La procréation médicalement assistée face aux droits européens : un dilemme insurmontable ?
La procréation médicalement assistée face aux droits européens : un dilemme insurmontable ?
Par Gaëtan Escudey
Gaëtan Escudey est doctorant contractuel à l’Université Montesquieu Bordeaux IV
L’absence d’une réflexion globale sur l’avenir de la famille, de la filiation et de la gestation pour autrui met la France dans une position inconfortable. En effet, qu’elle choisisse d’admettre ou de refuser la procréation médicalement assistée aux couples homosexuels, elle n’est pas exempte de toute condamnation, à moins que les droits européens fassent preuve d’un judicial restraint en revenant sur une Europe libérale et pluraliste qu’ils ont participé à créer depuis de nombreuses années… le dilemme semble insurmontable !
Le « projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe », concrétisation de la proposition n°31 du candidat, désormais Président, François Hollande, a été adopté par l’Assemblée nationale et est en cours d’examen devant le Sénat. Le « mariage homosexuel » appelle nécessairement un choix d’ordre politique relatif au champ d’application de la liberté matrimoniale. Elle renvoie à la conception du couple, et plus largement à celle de la famille au sein de chaque Etat. C’est pourquoi, fidèle à son interprétation consensuelle de la Convention, la Cour EDH a refusé dans l’affaire Schalk et Kopf c/ Autriche de 2010, d’imposer aux Etats d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe ni, d’ailleurs, de créer un statut légal de substitution à leur profit tel qu’un partenariat enregistré. La question n’est alors pas tant l’ouverture du mariage aux couples homosexuels que celle des droits conférés par ce mariage et notamment la question de l’homoparentalité.
Et justement, ce projet de loi prévoit, tel « l’arbre qui cache la forêt » (C. NEIRINCK, Dr. Famille, octobre 2012, repère 8), un accès à la parenté via le mécanisme de l’adoption, qu’il s’agisse de l’adoption conjointe d’un enfant par deux époux ou de l’adoption de l’enfant du conjoint. L’adoption conjointe d’un enfant par deux époux homosexuels s’expose cependant à deux obstacles. D’une part, l’adoption d’un enfant en France sera rare au regard du peu d’enfants adoptables. D’autre part, le recours à l’adoption internationale s’expose aux refus des pays tiers de faire adopter leurs enfants par un couple homosexuel. Quant à l’adoption de l’enfant du conjoint homosexuel, elle suppose l’existence d’un enfant né de l’un des époux dans le cadre d’une précédente union hétérosexuelle oupar le biais d’une technique de procréation médicalement assistée. En effet, « dans un certain nombre de cas, assistance médicale à la procréation et adoption sont combinées dans le cadre d’un projet parental commun » (H. FULCHIRON, D. 2013, p. 100).
C’est pourquoi, « si certains se réjouissent de cette avancée tant attendue, d’autres ont, à l’inverse, très vite déploré le caractère a minima du texte, lui reprochant notamment de ne pas envisager l’accès à l’assistance médicale à la procréation pour les homosexuels » (C. BERNARD-XEMARD, Lamy Droit Civil, janvier 2013, étude n° 201298). Aussi, comme le souligne Jean Hauser, « il n’est pas concevable, en pure logique et par hâte, qu’on laisse de côté l’accès à la procréation médicalement assistée » (J. HAUSER, JCP G, n°44, 29 octobre 2012, doctr. 1185). Cependant, « l’ouverture annoncée des PMA aux couples de même sexe n’impliquerait pas seulement un changement radical de la conception même de l’assistance médicale à la procréation ; elle créerait de nouvelles inégalités entre les couples et poserait inéluctablement la question de la gestation pour autrui (GPA) » (H. FULCHIRON, op. cit.).
Les législations nationales des Etats membres du Conseil de l’Europe se caractérisent par une très grande diversité concernant l’accès des couples homosexuels à la PMA. Il semble qu’une distinction apparaît « assez nettement entre la filiation adoptive qui est largement ouverte aux couples de même sexe et la filiation non adoptive qui leur reste largement fermée », ce qui marque une attitude « hostile à une filiation déconnectée de la réalité biologique qu’un enfant naît d’un homme et d’une femme » (S. PARICARD, Dr. Famille, janvier 2013, dossier 8). Toutefois, « cinq pays membres de l’UE dont la législation actuelle autorise le mariage entre personnes de même sexe, autorisent certains couples homosexuels à mettre en œuvre une technique d’assistance médicale à la procréation. En revanche, le recours aux services d’une mère porteuse est formellement interdit, non explicitement envisagé ou toléré en absence de contrepartie financière » (C. BERNARD-XEMARD, op. cit.).
