Retour sur une question controversée : le sort des enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger
Gaëlle Ruffieux est Maître de conférences à l’Université Grenoble-Alpes
La maternité pour autrui est sans doute l’un des sujets de société les plus clivants de ces dernières années. Au-delà des passions, comment le droit appréhende-t-il ce procédé faisant intervenir un tiers dans la conception d’un enfant ? Le traitement juridique de la gestation pour autrui est a priori une question nationale et révèle un choix politique. Mais la pratique appelle également une lecture internationale. Le tourisme procréatif contraint en effet la France à prendre position sur des situations valablement constituées à l’étranger. Le droit positif français, qui offre un accueil plus que réservé aux enfants nés d’une mère porteuse hors de ses frontières, mérite d’être questionné sous l’angle des droits fondamentaux.
1. En guise d’introduction – Vingt-cinq ans après le célèbre arrêt Alma Mater prononçant l’annulation de l’association mettant en lien des parents commanditaires et des mères porteuses (Cass. 1re civ., 13 décembre 1989, pourvoi n° 88-15655), la maternité de substitution ne cesse d’alimenter les débats en France. Qu’il s’agisse de la très médiatique affaire Mennesson (en dernier lieu, v. Cass. 1re civ., 6 avril 2011, pourvoi n° 10-19053) ou des discussions enflammées, lors des débats sur le mariage pour tous, à propos de la circulaire Taubira (Circ., 25 janvier 2013, JUSC1301528C), la question du sort des enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger revient de façon récurrente sous les projecteurs. La maternité pour autrui divise tant l’opinion publique que la communauté scientifique. Il est certain qu’elle bouscule les représentations traditionnelles de la famille, de la procréation, de la filiation et, bien entendu, de la maternité. Si certains la perçoivent comme un bienfait des progrès techniques de la médecine procréative, y associant les principes de liberté et d’égalité, d’autres la jugent comme une dérive de ces évolutions, remettant en cause les valeurs d’indisponibilité et de dignité de la personne. Il s’agit là sans doute de l’un des sujets de société les plus clivants de ces dernières années. Disons-le d’emblée, au risque de décevoir le lecteur : l’objectif de la présente étude n’est pas de trancher la question de la pertinence et de la nature d’un encadrement de la pratique des mères porteuses en France, mais d’analyser la situation juridique actuelle et d’envisager sa conformité aux textes supralégislatifs.
2. Précisions terminologiques – Comme souvent pour les questions qui déchainent les passions, le vocabulaire employé pour désigner ce mode de procréation est abondant et parfois teinté d’un certain parti pris : mère porteuse, mère de substitution, mère de remplacement, mère d’emprunt, mère par procuration ou mère par intérim ; mais également gestation pour autrui, procréation pour autrui, maternité pour autrui, maternité de substitution, prêt ou location d’utérus.
Assistance médicale à la procréation d’un nouveau genre, la maternité pour autrui se situe au-delà d’un travail du médecin sur des gamètes : elle permet à un couple ou à une personne seule de réaliser son désir de parenté en mobilisant, durant neuf mois, les facultés de procréation d’une femme. De façon générale, la maternité pour autrui recouvre les techniques par lesquelles un couple d’intention – hétérosexuel ou homosexuel – ou un individu seul réalise son désir d’enfant grâce au concours d’une femme, qui s’oblige à porter celui-ci. Les motivations des différents protagonistes sont variables. Du côté des commanditaires, le recours à la gestation pour autrui peut se justifier par une cause d’infertilité. Celle-ci peut être « naturelle » (pour un couple homosexuel ou une personne seule) ou « pathologique » (pour un couple hétérosexuel). La pratique peut également être mise en œuvre pour convenance personnelle. Du côté de la mère porteuse, la motivation peut être personnelle (par exemple lorsque la pratique a lieu au sein de la famille) ou économique.
Recourir à la maternité de substitution consiste ainsi à suppléer par un don étranger un élément de la procréation qui fait défaut. Cette technique de procréation conduit dès lors à opérer une césure au sein de la maternité, entre trois composantes auparavant indivisibles : la mère génitrice (ou ovarienne), la mère gestatrice (ou utérine) et la mère sociale. De façon plus technique, deux types de maternité pour autrui doivent être dissociés : dans la maternité pour autrui du « premier type » (ou procréation pour autrui), la mère porteuse est à la fois génitrice et gestatrice ; tandis que dans la maternité pour autrui du « second type » (ou gestation pour autrui), la mère porteuse est uniquement gestatrice et ne fournit aucun matériel génétique ; ce dernier peut alors provenir soit de la mère d’intention, soit d’un don d’ovule.
3. Le plan de l’étude – Mener à bien une analyse critique de la position juridique française actuelle en matière de maternité de substitution suppose de combiner deux lectures : la première, de droit interne, invite à s’interroger sur l’étendue de la prohibition française de la gestation pour autrui et sur ses fondements (I). La seconde, de droit européen et international, conduit à soumettre la position juridique française au test des droits fondamentaux, et plus précisément à envisager l’impact de la jurisprudence de la Cour EDH sur le droit national (II).
I. Point de vue interne : l’exposé de la position juridique française
4. La position du droit français concernant la gestation pour autrui peut se résumer en deux propositions : la prohibition de la pratique est constante (A), mais ses fondements sont mouvants (B).
A. Une prohibition constante
5. La maternité pour autrui saisie par le droit – Le traitement juridique de la maternité de substitution est a priori une question éminemment nationale. En effet, le choix pour un État de prohiber ou d’encadrer la pratique des mères porteuses dépend largement de la conception retenue de la procréation, de la filiation et de la parenté. Or, cette conception repose sur des perceptions qui sont intimement liées à l’histoire, à la culture, bref à l’identité du pays, ce qui la rend extrêmement variable d’un État à l’autre.
