L’interdiction des mutilations sexuelles : entre confirmation et révolution…
L’interdiction des mutilations sexuelles : entre confirmation et révolution…
Par Mikaël Benillouche
Mikaël Benillouche est Maître de conférences HDR à la Faculté de droit d’Amiens et Directeur de l’ARJ d’Amiens
La loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France a créé de nouvelles infractions en matière de mutilation sexuelle. La loi renforce la répression de l’excision. Mais le nouvel article 227-24-1 du Code pénal pourrait aussi conduire à une remise en cause de la circoncision.
Si comme l’indiquait un aphorisme attribué à Malraux « le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas », le législateur peine à concilier la pratique de la religion avec les exigences inhérentes aux droits de la personnalité comme l’illustre la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France incriminant notamment les mutilations sexuelles. Parmi celles-ci, il est possible de relever deux catégories aux origines différentes et face auxquelles la réaction du droit positif était, jusqu’ici du moins, opposée, à savoir la circoncision et l’excision. La circoncision qui réside en l’ablation du prépuce rappelle l’alliance de Dieu avec Abraham et, à travers lui, avec le peuple d’Israël. « Et voici mon alliance qui sera observée entre moi et vous, et ta postérité après toi : que tous vos mâles soient circoncis. Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. Quand ils auront huit jours, tous vos mâles seront circoncis, de génération en génération » (Genèse, XVII : 10-12). Alors âgé de 99 ans, Abraham se circoncit, puis en fait de même avec ses deux fils, Ismaël, âgé de 13 ans, ainsi qu’à tous les hommes et enfants mâles de sa maison. Il répète ensuite l’opération sur son dernier né, Isaac, âgé de 8 jours. Cette différence d’âge est celle qui se perpétue entre les traditions musulmanes et juives. L’excision a une origine plus incertaine. Une ethnie du Congo (Bena Lulua) la justifie par le mythe des vagins dentés. Le clitoris serait la dernière dent à supprimer. Pour une autre ethnie (Bambaras), le clitoris est un dard qui peut blesser, voire tuer l’homme. Quoiqu’il en soit, alors que certains l’attribuent à l’Islam, aucun verset du Coran n’en fait mention.
Ces deux pratiques relèvent de la liberté de conscience mais supposent une atteinte à l’intégrité corporelle d’enfants, souvent en bas âge. La liberté de conscience a valeur constitutionnelle et valeur conventionnelle. Toutefois, les pratiques qu’elle engendre doivent se concilier avec l’ordre public. Ainsi, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. » L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme contient une disposition similaire : « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé et de la morale publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
La liberté religieuse doit donc se concilier avec d’autres exigences. A ce titre, il convient de rappeler que l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme prohibe la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Il s’agit d’une disposition indérogeable à la Convention. De la sorte, il semble que cette prohibition doive primer sur toute autre considération et donc sur la liberté de conscience. Toutefois, encore faut-il, comme l’indique la Cour européenne des droits de l’homme, que la pratique dépasse un certain seuil de gravité pour être interdite interdit par l’article 3 (CEDH, 18 janvier 1978, Irlande c. Royaume-Uni, série A n° 25, § 162). Le droit positif interne peut donc parfaitement, au regard de ces dispositions, encadrer ou restreindre certaines pratiques religieuses attentatoires à l’intégrité physique. Ainsi, alors qu’initialement, aucune disposition pénale ne prévoyait expressément la possibilité d’incriminer de tels agissements, la jurisprudence a posé les limites entre les pratiques autorisées et celles qui ne l’étaient pas avant que, conformément aux engagements internationaux de la France, le législateur ne prévoit de nombreuses dispositions qu’il s’agisse d’étendre la compétence des juridictions françaises, de la possibilité de lever le secret professionnel ou d’incriminer la sollicitation de mutilation sexuelle.