En France, la dernière loi bioéthique du 7 juillet 2011 prévoit que l’opération de procréation médicalement assistée « a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple et que le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué ». Aussi, le recours à l’insémination artificielle par un couple de femmes est impossible car « si la condition du mariage sera désormais remplie, la condition d’hétérosexualité du couple demeurera » (J. HAUSER, op. cit.). En second lieu, l’article 16-7 du Code civil prévoit que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Un couple d’hommes ne pourrait donc pas recourir à une mère porteuse.
La question est alors de savoir quelle pourrait être la position des droits européens (droit de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe) par rapport à l’avenir de la législation française relative à la PMA sur laquelle le Comité consultatif national d’éthique devrait donner son avis dans quelques mois. Il convient d’abord d’analyser les conséquences du refus de la PMA au profit des couples homosexuels (I) avant d’analyser celles d’une admission de la PMA pour les couples homosexuels (II).
I. Les conséquences du refus de la PMA au profit des couples homosexuels
Tout d’abord, ne pas ouvrir la PMA aux couples homosexuels engendrerait une situation assez illogique puisque celle-ci serait ouverte aux couples hétérosexuels non mariés alors que l’adoption leur est refusée et, à l’inverse, l’adoption serait ouverte aux couples homosexuels mariés alors que la PMA leur sera refusée. Il ne s’agit toutefois pas d’essayer (en vain ?) de retrouver une logique dans le droit français de la famille mais d’analyser les conséquences de ce refus à la lumière du droit européen des droits de l’Homme.
Rappelons à titre préliminaire que pour qu’une discrimination soit constituée, il faut d’abord une différence de traitement, quant à l’exercice d’un droit tombant sous l’empire d’une disposition de la Convention, entre individus placés dans une situation comparable ou analogue. Puis, un manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire poursuivant un but légitime dans une société démocratique et respectant un rapport de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Rappelons, à ce sujet, que la Cour EDH a estimé, dans l’affaire Dickson c/ Royaume-Uni de 2007, que la possibilité de pratiquer une insémination artificielle tombe sous l’empire l’article 8 de la Convention qui englobe le droit, pour les requérants, à voir respectée leur décision de devenir parents génétiques.
Il est clair que l’ouverture de l’adoption aux seuls couples mariés ne constitue pas une différence de traitement contraire à l’article 14 de la Convention. En effet, selon une jurisprudence constante, « le mariage confère un statut et des droits particuliers à ceux qui s’y engagent » (Cour EDH, Joanna Shackell c/ Royaume-Uni , 27 avril 2000, Req. n° 45851/99). Ainsi, la Cour a estimé, en 2012 dans l’affaire Gas et Dubois c/ France, que « l’on ne saurait considérer, en matière d’adoption par le second parent, que les requérants (concubins) se trouvent dans une situation juridique comparable à celle des couples mariés ». La Cour a également estimé dans l’affaire X et autres c/ Autriche, par un arrêt de grande chambre et à l’unanimité, que le refus de l’adoption coparentale à un couple de femmes non mariées – le mariage homosexuel étant interdit en Autriche – ne constitue pas une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention « pour autant que l’on compare la situation des requérants avec celle d’un couple marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre ».
La question est alors de savoir si le refus d’ouvrir la PMA aux couples homosexuels ne serait pas constitutif d’une différence de traitement fondée sur l’identité de sexe du couple. En effet, les couples hétérosexuels, mariés ou non, peuvent y prétendre alors que les couples homosexuels, mariés ou non, ne le pourraient pas. Or, la Cour EDH semble interdire les différences de traitement fondées sur l’identité de sexe du couple au sein d’un même statut (mariage, partenariat ou concubinage) car celles-ci sont « moins fondées sur la nature du couple que sur le caractère homosexuel de la relation en cause » (F. SUDRE et alli., Les Grands Arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, 2011, p. 587).