La question du traitement juridique de la maternité de substitution n’est toutefois pas seulement nationale. Dès lors que la pratique est admise à l’étranger (sur le droit comparé, v. not. E. Dos Reis, G. Ruffieux, J. Terel et G. Willems, « La maternité de substitution », in H. Fulchiron et J. Sosson (dir.), Parenté, filiation, origine, Le droit et l’engendrement à plusieurs, Bruylant, 2013, p. 169 ; F. Monéger (dir.), Gestation pour autrui : Surrogate motherhood, Société de législation comparée, 2011), il devient en effet possible pour les ressortissants des classes moyennes ou aisées de se déplacer hors de leurs frontières pour en bénéficier. Le développement du tourisme procréatif (J.-J. Lemouland, « Le tourisme procréatif », Les petites affiches 28 mars 2001, p. 24 ; H. Bosse-Platière, « Le tourisme procréatif, L’enfant hors la loi française », Informations sociales 2006, n° 131, p. 88) contraint alors tout État à prendre position, non seulement sur son droit interne, mais également sur l’éventuelle réception dans son ordre juridique de situations valablement constituées à l’étranger.
Il appartient donc à chaque pays de déterminer, d’une part, si des processus de maternité pour autrui peuvent être conduits sur son territoire et, le cas échéant, à quelles conditions et avec quelles conséquences. Mais chaque pays doit, d’autre part, se prononcer quant aux situations constituées à l’étranger et dont les protagonistes souhaitent voir produire des conséquences dans l’ordre juridique interne. En d’autres termes, un État qui, comme la France, prohibe le recours aux mères porteuses, n’est pas dispensé de prendre position sur les conséquences en droit interne du processus légalement mis en œuvre à l’étranger.
6. La prohibition du droit français interne – En droit positif français, on sait que la pratique des mères porteuses est prohibée. L’interdit a d’abord été d’origine jurisprudentielle (Cass. 1re civ., 13 décembre 1989, préc. ; Cass. Ass. plén., 31 mai 1991, pourvoi n° 90-20105), avant d’être consacré par l’une des lois de bioéthique en 1994 (L. n° 94-653 du 29 juillet 1994 ; C. civ., art. 16-7 et 16-9). Les dernières réformes intervenues en la matière n’ont pas levé cette interdiction (L. n° 2004-801 du 6 août 2004 ; L. n° 2011-814 du 7 juillet 2011).
En l’état actuel du droit, les Français souhaitant recourir à une mère porteuse disposent d’une alternative. La première branche de l’alternative, peu utilisée en pratique, consiste à recourir frauduleusement à une mère porteuse sur le territoire français, celle-ci accouchant dans l’anonymat afin de permettre l’établissement d’un double lien de filiation au profit des parents d’intention. La seconde branche de l’alternative, plus fréquente et qui seule nous occupera ici, renvoie à la question du tourisme procréatif.
7. La logique du fait accompli – Chaque année, des hommes et des femmes désireux de devenir parents rejoignent la Californie, mais aussi plus récemment l’Inde ou l’Ukraine, afin d’avoir recours à une mère porteuse. De retour en France, porteurs d’actes d’état civil légalement établis à l’étranger, et reconnaissant la paternité et parfois la maternité du ou des commanditaires, ils sollicitent des autorités françaises la transcription de ces actes. Il revient alors à l’État français de se prononcer sur l’efficacité de l’acte étranger dans son ordre juridique interne. Convient-il de maintenir une politique de refus et de ne pas accepter la transcription des actes étrangers au nom de la défense de l’ordre public ? Ou doit-on admettre la transcription des actes de naissance valablement établis en dehors des frontières et indiquant le ou les parents commanditaires comme parents juridiques, au nom de l’intérêt de l’enfant ? La confrontation à de telles situations est inévitable et place nécessairement en difficulté le droit français, au regard de la prééminence de l’intérêt de l’enfant, consacré par la Convention EDH et par la Convention IDE.
Les opposants à la prise en compte du fait accompli invoquent l’indivisibilité de l’ensemble du processus de la maternité pour autrui. Admettre le rattachement juridique de l’enfant aux parents intentionnels serait « donner indirectement force de loi » à la convention de mère porteuse, qui est pourtant nulle en vertu de la loi française (Y. Chartier, rapport sous Cass. Ass. plén., 31 mai 1991 : D. 1991, jur. p. 417). Le simple fait de reconnaître juridiquement le fait accompli suffirait à encourager la pratique des mères porteuses, ou à tout le moins à ruiner l’interdit posé par le législateur. Le fait accompli deviendrait ainsi une nouvelle source du droit (J. Hauser, note sous CA Paris, 25 octobre 2007 : RTD civ. 2008, p. 93), conduisant à un alignement de notre législation sur le droit le plus libéral, et ce au nom de l’européanisation (H. Fulchiron, « Existe-t-il un modèle familial européen ? », Defrénois 2005, art. 38239), mais aussi de la mondialisation. Par ailleurs, certains opposants craignent un effet domino : aujourd’hui le traitement du fait accompli, demain la légalisation ?
Les partisans de la prise en compte du fait accompli font, quant à eux, prévaloir l’intérêt de l’enfant. Ils précisent que l’intérêt de l’enfant à prendre en compte ici n’est pas apprécié in abstracto, mais in concreto (A. Gouttenoire, note sous Cass. 1re civ., 13 septembre 2013, deux espèces : Lexbase Hebdo 3 octobre 2013, n° 542) : ces enfants d’une dizaine d’années, éduqués quotidiennement par leurs parents d’intention, ne méritent-ils pas de voir leur situation juridique régularisée ? Les auteurs invoquent, à l’appui de leurs prétentions, les textes internationaux ayant une autorité supralégislative (Const., art. 55) et protégeant les intérêts de l’enfant (v. infra n° 20 et s.).
