2004 de son ouvrage[13]. Accusé d’incohérence, il se défend de telle façon qu’il confirme que donner des droits fondamentaux aux animaux a une visée abolitionniste : ce n’est pas parce qu’il sacrifie le chien dans le canot de sauvetage qu’il est prêt à sacrifier des chiens dans les laboratoires[14]. L’attribution de droits fondamentaux va avec la fin de l’exploitation des animaux et c’est une conséquence que certains, la majorité en fait, pourraient juger négative. Mais il y a plus grave. Dans le canot de sauvetage de Tom Regan, il n’y a que des « êtres humains adultes normaux » pour qui la mort serait un dommage important. Qu’en serait-il si les hommes à bord n’étaient plus ni adultes ni normaux ? On doit se poser la question parce que Regan, dans sa préface de 2004, vient sur le terrain dangereux de « l’humain plongé dans un coma irréversible »[15], puis sur le terrain encore plus dangereux de l’humain « anencéphale[16] ou suffisamment dépourvu des capacités humaines ordinaires pour être privé de mémoire ou de conscience des objets ordinaires »[17]. Dans ces situations, le principe du pire conduirait à sauver le chien. Il insiste d’ailleurs en ces termes : « la perte que représente la mort doit être déterminée sur la base du cas par cas. Quand nous procédons ainsi, nous constatons qu’à de nombreuses occasions la mort représente une perte plus importante dans le cas de certains animaux que dans celui de certains humains »[18]. La théorie devient alors choquante, forcément, et on ne voit que des désavantages à donner des droits aux animaux, dès lors que certains humains, même si ce n’est pas tous, pourraient en souffrir.
Cela étant, on remarquera que l’approche de Regan est très particulière en ce sens qu’elle est orientée – il est abolitionniste – et qu’elle est fondée sur l’égalité – il est antispéciste. Rien n’empêche qu’une autre approche puisse être adoptée du côté des utilitaristes et des spécistes, pour caricaturer les courants de pensée en présence. Autrement dit, des droits fondamentaux pourraient être attribués sans que ce soit la fin de la suprématie de l’homme, sans que ce soit la fin de l’exploitation des animaux. Seule l’attribution d’une certaine forme de personnalité juridique pourrait conduire à ces extrêmes. Et on en revient alors au fait qu’il est difficile de penser les droits sans penser préalablement la personnalité.
Puisqu’il nous paraît impossible de mettre de côté la question de la personnalité juridique lorsque l’on s’interroge sur les conséquences qu’aurait, pour les hommes, l’attribution de droits fondamentaux aux animaux, il faut leur en donner une. Et celle que nous envisageons de leur attribuer est une autre personnalité que celle des personnes physiques et morales. Ce sera le point de départ de l’uchronie : les animaux sont devenus des personnes animales, avec deux précisions.
D’abord, nous ne dirons rien de la technique employée pour ce faire. En particulier, nous ne viendrons pas sur le terrain du droit civil, pire, du Code civil. Parce que cela est source de crispations, comme le montre l’article du professeur Rémy Libchaber paru au Dalloz en 2014[19]. Dans cet article, rédigé avant que le Code civil ne soit finalement modifié[20], Rémy Libchaber encourage à ne pas se placer sur le terrain de ce code pour protéger mieux les animaux : « pourquoi demander au droit civil ce qu’il ne peut donner, plutôt que se placer sur un terrain approprié ? C’est sur le champ des droits fondamentaux que les défenseurs de l’animal devraient concentrer leurs efforts – cette branche du droit jeune, encore mal structurée »[21]. Nous nous abstiendrons de prendre parti dans un sens ou dans un autre, d’autant qu’il est ici possible d’éviter de juger de la pertinence qu’il y aurait à modifier ou non le Code civil. Il suffit de se contenter d’attribuer une personnalité aux animaux sans dire comment elle serait formellement attribuée. L’uchronie permettant de débuter la réflexion avec l’événement qui constitue son point de départ, il n’y a aucune obligation à expliquer comment l’événement s’est produit.
