Le refus de délivrer le guet sanctionné par les juges
Le refus de délivrer le guet sanctionné par les juges (CA Versailles, 16 février 2012, n°10/04809)
Par Jean-Marie Hisquin
Jean-Marie Hisquin est docteur en droit de l’Université Jean Moulin Lyon 3
Les juges considèrent que le refus d’un ex-mari de délivrer le guet à son ex-épouse doit être sanctionné dès lors que le divorce civil est définitivement prononcé. Le motif invoqué, l’absence de liquidation du régime matrimonial, n’est pas légitime. Le refus porte atteinte à la liberté que la femme est en droit d’attendre du divorce. Sans le guet, elle ne peut se marier à nouveau selon les rites hébraïques. L’abus de droit est caractérisé et nécessite la réparation du préjudice sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
Le principe de laïcité, tel qu’il est énoncé dans la loi de 1905, n’entend pas faire interdiction au juge d’apprécier la valeur et la portée des engagements religieux pris par les individus. Si la religion d’un individu n’est pas prise en considération par le juge par automatisme, il peut parfois en tenir compte en tant que fait, le fait religieux. Le juge doit parfois se prononcer sur des questions relatives aux obligations ou droits religieux et, le cas échéant, au non-respect de ceux-ci. C’est ainsi que la Cour d’appel de Versailles confirme, dans un arrêt du 16 février 2012, que la responsabilité délictuelle d’un ex-mari peut être engagée par une épouse à qui il refuse de délivrer un guet. En droit hébraïque, le guet est l’acte par lequel la femme reçoit une déclaration écrite et librement consentie de la part de son mari, devant le tribunal rabbinique, faisant état de la volonté de son mari de mettre fin aux liens religieux du mariage. Au regard de la loi juive, la femme qui n’a pas obtenu le guet est toujours considérée comme mariée.
En l’espèce, les ex-époux s’étaient mariés, le 9 juillet 1997, devant l’officier d’état civil de la mairie du 15ème arrondissement de Paris, sans avoir souscrit de contrat préalable. De confession juive, ils se sont unis, le 13 juillet 2007, devant le Consistoire de Paris. De leur union, sont nés deux enfants. Quelques mois après, par jugement devenu définitif du 28 janvier 2008, le juge aux affaires familiales de Paris a prononcé le divorce des époux à leurs torts partagés. L’épouse désirant être libérée du lien religieux, elle demandait à son mari la délivrance d’une lettre de répudiation devant le Consistoire israélite de Paris, autrement appelée guet en droit hébraïque. Ce dernier refusant, elle l’assigna en paiement de dommages-intérêts pour abus de droit, au visa de l’article 1382 du Code civil, devant le tribunal de grande instance de Nanterre. Considérant que le refus de délivrance était illégitime, le tribunal condamnait l’ex-époux à verser la somme de 8000 euros à son ex-femme. Un appel est interjeté par l’ex-époux qui considère que ses droits n’ont pas été respectés, « faute d’avoir été assigné en personne en première instance et d’avoir eu connaissance de l’acte introductif d’instance et des pièces produites ». Dans un second temps, il argue que son « refus de délivrer le « guet » n’est pas fautif, le divorce religieux n’intervenant qu’après le divorce civil et le partage des biens ». Selon lui, c’est son ex-épouse qui avait retardé la liquidation de la communauté. Dans ses conclusions, il fait valoir que, selon le « Guide des divorces religieux en France » (WIZO, 2008, édité en collaboration avec le Consistoire de Paris), le divorce religieux pourra être prononcé après le divorce civil et la liquidation des biens de la communauté. Enfin, il ajoute que « le divorce religieux a eu lieu le 5 juin 2011 après l’établissement par le notaire du PV de difficultés le 4 mai 2011 ». La cour d’appel de Versailles confirme le jugement de première instance. Elle considère que le refus de l’ex-mari de délivrer le guet, sans motif légitime et laissant ainsi subsister le lien religieux entre les époux, est fautif. Ce refus restreint la liberté que la femme est en droit d’attendre du divorce civil et constitue dès lors un abus de droit engageant la responsabilité. Il est donc alloué 8 000 euros de dommages-intérêts à l’ex-épouse sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
Les juges considèrent que « le divorce civil d’entre les époux étant devenu définitif, les liens du mariage se trouvaient dissous » et que l’ex-époux « ne pouvait légitimement refuser la délivrance du guet en opposant l’absence de liquidation de la communauté des biens ».