Cette évolution du droit positif n’est pas propre à la matière pénale et se retrouve également dans les autres branches du droit. Ainsi, le Conseil d’Etat a traité du droit d’asile en cas de risque d’excision (CE, ass., 21 décembre 2012, n° 332491, Mme F., n° 332492, Mme F. et n° 332607, Mme T., JCP G 2013, 615, AJDA 2013, p. 476, obs. F. Julien-Laferrière et p. 465, chron. X. Domino et A. Bretonneau). Dans la première des décisions, le Conseil d’Etat a estimé qu’une fillette non excisée, née en France, mais ayant la nationalité d’un Etat dans lequel les mutilations sexuelles constituent une norme sociale, appartient à un groupe social et est susceptible, à ce titre, d’obtenir le statut de réfugié si elle peut justifier de craintes personnelles en cas de retour dans son pays d’origine. La doctrine privatiste partage l’idée selon laquelle l’excision est nécessairement contraire à l’intérêt de l’enfant (P. Bonfils et A. Gouttenoire, Droit des mineurs, Précis Dalloz, 2008, n° 623). Quant à la circoncision, la Cour de cassation considère qu’il s’agit d’un acte usuel si elle relève de la nécessité médicale. Il en va différemment s’il s’agit d’une circoncision rituelle (CIv. 1ère, 26 janvier 1994, D. 1995, 226, note Choain). Ainsi, le médecin qui la pratique sans le consentement d’un des deux parents engage sa responsabilité civile (Lyon, 25 juillet 2007, RTDCiv. 2008. 100, obs. J. Hauser). La doctrine cite une décision ayant refusé la pratique religieuse de la circoncision (P. Bonfils et A. Gouttenoire, Droit des mineurs, Précis Dalloz, 2008, n° 623). Elle serait contraire à l’intérêt de l’enfant et à l’article 34 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant. Cette décision reste isolée.
L’étude de la réponse juridique apportée à ces deux pratiques permet d’établir que si l’excision est prohibée, la circoncision est tolérée. Cette affirmation doit désormais être nuancée, le droit positif ayant évolué. En effet, la distinction initiale semble désormais remise en cause de sorte qu’il est possible de s’interroger. Le législateur entend-il remettre en cause la circoncision, pratique millénaire, justifiée par des motifs religieux au nom de l’intérêt de l’enfant en interdisant expressément l’ensemble des mutilations sexuelles ? En effet, si le vide juridique initial concernant l’excision a été comblé (I.), il n’en demeure pas moins que les termes imprécis de la loi nouvelle semblent pouvoir induire une interdiction de l’ensemble des mutilations sexuelles, et donc de la circoncision (II.).
I. Un vide législatif progressivement comblé
L’interdiction de l’excision par le droit positif s’est opérée en plusieurs étapes. Ainsi, si initialement, le choix de la qualification pénale a été effectué par les juges sans intervention textuelle explicite, le législateur est intervenu d’abord pour accompagner cette avancée jurisprudentielle (A.), puis pour consacrer des infractions spécifiques interdisant le recours à l’excision (B.).
A) Le complément législatif aux qualifications jurisprudentielles retenues en cas d’excision
L’excision ou ablation du clitoris est très certainement constitutive d’une « torture » au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, ce n’est pas cette qualification mais celle de violences qui a été retenue par les juridictions pénales. En effet, les tortures font l’objet d’une disposition autonome mais ne sont pas définies par le Code pénal (article 222-1 CP). La jurisprudence a précisé les conditions d’application du texte. Ainsi, la qualification de tortures suppose un dol spécial résidant dans la volonté de faire souffrir. Or, en cas d’excision, les parents cherchent avant tout à se soumettre à une coutume sans réelle volonté de faire souffrir leur fillette. Plus encore, selon la jurisprudence, il faut non seulement des actes d’une gravité exceptionnelle occasionnant une souffrance aigüe, mais également la volonté de nier dans la victime la dignité de la personne humaine (CA Lyon, 19 janvier 1996, D. 1996. 258, note Coste). Les juridictions de fond ont préféré à cette qualification celle de violences comme l’illustrent des décisions relativement fréquentes. Plus précisément, il s’agit de violences ayant entraîné une mutilation lorsque l’excision n’entraîne pas le décès de la fillette mais uniquement l’ablation totale ou partielle du clitoris (Crim., 20 août 1983, Bull., n° 229, RSC 1984, p. 69, obs. G. Levasseur ; 22 avril 1986, Bull., n° 13, RSC 1986, p. 851, obs. G. Levasseur ; 9 mai 1990, Dr. pén. 1990, comm. 291, RSC 1993, p. 565, obs. G. Levasseur).