8. La position de la jurisprudence française – La jurisprudence française refuse, pour l’heure, de tenir compte du fait accompli. Deux questions qu’il est utile de distinguer ont été posées à la Cour de cassation : celle de la transcription en France des actes de naissance étrangers et celle de l’établissement de la filiation selon les règles du droit français interne.
9. La contrariété à l’ordre public international et le refus de transcription – Concernant la transcription des actes de naissance étrangers sur les registres français de l’état civil, la jurisprudence s’est fondée sur l’ordre public en matière internationale pour la refuser, tant en ce qui concerne la filiation maternelle que la filiation paternelle, alors même que cette dernière correspondait à la vérité biologique (Cass. 1re civ., 6 avril 2011, trois espèces, pourvois n° 09-66486, 10-19053 et 09-17130). Le ministère public français a en effet été jugé recevable à demander la transcription des actes de naissance étrangers sur les registres du service central d’état civil de Nantes, puis à assigner les parents d’intention afin d’obtenir l’annulation de ces actes, leur transcription étant jugée contraire à l’ordre public (Cass. 1re civ., 17 décembre 2008, pourvoi n° 07-20468). Par conséquent, les parents d’intention ne bénéficient pas d’un statut juridique conforme au rôle qu’ils jouent de facto auprès de l’enfant. On peut s’interroger sur les conséquences en droit d’une telle solution.
Il est vrai que « l’absence de transcription [des actes de naissance étrangers] n’a pas pour effet de priver les enfants de leur état civil [étranger] et de remettre en cause le lien de filiation qui leur est reconnu à l’égard [des parents d’intention par le droit étranger] » (CA Paris, 18 mars 2010, n° RG 09/11017 ; v. déjà Rép. min. à QE n° 29633, JOAN Q. 20 avril 2004, p. 3065). Une telle solution signifie toutefois que ces enfants sont, à l’étranger, considérés comme ceux du couple d’intention, tandis qu’ils ne le sont pas pour le droit français. Cela n’empêche certes pas les enfants de vivre en France avec leurs parents commanditaires, mais conduit à une situation juridique boiteuse (M. Farge, note sous CA Paris, 18 mars 2010 : Dr. famille 2010, étude 23) qui, si elle n’est pas inconnue du droit international privé – songeons aux époux considérés comme séparés dans un pays musulman, mais comme mariés pour le droit français –, n’en reste pas moins critiquable. L’identité des enfants peut être établie par les actes de naissance étrangers, mais celle-ci n’emporte aucune conséquence sur le terrain de la filiation en France : ne pouvant pas obtenir d’actes de naissance français, ni de livret de famille, les parents ne sont pas titulaires de l’autorité parentale, ne sont pas tenus d’une obligation alimentaire et les enfants n’ont pas la qualité d’héritier réservataire.
Dans la vie courante, les parents peuvent en principe se servir des actes de naissance étrangers s’agissant par exemple de la constitution d’un dossier d’allocations familiales ou de l’inscription de l’enfant à l’école ou sous le numéro de sécurité sociale de ses parents (C. civ., art. 47). Mais en pratique, il semble que les démarches soient, de fait, longues et compliquées (H. Fulchiron et Ch. Bidaud-Garon, « Dans les limbes du droit, A propos de la situation des enfants nés à l’étranger avec l’assistance d’une mère porteuse », D. 2013, p. 2349). Par ailleurs, au regard des arrêts rendus par la Cour de cassation en 2013 (Cass. 1re civ., 13 septembre 2013, deux espèces, pourvois n° 12-30138 et 12-18315), considérant que tout le processus est entaché de fraude, notamment l’établissement de la filiation de l’enfant, on peut se demander si les administrations françaises continueront à tenir compte de la filiation établie à l’étranger (H. Fulchiron et Ch. Bidaud-Garon, « Dans les limbes du droit (…) », art. préc.).
Sur le plan administratif, les juridictions autorisent la délivrance de documents de voyage permettant le retour en France d’enfants nés d’une convention de mère porteuse à l’étranger (CE, 4 mai 2011). Lorsque le père d’intention est aussi le père biologique et qu’il a reconnu les enfants (mais alors quid en cas d’annulation de la reconnaissance ?), ces derniers se verront attribuer la nationalité française (C. civ., art. 18). La circulaire Taubira du 25 janvier 2013 prévoit à ce sujet que le « seul soupçon » d’une convention de mère porteuse ne doit pas faire obstacle à la délivrance d’un certificat de nationalité française à l’enfant dont la filiation est établie à l’égard d’un parent français par l’acte de naissance étranger. Il ne s’agit là que d’une question de nationalité, non de filiation.
10. La fraude à la loi française et l’établissement interne de la filiation – Concernant l’établissement de la filiation selon les règles du droit interne, la question est de savoir si le recours à une mère porteuse à l’étranger empêche les parents d’intention de faire établir leur filiation selon les modalités du droit français, que ce soit par possession d’état, par reconnaissance ou par adoption. Le raisonnement est différent selon que l’on s’attache à la filiation maternelle ou à la filiation paternelle.
11. La filiation maternelle – Pour le droit français, la mère juridique est celle qui accouche de l’enfant, peu importe qu’elle lui ait ou non fourni son patrimoine génétique. La mère porteuse est toujours considérée comme la mère juridique, qu’il s’agisse d’une procréation ou d’une gestation pour autrui (v. supra n° 2). La contestation de cette filiation ne sera possible qu’à la condition de démontrer que la femme n’a pas accouché de l’enfant (C. civ., art. 332).
Même lorsque la filiation maternelle n’est pas établie à l’égard de la mère porteuse, soit parce qu’elle a accouché dans l’anonymat (C. civ., art. 326) ou n’a pas indiqué son nom dans l’acte de naissance de l’enfant (C. civ., art. 57), soit parce qu’elle a accouché dans un pays dans lequel sa filiation avec l’enfant n’est pas établie ou a été anéantie, le droit français refuse tous les moyens d’établissement de la filiation à l’égard de la mère d’intention : la reconnaissance est mensongère (CA Rennes, 4 juillet 2002, n° RG 01/02471), la possession d’état viciée (TGI Lille, 22 mars 2007) et l’adoption – simple (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, pourvoi n° 92-13563) comme plénière (Cass. Ass. plén., 31 mai 1991, préc.) – est jugée frauduleuse.