L’évolution récente de la jurisprudence de la Cour montre que les juges européens considèrent que les couples homosexuels et les couples hétérosexuels sont dans des situations comparables en ce qui concerne leur vie conjugale. Ainsi, dans l’affaire Schalk et Kopf c/ Autriche, la Cour EDH a affirmé que « les requérants – concubins homosexuels – se trouvent dans une situation comparable à celle d’un couple hétérosexuel pour ce qui est de leur besoin de reconnaissance juridique et de protection de leur relation».
La jurisprudence de la Cour est davantage nuancée en ce qui concerne la comparabilité de la situation des couples homosexuels et hétérosexuels en matière de filiation. Concernant l’adoption, la Cour a estimé dans l’affaire X et autres c/ Autriche, que « la situation des requérants – couple homosexuel – désireux d’établir un lien juridique entre le premier et le deuxième d’entre eux, est comparable à celle d’un couple hétérosexuel dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre ». Ainsi, « ce ne sont pas seulement les couples homosexuels qui méritent une protection conventionnelle, au même titre que les couples hétérosexuels. Ce sont également les familles homoparentales, à l’instar de toute autre famille » (N. HERVIEU, Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 26 février 2013).
Pourtant, la Cour a estimé dans l’affaire Gas et Dubois c/ France que « l’insémination artificielle avec donneur anonyme n’est autorisée en France qu’au profit des couples hétérosexuels infertiles, situation qui n’est pas comparable à celle des requérantes (partenaires homosexuelles) ». La Cour n’entend pas déclarer que les couples homosexuels ne sont pas dans une situation comparable aux couples hétérosexuels. Ici le critère de comparabilité que retient la Cour est l’infertilité et non la nature de la relation. Toutefois, les juges européens n’ont pas véritablement expliqué en quoi l’infertilité des couples homosexuels est différente de celle des couples hétérosexuels. Sans doute convient-il de considérer que les situations ne sont pas comparables car l’infertilité des couples hétérosexuels est accidentelle alors que celle des couples homosexuels est structurelle. Il semble pourtant qu’« accorder la filiation à tous les couples, à ceux dont la sexualité est procréatrice comme à ceux dont la sexualité ne l’est jamais, est une question d’égalité » (C. NEIRINCK, Dr. Famille, janvier 2013, dossier 2). Dès lors, on comprend mieux la demande au législateur français, formulée par les juges Costa et Spielmann dans leurs opinions dissidentes, de « ne pas se contenter de la non violation à laquelle nous avons conclu et décider, si je puis dire, de revoir la question ».
Si l’on admet que les couples homosexuels sont dans une situation comparable ou analogue aux couples hétérosexuels concernant la PMA, il convient de s’interroger sur le but légitime poursuivi par la législation interdisant l’accès à la PMA aux couples homosexuels alors qu’il est accordé aux couples hétérosexuels. Si la Cour EDH a accepté de reconnaître « que le souci de protéger la famille au sens traditionnel du terme constitue en principe un motif important et légitime apte à justifier une différence de traitement » dans l’affaire X et autres c/ Autriche, il serait cependant bien malaisé pour la France d’invoquer un tel but légitime. En effet, si le Gouvernement français a estimé que « l’ensemble du droit français de la filiation est fondé sur l’altérité sexuelle » dans l’affaire Gas et Dubois c/ France, cette affirmation ne tient plus à partir du moment où la filiation par le mécanisme de l’adoption est ouverte aux couples homosexuels. Le Gouvernement français pourrait alors invoquer la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela ne nous semble toutefois pas pertinent. D’une part, l’intérêt supérieur de l’enfant est une notion si ambiguë que « l’intérêt subjectif de l’enfant à conserver le lien établi rentre parfois en conflit avec son intérêt objectif à vivre dans un cadre familial lui offrant tous les éléments nécessaires à son épanouissement » (G. KESSLER, Dr. Famille, 2005, n°7, étude 16). D’autre part, cette notion semble être utilisée dans la jurisprudence actuelle de la Cour EDH davantage pour reconnaître une situation familiale préétablie que pour en empêcher la création. A ce titre, il est révélateur de constater que la Cour ne s’y est référée à aucun moment dans sa décision Gas et Dubois c/ France eu égard aux controverses juridiques, scientifiques et sociales en la matière. Pour autant, telle une évidence et sans autres explications, la Cour a admis, dans l’affaire X et autres c/ Autriche, « qu’il va sans dire que la protection de l’intérêt de l’enfant est aussi un but légitime ». Quoiqu’il en soit, si la Cour venait à considérer que la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant constitue le but légitime poursuivi la législation française pour refuser l’ouverture de la PMA aux couples de même sexe, encore lui faudrait-il se prononcer sur la proportionnalité des moyens employés pour satisfaire ce but.