Toutefois, la protection jurisprudentielle s’est rapidement révélée insuffisante. En effet, celle-ci n’était susceptible que de s’appliquer aux mineurs français ou concernant des faits commis en France en raison des systèmes de compétence des juridictions françaises. Ainsi, la loi française n’est applicable que si un fait constitutif de l’infraction a lieu en France (article 113-2 CP) ou si la victime est française (article 113-7 CP). L’application universelle de la loi française ne s’applique qu’aux tortures (article 689-2 CPP), or cette qualification n’est pas celle retenue. La loi s’avérait donc insuffisante pour réprimer des agissements commis à l’étranger si la victime n’avait pas la nationalité française. C’est pourquoi, la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a étendu le système de personnalité pour que les juridictions françaises soient compétentes pour des excisions pratiquées à l’étranger sur une victime vivant habituellement en France et ce, même si celle-ci n’a pas la nationalité française. Ainsi, l’article 222-16-2 CP permet d’appliquer la loi pénale française aux crimes et délits prévus par les articles 222-8, 222-10 ou 222-12 CP commis à l’étranger sur une victime mineure résidant habituellement sur le territoire français. Les textes visés punissent les violences ayant entraîné la mort, une mutilation ou une incapacité de travail supérieur à huit jours. La circulaire d’application du texte précise que ces dispositions sont destinées à lutter contre les excisions pratiquées à l’encontre de jeunes filles de nationalité étrangère résidant habituellement en France, pendant les vacances, dans leur pays d’origine et ce, avec la complicité de leurs parents (Circ. CRIM 2006-10 E8, 19 avr. 2006 : BO min. Just. 2006, n° 102, § 3.1.1.).
Plus encore, pour faciliter les poursuites rendues difficiles par la dissimulation des faits par la famille, la loi crée une possibilité de révéler les excisions constatées et ce, malgré l’existence du secret professionnel. En effet, selon l’article 226-14 1° CP les dispositions incriminant le secret professionnel ne sont pas applicables à « celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ». De même, une disposition spécifique applicable au médecin lui permet de porter de tels agissements à la connaissance du procureur de la République.
Dès lors, si le droit positif paraissait suffisant pour réprimer l’excision, il n’en demeure pas moins que le législateur a souhaité étendre le dispositif existant.
B) La consécration législative de l’interdiction de l’excision à travers les infractions de mutilation sexuelle
La loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France crée deux infractions nouvelles. Elle incrimine ainsi le « fait de faire à un mineur des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, ou d’user contre lui de pressions ou de contraintes de toute nature, afin qu’il se soumette à une mutilation sexuelle » (article 227-24-1 alinéa 1er CP). De tels agissements ne pouvaient auparavant être punis en l’absence de passage à l’acte. En effet, il s’agit là d’une hypothèse de complicité (article 121-7 CP), laquelle n’est punissable que si une infraction et donc, en matière de violences, si une atteinte à l’intégrité physique, a été commise.
Par ailleurs, avant la loi, il était nécessaire que l’atteinte portée aux mineurs soit effective, dans la mesure où la tentative ne peut être retenue concernant les violences. En effet, la tentative n’est pas susceptible d’être retenue en cas de violences délictuelles dans la mesure où la loi ne le prévoit pas (article 121-4 CP). De plus, même si les violences sont criminelles, la jurisprudence n’a jamais retenu la possibilité de retenir une tentative dans la mesure où la qualification criminelle dépend des conséquences des violences, lesquelles par définition, ne peuvent être constatées si l’infraction n’est pas encore réalisée. C’est cette dernière lacune que comble la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France. En effet, désormais non seulement l’excision est expressément sanctionnée, mais, plus encore, le fait d’inciter directement autrui par offres, promesses, propositions ou d’user de pression, à commettre une mutilation sexuelle sur la personne d’un mineur, lorsque cette mutilation n’a pas été réalisée est désormais pénalement incriminé. Ces divers agissements sont punis cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Les peines encourues se révèlent donc moindres qu’à l’égard des violences ayant entraîné une mutilation sur un mineur de quinze ans par une personne ayant autorité lesquelles sont punies de vingt ans de réclusion criminelle (article 222-10 CP). En adoptant une peine moins élevée, le législateur a souhaité créer des infractions obstacles afin d’éviter que ne survienne l’excision, laquelle demeure réprimée par la qualification de violences.