Face à cette impossibilité d’établir un lien de parenté pour la mère d’intention, la seule solution est de se tourner vers les mécanismes de parentalité (sur la distinction entre parenté et parentalité, v. H. Fulchiron (dir.), Mariage-conjugalité, parenté-parentalité, Dalloz, 2009). Notamment, la délégation-partage de l’autorité parentale (C. civ., art. 377) et la possibilité de confier l’enfant à un tiers dans des circonstances exceptionnelles (C. civ., art. 373-3 ; pour une application, v. CA Rennes, 6 janvier 2005, n° RG 01/06089) permettent a minima d’octroyer une place juridique à celle qui élève l’enfant au quotidien, à condition toutefois que la filiation soit établie à l’égard du père d’intention.
12. La filiation paternelle – L’établissement de cette filiation paternelle se fait le plus souvent par le jeu de la reconnaissance (C. civ., art. 316). Jusqu’en 2013, cette dernière ne semblait pas poser de difficulté, à tout le moins lorsqu’elle était conforme à la vérité biologique, c’est-à-dire lorsque le père d’intention avait transmis à l’enfant son patrimoine génétique. En 2013 toutefois, la Cour de cassation s’est fondée sur la fraude à la loi pour refuser que la filiation paternelle des enfants nés à l’étranger de mère porteuse soit établie en France par reconnaissance (Cass. 1re civ., 13 septembre 2013, deux espèces, préc.). La Cour a en effet considéré que « l’action en contestation de paternité exercée par le ministère public pour fraude à la loi, fondée sur l’article 336 du Code civil, n’est pas soumise à la preuve que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père au sens de l’article 332 du même Code ». La Cour de cassation approuve la Cour d’appel, qui a caractérisé la fraude à la loi commise par le père d’intention ayant eu recours à une mère porteuse en Inde, d’en avoir déduit que la reconnaissance paternelle devait être annulée. Une telle solution est juridiquement critiquable et révèle « une confusion entre l’action en contestation de la filiation stricto sensu, et l’action en annulation de la reconnaissance dont il s’agit en l’espèce. […] Ce qui est remis en cause n’est pas la véracité de la filiation, comme dans l’action en contestation, mais la conformité de la reconnaissance aux règles de forme ou de fond auxquelles elle est soumise » (A. Gouttenoire, note sous Cass. 1re civ., 13 septembre 2013, deux espèces, préc.). Un tel durcissement dans le défaut de prise en compte du fait accompli à l’étranger peut être interprété comme une invitation à prendre parti, adressée par les juges au législateur français.
Par ailleurs, il est habituel d’enseigner que la fraude a pour effet de priver d’efficacité l’acte frauduleusement obtenu. Il n’est dès lors pas incompréhensible que la Cour de cassation refuse la transcription des actes de naissance étrangers constatant la filiation maternelle, puisque ceux-ci ont été établis afin d’évincer l’application de l’interdiction française. Mais la fraude doit-elle s’étendre à la filiation paternelle conforme à la vérité biologique ? Pour la Cour de cassation en 2013, il n’y a pas de distinction à faire entre filiation maternelle et paternelle : « si la filiation maternelle est le résultat direct de la fraude, la filiation paternelle est quant à elle le résultat du processus d’ensemble recherché par les couples » (G. Deharo, « Processus d’ensemble et sanction de la fraude : le cas de la gestation pour autrui », Gaz. Pal. 24 octobre 2013, n° 297, p. 5).
13. L’énigme de la sanction des liens familiaux illégalement constitués – En définitive, une interrogation apparaît au regard de la position française actuelle : est-il opportun de sanctionner le comportement parental frauduleux par le refus d’établissement de la filiation de l’enfant ? Il faut concéder qu’il est difficile de proposer une alternative, face à l’énigme de la sanction des liens familiaux illégalement constitués. Comment maintenir la prohibition posée par le législateur et endiguer les comportements parentaux, tout en épargnant les enfants ? Une solution pourrait se trouver dans la dissociation de la prohibition en droit interne de la gestation pour autrui et de la gestion du fait accompli à l’étranger. Le droit français adopte actuellement la même position de refus d’établissement de la filiation de l’enfant, que la gestation pour autrui se déroule frauduleusement sur le territoire national ou en dehors de ses frontières. Or, certains États interdisant la pratique sur le plan intérieur ont adopté une tout autre position s’agissant du fait accompli, en reconnaissant les situations acquises à l’étranger (tel est notamment le cas de l’Espagne : G. Willems et J. Sosson, « Légiférer en matière de gestation pour autrui : quelques repères de droit comparé et de droit international », in G. Schamps et J. Sosson (dir.), La gestation pour autrui : vers un encadrement ?, Bruylant, 2013, p. 239).
B. Des fondements mouvants
14. Des principes d’ordre public… – Depuis plus de vingt ans, le droit français prohibe la maternité de substitution. L’objectif est évidemment de protéger l’enfant et la femme porteuse, mais aussi de maintenir les fondements du droit de la filiation. Au fil du temps, différents principes ont été mis en avant pour asseoir cette interdiction.