L’autre précision apportée est que nous allons partir du principe que la personnalité attribuée aux animaux est uniquement fonctionnelle. Autrement dit, nous allons emboîter le pas du professeur Jean-Pierre Marguénaud en revenant à la thèse qu’il défendait en 1987[22]. C’est une nouvelle catégorie que nous créons spécialement pour les personnes animales, en leur donnant ce que Jean-Pierre Marguénaud appelle une personnalité technique. La personnalité qui leur est octroyée n’est pas la personnalité humaine, au sens de la personnalité physique, puisqu’ils ne sont pas des êtres humains. Ce n’est pas davantage la personnalité morale puisqu’ils ne sont pas des groupements. C’est une autre personnalité, en considération de ce qu’ils sont : des animaux[23]. Ce sont des entités qui n’ont pas de patrimoine et qui peuvent relever, parfois, du régime des biens. Nous ne pensons pas qu’il faille les affubler de la dignité, qui doit rester celle des seuls êtres humains. Nous ne pensons pas qu’il faille leur donner des obligations en même temps que des droits. Nous ne pensons pas qu’il faille les responsabiliser, en particulier sur le plan pénal, comme au temps du Moyen-Âge[24]. Nous ne pensons pas qu’il faille se garder de toute forme d’exploitation des animaux et nous ne pensons pas qu’il faille interdire, quand cela est nécessaire, de s’en défendre. La personnalité animale n’étant que fonctionnelle, son régime peut être libre, y compris en ce qui concerne la détermination du contenu des droits fondamentaux attribués aux animaux. Il en va de même s’agissant des modalités visant à garantir l’effectivité de ces droits.
Quelques mots sur ce que seraient alors leurs droits fondamentaux, qui ne seraient absolument pas des « sous-droits » mais de véritables droits subjectifs, comme le sont les droits civils et politiques de l’homme. Ces droits pourraient être fondés sur le principe du respect de l’intégrité physique et mentale des animaux, comme les droits de l’homme sont fondés sur le principe du respect de la dignité humaine. Les principaux droits accordés le seraient en considération des obligations déjà mises à la charge des êtres humains. Il n’est pas besoin de faire preuve de beaucoup d’imagination. Certains droits seraient intangibles, comme le droit de ne pas subir de traitement cruel. D’autres seraient dérogeables et pourraient être conciliés avec les droits de l’homme, comme le droit de ne pas subir de souffrances, le critère pouvant alors être, comme maintenant, celui de l’utilité des souffrances. Certains droits devraient être accordés à tous les animaux, domestiques comme sauvages. Il en va ainsi du droit à la vie qui ne serait pas comparable au droit à la vie dont bénéficient les êtres humains mais qui pourrait être « le droit à mener une vie digne d’être vécue », comme l’a envisagé le professeur Antoine Bailleux[25]. D’autres droits devraient être réservés à certains animaux, comme le droit à la liberté qui bénéficierait aux animaux sauvages et qui permet déjà, dans certains États, d’interdire la détention[26] ou d’obliger à la remise en liberté[27]. Cela ne signifie pas que les animaux domestiques n’auraient droit à aucune liberté, cela veut juste dire que cette liberté serait conçue dans le cadre du respect, par exemple, de leur droit de mener une vie digne d’être vécue. La liberté dont doit disposer un animal sauvage n’est pas comparable à celle dont doit disposer un animal domestique, tout simplement parce que les animaux sauvages sont justement définis comme des animaux vivant à l’état de liberté naturelle, tandis que les animaux domestiques vivent sous la surveillance de l’homme[28]. Quant aux droits procéduraux, il y a peu à faire dès lors que ce seraient toujours les hommes sur qui reposerait la charge de la défense des intérêts des animaux. Il faudrait juste faire attention à ce que les règles procédurales permettent de garantir l’effectivité des droits reconnus aux animaux et qui s’exerceraient par le biais de leurs représentants.
Nous voilà enfin pleinement dans l’uchronie : les animaux seraient des personnes animales titulaires de droits fondamentaux fondés sur le principe du respect de leur intégrité physique et mentale. Quelles conséquences, alors, pour les hommes ? S’acheminerait-on vraiment vers « le bouleversement complet d’attitudes millénaires » qui nous a été prédit il y a fort longtemps déjà[29] ? Cela est possible mais il ne s’agirait pas nécessairement d’un grand mal : pour être millénaire, l’attitude n’en est pas bonne. Cela étant, nous ne croyons pas à un tel scénario dont l’ampleur nous paraît peu envisageable. Si les animaux avaient des droits fondamentaux, nous pensons plus raisonnablement que les hommes resteraient ce qu’ils sont, à la différence près qu’ils pourraient être un peu plus humains. Autrement dit, ce serait le statu quo pour l’homme (I) mais aussi un progrès pour l’humanité (II).