Ainsi, dans cette espèce, les juges confirment la possibilité qui s’offre à eux de condamner un ex-mari à verser des dommages et intérêts à son ex-épouse sur le fondement de l’abus de droit (I), dès lors que le refus de délivrance du guet ne repose pas sur une justification légitime. Ici, la volonté pour le mari d’attendre le règlement définitif de toutes les conséquences matérielles du divorce civil ne répond pas aux critères du refus légitime (II).
I. Le refus de délivrer le guet : un abus de droit.
Le droit de délivrance du guet, détenu par l’homme, est issu d’une loi religieuse (A). Les juges peuvent sanctionner l’abus de droit en ce que le mari refuse d’exécuter ce qui pourrait s’apparenter une obligation religieuse, et non un droit (B).
A. La délivrance du guet : un droit issu d’une norme religieuse
L’argument religieux apparait dans différents conflits soumis aux juridictions civiles, mais aussi dans ceux soumis aux juridictions administratives. Lorsqu’ils tranchent les litiges, les juges tiennent compte de ces éléments de fait.
En l’espèce, le fait religieux est bien au centre des débats. En effet, ce qui est reproché à l’époux, c’est de ne pas avoir délivré un acte religieux, le guet (les cas dans lesquels l’ex-mari refuse la délivrance de l’acte sont rares : V. Cour suprême du Canada, Bruker c. Marcovitz, [2007] 3 R.C.S. 607, 2007 CSC 54 dossier n° 31212). Cet acte a pour fondement les textes du Pentateuque et notamment le Deutéronome chapitre 24, versets 1 et 2 qui précise : « Si un homme prend une femme, s’il a fait d’elle sa possession, [c’est-à-dire] son épouse, alors voici ce qui devra arriver : si elle ne trouve pas faveur à ses yeux, parce qu’il a trouvé chez elle quelque chose d’inconvenant, alors il faudra qu’il rédige pour elle un acte de divorce, qu’il le lui mette en main et qu’il la renvoie de sa maison. Et il faudra qu’elle sorte de sa maison, qu’elle s’en aille et qu’elle devienne la propriété d’un autre homme ».
Pour déterminer le contenu exact de cette règle religieuse et notamment les règles qui entourent la remise de l’acte, les parties apportent des arguments issus de documents provenant des autorités religieuses et aussi, en l’espèce, ceux tirés du « Guide du divorce religieux en France ». Cela permet aux juges du fond de déterminer la bonne interprétation de la règle religieuse, mais également, en amont, de déterminer l’existence même d’une norme (parfois, le juge rejette la demande d’une épouse car il considère que la preuve de l’existence de la règle religieuse n’est pas apportée (V. par ex. Paris, 20 mars 1986, Juris-Data n° 021745)). En l’espèce, l’épouse tente de démontrer que son mari ne respecte pas les injonctions du Grand Rabbin de Paris qui lui demandait de délivrer l’acte. Le mari invoquait, de son côté, le fait que l’acte de répudiation est un acte volontaire et personnel et que rien ne pourrait l’obliger à l’accomplir.
En effet, il n’existe pas, juridiquement, d’obligation pour le mari d’accomplir un acte purement religieux, sans quoi la loi viendrait s’immiscer dans la conscience de l’individu. Aucun principe ne peut contraindre quiconque, a priori, à exécuter un tel acte.
Dans certaines espèces, les parties invoquaient ainsi le principe de laïcité, celui-ci interdisant aux juges, selon elles, de se prononcer sur ce type de contentieux (Civ. 2ème, 12 décembre 1994: Bull. civ. II, n° 262 ; Paris, 7 mai 2002, Juris-Data n° 177358). L’argument a été rejeté lorsque le conflit concerne l’après-divorce, comme c’est le cas en l’espèce. Les juges peuvent évaluer les conséquences concrètes sur l’épouse du refus de l’ex-mari de lui délivrer le guet. A contrario, tant que le divorce n’est pas prononcé, le juge ne peut intervenir, car le préjudice n’est pas certain. C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris, le 5 juillet 2007, a pu considérer que les demandes d’une épouse qui partent du principe que son mari « lui refusera le divorce religieux ou gueth, n’ont pour l’instant aucun fondement sérieux et sont prématurées, la délivrance du gueth supposant que le divorce civil ait un caractère définitif ; que rien ne permet de présumer que ‘son mari’ pourrait être amené à lui opposer un tel refus » (Juris-Data n° 338346 ; V. aussi Paris, 16 Mars 2011, Pôle 3, ch. 2 n° 10/01413, inédit).