Initialement, c’est-à-dire à la fin du XXe siècle, la Cour de cassation avait fait reposer la nullité de la convention de mère porteuse sur deux principes d’ordre public : l’indisponibilité du corps humain et l’indisponibilité de l’état des personnes (Cass. Ass. plén., 31 mai 1991, préc.), touchant réciproquement à l’objet et à la cause du contrat de gestation pour autrui (F. Chénedé, « Et demain, la gestation pour autrui ? », Dr. famille 2013, dossier 27). Ces fondements classiques ont été maintes fois dénoncés comme étant incantatoires et imprécis (M. Gobert, « Réflexions sur les sources du droit et les principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes », RTD civ. 1992, p. 489), leur portée étant aujourd’hui largement entamée (M. Levinet, « Le principe de libre disposition de son corps dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in J.-M. Larralde (dir.), La libre disposition de son corps, Bruylant, 2009, p. 71). Le comité de réflexion chargé de l’éventuelle inscription des principes de dignité et d’indisponibilité du corps humain dans le Préambule de la Constitution a d’ailleurs clairement affirmé que si ces principes « peuvent apparaître aujourd’hui intangibles, [ils] […] pourraient fort bien se révéler ne plus l’être demain » (Rapp. du comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution, Redécouvrir le Préambule de la Constitution, La documentation française, 2008). Au-delà de ces deux principes, c’est plus généralement la dignité humaine qui serait entamée par la gestation pour autrui. On peine cependant à déterminer clairement le contenu de ce principe de dignité et ses incidences sur la pratique des mères porteuses (F. Chénedé, « Et demain, la gestation pour autrui ? », préc.).
Les principes structurants à l’origine de la prohibition de la maternité pour autrui semblent aujourd’hui s’essouffler, au profit d’un nouveau fondement : le féminisme.
15. … à la cause des femmes – Dans les années 2010, l’angle sous lequel la question de la maternité pour autrui est abordée se modifie : ce sont moins les principes d’indisponibilité et de non-commercialisation du corps humain qui sont mis en avant, que les risques que fait peser la pratique sur les femmes. On invoque à présent le corps des femmes, leur situation socio-économique, leur rapport à la maternité, etc. (D. Roman, « La gestation pour autrui, un débat féministe ? », Travail, genre et sociétés 2012/2, n° 28, p. 191). Les courants féministes se sont ainsi saisis du débat sur la gestation pour autrui, en dénonçant la marchandisation de l’humain, l’injonction à la maternité et l’asservissement d’autrui auxquels conduirait la maternité de substitution (S. Agacinski, Corps en miettes, Flammarion, 2009 ; M. Fabre-Magnan, La gestation pour autrui, Fictions et réalité, Fayard, 2013).
Si le féminisme est de plus en plus invoqué à l’appui de l’interdiction de la gestation pour autrui, il est frappant de constater qu’il sert en réalité tout autant à condamner la pratique des mères porteuses qu’à la légitimer, ce qui révèle de profondes dissensions au sein de ce courant (le constat est le même s’agissant d’autres questions de société, telles que le port du voile ou la prostitution : N. Truong, « Une nouvelle guerre des féminismes ? », Le Monde 29 novembre 2013). C’est ainsi qu’à côté de ce qu’on appelle le « féminisme radical ou social » combattant la gestation pour autrui, un autre type de féminisme – appelé « féminisme libéral » (D. Roman, « L’Etat, les femmes et leurs corps, La bioéthique, nouveau chantier du féminisme ? », Esprit 2013, p. 17) –, favorable à la pratique, invoque pour la soutenir la liberté de la femme de disposer de son corps, l’autonomie personnelle, l’altruisme des mères porteuses et l’opportunité d’une règlementation pour lutter contre sa marchandisation (E. Badinter et I. Théry, « Mariage pour tous : légalisons la gestation pour autrui », Le Monde 20 décembre 2012). Ainsi, « que l’on soit pour ou contre la GPA, c’est désormais au nom de la cause des femmes que l’on se justifie » (D. Roman, « La gestation pour autrui, un débat féministe ? », art. préc.).
On l’a vu, le droit français actuel prohibant la gestation pour autrui offre un accueil plus que réservé aux situations familiales constituées hors de ses frontières. Cet interdit et le refus de reconnaissance de la situation des enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger méritent néanmoins d’être questionnés sous l’angle des droits fondamentaux.
II. Tour d’horizon européen et international : la pression des droits fondamentaux
16. La position juridique française actuelle suscite plusieurs questions sous l’angle des droits fondamentaux, qui ne sauraient être toutes développées ici. Du point de vue de la mère porteuse, il suffit de parcourir un contrat de gestation pour autrui pour prendre conscience de la multitude de questions soulevées. Par exemple, la mère porteuse conserve-t-elle la liberté d’interrompre sa grossesse ? Peut-elle renoncer à établir un lien de filiation avec l’enfant ? Notre objectif n’étant pas de trancher le débat de l’opportunité d’une règlementation de la gestation pour autrui en droit français, nous laisserons de côté ces interrogations pour nous concentrer sur les seuls droits des parents d’intention et de l’enfant. Deux niveaux de raisonnement méritent alors d’être distingués, selon que l’on se place en amont ou en aval du processus de gestation pour autrui. En amont et du point de vue des parents d’intention, la question est celle de la consécration d’un éventuel droit d’accéder à la maternité de substitution (A) ; en aval et du point de vue de l’enfant né d’une mère porteuse, la question est celle du droit au respect de la vie familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant (B).
A. Le droit d’accéder à la maternité de substitution
17. Si l’on se place du point de vue des adultes souhaitant recourir à une mère porteuse, la question est de savoir s’il existe – ou s’il existera demain – une obligation pour les États du Conseil de l’Europe d’ouvrir l’accès à la maternité pour autrui. Le raisonnement n’est pas identique s’agissant des couples hétérosexuels et des couples homosexuels.