I. Un statu quo pour l’homme
Rien, dans les droits fondamentaux que nous venons de donner aux animaux d’un coup de baguette magique, ne remet en question la place de l’homme : aucune confusion n’est possible entre la personne de l’homme et celle de l’animal ; la première reste « supérieure » à la seconde et cette position hiérarchique favorable permet à l’homme de maintenir la plupart des activités dans lesquelles se pose actuellement la question d’une meilleure protection de l’animal. Le statu quo ainsi garanti à l’homme s’explique aisément : le droit est déjà protecteur de l’animal et les droits donnés aux animaux, dans le but d’élever le niveau de leur protection, correspondent aux obligations pesant aujourd’hui sur les hommes en la matière.
S’agissant des animaux domestiques, leur exploitation reste possible dès lors que le principe de leur mise à mort n’est pas remis en question par les droits qui leur seraient garantis. Le droit de mener une vie digne d’être vécue, le droit de ne pas subir de souffrances inutiles, le droit de ne pas subir de traitement cruel, n’interdisent pas la mort en tant que telle. En revanche, comme avant, mais mieux qu’avant, dès lors qu’il est constitutif de la protection des droits garantis aux animaux, et éclairé par elle, le concept de « bien-être »[30] peut permettre d’assurer des conditions d’élevage, de transport et d’abattage non pas simplement satisfaisantes mais véritablement respectueuses de l’intégrité physique et mentale de l’animal de rente, fondement de ses droits fondamentaux. De la même façon, l’expérimentation réalisée sur les animaux peut être poursuivie dès lors qu’elle est strictement encadrée. Rien n’empêche par ailleurs la détention des animaux de compagnie dès lors que leurs droits sont effectivement assurés. Dans tous les cas de figure, la poursuite des activités est liée à la juste interprétation des termes dans lesquels les droits des animaux doivent être sauvegardés mais cela ne présente pas de difficulté majeure. On pressent aisément ce que peut être une vie digne d’être vécue, une souffrance inutile, un traitement cruel. Tout est déjà dans le droit et on peut espérer que la logique des droits fondamentaux soit porteuse d’une meilleure protection, encore une fois sans remettre en question l’exploitation des animaux domestiques. Que certaines activités ou certains modes de consommation puissent éventuellement être interdits ou restreints, parce qu’il est impossible d’assurer les droits garantis, ne remet pas en question la place de l’homme. L’ajustement peut être nécessaire sans que cela ne conduise à la confusion entre le genre humain et les autres espèces, sans que l’on puisse dire que la hiérarchie des intérêts serait radicalement différente de ce qu’elle est actuellement. Même dans le cas d’une interdiction telle que celle des combats de coqs ou telle que celle de la corrida, deux pratiques violant le droit de ne pas subir de traitement cruel, l’homme ne perdrait pas son identité d’être humain, uniquement son identité d’être humain géographiquement situé[31].
S’agissant des animaux sauvages, la régulation des espèces reste possible, de même que la destruction de certaines d’entre elles, quand elles sont susceptibles d’occasionner des dégâts, ou de certains individus de ces espèces, quand ils sont dangereux. Là aussi, le principe de la mise à mort n’est pas remis en cause par les droits qui seraient garantis. Cela étant, la logique des droits fondamentaux pourrait être ici encore plus protectrice qu’en ce qui concerne les animaux domestiques. Elle permettrait en effet l’individualisation qui manque actuellement aux animaux sauvages. Rappelons que ces derniers, res nullius, sont actuellement protégés collectivement, au titre de la protection de l’environnement, et sans considération pour leur caractère d’être sensible[32]. Le Code de l’environnement ne s’intéresse qu’à la conservation des espèces et le Code pénal n’offre sa protection aux animaux sauvages que dans le cas où ils