Le principe de proportionnalité se situe au cœur du contrôle de la marge d’appréciation accordée aux Etats. L’étendue du contrôle de proportionnalité dépend de la nature du droit en cause, du but de l’ingérence dans ledit droit et surtout de l’existence ou non d’un consensus européen. Concernant la nature du droit en cause, il ressort d’une jurisprudence constante qu’il faut une justification particulièrement grave et convaincante s’agissant des droits tombant sous l’empire de l’article 8 de la Convention (cf. par exemple l’arrêt Karner c/ Autriche de 2003). Concernant le but de l’ingérence dans un tel droit, si la Cour décide d’y voir une protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui présente un caractère contingent, la marge d’appréciation accordée à l’Etat devrait être large. Enfin, concernant la communauté de vues entre les Etats, l’absence d’un consensus européen en matière d’accès à la PMA invitera la Cour à accorder une large marge d’appréciation à la France. Les juges européens ont ainsi estimé dans l’affaire X et autres c/ Autriche que « lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large ».
Le constat d’une violation ou non de la Convention européenne des droits de l’Homme dépendra alors du fondement adopté par la Cour – le droit en cause ou l’absence de consensus – pour déterminer la proportionnalité des moyens employés par la législation française pour atteindre le but poursuivi. Autrement dit, pour ne pas conclure à une violation de la Convention EDH, les juges européens devront se fonder sur l’absence de consensus européen en la matière malgré l’importance des droits en cause. Ne pas ouvrir la PMA aux couples homosexuels aurait donc pour conséquence, soit d’exposer la France à une condamnation future de la Cour EDH pour discrimination fondée sur l’identité de sexe du couple, soit d’exposer la Cour EDH à un nouveau judicial restraint eu égard aux disparités existant au sein des législations des Etats membres du Conseil de l’Europe. Dès lors, faut-il ouvrir la PMA au profit des couples homosexuels ?
II. Les conséquences de l’ouverture de la PMA au profit des couples homosexuels
Il semble qu’ouvrir la PMA au profit des couples homosexuels est également contraire au principe de non discrimination et aurait des conséquences tout aussi néfastes que de leur refuser. En effet, la gestation pour autrui, autrement dit le recours à une mère porteuse, est refusée en France en ce qu’elle heurte les principes d’indisponibilité et de non commercialité du corps humain et de l’état des personnes d’une part et la dignité humaine d’autre part. Aussi, l’ouverture de la PMA ne comprendrait-elle que l’accès à l’insémination artificielle, dont seuls les couples de femmes pourraient se prévaloir. Dès lors, n’y aurait-il pas là une discrimination fondée sur le sexe contraire tant au droit de l’Union européenne qu’au droit européen des droits de l’Homme ?
Il convient cependant de relever qu’il ne s’agit pas d’une différence de traitement entre hommes et femmes, fermement contrôlée par les droits européens, mais d’une différence de traitement entre couples homosexuels masculins et couples homosexuels féminins. Or, il semble que ni la Cour de Strasbourg, ni celle de Luxembourg ne se soit prononcée sur la question de savoir si les couples homosexuels masculins et féminins sont dans une situation comparable. Si l’on peut raisonnablement penser que « toute référence sexuée étant exclue du processus de procréation » (J. HAUSER, op. cit.), les couples d’hommes sont placés dans la même situation que les couples de femmes quant à l’accès aux techniques de PMA ; nul ne peut prédire la position de la Cour en la matière.
Quoiqu’il en soit, on imagine mal les juges européens condamner un Etat, la France en l’occurrence, pour ne pas autoriser la gestation pour autrui alors même qu’il s’agit d’une question socialement et juridiquement complexe, qu’il n’existe aucun consensus européen en la matière, et que ce mécanisme de procréation est considéré comme contraire à l’ordre public et aux principes essentiels du droit français. L’ouverture de la PMA au profit des couples homosexuels créerait une situation inégalitaire sans qu’aucune instance supranationale n’ait la volonté ni le pouvoir d’y remédier. En effet, la Cour de Strasbourg accorde aux Etats une large marge d’appréciation en l’absence de consensus européen en matière de GPA et l’Union européenne n’est pas compétente pour se prononcer sur une telle question.