Quoiqu’il en soit, le texte est conforme aux engagements internationaux de la France. En effet, il transpose la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique signée à Istanbul, le 11 mai 2011 qui prévoit : « Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infractions pénales, lorsqu’ils sont commis intentionnellement : a/ l’excision, l’infibulation ou toute autre mutilation de la totalité ou partie des labia majora, labia minora ou clitoris d’une femme ; b/ le fait de contraindre une femme à subir tout acte énuméré au point a ou de lui fournir les moyens à cette fin ; c/ le fait d’inciter ou de contraindre une fille à subir tout acte énuméré au point a ou de lui fournir les moyens à cette fin » (article 38).
Les agissements décrits par le a/ étaient punis par le recours aux violences, ceux du b/ par le recours à la complicité (article 121-7 CP), alors que ceux de c/ n’étaient pas jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi pénalement sanctionnables. Le texte complète donc le droit positif et crée des infractions formelles caractérisées en l’absence de résultat dommageable. De telles incriminations permettent de développer des dispositifs de prévention et d’empêcher la commission de l’excision. Toutefois, des problèmes de preuve de tels agissements semblent devoir se poser concernant des agissements commis au sein de la famille ou d’une communauté et donc restants le plus souvent secrets à l’égard des tiers. Plus encore, le caractère large des termes employés semble conduire à l’assimilation de l’excision et de la circoncision au sein de l’appellation de « mutilation sexuelle ».
II. Un texte vaste à l’interprétation incertaine
L’article 227-24-1 CP évoque la notion de mutilation sexuelle sans préciser qu’il ne s’agit que de celles subies par les jeunes filles (A.), ce qui conduit inéluctablement à considérer que la circoncision semble également visée par le texte (B.).
A) L’absence de cantonnement de l’infraction aux mutilations sexuelles subies par les filles
La loi va au-delà des dispositions de la Convention que le texte est censé transposer. En effet, l’article 38 de celle-ci était intitulée « mutilations génitales féminines ». Or, l’article 227-24-1 CP ne se limite pas aux seules filles et contient une disposition générale. Les travaux préparatoires à la loi permettent d’expliquer cette extension. Ainsi, dans le rapport n° 840 la députée Marietta Karamanli a rapporté l’intention du Ministère de la Justice de ne pas « introduire de rupture d’égalité entre les mineurs » et d’ajouter « les mutilations génitales féminines sont plus fréquentes en raison de la persistance de traditions observées par certaines communautés ». De plus, il semblerait que les mutilations peuvent s’appliquer à un homme qui aurait subi une mutilation génitale. Or, il ne serait pas légitime d’exclure les jeunes garçons du champ d’application du nouveau délit d’incitation non suivie d’effet à subir une mutilation (Rapport n° 840, fait au nom de la commission des lois constitutionnelle, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi (n° 736 rectifié) portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France). La seule limitation réside dans l’âge de la victime des agissements d’incitation. Ainsi, celle-ci doit être mineure au moment des faits.