sont apprivoisés ou détenus en captivité[33], c’est-à-dire lorsqu’ils sont assimilés aux animaux domestiques. Titulaires de droits fondamentaux, les animaux sauvages pourraient être protégés individuellement comme le sont les animaux domestiques, en tous leurs droits et quel que soit l’état de conservation de leur espèce. Pour garantir le droit de ne pas subir de souffrances inutiles et le droit de ne pas subir de traitement cruel, la protection pénale s’appliquerait pleinement, en particulier lorsqu’il s’agit de réguler, de détruire, de tuer. Ce n’est pas que la chasse ou le piégeage seraient interdits. C’est plutôt que certaines formes de chasse et de piégeage pourraient être interdits. Les activités dans lesquelles des animaux sauvages sont abattus seraient donc maintenues, seules certaines d’entre elles pouvant être interdites au regard des droits fondamentaux de l’animal. Encore un ajustement dont on ne peut pas dire qu’il est synonyme d’une moindre protection de l’homme, sauf à considérer, et c’est valable alors aussi s’agissant des animaux domestiques, que la protection de l’homme doit aller jusqu’à ce que perdure, de façon absolue, certaines techniques d’élevage, certains modes de détention et de transport, certaines manières d’expérimenter, certaines pratiques de chasse et de piégeage, certaines techniques de mise à mort. Mais ce n’est pas le cas à l’heure actuelle, où l’homme ne perdrait rien de fondamental à ce que, par exemple, la détention des animaux sauvages soit interdite dans les cirques[34] ou, autre exemple, que la chasse à la glu de certains oiseaux soit prohibée[35]. Preuve en est : qu’avons-nous perdu de fondamental lorsque l’Union a décidé, pour le territoire de vingt-huit États, que seule la chasse traditionnelle aux phoques était tolérable[36] ou encore que les pièges à mâchoires ne l’étaient pas[37] ? La chasse et le piégeage restent autorisés et seules certaines de leurs modalités sont interdites. Si les animaux avaient des droits fondamentaux, il en irait de même et ce serait donc bien le statu quo pour l’homme.
La question est alors mais pourquoi ? Pourquoi faudrait-il bouleverser le droit qui offre déjà une protection à l’animal ? Alors que lui donner des droits n’irait même pas jusqu’à remettre en question la possibilité de l’exploiter ou de s’en défendre ? Sa protection serait meilleure, certes, certaines avancées pourraient être obtenues plus vite, mais son statut ne serait pas plus avantageux au regard de celui de l’homme. C’est là qu’il faut admettre que si le statut de l’homme devrait rester largement inchangé, en cas d’attribution de droits à l’animal, ses relations avec lui pourraient connaître quelques évolutions substantielles. La concurrence serait moins déloyale, la balance des intérêts plus équilibrée. Les animaux seraient mieux considérés et ce ne serait pas seulement un progrès pour eux, ce serait aussi un progrès pour l’humanité.
II. Un progrès pour l’humanité
L’approche des droits fondamentaux est une autre approche que celle qui consiste à s’obliger pour « tenir pleinement compte des exigences du bien-être des animaux »[38], pour prendre en considération ce que la Cour de justice de l’Union européenne appelle un « objectif légitime d’intérêt général »[39]. C’est une autre approche que celle qui consiste à intégrer la nécessité de protéger les animaux dans les activités humaines, parce qu’elle va bien au-delà du simple exercice de conciliation aux fins de préserver deux intérêts contradictoires dont l’un semble toujours, par nature, supérieur à l’autre. En donnant des droits à l’animal, les intérêts de l’homme, même ses droits, ne cèderaient pas nécessairement en toutes circonstances mais ils pourraient céder plus facilement qu’avant, du moins dans certains cas. Et on pourrait alors assister à une augmentation réelle et rapide du niveau de protection des animaux avec, à rebours des idées reçues, non pas une perte, mais un gain pour l’humanité, quel que soit le sens que l’on donne à ce terme.