Mais si les juges considèrent que l’acte de délivrance est purement religieux (Civ. 2ème, 21 avril 1982 : Gaz. Pal. 1983, 2, p. 590, note F. Chabas) qui relève de la liberté de conscience, dans une très grande majorité de décisions, comme c’est le cas en l’espèce, les juges semblent systématiquement condamner l’ex-époux pour son refus, transformant le droit de délivrance en une obligation de s’exécuter.
B. L’abus de droit ou le refus d’exécuter une obligation strictement religieuse ?
En l’espèce, le refus est considéré par les juges d’appel comme un abus de droit. L’abus de droit peut en effet être retenu sur la base de l’article 1382 du Code civil, dès lors que les éléments permettant d’engager la responsabilité d’un individu sont réunis (V. sur les principes Y. Buffelan-Lanore et V. Larribau-Terneyre, Droit civil. Les obligations, Dalloz, 2010, n° 1834 et s. part. 1851 sur la question du guet). Les juges considèrent ainsi que l’ex-mari ne peut refuser de s’exécuter sans commettre une faute. Le mariage étant définitivement dissout, il ne pouvait pas, par volonté unilatérale, condamner son ex-femme à rester dans une position difficile portant atteinte à sa conscience religieuse. L’ex-mari a « restreint la liberté que Sandra A. était en droit d’attendre du divorce ». Par son refus, il portait aussi une atteinte illégitime à la liberté matrimoniale de son ex-épouse, liberté matrimoniale qui comprend la liberté de s’unir devant les autorités religieuses. Le préjudice est aussi évident en ce que le refus du mari laisse subsister un lien entre les époux, alors même que la volonté des époux étaient de mettre fin aux engagements maritaux.
Indirectement, les juges du fond transforment le droit de délivrance, la « simple faculté » (Civ. 2ème, 21 avril 1982, préc.), en une obligation. Le principe est comme établi par les juges. D’une simple faculté d’accomplir un acte religieux, l’on se dirige vers une véritable obligation de rédiger un écrit ayant une valeur religieuse.
Le principe d’égalité pourrait expliquer le raisonnement des juges. En effet, contrairement à la femme qui resterait liée religieusement ad vitam aeternam à son mari, l’homme peut, dans certains cas, s’unir à nouveau devant les autorités religieuses sans avoir délivré le guet. En condamnant le mari, les juges rétablissent en quelque sorte l’égalité méconnue dans la norme religieuse en question, ceux-ci étant soutenus par les autorités religieuses compétentes.
La responsabilité civile du mari est donc mise en œuvre sur le fondement de la théorie de l’abus de droit. Dans le passé, les juges avaient fondé leurs décisions sur la théorie de l’abstention dommageable (P. Jourdain, J.-Cl. Civil Code, art. 1382-1386). Mais la difficulté était d’apporter la preuve d’une obligation préalable de délivrance, ce qui n’était pas évident puisqu’il n’existe pas stricto sensu d’obligation pour l’ex-mari. La Cour de cassation avait alors précisé, dans un arrêt du 13 décembre 1972, que si « en principe, l’abstention dommageable ne peut entrainer la responsabilité qu’autant qu’il y avait, pour celui auquel on l’impute, obligation d’accomplir le fait omis, il en est autrement lorsque cette abstention dommageable a été dictée par l’intention de nuire et constitue un abus de droit ». L’intention de nuire rendait inutile, selon la Cour, la nécessité de prouver préalablement l’existence d’une obligation. Dans un arrêt postérieur, la Cour n’exigeait plus que l’intention de nuire soit prouvée (Civ. 2ème, 5 juin 1985 : JCP 1987, II, 20728, note E. Agostini ; Gaz. Pal. 1986, 1, p. 9, note F. Chabas ). Elle a ainsi validé une décision d’une Cour d’appel qui retenait que le mari « ne s’explique pas sur les raisons qui le poussent à refuser de délivrer le « Gueth » et que cette attitude obstinée et volontaire, en interdisant tout remariage religieux à son ex-épouse, cause à celle-ci un préjudice important » (Civ. 2ème, 12 décembre 1994: Bull. civ. II, n° 262). Dans l’arrêt commenté, de façon similaire, les juges retiennent que le « refus prolongé, sans motif légitime » était de nature à engager la responsabilité du mari et confirment ainsi le jugement de première instance. Il appartient donc au mari qui refuse de délivrer l’acte d’apporter la preuve de la légitimité de son refus. Il existerait une présomption selon laquelle le refus de délivrance serait illégitime.