18. L’accès à la pratique pour les couples hétérosexuels – Concernant les couples hétérosexuels, les derniers arrêts rendus par la Cour EDH en matière de procréation médicalement assistée suggèrent qu’un État qui admet, d’une manière générale, le recours à l’assistance médicale à la procréation, doit pouvoir fournir des explications très convaincantes s’il souhaite restreindre de quelque manière que ce soit l’accès à ces techniques. Ainsi, suivant l’arrêt Dickson (Cour EDH, 4 décembre 2007, Dickson c/ Royaume-Uni, requête n° 44362/04), les prisonniers anglais ne peuvent pas être traités différemment des autres citoyens anglais s’agissant du désir de devenir parents par procréation médicalement assistée. De même, aux termes de l’arrêt de Chambre rendu dans l’affaire S.H. (Cour EDH, 1er avril 2010, S.H. e.a. c/ Autriche, requête n° 57813/00), un couple autrichien, qui ne peut avoir d’enfant parce que la femme de ce couple n’a aucune activité ovulatoire, ne doit pas être traité différemment d’un couple autrichien apte à procréer par assistance médicale à la procréation sans don d’ovule.
Cette approche de la Cour EDH, axée sur l’interdiction de la discrimination dans l’accès aux aides médicales à la procréation (Conv. EDH, art. 8 et 14), est susceptible de conduire à l’idée qu’il pourrait être un jour considéré comme discriminatoire de permettre à une femme qui ne peut pas procréer, parce qu’elle ne produit pas d’ovule, de bénéficier des ressources de l’assistance médicale à la procréation, tout en ne permettant pas à une femme qui ne peut pas avoir d’enfant, à défaut de pouvoir le porter, de bénéficier de ces mêmes ressources. En d’autres termes, l’argument de l’égalité pourrait conduire à imposer d’ouvrir l’aide médicale à la procréation à toutes les formes de stérilité. Pour la Cour EDH, il ne fait aucun doute que le droit de procréer en faisant appel à la médecine entre dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention EDH. Il est dès lors permis de penser que se développera progressivement, en matière de procréation médicalement assistée, une jurisprudence européenne comparable, dans sa dynamique, à celle relative à l’adoption (Cour EDH, 26 février 2002, Fretté c/ France, requête n° 36515/97 ; Cour EDH, 22 janvier 2008, E.B. c/ France, requête n° 43546/02) ou à l’avortement (Cour EDH, 16 décembre 2010, A.B.C. c/ Irlande, requête n° 25579/05 ; Cour EDH, 26 mai 2011, R.R. c/ Pologne, requête n° 27617/04). Dans ces deux domaines, si la Cour EDH n’a jamais souhaité consacrer un droit à l’adoption ou un droit à l’avortement, elle a pu, aux termes d’un certain nombre de décisions, rappeler que dès lors qu’un État permet l’adoption ou l’avortement, il lui revient d’organiser l’accès à ces procédés d’une manière qui ne contrarie pas l’exigence de non-discrimination contenue dans l’article 14 de la Convention EDH.
Il n’est toutefois pas certain que la jurisprudence européenne impose à l’État français l’ouverture de la gestation pour autrui au nom de l’interdiction de la discrimination dans l’accès aux procréations médicalement assistées, et ce pour deux raisons. En premier lieu, dans un arrêt de Grande Chambre rendu en 2011 dans l’affaire S.H. (Cour EDH, 3 novembre 2011, S.H. e.a. c/ Autriche, requête n° 57813/00), la Cour est revenue sur la position qui était la sienne dans l’arrêt de Chambre de 2010, en considérant que la Convention EDH n’était pas méconnue par l’interdiction autrichienne. Relevons cependant que la dimension temporelle revêt un caractère primordial dans cette affaire : la Cour a examiné si, à l’époque pertinente – en l’occurrence en 1999 –, l’Autriche avait outrepassé la marge d’appréciation qui était la sienne en interdisant le recours au don d’ovule et à la fécondation in vitro hétérologue. Il est dès lors difficile de prédire les conséquences précises de cet arrêt s’agissant de la future réglementation nationale des procréations médicalement assistées. En second lieu, il apparaît que, pour un certain temps au moins, l’importance de la contribution de la mère porteuse – qui n’est évidemment pas placée dans une situation comparable à celle d’un donneur de gamètes – est de nature à justifier une différence de traitement, en l’absence de consensus européen sur la maternité pour autrui.
19. L’accès à la pratique pour les couples homosexuels – Concernant les couples homosexuels, un autre point de départ peut être envisagé quant à leur droit d’accéder à la gestation pour autrui. On sait que des discussions sont en cours à propos d’une éventuelle ouverture en droit français de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes. Or, on peut légitimement s’interroger sur les répercussions d’une telle ouverture au profit des couples lesbiens sur la question de la gestation pour autrui pour les couples gays (H. Fulchiron, « Le mariage pour tous, un enfant pour qui ? » JCP G 2013, doct. 658). Instaurerait-on une discrimination fondée sur le sexe en ouvrant la procréation médicalement assistée aux couples de femmes sans ouvrir la gestation pour autrui aux couples d’hommes ? Il faut souligner qu’il s’agirait là d’une différence de traitement, non pas entre homme et femme, mais entre couples homosexuels féminins et masculins (G. Escudey, « La procréation médicalement assistée face aux droits européens : un dilemme insurmontable ? », RDLF 2013, chron. n°9). La question serait alors de savoir si un couple gay est placé dans une situation comparable à celle d’un couple lesbien s’agissant de l’accès aux techniques d’assistance médicale à la procréation. Ces deux hypothèses constituent-elles deux situations analogues, sachant qu’un couple de femmes est apte à mettre au monde un enfant en ayant recours à un don de sperme, là où un couple d’hommes doit faire appel aux facultés de gestation, voire de procréation d’un tiers ?