Au sens du genre humain, l’humanité pourrait être d’autant mieux protégée que l’on donnerait des droits fondamentaux aux animaux sauvages. Leur protection collective, aux fins d’assurer la conservation de la biodiversité, a montré ses limites face aux intérêts humains, en particulier les intérêts économiques. Nous n’insisterons pas sur le paradoxe qui consiste à détruire la nature alors qu’elle est la condition de notre survie sur cette planète. Nous nous concentrerons plutôt sur la raison pour laquelle l’objectif, pourtant fondamental, de protection de la faune et de la flore sauvages ne suffit pas : la nature n’a pas de droits. Certes, on réfléchit actuellement à la personnification de la nature ou, du moins, à la personnification de certaines entités naturelles telles que des arbres ou des fleuves[40]. Il se pourrait donc, qu’un jour, la nature ait des droits comme les animaux en auraient, à titre individuel. Mais le chemin pourrait être encore long, encore plus long que pour les animaux. Face à la nature dépourvue de droits, les hommes et leurs droits, tous leurs droits, pas seulement ceux d’ordre économique, comme le droit de propriété ou le droit au libre exercice d’une activité économique. La protection de l’environnement doit être assurée, le droit à un environnement sain doit être garanti. Mais l’état de l’environnement continue de se dégrader, le changement climatique n’est déjà plus un spectre. Donner des droits aux animaux sauvages pourrait être une solution pour eux mais aussi pour nous. Prenons l’exemple de l’orang-outan : la destruction de son espèce est programmée, essentiellement en raison de la déforestation liée à la multiplication des plantations d’huile de palme. Face à un objectif de conservation des espèces, un objectif économique. Et l’espèce qui disparait. Si l’on dépassait la logique collective de la protection de l’environnement pour venir sur le terrain de la logique individuelle des droits fondamentaux, ce n’est pas seulement la destruction de l’espèce qui pèserait dans la balance[41], c’est la violation du droit de chaque orang-outan à ne pas subir de souffrances inutiles, voire la violation du droit à ne pas subir un traitement cruel, droit intangible. Avec une telle violation, il serait d’autant plus facile d’obtenir une interdiction de l’huile de palme et donc une préservation accrue non seulement de l’espèce mais aussi de son habitat, ce qui montre la plus-value non seulement pour la faune mais aussi pour la flore, pour l’environnement dans sa globalité finalement. Les exemples pourraient être multipliés à l’infini et l’intérêt de la protection des droits fondamentaux est que la sauvegarde de ces droits ne connaît pas les frontières : peu importe que l’orang-outan se situe à des kilomètres de ceux qui lui attribueraient des droits. Ne sommes-nous pas censés protéger les droits de l’homme y compris dans nos relations commerciales avec d’autres États ?
Quand l’humanité prend le sens de la bienveillance supposée des hommes, l’attribution de droits fondamentaux aux animaux domestiques serait également un progrès, en particulier s’agissant des animaux d’élevage dont la protection est très mal assurée dans un contexte industriel toujours plus marqué. À la différence des animaux sauvages, ces animaux sont déjà protégés individuellement et pourtant : même dans les cas où la dégradation de leur état de santé, en raison des conditions dans lesquelles ils sont exploités, fait peser un risque sur notre propre état de santé, les intérêts économiques sont si puissants que chaque pas en faveur d’une meilleure protection est le pas d’un chemin de croix. Donner des droits aux animaux de production, à chaque animal élevé, transporté et abattu dans un but de consommation, garantirait mieux leur protection, mais aussi la nôtre, sans avoir à attendre que le consommateur joue son rôle, même s’il est fondamental, lorsqu’il s’agit de réclamer, par exemple, une viande de meilleure qualité en ce sens que l’animal aurait pu bénéficier des conditions propres à la production de cette viande. Mais quittons le terrain de la santé animale et donc humaine[42], qui n’est pas celui de la bienveillance. Le meilleur exemple, actuellement, de notre manque d’humanité – difficile de parler de déshumanisation quand on n’a peut-être jamais eu la moindre humanité à perdre – est celui de l’abattage dont le principe, encore une fois, n’est pas remis en question par l’attribution de droits aux animaux. On observera que quoi que l’on tente en la matière, la réponse est toujours la même : non. Peut-on interdire l’abattage des animaux gestants dès lors que l’étourdissement préalable des animaux n’empêchent pas les fœtus de souffrir dans le ventre de leur mère ? Non[43]. Doit-on doter les abattoirs de systèmes de vidéosurveillance pour s’assurer que les animaux sont correctement étourdis préalablement à la saignée ? Non[44]. Peut-on supprimer la dérogation consentie au principe de l’étourdissement préalable pour l’abattage rituel ? Non[45]. Dans les deux derniers cas, la logique des droits de l’homme est imparable. C’est seulement à titre expérimental que des caméras seront un jour posées dans les abattoirs et le décret relatif à cette expérimentation volontaire encadre strictement cette dernière[46] : le droit au respect de la vie privée des salariés commande l’extrême prudence. Quant à la liberté reconnus aux musulmans et juifs pratiquants de manifester leur religion, difficile de la restreindre de telle façon que l’étourdissement préalable se mue en principe absolu[47]. Face à la logique des droits de l’homme, on pourrait opposer la logique des droits de l’animal, obtenir plus vite le respect plein et entier, effectif, du principe de l’étourdissement préalable. La bienveillance à l’égard des animaux en serait accrue, celle de l’homme à l’égard de ses semblables, également. Il est frappant de constater que la question de l’abattage est toujours celle de la souffrance infligée aux animaux, jamais celle que les hommes s’infligent pour des raisons économiques ou religieuses[48]. Et quand bien même ces hommes ne souffriraient-ils pas, ne devrions-nous pas nous inquiéter de cette absence de souffrance qui est aussi une absence d’empathie ?