Dès lors, que reste-t-il comme solution aux couples homosexuels souhaitant assouvir leur envie, légitime ou non, d’avoir un enfant ? Aller voir à l’étranger ! En effet, en faisant miroiter l’existence d’un droit à l’enfant, le projet de loi constitue « une incitation évidente à recourir pour les prétendants à l’homoparenté, au tourisme procréatif (…) et il n’est pas certain que le recours à ce type de convention à l’étranger ne puisse pas produire ensuite des effets en France par le biais d’une adoption » (V. EGEA, Dr. Famille, décembre 2012, alerte 62).
En l’état actuel, la Cour de cassation refuse toujours d’inscrire sur les registres de l’état civil un enfant né d’une mère porteuse à l’étranger et adopté par le couple homosexuel. En effet, elle a estimé dans son arrêt du 6 avril 2011 qu’est « justifié le refus de transcription d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de cette décision, lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu’en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du Code civil ».
Si la circulaire de la Garde des sceaux du 25 janvier 2013 impose « la délivrance d’un certificat de nationalité française aux enfants nés à l’étranger de Français, lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance, qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui (…) dès lors que le lien de filiation résulte d’un acte d’état civil étranger probant au regard de l’article 47 du Code civil », elle ne résout pas la question de l’établissement du lien de filiation. La délivrance d’un certificat de nationalité française entraine seulement un renversement de la charge de la preuve de la qualité de français d’un enfant né d’une PMA à l’étranger à son profit sans reconnaître un quelconque lien de filiation entre les intéressés en France.
Dès lors, le refus de reconnaissance de la situation légalement créée à l’étranger ne serait-elle pas contraire à la protection de la vie familiale et à l’intérêt supérieur de l’enfant garantis par les juges strasbourgeois et à la continuité du statut personnel protégée par leurs homologues luxembourgeois ? En effet, il ressort des affaires Wagner c/ Luxembourg de 2007 et Négrépontis-Giannisis c/ Grèce de 2011 que les juges nationaux ne peuvent passer outre un statut juridique créé valablement à l’étranger et correspondant à une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Désormais, le juge européen « ne s’interdit aucunement d’apprécier la pertinence de l’argument tiré de l’ordre public national et peut décider d’y opposer, par priorité, l’impératif de protection de la vie familiale » (N. HERVIEU, Lettres « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 4 mai 2011). En outre, la Cour EDH a relevé dans l’affaire S. H. et autres c/ Autriche de 2011 que « le droit autrichien n’interdit pas aux personnes concernées de se rendre à l’étranger pour y subir des traitements contre la stérilité faisant appel à des techniques de procréation médicalement assistée interdites en Autriche » afin d’écarter tout constat de violation de la Convention. Enfin, il ressort de la jurisprudence de la CJUE, et notamment des arrêts Garcia Avello de 2003 et Grunkin Paul de 2004, que le droit de tout citoyen européen de circuler librement dans l’Union européenne implique l’obligation, pour les Etats membres, de reconnaître tous les éléments de son statut personnel.
Si le Professeur Struycken considère qu’il est nécessaire de « laisser aux Etats membres la possibilité de conserver jalousement le droit d’invoquer leur propre ordre public comme le noyau de leur ordre juridique respectif, l’une des expressions de leur identité nationale » (T. STRUYCKEN (T.), in Mél. H. GAUDEMET-TALLON, Dalloz, 2008, p. 630), ce n’est pas la voie que semble prendre les droits européens. En effet, « dans un ensemble de systèmes coordonnés où la liberté des individus constitue une valeur essentielle, le système libéral tend naturellement à s’imposer aux autres » (H. FULCHIRON, Défrenois 2005, p. 1461).
Pour sortir de ce dilemme qui semble insurmontable, la solution serait certainement, comme s’efforce de le rappeler la doctrine, d’avoir enfin un vrai débat sur l’avenir de la famille, de la filiation et de la gestation pour autrui en France. En effet, pour reprendre le professeur Jean Hauser, « on ne peut laisser subsister des dispositions d’ordre public concernant la fabrication des enfants calquées sur la fabrication à l’ancienne alors que, de l’autre, on veut prévoir l’accès à des couples qui n’ont plus rien de commun avec la procréation classique… » (J. HAUSER, op. cit.).