B. Le respect de la vie familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant
20. Si l’on quitte le point de vue des adultes pour s’intéresser à celui de l’enfant, la question du respect des droits fondamentaux se pose d’une manière bien différente. Il s’agit de déterminer si les États ont l’obligation de reconnaître dans leur ordre juridique interne un lien de filiation légalement établi à l’étranger entre un enfant né d’une mère porteuse et ses parents d’intention. La Cour EDH ne s’est encore jamais prononcée directement sur la question, mais elle sera prochainement amenée à le faire, trois affaires étant pendantes devant la juridiction strasbourgeoise (Mennesson et autres c/ France, requête n° 65192/11 ; Labassée et autres c/ France, requête n° 65941/11 ; Paradiso et Campanelli c/ Italie, requête n° 25358/12). Il s’agira pour la Cour de s’interroger sur la conformité des solutions nationales au droit au respect de la vie familiale, prévu par l’article 8 de la Convention EDH, et à l’intérêt supérieur de l’enfant garanti par la Convention de New York. Il est délicat d’émettre un pronostic sur les chances de succès de ces actions. Tout reposera sur l’appréciation de l’impact concret, sur la vie familiale du couple et de l’enfant, du refus de reconnaître juridiquement le lien de filiation officiellement constitué à l’étranger.
En 2011, la Cour de cassation française a affirmé, de façon quelque peu péremptoire, que le refus de transcription des actes d’état civil étrangers ne portait atteinte ni au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, ni à leur intérêt supérieur (Cass. 1re civ., 6 avril 2011, trois espèces, préc.). Franchissant un pas supplémentaire, la Cour de cassation a, en 2013, évincé toute possibilité pour l’enfant né d’une mère porteuse étrangère de voir sa filiation paternelle reconnue en France, au nom de la lutte contre la fraude, tout en excluant la confrontation de cette solution à la Convention EDH et à la Convention IDE (Cass. 1re civ., 13 septembre 2013, deux espèces, préc.). La fraude corromprait tout, même la protection de l’enfant par les droits fondamentaux ? Revenons sur la conformité de la solution française à ces deux textes supranationaux.
21. La conformité à la Convention EDH : le respect de la vie familiale – Il ne fait aucun doute qu’il existe, entre l’enfant né d’une mère porteuse et ses parents d’intention, une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention EDH : non seulement parce qu’un acte d’état civil étranger établit leur filiation, mais aussi parce qu’une relation affective s’est développée entre eux. Peut-on dès lors, sans porter atteinte à la vie privée et familiale de l’enfant et de ses parents d’intention, refuser l’établissement d’un lien de filiation, spécialement paternelle, conforme à la fois à la vérité biologique et à la vérité sociale et affective ?
Il faut ici se référer à l’abondante jurisprudence européenne relative à la protection des liens familiaux établis. Dans le célèbre arrêt Wagner (Cour EDH, 28 juin 2007, Wagner c/ Luxembourg, requête n° 76240/01), la Cour EDH a condamné les autorités du Luxembourg pour avoir refusé de reconnaître l’adoption réalisée au Pérou par une femme luxembourgeoise, au motif que son droit national prohibait l’adoption par une personne seule. La Cour invoque notamment l’existence de liens de facto entre l’enfant adopté et sa mère adoptive et la prévalence de l’intérêt de l’enfant sur les règles de droit international privé. Dans la même veine, la Cour EDH a eu l’occasion d’estimer que le refus par les autorités helléniques de reconnaître l’adoption légalement prononcée aux États-Unis d’un jeune adulte par son oncle doit répondre à un « besoin social impérieux » (Cour EDH, 3 mai 2011, Négrépontis-Giannisis c/ Grèce, requête n° 56759/08). La Cour rappelle que les juges nationaux ne peuvent « raisonnablement passer outre au statut juridique créé valablement à l’étranger et correspondant à une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention » (Cour EDH, 28 juin 2007, Wagner c/ Luxembourg, préc.).
Ces deux décisions font écho au refus de transcription sur les registres de l’état civil français des actes de naissance des enfants nés par gestation pour autrui à l’étranger. Il est en effet permis de penser que, même obtenu au terme d’un contournement de la loi française, le statut juridique régulièrement créé à l’étranger entre l’enfant né d’une mère porteuse et ses parents d’intention devrait produire des effets de droit en France, dès lors qu’il correspond à une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention EDH. Toutefois, il n’est pas certain que les principes d’indisponibilité du corps humain et de dignité de la personne soient comparables à ceux qui étaient invoqués devant la Cour EDH dans les deux affaires précitées. Il est en effet possible que l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale soit justifiée, concernant la prohibition de la maternité pour autrui, par des principes essentiels du droit français (A. Dionisi-Peyrusse, « La conformité à l’article 8 de la Convention EDH des refus de reconnaissance des situations familiales créées à l’étranger au nom de l’ordre public international », in Mélanges à la mémoire de P. Courbe, Le droit entre tradition et modernité, Dalloz, 2012, p. 157). Par ailleurs, plusieurs arrêts récents de la Cour EDH semblent nuancer l’obligation positive mise à la charge des États d’établir un lien de filiation (Cour EDH, 21 décembre 2010, Chavdarov c/ Bulgarie, requête n° 3465/03 ; Cour EDH, 15 mars 2012, Gas et Dubois c/ France, requête n° 25951/07 ; Cour EDH, 4 octobre 2012, Harroudj c/ France, requête n° 43631/09). La Cour a en effet eu l’occasion d’estimer que le refus de reconnaissance juridique et officielle du lien de filiation n’emporte pas en soi violation de l’article 8 de la Convention EDH, à condition toutefois que les incidences concrètes de ce refus sur la vie familiale demeurent réduites. Dans les affaires concernant les enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger, la Cour EDH devra ainsi se prononcer sur l’impact de l’impossibilité d’établir un lien de filiation sur la vie familiale effective.