Le droit évolue mais il évolue lentement et dans un sens qui souvent nous échappe eu égard aux risques encourus. Si les animaux avaient des droits fondamentaux, ils ne seraient pas des hommes sous prétexte que les hommes ont de tels droits. Ils ne dépasseraient pas les hommes sous prétexte que la supériorité des intérêts va de paire avec la supériorité de l’espèce. L’homme pourrait consentir, même en tant qu’espèce supérieure, justement en tant qu’espèce supérieure, à ce que les intérêts des animaux puissent parfois l’emporter sur les siens : « cela devrait même être la preuve la plus robuste de notre supériorité que notre volonté de soigner ceux qui ne sont pas nous, qui ne nous ressemblent pas, qui sont les plus faibles, les plus humbles. La manière dont nous exerçons notre tutelle sur ceux qui habitent les eaux et le sol de cette terre nous engage. Elle nous rend respectables ou nous disqualifie »[49]. Si les animaux avaient des droits fondamentaux, les conséquences ne seraient pas dramatiques et il se pourrait même que l’on évite le seul drame qui devrait normalement intéresser les hommes, dans un environnement toujours plus dégradé : celui que constituerait, à terme, leur propre perte.
[1] D. Mainguy, « Ranger l’homme ou ranger l’animal ? », in E. de Mari et D. Taurisson-Mouret (dir.), Ranger l’animal. L’impact environnemental de la norme en milieu contraint II. Exemples de droit colonial et analogies contemporaines, Victoires Éditions, 2014, p. 148.
[2] Ibid., p. 157.
[3] Ibid., p. 161.
[4] V. ainsi J.-P. Marguénaud, « La théorie des droits de Tom Regan à l’épreuve du droit européen des droits de l’homme », RSDA, 1/2013, p. 389.
[5] T. Regan, « Les droits des animaux », traduit de l’américain par E. Utria, Hermann Éditeurs, 2012, 750 p.
[6] Ibid., p. 547.
[7] Ibid.
[8] Sur ce critère, ibid., p. 479 s. Selon Regan, « les individus sont sujets-d’une-vie s’ils ont des croyances et des désirs ; une perception, une mémoire et un sens du futur, y compris de leur propre futur ; une vie émotionnelle ainsi que des sentiments de plaisir et de douleur ; des intérêts préférentiels et de bien-être ; l’aptitude à initier une action à la poursuite de leurs désirs et de leurs buts ; une identité psychophysique au cours du temps ; et un bien-être individuel, au sens où la vie dont ils font l’expérience leur réussit bien ou mal, indépendamment logiquement de leur utilité pour les autres et du fait qu’ils soient l’objet des intérêts de qui que ce soit ».
[9] Ibid., p. 610.
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Et même « n’importe quel nombre de chiens » (Ibid., p. 611).
[13] Ibid., p. 44.
[14] Ibid., p. 45 s.
[15] Ibid., p. 50.
[16] Ce qui renvoie au cas des enfants.
[17] Ibid., note 32.
[18] Ibid., p. 51, nous soulignons.
[19] R. Libchaber, « La souffrance et les droits. À propos d’un statut de l’animal », D. 2014, p. 380.
[20] Le nouvel article 515-14 du Code civil disposant, depuis 2015, que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».
[21] Op. cit., pt 14.
[22] J.-P. Marguénaud, « L’animal en droit privé », PUF, 1992, 577 p.
[23] Nous reprenons ici les propos que nous avons tenus dans une précédente contribution (C. Vial, « Les animaux, sujets de droits ? », in A. Bailleux (dir.), Le droit en transition. Les clés juridiques d’une prospérité sans croissance, Actes du colloque des 20 et 21 décembre 2018 à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, à paraître).
[24] Sur cette question, D. Chauvet, « La personnalité juridique des animaux jugés au Moyen-Âge », L’Harmattan, 2012, 156 p.
[25] A. Bailleux, « Dissoudre l’événement ou exposer la crise ? Le système, le répertoire et les clés juridiques d’une prospérité sans croissance », à paraître in Revue Droit & Société.