II. L’absence de justification légitime du refus de délivrance justifiant l’allocation de dommages et intérêts
Le refus de délivrance du mari doit être légitime pour qu’il ne soit pas à l’origine de la mise en œuvre de sa responsabilité. En l’espèce, l’argument tiré de l’absence de règlement complet des effets pécuniaires du divorce n’emporte pas la conviction des juges civils (A), comme il n’emportât pas la conviction des autorités rabbiniques. Dès lors, cette atteinte illégitime au droit de la femme d’être libérée totalement de l’union dissoute justifie l’allocation de dommages et intérêts (B).
A. L’illégitimité du refus de délivrance du guet fondé sur l’absence de règlement complet des effets du divorce
Le mari doit ainsi apporter la preuve de la légitimité de son refus. Ainsi, les juges ont pu considérer que le refus d’un mari fondé sur le fait que la femme n’apportait pas la preuve de l’obligation religieuse de délivrer le guet, était légitime. La Cour de cassation a validé la décision d’une Cour d’appel qui avait déduit de cette absence de preuve de règle religieuse, l’absence de faute de la part du mari (Civ. 2ème, 14 octobre 1987, Bull. civ. II, n° 201 p. 112). Le mari peut rendre son refus légitime en montrant qu’il ne refuse pas, par principe, de délivrer l’acte, mais qu’il considère que « les conditions prévues par la loi religieuse pour cette délivrance » (ibid.) ne sont pas remplies et que cette conviction s’appuie « sur l’autorité de diverses personnalités » (ibid.). D’autres ex-époux ont tenté, sans succès, d’utiliser l’argument selon lequel s’ils divorçaient devant les autorités religieuses, ils ne pourraient plus jamais contractualiser une union avec la même femme (Civ 2ème, 21 avril 1982 préc. Confirmé par la CEDH: D. c. France, requête n° 10180/82, 6 décembre 1983, D.R. 35, p. 199).
Dans l’espèce considérée, les juges du fond concluent que le mari ne justifiait pas son refus fondé sur l’absence de liquidation des effets pécuniaires du divorce. Le mari reprochait à sa femme, d’avoir retardé la liquidation du régime matrimonial, mais ce dernier n’apportait pas la preuve d’une quelconque faute de cette dernière dans ce domaine.
Dans un arrêt de 1986, confirmé par la Cour de cassation, les juges du fond avaient accepté l’argument similaire d’un mari qui affirmait qu’il devait attendre le règlement des effets matériels du divorce pour délivrer l’acte. Les juges retinrent l’argument additionné d’autres éléments qui allaient dans le sens des prétentions du mari.
En l’espèce, il semble que l’époux entendait faire jouer cette jurisprudence mais aussi faire pression sur son ex-femme par le biais du guet. Dans un courriel du 12 juin 2009, il lui écrivait en ces termes : « faute d’accord amiable sur la liquidation de la communauté, rien ni personne ne m’obligera à faire en sorte que ton statut personnel sur le plan religieux ne change et qu’il faudra faire avec jusqu’à la fin de tes jours ». L’intention de nuire apparaissait donc en filigrane, bien que la preuve de celle-ci ne soit pas requise.