Compte tenu de cette explication, il est possible de s’interroger sur la conformité du texte avec les exigences constitutionnelles et conventionnelles. En effet, selon le Conseil constitutionnel, l’infraction doit être définie en des termes clairs et précis (CC, 4 mai 2012, Décision n° 2012-240 QPC ; 18 janvier 1985, Décision n° 84-183 DC). Dans le même sens, la Cour européenne des droits de l’homme exige que la définition soit claire, prévisible et accessible (CEDH, Soros c. France, 6 octobre 2011, requête n° 50425/06 ; Cantoni c. France, 15 novembre 1996, requête n° 17862/91). Il convient de relever que le texte n’a pas été soumis au contrôle avant promulgation du Conseil constitutionnel. Plus encore, la notion même de mutilation sexuelle – bien que non définie – semble être parfaitement compréhensible. En effet, elle englobe l’excision, mais plus encore, en raison de l’absence de disposition contraire, également la circoncision. Cette interprétation ne semble pouvoir être écartée qu’en ayant recours aux travaux préparatoires de la loi. En effet, à aucun moment, l’intention du législateur telle que résultant des différents rapports ayant précédé l’adoption définitive de la loi n’a été d’interdire la circoncision. Plus précisément, celle-ci n’a pas été mentionnée lors des discussions parlementaires, alors que l’excision l’a été expressément. Le principe d’interprétation stricte de la loi pénale conduirait à écarter la circoncision des précisions législatives (article 111-4 CP). Néanmoins, il est facile d’objecter qu’il est nécessaire de rechercher dans les travaux préparatoires de la loi pour procéder à une interprétation téléologique que dans l’hypothèse où le texte est sujet à interprétation. Or, il n’en est rien, le terme « mutilation sexuelle » est suffisamment explicite pour ne pas à avoir à procéder à une telle recherche.
En raison de l’adoption d’une formulation trop évasive, le législateur aurait donc incriminé certains faits liés à la circoncision. Or, jusqu’ici, une partie de la doctrine évoquait la justification de la circoncision par la coutume, ce qui se rattacherait à la cause d’irresponsabilité pénale d’ordre ou d’autorisation de la loi pénale (article 122-4 CP). « Hors ces hypothèses, les tribunaux ne doivent pas normalement tenir compte de la coutume. Certes, il est admis que certaines atteintes à l’intégrité physique, comme la circoncision, puissent être justifiées par la tradition culturelle ou religieuse. Mais cette tolérance n’a plus cours lorsque l’atteinte imposée par les pratiques rituelles dépasse un certain degré de gravité. Ainsi, l’excision ne saurait être justifiée par la coutume » (F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, 15ème éd., 2008, Economica, n° 712).
L’incitation de mineur à la circoncision et la sollicitation d’une personne pour pratiquer une circoncision seraient donc désormais pénalement répréhensibles en vertu des dispositions nouvelles de l’article 227-24-1 CP. Si l’intention du législateur ne semble pas aller dans ce sens, il n’en demeure pas moins que l’interprétation littérale du texte conduit à ce constat. Cette prohibition s’inscrirait d’ailleurs dans une évolution connue dans d’autres pays.
B) Vers une interdiction progressive de la circoncision
L’autorisation de la circoncision par la coutume n’est – à l’heure actuelle – pas démentie par la doctrine. Toutefois, des développements équivalents à ceux évoqués précédemment ne se retrouvent pas dans tous les manuels et la jurisprudence reste discrète sur la question. Il est possible de relever une décision dans laquelle une mère avait été relaxée de complicité de violences volontaires sur la personne de son fils ayant subi une circoncision. L’intervention aurait été réalisée par une personne non qualifiée sur le plan médical. Pourtant, la mère n’avait pas eu conscience de contribuer à un acte de violences volontaires sur son fils dans la mesure où elle pensait que la procédure suivie était habituelle pour la communauté concernée, ce que confirment les éléments produits sur la qualité des liens existants entre la mère et ses enfants (CA Grenoble, Chambre correctionnelle 1, 7 novembre 2012, déc. n° 12/00293, JurisData n° 2012-034508). Cette décision peut être interprétée de différentes façons. La première conduit à considérer que la circoncision n’est pas interdite, puisque la mère de l’enfant circoncis n’a pas été condamnée pénalement. Toutefois, une lecture plus attentive de la décision permet de constater que celle-ci n’a nullement bénéficié d’une éventuelle cause d’irresponsabilité pénale. Plus encore, c’est en raison de l’absence d’élément moral que la mère a été relaxée. Elle aurait donc été condamnée s’il avait été constaté qu’elle avait agi sciemment, c’est-à-dire en ayant conscience d’avoir méconnu une disposition pénale.