[26] Les dauphins se sont vu reconnaître la personnalité non-humaine en Inde, en 2013, dans le but d’interdire leur détention.
[27] V. ainsi, en Argentine, la décision de novembre 2016 par laquelle un juge des libertés a accueilli une action d’habeas corpus, faisant de la femelle chimpanzé Cécilia une personne juridique non-humaine qui a alors pu être transférée du zoo où elle vivait dans des conditions misérables vers un sanctuaire brésilien. Pour un commentaire de cette décision, J.-P. Marguénaud, « La femelle chimpanzé Cécilia, premier animal reconnu comme personne juridique non humaine », RSDA, 2/2016, p. 15.
[28] Cass. crim., 16 février 1895, D. 1895, 1, 269.
[29] A.-M. Sohm-Bourgeois, « La personnification de l’animal : une tentation à repousser », D. 1990, p. 33.
[30] Concept-clé de la protection des animaux domestiques, en particulier des animaux d’élevage, dès lors que l’article 13 du TFUE dispose que « lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique de l’Union dans les domaines de l’agriculture, de la pêche, des transports, du marché intérieur, de la recherche et développement technologique et de l’espace, l’Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles, tout en respectant les dispositions législatives ou administratives et les usages des États membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux ».
[31] Dans la mesure où le mécanisme dérogatoire du 7ème alinéa de l’article 521-1 du Code pénal s’applique sous réserve, pour les courses de taureaux, qu’une tradition locale ininterrompue puisse être invoquée et, pour les combats de coqs, qu’une tradition ininterrompue puisse être établie dans les localités, ce qui est encore plus restrictif mais peut s’expliquer par le fait que « le législateur a entendu encadrer plus strictement l’exclusion de responsabilité pénale pour les combats de coqs afin d’accompagner et de favoriser l’extinction de ces pratiques », comme l’a relevé le Conseil constitutionnel lors du contrôle de constitutionnalité du 8ème alinéa de la disposition considérée (Cons. const., 31 juillet 2015, décision n° 2015-477 QPC, M. Jismy R. [Incrimination de la création de nouveaux gallodromes], pt 4).
[32] Dès lors que l’article L. 214-1 du Code rural, qui dispose que « tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce », s’applique aux seuls animaux appropriés ou appropriables, c’est-à-dire les animaux domestiques et assimilés.
[33] Selon les termes du premier alinéa de l’article 521-1 du Code pénal.
[34] À ce sujet, Franck Schrafstetter, « Pourquoi les animaux sauvages n’ont rien à faire dans les cirques », RSDA, 2/2016, p. 169.
[35] Sur ce point, à propos de la décision du Conseil d’Etat du 28 décembre 2018, req. n° 419063, Ligue française pour la protection des oiseaux, C. Vial, « Méthodes de capture traditionnelles : les petits oiseaux englués dans le droit et ses contradictions », RSDA, 2/2018, p. 121.
[36] V. le règlement (CE) n° 1007/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, sur le commerce des produits dérivés du phoque, JOUE n° L 286, 31 octobre 2009, p. 36.
[37] V. le règlement (CEE) n° 3254/91 du Conseil, du 4 novembre 1991, interdisant l’utilisation du piège à mâchoires dans la Communauté et l’introduction dans la Communauté de fourrures et de produits manufacturés de certaines espèces animales sauvages originaires de pays qui utilisent pour leur capture le piège à mâchoires ou des méthodes non conformes aux normes internationales de piégeage sans cruauté, JOCE n° L 308, 9 novembre 1991, p. 1.
[38] Selon les termes de l’article 13 du TFUE mais pas dans tous les domaines puisque la politique de l’environnement n’est pas visée par la disposition.
[39] CJCE, 17 janvier 2008, aff. jtes C-37 et 58/06, Viamex Agrar Handel et ZVK, pt 22 ; 19 juin 2008, aff. C-219/07, Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers et Andibel, pt 27 ; 10 septembre 2009, aff. C-100/08, Commission / Belgique, pt 91.
[40] À ce sujet, notamment, F. Ost, « La nature, sujet de droit ? », 20 octobre 2017, https://www.college-de-france.fr/site/colloque-2017/symposium-2017-10-20-11h15.htm
[41] Et qui justifie actuellement que législateur ait, dans la loi de finances pour 2019, sorti les produits à base d’huile de palme de la liste des biocarburants (article 192 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, JORF n° 302, 30 décembre 2018, texte n° 1), ce qui n’est évidemment pas suffisant.