22. La conformité à la Convention IDE : l’intérêt supérieur de l’enfant – Au-delà de la Convention EDH, c’est la Convention IDE qui pourrait être invoquée à l’encontre de la position juridique française actuelle. Dans son article 3§1, ce texte prévoit que « dans toutes les décisions qui [le] concernent […], l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Cette disposition, qui bénéficie d’une applicabilité directe devant les juridictions françaises (Cass. 1re civ., 18 mai 2005, pourvoi n° 02-20613), est susceptible d’au moins deux interprétations : l’une in abstracto, nécessitant de se placer en amont du recours à un processus de gestation pour autrui ; l’autre in concreto, supposant de tenir compte de la situation effective consécutive à la maternité de substitution. On comprend bien que si la première interprétation peut constituer un frein à l’admission de principe de la gestation pour autrui, la seconde conduit irrésistiblement à admettre l’intégration juridique de l’enfant né d’une mère porteuse à l’étranger dans sa famille de fait. La Cour EDH rappelle par ailleurs depuis longtemps déjà que l’enfant ne saurait se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables (Cour EDH, 1er février 2000, Mazurek c/ France, requête n° 34406/97).
23. S’il fallait conclure – Dans les États qui, comme la France, prohibent la maternité de substitution, il devient délicat, en raison du tourisme procréatif, d’ignorer purement et simplement les faits. Le recours à une mère porteuse est certes contraire à l’ordre public interne, mais l’intérêt de l’enfant apprécié in concreto paraît exiger l’élaboration d’un cadre juridique minimal. De lege ferenda, deux solutions semblent envisageables, selon le degré de prise en compte souhaité.
En premier lieu, le législateur français peut s’engager à établir de plein droit un lien de filiation entre les parents d’intention et l’enfant né d’une mère porteuse, ce qui implique une reconnaissance légale de la pratique (en ce sens, v. Rapp. Sénat n° 421, Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui, 25 juin 2008 ; M. André, Proposition de loi tendant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui, Sénat, n° 233, 27 janvier 2010 ; A. Milon, Proposition de loi tendant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui, Sénat, n° 234, 27 janvier 2010). Bien entendu, légaliser la pratique des mères porteuses suppose de l’encadrer et, pour cela, de répondre en amont à toute une série d’interrogations : quelles sont les conditions tenant à la gestatrice (doit-elle être mariée ? avoir déjà des enfants ? peut-elle être à la fois génitrice et gestatrice ?), aux bénéficiaires (doit-il s’agir d’un couple ? marié, pacsé ou vivant en concubinage ? hétérosexuel ou homosexuel ? d’une personne seule ?), à l’indemnisation ou à la rémunération, au caractère légal ou contractuel de la pratique, aux effets de la convention (peut-on obtenir l’exécution forcée de leurs obligations par la mère porteuse et les parents d’intention ? la mère porteuse bénéficie-t-elle d’un droit de rétractation ?), etc. L’option de la légalisation présenterait l’avantage d’autoriser une plus grande fermeté à l’égard des situations illégalement constituées à l’étranger, notamment lorsqu’elles le sont dans des conditions peu respectueuses des droits de la femme amenée à porter l’enfant. Mais cette option de la légalisation ne fait clairement pas l’unanimité en France, si l’on en juge par les différents rapports rendus à l’occasion de la dernière révision des lois de bioéthique, tous défavorables à une admission de principe de la maternité pour autrui (Rapp. OPECST, L’évaluation de l’application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, 2008 ; Rapp. CE, La révision des lois de bioéthique, 2009 ; Rapp. Académie nationale de médecine, La gestation pour autrui, 10 mars 2009 ; CCNE, Avis n° 110 sur les problèmes éthiques soulevés par la gestation pour autrui, 1er avril 2010).
Une voie médiane est néanmoins possible. L’Etat français pourrait, en second lieu, opter pour une solution plus souple que celle de la légalisation qui, tout en maintenant l’interdit du recours aux mères porteuses, permettrait de rattacher juridiquement l’enfant au couple commanditaire. À cet égard, deux montages juridiques sont envisageables. D’une part, il peut s’agir de l’établissement en France de la filiation des enfants nés par gestation pour autrui à l’étranger. La filiation paternelle, lorsqu’elle est conforme à la vérité biologique, pourrait être établie par reconnaissance ou par possession d’état. Quant à la filiation maternelle, l’adoption simple permettrait à la mère d’intention d’avoir une place légalement reconnue dans la vie de l’enfant (en ce sens, v. P. Murat, note sous Cass. 1re civ., 17 décembre 2008 : Dr. famille 2009, comm. 15). Mais la prise en compte du fait accompli par le droit français pourrait, d’autre part, passer par une transcription – au moins partielle – en France des actes de l’état civil étrangers. C’est la voie que la Cour de cassation semblait montrer en 2011, en ne remettant pas en cause la transcription de la filiation paternelle conforme à la vérité biologique (Cass. 1re civ., 6 avril 2011, trois espèces, préc.). Le droit français pourrait même aller plus loin et autoriser la transcription tant en ce qui concerne la filiation maternelle que paternelle (en ce sens, v. J. Mézard, Proposition de loi autorisant la transcription à l’état civil français des actes de naissance des enfants nés à l’étranger du fait d’une gestation pour autrui, Sénat, n° 736, 31 juillet 2012 ; Rapp. CE, La révision des lois de bioéthique, 2009), à tout le moins lorsqu’il s’agit d’une gestation pour autrui dite « éthique », c’est-à-dire pratiquée dans un pays où la loi organise un contrôle.
La première solution – résidant dans l’admission de principe du recours à une mère porteuse – ne pourra de toute évidence venir que du législateur. Or, celui-ci ne semble pas souhaiter s’engager sur cette voie dans un avenir proche, la gestation pour autrui ne figurant pas au programme de la réforme à venir du droit de la famille. La seconde solution – consistant dans le traitement du fait accompli – pourrait en revanche être sous peu imposée par la jurisprudence européenne. Si elle n’est pas exempte de critiques (l’admission du fait accompli conduisant à consacrer indirectement une pratique par ailleurs prohibée par le législateur), ne représente-t-elle pas un moindre mal ?
Pour citer cet article : G. Ruffieux, « Retour sur une question controversée : le sort des enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger », RDLF 2014, chron. n°7 (www.revuedlf.com)