Or, depuis l’évolution du droit positif et l’adoption de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, la circoncision semble désormais interdite. De la sorte, à l’avenir, nul prévenu ne pourra évoquer une éventuelle incertitude quant à la possibilité d’avoir recours à de telles pratiques. En rédigeant de façon trop large le texte d’incrimination, le législateur a ouvert la voie à la possibilité de poursuites en cas de certains faits liés à la circoncision. En effet, toute personne offrant des cadeaux à l’enfant à l’occasion de la circoncision semble tomber sous le coup de la loi pénale, tout comme la personne procédant à la pratique.
Plus encore, certains pays ont évolué vers l’interdiction de la circoncision, à l’instar de l’Allemagne depuis une décision du tribunal correctionnel de Cologne du 7 mai 2012 qualifiant la pratique de coups et blessures aggravés (Wa. 151 Ns 169/11, Médecine et droit 2013, n° 118, note O. Berg, Revue internationale de droit comparé, 2013, n° 1, note J. Roche Dayan, Revue française de droit administratif 2012, n° 5, obs. C. Grossholz, D. 2012, n° 31, obs. R. Libchaber). Toutefois, une réforme récente est revenue sur cette décision et a fourni un cadre légal à la circoncision (loi du 12 décembre 2012, http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/12/12/les-deputes-allemands-votent-une-loi-autorisant-la-circoncision_1805259_3214.html). Il n’en demeure pas moins que d’autres pays s’interrogent comme en Suède, pays dans lequel le Défenseur des droits a recommandé la prohibition de la circoncision sans motif médical ni consentement du mineur. Il estime que la pratique serait contraire aux droits de l’enfant (http://www.franceinfo.fr/europe/suede-debat-sur-l-interdiction-de-la-circoncision-1158201-2013-09-28).
Plus encore, au-delà de ces données de droit comparé, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté une résolution visant à faire prohiber la circoncision (Résolution du 1er octobre 2013 1952 (2013), 31e séance). Le point 6 de la Recommandation prévoit : « L’Assemblée recommande vivement aux Etats membres de sensibiliser davantage leurs populations aux risques potentiels que peuvent présenter certaines des pratiques susmentionnées pour la santé physique et mentale des enfants, et de prendre des mesures législatives et politiques qui contribuent à renforcer la protection des enfants dans ce contexte. » L’Assemblée parlementaire invite les Etats à un débat ainsi qu’à interdire les interventions non médicalement justifiées.
Ce texte a suscité de nombreuses réactions et l’évolution du droit positif crée une polémique dans la mesure où la pratique est fréquente et est tolérée depuis des siècles. Elle repose sur la volonté de protéger l’intégrité de l’enfant envers les agissements de leurs parents. La Convention internationale sur les droits de l’enfant conduirait d’ailleurs à considérer que le mineur doit être impliqué dans les différentes décisions le concernant, surtout si celles-ci risquent d’avoir des conséquences définitives pour lui. La tradition ancestrale et biblique de la circoncision est donc désormais remise en cause.
Si la norme pénale n’est pas rapidement modifiée, elle risque de conduire à un contentieux qui ne manquera pas de raviver des tensions religieuses. Cette intervention législative paraît indispensable. Toutefois, la rupture d’égalité qu’elle engendrerait entre les filles et les garçons se justifierait difficilement. Finalement, comme Montesquieu l’indiquait, « une mauvaise loi oblige toujours le législateur d’en faire beaucoup d’autres, souvent très mauvaises aussi, pour éviter les mauvais effets ou, au moins, pour remplir l’objet de la première » (Mes pensées, 1720-1755, posthume, 1899).
Pour citer cet article : Mikaël Benillouche, « L’interdiction des mutilations sexuelles : entre confirmation et révolution… », RDLF 2014, chron. n°6 (www.revuedlf.com)
Contribution artistique à votre article : plasticienne engagée, j’ai réalisé des oeuvres sur le sujet des femmes et des violences. Notamment une série intitulée « Infibulation », que j’ai pu présenter à 400 lycéens français pour la Journée des Femmes 2018. Le dialogue fut incroyable avec des élèves qui découvraient cette pratique barbare.
Quand l’art permet de parler directement des violences et d’ouvrir le débat.
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