[42] Les santés humaine et animale étant de plus en plus souvent appréhendées sous le concept global « One health » (à ce sujet, S. Desmoulin-Canselier, « “One health ! Une seule santé !” : Slogan pour temps de crise ou nouvel horizon de la santé publique ? », RSDA, 1/2014, p. 419).
[43] V. ainsi l’avis scientifique de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) du 5 avril 2017 (http://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/corporate_publications/files/animal-welfare-slaughter-170530-fr.pdf) et la position de la Commission après cet avis (réponse du 6 octobre 2017 à la question posée par le député européen Louis Michel, E-005397/2017, disponible sur le site Internet du Parlement européen).
[44] Alors que les associations de protection des animaux exigeaient la mise en place de dispositifs de contrôle par vidéo dans les abattoirs, après la constatation de très nombreux dysfonctionnements graves dans certains d’entre eux, l’article 71 de la loi Agriculture et Alimentation (loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, JORF n° 253, 1er novembre 2018, texte n° 1), n’oblige pas les abattoirs à se doter de tels dispositifs.
[45] Dans la mesure où la dérogation posée par l’article R. 214-70, I, 1°, du Code rural, « dans le but de concilier les objectifs de police sanitaire et l’égal respect des croyances et traditions religieuses », ne méconnait ni les principes de laïcité et d’égalité, ni le règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil, du 24 septembre 2009, sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort (JOUE n° L 303, 18 novembre 2009, p. 1), comme l’a indiqué le Conseil d’Etat dans sa décision du 5 juillet 2013, req. n° 361441, Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoir.
[46] Décret n° 2019-379 du 26 avril 2019 relatif à l’expérimentation de dispositif de contrôle par vidéo en abattoir, JORF n° 100, 28 avril 2019, texte n° 34.
[47] On relèvera d’ailleurs que si le droit belge a récemment évolué en la matière – et la Cour de justice a été saisie à titre préjudiciel par la Cour constitutionnelle belge sur ce point –, la suppression de la dérogation au principe d’étourdissement préalable ne s’est pas faite sans l’assurance que l’étourdissement pourrait être réversible, en ce sens qu’il n’est pas létal, alors que l’électronarcose n’est pas considérée par les experts scientifiques comme le moyen d’assurer le plus grand bien-être à l’animal. Sur ces derniers développements, C. Vial, « De la diversité des droits comparés à l’harmonisation par le droit européen », in L. Boisseau-Sowinski et J.-P. Marguénaud (dir.), L’abattage sans étourdissement, Actes du colloque du 10 mai 2019, RSDA, 2/2018, p. 437.
[48] Sur la « souffrance éthique », pourtant, c’est-à-dire « la souffrance infligée par leur conscience à celles et ceux que leur fonction oblige à faire souffrir eux-mêmes des animaux », J.-P. Marguénaud, « Conclusions générales », in L. Boisseau-Sowinski et D. Tharaud (dir.), Les liens entre éthique et droit. L’exemple de la question animale, L’Harmattan, 2019, p. 159, spéc. p. 166.
[49] Selon le discours de Hakim, dans le terrible roman « Défaite des maîtres et possesseurs », lorsqu’il essaie de convaincre ceux de son espèce arrivée sur Terre après les hommes qu’il faut davantage protéger ces derniers. Le discours se poursuit ainsi : « les hommes n’ont pas su assumer cette responsabilité pour tous ceux qui respirent, même s’ils étaient un nombre non négligeable à avoir l’intuition que c’était leur devoir. Nous avons les moyens d’essayer à notre tour. Et la question qui se pose aujourd’hui, dans cette enceinte, c’est de savoir si nous aurons pour cela, pour faire mieux qu’eux, assez de courage, assez d’orgueil et assez de volonté » (V. Message, « Défaite des maîtres et possesseurs », Éditions du Seuil, 2016, Coll. Points, 2017, p. 171).
Les droits fondamentaux des animaux ne peuvent l’être que par l’homme qui détient hélas tous les pouvoirs sur eux. C’est bien trop lui demander. Lui qui ne voit que son plaisir… Acceptera-t-on un jour de reconnaître cet égoïsme-là de posséder un animal ? L’homme a toujours tous les droits sur lui, dont celui de s’en « débarrasser » quand bon lui semble !!