Ce que la Cour retient aussi, c’est que les autorités religieuses compétentes enjoignaient l’ex-mari à se présenter devant elles et lui rappelaient « qu’il n’avait pas répondu à ses convocations concernant la demande de divorce religieux faite par son ex-épouse (…) et l’informait que divorcé civilement, il ne pouvait refuser le divorce religieux ». Les juges se réfèrent donc aux autorités religieuses compétentes, dès lors qu’ils estiment que le traitement du litige requiert de tenir compte de leur appréciation de la norme religieuse. C’est l’une des raisons pour lesquelles les juges écartent l’interprétation de l’ex-mari du « Guide des divorces religieux », selon lequel il faudrait l’accord des époux pour que l’acte soit délivré avant la liquidation des biens. L’appréciation des autorités religieuses du cas de l’espèce fait donc pencher la balance du côté de l’épouse. Bien entendu, c’est à la partie qui réclame une certaine application de la norme d’apporter la preuve de son contenu et de son interprétation ; mais une fois la preuve apportée, le juge en tient compte.
En l’espèce, deux types de preuves de l’application de la règle religieuse sont présentés. Les juges retiennent la preuve qui correspond à la volonté de l’ex-épouse en conformité avec celle des autorités judaïques. D’ailleurs, les juges soulignent que l’argumentation du mari ne tient pas, puisqu’il a décidé, suite au procès-verbal de difficultés dressé par le notaire, de délivrer l’acte de répudiation et cela, avant même que la liquidation des biens soit effectuée. Bien que l’ex-mari ait accepté de s’exécuter, les juges n’en concluent pas moins à sa condamnation au versement des dommages-intérêts pour avoir privé sa femme de la liberté qu’elle était en droit d’attendre du divorce civil.
B. Le versement de dommages et intérêts
Dans certaines espèces, la faute étant retenue et le préjudice établi, la question s’est portée sur l’étendue des moyens détenus par le juge pour contraindre un ex-mari a donner le guet à son ex-femme. Bien que certaines juridictions du fond aient considéré qu’elles pouvaient forcer le mari par voie d’astreinte à libérer sa femme, la jurisprudence est claire sur cette question : la délivrance du guet étant une simple faculté, les juges ne peuvent pas contraindre le mari par cette voie (Civ. 2ème, 21 avril 1982, préc.). Néanmoins, tant que l’acte n’est pas délivré à l’épouse, celle-ci a toujours la possibilité de saisir le juge pour demander réparation, quand bien même le mari aurait déjà été condamné pour avoir refusé (Versailles, 14 Novembre 1996, Juris-Data n° 048618). Les juges acceptent de condamner un mari qui persévère dans son refus après une première condamnation, le second préjudice étant distinct du premier (on peut considérer qu’il s’agit d’une forme d’astreinte par condamnation postérieure successive ; cette solution est néanmoins logique, car elle permet à la femme de voir son préjudice perdurant réparé, tant que le mari refuse la délivrance). Le préjudice réparé est donc celui établi à un moment précis et non celui qui existe au jour du prononcé de la décision.
En l’espèce, la question relative à la possibilité pour les juges de contraindre l’homme par voie d’astreinte ne se pose pas, celui-ci ayant finalement rédigé l’acte avant que la Cour d’appel ne rende sa décision. Néanmoins, le fait qu’il ait tardé à le faire engage ipso facto sa responsabilité. Le préjudice était acquis au moment de la demande et celui-ci est donc évalué au moment des faits et non en cours de procédure. C’est la raison pour laquelle l’argument du mari n’est pas retenu par les juges.
La décision commentée rappelle que, même en l’absence d’obligation juridique formelle, le fait d’abuser d’un droit, en l’occurrence d’un droit de nature religieux, peut être sanctionné par le juge. Si, dans le passé, les juges ont pu retenir la nécessité d’attendre le règlement complet du divorce pour que l’époux soit obligé de délivrer le guet, en l’espèce, ils concluent que ce motif de refus n’est pas légitime. Ils s’appuient pour cela sur le « Guide du divorce religieux en France » et surtout sur les autorités rabbiniques qui ne font pas de cette condition une condition sine qua non. Il semble donc exister une certaine collaboration entre les autorités religieuses et le juge. On décèle dans la décision la volonté du juge de condamner un ex-mari qui utiliserait un de ses droits religieux pour limiter la liberté religieuse de sa femme, une fois leurs liens civilement, définitivement, rompus.